CAMPAGNE DE FRANCE 1939 - 1940

HISTORIQUE

DU

34e BATAILLON DE CHARS LÉGERS 35 R

 

  1. LA CHAMPAGNE.

Période de mise sur pied et d'instruction (septembre - novembre 1939).
La mobilisation est préparée au camp de Mourmelon à partir du 22 août par des détachements actifs des 508e et 510e régiments de chars. Venus de leurs garnisons de l'Est, Lunéville et Nancy, et placés sous le Commandement du chef de bataillon Aleyrangues, Ils comprennent :
7 officiers, 23 sous-officiers, 17 caporaux, 91 chasseurs.
Pendant la dernière semaine d'août., les détachements travaillent activement au Parc annexe de chars et au Centre secondaire de mobilisation n° 507, chargé de la mise sur pied de la formation.
Le samedi 2 septembre, premier jour de la mobilisation, toutes les opérations préliminaires sont terminées.
Contrairement à ce que l'on pouvait penser avant la guerre quant à l'activité de l'aviation ennemie, la période de mobilisation est marquée par une quiétude absolue et pour le moins inattendue.
A signaler comme faits notables :
- la constitution de parcs à matériel dans les bois au nord du camp ;
- des difficultés nombreuses provenant, d'une part, du faible rendement de la Commission de réquisition automobile, d'autre part de déficits plus ou moins importants dans les stocks du Centre de mobilisation.
Les réservistes, originaires pour la plupart du Nord et de l'Est, arrivent nombreux à partir du 3e jour.
Leur attitude est digne et résolue.
Rares sont ceux qui ont quelques notions sur le matériel moderne.
Mais, grâce à la bonne volonté de tous, grâce aussi à la satisfaction de ne plus avoir à servir un matériel aussi périmé que le F.T., le bataillon ne tardera pas à compter bon nombre d'équipages confirmés.
A la date du 9 septembre, dernier jour prévu pour la mise sur pied, l'effectif de guerre n'est pas tout à fait atteint.
L'habillement est loin d'être au complet.
Il en reste de même pour le matériel automobile qui, provenant intégralement de la réquisition, est en règle générale très fatigué.
Les camionnettes, en particulier, pour la plupart à bout de souffle, sont de plus en nombre et en tonnage insuffisants.
Le bataillon n'a perçu que 25 motocyclettes très usagées au lieu des 51 réglementaires.
Il dispose cependant d'un bon lot de camions Diesel qui peuvent être confiés à leurs conducteurs du temps de paix.
Ces déficiences initiales méritent d'être signalées car, par la suite, aucune perception de matériel (camionnettes ou motos) ne vint les atténuer.
Dès lors elles ne purent que s'aggraver, rendant très difficiles, tout au long de la campagne, le transport du personnel au cours des déplacements, et sur la fin, pendant la période active, les moindres liaisons motocyclistes.
Du point de vue matériel chars la situation est par contre plus favorable : 45 chars (dont 3 sans canons) n'ayant en moyenne que 25 heures de marche, dotés d'épiscopes et de quelques parachèvements intéressants.
Il est fort regrettable que ce beau matériel ne soit pas armé, ou ne l'ait pas été, par la suite, de canons de 37 Mle 1938.
Les lots d'outillage et de rechanges, complets dès le début pour les chars, ne pourront l'être que plus tard en ce qui concerne l'atelier du 1er degré.
A l'origine, le bataillon ne dispose d'aucun tracteur de ravitaillement, et seulement de deux Somua sur trois. Il est, de plus, dépourvu de camion machines-outils et n'a perçu que deux cuisines roulantes, les deux autres étant remplacées par des remorques-cuisines aménagées, hors gabarit, particulièrement encombrantes et difficiles à déplacer.
Aux environs du 12 septembre, l'effectif de guerre, se décomposant comme suit, est réalisé :

                            ACTIVE    RESERVE        TOTAL.

Officiers                     8             20              28
Sous-officiers            23            46              69
Caporaux                  17            53              70
Chasseurs                 91           311            402
A la même date, l'ordre de bataille est le suivant :
ETAT-MAJOR.
Chef de bataillon : commandant Aleyrangues (508e).
Chef d'état-major : capitaine Latargez
Renseignements : lieutenant Mougenot.
Adjoint technique : lieutenant Mignotte (P.A.C.C. Mourmelon).
Médecin : lieutenant Bodet.
Détails : sous-lieutenant Males.
COMPAGNIE D'ÉCHELON.
Commandant de compagnie : capitaine mécanicien Fauré (510e).
Atelier : lieutenant Bastien.    Adjoint atelier : lieutenant Debionne.
Ravitaillement : lieutenant Aubert.
COMPAGNIES DE COMBAT.
                                             1re COMPAGNIE           2e COMPAGNIE.        3e COMPAGNIE
Commandant de compagnie    Cne d'Engente (508e)    Cne Gallice (510e)    Cne Blanchot (508e)
Sections de combat                       Lt Rongée.            Lt Bérard (510e)       Lt Larrieu.
Sections de combat                    Lt Jacquinot.                Lt Salaun.           Lt de Lamothe.
Sections de combat                 SLt Jean-guillaume.      Lt. Gourdin         SLt Cabanac (508e)
Sections de combat                     SLt Soyez               Lt Marguier         SLt Bontemps
Sections d'échelon                       Lt Borate.              Lt Schouler        Lt Larchevêque
Alors commence pour le bataillon une période d'instruction intensive, interrompue seulement pendant quelques jours aux environs du 10 octobre, par l'installation dans les premiers cantonnements de la guerre, à proximité immédiate du camp :
- Bussy-le-Château : E-M., C.E., 3e compagnie
- La Cheppe : 1re et 2e compagnies.
Favorisée par les circonstances (beau temps, terrains et champs de tir du camp), conduite avec des effectifs pleins et stables, un matériel en excellent état et des crédits illimités d'essence, l'instruction ne tarde pas à donner des résultats particulièrement satisfaisants, tant en ce qui concerne la formation des équipages que la souplesse ou la cohésion des unités.
La plus large initiative est. laissée aux commandants de compagnies qui, de tout cœur, chacun avec son propre tempérament, forgent et trempent leur instrument de combat.
Dès les premiers jours de novembre, de nombreux exercices sont effectués avec la 26e D.I.
Enfin., la période d'instruction se termine par des essais très intéressants d'utilisation de postes radio téléphoniques E.R. 28, ainsi que par l'exécution de tirs de combat au camp de Suippes.
Avant de clore ce chapitre, pourquoi ne pas évoquer l'ambiance d'une époque où, dans l'incertitude du lendemain, les jours se succédaient toujours paisibles ?
Et aussi, entre autres souvenirs : une paperasse pour le moins abusive, les truites de la Noblette, malheureusement plus rares que les lapins du camp, certaines poursuites endiablées d'écureuils que rappelle sans doute le fanion de la 1re compagnie, les longues nuits de garde aux parcs ou dans les gourbis, le chœur des guerriers, répondant le dimanche à celui des vierges ; enfin, les bonnes veillées d'automne dans nos pauvres villages de Bussy et de La Cheppe.
C'est alors que se sont noués les liens de confiance et d'affection entre tous les membres de notre grande famille, liens qui, jusqu'à la fin, sont allés se resserrant un peu plus chaque jour.
C'est alors qu'est née l'âme d'un bataillon, solide et sûr de sa cohésion, où les réservistes de 30 ans et plus ne le cédaient en rien aux jeunes de l'active et où chacun, ainsi que la suite de cette histoire le montrera, était prêt à faire honneur à la devise «J'en suis», devise héritée de l'ancienne A.S. 34.

L'ALSACE.

25 novembre 1939 - 17 mai 1940.
Le bataillon est embarqué le 25 novembre en gare de Bouy ; une colonne de 25 véhicules hors gabarit, sous le commandement du capitaine Fauré, faisant mouvement le lendemain par voie de terre.
Dans la nuit du 25 au 26, et le 26 au matin, les compagnies de combat débarquent à Drulingen, au nord-est de Sarrebourg.
Dès l'arrivée, le bruit lointain du canon et les premières neiges donnent un avant-goût de ce que sera notre séjour dans ce coin d'Alsace inséré entre la Sarre et les Vosges.
Mis à la disposition de la Ve armée, le bataillon séjourne à Drulingen du 26 au 28 novembre.

