Image                               

4e BATAILLON DE CHARS DE COMBAT

 

 
 
Tandis que les forces allemandes qui ont réussi la percée à Sedan poursuivent leur marche vers l’ouest, un front se reconstitue hâtivement du côté français, s’étendant de l’est vers l’ouest à l’abri des coupures que sont le canal des Ardennes et l’Aisne, puis l’Ailette, la Somme enfin ; ce front peu à peu s’organise, s’étoffe, se fortifie. C’est ainsi que la IIe armée, une fois la stabilisation acquise dans le fond de la poche de Sedan, porte vers son aile gauche, c’est-à-dire l’Argonne et la vallée de l’Aisne, ses bataillons de chars légers. Parmi ceux-ci, le 4e B.C.C. est affecté au corps d’armée colonial qui tient le front Attigny, le Chesne inclus (36e D.I.), les Petites Armoises, Oches (35e D.I.).
Le 4e B.C.C. n’est plus une unité fraîche ; il a déjà combattu. Il a subi des pertes sérieuses mais a acquis cette fusion des cœurs et des âmes que donne seul le feu ennemi.
Le bataillon est, à cette époque, jugé par le général commandant les chars de la IIe armée comme une unité de tout premier ordre, dotée d’un matériel bien au point, et commandée par un chef vaillant et décidé. Cantonné jusqu’au 10 mai à Stenay, il est entré ce jour-là en Belgique avec notre cavalerie. Dans la nuit du 12 au 13, il a été ramené de la région de Florenville au sud de la Meuse et mis à la disposition du 10e C.A., chargé de la défense du secteur de Sedan. Il connaît à fond le terrain sur lequel il va être appelé à combattre. Il a confiance dans ses chars F.C.M. (Forges et Chantiers de la Méditerranée), chars légers de 13 t, les seuls chars français équipés d’un moteur Diesel (Berliet de 90 CV). Ils sont montés par deux hommes et armés d’un canon de 37 court et d’une mitrailleuse ; on peut reprocher à cet armement son manque de puissance l’armement moderne n’a pas encore été livré, non plus que les appareils de radio. Le personnel, recruté en majorité dans le Sud-Ouest, est jeune et très entraîné. Le bataillon (45 chars) est organisé en 3 compagnies de combat de 13 chars (4 sections de 3 chars plus le char du commandant de compagnie) et une compagnie d’échelon.
A partir du 14 mai, le bataillon participe aux contre-attaques destinées à contenir l’adversaire au sud de Sedan, en collaboration avec son frère d’armes, le 7e B.C.C. d’abord dans la région de Stonne, puis un peu plus au sud, vers la Berlière, Oches, le Mont Damion. Lorsque, le 26 mai, le 4e B.C.C. passe en réserve d’armée, il a perdu environ la moitié de son matériel. Les 1ère et 3e compagnies sont réduites à une seule compagnie de douze engins, moins par le feu de l’ennemi que par le fait de pannes mécaniques ; la 2e compagnie, qui s’est trouvée séparée du bataillon, rejoint fort réduite elle aussi deux chars ont été détruits par bombes d’avions, cinq autres en panne sont ramenés par l’échelon. A aucun moment, au cours de cette période, il n’y a eu contact entre nos chars et ceux de l’adversaire.
La compagnie d’échelons et le parc d’armée se livrent alors à un travail forcené pour réparer ou remplacer le matériel, et le 8 juin au matin c’est un bataillon au complet qui arrive dans la forêt d’Argonne, à la disposition du corps d’armée colonial. On s’attend à une offensive ennemie, mais quel va être son point d’application ? Dans l’ignorance où l’on se trouve encore, l’unité est disloquée (ordre du bataillon, 8 juin 21h30)
- La 1ère compagnie est mise à la disposition de la 36e D.I., et gagnera au cours de la nuit le bois Janson (1 km nord-est de la Croix aux Bois)
- la 2e compagnie est mise à la disposition de la 35e D.I. et se portera en position d’attente au Mont des Grues, 2 km nord de Briquenay ; la 35e D.I. n’étant pas attaquée les 9 et 10 juin, la 2e compagnie ne sera pas engagée ces jours-là, la 3e compagnie restera en réserve à Toges, où va s installer le PC du bataillon.
