1er BATAILLON DE CHARS DE COMBAT
(6-9 juin 1940)
La 1er septembre 1939, le 1er bataillon du 501e, en garnison à Tours, forme, avec l’appoint des réservistes, le 1er bataillon de chars de combat. Tous les officiers, sous-officiers, caporaux et chasseurs, tant d'active que de réserve, se jurent que leur bataillon, premier du nom, le sera aussi par la valeur et le courage. On verra comment ils tinrent leur serment.
Embarqué en Alsace le 26 mai 1940, le bataillon arrive à Noyon le 28, et est mis aussitôt à la disposition du 24e corps d`armée, au sud de Lassigny.
Le 5 juin au matin, les Allemands attaquent. Le soir, vers 20 heures, la 3e compagnie est chargée de dégager un groupe d'artillerie en difficulté vers Dreslincourt. Elle quitte, en colonne, le bois de Liancourt, traverse Étalon et se heurte, sur la crête au nord de ce village, à une vingtaine de chars légers ennemis qui, aussitôt, ouvrent le feu. Les chars français se déploient en deux échelons et ripostent. Après trois quarts d'heure de lutte, les blindés allemands s'enfuient, mais cinq d'entre eux, dont deux en flammes, restent sur le terrain. Les pièces d'artillerie sont délivrées. Seul, le char du capitaine Datcharry, qui a reçu huit obus, dont un dans un épiscope de tourelle, doit être abandonné. Au retour, un amas de paille arrosé d'essence et enflammé par des éléments ennemis qui se sont infiltrés derrière les chars, barre le carrefour ouest du village d'Étalon qu'il faut traverser. Avec une belle crânerie, le capitaine descend du char qui l'a recueilli et fait manœuvrer les extincteurs. Les chars peuvent alors poursuivre leur route et regagner leur position de départ.
Le 6 juin, à l’aube, le village de Liancourt, tenu par la 6e demi-brigade de chasseurs, est brusquement attaqué par une vague d'engins blindés débouchant des crêtes au sud du ruisseau d'Ingon. La 3e compagnie, à nouveau, prend l’ennemi de flanc, démolit six blindés et chasse les autres. Cinq gros chars armés de canons de 75 débouchent alors à l’est du village.
Nos chars leur font face, mais la plupart sont atteints, à sept ou huit cents mètres, par des obus perforants.
Celui du sergent Lhuillié, en position avancée, tombe soudain sur un blindé ennemi camouflé dans un verger et reçoit un obus tiré à très courte distance. Le volet du mécanicien., touché, s'ouvre : le chasseur Gatti est tué sur le coup. Le sergent Lhuillié se penche sur son camarade, dont le pied est resté appuyé sur la pédale de l’accélérateur, et le soulève, mais il reçoit deux balles de mitrailleuse, une dans la cuisse, l’autre dans l’épaule. Refermant alors le volet, il tire sur son adversaire qui, réduit au silence et immobilisé, prend feu. Puis, il traîne son mécanicien dans la tourelle, prend sa place et ramène le char au bois de Liancourt où, épuisé, exsangue, il tombe évanoui dans les bras de ses camarades.
Le char du commandant de la 3e section reçoit un obus de plein fouet. Le lieutenant Neguelouard est tué, et son mécanicien, le chasseur Chounet, très grièvement blessé. L'essence du réservoir s'enflamme. Le capitaine Datcharry sort de son appareil et cherche à ouvrir la porte du mécanicien. En vain. Par le petit volet ouvert, il voit Chounet tomber en syncope et doit l’abandonner à son sort tragique.
Un troisième char prend feu, au retour, dans Rethonvillers, et doit être abandonné. Huit chars sur douze devaient se regrouper à la nuit, au bois de Thiescourt, tous fortement endommagés. Celui du sergent Coucard avait sa tourelle transpercée par trois obus. Le sergent lui-même, à demi aveugle, avait la moitié du visage arrachée.
Il manquait un autre char à l'appel : celui du caporal-chef Bellou. Un obus avait traversé son blindage et tué le mécanicien Paris. Bellon continua le combat seul, puis, prenant la place de son camarade, essaya de ramener son appareil. Isolé, sans guide, égaré, il erra ainsi toute la journée, tantôt conduisant, tantôt tirant, et forçant plusieurs fois des barrages ennemis.