Le 29 novembre, il remplace
- à Ottwiller : Etat-Major, C. E., 1re compagnie,
- à Asswiller : 2e et 3e compagnies,
le 22e bataillon qui, placé en réserve générale, part pour la Champagne.
C'est dans ces villages que nous passerons, hormis un séjour de quelques semaines à Blâmont, un hiver particulièrement rigoureux, suivi d'un magnifique printemps.
Afin de remédier à l'enlisement du matériel, il faut initialement aménager complètement les parcs. Parallèlement, les conditions d'installation dans les cantonnements s'améliorent peu à peu (perception de couchettes, de poêles et de matériel du génie, toutes opérations. qui ne vont pas sans de multiples démarches ; aménagement des cuisines, création d'un Foyer du chasseur) .
Le défaut de matériel ne permettra pas d'entreprendre dès le début, une installation mieux appropriée de l'atelier, lequel laissera fort longtemps à désirer.
Après avoir passé l'inspection du bataillon (30 novembre), le colonel de Gaulle, commandant les chars de la Ve armée, précise sa mission qui consiste à participer à des contre-attaques d'ensemble sur les formations blindées ayant éventuellement franchi la ligne fortifiée :
- soit à l'ouest des Vosges, dans la trouée de Rohrbach,
- soit à l'est, dans la plaine du Rhin.
Dès lors, les reconnaissances se succèdent nombreuses, effectuées d'abord par les officiers, puis par les cadres et les équipages.
Intéressant la région comprise entre. le Rhin, de Drusenheim, et les abords immédiats de la Sarre, elles durent environ trois semaines.
Vers la fin du mois, au moment où commencent les grands froids, rares sont les chefs de chars qui n'ont pas arpenté les arrières immédiat de la ligne Maginot, tant en Basse-Alsace que sur le plateau de Rohrbach ou qui n'ont pas reconnu les itinéraires d'accès possibles. (bois autour de Montbronn, vallée de la Sauer, forêt de Haguenau).
Ces reconnaissances, poussées parfois jusqu'aux troupes au contact, maintiennent nos cadres dans l'ambiance d'un secteur assez souvent agité entre la Sarre et les Vosges.
Avec le centre d'instruction des chars de la Ve armée créé à Blâmont aux environs du 1er décembre, l'instruction reprend ses droits.
De nombreux officiers, gradés ou chasseurs y sont détachés successivement.
Dans les derniers jours, du mois et tout au long de janvier, le froid intense, une épaisse couche de neige et le verglas réduisent notablement l'activité des unités.
C'est l'époque où, par suite des affectations spéciales, le bataillon perd un effectif assez important (quelques sous-officiers, cinquante hommes de troupe environ), pertes que ne compenseront, pas en nombre et surtout en qualité, les rares renforts arrivés de l'intérieur.
- Un seul officier, le lieutenant Mougenot, reçoit une affectation de ce genre.
Par contre, quelques autres quittent le bataillon contre leur gré.
Ce sont :
- le capitaine d'Engente, affecté à l'état-major de la 1re division cuirassée ;
- le lieutenant Males, affecté à l'état-major des chars de la Ve armée et remplacé dans ses fonctions d'officier de détails par le sous-lieutenant Cabanac ;
- les lieutenants Schouler, Larchevêque et Gourdin, envoyés à l'intérieur pour l'instruction des recrues.
Nous recevons, en contre-partie
- le capitaine Chauvin, venu du dépôt 501, qui prend le commandement de la 1re compagnie ;
- le lieutenant Batissier, venu du 3e bataillon comme officier chargé des transmissions, et affecté, à défaut de postes radio, aux fonctions d'officier de renseignements, en remplacement du lieutenant Mougenot ;
- le sous-lieutenant Pingeon et l'aspirant Fabry, venus de l'intérieur.
Enfin, fait notable, parce que seul de son genre tout au long de la campagne, la promotion au grade de sous-lieutenant à titre temporaire de l'adjudant-chef Miguet, beau soldat aux magnifiques services de guerre antérieurs.
Vers, la mi-février, le tour du bataillon est venu de partir à Blâmont.
Le déplacement (50 kilomètres environ) s'effectue au cours de la nuit du 17 au 18 dans de bonnes conditions, malgré la neige et le verglas.
Le séjour au Centre, coïncidant avec les premiers dégels, est marqué par une mise en œuvre intense du matériel.
Indépendamment des exercices secondaires (tirs, préparation au brevet de chef de section), cinq manœuvres, d'ensemble ont lieu qui comportent la sortie de tous les chars. La dernière, celle du 7 mars, est effectuée en présence du général Prételat, commandant le groupe d'armées.
A cette manœuvre, dirigée par le colonel commandant les chars de la Ve armée, participent. de nombreux éléments de la 24e division et 3 bataillons de chars (1er, 19e et 34e) .
Entre temps, le bataillon expérimente, sur trois chars, le montage et l'utilisation du compas Hull.
Nos cadres et nos équipages retirent le meilleur profit de cette période d'instruction. Par contre, elle ne va pas sans fatiguer les chars qui sont bien près de leurs deux cents heures de marche au moment du retour à Ottwiller .
Le déplacement s'effectue dans la nuit du 9 au 10 mars. Il est marqué par quelques incidents mécaniques à peu près inconnus jusqu'alors et premiers indices de l'usure du matériel.
De Blâmont nous ramenons, avec le printemps, le fanion du bataillon.
Il porte sur les couleurs, gris et vert, qui sont celles de notre arme :
- d'un côté, la silhouette d'un char 35 R, vu de face ;
- de l'autre, la devise du bataillon et sa marque.
De la devise, il a déjà été question.
La marque, une double croix de Lorraine, avait été adoptée dès la mobilisation pour distinguer nos véhicules.
A l'époque, il n'avait pas été possible, en raison de la diversité d'origine du personnel venu des régions du Nord, de l'Est ou de Champagne, de choisir un insigne caractéristique de ville ou de province.
La marque adoptée le fut parce qu'elle rappelait simplement la provenance de nos noyaux actifs (Nancy et Lunéville) et aussi que nos réservistes avaient servi pour la plupart dans les régiments de chars de l'Est.
La 1re compagnie cantonne désormais à Asswiller, la 2e compagnie l'ayant remplacée à Ottwiller.
Dans cet horizon familier, les habitudes sont bien vite reprises et le beau temps, qui s'établit sans trop tarder nous fait oublier bientôt les rigueurs de l'hiver.
De tout cœur, avec l'impression cependant que le répit dont nous avons bénéficié jusque-là ne saurait se prolonger bien longtemps, chacun se remet au travail.
Les reconnaissances sont reprises sur toute la ligne. Il s'agit de se remettre dans l'œil les zones d'engagement possibles, non seulement celles déjà connues, mais aussi, chose nouvelle, le secteur des avant-postes au nord de Rohrbach, lequel est loin d'être de tout repos.
Les équipages au grand complet et une partie du personnel des échelons y participent. Toutefois, par mesure de précaution, les reconnaissances sur la ligne des avant-postes ne sont effectuées que par des groupes réduits d'officiers et de sous-officiers.
Et pour que ceux, relativement nombreux, qui ne participent pas aux reconnaissances n'oublient pas tout à fait la guerre, quelques promenades sont organisées le dimanche à leur intention à destination des arrières immédiats de la ligne fortifiée.
En même temps, le travail se poursuit dans les cantonnements, une part notable étant réservée à l'instruction (tirs à l'Hassenthal avec les chars du 21e bataillon ; exécution de déplacements de nuit ; instruction des cadres, en particulier formation des candidats chefs de chars ; expérimentation par la 2e compagnie d'un dispositif de liaison optique).
Les cantonnements s'améliorent jour après jour. L'atelier est installé sous des auvents créés de toutes pièces. Le jardin potager, où rivalisent les équipes des compagnies autorise l'espoir d'une belle récolte, les parcs à matériel ainsi que les postes de D.C.A. sont définitivement mis au point, on entreprend l'extension du Foyer du chasseur sur une pelouse voisine avec vue sur le Hochwald. Il est question, enfin, de fleurir certains coins du village et d'entourer d'une lisse blanche les gazons du terrain de sports.
Mais les événements vont brusquement interrompre ce genre d'activité quelque peu paradoxal à moins de 30 kilomètres de l'ennemi.
Dès les premiers jours, de mai l'aviation adverse, sans toutefois se montrer agressive, multiplie ses incursions.
Le bruit du canon, très intermittent jusque-là, remplit certains jours le fond d'un paysage où le printemps s'épanouit de façon magnifique.
Avec la nouvelle du bombardement de Nancy et celle de l'attaque allemande en Hollande et en Belgique, nous sentons que la guerre commence.
Alerté le 12 mai, le bataillon est prêt moralement à y entrer.
Mais, quant au matériel (motocyclettes, et camionnettes, de transport de personnel), la situation est au moins aussi précaire qu'elle ne l'était au départ de la Champagne et, chose plus grave, nous ne disposons encore, ni de liaisons radio ni de canons de 37 (modèle 1938) à grande puissance perforante.
Dans la nuit du 17 au 18 mai, après embarquement en gare de Drulingen, nous quittons l'Alsace pour une destination inconnue.

LE DEUXIÈME SÉJOUR EN CHAMPAGNE.

(18 mai - 4 juin).
Les trois trains des compagnies de combat se suivent, à quatre heures d'intervalle.
Ils ne tardent pas à s'insérer dans l'important courant de transports amenant vers l'Ouest de nombreuses unités.
Le 18 mai, au petit jour, le premier train (E.-M., 2e compagnie) arrive à Bar-le-Duc. Après un arrêt fort prolongé, dû aux destructions effectuées la veille par l'aviation ennemie en gare de Revigny, il reprend lentement sa marche pour n'arriver qu'à 14 heures dans cette dernière gare, distante seulement de 15 kilomètres.
De là, il est dirigé sur Sainte-Menehould, puis sur Valmy (gare de débarquement).
Bien que nous venions de passer de longs mois dans les arrières immédiats d'un secteur assez souvent agité, nous avions pu, en cours de route et pour la première fois seulement, juger de quelques effets de la guerre : destructions sur les raccordements à Revigny et Sainte-Menehould, traces de bombardements tout récents, sur le quai de Valmy, trains sanitaires remplis de blessés revenant vers l'arrière.
Aussi ce fut en un tour de main que débarqua, alors qu'il faisait encore jour, la 2e compagnie.
La colonne sur roues, toujours aux ordres du capitaine Fauré a fait mouvement. sans incident, dans la journée du 18 et la nuit suivante, par Nancy, Bar-le‑Duc, Clermont-en-Argonne.
Le 19 mai, au matin, après une première nuit passée à la belle étoile, tout le bataillon, parfaitement camouflé, est regroupé dans les bois au sud de Hans (2 kilomètres nord de Valmy).
Directement rattaché au Commandement des chars de la IIe armée, il est placé en réserve générale et, ne pouvant rester dans la région de Hans, occupée par des, forces aériennes, il reçoit l'ordre de se porter à Auve, sur la route de Châlons à Sainte-Menehould.
Le mouvement s'effectue dans la nuit du 19 au 20.
Le 20, au matin, après occupation de parcs à matériel largement étalés dans les bois autour du village le bataillon s'y installe au cantonnement.
Revenus en Champagne, tout près de Busse et de La Cheppe, nous y arrivions alors que l'offensive allemande déferlant de Belgique atteignait presque la ligne Lille - Arras - Saint-Quentin, alors qu'à 50 kilomètres dans le Nord, la 2e armée faisant front de Rethel à Montmédy, parvenait à arrêter l'ennemi, alors que l'aviation allemande, qui avait sévèrement bombardé quelques jours auparavant Suippes et Mourmelon, venait journellement ou presque attaquer Châlons et Vitry.
Plus que tous autres dans le bataillon, les gars du Nord, la rage au cœur, serraient les poings.
Le répit qui nous était accordé ne pouvait, dans ces conditions, être que très court. A notre grand étonnement, il se prolongea pendant deux semaines.
Utilisé presque exclusivement à la remise en état du matériel et à l'amélioration de la défense antiaérienne, il ne fut marqué que par quelques chasses aux parachutistes, toutes, infructueuses, d'ailleurs, en raison sans doute du trop petit nombre de motocyclistes dont on disposait.
A noter également l'atterrissage forcé d'un Messerschmitt (équipage fait prisonnier).
Mais les avions ennemis passaient, en règle générale, à trop haute altitude, pour qu'il fut possible d'utiliser efficacement notre armement auquel vint s'ajouter un dispositif simple et pratique de jumelage de pièces de 7,5mm réalisé par le lieutenant Bastien, chef de la section-atelier,
Pour en terminer avec le séjour à Auve, il faut mentionner que le bataillon n'y resta pas strictement camouflé et isolé dans ses bois.
Quelques contacts avec des officiers appartenant aux bataillons de chars engagés de la IIe armée nous permirent d'apprécier l'effort que nos camarades avaient à fournir journellement et nous donnèrent une, idée de la qualité des formations blindées adverses.
Nous ne pûmes les aider qu'en détachant au parc de chars de Verdun une équipe d'ouvriers dépanneurs dont le travail fut élogieusement apprécié par le général commandant les chars de l'armée.
Enfin, dans les derniers, jours, le bataillon fut appelé à effectue des reconnaissances, très étendues de part et d'autre de la Meuse, au nord de Verdun. Ces reconnaissances ne purent être achevées. Elles permirent, néanmoins, à la plupart des officiers de voir pour la première fois (ou de revoir) les champs de bataille de 1916-1917.
Le dimanche 2 juin, le bataillon était alerté en vue d'un départ imminent, départ qui n'eut lieu d'ailleurs que dans la nuit du 4 au 5.
Les unités, embarquées en gare de Suippes, (départ du 1er train le 5 juin, à 4 heures) se succédaient cette fois dans l'ordre normal à 3 heures d'intervalle.
La colonne de véhicules hors gabarit, conduite comme à l'habitude par le capitaine Fauré, quittait Auve à 7 heures avec Meaux pour première destination.
Désormais, les jours du bataillon étaient comptés. Était-il, comme beaucoup de mortels, revenu voir avant de disparaître, les horizons qui l'avaient vu naître et grandir ?

