
LES BATAILLES DE LA LIBÉRATION
ET DE LA REVANCHE
AVEC LE 2ème CUIRASSIERS
VEILLÉE D'ARMES
(Septembre 1943-Août 1944)
Combien fut longue cette veillée d'armes ! Les jours s'enchaînant aux jours forgèrent d'interminables mois... Les rigueurs de l'hiver suivirent les pluies d'automne, puis, apparût de nouveau l'ardent soleil africain ; les chars se recouvrirent à nouveau de poussière, la nature haleta sous le souffle brûlant du siroco...
Une année presque passa, une année illuminée par des heures d'espoir, chèrement payées aussitôt par de longs jours de désespérance.
Ce fut pourtant une année de travail intensif : l'outil déjà au point reçut le suprême poli.
Qu'elles paraissaient mesquines cependant ces attaques spectaculaires dans la plaine de Relizane au Cuirassier jaloux des lauriers cueillis par ses camarades d'Infanterie, dans les montagnes d'Italie !
Il bouillait d'impatience, sachant combien ardemment il était attendu de l'autre côté de la mer, en France.
Quelle tâche ardue pour les Officiers que de calmer l'énervement généreux de la Troupe !
Ne grognaient-ils pas aussi fort lorsqu'ils se trouvaient à l'abri des oreilles indiscrètes ? N'étaient-ils pas en lutte permanente contre le découragement dont ils se sentaient gagnés ? Il leur fallait pourtant composer un visage
optimiste et souriant, trouver, chaque jour, des raisons nouvelles pour expliquer pourquoi se trouvait encore remis l'embarquement tant attendu...
C'est au cours d'une grande manœuvre dans la région d'Uzès-le-Duc, en présence de Monsieur Diethelm, Ministre de la Guerre, du Général Patch, Commandant la VIIème Armée Américaine et Général de Lattre de Tassigny, que le 2ème Cuirassiers apprit la sensationnelle nouvelle du débarquement du 6 Juin.
Enorme déception certes, de ne pas avoir eu l'honneur d'appartenir aux élus qui mirent les premiers, sur le sol Français, mais aussi, immense joie... Joie de savoir déjà libres quelques arpents de notre sol, joie d'avoir désormais la certitude de participer à la lutte sacrée....
Le Régiment allait se porter en effet, dès le 8 Juin, dans les environs d'Oran, pour s'installer aux "areas", cette zone d'attente des Troupes destinées à être embarquées.
Il allait enfin voir se réaliser son rêve.
ORDRE DE BATAILLE DU 2ème CUIRASSIERS AU JOUR DE L'EMBARQUEMENT
CHEF DE CORPS : Lieutenant-Colonel DUROSOY
ETAT-MAJOR
Commandant en second : Chef d'Escadrons DE LAPRADE
Capitaine Adjoint : Capitaine KAMINSKI
Chef du Service Automobile : Chef d'Escadrons QUINIOU
Officiers de liaison: Lieutenant CAPPONI, Lieutenant DE LATOUR
Réserve de cadres : Chef d'Escadrons ARNOUX DE MAISON ROUGE
Officiers de renseignements : Capitaine DEMEUNYNCK, Aspirant CALIA
Officiers de Transmissions : Sous-Lieutenant RADIX, Sous-Lieutenant BARRAL
Chef de peloton de 57 anti-chars : Sous-Lieutenant GHALEM
ESCADRON HORS-RANG
Capitaine Commandant : Capitaine DE LAFORCADE
Officier de Détails : Sous-Lieutenant FLAMAND
Officier d'approvisionnement : Lieutenant GUERIN
Officier d'échelon : Lieutenant BERARD
Officier d'essence : Lieutenant CAMBRIELS
Service de santé : Médecin-Lieutenant DELOUPY, Médecin auxiliaire BARROT
1er ESCADRON
Capitaine Commandant : Capitaine DU BOISPEAN
Officier d'échelon : Lieutenant HENRIOT
Chefs de peloton : Sous-Lieutenant GOUAILHARDOU, Sous-Lieutenant MARTIN, Adjudant-Chef ZEISSER
2ème ESCADRON
Capitaine Commandant : Capitaine FOUGERE
Officier d'échelon : Lieutenant MONIER
Chefs de peloton : Lieutenant LAPORTE, Sous-Lieutenant MOINE, Sous-Lieutenant CATTANEO, Aspirant BOURLON
3ème ESCADRON
Capitaine Commandant : Capitaine DE BOISREDON
Officier d'échelon : Lieutenant BUTRUILLE
Chefs de peloton : Lieutenant AVENATI, Sous-Lieutenant MOUSNIER, Adjudant-Chef MOUTY, Aspirant DUWEZ
4ème ESCADRON
Capitaine Commandant : Capitaine ARDISSON
Officier d'échelon : Lieutenant DE TINGUY DU POUET
Chefs de peloton : Lieutenant D'ANNAM, Sous-Lieutenant GIRAUD, Sous-Lieutenant GÉRARD, Aspirant VIROT
En Mer
(10-15 Août 1944)
Le 2ème Cuirassiers est en mer...
Les étraves des lourds L.S.T. fendent sans hâte les flots paisibles et bleus de la Méditerranée.
Les Capitaines Commandants ont lu à leurs Escadrons rassemblés, l'Ordre N° 32 du Colonel.
Les mêmes mots ont retenti sur chaque bâtiment, accueillis, sur chaque bâtiment, avec la même " Mission sacrée... "
"Aidez tout ce qui vous aide et vient à vous...
"Détruisez tout ce qui vous résiste..."
" N'oubliez jamais que vous vous battez sur le sol français"
Les côtes africaines défilent au loin, le long des L.S.T....
Impression étrange que celle de ne plus être qu'un tout petit rouage d'une prodigieuse machine enfin mise en branle, que rien ne peut plus arrêter dans sa marche lente, mais inexorable...
Quel symbole aussi, que cette marche de tous ces innombrables convois qui ont quitté les ports d'Afrique, ceux de Corse, ceux d'Italie, convergeant tous vers un même point ! Des plis secrets viennent d'être ouverts ; ils leur ont indiqué leur objectif...
La baie de St-Tropez... Souvenirs lointains de beaux jours de vacances... Vision de petites plages ensoleillées... St-Raphaël...St-Aygulf... Fréjus Plage... Ste-Maxime... Beauvallon... Quel décor imprévu pour une action de force !
N'oubliez jamais que vous vous battez sur le sol français...".
Sera-t-il possible de ne pas meurtrir ces sites riants, respirant si intensément la joie de vivre ?...
Quelle lourde responsabilité !...
Quel honneur, pourtant, que de faire partie de ce "Combat Command N° 1" qui, aux ordres du Général Sudre, sera le premier de l'Armée Française à fouler notre sol national, côte à côte avec ses frères d'armes du VIe Corps d'Armée Américain !
Honneur unique, dont il importe de se montrer digne...
"La France entière a les yeux fixés sur vous...".
Avoir la France pour juge... Quel magnifique stimulant ! Le 2ème Cuirassiers frémit de fierté... Il est prêt... Il est sûr de lui...
Il ne décevra pas... La nuit s'étend sur les flots, s'intégrant de plus en plus dans leur surface immobile et silencieuse.
Premiers Pas sur le Chemin de la Revanche
(16 Août 1944)
Le rêve a pris corps. Le 2ème Cuirassiers a débarqué...
Les Escadrons s'échelonnent dans les bois, en bordure de la route qui monte de Ste-Maxime, vers Plan de la Tour.
Comment s'est effectué ce débarquement ? Très simplement, très prosaïquement...
L'ennemi, complètement surpris par les vagues d'assaut d'Infanterie et de Génie de plage du VIe Corps d'Armée Américain auquel le C.C.1 est rattaché, n'a réagi que très faiblement. Les L.S.T., portant les chars du 2ème Cuirassiers, ont pu déverser tranquillement leur chargement sur la plage de La Nartelle. Seuls, les canons de l'armada rassemblée dans la baie de St-Tropez, ceux du "Lorraine", du "Georges Leygues", de l'"Emile Bertin" et de tant d'autres navires battant notre Pavillon, fraternellement unis aux puissants bâtiments alliés, ont rompu le calme de cette magnifique nuit d'Août, annihilant les dernières batteries boches.
Ce fut même trop simple, à tel point que la réalité semble n'être qu'un rêve.
Il y a pourtant ce site merveilleux de notre côte d'Azur, ces premières acclamations des populations libérées.
"Si vous saviez comme nous vous attendions !"
Ces mots retentissent dix, cent, mille fois. Ils frappent cependant, et émeuvent sans lasser.
A 15 heures, le 2ème Cuirassiers est prêt. Ses chars, leurs pleins d'essence terminés, poussent aussitôt de l'avant.
Ils gravissent allègrement la pente des routes en lacets des Maures. Le col de Vignon est franchi, la Garde Frenet, les Maillons, sont rapidement traversés, et, à 16 heures 30 un Peloton du 4ème Escadron, Escadron Ardisson, fait son entrée dans Gonfaron au milieu d'une population délirante d'enthousiasme. Des coups de feu éclatent cependant quelque part, déjà loin derrière lui. Ce n'est rien! c'est tout simplement une petite résistance boche, située dans un bois, au Nord de la route, à 3 km de là. Elle se manifeste après avoir laissé passer les premiers éléments du Régiment.
Elle est rapidement cernée. L'ennemi se rend. Le 2ème Cuirassiers a ses premiers prisonniers ; un Officier, dix-sept hommes.
Demain, 17 Août, le 4ème Escadron aura son premier combat; demain, le 2ème Cuirassiers teintera pour la première fois, de son sang, la route glorieuse qui le conduira de la Méditerranée au Rhin.
Ce sera l'opération du Luc.
Le Luc
(17 Août 1944)
"S'emparer du Luc et le tenir."
Tel est, dans sa brutale simplicité, l'ordre reçu par le 2ème Cuirassiers.
L'opération sera conduite par un Escadron de Chars moyens (ce sera le 4ème), la Compagnie Guinard, du 3ème Zouaves, une section du 88/2 Génie, une batterie du 1er Groupe du 68ème RAA.
Elle sera commandée par le Chef d'Escadrons de Laprade. Commandant en Second du 2ème Cuirassiers.
Il est sept heures.
Le peloton Giraud part en tête, suivi par une section de Zouaves. La route Gonfaron - Le Luc se déroule rapidement devant lui. Tout semble indiquer en effet que rien ne viendra entraver sa marche jusqu'au village, objectif de l'opération.
Là, il faudra par contre en découdre, des renseignements d'habitants signalant une forte résistance ennemie dans la région du cimetière, situé à l'entrée Sud du village.
Les chars de tête ralentissent, s'arrêtent, repartent prudemment.
Les premières maisons du Luc sont atteintes... Puis soudain, à la radio :
"Attention ! arme anti-char au coin du cimetière !"
Instantanément les cinq tourelles de Sherman pivotent. En même temps, deux éclairs successifs, deux détonations...
Aucun mal heureusement ! le " Valenciennes " et le " Vaucouleurs " n'ont été qu'effleurés.
La riposte est immédiate, inexorable. Le 88 allemand ne tirera plus. Ses servants gisent foudroyés.
Deux mitrailleuses de 20 sont, à leur tour, réduites au silence. Un dépôt de munitions saute...
Les prisonniers commencent à affluer.
Le nettoyage se poursuit en vue d'éliminer des tireurs isolés, dispersés sur les crêtes dominant le village et ses abords sont progressivement occupés.
L'ennemi tient cependant encore la région s'étendant à l'Est du Luc, où opère le VIe Corps d'Armée Américain. Il s'agit de briser cette ultime résistance. Les pelotons d'Annam et Giraud lui font face.
Vers 14 heures, un éclair, une explosion, un nuage de fumée. Hélas ! Le Char "Tonnerre" est touché.
Débouchant du village au milieu des vignes et des bosquets, il a été atteint par un obus de 88 ; il brûle. Les Cuirassiers Millerand, Baclet et Bisbal, sont tués, le Maréchal-des-Logis Bernin, chef de Char, mortellement blessé. Seul le Cuirassier Ferrand, conducteur est indemne. Il sort du char, monte sur la tourelle, sous le feu de l'ennemi, réussit à dégager le Maréchal-des-Logis Bernin, le transporte à quelques mètres.