Une telle dispersion, sur un front de 13 km, présente trop d’inconvénients pour avoir été adoptée de bon gré par le chef de bataillon. Le commandant de Laparre de Saint-Sernin a dû s’incliner devant les ordres qu’il a reçus du C.A.C., désireux de disposer en tous les points de son vaste secteur d’un petit élément de contre-attaque. Le corps d’armée fait valoir, par ailleurs, que ces dispositions sont temporaires et que sous peu d’autres mesures seront prises. Déjà en effet l’intention de la 36e D.I. est de rapprocher la compagnie qui doit éventuellement agir dans sa zone, en l’amenant à Quatre-Champs, à 4 km des Alleux où se trouve le PC du colonel commandant le 57e R.I.
Quoi qu’il en soit, la 1ère compagnie est sur sa position d’attente du bois Janson lorsque, le 9 à 5h30, l’ordre lui arrive de se mettre à la disposition du 57e R.I. pour contre-attaquer sur Voncq. L’ennemi, en effet, a déclenché son offensive à 3h45. Sur le front de la seule 36e DI., deux divisions allemandes ont franchi la ligne d’eau, le 1er bataillon du 57e R.I., qui tenait le canal entre Semuy et Neuville, a subi l’assaut de deux régiments le I.R. 39, dont l’objectif est le pont sur l’Aisne au sud de Voncq, et le I.R. 78, qui plus à l’est marche droit au sud.
Dès réception de l’ordre en question, le capitaine Dayras, commandant la 1ère compagnie, se fait conduire en moto aux Alleux, sous les obus. Il y trouve le colonel Sinais, commandant du 57e R.I., préparant une contre-attaque. En effet, Voncq serait pris et l’ennemi s’infiltrerait dans les bois en direction des Alleux. D’après les indications qui lui sont données, le capitaine Dayras s’attend à rejoindre, à la lisière ouest de la clairière des Alleux, les troupes quelque peu disparates que l’on regroupe pour la contre-attaque. Lorsqu’il arrive en ce point à la tête de ses chars, il ne voit personne. Il continue en colonne sur le chemin des Alleux à Voncq, jusqu’à la lisière ouest des bois, ne trouve là non plus pas trace d’infanterie amie et reçoit des balles venant de tous côtés. Finalement le contact est pris avec les fantassins à l’intérieur du bois, tout près de la clairière. La manœuvre est rapidement montée avec les capitaines d’infanterie (capitaine Parat, du 1er bataillon du 57e R.I., et capitaine Le More, commandant le corps franc du 57e) et à 9h30 l’attaque démarre. Une section éclate sur la droite, le long d’un layon ; une autre sur la gauche; les deux dernières, capitaine en tête, suivent le chemin de Voncq, accompagnées par le gros de l’infanterie. Mitrailleuses et 37 tirent contre les formes vertes qu’on aperçoit dans les fossés ou les fourrés. Les sections qui ont opéré dans les taillis reviennent sur le chemin, et recommencent leur action sur d’autres layons toujours plus à l’ouest. Vers 10h30, chars et fantassins arrivent à la lisière du bois, ayant ainsi bousculé le 1er bataillon du 78e d’infanterie allemand qui, nous le savons, était chargé de couvrir face l’est, dans le bois, l’attaque des deux autres bataillons du régiment en direction du sud.
En réponse au compte rendu adressé aux Alleux, la compagnie reçoit l’ordre de continuer sur Voncq une section (section Rossignol) est envoyée sur Terron et ne participera pas directement à l’action. Comme, depuis le début de la journée, le char du capitaine Dayras (30039) est indisponible (tuyauterie d’eau coupée), c’est donc avec neuf chars que la compagnie débouche : sections Tastet (trois chars) et Bonnabaud (deux chars) en tête, puis derrière le 3e char de la section Bonnabaud (30098) qu’a pris pour lui le capitaine, section Stoven (trois chars). Il est 10h45.