LES COMBATS AU NORD DE L'OISE.

Journées des 5 et 6 juin.
Arrivé par la route et passé vers 15 heures au P. C. de la VIIe armée, le chef de bataillon se présente peu après au général Welvert, commandant la 1re division cuirassée, dont le P. C. est à Fleurines, sur la route de Semis, à Pont-Sainte-Maxence.
Là, il apprend :
- que l'attaque allemande s'est déclenchée le matin même sur la Somme ;
- que le bataillon est rattaché à la 3e demi-brigade (lieutenant-colonel Bourcart, P.C. Ponpoint ; 5e B.C.P., 34e B.C.C.) ;
- que la 1re demi-brigade (28e bataillon de chars B, 25e bataillon de chars R 40) se porte vers le nord en direction de Roye.
Le bataillon doit se regrouper dans la foret d'Halatte, immédiatement au sud de Pont-Sainte-Maxence.
A Chantilly, où les unités débarquent à partir de 16 heures, au soir d'une radieuse journée, alors que quelques patrouilles françaises survolent la voie ferrée et la vallée de l'Oise, les trains de banlieue semblent circuler comme à l'ordinaire.
Dans la nuit du 5 au 6, les compagnies arrivent successivement au bivouac de la forêt d'Halatte. Leur déplacement n'a été marqué par aucun incident.
La colonne sur roues après avoir, au départ, traversé Châlons entre deux bombardements d'avions, n'y parvient que le 6 au matin, ayant été retardée dans la région de Senlis par des interdictions de routes.
Le 6 juin, le commandant Aleyrangues ayant remplacé le lieutenant-colonel commandant la 3e demi-brigade, le capitaine Gallice prend le commandement du bataillon : le lieutenant Bérard celui de la 2e compagnie.
Alerté dans l'après-midi, le bataillon quitte Pont-Saint-Maxence à 21h30 avec ses éléments de combat, pour se porter par Estrée-Saint-Denis dans la région sud de Gournay-sur-Aronde, où il ne stationnera que quelques heures. La compagnie d'échelon est restée sur place.
A la veille de notre premier engagement, le moment est venu de préciser dans la mesure strictement nécessaire, quelle était, le 6 juin, au soir, la situation d'ensemble sur le front de la VIIe armée tout au moins pour ses éléments à l'ouest de l'Oise.
L'attaque allemande, déclenchée le 5 juin de l'Aisne à la mer et puissamment appuyée par des formations blindées à l'ouest de l'Oise, avait nettement mordu sur nos positions avancées au sud de la Somme.
Elle s'était développée le 6 juin.
Ce jour-là, la 1re demi-brigade de la Division cuirassée avait été engagée dans des conditions difficiles à Champien (nord-est de Roye) pour dégager la 29e Division. Elle y réussit partiellement, subissant du fait de l'artillerie et de l'aviation adverses, des pertes sévères.
Au soir du 6 juin, les divisions de première ligne de l'armée s'étaient repliées venant encadrer la 47e Division, initialement en deuxième ligne.
Déployée sur un large front au sud de Roye, cette division barrait, à hauteur de Dancourt et de Tilloloy (villages tenus par le 44e R.I.) les routes importantes : Roye - Montdidier et Roye - Senlis.
Plus à l'ouest, vers la limite des VIIe, et Xe armées, les grandes unités blindées allemandes se dirigeant vers le Sud et le Sud-Ouest avaient largement dépassé Amiens.

Journée du 7 juin : Bus-la-Mézière.
Le 7 juin, au matin, le bataillon reçoit directement de la division un ordre le mettant à la disposition de la 47e D.I. Il doit agir plus spécialement au profit du 44e régiment d'infanterie dont le P.C. est à Bus-la-Mézière.
Laissant le soin au capitaine Blanchot de conduire les compagnies au point de première destination assigné (bois, à l'ouest d'Orviller-Sorel), le capitaine Gallice part aussitôt pour prendre liaison avec l'infanterie.
Le chef de bataillon commandant la 3e demi-brigade, alerté de son côté, se porte au P.C. de la 47e Division, puis à celui du 44e R.I. où il retrouve les reconnaissances du bataillon.
La mission est précisée comme il suit :
- prendre des positions de départ dans la région boisée au sud-est de Bus ;
- être en mesure d'agir rapidement contre toute formation ennemie ayant dépassé la ligne des points d'appui avancés, la mission de contre-attaque en direction de l'Est devant être considérée comme primordiale.
Ainsi en avait décidé le général commandant la 47e Division à la suite de la capture, le matin même, d'un officier allemand porteur d'une carte fléchée révélant que l'effort ennemi devait se faire en direction du sud, sur l'axe Roye-Estrée-Saint-Denis.
Dans cette éventualité, le terrain d'action restait favorable. Toutefois, les lisières est des bois qui constituaient la ligne de départ étant difficilement praticables, le débouché s'avérait beaucoup plus malaisé qu'il ne l'eût été dans le cas d'une contre-attaque dirigée vers le nord comme il avait été prévu initialement.
Entre temps, les compagnies avaient atteint les bois à l'ouest d'Orviller. Bien que n'ayant pas subi d'attaques aériennes, elles avaient été survolées et vraisemblablement repérées pendant leur long parcours en terrain absolument découvert au nord de l'Aronde.
Peu avant 14 heures, toutes reconnaissances terminées, elles sont en place sur les positions de départ, les 2e et 3e compagnies orientées face au sud-est, la 1re légèrement en arrière, en mesure de déboucher le cas échéant vers le nord.
Le capitaine commandant le bataillon a réglé avec le colonel commandant le 44e R.I. les modalités du déclenchement de la contre-attaque éventuelle.
A partir de 15 heures, les bois autour de Bus, où se trouvent également d'assez nombreuses batteries, sont soumis, à des tirs systématiques d'artillerie (77 et 105). Peu après, l'aviation intervient par des bombardements en piqué et des tirs de mitrailleuses.
Vers 16 heures, des engins blindés ennemis ayant été signalés par les points d'appui de Tilloloy et Beuvraigne, le, colonel commandant le 44e R.I. déclenche la contre-attaque prévue en direction de l'est.
Elle débouche sous les bombardements et, inutile ou tant au moins prématurée, tombe dans le vide.
Après avoir dépassé la route Tilloloy - Conchy, nos unités regagnent leurs positions de départ.
Le bombardement par avions se prolonge encore quelque temps. Affectant toute la région boisée autour de Bus, intégralement détruit, et les villages voisins, de Boulogne-la-Grasse et de Conchy-les-Pots, il ne cesse qu'aux environs de 18 heures, au moment où de nombreux bombardiers anglais escortés par nos chasseurs viennent libérer le ciel des avions à croix noire et réagir copieusement.
Notons en passant que leur intervention eut pour effet immédiat de déclencher, sur un front de plusieurs kilomètres, un sérieux barrage de la D.C.A. allemande abattant presque simultanément en flammes deux de nos avions.
Les éléments de combat du bataillon venaient de recevoir le baptême du feu. Dire qu'ils ne furent pas impressionnés serait inexact. Il n'en reste pas moins que chacun fit simplement tout son devoir et que les unités conservèrent une cohésion remarquable sous les bombardements simultanés de l'aviation et de l'artillerie.
Nous avions à déplorer la mort du chasseur Chiaberto, un jeune de la 3e compagnie, aimé de ses camarades et de ses chefs. Il fut le premier du bataillon, frappé à son poste de combat alors que, avant le débouché et sans songer à s'abriter, il donnait les derniers soins à son appareil.
Deux autres chasseurs de la 3e compagnie : Escarnot et Grenier étaient blessés, ce dernier fort grièvement.
Les chars étaient indemnes. Deux d'entre eux, cependant, profondément enlisés dans des trous fangeux cachés sous les taillis aux lisières du bois, exigèrent un long et dangereux travail de dépannage. L'équipe du sergent-chef Groff, de la C.E., put ramener le dernier de justesse dans la nuit du 8 au 9, alors que l'infanterie entamait son repli.
Vers 20 heures, d'accord avec le colonel commandant le 44e R.I. à qui des infiltrations étaient signalées par les points d'appui de Dancourt et de Popincourt, des mesures sont prises en vue d'orienter deux compagnies face au nord, ce qui présentait d'ailleurs l'avantage d'aérer le dispositif du bataillon jusque-là trop resserré.
La nuit étant venue, ces deux unités n'eurent pas à intervenir.
A 22 heures, arrive au 44e R.I. l'ordre de la division d'avoir à envoyer immédiatement une compagnie de chars à Laboissière, où elle se mettra à la disposition du colonel commandant la 1re demi-brigade de chasseurs en vue d'une opération à monter le 8 juin, au lever du jour, pour dégager le point d'appui d'Armancourt encerclé.
La 3e compagnie est désignée. Elle arrive à Laboissière vers minuit. Là, ses nouveaux utilisateurs n'éprouvent plus le besoin de s'en servir. Elle n'en reste pas moins provisoirement à leur disposition.
Vers minuit, les ravitaillements peuvent s'effectuer à peu près normalement au point d'échange (bois sud de Mortemer).
Enfin, on ne saurait terminer la relation des événements de la journée sans signaler que, dans la matinée et pendant près d'une heure, la partie nord de la forêt d'Halatte fut sérieusement bombardée par une trentaine d'avions attaquant en piqué.
Les éléments arrière du bataillon, serrés de près par la chute des bombes s'en tirèrent, sinon sans émotion, du moins sans aucun mal. Les frondaisons de la forêt avaient limité l'action de notre D.C.A. qui ne put intervenir qu'avec un seul groupe de mitrailleuses.

