8e RÉGIMENT DE CUIRASSIERS
SOUVENIRS DE L'AUTOMITRAILLEUSE DE DÉCOUVERTE
PANHARD 178 - N° 99828
Je suis née en 1938 dans les usines Panhard et immatriculée sous le n° 99828.
Je fus affectée au 2e peloton du 3e escadron du 8e Régiment de Cuirassiers motorisés et Saint-Germain-en-Laye pour remplacer une A.M.D. LAFFLY-VINCENNES.
Après être passée à l’atelier du régiment où l’on me dessina une croix de Lorraine, insigne de la 2e Division Légère Mécanique, et un cœur vert bordé de blanc de chaque côté de mon blindage pour figurer le cœur du 2e peloton, le vert du 3e escadron, je fis la connaissance de mon premier équipage. Il était composé d’un chef de voiture, maréchal des logis Rezzi, d’un conducteur cuirassier Simonetti, d’un tireur cuirassier Bora et d’un inverseur cuirassier Sansonnet ? Ensemble nous fîmes de belles promenades dans la région de Saint-Germain-en-Laye, par exemple à Saint Nom la Bretèche, Feucherolles, les Alluets-le- Roi- Plaisir-Grignon.
J’ai participé avec quelques-unes de mes sœurs à l’inauguration de la place Hoche, à Versailles. J’ai fait partie d’une présentation de matériel à Satory devant tout un aréopage de ministres et de généraux et où le "présentateur" était un certain colonel de Gaulle. On m’a également présenté à la promotion 1938 de l'Ecole de Saint-Cyr. Le 14 juillet 1939, j’ai défilé fièrement sur les Champs Elysées avec tout le régiment et bien d’autres unités devant leurs Majestés le roi et la reine d’Angleterre et j’ai eu l’occasion de caresser légèrement et involontairement un cheval de la garde, qui ne fit même pas un écart. J’ai encore eu l’occasion de faire deux choses amusantes : la première un exercice d’embarquement sur wagon de chemin de fer ; la seconde une traversée de rivière sur un pont de bateaux installé par le Génie. Puis ce furent les grandes manœuvres du mois d’août 1939 où mon tireur a fait une magistrale démonstration de son flegme et de sa précision, tant à la cible fixe qu’à la cible mobile. Hélas, nous avons dû rentrer précipitamment au quartier avant la fin de ces manœuvres.
Sur la route des informations, nous arrivaient par bribes - j’entendais “Le Président du Conseil rencontre le Premier ministre britannique - la mobilisation n’est pas la guerre - Hitler ne bougera pas". A Saint-Germain, le quartier était en effervescence. Je repartis après quelques jours, mais sans mon chef de voiture qui avait été remplacé par le maréchal des logis Rosset, afin de lui permettre d’aider le sous-lieutenant Samson à organiser l’échelon B du 2e escadron. J’ai récupéré mon chef de voiture à Villeret, dans l'Aisne. Nous avons cantonné à Villeret-Nauroy Beaurepaire et, après un état d’alerte le 11 Novembre, à Vieux Rang. Puis, nous sommes arrivés à Louvroil près de Maubeuge et avons passé un hiver extrêmement rigoureux à Prisches. Le printemps est revenu et la drôle de guerre s’est achevée le 10 mai 1940, sans que quelque chose de notable soit à rapporter pendant cette période, sauf toutefois, un changement dans l’équipage. Après le départ de Simonetti pour une autre formation, Sansonnet a été promu conducteur et l’équipage a été complété par Ponsardin au poste d’inverseur, Bora restant au tir.
10 mai 1940, 4 heures, alerte, 5 heures 30, rassemblement des officiers et des chefs de voiture chez le capitaine Potier, commandant l’escadron. Les allemands sont entrés en Belgique et en Hollande depuis ce matin 3 heures. Tous les véhicules au chargement : armement, munitions, plein d’essence.
10h20 : rassemblement.