Dès que les chars apparaissent hors du couvert, on entend les canons antichars de l’ennemi, tout proches ; puis l’infanterie se révèle à son tour. Des cinq chars de tête, trois sont immobilisés ; le char du sous-lieutenant Bonnabaud (30061) a sa chenille gauche coupée et se renverse. Les deux chars restant de ces deux sections (30097 et 30073) entraînent jusqu’à Voncq les fantassins et remplissent ainsi la mission. Le capitaine Dayras et la section Stoven ont dû revenir sous bois pour y reprendre la lutte contre l’infanterie ennemie.
Les deux chars ressortent de Voncq et rallient leur capitaine. Le char Bonnabaud est redressé et ramené en remorque ; il porte quarante-deux impacts, mais aucun projectile n’a traversé les blindages. Les deux autres chars endommagés (30047 et 30067) sont également récupérés. Les prisonniers abondent ; ils se rendent par paquets. La matinée se termine donc de la façon la plus encourageante pour la 1ère compagnie du 4e B.C.C.
Le corps franc du capitaine Le More s’est organisé en point d’appui dans le château de Voncq, mais il est harcelé par l’ennemi qui veut se rendre maître du village. A 15 heures, la 1ère compagnie du 4e B.C.C. fournit trois chars (30041, 30097, 30099) qui l’aident à se dégager, puis à pousser jusqu’au bois de la Brouille où des éléments français tiennent encore. La section Rossignol, qui a participé au dégagement de l’artillerie amie vers Terron, reçoit l’ordre de rallier le soir. Même avec cet appoint, la 1ère compagnie n’a plus que cinq chars en état de marche pour le lendemain, dont un fourni par le bataillon. A noter que si, le soir de cette journée, neuf chars sont indisponibles, pas un homme n’a été touché.
La 3e compagnie (lieutenant Ledrappier) était initialement, nous l’avons dit, en réserve de corps d’armée, dans les bois au sud de Toges. A 7h30 l’ordre lui parvient de gagner les Alleux pour renforcer les troupes engagées dans les bois de Voncq. Lorsqu’elle arrive à Quatre-Champs, un contre-ordre l’atteint ; elle effectuera une patrouille sur l’itinéraire : Quatre-Champs, Vandy, Terron, les Alleux. C’est qu’entre temps le colonel du 57e R.I. a appris l’arrivée des Allemands à Vandy, jusqu’aux positions de l’artillerie. A 9h45, section Durand en tête, la 3e compagnie quitte Quatre-Champs sur lequel s’abat précisément un violent bombardement. Peut-être est-ce cette compagnie, qui, entre 10h30 et 11 h, met en fuite, par la seule apparition de ses treize chars sur le plateau 172, la 10e compagnie du I.R. 78 qui a poussé jusqu’au sud du chemin de Vandy à Quatre-Champs ? En tout cas, ces chars n’aperçoivent pas l’ennemi, et ne tirent pas un coup de feu avant d’atteindre Vandy. Par contre, les Allemands sont dans ce village. A la vue des chars, ils abandonnent leur matériel et se retirent dans les maisons. Sans s’arrêter plus longtemps - il s’agit d’une patrouille - la compagnie met le cap sur Terron ; le terrain semble vide. Au cimetière de Terron des hommes font le geste de se rendre : ce sont des blessés français qui ont cru à l’arrivée sur eux de chars ennemis. Le village semble désert. La compagnie prend maintenant la route des Alleux et de là distingue, dans les vergers sur sa droite, des groupes d’Allemands qui progressent vers Vandy. Vers midi, le lieutenant Ledrappier fait son compte rendu l’adversaire a bel et bien atteint Vandy, mais ne semble pas occuper en force le terrain entre Voncq et Vandy. Peut-être le lieutenant ne dit-il pas tout ce qu’il pense, à savoir que pour une telle mission une section seule aurait suffi, ou même une auto blindée. On a imposé à tout le matériel de sa compagnie une grosse fatigue, hors de proportion avec le résultat atteint, lequel aurait pu être tout autre si un détachement, même faible, d’infanterie ou de cavalerie avait accompagné les chars et exploité leur action.