Journée du 8 juin : Regroupement de la 1re D.C.r.
Le 8 juin, vers 3 heures, la 47e Division reçoit un ordre du 1er Corps d'armée remettant le bataillon à la disposition de la 1re Division cuirassée. Celle‑ci doit se regrouper dans la région de Maignelay.
Le chef de bataillon commandant la 3e demi‑brigade, qui vient de rentrer au P.C. de la division, pend aussitôt les mesures nécessaires pour que les unités, la 3e compagnie venant en première urgence en raison du terrain très découvert qu'elle aura à traverser au sud de Laboissière. puissent se décrocher sinon avant le jour, du moins dès que possible.
Il assigne comme point de première destination aux différents éléments, la zone boisée entre Onvillers et Rollot.
Entre temps, arrivent les ordres de la division relatif, au regroupement :
P.C. de la division : Léglantier.
P.C. de la 3e demi‑brigade : Montigny, avec une compagnie de chasseurs.
34e bataillon de chars : Maignelay et bois au nord.
5e B.C.P. (moins une compagnie) : Ravenel.
Ce qui reste de la 1re demi‑brigade après le sévère engagement du 6 juin se rassemble dans la zone à l'est. (Tricot, Coivrel, Montgerain, Saint‑Martin‑aux‑Bois).
En fin de matinée, alors que la canonnade gronde dans le nord, les compagnies du bataillon, largement échelonnées, traversent la grande plaine absolument découverte qui sépare Rollot de Maignelay.
Elles y arrivent vers midi et s'installent, au bivouac :
1re et 2e compagnies : dans le bois de Montigny ;
3e compagnie : immédiatement au nord de Maignelay.
Cette installation n'a pas été sans quelques difficultés, une colonne très importante d'artillerie, venant du nord‑ouest, achevant d'occuper au même moment le bois de Maignelay.
Dès le début de l'après‑midi commence, se dirigeant vers le Sud, un exode considérable de civils et de convois militaires encore en ordre. Il ne fera que s'amplifier par la suite, rendant sur toutes les routes la circulation particulièrement difficile et souvent impossible.
Aussitôt arrivée, la 3e compagnie est presque intégralement préposée à la garde des issues du village en direction du nord, de l'est et de l'ouest.
Vers 16 heures, des renseignements, émanant du général de division et aussi de civils, signalent des éléments blindés ennemis (autos‑mitrailleuses) avançant en direction de Saint‑Just-en‑Chaussée, à quelques kilomètres à peine à l'ouest de Maignelay‑Montigny.
Le dispositif de défense rapprochée des deux villages, déjà installé, est amélioré, l'une des compagnies du bois‑de Montigny recevant mission d'assurer la surveillance et la protection en direction du nord dans l'intervalle découvert entre Maignelay et Coivrel.
La population qui paraissait jusque là être restée en assez forte proportion s'inquiète de plus en plus et vient aux nouvelles. De nombreux habitants chargent leurs voitures, ferment leurs portes et s'en vont.
C'est dans ce brouhaha que la 3e compagnie parvient à donner au cimetière de Maignelay une sépulture convenable au chasseur Chiaberto, tué la veille à Bus.
18 heures : la menace en direction de Saint‑Just‑en‑Chaussée, c'est à dire nettement en arrière et à gauche, se précise.
La 1re compagnie, alertée pour entrer dans la constitution d'un détachement ayant mission de se rendre à Saint‑Just afin d'interdire ce nœud de route aux blindés allemands, reçoit un contre‑ordre alors que, se rendant à la côte 129 (1 kilomètre ouest de Ravenel), point de première destination assigné au détachement, ses chars sont déjà parvenus à Montigny
La mission dont il s'agit a été en effet confiée, entre temps, à des éléments de la demi‑brigade.
La nuit venue, la 1re compagnie (3 sections de combat) est portée, cette fois pour de bon, à la cote 129 afin d'appuyer le détachement de la 1re demi‑brigade parti pour Saint‑Just (ordre verbal transmis par le capitaine d'Engente, de l'état‑major de la 1re D.C.r.).
L'ordre général d'opérations, reçu en même temps, spécifie essentiellement que les éléments de la division auront à renforcer leur dispositif de défense sur place, deux sections du 34e bataillon étant détachées, à Léglantier pour assurer la protection immédiate du quartier général de la division.
Ces deux sections sont prélevées : sur la 1re compagnie qui n'a, d'ailleurs, pas eu à intervenir à la cote 129. Ce qui en reste rentre vers minuit au bivouac du bois de Montigny, alors que la cohue sur les routes et dans les villages devient indescriptible.
Quelle était à ce moment la situation des chars du bataillon, après trois jours de déplacement à peu près incessants, à quelques heures à peine du combat où nous allions perdre très vite la plupart de nos moyens ?
La 1re compagnie (capitaine Chauvin) disposait de 10 chars (2 chars évacués le 6 juin : un sur le P.E.B. A7, l'autre sur la C.E. ; 1 char en remorque, entraînement de magnéto détérioré). Sur ces 10 chars, 6 venaient d'être détachés au P.C. de la division.
La 2e compagnie (lieutenant Bérard) avait encore 12 chars, un ayant été évacué dans la nuit par la section de dépannage (demi‑arbre de barbotin cassé).
La 3e compagnie (capitaine Blanchot), après avoir récupéré in extremis deux chars profondément enlisés la veille aux lisières du bois de Bus, disposait de 12 chars, le 13e étant en remorque et justiciable de l'atelier.
La section de remplacement était au complet (3 chars armés).
Au total : 37 chars disponibles, dont 31 immédiatement, et 6 détachés au P.C. de la division.
Assez tard dans la nuit, les unités avaient pu terminer leurs ravitaillements.
Magnifique nuit d'été que ne troublait aux dernières heures du 8 juin aucun bruit de combat, remplie seulement par la sourde rumeur des convois en retraite ; alors que tout l'horizon en direction du sud‑ouest (Saint‑Just et au delà) était éclairé par les incendies jalonnant l'avance allemande et que, plus près de nous, vers le nord, apparaissaient les premières fusées blanches de jalonnement.