Mais le canon boche est repéré. Le Char "Tours" est chargé de venger nos morts. Au premier coup de 75, l'arme s'est tue.
Encore quelques obus et ses munitions sautent. A 18h30, toute résistance a cessé.
Le soir même, le communiqué de la B.B.C. annonce la prise du Luc.
Sur la Route de Marseille
(17 - 20 Août )
Les trois jours qui suivent l'opération du Luc, ces trois jours qui conduiront le 2ème Cuirassiers jusqu'aux faubourgs de Marseille, ne sont qu'une marche rapide, une irrésistible poussée en avant.
Les chars du Régiment n'ont guère à s'employer : toutes les tentatives ennemies pour s'opposer au " Combat Command N° 1 " sont impitoyablement brisées par leurs frères d'armes de la reconnaissance (Escadron André, du 3ème R.C.A.) ou du 3ème Zouaves ; ils n'ont pas à jeter leur puissance dans la balance.
Le 17 Août au soir, le 2me Cuirassiers cantonne à Flassans. Le 18 Août, il se porté sur Le Val qu'il atteint par Cabasse, l'abbaye de Thoronet et Carces. Le 3ème Zouaves qui lui ouvre le chemin en anéantissant une résistance ennemie dans la région des mines de bauxite, au Sud du lac Otto.
Le 19 Août, le gros du Régiment est à Bras, pendant que le 2ème Escadron entre dans Saint-Maximin.
Il continue, le même jour, à la tombée de la nuit, en direction de Meousnes, où il peut entendre les bruits de la bataille qui se livre à Toulon.
Il n'est pas question de faire du nettoyage dans cette région boisée et accidentée sous peine de perdre un temps précieux. On néglige systématiquement les petits éléments boches dispersés dans la montagne. Les convois de ravitaillement se trouvent ainsi parfois transportés en première ligne et sont obligés de combattre pour réduire les bouchons que l'ennemi dresse sur la route.
Le Chef d'Escadrons Quiniou, chef du service auto, est blessé au Val où le Régiment a cantonné la veille en montant à l'assaut d'un piton.
Le 20 Août, dès le lever du jour, le 2ème Cuirassiers fait mouvement sur Sygnes et le Camp.
Il s'en est fallu de peu qu'il ne soit fait appel à lui, mais la résistance ennemie du col de l'Ange s'effondre, une fois de plus, devant l'action foudroyante du peloton Schmitt du 3ème R.C.A.
Le mouvement reprend et le Régiment atteint, à la nuit, la banlieue de Marseille.
En s'endormant près de son char, le Cuirassier rêve au combat qu'il s'agira de livrer demain. Il l'envisage avec confiance, avec ferveur.
Libérer Marseille, toute proche, cette mission ne lui est-elle pas due ? Il ne veut pas penser un seul instant que le Commandement pourrait l'en frustrer. D'ailleurs le 2ème Escadron n'est-il pas déjà au contact sur la route d'Aubagne ?
Oui ! Demain, ce sera la journée d'Aubagne, cette journée victorieuse qui nous ouvrira la voie de notre grand port, de la deuxième ville de France.
Le Combat d'Aubagne
(21 Août 1944)
Cinq jours pour atteindre les portes de Marseille dont la libération était prévue, d'après les plans du Haut-Commandement, pour le quarante-cinquième jour après le débarquement... Le 2ème Cuirassiers qui s'attendait à une résistance acharnée, semblable à celle rencontrée par nos alliés, les premières semaines de la bataille de Normandie, acte le premier surpris de l'allure rapide des Opérations. Mais on s'habitue très vite au succès : parvenu à quelques 23 km de la grande cité phocéenne, sûr de sa force, toujours frais et dispos en dépit des longues étapes auxquelles il a fait depuis la nuit du 15 Août, le Régiment considère d'ores et déjà que la ville lui appartient.
23 kilomètres... Un tramway relie Marseille à Gemenos, où le P.C. du Colonel et les 3ème et 4ème Escadrons ont passé la nuit...
"Vous verriez Notre-Dame de la Garde sans cette " montagne ", disent aux Cuirassiers les habitants…
23 kilomètres, c'est si peu à côté des centaines déjà parcourus !...
La situation a pourtant manifestement évolué. Le 2ème Escadron est toujours stoppé devant Aubagne, sur la Nationale 8 :
c'est la première fois que les Sherman se heurtent à une résistance qu'ils ne parviennent pas à surmonter... N'est-il pas normal d'ailleurs que l'ennemi défende avec acharnement un objectif de cette importance ? Parvenus au P.C. du Régiment le 21 Août à 7 heures, les ordres pour la journée prévoient le débordement d'Aubagne par le Nord-Est et le Nord par un groupement aux ordres du Colonel comprenant les 3ème et 4ème Escadrons, la compagnie Tardy du 3ème Zouaves et une batterie d'artillerie, tandis que le Groupement Letang dont fait partie le 2ème Escadron, continuera à pousser vers Aubagne le long de la Nationale 8.
Gardant en réserve le 4ème Escadron et une section de Zouaves, le Colonel lance aussitôt le capitaine de Boisredon avec les pelotons Avenati et Mousnier et deux sections de Zouaves, par un petit chemin qui, partant de la Nationale 96 au Nord de Gemenos, se dirige vers la partie Nord de l'objectif. Le peloton Mouty, du 3ème Escadron, a l'ordre de suivre la Nationale 96 jusqu'au carrefour du Pont de l'Etoile, puis de se rabattre sur Aubagne par les Boyers.
L'opération se révèle aussitôt ardue. C'est tout d'abord le silence complet de la part du peloton Mouty que l'on sait seulement avoir dépassé le Pont de l'Etoile. Quant au détachement de Boisredon, il essuie des feux anti-chars violents dès son débouché de Gemenos. Sherman et Zouaves n'en progressent pas moins, manœuvrant avec méthode et précision.
Installé à proximité du carrefour de la Nationale 96 et du chemin Marchal-Aubagne, son axe d'attaque, le Capitaine de Boisredon suit pas à pas ses unités, les poussant alternativement en avant comme les pièces d'un jeu d'échecs.
La radio retentit d'ordres brefs : " Avenati, halte ! Feu sur le boqueteau à droite ! "
"Mousnier, en avant ! Feu sur la croupe boisée à droite des églises !"
Des éclairs... de la fumée... la terre vole dans le lointain... Une arme anti-char a été repérée sur la colline des églises : un énorme nuage de fumée se répand tout autour de sa position. On voit parfaitement à la lunette des Sherman le mouvement des boches... Puis, faisant un large bond, les obus éclatent le long d'une lisière de bois... " Mousnier, en avant ! "
Quelques centaines de mètres sont de nouveau franchis. Désormais un mouvement délicat pour les chars : une voie ferrée barre tout le terrain de combat, voie ferrée en remblai impossible à franchir en dehors du passage en-dessous dans lequel s'engage la route. Quel magnifique point de réglage pour les armes anti-chars ennemies et en particulier pour le canon de 88 déjà contrebattu à la lisière du bois qui fait face au défilé ! C'est le moment de demander aux Zouaves de précéder les Sherman qui les couvriront de toute la puissance de leurs canons...
Les Sections Loriot et Bisbal se déploient, avancent... Les silhouettes dispersées dans les champs s'amenuisent, se transforment en de tout petits points, disparaissent...
Recrudescence des tirs ennemis... Riposte brutale des Sherman, puis, progressivement, le calme, un calme relatif, certes, que ponctuent toujours des coups de canon ...
Depuis combien de temps ont débouché les Zouaves ? Où en sont-ils ? On consulte ensuite le cadran de sa montre, s'étonnant du court trajet des aiguilles alors qu'on attend depuis toute une éternité...
L'infanterie est certainement sur l'objectif... D'ailleurs, il est désormais impossible de tirer sans courir le risque de l'atteindre... Allons ! C'est notre tour... Le casque du chef de char disparaît dans la tourelle. Son doigt se tend vers le poussoir du poste de T.S.F. Puis c'est le micro que sa main approche de la bouche. Un dernier coup d'œil à la lunette vers le point lointain d'où tirait le" 88", puis l'ordre au conducteur : " En avant ! A droite tout de suite après le pont !
Fonce !..." Les dés sont jetés...
Secondes interminables... Le moteur tourne à plein régime... Une petite montée... Instant critique... On passe !... On est passé !... Le deuxième char démarre à son tour... Il passe lui aussi... L'ennemi n'a pas tiré... et pour cause... Nos braves Zouaves ont trouvé à la lisière du bois la pièce intacte mais ses servants déjà foudroyés par le tir des Sherman....
L'opération se poursuit à un rythme accéléré... Une portion de route toute droite... beaucoup trop droite... La manœuvre est heureusement possible grâce au remblai de son côté gauche et à quelques maisons... Tout à coup des fantassins ennemis à droite, dans les broussailles... A la mitrailleuse!... Courtes rafales... des corps étendus...
Désormais les maisons se resserrent, se transforment en rue... une plaque mutilée... Aubagne… c'est Aubagne !...
Un petit pont... à peine le temps de songer aux mines qu'il est déjà traversé..
Les Sherman se répandent deux par deux dans la petite ville dont les cloches sonnent à toute volée..
Tandis que la radio annonce les succès du détachement de Boisredon, des nouvelles beaucoup moins favorables hélas ! parviennent au P.C. du Colonel, du peloton Mouty : un char détruit, le " Paris", des blessés et des tués dont l'Adjudant-Chef Mouty lui-même, disent les premiers renseignements. Puis viennent quelques précisions : on apprend comment le peloton parvenu aux Boyers a été accueilli par des tirs d'armes anti-chars dès le débouché de ce village.
Rallié par l'Adjudant Bourguignon à la mort de son chef, il en tient les sorties Sud face à Aubagne et à des éléments ennemis fortement organisés au lieu dit l'Evêché.
Le Colonel met aussitôt en route la section de Zouaves jusque là en réserve, puis, un peu plus tard, le peloton de mortiers de l'Etat-Major du Régiment. Moins mauvais sont les renseignements provenant du 2ème Escadron, mais, gêné par des champs de mines et de violents tirs anti-chars, il n'a presque pas progressé.
13 heures 30. Toute la partie Nord d'Aubagne est à peu près nettoyée. Dans les rues, des groupes de prisonniers que rassemblent les Zouaves ; quelques jeeps commencent à passer ; les ambulances chargent les blessés déposés à la hâte dans le hall d'un cinéma. Le peloton Mousnier qui a pénétré le premier dans l'objectif, en a déjà atteint la sortie Ouest sur la Nationale 8.
Pendant ce temps le peloton Avenati a poursuivi vers la partie haute de la ville où un baroud sévère se déroule encore du côté des églises. Guidés par les F.F.I. intrépides, debout sur la plage arrière du moteur, les Sherman se sont engagés sur la route du cimetière. Une batterie qui tirait vers l'Est est prise à revers. Explosions des obus d'un camion de munitions incendié... fâcheux contre-temps qui empêche de passer !... Mais c'est déjà la perspective d'un nouveau travail : les F.F.I. signalent un P.C. boche. Les 75 entrent en action, les Zouaves bondissent... Quelques minutes et des silhouettes vertes se profilent dans l'encadrement d'une porte : ils sont 67...
16 heures, intervention du Thabor " Hubert" qui, descendu des hauteurs Nord d'Aubagne, pour prendre part au nettoyage, renfort d'autant plus apprécié que l'Allemand contre-attaque violemment. Cette action désespérée est stoppée et, vers 16 heures 30, toutes les sorties de la ville sont atteintes tant à l'Est qu'au Nord. La situation n'en demeure pas moins assez confuse aussi bien dans Aubagne elle-même, où le nettoyage se poursuivra jusqu'à la nuit, que dans ses environs immédiats. Le 2ème Escadron continue ainsi à peiner sur la Nationale 8.