10h50 mission pour notre patrouille reconnaissance et action retardatrice sur l’axe Liège Namur, tenir cinq jours.
11h00 départ, nous quittons Prisches. Le sous-lieutenant Samson en permission, c’est le capitaine Potier qui prend le commandement du détachement. Ce détachement est formé d’une première patrouille comprenant l’A.M.D. du maréchal des logis Salle, un groupe moto et l’A.M.D. du brigadier-chef Poupault, d’un groupe PC. comprenant la voiture radio du capitaine et trois agents de liaison moto, d’une deuxième patrouille comprenant moi-même avec le maréchal des logis Roui, un groupe moto sous les ordres du sous-lieutenant de Feuillade et l’A.M.D. du brigadier-chef Vermet.
13h00 après être passé à Landrecies, Maroilles, Louvroil, Maubeuge, nous rentrons en Belgique. L’accueil est enthousiaste.
17h15, Gembloux, nous réquisitionnons un plein d’essence à une station service. Les stukas bombardent la gare et l’usine à gaz. Ça fait un bruit infernal de sirène et d’explosions. C’est, paraît-il, le baptême du feu et du feu y en a partout.
11 mai, pas de ravitaillement, le maréchal des logis achète des oranges, c’est tout ce qu’il y aura à manger et à boire pour l’équipage. Par contre, il ne manquera pas de cigarettes généreusement offertes par les habitants des pays traversés.
9h10, rassemblement, direction Liège.
13h00 Voroux, Goreux, à une dizaine de kilomètres de Liège, le capitaine me désigne pour faire une reconnaissance sur Liège accompagnée par le side-car du maréchal des logis Ropars. Nous voyons pour la première fois des cadavres, des civils, hommes femmes, enfants, ils sont là 7 ou 8, fauchés le long du talus. C’est la pagaille, armée belge, les civils refluent dans un désordre indescriptible. Des chevaux morts nous barrent la route, je passe dessus - quelle horreur- un gamin blessé pleure sur le cadavre de sa mère. Liège est bombardé presque sans discontinuer depuis 3h00 ce matin. Les allemands sont dans la ville. Nous les voyons. Ropars va rendre compte. Je fais demi tour. Nous sommes mitraillés par l’aviation. Pas de dégât. Retour à Voroux. On se replie. Je ne démarre pas. Un motard signale ma panne. La voiture radio du maréchal des logis Cochin vient me dépanner. A entrée d’Huy, dans la nuit, le capitaine me laisse aux ordres du 1er Dragons pour garder un pont qui doit sauter.
12 mai, le pont ne saute pas. Le Génie attend les ordres. L’ennemi est en face. Cinq tirs de 25 et trois rafales de mitrailleuse sur un véhicule léger qui fait demi-tour. Plus rien.
13 mai, 6h00, l‘équipage a passé une mauvaise nuit. Des éléments du 1er Dragons, du 8e Zouaves et dont ne sait trop quelles unités sont passées jusqu’à 3h00 du matin, plus ou moins mélangés aux civils qui fuient. Depuis plus rien ne passe. Calme plat. A 6h00 essai de démarrage, rien à faire, c’est la panne. Des coups de feu sont tirés derrière nous. Le pont est toujours là. Le Génie est parti. Les allemands ne se montrent pas. Les Dragons décrochent. Ils vont signaler ma panne. Pas de ravitaillement. Rien ne bouge. C’est angoissant. 14h00 l’A.M.D. du brigadier-chef Poupault arrive à notre hauteur. Il nous a fait peur, mais me prend en remorque. Nous décrochons.
14 mai, nous avons perdu notre détachement. Nous marchons en direction de Namur, 8h00, nous rencontrons le général Lacroix, commandant la 4e B.L.M. Le maréchal des logis lui rend compte des positions allemandes. Il nous envoie porter un pli au capitaine de La Barrière, 1er Dragons, à Courcelles. Le général nous apprend que le sous-lieutenant Samson a été tué. C’était notre chef de peloton.