En début d’après-midi, la 3e compagnie reçoit l’ordre de nettoyer Terron, en liaison avec le groupe franc du 14e R.I. et de dégager l’artillerie de Vandy. L’opération s’exécute sur Terron vers 14 h. Deux sections traversent en trombe le village, couvertes par les feux des deux autres, et continuent sur Vandy ; nous allons revenir sur leur action. Les chars de ces dernières sections (Louvet et Cuville) fouillent les rues de Terron, tandis que l’infanterie visite les maisons, où elle ne trouve presque personne. Les chars procèdent alors au nettoyage des vergers au sud du village. Deux d’entre eux, qui ont perdu la liaison, rentrent à Terron et y arrivent juste à temps pour dégager le groupe franc du 14e R.I., qui s’est trouvé submergé par de forts éléments ennemis ; sans doute les restes des 2e et 3e bataillons du I.R. 78, qui à 15 h ont reçu l’ordre de repli. Cette intervention des chars met fin à un moment critique et permet de capturer une soixantaine d’Allemands.
Pendant ce temps, le commandant de la 3e compagnie, laissant quelques chars en D.C.B. aux lisières de Terron, rallie les autres sur la route de Terron aux Alleux et avec eux attaque les groupes ennemis qui refluent de Vandy, cherchant à regagner Voncq. Des pertes importantes sont infligées à l’adversaire, chez qui le désordre est complet.
L’autre demi-compagnie (sections Durand et Le Coroller) marche donc de Terron sur Vandy. En approchant de la barricade qui ferme l’entrée Nord de Vandy (vers 14h30) elle se fait reconnaître. Le 2e Spahis marocains, qu’elle trouve dans le village, lui apprend que l’objet essentiel de la mission est déjà atteint ; néanmoins, les spahis demandent son concours pour trois opérations :
- 1 Soutenir la progression des spahis dans les vergers de Vandy ; un char, puis deux s’en chargent et font un excellent travail, sans pourtant réussir à aborder le plateau 146, de sorte que leur action n’est pas décisive.
- 2 Dégager un peloton de spahis qui se trouve à court de munitions entre Vandy et la Garenne. Cette intervention est décommandée, l’attaque n° 3 la remplaçant.
- 3 Accompagner les cavaliers à pied sur le plateau de la cote 146, en direction de Terron, jusqu’au bois est de la ferme Macquart. La section Durand (deux chars) assure cette mission et part en avant de l’infanterie ; son apparition à la ligne de changement de pente détermine de nombreux Allemands à se rendre et provoque sans doute l’ordre de repli donné à 15 h par le chef de bataillon allemand.
Après ces engagements, la demi-compagnie se rallie vers 16 h à Vandy où elle est rejointe par le lieutenant Ledrappier et les deux sections arrivant de Terron. L’intention du commandant de compagnie, maintenant qu’à nouveau il dispose de tout son monde, moins deux chars endommagés, est de marcher sur Voncq, clé du champ de bataille. L’exécution du mouvement est retardée de trente minutes par une alerte aux chars, résultat d’une méprise. Une section est détachée sur la route de Terron aux Alleux, pour ramasser les éléments ennemis dispersés ; elle rejoindra Voncq peu après. Le reste de la compagnie marche en avant, par Terron, en même temps que le 2e R.S.M. La nuit tombe lorsqu’on arrive devant Voncq, où la situation est confuse. On renonce à pousser plus avant en raison de l’obscurité, et le commandant du 4e B.C.C. donne à la 3e compagnie l’ordre de se rallier dans les fermes au nord de Terron. On verra demain ce qu’il sera possible de faire.
L’intervention, au cours de la journée du 9, des deux compagnies du 4e B.C.C. a été fort utile, puisqu’elle a permis dès le matin de nettoyer le bois de Voncq et dans l’après-midi de résorber la poche que deux bataillons du 78e d’infanterie allemand avaient creusée jusqu’à Vandy. Le report, sur une carte, des axes de marche des deux compagnies, chacune d’elles accompagnant l’infanterie, peut faire croire à une manœuvre en tenaille de type classique, les deux branches se rejoignant à Voncq. Cette vision est trompeuse car il y a eu décalage dans le temps. La 1ère compagnie, agissant d’est en ouest, est arrivée à Voncq en fin de matinée la 3e compagnie, remontant du sud au nord, n’y parvient qu’en fin de soirée. Mais les ennemis que celle-ci refoule devant elle, ébranlés déjà par l’apparition des chars qui, toute la journée, ont meublé le tableau entre la forêt d’Argonne et l’Aisne, cèdent finalement parce qu’ils sont complètement coupés de l’arrière depuis le début de la matinée ; ils n’ont reçu ni renforts, ni ordres, depuis qu’ils sont arrivés sur leur objectif, et ceci est dû aussi bien à l’écroulement du barrage que le 1er bataillon du I.R. 78 devait assurer face à l’est, qu’à la résistance des points d’appui du 57e R.I. sur les pentes entre le canal et la crête du Moulin à Vent.