" Je viens d'être très fortement contre-attaqué" rend compte à 16 heures 30, le Capitaine Fougère
" Deux de mes chars sont sautés sur des mines".
" Est-il vrai que vous êtes blessé ?" lui demande-t-on. "
" Oui, mais c'est peu de chose. Ils m'ont tué par contre mon petit Wolsach...". La blessure du Cuirassier Wolsach, fidèle conducteur du Capitaine Fougère, dont le visage sympathique est connu de tout le Régiment se révélera heureusement moins grave qu'elle n'aura paru de prime abord. Il y a un autre blessé au 2ème Escadron qui est le Maréchal-des-Logis Camy ; quant au 3ème Escadron ; l'opération d'Aubagne lui aura coûté deux tués, l'Adjudant-Chef Mouty et le Cuirassier LLombart et huit blessés, l'Aspirant Duwez, le Maréchal-des-Logis Bonvillain, le Brigadier-chef Trouchaud et les Cuirassiers Bondurant, Treilhou, Perot, Justice et Pasquier.
Le mardi 22 Août, à l'issue d'une nuit sans sommeil par suite des tirs de harcèlement de l'artillerie ennemie, les Cuirassiers repassent à l'attaque. Cette fois, c'est la fin ; le dernier foyer de résistance, une pièce de 88 sous casemate au cimetière de la ville, est réduit à 11 heures. La route de Marseille s'ouvre devant le Régiment.
Dans les rues de Marseille.
(23 - 25 Août 194)
Dès l'après-midi du 22 Août, le 2ème Cuirassiers s'engouffre dans la brèche ouverte à Aubagne. Evitant la route directe de Marseille, il suit celle du Nord, celle de Camoins. Le chemin lui est ouvert par le 4ème Escadron et le Bataillon Martel du 7ème R.T.A.
Toute la population de cette banlieue de Marseille est là, formant la haie à son passage.
Les traits, tirés par la fatigue, se détendent sous les acclamations enthousiastes qui suivent sans discontinuer nos chars.
Les Cuirassiers sont bien payés de leurs peines ! Cette joie de la délivrance qui se lit sur tous les visages, n'est-elle pas leur œuvre ?
Les fleurs recouvrent les engins. A chaque arrêt, ils se transforment en véritable grappe humaine. Chacun veut voir de près, chacun veut toucher ces hommes forts devant qui tremble l'oppresseur honni.
La nuit tombe cependant et le Régiment s'installe à La Valentine.
Le lendemain, 23 Août, c'est Marseille.
A plein moteur, les chars du 4ème Escadron ont dévalé le boulevard de la Madeleine. A 9 heures, ils sont, bons premiers sur la Cannebière, à l'église des Réformés.
Le 3ème Escadron continue cependant le nettoyage de la banlieue. Il dégage le carrefour de Saint-Marcel, détruit plusieurs armes anti-chars.
A 15 heures, tout le Régiment est dans Marseille. L'enthousiasme de la foule atteint son point culminant. Les mères tendent leurs enfants aux baisers de leurs libérateurs. Il y a bien longtemps que les fleuristes ont été dépouillés de toutes leurs fleurs... Jamais semblable communion n'a été réalisée entre un Peuple et son Armée.
Le boche cependant ne veut pas s'avouer vaincu. Il tient toujours de très nombreux quartiers de la ville. Il tient les forts. La Cannebière devient vite un no man's land infranchissable sous les coups directs du Fort St-Nicolas. Des rafales de mitraillette retentissent ; des grenades éclatent sur la chaussée ; des éclats de fusants couvrent les rues.
Le 2ème Cuirassiers, rassemblé tout au long du boulevard Longchamp, ronge son frein. Seuls, deux pelotons ont été envoyés à la Préfecture, à la Poste, au Vieux Port. Des chars patrouillent autour de la Cannebière.
De temps en temps, l'aboiement rauque des 75 fait taire tel ou tel boche impertinent qui a osé choisir, pour se poster, une maison de cette zone dont les Sherman enchaînés ont fait leur fief.
Quelle misère, l'inaction de ces deux longs jours !
Dans la soirée du 24 Août, vient enfin l'ordre d'opérations si impatiemment attendu. La réduction du boche va commencer. Elle sera entreprise demain, méthodique, implacable. Le 2ème Cuirassiers quittera Marseille dans la nuit ; il fera le tour de la ville et y reviendra par l'Est. Demain, il s'agira d'abord de priver l'ennemi de son meilleur observatoire, de la colline de Notre-Dame-de-la-Garde.
C'est ainsi que se dessina un fait d'armes que les anciens du 2ème Cuirassiers raconteront plus tard, sans jamais se lasser, à leurs bleus.
Prise de la Basilique de Notre-Dame de la Garde
(Vendredi 25 Août 1944)
Il est 8 heures.
Le 2ème Escadron, Escadron Fougère, est rassemblé cours Pierre-Puget !
Que de sensations fortes depuis hier ! Cette atmosphère de guêpier du boulevard Longchamp... ce départ nocturne de Marseille à travers des rues pleines de menace... ce retour, ce matin, salué par les folles acclamations des populations de la banlieue Est...
Et maintenant il s'agit d'appuyer le Bataillon Martel du 7ème R.T.A., chargé de l'enlèvement de la colline de Notre-Dame-de-la-Garde. Un coup d'œil sur le décor de l'acte qui va se jouer. Il est affreux... rues étroites, pentes impressionnantes, tournants en épingle à cheveux... En un mot, terrain d'embuscades, terrain de corps à corps, opposant à nos Sherman des difficultés qui semblent insurmontables. Bien des atouts par contre entre les mains de l'ennemi...
Mais y a-t-il un avantage matériel qui puisse contre-balancer l'énorme supériorité de moral d'une Armée déjà victorieuse ?
Et puis, dans tout l'azur du ciel d'Août, la "Bonne Mère" attend. La liaison est prise avec le 7ème Tirailleurs. Le peloton Moine appuiera la progression de l'Infanterie, à gauche, par la rue Breteuil. Le peloton Laporte agira à droite, en essayant de déborder l'objectif par l'Ouest. Les moteurs sont en marche, les équipages, à leurs postes.
Il est 9 heures ; on part.
Les Sherman de Laporte s'engouffrent dans le boulevard de la Corderie. Fracas de chenilles sur le macadam, puis grondement des 75 ; c'est une arme anti-char boche qui vient d'être réduite. Mais comme c'est commode de faire la guerre au milieu de toute une population qui veut suivre le déroulement du combat !
Voilà le boulevard Tellene ! C'est le moment d'obliquer à gauche pour monter vers Notre-Dame.
Malheur ! Impossible de passer ! la pente est trop forte, les tournants, trop serrés dans une rue étroite.
Que faire ? II faut se résoudre à une attaque frontale par le boulevard Gazzino, puisque tout débordement est impossible.
La radio transmet : " Demi-tour ! "
C'est de nouveau le cours Pierre-Puget !
" En avant, à droite !"
Le "Jeanne d'Arc" est en tête, suivi du "Jourdan" : c'est le groupe commandé par le Maréchal-des-Logis-Chef Loiliot.
Puis viennent le "Joffre", char du Lieutenant Laporte, le "Jean Bart", le "Joubert".
Monteront-ils ? Cette pente est si raide! Le "Joubert" peine, s'arrête, recule... le conducteur n'est plus maître de son engin... fracas de vitres brisées... le char vient d'enfoncer la devanture d'un magasin. Il est immobilisé, une poulie folle rompue... Ses camarades continuent à travers un déluge de feu. Le crépitement des rafales d'armes automatiques, entremêlé de sifflements d'obus anti-chars, se répand dans les rues ; son écho retentit, se perd au loin.
Les chars avancent cependant, implacables ; leur feu puissant et précis domine celui de l'ennemi.
Le "Jeanne d'Arc" est déjà tout près de la basilique, à côté des ascenseurs ; il est soutenu.
Les lance-flammes, les bazookas, les grenades incendiaires, viennent d'entrer en jeu.
Le Lieutenant Laporte s'est arrêté sur la petite place, au bout du boulevard Gazzino. Avec le "Joffre" et le "Jean Bart", il doit faire face, aussi bien en avant, vers Notre-Dame-de-la-Garde pour aider, par son feu, le groupe Loiliot, que vers l'arrière, en direction du boulevard Tellène ; le boche est partout.
C'est le corps à corps et nous n'avons pas d'Infanterie... les tirailleurs n'ont pas pu suivre... Comment exploiter ce magnifique succès, si près de l'objectif ?
Bruit de chenilles... c'est le "Duguesclin", c'est le capitaine Fougère... il rejoint le Lieutenant Laporte.
Un coup d'œil sur la situation... les tirs ennemis qui viennent de l'Ouest sont bien gênants, d'autant plus que la visibilité est très mauvaise de ce côté... Le "Duguesclin" et le "Joffre" écrasent le mur du jardin de l'évêché, se portent à droite, ils sont désormais mieux placés.
Un véritable bolide enflammé dévale soudain la colline. Il enfonce l'enceinte du jardin, déjà ouverte d'ailleurs et explose à moins de cinq mètres du "Joffre".
C'est le "Jeanne d'Arc".
Lance-flammes ? Grenades incendiaires ? Les deux à la fois sans doute... Peut-être aussi une arme anti-chars...
Le "Jeanne d'Arc" n'est plus qu'un épave fumante. Le Maréchal-des-Logis Keck, Chef de Char, le Cuirassier Guillot, tireur et le Cuirassier Clément, chargeur, viennent de tomber glorieusement au Champ d'Honneur.
Le "Jourdan" monte aussitôt prendre la place du "Jeanne d'Arc", près de la basilique.
Brusquement, explosion... Le char saute sur une mine. Il est immobilisé ? qu'importe…
Les armes sont intactes : il peut continuer le combat. Il a fort à faire, car le boche s'acharne sur lui, veut l'achever.
Voici que le char semble en flammes... Début d'incendie seulement : la bâche et les paquetages de l'équipage, fixés par des courroies, à l'arrière de l'engin, ont pris feu ; le Maréchal-des-Logis-Chef Loiliot bondit hors de la tourelle, se dresse sur le char, une hache à la main, tranche les attaches qui le lient au brûlot.
Le "Jourdan" est sauvé.
Les mortiers ennemis dressent maintenant un véritable barrage. La riposte des chars devient moins dense... Ils commencent à manquer de munitions.
Le Capitaine Fougère a déjà prévenu le peloton Moine ; il lui a donné l'ordre de venir le rejoindre ; il l'attend.
Que faire cependant sans Infanterie ? Comment nettoyer, comment occuper le terrain conquis ?
Les soutes du "Jourdan" sont vides... Son canon s'est tu...
Le Maréchal-des-Logis Chef Loiliot bout d'impatience : être si près de l'objectif et rester inactif.
Il a renvoyé successivement tous ses hommes à son Capitaine. L'Infanterie arrive-t-elle ? Il veut le savoir. Il est seul à son char ; il observe ; il écoute. Le feu ennemi n'a-t-il pas l'air de se ralentir ?
Soudain, impulsion, décision héroïque... Il jaillit de sa tourelle, arrache le drapeau tricolore arboré sur le "Jourdan", bondit vers la Basilique... Un F.F.I. le suit.
Le voilà sur le terre-plein... Des boches... Ils tirent... Il est blessé, mais qu'importe !
Les couleurs de France flottent sur Notre-Dame-de-la-Garde.
L'ennemi stupéfait se rend à cet homme, à ces deux hommes.
Le jour même, le père de Fenoyl, aumônier du "Combat Command N° 1", disait une messe d'action de grâces dans la Basilique libérée.
Combats de Rue
(25-28 Août 1944)
Comment relater tous les combats victorieux livrés par le 2ème Cuirassiers dans les rues de Marseille. Les chars sont partout : le tonnerre de leurs canons retentit des grandes avenues aux impasses les plus reculées ; rien ne les arrête, ni les obstacles matériels, ni l'opiniâtreté de l'ennemi.
Les résistances du boche s'effondrent une à une : d'interminables colonnes de prisonniers sillonnent sans interruption la ville.