9h00, nous sommes aux ordres du capitaine de La Barrière. On me répare (démarreur grippé).
10h00, chars allemands en vue, ils sont trois. Nous les stoppons. Il semble que l’ennemi ne cherche pas le combat.
17h00, les SOMUA nous relèvent.
15 mai, j’escorte un convoi du Génie. 17h00 garde au P.C. du général.
16 mai, au matin les chars allemands approchent, ordre de repli. Je retombe en panne. Réparation. Saleté de démarreur. Nous avons perdu la colonne. Direction Namur. Personne devant, personne derrière. Nous passons la nuit dans un bois. Pas de ravitaillement. Plus beaucoup d’essence.
17 mai, 3h00 du matin. Des chars Hotchkiss arrivent sur nous, heureusement que Bora n’a pas tiré. Nous mettons aux ordres d’un commandant du 29e Dragons.
10h00, nous approchons de Namur. Les belges nous tirent dessus. Nous agitons nos fanions. Le terrain est miné. Les allemands sont tout près. Les Hotchkiss et nous, tirons sur la lisière d’un bois à 200 mètres. La réplique est immédiate. Un char du 29e est touché. Nous restons à couvert tout en arrosant la lisière toutes les 10 mn.
14h10, rassemblement. 14h25, nous entrons dans Namur. Pas de 8e Cuirs. Toilette pour les hommes, plein d’essence pour moi, repas enfin pour eux. 16h00, trente chars allemands signalés dans Namur, paraît-il. Est-ce vrai ?
18 mai, nous sommes à nouveau aux ordres du capitaine de La Barrière, 1er Dragons. Nous quittons Namur, direction Wepion, Fraire, Chastres. Les allemands sont partout, il faut se battre, c’est dur.
19 mai, nous passons la frontière à Hestrud
17h05. Une voiture légère me fait signe de la suivre. C’est le colonel Mono. Enfin, nous retrouvons le 8e Cuirs à 19h20 au château de Berelles. Nous sommes aux ordres du lieutenant Du Bois Péan. Je marche mal.
22h00, Départ, je prends position à Louvroil.
20 mai, 6h20. Un char Hotchkiss arrive en renfort, je suis à défilement de tourelle à gauche de la rue. Le char se poste à droite. 7h05 un char allemand arrive face à nous à 25 m, canons et mitrailleuses crachent. Il est surpris. Il semble qu’il ne puisse manœuvrer. Feu. Feu. Lui tire sur le char Hotchkiss. Il n’a pas pu me voir. Vas-y Bora continue, il ne peut plus bouger. Des hommes tentent de sortir. Notre mitrailleuse arrose à tout va. Le char Hotchkiss en fait autant. Le calme revient. Combien de temps a duré le combat, je ne sais. Le lieutenant Caboat arrive en side-car, personne ne bouge. Il va jusqu’au char allemand, fait une rapide inspection et revient, au passage il lance "bon travail" et repart. Nous, nous restons. Un agent de liaison moto nous apprend que le maréchal des logis Cochin vient d’être tué. Il est midi.
11h30, repli. Direction Cambrai, Bavay est en flamme, Valenciennes, Saint-Amand, Orchies.
18h00, Douai. Réfugiés et troupes sont mélangés. C’est la pagaille. Je perds la colonne. Un sous-officier du 75e GRDI nous arrête. Il informe que les allemands sont dans Cambrai. Nous recherchons le détachement et ne pouvons guère avancer à cause des encombrements, c’est désolant. 7 km avant Cambrai rencontre avec le capitaine de Bourboulon et ses camions. Cambrai est prise. Nous retrouvons la colonne, direction le château de Gouy-sousBois. Il fait nuit.
21 mai, matin, direction Vitry en Artois. Je suis de garde sur un pont, sous les ordres du sous-lieutenant de Feuillade. Nous sommes bombardés, le terrain d’aviation est salement touché. Heureusement que mon plein a été fait avant le bombardement du terrain.