Enfin, retrouvant des fantassins français, il se décida, avec leur aide, à enterrer son mécanicien, refit son plein d'essence avec un bidon de cinquante litres trouvé en chemin et repartit. Après une nuit de veille, il finit par rejoindre sa compagnie le 7, à 15 heures, au moment où elle allait faire mouvement sur Sermaize. Il demande aussitôt à son capitaine à repartir au combat avec un autre char. Le jugeant trop fatigué, le capitaine refuse.
Bellon, furieux, s'en prend à celui de ses camarades qui part à sa place et qui lui conseille de se reposer ; il l'étourdit d'un coup de en pleine figure, bondit vers son capitaine et déclare qu'un mécanicien vient de se trouver mal. Le capitaine, prêt à donner le signal du départ, accepte le volontaire qui s'offre, et Bellon, souriant, retourne au combat.
Le même jour, 7 juin, la 2e compagnie est appelée à dégager la 7e division d'infanterie coloniale, complètement débordée dans la région de Noyon.
La section du lieutenant Laporte reçoit mission de nettoyer le village d'Happlincourt, où elle est accueillie par un feu nourri d'armes automatiques.
Quant aux autres sections, engagées vers Noyon et sur la route de Roye, prises à partie, de face et de flanc, par de nombreux canons anti-chars, elles devaient être anéanties. Pas un char n'échappa au tir ennemi et pas un homme n'en revint, mais les éléments dispersés de la 7e division d'infanterie coloniale purent décrocher et reporter leur ligne plus à l'ouest, où ils résistèrent jusqu'au 9 juin.
C'est aussi le 7 juin que la 1ère compagnie se déploie et attaque le plateau de Tirlancourt, tirant à la mitrailleuse sur tout ce qui lui paraît suspect. Les Allemands quittent leurs abris et lèvent les bras. Mais l’alerte a été donnée et les 77 commencent un barrage d'obus fusants pour enrayer l’avance des fantassins français.
Le caporal-chef Bureau déclenche quelques rafales dans les arbres et voit, à 50 mètres, une masse verdâtre tomber des branches. Devant lui, dans les buissons, il observe une certaine agitation. Il donne l'ordre à son mécanicien Gastichet de foncer et tire sur l'objectif quelques obus explosifs. Deux corps sont projetés en l’air et retombent lourdement. Il s'aperçoit alors que les autres chars de sa section font demi-tour et fait virer le sien sur la droite. Le moteur cale. Par trois fois, le mécanicien tente vainement d'avancer. Bureau tourne sa tourelle et, vaguement masqué par un arbre, ouvre la porte arrière. En se penchant, il constate que la chenille de droite est sortie de la poulie de tension. Il faut reculer. Au bout d'une vingtaine de mètres, dans un fracas inquiétant, la chenille reprend sa place. Le char peut, à nouveau, démarrer en avant. Sur le chemin du retour, Bureau prend les troupes ennemies à revers et sème parmi elles la panique. Puis, embossé entre deux buissons, il attend. Les trois chars de la 4e section, conduits par le lieutenant Boulmer, passent.
Ils vont nettoyer quelques bosquets sur la gauche. Bureau se joint à eux. L'opération terminée, les chars rejoignent, à contre-pente, le 3e section.
Le capitaine Pin félicite ses équipages et décide de monter une nouvelle attaque pour faciliter le repli du 11e régiment d'infanterie. Mais, déjà, les balles sifflent. L'une d'elles frappe le sergent Ménard au moment où il ouvre la porte de sa tourelle pour mieux observer le terrain. Ses camarades le confient à des brancardiers et remontent précipitamment dans leurs chars.
Après s'être enfoncé profondément dans le dispositif ennemi, le capitaine rallie ses véhicules, mais, au cours du repli, un obus de 47 le frappe en pleine poitrine.
Père de quatre enfants, il s'était refusé à quitter ses hommes pour aller à. L’arrière. La 1ère compagnie, qui l’adorait, lui rend les derniers devoirs à la tombée de la nuit. On l'a couché dans une bière de fortune, confectionnée avec de vieilles portes. L'émouvante cérémonie n'est troublée que par un gros bombardier qui lance une fusée pour photographier la ferme.
Le lendemain matin, à 4 heures, arrive l'ordre de départ. Les moteurs sont mis en marche.
Tandis que l’échelon sur roues poursuit vers Senlis le mouvement de repli qui se dessine, les dix chars indemnes de la 1ère compagnie s'embusquent dans un bois voisin. Ils n'y resteront pas longtemps. La 7e division d'infanterie coloniale, serrée de près par des colonnes motorisées, a besoin de secours. La section du lieutenant Thoreau est désignée pour dégager un bataillon du 7e régiment d'infanterie coloniale, encerclé dans Mareuil-la-Motte. Ses hommes sont un peu émus, mais fiers tout de même ; ils vont enfin se battre.