Le 25 Août, alors que l'Escadron Fougère conquiert Notre-Dame-de-la-Garde, l'Escadron Ardisson progresse par le Prado, la rue Paradis et le Boulevard Perrier. Quelques coups de 75 suffisent pour pulvériser un blockhaus, laborieusement édifié par l'ennemi, en haut de ce boulevard. Les chars poursuivent vers les hauteurs de Gratte Semelle, s'infiltrant par des ruelles étroites.
Gratte Semelle... les boches ont fait un puissant réduit de ce quartier de la ville. Toute la population civile en a été évacuée depuis de longs mois. Ils ont coulé du béton dans les flancs de la colline, construit des ouvrages, transformant ce paisible coin du Prado en un redoutable point d'appui de ce "Mur de la Méditerranée", édifié à grands frais.
Que de travail inutile ! Tout croule devant le puissant élan du 4ème Escadron.
La capitulation d'une "Kommandantur" clôt la journée : deux cents nouveaux prisonniers se sont rendus à nos chars.
Le lendemain, 26 Août, le peloton Gérard, du 4ème Escadron, continue le nettoyage de Gratte Semelle.
Le reste de l'Escadron s'attaque aux ouvrages de la côte.
Descendant le Boulevard du Prado, les Sherman se présentent tout d'abord devant les casemates de la promenade de la Plage. L'ennemi se rend.
C'est alors la ruée vers le Roucas Blanc. Partout à la fois dans sa jeep, de la Garde au Prado, le Colonel Durosoy suit les premiers chars de ses Escadrons, les devance bien souvent. Il est l'âme de chaque manœuvre. Les obus éclatent autour de lui, semblent le respecter.
Le soleil du Dimanche, 27 Août, se lève sur le dernier acte du drame, ébauché le 26 par les chars du peloton Gérard.
Dès le lever du jour, le peloton Giraud du 4ème Escadron, appuyant le Bataillon Valentin du 3ème R.T.A., entreprend l'investissement de l'ouvrage de l'Angélus, situé sur la croupe s'allongeant de Notre-Dame-de-la-Garde à l'église d'Endoume. L'opération est malaisée dans ce terrain accidenté, parsemé de petits jardins. C'est immédiatement le corps à corps, une progression prudente, lente, puis un arrêt brutal : la Compagnie de St-Sauveur qui mène le combat, est clouée au sol.
Le Sous-Lieutenant Giraud est auprès du Capitaine de St-Sauveur. Il va aussitôt tenter d'aider ses camarades Tirailleurs.
Comment faire ? Voilà un escalier de 80 marches... Essayons d'y pousser les chars...
Le "Vesoul" monte... Passera-t-il ? Non ! Un tournant à angle droit... impossible de continuer... Il faut y renoncer.
L'Aspirant Virot suit la manœuvre dans la jeep du Capitaine Ardisson. Soudain, rafale de mitrailleuse... Finie la jeep ! Le conducteur est blessé... L'Aspirant Virot se relève, commotionné, il continuera à pied.
Le "Valmy" et le " Valenciennes " ont cependant vu les départs. Ils prennent position, ils tirent.
Le Capitaine de St-Sauveur lance en avant une nouvelle section. Le "Verdun" et le "Valenciennes" l'appuient. L'Infanterie progresse. Il est onze heures. Les premiers prisonniers boches commencent à affluer. Les chars sont maintenant sur la croupe qui domine l'Angélus. Les 75 tirent. Leurs obus s'abattent implacablement sur les positions ennemies. Voilà pour la "maison verte". Maintenant c'est le tour de la "maison rouge". La "maison de l'Autrichienne" subit le même sort. Les murs s'effondrent dans un épais nuage de fumée. Les Tirailleurs avancent irrésistiblement. Ils sont sur l'objectif. Le Capitaine de Saint-Sauveur, le Capitaine Ardisson et le Capitaine Demeunynck de l'Etat-Major du Régiment, sont là, eux aussi.
Ils pénètrent dans le jardin entourant la maison effondrée sous les coups des chars.
Partout des ouvrages en rondins, des emplacements d'armes automatiques, des tranchées... Quelle forteresse !...
Mais forteresse vaincue aussi. Témoins, ces cadavres, ces épaves d'une troupe battue : le sol est jonché de débris d'équipements, d'armes abandonnées, de grenades, de bandes de mitrailleuses.
Un allemand surgit ; c'est un médecin auxiliaire. Il conduit les Officiers présents à travers les décombres. On descend...
Vision étrange ! Tunnel de Métropolitain ? Galerie de la ligne Maginot plutôt... Des lampes à pétrole projettent une lumière blafarde sur des corps allongés sur le sol. C'est le poste de secours de l'ouvrage.
Un Médecin-Capitaine allemand se présente. Il veut négocier l'évacuation de ses blessés. Il fait visiter le souterrain. Il montre la chambre froide où sont transportés les tués, la chambre mortuaire de l'Officier Supérieur de la "Kriegsmarine", commandant du point d'appui, et de ses adjoints, tués par le tir implacable des Sherman. Notre puissance l'a vivement impressionné, brisant son moral. Notre tâche n'est cependant pas achevée : un deuxième ouvrage, semblable au premier doit encore être conquis. Opération encore plus difficile, car il faut franchir un véritable glacis pour atteindre la forteresse dont, par ailleurs, la garnison a été renforcée par les survivants de celle-ci.
Mais pourquoi ne pas essayer d'abord de convaincre le boche de cesser une résistance inutile ?
Le Médecin auxiliaire allemand portera notre ultimatum.
Quelques minutes d'attente, puis une silhouette : un homme de haute stature, un visage glabre et fier où se lit toute la morgue prussienne. C'est le major Fromm Walter de la Luftwaffe.
Sa tenue est constellée de décorations. La croix de fer avec glaive, suprême distinction, orne le col de sa vareuse.
Le voici en présence du Colonel Durosoy et du Commandant Valentin.
" Monsieur, il faut vous rendre..."
" Quelles conditions ?"
" Sans conditions"
" Mais..."
" Rendez-vous ! Vous êtes perdus. Il faut capituler ou mourir. Nous ne faisons pas de quartier... " L'homme hésite, demande à consulter son Général de Division. Une heure lui est accordée. L'heure s'écoule... un quart d'heure de grâce, puis le feu est ouvert, les 75 des Sherman tonnent de nouveau. Pas longtemps, car c'est la fin. L'ennemi a compris... Il capitule.
Un dernier scrupule cependant du Major Fromm :
" Puis-je connaître à qui je me suis rendu ? Puis-je savoir si je ne me suis pas déshonoré ?"
" Rassurez-vous, Monsieur ! Vous vous êtes rendu au Colonel Durosoy, confident du Maréchal Lyautey et au Commandant Valentin, héros de la campagne d'Italie, un des premiers Français rentrés dans Rome. Ce peloton de chars est commandé par le fils du Général Giraud." Maintenant la garnison de l'ouvrage est rassemblée. Les bottes allemandes martèlent les pavés de la ville. De nouveaux boches sont en route sur le chemin de la captivité.
C'est ainsi que le Bataillon Valentin et le peloton Giraud s'emparèrent de l'Ouvrage de l'Angélus dont les galeries ultra-modernes, situées à 30 mètres sous terre, comblées d'inépuisables réserves de vivres et de munitions, se prêtaient pourtant parfaitement à un long siège. La lutte continue cependant ailleurs : on se bat dans la ville, on se bat dans le port, on se bat dans la banlieue. Au Nord de Marseille, le peloton Mousnier du 3ème Escadron appuie le groupement de Tabors Leblanc. "L'Orléans", char du Sous-Lieutenant Mousnier, est en tête. Il aborde Fontrose... Une barricade obstrue la route. Le Sherman charge impétueusement... Il atteint presque l'objectif... Mais soudain, bazooka... Le Sous-Lieutenant Mousnier et le Cuirassier Mullor, tireur, gisent, frappés à mort, dans leur tourelle transpercée...
Mais ces combats furieux ne sont que le dernier sursaut de la résistance ennemie.
En fin de journée, les forts St-Nicolas et de la Malmousque se rendent à nos Tabors.
Le lendemain, le 28 Août, à 8 heures, l'ordre de cesser le feu parvient au Régiment.
La bataille de Marseille est terminée.
En remontant le Rhône
(29 Août-4 Septembre 1944)
Marseille est en liesse.
Les rues de la ville endiguent à grand peine toute une population délirante d'enthousiasme.
L'écho du défilé triomphal des troupes victorieuses passées en revue par Monsieur Diethelm, Ministre de la guerre et le Général de Lattre, Commandant la 1ère Armée Française, retentit encore. Le 2ème Cuirassiers est cependant déjà loin en cette magnifique après-midi du 29 Août. Les chenilles de ses chars foulent joyeusement les routes de Provence.
"2ème Cuirassiers, en avant jusqu'à l'anéantissement de l'ennemi !" Telle est la consigne que le Régiment a reçue de son Colonel par la voie de l'Ordre N° 34, saluant la victoire de Marseille. Le voilà en route vers de nouveaux combats, vers de nouvelles victoires, ayant eu à peine, le temps de respirer l'air de la grande cité phocéenne libérée.
Le 29 Août au soir, le Régiment stationne à la Barben, petit village proche de Salon.
Le 30 Août, il fait route sur Fontvieille.
Ses chars commencent, le même jour, le passage du Rhône par bacs à Vallabrègue, au Nord de Tarascon. Les véhicules à roues et les Half-Tracks traversent le fleuve le lendemain, 1er Septembre, sur un pont de bateaux en Avignon.
Le Régiment se regroupe, à la nuit, dans la région de Bagnols-sur-Cèze.
L'étendue de la déroute infligée aux armées ennemies en fuite, se lit à chaque pas de cette première étape sur la rive droite du Rhône ; les routes sont encombrées de véhicules boches, détruits par les avions alliés ; les ferrailles de leurs carcasses carbonisées et tordues sont figées dans un ultime geste qui semble implorer la pitié d'un ciel vengeur.
Après une courte nuit de repos, le 2ème Cuirassiers reprend la poursuite. Le boche a mis à profit, pour prendre le large, les jours que nous avons dû passer à Marseille. Il s'agit de le rattraper. C'est de nouveau la route jonchée d'épaves.
Les véhicules carbonisés deviennent de plus en plus rares, cédant la place aux cadavres de chevaux. Quel carnage !
Pauvres chevaux de trait de nos campagnes, réquisitionnés impitoyablement par l'ennemi en fuite ! Ils sont tombés en rangs serrés. L'air devient parfois irrespirable... N'avons nous pas compté plus de cent cinquante chevaux morts sur un parcours de moins de dix kilomètres !
Voici Viviers, puis le Pouzin... Il ne reste plus une maison debout dans ce village complètement rasé par l'aviation.
Le Régiment fait étape à la Voulte.
Toute la région a été atrocement martyrisée par les barbares. Ils y ont perpétré un nombre incalculable de crimes, pillant, massacrant des otages, violant des femmes en présence de leurs maris, des fillettes sous les yeux de leurs parents. Le Cuirassier frémit, d'impatience dans sa soif de vengeance au récit des témoignages de la population désormais libérée.
Les voilà cependant, ces "Seigneurs de la guerre". Voilà leur masse compacte ! Il a suffi de deux chars légers de l'Etat-Major pour les cueillir par centaines dans la montagne où ils s'étaient réfugiés. Misérables figures de vaincus, de traînards surpris par la rapidité de notre avance... faces abruties par la fatigue... Finie pour eux, la guerre fraîche et joyeuse.
La course reprend le 2 Septembre. Elle est malaisée, par suite des multiples destructions.
Il faut quitter la vallée du Rhône après Tournon, se diriger vers Annonay. A Annonay en fête, halte de quelques heures, le temps de faire les pleins d'essence, puis départ de nouveau vers Saint-Etienne par Bourg Argental, Saint-Sauveur et le Col de la République. Tout Saint-Etienne est dans la rue malgré l'heure tardive. Une foule immense crie sa joie, acclame les Sherman. Le 2ème Cuirassiers traverse avec peine la ville.