La bataille, pourtant, n’est pas terminée. Tandis que du côté français on se félicite d avoir reconquis la quasi-totalité du terrain perdu et qu’on s’enorgueillit d’un nombre élevé de prisonniers - dont le nombre grossit considérablement en passant de bouche en bouche - la 26e division allemande procède, au cours de la nuit, à la relève du I.R. 78 fort éprouvé (il a perdu onze cents hommes, dont cinq cents prisonniers) par le 2e régiment de la division de police, division de 2e échelon du corps d’armée. Ainsi renforcée, elle va reprendre l’affaire le 10 juin, pour s’emparer définitivement de l’éperon de Voncq, cet observatoire qui commande la vallée de l’Aisne et donne des vues vers le sud jusqu’au carrefour de Mazagran et au-delà.
En raison de cette position même, Voncq a déjà été l’enjeu de bien des batailles ; à l’heure actuelle, une plaque commémorative rappelle ces dates sinistres de 1792, 1814, 1815, 1870, 1914-1918, 1940 : autant d’invasions, autant d’occupations, autant d’incendies et de destructions. Voncq est un village allongé sur plus de 500 mètres, de part et d’autre d’une rue très large et un peu sinueuse. Les jardins rejoignent les vergers qui couvrent les pentes sud et ouest du coteau, pentes sur lesquelles, jusqu’à la fin du siècle dernier, se récoltait un petit vin léger et gai. A l’est, le chemin des Alleux court au haut d’une pente assez raide, plantée d’arbres fruitiers, avant d’entrer dans le bois. La crête du Moulin à Vent est dénudée et se lie, vers le nord, à des champs de blé ou de betteraves, qui constituent un glacis parfait jusqu’à la coupure nettement tranchée du canal des Ardennes.
L’étendue même du village, l’impossibilité d’en fouiller, d’en occuper toutes les maisons, tous les jardins, vont faire qu’Allemands et Français y resteront côte à côte pendant deux jours, s’ignorant ou plutôt se situant mal, se déclarant les uns et les autres maîtres de la localité, mais y continuant attaques ou contre-attaques pour déloger des voisins gênants. De là vient le caractère extrêmement confus des combats qui se sont livrés les 9 et 10 juin dans Voncq et à ses abords immédiats.
Le 1/57, pour lequel la journée du 9 a déjà été très dure, va donc se trouver, le 10, soumis à de nouveaux efforts, qui finalement lui arracheront ses points d’appui de Voncq et des environs immédiats. Pourtant le 4e B.C.C. lui apporte encore, ce jour-là, son concours actif et dévoué.
La 1ère compagnie, avons-nous dit, ne peut plus mettre en ligne que cinq chars. Ceux-ci, a la fin de la nuit, font le plein de gas-oil et de munitions dans les vergers de la Chapelle, à la sortie nord-ouest des Alleux. Parcourant pour la troisième fois en moins de vingt-quatre heures le chemin des Alleux à Voncq, la compagnie se porte au petit jour à la lisière ouest du bois de Voncq, pour rechercher des éléments qui tiendraient la cote 154, non loin du Moulin à Vent, et dégager une fois de plus le corps franc du capitaine Le More au château de Voncq. Lorsqu’elle débouche du bois, la compagnie voit à sa droite, sur le glacis découvert qui monte du canal des Ardennes, des masses d’infanterie ennemie. Deux chars (30041 et 30096) prennent l’initiative de les attaquer, bien qu’eux-mêmes n’aient aucune infanterie d’accompagnement. Tous les deux sont touchés par une avalanche de projectiles qui ont raison de leur cuirasse (37 antichars tirés à très courte distance). Dans le 30096, le mécanicien est gravement blessé ; le chef de char, sergent de la Myre-Mory, député de Lot-et-Garonne, volontaire pour servir dans les chars, est tué.