A l’aube du 8 le capitaine Datcharry se fait exposer la situation et explique au lieutenant quelle doit être sa mission. Un conducteur de side-car, du 77e groupe de reconnaissance divisionnaire d'infanterie, en position à Marquéglise, lui servira de guide. Mais ce sous-officier part trop vite et, la liaison perdue, les chars ont bien du mal à gagner le village. Lorsqu'ils y parviennent, il est désert. Leur tâche ne pouvant être remplie sans le groupe de reconnaissance, ils rebroussent chemin.
En repassant à Autheuil, le caporal-chef Durand aperçoit, dans une Citroën rangée sur le bord du trottoir, un fusil et un mousqueton. Il crie à son mécanicien Bourboul d'arrêter le char, descend et revient en courant avec les armes, quand, tout à coup, débouche sur la route un motocycliste feldgrau. C'est la première fois que Durand voit un Allemand de si près.
Interloqué, il le regarde faire demi-tour et disparaître.
L'éclaireur ennemi va sans doute signaler la présence des Français. Après tout, peut-être aura-t-il pris pour un civil ce soldat, tête nue, en blouson de sport ?
Mais Bourboul crie: «Dépêchez-vous ; il y a des Fritz partout !» Ils ont évidemment tourné les chars, pendant que ceux-ci s'attardaient dans les chemins de terre. Durand jette son fusil et son mousqueton dans la chambre de combat, s'y engouffre, ferme la porte de la tourelle, introduit un obus dans le canon, arme la mitrailleuse et attend. Soudain, le motocycliste allemand, suivi d'une voiture tous-terrains transportant d'autres soldats, apparaît au virage de la route. Ils ont aperçu le char. Trop tard. Durand était prêt. Le coup est parti ; l’arme était bien pointée. La voiture flambe ; les blessés poussent des cris de douleur.
Maintenant, le crépitement de la 7,5 mm déchire l’air. Un «feldgrau», un seul, sautant dans le fossé, s'échappe.
L'émotion de Durand s'est calmée ; une sorte de fièvre l'a pris. Son mécanicien ne dit mot. Il paraît calme et conduit bien. L'œil rivé à l’épiscope, le caporal chef inspecte la route. Tiens... Que sont ces longs tubes montés sur pneus ? Les canons anti-chars !
Il ressent un frisson dans le dos, malgré la chaleur qui règne dans la chambre de tir. Et il en compte sept, alignés sur les bas-côtés et qui attendent. Le char français est une aubaine. Les servants allemands s'affairent autour de leurs pièces. Trois aboiements secs. Rien de cassé. Durand et ses camarades, très calmes, ripostent. Les coups portent. Une phrase, lancée par Bourboul, donne confiance à tous: «On se croirait à la manœuvre». Un à un les canons sont détruits d'un obus entre les deux roues, sous le tablier.
Nos chars l'ont échappé belle. Seul, celui du lieutenant Thoreau a dû être abandonné. Le lieutenant, blessé, a été fait prisonnier. La section Laporte le vengera, l’après-midi, en détruisant, au canon, à la sortie d'Autheuil, une voiture chargée d'officiers penchés sur une carte déployée et, à la mitrailleuse, tout un escadron motocycliste qui suivait.
Désormais et jusqu'au 25 juin, le 1er bataillon de chars, jour après jour, couvrira la retraite, défendant successivement le passage de la Marne, de l'Yonne et de la Loire dans les conditions les plus difficiles en raison de l’embouteillage des routes et des bombardements incessants de l’aviation.
Lorsque sonnera le : «Cessez le feu», après cette marche de plus de 800 kilomètres, il ne restera au chef de bataillon Warabiot que trois chars péniblement «rafistolés» qui, commandés par les lieutenants Delvaque, Laporte et Mère, n'auront cessé de tenir tête à l’irrésistible ruée de l’ennemi.
Extrait de « AVEC LES HEROS DE 40… »
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Historique du 1er BCC 1939-1940
Patrick Binet - Silvère Bastien |
Ce récit et ces témoignages, en vous replongeant dans le quotidien et la tragédie d'une petite unité de l'armée française, vous permettront de mesurer combien nombre d'entre elles, en 1940, sont dignes d'éloges, même si la France a subi l'une des plus grandes défaites de son histoire. |