C'est à St-Laurent-Pied-de-Vache, près de St-Galmier qu'il passe la nuit, après une étape de 150 kilomètres.
Le 3 Septembre on ne part qu'à midi. Ce retard est dû au ravitaillement en essence qui commence à devenir difficile.
Ne faut-il pas aller le chercher jusqu'aux plages de débarquement à des centaines de kilomètres...
Le Régiment se dirige vers Lyon par St-Foy-l'Argentière et Lozanne.
C'est de nouveau la verte campagne française.
Tout au long des routes, une haie presque ininterrompue d'hommes, de femmes, d'enfants couvre les chars de fleurs, leur jette au passage les plus beaux fruits du terroir. C'est à croire que tout le peuple de France s'est donné rendez-vous en cette belle journée de dimanche. Beaucoup sont venus de loin, de ces bourgs, de ces hameaux enfoncés dans les terres, à des kilomètres de là. Tous ont voulu au moins entrevoir au passage leurs libérateurs. Il semble au Cuirassier qu'il participe à une immense revue, à un interminable défilé.
Le Régiment n'a pas à combattre pour Lyon déjà libéré. Il reçoit l'ordre de relever à la nuit, à Anse, Embérieux et Quincieux le combat Command N° 2 qui a remonté le Rhône par des voies plus directes. A Anse, surprise ! Le village vient à peine d'être conquis par le 1er Zouaves... Les flammes qui s'échappent du clocher mutilé de son église, projettent une lueur sinistre sur des silhouettes menaçantes qui rasent les murs. Du sang sur les pavés de la route.
Des corps inertes, étendus. Trois Half-Tracks qui achèvent de brûler. Des coups de feu qui crépitent encore.
Simultanément, un renseignement du 4ème Escadron : les boches sont encore dans Embérieux... Drôle de relève !
Qu'à cela ne tienne ! On en est quitte pour faire 325 prisonniers absolument imprévus, puis on s'installe comme on peut pour la nuit.
Le lendemain, 4 Septembre, le Régiment traverse Villefranche, Macon, et atteint sans combat Tournus. Les boches sont de nouveau loin. C'est ainsi que le 2ème Cuirassiers est parvenu à la journée du 5 Septembre, journée des combats de Chalon-sur-Saône et de Champforgueil, journée glorieuse d'une nouvelle victoire.
Combats de Chalon-sur-Saône et de Champforgueil
(Mardi 5 Septembre 1944)
Le 5 Septembre, dès le lever du jour, le C.C.1 bondit sur Chalon.
Ses premiers éléments traversent rapidement Varennes-le-Grand, puis St-Loup, les voilà devant St-Rémy.
Là, arrêt brutal...
Pas de pont entre St-Rémy et Droux... Éclatements d'obus entrecoupés de rafales d'armes automatiques...
Chalon est défendu, et bien défendu...
Finie la marche si rapide des jours précédents : tout indique que l'ennemi traqué et poursuivi sans relâche, va enfin livrer ce combat qu'il refuse depuis si longtemps.
Tant mieux !
Tant mieux ! Certes ! Mais il faut faire face à un fâcheux contretemps : le 2ème Cuirassiers, cette masse d'acier qui sait si bien briser tous les obstacles est encore très loin derrière, à Tournus.
Il attend désespérément son ravitaillement en essence... Ah ! Cette essence ! Que de temps perdu à cause d'elle.
Le Régiment n'est pas là ? Si pourtant ! Le 1er Escadron, l'Escadron de chars légers, moins avide du précieux liquide que ses gros frères, a atteint St-Loup et il s'apprête à prendre part à la fête dans le cadre du Groupement commandé par le Commandant Letang.
Il saura prouver combien sont injustifiées les plaisanteries dont sont si souvent abreuvés ses petits canons de 37.
Il est 10 heures 30. Le peloton Gouailhardou s'ébranle vers Taize.... C'est par l'Ouest en effet qu'il s'agit d'attaquer la ville. Il n'y a pas le choix, la Saône aux ponts sautés, la ceinturant d'un fossé infranchissable, au Sud et à l'Est.
A Taize, scène de carnage... Les fossés de la route, les champs sont jonchés de cadavres boches... Les automitrailleuses de Bremond et les Zouaves sont déjà passés par là. Ils ont surpris une compagnie cycliste ennemie, l'ont anéantie.
Voilà Vessey, puis le carrefour des Alouettes. Le Peloton Zeisser s'y installe rapidement avec deux sections de Zouaves aux ordres du Capitaine du Boispean.
Gouailhardou progresse déjà à travers champs vers Chatenoy-le-National, pendant que les automitrailleuses de Bremond suivent la route conduisant vers le même village.
Détonations... Éclatements...
Bremond est arrêté... Qu'importe ! Les chars légers sont, eux, dans Chatenoy... Ils reviennent par la route, vers Bremond... L'ennemi est pris à revers... Nouveau massacre des fuyards allemands pris entre deux.
Les canons de 37 s'en donnent à cœur joie... Les mitrailleuses balaient la route encombrée de teutons... Voilà que les boches en fuite essaient de se camoufler... derrière un troupeau de vaches... quelle plaisanterie ! Il est vrai que l'ennemi la trouve certainement beaucoup moins drôle que les tireurs de Gouailhardou...
A 11 heures 30, Chatenoy est définitivement occupé et nettoyé. Gouailhardou se porte aussitôt.en direction du Maupas.
Il tourne à droite... Il atteint le passage à niveau. Il est presque dans Chalon...
Le char "Colmar" appuyé par le "Charente", char du Maréchal-des-Logis Basile est en tête...
Sifflement caractéristique des obus anti-chars...
Le "Colmar", commandé par le Brigadier-Chef Pelletier, se rue en avant vers l'arme ennemie, appuyé par le "Charente", qui tire furieusement. Les servants boches s'enfuient abandonnant leur pièce.
Le "Colmar" est tout près. Il va la détruire... Mais voilà de nouveaux sifflements... Une autre arme anti-chars est quelque part à gauche, vers Corcelle... Il faut faire demi-tour... Le Sous-Lieutenant Gouilhardou observe du pont de chemin de fer à l'Ouest de la ville.
Le "Colmar" et le "Charente" sont en avant de lui, prêts à bondir.
Bondir ! Non ! Car à 13 heures 30, fâcheux contretemps, survient l'ordre de se rallier à la voie ferrée : les chars légers ont outrepassé leur mission qui n'est que de tenir le Maupas.
Mais ce n'est que partie remise.
Voici Bremond avec son obusier M 8, prêt à détruire l'anti-chars qui s'est attaqué au "Colmar".
Inutile cependant... la pièce a été atteinte par une patrouille de Zouaves aux ordres du Sergent Vignolle.
Elle ne tirera plus : L'ennemi l'a définitivement abandonnée.
Les événements se précipitent : voici l'ordre d'entrer dans Chalon.
Bremond, Gouailhardou, la Section de Zouaves de l'Adjudant-Chef Gobert poussent en avant dans un élan irrésistible.
Les obus anti-chars sifflent au passage entre les deux voies ferrées Ouest de Chalon. Qu'importe ! Personne n'est touché.
Ils sont au centre de la ville. Ils se rabattent sur les lisières Nord, les atteignent.
II est près de 16 heures.
C'est la victoire, mais il faut l'achever ; il faut empêcher le boche de se rétablir. Le C.C.1 a désormais beau jeu : tout le 2ème Cuirassiers est là... Il est venu à la bataille de toute la vitesse de ses chenilles, dès qu'il a pu faire les pleins.
Les Sherman vont pouvoir donner.
Le 4ème Escadron s'engouffre, le premier, dans Chalon. Puis apparaît la tête du 2ème. A lui, la mission délicate. C'est lui qui réalisera là manœuvre hardie d'encerclement, décidée par le Colonel. Il faut qu'il passe, à son tour, par le Maupas, qu'il bondisse sur Champforgueil pour couper la retraite du boche, pour prendre Chalon à revers. Il importe d'agir vite... Et dire que le peloton Cattaneo est seul à être là ! Tant pis ! Les deux autres suivront au fur et à mesure de leur arrivée.
Les Sherman s'ébranlent derrière la jeep du Capitaine Fougère qui ramasse au passage un jeune garçon de 16 ans : il servira de guide. Taize...... Les Alouettes...... Le Maupas......
Le guide indique Champforgueil... Les balles sifflent et claquent.
Le Capitaine Fougère quitte sa jeep, monte dans son char "Duguesclin"... Il était temps...
Très vite, ce sont les lisières Nord-Ouest de Champforgueil.
Quel spectacle ! Des boches en pleine retraite sont partout. Surprise complète. Quelle panique !
Les cadavres s'amoncellent dans les rues, dans les champs...
Les Sherman, furieux, rugissent de toutes leurs armes ; implacables vengeurs, ils broient, écrasent.
Du "Duguesclin" embourbé dans un ruisseau, le Capitaine Fougère tire au colt les derniers fuyards.
Mais voici les pelotons Laporte et Moine qui viennent parfaire le nettoyage... car il y a encore des irréductibles qui ne veulent pas se rendre. Deux mitrailleuses se sont révélées derrière les chars entre le Maupas et Champforgueil, prenant à partie le peloton d'échelon de l'Escadron qui suivait les Sherman au plus près.
Les hommes du Lieutenant Monier sont obligés d'abandonner leurs véhicules "jeeps et camions" ; ils sont cloués au sol par des tirs précis, ainsi que les orienteurs de l'Etat-Major accourus à leur Secours avec le Maréchal-des-Logis Chef Risso, qui tombe, fauché par une rafale.
Comment prévenir le Régiment ? Comment alerter le Colonel ?
Malgré un feu violent, le Lieutenant Monier bondit dans sa jeep, il ira chercher lui-même les secours.
100 mètres à peine, et son conducteur le Cuirassier Canerie s'effondre, touché en pleine tête, puis c'est son ordonnance, le fidèle Dellick Lakdar, qui s'affaisse, blessé au bras. Il passe quand-même. Le Capitaine Fougère est enfin prévenu.
Le peloton Moine est là et c'est un jeu pour lui que de détruire les mitrailleuses ennemies, tandis que la nuit s'étend sur le terrain de combat.
Vers Beaune
(Mercredi 6 Septembre 1944)
Le 6 Septembre à midi, le 2ème Cuirassiers quitte Chalon libérée, pour se porter en direction de Beaune. L'ennemi, battu la veille, semble s'être ressaisi. N'est-il pas question de résistance sérieuse sur tout le front au Nord de Chalon ? Il est vrai que l'enjeu de la bataille en cours est d'importance : le boche défend de son mieux les approches de cette voie ferrée Montceau-les-Mines - Beaune - Dijon par laquelle il poursuit hâtivement ses évacuations du Centre de la France. La mission du Régiment est simple :
" Atteindre Beaune dès que possible.
" 1er bond ; Demigny".
A Demigny, le cours de la Dheune barre toute la zone d'action du C.C.1. Il faudra sans doute combattre pour traverser cette rivière.... Combattre ? La probabilité n'est pas longue à se transformer en certitude... A peine en vue de Demigny, le Commandant Vallin, en avant-garde du C.C.1 avec une Compagnie de Zouaves et l'Escadron de T.D., voit se dresser devant lui un barrage d'artillerie et de minen.
" Halte ! " Les chars s'immobilisent le long de la route... Pas tous... Le 3ème Escadron double l'Etat-Major : il va prêter main
forte au Commandant Vallin. Voilà maintenant le roulement sourd des départs de nos 105. Puis des détonations rageuses... Ce sont les 75 des Sherman. Le 3ème Escadron est engagé... Engagement rapide... engagement brutal qui ouvre la brèche. Le flot des chars du 2ème Cuirassiers déferle aussitôt par le pont conquis, se répand, bousculant tout sur son passage. Au centre, par la route directe de Beaune, le 3ème Escadron avec le Commandant Vallin, sur Bligny, à gauche, le Colonel avec le 2ème Escadron, par l'itinéraire Ebaty - Corcelles - Tailly ; au 1er de nettoyer définitivement la région Demigny - Mercueil ; le 4ème, parti par la droite depuis le début, est déjà devant Géanges.