Journée du 9 juin : Combat de Lieuvillers
Missions et ordres.
Le 9 juin, vers 2h30, alors que des salves de 77 tombent sur Maignelay ‑ Montigny ‑ Revenel, jetant la confusion dans les convois qui continuent à s’écouler vers le sud, le bataillon reçoit l'ordre de porter sans délai ses compagnies à la sortie sud‑est de Ravenel, point où seront précisées les missions.
Cet ordre émane du commandant de la 3e demi‑brigade qui a reçu luimême, à 1h45, un ordre de la 1re Division cuirassée lui enjoignant de se décrocher à 2 heures pour aller avec un détachement comprenant :
‑ le 34e bataillon ;
- une compagnie de chasseurs avec canons de 25, sur la rivière de l'Arée afin d'en interdire les passages entre Saint‑Just et Clermont (ces deux localités exclues).
L'ordre d'opérations dont il s’agit précisait la mission de la 1re division cuirassée qui consistait, pour le 9 juin :
‑ jusqu'au lever du jour, à protéger le décrochage du 1er corps d'armée ;
‑ puis, en s'échelonnant sur l'Arée, de Saint‑Just à Clermont inclus, à couvrir face à l'ouest le repli du 1er corps d'armée se retirant en direction du sud.
L'ordre répartissait les missions comme il suit :
‑ détachement d’Aboville (1re demi‑brigade), maintenu à Saint‑Just, localité qu'il barrait depuis le 8 au soir ;
‑ détachement Aleyrangues (voir ci‑dessus) ;
‑ détachement Pinot (reliquat de la 1re demi‑brigade, gros du 5e B.C.P.) ; objectif : Clermont.
De plus, une compagnie du 34e bataillon devait être envoyée en réserve de division au bois d'Erquery.
Par contre, autant que les souvenirs de l'auteur de cette relation sont exacts, l'ordre ne donnait aucun renseignement sur l'ennemi.
A vrai dire, on savait, qu'il était au contact ou presque (action des autos‑mitrailleuses, sur Saint‑Just le 8 au soir ; fusées de jalonnement au nord de Maignelay, puis tirs de 77 sur le village le 9 à 2 heures) et que la direction ouest‑sud‑ouest était au moins, aussi dangereuse que celle du nord.
C'est ainsi que le 9 juin, à 2 heures, sachant Saint‑Just tenu, le chef de bataillon commandant le détachement avait décidé de porter le plus rapidement possible :
‑ la compagnie de chasseurs sur l'Arée, entre le Metz et Airion ;
‑ une compagnie de chars sur les passages de Valescourt et Saint‑Rémy‑sur‑l'Eau, en vue de couvrir le déplacement du gros du bataillon sur l'itinéraire Ravenel, Angivillers, Lieuvillers, Erquinvillers, Argenlieu.
D'où l'ordre de décrochage donné au bataillon alors que vers la même heure (2h30) le capitaine Bassinot, chef d'état‑major de la demi‑brigade partait pour Ravenel, suivi de la majeure partie du P.C., afin d'orienter la compagnie de chasseurs sur les intentions du commandant du détachement et lui donner sa mission.
L'exécution.
A 4 heures, le capitaine Gallice rejoint le commandant du détachement à Ravenel.
Peu après arrive la 2e compagnie (lieutenant Bérard, 12 chars). Orientée aussitôt sur sa mission (ponts de Valescourt et de Sait‑Rémy), elle part à travers champs, droit au Sud‑Ouest, munie, à défaut de carte, d'un croquis schématique établi à son intention.
La 3e compagnie (capitaine Blanchot, 13 chars, dont 1 en remorque) a eu beaucoup de mal pour se dégager de la cohue de Maignelay, village dont elle gardait les issues. Elle n'arrive qu'aux environs de 5h30 à Ravenel.
Les autres éléments du bataillon, dont la 1re compagnie (capitaine Chauvin, 4 chars), sont déjà là.
Le capitaine Gallice engage sa colonne sur l'itinéraire prévu, ou, à travers champs, le long de cet itinéraire.
Il la précède, ainsi que le commandant Aleyrangues, dégageant à grand‑peine du double courant de véhicules, tant civils que militaires, qui encombre les routes.
Vers 8 heures, aux abords de Lieuvillers, on trouve enfin une route dégagée, sans doute en raison de quelques tirs de mitrailleuses qui se font entendre dans le voisinage.
Dans le village, un officier commandant quelques éléments de la 7e D.I.N.A. signale la présence de groupes ennemis immédiatement à l'ouest, renseignement confirmé presque aussitôt par le sergent‑chef Dolweck, de la section d'échelon de la 2e compagnie.
Cette section, partie de Ravenel derrière sa compagnie, avait en effet reçu du lieutenant Bérard l'ordre de se rendre, par Angivillers et Lieuvillers, à la ferme de La Folie.
Au débouché de Lieuvillers (sortie ouest) elle était tombée sous les feux de groupes ennemis, dissimulés dans les blés de part et d'autre du chemin. Ayant dû laisser les tracteurs de ravitaillement sur place, le personnel venait de regagner le village, ramenant le chasseur Coppin, blessé aux jambes.
Il est environ 8h30, la 3e compagnie arrive.
Avant d'aller plus loin, il faut se donner de l'air sur la croupe ouest de Lieuvillers.
La section de tête de la 3e compagnie (sous‑lieutenant Bontemps) est engagée.
Le sergent-chef Dolweck, qui connaît le terrain, en prend le commandement, l'officier remplaçant l'un de ses chefs de char.
Ayant dépassé les tracteurs abandonnés, elle entreprend le nettoyage du terrain, tire sur quelques groupes et sur une pièce antichars située vers le coude de la route conduisant à La Folie.
Elle rentre vers 9h30, au village avec un tourelleau enlevé, un canon coincé sur son frein et de nombreux impacts de balles de 20 ou d'obus de 37. Le personnel est indemne, mais deux chars sont inutilisables.
Entre temps, un renseignement a fait connaître que le village d'Erquinvillers est tenu par des éléments ennemis.
Le commandant du détachement ne sait encore rien de la 2e compagnie, orientée sur Valescourt et Saint‑Rémy, pas plus que de la compagnie de chasseurs.
Il semble, d'autre part, que l'on n'ait affaire de façon immédiate qu'à des résistances fragmentaires d'éléments à pied et cela bien que deux ou trois engins ennemis ‑ chars ou autos‑mitrailleuses ‑ aient été vus croisant aux abords de la ferme de La Folie.
Comme, d'autre part, il faut articuler le dispositif du gros du bataillon encore en colonne de route, la tête à Lieuvillers, le commandant du détachement, pressentant qu'il lui sera difficile d'arriver à l'Arée, décide de s'accrocher tout d'abord aux deux villages de Lieuvillers et d'Erquinvillers, puis de voir venir.
Enfin, il ne saurait plus être question désormais d'envoyer une compagnie en réserve à Erquery. D'ailleurs, la division doit y disposer déjà des deux sections de la 1re compagnie, détachées à son P.C. depuis minuit.
D'où l'ordre :
‑ à la 3e compagnie, d'attaquer Erquinvillers et de s'y accrocher face au nord et à l'ouest,
‑ à la 1re compagnie, renforcée par les trois chars armés de la section de remplacement, de se porter aux lisières de Lieuvillers. et de nettoyer une fois de plus la croupe immédiatement à l'ouest car, de ce côté, l'ennemi a repris ses tirs. Débouché à 10h15.
Les deux compagnies débouchent à peu près simultanément. De la sortie sud de Lieuvillers où le capitaine Blanchot est monté en char pour la dernière fois, suivi par ses sections dans un ordre admirable, on peut observer de bout en bout le combat de la 3e compagnie.
L'unité s'engage sur deux échelons de part et d'autre de la route conduisant à Erquinvillers. Parvenue à bonne distance du village, elle ouvre le feu sur ses lisières. Au moment où les sections de tête vont l'aborder, elle est prise brusquement à partie par des chars qui apparaissent sur les croupes au sud de la ferme de La Folie, ou qui débouchent du bois 1 km 500 nord‑ouest d'Erquinvillers.
Ce sont des Pzkw III ou IV, facilement reconnaissables par leur tourelleau caractéristique et leur antenne à l'avant. Une douzaine au moins, en station ou en marche, s'opposent directement à la compagnie, laquelle, se sentant menacée sur sa droite, se redresse bientôt face à la ferme.
Nos chars, tirant sans arrêt, se rapprochent de leurs adversaires. Ils cherchent, semble‑t‑il, l'abri d'un changement de pente intermédiaire, où quelques‑uns viennent finalement prolonger la gauche de la 1re compagnie.
Des pièces d'assez fort calibre (105 vraisemblablement), installées auprès de la ferme et dont les lueurs sont bien visibles, appuient les appareils ennemis. Elles ne tardent, pas à faire flamber quelques maisons dans Lieuvillers.
Peu à peu, le feu de nos chars s'éteint, la plupart sont immobilisés, quelques-uns brûlent.
De 11h15 à midi, calme absolu, mis à profit pour évacuer, sur les rares voitures dont on dispose, touristes y compris, les blessés qui ont pu regagner le village.
Peu avant midi, des motocyclistes allemands, suivis d'une voiture tous terrains, y pénètrent.
Reçus à coups de mousquetons, ils sont abattus ou font demi‑tour.
Le commandant du détachement ne disposant plus que de 2 chars, dont un a reçu un obus dans le barbotin, décide alors de se replier sur Cressonsacq. Le personnel valide est fractionné en deux groupes disposant chacun d'un char. L'un d'eux est commandé par le capitaine Chauvin. Il part du petit bois 500m nord‑est de Lieuvillers.
Le second, conduit par le commandant Aleyrangues, avec le char du sergent‑chef Janin, quitte le village peu après midi.
Au moment du départ, le capitaine Gallice, qui s'était attardé, est accroché par des motocyclistes. Blessé par des éclats de grenades, il se défend au pistolet, abat l'un de ses adversaires, et, s'étant dégagé, peut rejoindre le groupe à la sortie du village. Fort heureusement le char permettra son transport, car il ne marche plus que très difficilement.
Sans plus être inquiété, le groupe arrive à Cressonsacq vers 13h30, après avoir recueilli en route le sous‑lieutenant Bontemps et son mécanicien.
Là, il faut brûler le char, presque à sec d'essence. Le capitaine Gallice, est confié à un véhicule, partant pour Pont‑Sainte‑Maxence, tandis que nos hommes sont autorisés à monter sur les voitures d'un régiment d'artillerie. La plupart, cependant, retraitent à pied car, vers 15 heures, la route directe de Pont‑Sainte‑Maxence par Eraine est menacée par une fraction assez importante de blindés adverses.
Les derniers éléments du bataillon, dont le capitaine Latargez et le sergent‑chef Janin, serrés d'assez près par l'ennemi entre Rouvillers et Estrée‑Saint-Denis, rejoignent, dans cette dernière localité, une arrière-garde de la 47e D.I., qui se replie en bon ordre. C'est avec elle qu'ils parviennent à l'Oise au soleil couchant.
Depuis 16 heures, le pont n'existe plus.