Les trois autres chars pénètrent dans Voncq, y retrouvent la 3e compagnie et, de concert avec l’infanterie, procèdent à un nettoyage du village. Le char 30100 disparaît au cours de l’opération du côté de la Brouille ; un deuxième (30097) est touché. Finalement, il n’y a plus à Voncq, de la 1ère compagnie, que le char 30099 ; dans celui-ci, le chef de char ayant été blessé, le mécanicien Chaire se trouve seul, manœuvrant tantôt les commandes, tantôt l’armement. Il rejoindra le 11, blessé lui aussi, avec la 3e compagnie.
En accord avec l’infanterie, le reste de la 1ère compagnie se replie vers midi du bois de Voncq dans les vergers de la Chapelle. Bien que les appareils endommagés aient été dépannés, la 1ère compagnie se trouve réduite à deux chars, dont celui du capitaine. En fin de journée, ils sont mis à la disposition du 57e R.I. pour couvrir son décrochage. Cette mission dure toute la nuit. Le 11 au matin, la compagnie est libérée au village de Quatre-Champs.
La 3e compagnie a été moins éprouvée que la 1ère ; elle met en ligne le 10 au matin onze chars encore. Quittant Terron à 2h45, elle gagne le pied des pentes de Voncq, pour appuyer une attaque de la cavalerie sur Voncq. L’opération est déclenchée à 4h00, et se heurte aussitôt à une vive résistance. L’ennemi occupe aussi bien les vergers qui entourent le village que certaines maisons.
Il faut nettoyer celles-ci une à une ; les chars se séparent pour accompagner partout l’infanterie. Vers 9h00, le combat se transporte dans les vergers au nord-est et à l’est du village, en liaison avec la 1ère compagnie ; l’ennemi se trouve ainsi pris entre deux feux et disparaît. Mais il revient bientôt, après un violent bombardement du village et vers 11h00 l’infanterie est contrainte de se replier sur Terron.
A midi, un chef d’escadron du 8e Chasseurs à cheval (1ère brigade de cavalerie) tente de réorganiser la défense de Voncq, où amis et ennemis s’enchevêtrent. La compagnie, forte encore de huit chars, a mission de garder avec le corps franc du 57e R.I. la barricade établie à la sortie nord du village. Mais le capitaine Le More est blessé par une grenade alors qu’il gagne cette barricade à la tête du corps franc, une violente fusillade oblige ses hommes à s’abriter dans les maisons, et les chars vont rester seuls à la barricade de 12 heures à 20 heures. Il fait une chaleur torride dans les engins, les hommes souffrent de la soif, la situation devient de plus en plus confuse. Vers le soir, un canon antichar allemand a pris position quelque part dans les décombres. Un char (30068), dont le chef a été tué, remonte la rue principale. Le lieutenant Ledrappier quitte la barricade pour prendre la liaison, une fois de plus, avec l’infanterie. Son mouvement est mal interprété par les chars restants, qui se replient et gagnent le chemin de traverse qui coupe le lacet dessiné, à mi-pente, par la route de Voncq à Terron. Un capitaine vient, de la part du chef d’escadrons, demander aux chars de remonter dans le village pour faire taire une mitrailleuse qui gêne le décrochage.
A peine la colonne s’est-elle mise en mouvement, commandant de compagnie en tête, que le char de celui-ci (30042) est atteint et brûle. Le lieutenant Durand, officier en second, prend le commandement ; il revient en arrière pour demander au chef d’escadron au moins un appui de feux, et précise que, d’après l’observation qu’il a pu faire de sa tourelle, l’emplacement de la mitrailleuse est inaccessible à un char. L’attaque est alors décommandée ; elle a coûté la vie au lieutenant Ledrappier, commandant la 3e compagnie.
Après une journée épuisante, la nuit tombe. Un ordre de décrochage arrive pour les troupes engagées autour de Voncq, les chars devant couvrir le mouvement. Mais ceux-ci ne peuvent agir dans l’obscurité, et, pour sauver au moins une partie de ce qui lui reste, le lieutenant Durand dirige immédiatement sur Terron trois de ses appareils. Lui-même et deux autres restent sur la route, les chefs de chars en observation, le buste hors de la tourelle.