Les Cuirassiers sont en plein cœur de la Bourgogne, contemplant avec respect les vignobles aux noms fameux : Çhassagne - Montrachet - Meursault - Pommard - Voinay... Les ceps, chargés de lourdes grappes, semblent esquisser un geste d'offrande, s'associant aux acclamations frénétiques dont retentissent les villages. Des bouteilles vénérables jaillissent comme par enchantement, changent de mains, disparaissent dans les engins.
Le 2ème Escadron traverse Ebaty... Il pénètre dans Corcelles.
Quel triomphe ! Comment croire encore à la guerre dans le délire de ce défilé glorieux !
Il serait plus prudent certes de se prémunir contre le boche qui guette encore peut-être, n'abandonnant la route trop découverte, en lançant les chars à travers les champs. Mais a-t-on le droit de saccager ces vignes ancestrales, ce trésor de la France ? Au diable la prudence ! Et pourtant la mort sournoise est là... Elle rôde, prête à frapper impitoyablement. Entre Corcelles et Tailly une vive canonnade anime soudain tout l'Escadron, se répercutant de Sherman en Sherman.
"Pourquoi ne tirez-vous donc pas !" s'écrie le conducteur du "Duguay-Trouin" à ses camarades de la tourelle, en arrêtant son char à Tailly. Le Sous-Lieutenant Cattaneo, Chef de Peloton et Chef de Char, le Brigadier Chef Petitbon, tireur, le Cuirassier Delaporte, chargeur, ne parleront plus jamais... Ils sont affaissés, à leurs postes de combat, dans leur tourelle percée de part en part par un obus de 88...
Les Sherman du 2ème Escadron, ont vu l'arme anti-chars. Défilant devant son repaire, près de la voie ferrée, à l'Est de Meursault, ils ont tous essuyé son feu, lui répondant aussitôt... Personne, pas même les survivants du "Duguay Trouin", n'a senti le passage de la Mort. La nuit tombe...
Le 2ème Cuirassiers est aux portes de Beaune qu'il attaquera demain.
Combat de Beaune
(7 Septembre 1944)
Le 3ème Escadron, Escadron de Boisredon, se réveille au petit jour à Bligny-sous-Beaune. La nuit a été pénible (nous avons pris position dans le village à 11 heures du soir) : les hommes ressentent dans tout leur corps l'épuisement de la poursuite effarante, menée depuis Marseille et de la résistance ennemie qui s'est raidie depuis trois jours. Il a plu : première pluie d'automne. Les hommes harassés se sont endormis aussitôt, à côté de leurs chars. Les Officiers les ont rejoints après un repas autour d'une table de paysans ; le Lieutenant Avenati s'est endormi la fourchette à la main, à trois reprises, au cours du dîner, et il a fallu l'ordre amicalement impératif de son Capitaine pour qu'il fasse l'effort d'avaler quelque chose. On se redresse, trempé, courbatu, après cette nuit abrégée encore par un tir à la mitrailleuse contre les ombres insaisissables d'une patrouille ennemie. On fait les pleins d'essence, on plie les couvertures, on arrime les paquetages, on vérifie les appareils radio. Prochain bond : Beaune, noyée dans les vignes, à trois kilomètres.
Le "Marengo", char du capitaine de Boisredon est, au milieu du village, le centre nerveux du Groupement du Commandant Vallin. De là viennent les nouvelles : la reconnaissance devant nous s'est heurtée à une pièce anti-chars et a perdu 2 A.M. à droite, progresse l'Escadron Ardisson, à gauche, un Escadron du 5ème R.C.A.
Ordre pour le Peloton Avenati : détruire en avançant en lisière du village, l'anti-chars signalé par la reconnaissance. Le Peloton s'ébranle au milieu des automoteurs d'Artillerie qui se mettent en position. Des ambulances descendent, des ravitaillements arrivent. Les Sherman disparaissent dans les petites rues du village, puis on les entend tirer en direction de Montigny.
Les Officiers attendent, autour du "Marengo" les communications radio du peloton engagé, un peu inquiets comme toujours. Chacun connaît pourtant la science et la souplesse du Peloton Avenati.
" Joseph ! Joseph ! Répondez ! "
Pas de réponse... puis : " Joseph est en reconnaissance "
Enfin la nouvelle : " La pièce est détruite"
C'est le tour du Peloton Barrai... Mission : progresser jusqu'aux lisières de Beaune avec une section d'Infanterie, puis ensuite, protéger celle-ci, en évitant de tirer sur la ville. Coup d'œil sur l'unique carte de l'Escadron. Réunion des Chefs de chars du peloton... Prise de contact avec le Chef de section d'Infanterie et " En avant, en colonne, volets fermés !" On dépasse les dernières maisons, les dernières haies de Bligny. Au delà, c'est l'inconnu qu'il faut découvrir et vaincre... Les Zouaves avancent tranquillement dans les fossés, à droite et à gauche... puis brusquement passent, tous, dans le fossé de gauche : le combat pour Beaune est engagé.
Les mitrailleuses ennemies tirent d'un bois qui, en avant et à droite de la route, borde la petite ville. Les chars stoppent, ripostent au canon et à la mitrailleuse.
L'Artillerie, en position derrière Bligny, s'en mêle. L'Infanterie progresse, parvient au pont sur la ligne de chemin de fer, s'en empare. Le pont est-il miné ? Rapide examen des spécialistes, l'Infanterie passe... Les chars passent.
Devant nous maintenant une vaste étendue de champs, de haies, de petits fourrés et, à deux kilomètres, l'objectif : une masse confuse de maisons. Un violent tir de mortiers nous encadre. Les chars tirent à droite sur les bois, à gauche sur les haies à flanc de coteau, sur un pont enjambant la voie ferrée. La radio parle : " Joseph, dois-je faire mon ravitaillement en essence ?
" Joseph, non ! restez où vous êtes, prêt à intervenir"
" Suzanne, j'ai passé le pont, je n'ai plus besoin du Génie"
" Suzanne, bravo pour le pont ! Attention à vous ! Pièce anti-chars signalée à mi-route !"
"Joseph, je vois des fusants. Est-ce qu'ils ne sont pas destinés à "Suzanne" ?
" Oui", répond à " Joseph" " Suzanne", le Sous-Lieutenant Barral, qui ne s'était rendu compte de rien, tout occupé avec un Zouave, grimpé sur la plage arrière, à régler, un tir sur une position de mortiers dans les coteaux de gauche.
Le 3ème Peloton, celui du Maréchal-des-Logis Chef Bourguignon (à la radio "Thérèse"), guidé par le Capitaine dans son char et le Commandant Vallin en jeep, rejoint le Peloton Barrai et se déploie. Le Capitaine de Boisredon, à pied, rejoint l' "Orléans II", le char du Sous-Lieutenant Barral :
" Déployez-vous à gauche de la route"
" Peloton Bourguignon, à droite de la route"
" En avant ! "
Le Sous-Lieutenant saisit le micro, mais un homme est là, grimpé sur le char :
" Mon Lieutenant, mon Lieutenant ! Le "Ste-Odile" est en panne !" (C'est le char de tête, celui du Maréchal-des-Logis Pellerin).
" Comment, en panne ?"
" On ne sait pas... Il ne part plus. II ne veut plus partir... Et qu'est-ce qu on prend ! J'ai cru que je n'arriverais pas..."
" Cela ne fait rien. On va attaquer. On va vous dépasser."
Le Sous-Lieutenant Barral sort du char une mitraillette avec trois chargeurs et les donne à l'homme venu désarmé pour faire plus vite. Cette mitraillette et un tas de ferraille, c'est tout ce qui devait rester bientôt de l'"Orléans II"... Mais il faut partir... L'"Orléans II" quitte la route vers la gauche, suivi de l'"Ouessant" char du Maréchal-des-Logis Poilvet, prêt à le protéger. D'ailleurs, d'après les renseignements d'habitants, seuls, quelques mortiers à l'entrée de la ville sont susceptibles de s'opposer à notre avancée.
Dans les chars, on ramène des munitions dans la tourelle, les chargeurs jettent les douilles usagées par les volets. Les Zouaves suivent la trace des chenilles, quelques obus traceurs ricochent. Le Capitaine de Boisredon suit pas à pas ses grands enfants :
" Thérèse, Thérèse, accélérez ! Vous avez du retard sur "Suzanne".
" Suzanne ! Pourquoi le "Ste-Odile" n'avance-t-il pas ? Est-il en panne ?"
" Thérèse ! Thérèse ! Surveillez le bois en avant à droite !"
Derrière nous, le Lieutenant Avenati suit le combat et se prépare à intervenir.
" Joseph à tous ses enfants : Préparez chacun un fumigène ! "
De haie en vigne, de vigne en haie, on avance dans le fracas assourdissant de toutes les armes.
" Suzanne ! Attention ! Vous avez devant vous un terrain de roseaux, contournez-le ."
Le Sous-Lieutenant Barral contourne ; toujours fidèlement suivi par ses Zouaves, dépasse l' "Oléron" arrêté sur la route. Le Maréchal-des-Logis Chef Charon, Chef de char, lui fait signe au passage que quelque chose ne va pas...
L' "Orléans II" reprend l'axe, maintenant en tête, tire sur l'entrée de Beaune où quelque chose paraît bouger, sur des cabanes de jardiniers, sur les bosquets de la gauche. Soudain, à 300 mètres de la ville, le "Poitiers" flambe...
Il a reçu un coup de 88 dans les réservoirs... Les hommes dont les vêtements brûlent, sautent à terre, s'éteignent les uns les autres...
"Attention ! dit la voix du Capitaine, attention ! Je crois bien que nous sommes tombés dans un piège ! Attention ! Écartez-vous de la route ! Écartez-vous de la route !" Tout à coup l' "Orléans II" est traversé, à son tour, par un obus de 75 ou de 88, presque à bout portant... Il brûle...
Le Sous-Lieutenant Barral apparaît sur la plage arrière se laisse tomber sur l'herbe, s'y roule pour s'éteindre, puis traîne par les épaules son aide-conducteur Sempéré, affreusement brûlé, pour l'écarter du char dans lequel l'incendie fait rage, lui arrache ses vêtements à l'abri d'une haie... Le plus petit mouvement pour s'en écarter provoque une rafale de mitrailleuse... Plus de Zouaves en vue... Plus de chars... Il n'y a plus qu'à attendre sans bouger...
Le char ronfle, crépite, explose... Une heure se passe... Combien longue est cette heure ! Le fracas de la bataille s'éteint... De l'autre côté de la route, les Allemands poussent en avant leurs mitrailleuses... L'un d'eux avance vers Bligny... disparaît... revient... verra-t-il les deux blessés ? Non...
Fumée de quelques arrivées d'artillerie...
C'est le moment ! Ils sortent de la haie, gagnent un champ de maïs, puis de vignes en maïs, progressent lentement, reviennent vers nos lignes... Que d'épaves, hélas ! au passage... Le renseignement d'habitants s'est avéré faux ou plutôt périmé. Il n'y avait plus d'Allemands à Beaune hier soir, mais ils sont revenus. Ils ont mis en batterie huit canons anti-chars sur cette lisière de la ville. A notre droite, nos voisins ont été arrêtés avant nous, à notre gauche le Groupement ami n'est pas encore arrivé. Deux chars sont détruits. Leurs équipages sont tués ou blessés. Le "Provence" a reçu un obus dans le train de roulement et ne bouge plus que très lentement. L'"Oléron" a été percé. Il est immobilisé sur le terrain, son conducteur Ferbert, grièvement blessé. Le "Turenne" couvre le repli à pied des quelques membres de l'équipage encore valides. La rage au cœur et sous peine de faire casser tout son monde, le Capitaine, au moment où les chars de tête brûlent doit donner l'ordre de repli. Ce sera la première et la seule fois de toute la campagne... Son char, le "Turenne" est d'ailleurs particulièrement repéré, car, faisant preuve d'un magnifique courage, un motocycliste des Zouaves est venu lui apporter un ordre, bien en vue de l'ennemi. Les armes anti-chars s'acharnent sur la belle cible qui leur est offerte. Le tireur du "Turenne" les voit mais ne peut les combattre, son canon étant enrayé... Le conducteur feinte, zigzague, avance, recule, pendant que le repli s'effectue en marche arrière.