Renseignements complémentaires.
Tel fut, vécu par le commandant du détachement, l'engagement de Lieuevillers.
Les renseignements recueillis par la suite permettant aujourd'hui de se faire une idée plus exacte de cette affaire malheureuse où, bien que très nettement surclassées par l'ennemi, nos compagnies lui firent face de façon admirable.
Les plus intéressants sont ceux rapportés par le lieutenant Bérard après son évasion. Ils peuvent se résumer comme suit :
Partie la première de Ravenel avec pour objectifs les ponts de Valescourt et de Saint‑Rémy, la 2e compagnie avait atteint et franchi sans encombre la croupe de la cote 162.
Poursuivant sa progression en direction du coude de la route nationale de Saint‑Just à Clermont, elle fut soumise, presque aussitôt après avoir dépassé cette route, à des feux provenant, de la cote 148 (est de Saint‑Rémi).
Le lieutenant Bérard décida alors, d'utiliser un léger vallonnement pour s'abriter, accéder à nouveau sur le plateau et de là, se redresser face à la ferme de La Folie dont les abords commandent toute la région.
Ce mouvement terminé, vers 8 heures, les sept chars qui lui restaient vinrent s'aligner devant les Pzkw III postés face au nord en avant de la ferme.
En très peu de temps, nos chars furent mis hors de cause (armement, épiscopes détruits, chars démolis ou brûlés).
Dés qu'ils ne tirèrent plus, les appareils allemands s'en vinrent au milieu d'eux et firent prisonniers les équipages restés sur place.
Conduit auprès de la ferme avec quelques autres, dont le sergent Sohet grièvement blessé à l'épaule, le lieutenant Bérard y resta pendant près de deux heures.
Là il put observer à loisir.
A la ferme même était installé un P.C. important (postes radio à terre, nombreux motocyclistes). Non loin se trouvaient 2 canons automoteurs et tout autour, plus ou moins déployés, deux groupes comportant une douzaine de chars (Pz38 tchèques, Pzkw III), tous appareils armés d'un canon de 37.
Plus en arrière, sur la route de Clermont et l'embranchement de Saint‑Rémy, il y avait des voitures tous terrains servant au transport de personnel, voitures vides de leurs occupants, une demi‑douzaine d'autos‑mitrailleuses à roues et un fort détachement de Pzkw IV (25 à 30 appareils).
Arrivé à Saint‑Rémy, l'officier y trouvait quelques centaines de prisonniers appartenant à divers corps de la 7e D.I.N.A. qui avaient été pris au cours de la nuit précédente, sur les routes conduisant de Saint‑Just à Clermont.
Le capitaine Bassinot, chef d'état‑major de la 3e demi‑brigade, parti de Montigny vers 2h30, n'avait pu rejoindre le 5e bataillon de chasseurs qu'au bois d'Erquery.
Il y avait trouvé également le général commandant la division et les deux sections de la 1re compagnie détachées à son P.C. depuis minuit sous les ordres du lieutenant Rougée.
Le général ayant approuvé les ordres donnés par le commandement du détachement, une compagnie de chasseurs fut envoyée sur l'Arée pour reconnaître le pont d'Airion.
Là aussi l'ennemi nous avait devancés.
Le détachement Rougée stationna aux lisières ouest du bois d'Erquery jusqu'au début de l'après‑midi, aidant au décrochage des éléments du bataillon de chasseurs restés dans cette région.
Un peu plus tard, alors que le gros de la division (1re demi‑brigade, 5e B.C.P.) s'était enfermé dans Clermont où il devait résister jusqu'à la nuit aux attaques ennemies, le détachement put se replier et passer au sud de l'Oise en utilisant le pont de Saint‑Leu.
Grâce à l'initiative de son chef qui avait réussi à se ravitailler en cours de route, il ramenait 5 chars, le 6e, en panne, ayant été détruit (char du sergent Drombois).
Plus au nord, le détachement d’Aboville (1re demi‑brigade), arrivé à Saint‑Just le 8 au soir, y avait détruit incontinent quelques autos‑mitrailleuses qui venaient de faire des ravages sérieux dans une colonne de la 7e D.I.N.A.
Interdisant dès lors cette localité aux blindés allemands, il ne devait la quitter que le 9 juin peu avant midi. Ayant perdu un char B (KELLERMANN), il avait détruit une dizaine d'engins ennemis.
Au cours de son repli par Cressonsacq et Bailleul‑le‑Soc, le détachement s'engagea à nouveau, vers 15 heures, auprès de cette dernière localité, pour dégager une arrière‑garde de la 47e D.I., accrochée par un groupe de blindés ennemis... Il perdit, dans cette affaire, ses trois chars R 40.
Enfin, et pour en revenir au 34e bataillon, les sections d'échelon (1re et 3e compagnies), groupées, au début du combat dans la région de Pronleroy, s'étaient repliées sur ordre aux environs de midi en direction de Pont‑Sainte‑Maxence.
Mais, ayant été notablement retardées par les actions de l'aviation adverse au nord de Bazicourt et surtout par l'encombrement de la route aux approches du pont, elles n'y parvinrent que peu après sa destruction.
Six chars seulement avaient pu franchir l'Oise en ce point : trois chars non armés de la section de remplacement et trois autres chars évacués sur l'atelier dans la nuit précédente ou dès les premières heures de la matinée.
Bilan et conclusion.
Entre Saint‑Just et Clermont, les Allemands nous avaient largement devancés sur l'objectif assigné ; la coupure de l'Arée.
Lié par sa mission, le bataillon fut engagé danse des conditions difficiles, parce que mal renseigné, isolé et sans appui, ne disposant pas de moyens nécessaires pour se couvrir de façon efficace.
C'est ainsi qu'il vint buter à partir de 8 heures, autour de la ferme de La Folie, sur un groupement blindé beaucoup plus puissant tant par le nombre que par la qualité et la diversité de l'armement.
Les chars allemands n'apparurent que lorsque nos compagnies se furent entièrement déployées devant des éléments à pied dotés d'armes antichars.
Dès lors accrochées et nettement surclassées, sinon par le nombre des appareils ennemis en ligne, du moins par la supériorité incontestable de leurs armes, elles n'eurent plus qu'un réflexe : faire face et se battre.
Elles le firent de leur mieux, au prix de pertes sévères, atténuées cependant quant au personnel, par la qualité des blindages.
Après de longs mois de recherches, ces pertes peuvent aujourd'hui s'établir de façon à peu près exacte.
Dix de nos camarades, dont les pauvres restes, le plus souvent difficiles à identifier, sont inhumés auprès de leurs chars détruits, ont trouvé une mort glorieuse dans ce combat inégal.
Ce sont :
Pour la 3e compagnie
‑ le capitaine Blanchot et son mécanicien Maudavy (char n°13) ;
‑ le sous‑lieutenant Miguet et son mécanicien Dérout (char n°1) ;
‑ le chasseur Marchand, mécanicien du char n°2 ;
Pour la 2e compagnie : le sergent Bondieaux et son mécanicien Brunerie ;
Pour la 1re compagnie : le caporal‑chef Testevuide ;
Pour la compagnie d'échelon : le sergent Laidet et son mécanicien Guérin.
Nous avions également perdu ce jour‑là :
‑ quatorze blessés récupérés ou faits prisonniers dont deux très grièvement atteints, le sergent Sohet (2e) amputé, le sergent Malo (3e) aveugle;
- une vingtaine de prisonniers de tous grades, non blessés, parmi lesquels quelques‑uns disparurent au cours du décrochage.
Du point de vue du matériel, le bilan était plus lourd encore.
Soit du fait de l'ennemi en ce qui concerne plus spécialement les chars, soit par suite de la destruction prématurée des ponts de l'Oise, le bataillon avait perdu 31 chars, tous ses tracteurs de ravitaillement et voitures tous terrains, 3 voitures de liaison, un tracteur Somua, quelques camionnettes.
22 chars, détruits ou brûlés, le fanion haut et face à l'ennemi, jonchent encore le terrain du combat.
Bilan tragique pour un premier engagement et que seuls vinrent adoucir, par la suite, les témoignages d'estime de nos chefs ou ceux des rares fantassins qui purent voir nos équipages à l’œuvre.
Mais contrairement à ce que nous avons pu penser au soir de cette triste journée, tant d'abnégation ne fut pas sans résultat.
Il est avéré, en effet, qu'aucun appareil allemand ne vint, entre S heures et 13 heures, promener ses chenilles à l'est de la ligne : Angivillers ‑ Lieuvillers ‑ Nauroy et que ce délai, particulièrement précieux ne fut pas perdu pour les colonnes du 1er corps qui en arrière de nous, se pressaient vers les ponts de l'Oise.

LA RETRAITE.

Nous voilà arrivés au terme de cette histoire, celle d'une retraite effectuée pendant douze jours par nos éléments arrière sur l'axe général : Senlis, Lagny‑sur‑Marne, Montereau, Gien, Issoudun, Argenton‑sur-Creuse, Limoges ; tandis que la compagnie de marche du bataillon, prenant part jusqu'à la Loire aux actions d'arrière‑garde de la 1re D.C.r., devait laisser ses derniers chars devant le pont de Gien détruit.
Exécuté par larges bonds, au milieu de l'exode civil et dans une ambiance de désastre militaire qu'il est difficile de décrire mais que nous ne saurions oublier, ce repli de plus de 500 kilomètres ne prit fin que trois jours avant l'armistice.
Avant d'entrer dans le détail, il convient d'en dégager les traits essentiels.
D'abord tous les chars utilisables, restant au bataillon après le sévère engagement du 9 juin, y furent employés jusqu'au dernier sous les ordres d'un chef particulièrement brave, calme et avisé : le capitaine Chauvin.
Notons, en second lieu, le rare bonheur grâce, auquel une compagnie d'échelon, considérablement grossie du personnel venu des compagnies de combat, put réussir à ramener tout son monde et presque tous ses véhicules, cela en assurant, au profit des éléments avancés, quelques missions de récupération et de nombreux ravitaillements.
Un tel résultat est dû, autant à une bonne part de chance qu'à l'énergie et à l'expérience du capitaine Fauré qui commandait cet ensemble très lourd, mais dont la cohésion resta toujours entière.
Puissent ces faits atténuer pour nous, anciens du 34e, la grande amertume d'une quinzaine qui fut particulièrement sombre et douloureuse.

DE L'OISE A LA MARNE.

La compagnie d'échelon, désormais, liée à la base arrière de la division, s'était portée, le 9 juin, vers midi, au carrefour du Dindon (partie sud de la forêt d'Halatte).
Ce même jour, elle avait perçu, fait notable parce que sans précédent depuis la mobilisation, 6 camionnettes de 1t200.
Dans la soirée du 9, elle avait récupéré 6 chars (dont 3 non armés), ayant pu franchir l'Oise à Pont‑Sainte‑Maxence avant la destruction du pont, puis de nombreux rescapés des compagnies de combat. Quelques autres devaient rejoindre les jours suivants.
Senlis, toute proche, subissait des violents bombardements d'avion...

Journée du 10 juin.
La compagnie fait mouvement à partir de 1 heure. Après avoir traversé Senlis dont tout le quartier ouest est en flammes, elle n'arrive qu'à 6h30, à Fontenay‑en‑Parisis et Chatenay‑en‑France.
Là, elle retrouve, venu de Clermont par le pont de Saint‑Leu, ce qui reste de la 3e demi‑brigade, dont le détachement, du lieutenant Rouge (5 chars, 1re compagnie). Le tout est aux ordres du capitaine Hugot. commandant le 5e B.C.P.
Une compagnie de marche à 8 chars est constituée sous le commandement du lieutenant Batissier.
Sur le plan d'ensemble, la situation est alors sensiblement la suivante :
Tandis que les Allemands ont atteint ou même franchi la Basse‑Seine, leurs chars sont arrivés à Château‑Thierry sur la Marne. Les grandes unités de la 7e Armée s'établissent sur la position de Paris, jalonnée par l'Oise jusqu'à Boran et par le cours de la Nonette (rivière de Senlis).