Voncq, où l’incendie a gagné pendant toute la journée, brûle en entier. Les flammes éclairent le repli, au cours duquel les chars escortent l’infanterie (des Sénégalais du 3e R.I.C.) jusqu’à Vandy. La compagnie rejoint alors le point de ralliement fixé par le bataillon.
Ainsi, au prix de cinq chars sur onze à la 3e compagnie, de trois sur cinq à la 1ère et de plusieurs tués, blessés et disparus (une quinzaine pour les deux compagnies) le 4e B.C.C. a été engagé pendant toute la journée du 10 juin dans un difficile combat de rues ; il y a accompli de magnifiques actes de courage individuel, sur lesquels nous n’insistons pas, faute de pouvoir les citer tous, et ne voulant pas mettre certains en vedette au détriment des autres. Mais une localité en ruines offre à une infanterie manœuvrière trop de défilements pour que les chars, avec le champ de vision étroit des épiscopes, ne s’y trouvent pas en infériorité. Certes des armes antichars ont été détruites chez l’ennemi mais, à son tour, celui-ci a mis définitivement hors de combat un certain nombre d’engins, réussissant à percer, presque à bout portant, les blindages.
L’ordre de repli général est donné à la 36e D.I. le 10 dans la soirée ; il est rendu nécessaire par l’avance allemande à l’ouest de l’Aisne. Il faut abandonner le village de Voncq. Dans les deux camps, le mélange des unités y est complet. La 26e division allemande y a engagé, dès la nuit du 9 au 10, le 2e régiment de la division de Police et dans l’après-midi du 10 une partie de son régiment réservé, le 77e. Chez les Français, non seulement la cavalerie du groupement Gaillard, mais des éléments de la 6e D.I.C., réserve de la IIe armée, sont venus s’y superposer aux vaillants débris du 57e R.I.
Que devient ensuite le 4e B.C.C. ?
Nous avons vu que sa 2e compagnie, mise à la disposition de la 35e D.I., n’avait pas eu à intervenir. Le 10 juin au soir, ordre lui est donné de rejoindre les échelons qui sont à Véry, à quelques kilomètres au nord de Vauquois. C’est là que se rallie, dans la matinée du 11, ce qui reste des 1ère et 2e compagnies. Une compagnie de marche est alors constituée sous les ordres du lieutenant Lucca, commandant la 2e compagnie. Elle a l’effectif normal de 13 chars, soit deux de la 1ère compagnie, sept de la 2e, quatre de la 3e. Transportée par camions de Véry à Valmy, elle y embarque le 12 en chemin de fer, et débarque le 13 à 3 heures à Sézanne. Rattachée à la 59e D.I., cette compagnie a un engagement dans la journée avec des chars ennemis au nord de Sézanne, puis elle couvre le repli sur Romilly. C’est ensuite la retraite générale, avec ses embouteillages, les attaques ennemies, la hantise du ravitaillement en gas-oil, les chars hors d’usage qu’il faut abandonner et détruire. Une belle citation à l’ordre de l’armée viendra, plus tard, reconnaître la ferme attitude au feu du bataillon et de son chef.
Il est certain que le 4e B.C.C. a ajouté, les 9 et 10 juin, de belles pages de gloire à celles qu’il avait écrites, en mai, au sud de Sedan. Sur le plan de l’exécution, on ne peut qu’admirer le courage et l’endurance des équipages ; chacun a accompli son devoir ; certains ont fait plus, et les anciens du 4e B.C.C. conservent pieusement le souvenir de tel officier, de tel sous-officier, de tel simple chasseur dont la conduite fut admirable.
Mais si l’on veut étudier l’affaire sur un plan plus élevé, celui de la conception, de la doctrine, il faut bien constater que de sérieuses réserves sont justifiées. Le bataillon a efficacement appuyé la défense de Voncq, et ses contre-attaques du 9 juin sont un bel exemple d’emploi de chars d’accompagnement.
Mais l’on ne peut s’empêcher de penser à ce refrain de Guderian : sich Klotzen nicht kleckern, faire bloc, ne pas s’éparpiller. Que voyons-nous tout au long de ces engagements ? De petits paquets ; une poussière de chars.