Le "Ste-Odile" est cependant toujours exposé aux coups du boche. Son équipage descend, l'amarre au char du Capitaine, qui lentement l'entraîne vers nos lignes. Mais les perforants et les fusants tombent drus. Ils coupent le câble d'amarrage, blessent le Maréchal-des-Logis Pellerin, Chef de char.
Le Sherman doit être momentanément laissé sur le terrain, dans un angle mort heureusement, et le Capitaine va organiser la position de repli prévue le long de la voie ferrée. Chars et Zouaves s'y embossent, appuyés par une Compagnie F.F.L, venue spontanément se mettre à notre disposition. Les Half-Tracks sanitaires n'arrivent toujours pas à déboucher, et nombreux sont hélas ! ceux qui manquent à l'appel... Notre Artillerie vient heureusement avec un tir fumigène, apporter une aide précieuse à ceux qui rampent vers nos lignes sous les obus et les balles. Nous voyons alors passer les blessés atrocement défigurés. Ils sont nus, pour la plupart, leurs vêtements ayant brûlé sur eux.
Il faut maintenant songer au "Ste-Odile", resté entre les lignes, car les boches risquent de le détruire, lui faisant subir le sort de l'"Oléron" qu'ils viennent d'achever. Le Lieutenant Butruille, le Maréchal-des-Logis Chef Bouyer et quelques hommes du Peloton d'Echelon repartent avec le "Turenne". Violemment pris à partie, ils réussissent néanmoins à mener à bien leur entreprise. Nos pertes ont été rudes certes, mais les boches ont sans doute senti qu'ils n'avaient pas à faire à des hommes habitués à rester sur un échec. Aussi profitent-ils de la nuit pour s'enfuir, non sans laisser des épaves sur le terrain, dont un canon de 88 détruit. C'est dans une atmosphère d'allégresse et de triomphe que le Groupement Vallin pénètre, le 8 Septembre au petit jour, dans Beaune en liesse qui fête ses libérateurs victorieux.
L'Apothéose de Dijon
(9-11 Septembre 1944)
Fidèle à la tradition désormais établie, le 2ème Cuirassiers ne s'attardera pas à Beaune. Le 9 Septembre, à 13 heures, le 1er Escadron quitte la ville, avec le Groupement Vallin pour se porter sur Nuits-St.Georges. Il est suivi de près par le Groupement Letang, comprenant le 4ème Escadron. Un peu plus tard, à 16 heures 30, c'est le tour du Groupement Durosoy dont font partie l'Etat-Major du Régiment et les 2ème et 3ème Escadrons. Traversant Serrigny puis Argily, il s enfonce sous les hautes futaies de la forêt de Cîteaux et atteint, sans combat, St-Nicolas-les-Citeaux où il s'installe pour la nuit qui commence à tomber. L'ennemi est signalé tout près, à Villebichot, et au carrefour des Citeaux. Nos patrouilles en prennent le contact, canonnent ses positions : il faut malheureusement en rester là à cause de l'heure tardive. St.Nicolas, lui-même, n'a été évacué que tout récemment comme le témoignent les cadavres des retardataires de la Wehrmacht, surpris par la reconnaissance. Nuit calme dans le petit village noyé dans la forêt. Le boche est très discret... Trop discret même, car au petit jour, il n'y a plus personne à Villebichot ; seuls les moines occupent paisiblement l'Abbaye de Cîteaux, que les Allemands avaient pourtant tenté de transformer en forteresse.
Un moine délégué par le père Abbé, se présente au Colonel : une collation a été servie à l'Abbaye... Les Cuirassiers sont impatiemment attendus... Il faut malheureusement décliner cette invitation pourtant si tentante. Quel dommage cependant de ne pas pouvoir contempler toutes ces robes blanches, sorties tout a fait exceptionnellement de l'Abbaye !
Mais le 2ème Cuirassiers doit se hâter... éternel esclavage du temps qui le pousse de nouveau en avant, traverse Villebichot, St-Bernard, Epernay, Broindon, Barges.
Aucune opposition. Seuls quelques barrages d'arbres bien vite enlevés. Saulon, objectif de la journée est rapidement atteint. Le Groupement est aux portes de Dijon, ce Dijon qu'on attaquera sans doute demain... L'ennemi vaincu n'attend cependant pas l'assaut impitoyable qui a été prévu. Mettant de nouveau à profit la nuit pour s'échapper, il abandonne la capitale de la Bourgogne, sans accepter le combat dont l'issue ne lui était sans doute pas douteuse...
Le bruit s'en répand aussitôt et les lourds Sherman déjà prêts à rugir, s'ébranlent paisiblement vers la ville. Fenay, Chevigny... Longvic avec son aérodrome bouleversé par les bombes... Dijon enfin...
Quel spectacle ! Spectacle grandiose, spectacle pathétique... Le Régiment est subitement noyé dans une foule immense, une foule ivre de joie, une foule qui ne sait comment manifester son enthousiasme. Tout Dijon est dans la rue. Tout Dijon est venu recevoir ses libérateurs. Tout Dijon cherche par tous les moyens à leur manifester sa reconnaissance. Dès les extrêmes faubourgs de la ville, les ouvriers d'une entreprise de travaux publics, aux ordres d'un contremaître, se dépensent fébrilement à aménager le gué qui permettra aux Sherman de franchir l'Ouche aux ponts sautés. Pains d'épice, bouteilles de Bourgogne, paquets de cigarettes et de tabac pleuvent sur les chars, sur les Half-Tracks. Comment ne pas ressentir une émotion intense devant le geste si généreux de tout un peuple qui donnant tout ce qui lui fait défaut, a voulu matérialiser l'élan de son cœur vers ses frères venus d'Afrique !
Tout véhicule arrêté est immédiatement assailli par une véritable grappe humaine. Tout homme descendu à terre est happé par cent bras, sa combinaison tournoie parmi les vestons civils, les robes claires d'été, disparaît au centre de l'essaim formé autour de lui. Nul ne peut dire comment le Régiment parvint à traverser la ville, atteignant ses faubourgs Nord.
Le temps de compléter les pleins d'essence, de prendre un repas hâtif et le 2ème Cuirassiers devra quitter la belle cité Bourguignonne. Son futur objectif lui est déjà fixé : la route de Langres s'ouvre devant lui... Seul le 3ème Escadron, envié de tous, reste provisoirement à Dijon pour participer à la grande revue de la Libération.
Le 11 Septembre au soir, le Groupement Durosoy cantonne dans la région d'Is-sur-Tille.
L'Etat-Major du Régiment s'installe à Lux.
Comment les Cuirassiers prennent les Forteresses
Libération de Langres
(13 Septembre 1944)
Le 12 Septembre, à 16 heures 30, retardé une fois de plus par le ravitaillement en essence qu'il faut aller chercher de plus en plus loin, le C.C.1 quitte sa zone de stationnement pour se porter vers Langres. Le Groupement Durosoy qui comprend les 1er et 2ème Escadrons, la Compagnie Guinard du 3ème Zouaves, une Section de la 2ème Compagnie du 88ème Bataillon du Génie et deux pelotons de T.D. du 9ème R.C.A., est en tête. Le 4ème Escadron suit immédiatement avec le Groupement Letang. Rien à signaler jusqu'à Prauthoy. Les Sherman poussent allègrement sur la Nationale 74, route directe de Dijon à Langres. A 17 heures 20 pourtant, le Groupement reçoit un message radio qui fait battre les cœurs :
" L'aviation alliée a signalé, cet après-midi, véhicules et engins avec insignes américains sur la route Neufchâteau-Langres. Prenez toutes mesures utiles pour éviter des méprises...
Voilà donc près d'être réalisée la jonction historique qui enfermera définitivement dans une immense nasse tous les boches attardés dans le centre de la France !... Arrêt à Prauthoy... Dommarien, village situé à quelques 4 ou 5 kilomètres plus à l'Est serait encore occupé par l'ennemi... L'Escadron Fougère manœuvre aussitôt... Le peloton Laporte se met en place sur les hauteurs Est de Prauthoy pour battre les lisières de Dommarien pendant que son Capitaine, avec les deux autres pelotons et les Zouaves du Capitaine Guinard, fait un vaste mouvement tournant par Isomes et Choilley, pour prendre le boche à revers.
Pas de chance ! Le Fritz s'enfuit sans attendre le choc. Le Capitaine Fougère ne peut que canonner ses colonnes en retraite, gêné par la destruction des ponts sur le canal de la Marne à la Saône et par la nuit qui tombe. Puis on repart et on atteint Longeau qui a été occupé par le 2ème Spahis, régiment de reconnaissance chargé d'éclairer le C.C.1.
A 22 heures, grand conseil de guerre à Longeau, au P.C. du 2ème Cuirassiers. Y assistent le Général du Vigier en personne, le Général Sudre, le Lieutenant-Colonel Durosoy, Le Lieutenant-Colonel Lecocq, commandant le 2ème Spahis, le Colonel de Grouchy, représentant des F.F.I. régionaux, le Commandant d'Astier des "Commandos de France". On examine la situation : la résistance ennemie s'est raidie cet après-midi ; le 2ème Spahis est arrêté à Bourg. On se sépare après avoir mis au point les lignes générales de l'opération décidée pour le lendemain matin :
le Groupement Durosoy attaquera en suivant la route Nationale 74, pendant que le Groupement Letang débordera l'objectif par l'Est.
Le 13 Septembre, dès le lever du jour, les Spahis débouchent de Bourg, montent sur le plateau, déferlent vers Saint-Geosmes, stimulés par l'appel des tours de la cathédrale de Langres qui se profilent dans le lointain sur le fond grisâtre d'un ciel de Septembre. Le Colonel suit au plus près l'attaque, prêt à jeter dans la balance la fougue hardie des chars légers du Capitaine du Boispean, intervention qui se révèle bientôt indispensable, car le feu ennemi s'est intensifié et bloque les Spahis. Le 1er Escadron est aussitôt lâché. Mission : déborder largement Saint-Geosmes en agissant de part et d'autre de la route Nationale. Manœuvre rapide menée par les pelotons Martin et Zeisser...
L'ennemi est pris à revers... Sa défense s'effondre. Tout est terminé à 9 heures. Trente prisonniers, une pièce de 105 et un mortier de 210 sont restés entre nos mains. Saint-Geosmes conquis offre un magnifique observatoire sur tout le terrain de combat. Au centre, émergeant d'épaisses broussailles, parsemées de grands arbres, se dresse la masse abrupte de la vieille forteresse de Vauban. Excellentes vues à l'Est, s'étendant bien au delà du canal de la Marne à la Saône, sur une plaine faiblement ondulée. A l'Ouest, par contre, le terrain raviné et coupé se prête parfaitement à la manœuvre, à l'infiltration. C'est là que le Colonel a décidé d'agir avant même la chute de Saint-Geosmes, y lançant la presque totalité de ses moyens : l'Escadron Fougère, la Compagnie Guinard, le peloton de Tanks-destroyers Feller. Le Capitaine Fougère devra déborder la place soit en la contournant au plus près, par le ravin qui borde la ville, soit en poussant plus à l'Ouest par Noidant, Vieux Moulins et Perrancey.
Cependant les Spahis ont dépassé St-Geosmes. Ils avancent vers Langres, se mettent en mesure d'affronter l'imposant obstacle qui leur barre la route. Il est impossible de trouver un créneau pour le 1er Escadron sur cet axe étroit de la Nationale 74. Mais n'y a-t-il pas mieux à faire ailleurs ?... A 9 heures 30, ordre au Capitaine du Boispean de déborder Langres par l'Est, par Corlée, de se saisir du pont de Peigney, sur le canal, et d'opérer la liaison avec le détachement Fougère, au Nord de la ville, réalisant ainsi son encerclement. A 11 heures les Spahis attaquent. Leur assaut vient se briser contre les défenses redoutables de la citadelle. Le boche est solidement installé dans les casemates et les superstructures. Bien abrité, il tient sous un feu violent d'armes automatiques et de grenades à fusil le profond fossé qui entoure la forteresse. La porte donnant sur la Nationale 74 est barricadée et murée. Un canon de 105 prend la route d'enfilade.