22 mai. Garde au PC. du colonel. RAS.
23 mai. Garde au PC. du colonel. RAS.
24 mai. Sainghin, l'équipage peut faire une espèce de repas et un peu de toilette. 21h30 reconnaissance sur Arras aux ordres du lieutenant Du Bois Péans. Arrêt à Bailleul, Sire, Bertoult.
25 mai. Reconnaissance sur Thelus, Neuville, St Vaast, Mont St-Eloi, Camblai Abbé. Les allemands sont dans Arras. Retour à Sainghin. Après-midi félicitations du général Blanchard. Pourquoi ? . . Le général Bougrain informe que l’armée du nord est encerclée. Passerons-nous à Cambrai ?
26 mai. 7h00. alerte. 7h30, départ direction nord et Cambrai ? 7h40, arrêt les chefs de voitures au lieutenant - itinéraire Carvin, Hénin, Liétard, Lens, La Bassée, Fourmies, Armentières, Ypres, qu’est-ce que ça veut dire ? - les belges ont demandé l’armistice.
9h40. Nous entrons à nouveau en Belgique. Lens et Armentières sont en flammes. A Ypres, nous allons en direction de Meenen. Arrêt à Geluveld. Il n’y a personne, tout est calme. Pour moi, reconnaissance sur Meenen. Voir et rendre compte. Il est 13h05.
A Geluwe contact avec les allemands. Canons, mitrailleuses. Ils se replient, nous continuons. Nous voyons à Meenen, une très importante colonne allemande qui se dirige en direction de Tourcoing. Des automitrailleuses, des camions, des motos, ils vont vite. Un temps mort, puis arrive un petit convoi. Nous tirons, ils n’ont pas l'air de nous localiser. Feu. Feu, deux automitrailleuses et trois motos semblent rester au tapis. Je décroche et vais rendre compte.
17h30, nous sommes attaqués. Le 1er Dragons est avec nous.
18h10, trois chars allemands se présentent à 350 m environ. Feu. On nous bombarde, un éclat fait une coupure au pouce droit de mon chef de voiture. Mon canon fait des coups au but à plusieurs reprises.
A la nuit, repli sur Ypres et direction la Bassée.
27 mai, nous avons passé la nuit à la Bassée. L’artillerie n’arrête pas de nous bombarder. Un obus tombe sur le PC. du colonel. Gobet est blessé aux jambes.
11h40, nous quittons la Bassée. L’aviation nous bombarde, mon aile avant droit est arrachée.
14h15, Vlamertinge. Nous sommes au contact Les allemands sont à 400 m. Mitrailleuse. Nous fonçons sur Poperinge.
29 mai. L’équipage et quelques soldats perdus font un méchoui dans un pré aux environs de Poperinge.
Un soldat anglais fait voir sa montre et dit bridge. Boum ! ... Nous nous dépêchons de passer. 14h00, nous avançons sur lsenberge. 15h05 les stukas nous attaquent. Trois blessés graves Garder, Plagnard et Ballet. Le camion des cantines est détruit. Adieu les affaires personnelles. Nous roulons de nuit vers Fumes. Ça bombarde de partout.
30 mai. La Panne (c’est un pays pas un gag). Des tas de véhicules sont abandonnés. Nous nous arrêtons. Toujours les stukas et les bombardements d’artillerie, ordre de saboter le matériel. La culasse du canon est démontée pour être jetée plus loin. Les mitrailleuses sont démontées, les pièces perdues dans les dunes. On me fait la vidange d’huile, tandis que mon moteur tourne. Je n’irai pas plus loin.
L’équipage s’éloigne et se dirige vers la mer. Malo, Dunkerque, peut-être ? . . . qui le sait. Ils ne se retournent pas mais je crois bien que plus d’un écrase une larme. Je vais mourir. Adieu.
A.M.D. 99823
Pour copie conforme
Raymond Rezzi (ancien du 8e Cuirassiers)