Le 8 juin, le bataillon est mis tout seul à la disposition du C.A.C. On ne peut faire grief d’une telle décision au commandement. Ce n’est pas sur le front de ce corps d’armée, qui englobe le massif de l’Argonne, que l’ennemi prononcera son effort principal, mais bien plus certainement en Champagne. Les faits du lendemain devaient justifier ce raisonnement. Certes, sous le couvert de la forêt, il aurait été facile de rassembler des masses blindées - en admettant qu’elles existassent - qui auraient débouché irrésistiblement sur le flanc de l’adversaire, d’est en ouest. Mais la coupure de l’Aisne et de son canal latéral devait obligatoirement arrêter leur élan. Sur un champ de bataille ainsi réduit dans ses dimensions et dans son importance relative, il n’y avait donc pas lieu d’accumuler les chars, et c’est à juste titre que les autres bataillons de la IIe armée ont été envoyés à l’ouest de l’Aisne.
Remarquons en passant que, de ce fait, le G.B.C. 503, auquel appartient le 4e B.C.C., ne joue plus aucun rôle tactique. Comment le pourrait-il ? Ses bataillons sont dispersés sur plus de 30 km. Le 7e B.C.C., frère d’armes du 4e, rattaché le 9 juin à la 3e D.C.r. en Champagne, y reste inutilisé ce jour-là ; rappelé le 10, il contre-attaque dans la partie du secteur de la 36e D.I. qui se trouve à l’ouest de l’Aisne, sans que soit organisée aucune coordination entre son action et celle du 4e B.C.C. à l’est de la rivière ; du moins, les deux bataillons travaillent-ils au profit de la même division. Mais le 3e B.C.C. (chars R 35) se bat les 9 et 10 juin avec la 14e D.I., c’est-à-dire dans la zone d’un autre corps d’armée et même d’une autre armée.
Le 8 juin au soir, donc, le C.A.C. voit arriver le 4e bataillon. Qu’en fait-il ? Il l’émiette, donnant une compagnie, soit treize chars, à chacune de ses deux divisions. Sur cette façon de procéder, le commandant du 4e B.C.C. s’exprime en ces termes dans un rapport du 9 juin 3h10 au général commandant les chars de la IIe armée : Voici une compagnie (il s’agit de la 2e) qui appartenait à 19 h à une réserve d’armée ; elle est devenue en quelques heures réserve de C.A., de D.I. et de R.I. A l’heure qu’il est, les sections sont peut-être à la disposition des bataillons. L’explication que donne le chef de bataillon est-elle juste ? A mesure que les chars sont mis à la disposition d’une unité, celle-ci sans discussion les passe à une autre pour se débarrasser du souci des ordres à leur donner. Ne faut-il pas plutôt voir dans cette façon de procéder le désir de saupoudrer de chars le dispositif défensif, d’en mettre quelques-uns un peu partout, de façon que partout les commandants des unités attaquées puissent, sans de longs délais, faire appel à eux pour étayer leur défense ? Quoi qu’il en soit, le chef de bataillon, seul officier compétent pour diriger sur le terrain l’engagement de ses chars, se trouve éliminé, tout comme l’a été le commandant du G.B.C. 503. Cette succession d’ordres va aboutir à un emploi désastreux de mon bataillon. Jusqu’à cette heure, je n’ai pratiquement pas eu un seul ordre à donner, je me suis borné à transcrire tous ceux reçus, sans avoir pris part à aucune discussion. Ne nous étonnons pas si, dans ces conditions, certains commandants de compagnie signalent les ordres très peu logiques qui leur ont été donnés sur le terrain, et qui pourtant furent exécutés. Le résultat : une usure sans grand profit du matériel et du personnel, des pertes, un manque à gagner certain.
Il est bien vrai que le C.A.C., une fois fixé sur le point d’application de l’attaque allemande, y a dirigé la compagnie de chars conservée en réserve. Mais la 2e compagnie va rester inutilisée deux jours, dans un secteur non menacé, A vouloir être un peu fort partout, on a abouti à n’être réellement fort nulle part.
 

Sources : Archives du SHAT Vincennes. 

Recherche