Journée du 11 juin.
La 1re D.C.r. se regroupe en position centrale dans la région de Vemars.
Partie de Chàtenay‑en‑France vers 11 heures, la compagnie de marche se porte à Plailly, dont elle organise la défense éventuelle avec le 5e B.C.P. Journée calme.
De Plailly, un char est évacué sur la C.E. 34 par un porte‑char de cette unité.
La compagnie d'échelon quitte Fontenay‑en‑Parisis à 3h34 pour venir, par Gonesse, Aulnay, Sevran‑Livry et Ville‑Parisis, stationner en fin de matinée dans le parc du château de Bordeaux (2 kilomètres nord-ouest de Lagny).
Ce matin‑là, sans doute en raison de la destruction d'importants dépôts d'essence, un brouillard opaque et gris, donnant une lumière crépusculaire, recouvre toute la banlieue est.
Le commandant Aleyrangues, le capitaine Latargez et le sergenr‑chef Janin, revenant de Lieuvillers, rejoignent le bataillon dans la soirée.
En fin de journée, la division ayant reçu l'ordre d'intervenir dans la région de Boran‑sur‑Oise, pour liquider une petite tête de pont ennemie, cette mission est confiée à un détachement comprenant, sous les ordre du commandant de la 1re demi‑brigade, quelques chars B, une compagnie de classeurs, la compagnie du 34.

Journée du 12 juin.
Le détachement arrive vers 4 heures à la lisière de la forêt de Chantilly, à l'est de Boran. La compagnie de marche est là avec ses sept chars. Seule, la plage la sépare de l'Oise. La situation est assez confuse et il ne semble pas, que l'ennemi ait encore franchi la rivière.
Quelques tirs sont échangés par‑dessus l'Oise, mais il n'y a pas à proprement parler de contre‑attaque.
A 9 heures, la compagnie se porte à Pontarmé à la disposition de la 47e D.I. et de là, en fin de journée, à Juilly (5 kilomètres est de Dammartin‑en‑Goële). Elle y arrive à 23 heures, toujours avec sept chars.
Il s'agit désormais pour la division de protéger le repli du 1er C.A. qui passe au sud de la Marne.
Ce même jour (12 juin), la compagnie d'échelon a quitté le château de Bordeaux à 6 heures. S'intégrant dans la colonne de la base arrière, elle a franchi la Marne à Lagny pour venir stationner, à partir de 10 heures, près de Pontcarré, dans le parc de la Sablonnière.
Elle a laissé au nord de la Marne, un détachement aux ordres du lieutenant Pingeon (1 camion à V et B) (1 camion à essence) chargé de ravitailler le 28e B.C.C.
L'atelier peut se remettre au travail.
 
DE LA MARNE A LA LOIRE.

Journée du 13 juin.
La compagnie de marche qui, avec le 5e B.C.P., a participé, sans qu'il y ait eu accrochage, à la défense de Juilly jusqu'à 11h30, franchit le canal de l'Ourcq à Claye‑Souilly, localité que barre la 1re demi‑brigade.
Puis, elle se replie au sud de la Marne et parvient en fin de journée (20 heures) à Touquin, à 28 kilomètres au sud‑est de Lagny.
Au cours de la journée, deux chars devenus indisponibles sont évacués, l'un par la C.E. 25, l'autre par la C.E. 34.
Les cinq chars qui restent, soumis à des déplacements incessants depuis le 5 juin, sont très fatigués.
A la compagnie d'échelon, à Pontcarré, trois chars ont été remis en état de marche (changements de galets, montage de canons sur deux chars désarmés de la section de remplacement).
Le capitaine Chauvin, alerté depuis midi, reçoit, à 17 heures, l'ordre de se porter par Villeneuve‑le‑Comte à Touquin avec les chars, quelques véhicules et des équipages de remplacement, afin de reconstituer la compagnie de marche dont il doit prendre le commandement. Il y arrivera vers 20 heures, peu avant les éléments venant du nord de la Marne.
En fin de journée (18 heures), la compagnie d'échelon quitte Pontcarré pour venir avec la base arrière de la division dans la région sud‑ouest de Pezarches, point de première destination : Fontenay‑en‑Trésigny (7 kilomètres nord‑est de Rosay‑en‑Brie). Elle n'aura pas à y stationner.

Journée du 14 juin.
En effet, si ordres parvenus le 13 juin en fin de journée, reportent la défense de l'armée ; d'abord prévue sur la ligne de la Marne et du Grand‑Morin, sur celle de la Seine et de l'Yonne, de part et d'autre de Montereau.
D'où il résulte pour la journée du 14 juin un nouveau et important repli, au cours, duquel la division doit couvrir le flanc droit de l'armée au nord de la Seine sur l'axe Coulommiers ‑ Maison‑Rouge (11 kilomètres ouest de Provins) ‑ Bray‑sur‑Seine ‑ Sens.
La 3e demi‑brigade (5e B.C.P., compagnie de marche du 34e B.C.C.), partie de Touquin le 13, à 22 heures, avec mission d'interdire le carrefour de Chenoise, y passe la journée du 14 juin sans être engagée. Elle en part à 17 heures, pour Villeneuve‑la‑Guyarde (9 kilomètres sud‑est de Montereau) où elle arrive vers 21 heures, tandis que le 25e bataillon de chars (1re demi‑brigade) est sérieusement accroché à Bray‑sur‑Seine par les blindés adverses.
De son côté, la compagnie d'échelon a poursuivi le déplacement commencé la veille avec la colonne de la base arrière. Passée à Rozay‑en‑Brie vers 1 heure, elle atteint Mormant au jour, puis, par Pamfou, se rapproche très lentement de Montereau, où la circulation en avant des ponts est particulièrement difficile. Elle arrive vers 10, heures à Chevry‑en‑Serenne (15 kilomètres au sud de Montereau) et fait halte dans le parc du château.
Au cours de l'après‑midi, Montereau et Sens sont sévèrement. bombardées.
A 21 heures, les éléments arrière du bataillon font mouvement isolément par Ville‑Flambeau ‑ Egreville ‑ Ferrière et Griselle pour venir stationner dans la partie nord de la forêt de Montargis (P.C. Corbelin).
L'itinéraire, dans sa dernière partie, est très difficile : défaut de jalonnement, routes étroites. Une camionnette et le camion atelier‑magasin s'étant égarés, poursuivent en direction de Montargis. Ils ne pourront être récupérés qu'après l'armistice.
Tout au long de la nuit, les incendies de Sens éclairent sinistrement l'horizon au nord‑est.

Journée du 15 juin.
Tandis que se poursuit la retraite générale, mission est donnée à 72 heures à la division de barrer les routes Sens‑Nemours, et Sens-Montargis.
La compagnie de marche participe tout au long de la journée avec le 5e B.C.P. à la défense des passages de l’Yonne en avant de Villeneuve‑la‑Guyarde (ponts de Misy et de Champigny).
Dès les premières heures du jour, elle subit à Champigny un violent bombardement d'avions au cours duquel les escadrilles italiennes apparaissent pour la première fois.
Vers midi, le pont de Champigny est détruit par nos soins. Il en est de même peu après de quelques autos‑mitrailleuses allemandes, à inscrire à l'actif du sergent Mithouard.
A 22 heures, la 3e demi‑brigade se décroche pour venir à Cherroy où elle arrivera le 16, vers 3 heures. La compagnie de marche dispose toujours de ses huit chars.
Le 15 juin, les éléments arrière stationnent à Corbelin et dans les bois voisins. Nombreuses incursions d'avions, ennemis sur la région, en particulier sur l'axe Sens ‑ Montargis.
L'exode civil et militaire s'amplifie. Il est indispensable de mettre un peu d'ordre dans la circulation, même sur les petites routes en lisière nord‑est de la forêt de Montargis.
A 20 heures, commence pour la compagnie d'échelon un nouveau et important déplacement qui, par Châteaurenard, Châtillon‑Coligny, Gien, doit l'amener dans la région d'Autry‑le‑Châtel (10 kilomètres sud de Gien) avec la base arrière de la division.
Dans les premières heures de la nuit, le mouvement s'effectue sur un itinéraire à peu près libre et sans difficultés notables. Il est marqué cependant par un accident mortel, le chasseur Truyens, de la 1re compagnie, descendu imprudemment de son véhicule au cours d'un arrêt à Châteaurenard, ayant été écrasé au départ.

Journée du 16 juin.
Après Châtillon‑Coligny, la marche se ralentit considérablement.
Il est grand jour quand la colonne, arrivée depuis plus d'une heure devant Gien, peut s'insérer, à l'intérieur même de la ville, dans le flot qui, descendant par la route nationale 140, se presse vers le pont de la Loire. Bien soudée, elle le franchit sans encombres alors que les abords et les parapets ont déjà été atteints par les bombes d'avions.
Passée à Autry‑le‑Châtel (P.C. de la base arrière) où elle reçoit son point de destination, la C.E. 34 vient stationner dans les bois non loin de Saint‑Brisson.
Le chasseur Truyens est inhumé au cimetière d'Autry‑le‑Châtel.
Dans l'après‑midi, grosse activité de l'aviation ennemie sur les ponts de la Loire (Gien, Châtillon).
Ce même jour, 16 juin, les éléments de combat de la division à l'arrière‑garde, du 17e C.A. (VIe armée) ont mission de barrer les itinéraire principaux venant du nord‑est (Sens) en direction de Gien. Menacés plus particulièrement sur leur flanc droit par l'avance ennemie, très souvent accrochés tout au long de la journée, ils se replient par bonds successifs d'abord sur l'Ouane et le Loing, puis, la nuit venue, sur la Loire (Gien).
La 3e demi‑brigade, qui a quitté Chérot vers 8 heures, arrive à Montcresson (12 kilomètres sud ‑ sud‑est de Montargis) sur le Loing aux environs de midi.
A Chéroy, par ordre de la division, elle a laissé 4 chars de la compagnie de marche du 34e bataillon à la disposition d'un groupe de reconnaissance accroché par les blindés ennemis.
Ce petit détachement, aux ordres du capitaine Chauvin, disparaît vers 17 heures aux environs de Montargis dans un engagement contre des Pzkw IV et avec lui le sergent Perrin (blessé), les lieutenants Rougée et Jeanguillaume, le caporal Massonnière et quelques autres (prisonniers).
Les quatre autres chars, sous les ordres du sergent Colin, rejoignent le 5e B.C.P. à Monteresson. Là, ils subissent un tir d'artillerie et ont affaire à quelques autos mitrailleuses.
Peu après minuit, les éléments de combat, de la division se replieront sur Gien avec comme point de destination la région de Villegenon (30 kilomètres sud de Gien).

Journée du 17 juin.
Le 5e B.C.P. et les quatre derniers chars de la compagnie de marche quittent Montcresson à 1 heure. Deux chars sont à bout de souffle, l'un doit être détruit par son équipage, l'autre est pris en remorque.
La marche est rendue encore plus lente par l'embouteillage des routes.
Un char est engagé pour aider au décrochage d'un groupe d'artillerie qui a pris position afin de répondre au feu de l'artillerie ennemie.
Serrant de près nos derniers éléments, les Allemands se rapprochent de Gien.
Ce qui reste du 5e B.C.P. franchit le pont à 19 heures. Il saute à 19h45, alors que les trois derniers chars de la compagnie, n’ont pu y parvenir par suite de la cohue qui règne dans la ville.
Leurs équipages, après en avoir lancé deux dans la Loire peuvent en partie franchir le fleuve utilisant le tablier du pont de chemin de fer également détruit.
La compagnie de marche du bataillon n'existe plus.
Le 17 juin, aux premières heures du jour, la base arrière s’est portée par Autry, Blancafort, Vailly‑sur‑Sauldre, dans la région de Villegenon. Déplacement très lent sur une route étroite et encombrée, mais fort heureusement masquée par le brouillard. Vers 10 heures, la C.E. 34 s'installe sous les couverts auprès des hameaux de la Gaucherie et des Poupardins.
Dans l'après‑midi elle récupère un char transporté jusque‑là par le 25e bataillon et elle doit assurer le transport d'un char inerte du 1er bataillon.
A partir de ce moment, elle traîne ou transporte trois chars inertes (dont un du 1er bataillon). Un quatrième char suit difficilement sur chenilles.

DE LA LOIRE A LA CREUSE ET A LA VIENNE.

A 20 heures, la base arrière commence un ample mouvement de repli qui doit la porter, par la Chapelle‑d'Angillon, Vierzon, Issoudun, dans la forêt au sud de Châteauroux, tandis que les éléments de combat ont mission de venir, le 18 juin, s'établir sur le Cher à hauteur de Bourges (ponts de Sainte‑Thorette et de Villeneuve).

Journée du 15 juin.
Le mouvement de la colonne automobile est difficile (nombreux embouteillages, notamment à Vierzon et à Issoudun). Elle n'arrive dans sa nouvelle zone de stationnement qu'à 11h30. Quelques véhicules, très fatigués, rejoignent tardivement, le char sur chenilles en piteux état à 20 heures. Il en est de même pour le Somua ramenant un char avarié.
Enfin, ce déplacement liquide trois motocyclettes sur les quatre qui restaient au bataillon.
Dans l'après‑midi, quelques ravitaillements sont effectués au profit des éléments avant. A partir de ce jour, le réapprovisionnement en carburant, plus spécialement en gas‑oil, devient très difficile.

Journée du 19 juin.
Les éléments de combat de la division, arrêtés sur le Cher le 18 juin en fin de matinée, se sont portés en avant dans l'après‑midi jusqu'à Bourges, pour assurer la défense de ce nœud de routes important directement menacé par l'avance ennemie.
Le 19 juin, au matin, sans avoir été accrochés, ils quittent la ville déclarée "ouverte" pour venir s'établir à nouveau vers midi sur le Cher.
Au cours de l'après‑midi, l'aviation ennemie est très active sur toute la région comprise entre le Cher et Châteauroux. La base arrière de la division est toujours dans la forêt de Châteauroux. La C.E. 34 profite de cette stabilité relative pour évacuer sur le parc de chars d'armée, deux chars 35 R inertes, dont celui appartenant au 1er bataillon.
En fin de journée, l'ennemi a franchi au nord‑ouest le Cher à Selles-sur‑Cher tandis qu'en direction du sud‑est, il se rapproche de Montluçon.
Le Commandement décide, en conséquence, pour la nuit du 19 au 20, un nouveau repli qui portera les arrière‑gardes d'abord sur l'Indre, puis sur la Creuse de part et d'autre d'Argenton.
 
Journée du 20 juin.
La compagnie d'échelon quitte à 3 heures avec la base arrière le stationnement de la forêt de Châteauroux. Par Bouesse, Argenton‑sur‑Creuse, Rhodes, elle vient stationner vers 10 heures à Beaulieu et dans les hameaux voisins.
Le Somua, très fatigué, a rejoint péniblement. Il faut charger sur camion le char indisponible qu'il remorque.
Ce même jour, à partir de midi, tous les éléments de combat de la division sont sur la Creuse, en avant et à proximité d'Argenton.
L'ennemi a pris pour la dernière fois le contact avec nos éléments la veille, au moment du décrochage sur le Cher.
L'aviation italienne réapparaît. Pas de bombardement, sur la région d'Argenton, tout au moins.

Journée du 21 juin.
Dans la matinée, le C.E. 34 effectue des ravitaillements au bénéfice des éléments avancés, dont la compagnie de Miramon (5 chars du 53e B.C.C.) rattachée depuis le Cher à la 3e demi‑brigade.
En fin de journée, 2 camions porte‑chars de la compagnie de transport n°79 viennent à Beaulieu pour procéder à l'évacuation des deux chars inertes que les moyens du bataillon ne permettent, plus de transporter. Le transfert des chars, sur ces camions dépourvus de cabestans, exige une manœuvre longue et délicate, menée à bien par le lieutenant Debionne, chef de la section de dépannage.
Le bataillon n'a plus de chars.
En fin de journée, à 23 heures, départ de la colonne de la base arrière pour la région de Solignac (sud‑est de Limoges). Itinéraire par Château-ponsac ‑ Saint‑Pardo ‑ Le Palais. Ce déplacement amènera le bataillon à Mimolles, son dernier cantonnement de la guerre.
Journée calme pour les éléments avant à Argenton.
Au soir, la division reçoit l'ordre de couvrir le repli du 17e corps d'armée qui se poursuit, pour atteindre successivement, la Gartempe et la Vienne.

Journée du 22 juin.
Cette mission remplie sans qu'il y ait eu d'ailleurs contact avec l'ennemi, les éléments avant franchissent la Creuse à partir de minuit pour venir s'installer dans le triangle routier Le Ruffec ‑ La Souterraine ‑ La Croisière, où ils arrivent à partir de 8 heures.
Journée absolument calme utilisée à faire le bilan de ce qui reste (éléments avant, base arrière) tout en organisant la défense éventuelle des itinéraires les plus dangereux.

Journée du 23 juin.
Le détachement (personnel et matériel) appartenant au P.C. arrière de la 3e demi‑brigade, rattaché depuis le 10 juin à la C.E. 34, rejoint le commandant de la demi‑brigade à Arnac‑la‑Poste.
Quelques opérations de ravitaillement au profit des éléments avant.
 
Journée du 24 juin.
Veille de l'armistice. Les Allemands qui ne semblent pas avoir dépassé Argenton‑sur‑Creuse, sont à Clermont‑Ferrand et Angoulême.
Le Commandement envisage un nouveau repli qui doit nous porter le lendemain sur la Dordogne, à 130 kilomètres sud ‑ sud‑est de Limoges.
Mais, à 23 heures, parvient du P.C. de la division l'ordre reproduit ci‑après :
Groupement CUIRASSÉ. Q.G., le 24 juin 1940, 22 heures.
1re D.C.r.
E.M., 3e Bureau. URGENT.
N° 4849/3 S.
ORDRE GÉNÉRAL.
L'Armée communique ce qui suit :
Hostilités cesseront le 25 juin, à 0h35. Suspension de tous mouvements.
3e DEMI‑BRIGADE Général de brigade WELVERT.

ÉPILOGUE

Le 26 juin, la base arrière effectue son dernier déplacement, cette fois vers le nord, pour venir retrouver les éléments avant dans la zone de stationnement de la division.
Le bataillon, groupé tout entier autour de sa C.E., s'installe au cantonnement à Saint‑Sulpice‑les‑Feuilles et dans quelques fermes voisines.
Le capitaine d'Engente en a pris le commandement, en remplacement du capitaine Fauré, affecté comme adjoint technique à l'état‑major de la division.
Là commence, dans une région surpeuplée par les réfugiés, une période de détente, fort appréciée après les trois semaines de fatigues, d'insomnies et d'émotions que nous venons de vivre.
Le 27 juin, le bataillon au complet assiste, dans le plus grand recueillement à l'office funèbre célébré en plein air à la mémoire de ses, morts. Le sergent Gucker, un rescapé de Gien, assiste l'aumônier de la division.
Le soir, revue du général Welvert. Les compagnies se présentent de façon remarquable. Evoquant le combat de Lieuvillers, le général rend hommage à l'attitude de nos unités, engagées contre un ennemi plus puissant. Pour la première fois, nous apprenons que leur sacrifice n'aura pas été vain car, dans une large mesure, il a permis à la division de remplir sa mission de couverture des unités importantes se repliant au sud de l'Oise.
Ayant rappelé aussi la belle conduite des équipages de la compagnie de marche, il nous dit en quelques, mots comment, devant les malheurs de la patrie, nous devons désormais comprendre notre devoir. Et, lorsque précédées de leurs fanions, les unités défilent fièrement devant lui, l'émotion étreint tous les cœurs.
Dans les jours suivants, alors que commence la démobilisation des réservistes de la zone libre, les officiers d'active quittent le bataillon un à un. Seul, le lieutenant Cabanac y restera jusqu'aux derniers jours d'août pour assurer la dissolution qui s'effectuera auprès de Bourganeuf (Creuse). De très nombreux camarades originaires de la zone interdite doivent être encore dans cette région. Puissent‑ils, ainsi que nos prisonniers, revoir bientôt leurs clochers des Flandres ou de Lorraine, ainsi que ceux qui leur sont chers.
Tel est le vœu que forme, bien affectueusement pour eux, leur ancien chef de bataillon.
Albi, janvier 1941.