Est-ce l'échec ? Non... Un deuxième assaut va être donné à 15 heures... Par ailleurs, combien sont déjà riches de promesses les premiers résultats de la manœuvre en cours.
Fractionnant son détachement, le Capitaine Fougère a lancé sur Noidant le Lieutenant Bley du 3ème Zouaves avec sa section et le peloton Moine. Il conduira lui-même, le peloton Laporte, la section Lhopitaux et le peloton Feller, par un itinéraire plus proche de la ville. Le Capitaine Guinard le suivra avec le reste du détachement ; c'est lui qui sera chargé d'un nettoyage éventuel. A 10 heures, le Lieutenant Bley débouche de Noidant, traverse Vieux-Moulins, atteint Perrancey.
"Mon premier est papa, dit la radio, mon second n'est pas frais..." Charade un peu simpliste, témoignant de l'extraordinaire entrain et de la magnifique bonne humeur de cette opération menée par le Régiment...
Le Capitaine Fougère s'est cependant engagé sur la route stratégique qui contourne Langres, guidé par un civil, Monsieur Beaussant. Il longe la citadelle qui s'étend à ses pieds, tel un château de sable monstrueux.
Cette caserne est pleine de boches..." dit le guide.
L'objectif est très tentant... Ordre bref à la radio... Les Sherman s'arrêtent... Leurs tourelles tournent ...quelques salves... puis on repart...
A midi, le carrefour Nord de Langres, celui des routes de Neufchâteau et de Chaumont, est atteint. L'ennemi est au trois-quarts encerclé ; il ne lui reste plus qu'une issue, celle de l'Est.
Mais n'y a-t-il pas lieu de parfaire les résultats acquis ? La région est encore infestée de petits détachements boches ; une batterie est signalée au Fort de la Pointe ; il y en aurait une autre et de l'Infanterie à Humes, à 6 kilomètres de là.
Vite un radio au Colonel !...
...C'est d'accord !...
L'opération est confiée par le Capitaine Fougère au Capitaine Guinard. Il disposera des éléments commandés jusque là par le Lieutenant Bley, plus le peloton Feller. Resté, lui-même, à la garde du carrefour, il cherche à améliorer sa position, car il est indispensable qu'il se dégage de cette cuvette qui le met complètement à l'écart de la bataille toute proche. Son regard se pose sur une sorte de piton qui meuble l'angle formé par les routes de Chaumont et de Neufchâteau...
"C'est Notre-Dame-de-la-Délivrance" lui dit-on...
Quel nom prédestiné. Mais qui saura y conduire les Sherman ?
Monsieur Lieger s'offre spontanément. A 13 heures, alors que le Capitaine Guinard règle leur compte aux boches de Humes, les chars du Capitaine Fougère ont gravi la pente abrupte. Ils dominent de nouveau Langres et la plaine qui s'étend vers le Nord et l'Est. Ils sont bien payés de leur effort : les routes fourmillent de convois allemands en retraite... La voix des Sherman retentit furieuse, implacable... Des camions brûlent... Des fourgons sautent....
" Loiliot ! Vous brûlez, Loiliot. Ne voyez-vous pas que votre char brûle ! " Dans l'ivresse du combat, le Maréchal-des-Logis Chef Loiliot ne s'était rendu compte de rien... Il bondit, en entendant à la radio la voix de son chef, pour éteindre le" Jourdan" brûlant comme au jour de Notre-Dame-de-la-Garde, brûlant pour la deuxième fois...
Brave " Jourdan" qui portera en fin de journée soixante-huit impacts d'armes anti-chars !...
A droite, les chars légers du Capitaine du Boispean n'ont pas perdu non plus leur temps. A 11 heures, dépassant Corlée, ils sont exactement à l'Est de la ville, à l'intersection de la route de Vesoul et du canal de la Marne à la Saône.
A 13 heures, le pont de Peigney est atteint. Le pont est intact ! Quelle chance. " Mais, attention, disent les habitants aux Cuirassiers, tout a été préparé pour le faire sauter. Onze pionniers chargés de cette mission, sont à proximité".
Soudain, poussière sur la route... un motocycliste surgit, voit brusquement les chars, saute de sa machine, s'enfuit dans les jardins... C'est un boche ! C'est l'estafette chargée d'alerter les pionniers... Mais où sont donc ces pionniers introuvables ? Ils sont découverts par le Lieutenant Henriot. Parcourant le secteur, il entre dans une cour de ferme, pénètre dans la maison... Là ... Quelle surprise... Quatre boches sont attablés, jouant aux cartes, entourés par une dizaine de camarades armés, aussi absorbés par la partie en cours que les joueurs... " Haut les mains ! " Stupéfaits, les boches se dressent, voient le canon menaçant de la mitraillette, se rendent... La liaison est prise à la gare de Langres avec un char du 2ème Escadron. Les chars légers patrouillent à l'Est, au Nord-Est, s'approchent des portes de Peigney et de Vesoul... Aucune réaction de l'ennemi... Mais que faire sans Infanterie et sans Génie ? Les petits canons de 37 ne se sentent pas capables de faire sauter les murs épais qui barricadent les ouvertures des remparts de la ville...
Dérouté, à la suite d'une demande radio du Colonel, le Groupement Letang a abandonné sa direction primitive et s'est rabattu, lui aussi, sur Langres. A 13 heures, le 4ème Escadron, l'Escadron Ardisson, est à Corlée, mesurant avec surprise l'impressionnant à pic des murailles de la citadelle. Il a ordre de rester sur place pendant que les Zouaves progressent à travers champs vers la ville. C'est ainsi qu'il assiste, à 13 heures 30, au déluge de feu et d'acier qui s'abat sur la forteresse ; c'est la préparation précédant le deuxième assaut des Spahis. Préparation violente s'il en fut... Cinq cents coups de canon de 105... Plusieurs centaines de coups de mortiers... Pendant plus d'une heure, les automoteurs du 1er groupe du 68ème Régiment d'Artillerie et les mortiers de l'Adjudant Thuny déversent leurs projectiles, couvrant de poussière et de fumée le repaire du boche... Puis les chars légers du 2ème Spahis bondissent en avant, battant les superstructures de la forteresse. C'est l'assaut... assaut vain encore une fois, hélas. Spahis, parachutistes américains, maquisards qui ont tenu à prendre part, eux aussi, à la fête, tous sont cloués au sol par l'implacable tir de l'ennemi... Tentant un suprême effort, le Capitaine Beaudoin du 2ème Spahis surgit dans un magnifique élan, suivi de l'Adjudant-Chef Faizentieux de la 2ème Compagnie du 88ème Génie... Il va essayer de faire sauter la porte de la citadelle... Quelques pas... et il s'effondre, fauché par une rafale de mitraillette... L'Adjudant-Chef Faizentieux le relève et le ramène sous le feu. Il est 15 heures 30.
Le Lieutenant-Colonel Lecoq rend compte au Général du Vigier, arrivé sur le terrain de combat, de ce qu'il est contraint de renoncer à l'opération.
Le Colonel Durosoy reçoit alors l'ordre de prendre sous son commandement tous les éléments du C.C.1 présents...
Les Cuirassiers sont en place...
Les Cuirassiers vont donner...
A 13 heures 45, un message radio du Colonel a prescrit au Capitaine Fougère de regrouper son détachement, d'aborder une porte de la ville et de la faire sauter à coups de canon...
Le regroupement prévu demande du temps ; il faut attendre l'issue de l'opération de nettoyage entreprise à Humes.
Le Capitaine Fougère profite des délais qui lui sont imposés par sa situation pour prendre la liaison téléphonique avec le Capitaine F.F.I. Henri, prêt à agir à l'intérieur de la ville.
Le Capitaine Ardisson, de son côté, bout d'impatience. A 15 heures, n'y tenant plus, il décide de pousser en jeep jusqu'à la porte de Langres, donnant sur la route de Vesoul. Il est suivi par l'Aspirant Virpt, le Lieutenant de Tinguy, officier d'échelon de l'Escadron, et le Capitaine Petitclerc, Commandant la 1ère Batterie du 68ème R.A.
Les Jeeps débouchent de Corlée, filent à travers champs, rejoignent la Nationale 19, route de Vesoul, y trouvent, arrêtés, les chars du peloton Gérard. La route est, en effet, coupée par un fossé sur la moitié de sa largeur ; il est à craindre que l'autre moitié ne soit minée. Des coups de feu isolés partent des remparts... des balles sifflent... Le Lieutenant de Tinguy et l'Aspirant Virot rampent, examinent le sol. ... Pas de mines... " En avant !"
Les Jeeps arrivent à la première porte de la ville. Les Zouaves sont là... la section Godard vient de surgir à pied, des couverts, précédée par le Capitaine Le Morillon.
A 15 heures 30, le Capitaine Ardisson, toujours suivi par ses camarades, passe la deuxième porte. Ils sont rejoints par le Lieutenant Bonvillain, Officier de transmissions du C.C.l. A leur suite, les Zouaves s'engouffrent dans Langres... puis ce sont les chars... Nettoyage à la grenade....Fracas des rafales de mitraillette...
Un homme se dresse soudain devant le Capitaine Ardisson. Le Capitaine de Pompiers, chef F.F.I., vient le renseigner...
L'Etat-Major de la garnison serait dans une tour fortifiée, près de la Place Bel-Air...
" En avant !" La lourde masse du "St-Raphaël" progresse vers la tour. Ses chenilles broient le macadam...
Quatre obus coups de semonce... puis le Capitaine Ardisson se porte en avant, somme les boches de se rendre…
"Attention" dit un civil, " il y a une autre porte de l'autre côté... Ils peuvent s'enfuir..."
Le Capitaine Ardisson bondit... Trouve la porte entr'ouverte...
" En arrière !"... lui crie le Maréchal-des-Logis Navarro.
Il était temps. Une grenade lourde fend l'air, éclate dans un fracas assourdissant...
Mais le "St-Raphaël" a suivi. Il se remet en batterie. Inutile. Un drapeau blanc flotte sur la tour.
Deux Commandants, deux Capitaines, un Lieutenant apparaissent successivement, les bras levés.
Mais l'affaire n'est pas terminée ; le combat fait rage toujours, tout près, dans la direction de la citadelle, pendant que les cloches des églises sonnent à toute volée, annonçant la libération toute proche... Il s'agit de convaincre les officiers prisonniers de persuader leurs camarades qui résistent encore, de mettre bas les armes... C'est fait... Un Hauptmann négociera leur reddition... On le conduit bien vite au Capitaine Fougère qui s'emploie à régler la question à coups de canon.
Ce n'est qu'à 15 heures 30 que le Capitaine Fougère se trouve en mesure d'agir, ayant récupéré le détachement Guinard. L'expédition d'Humés a été fructueuse ; elle nous a valu une vingtaine de prisonniers ; de nombreux cadavres boches sont restés sur le terrain ; une batterie de D.C.A. a été mise hors de combat. Mais ce n'était qu'un intermède ; il importe maintenant de trouver un moyen de pénétrer dans Langres.
Le Capitaine Fougère se hâte d'envoyer une patrouille à pied pour reconnaître les portes Nord et Ouest. Un Adjudant-chef F.F.I. servira de guide... Le Chef d'Escadrons de Maison Rouge l'accompagne...
Vive fusillade... Fausse alerte. La patrouille revient : pas de boches... ils se seraient tous retirés dans la citadelle...
L'itinéraire à suivre a été reconnu... "Allô ! Isidore..." le Colonel s'impatiente à la radio... Sa voix est couverte par le son des cloches... Il est 16 heures.
Les Sherman s'ébranlent, gravissent une longue côte, longent les remparts, accèdent à une porte, la franchissent.
La ville est déjà pavoisée. Des acclamations... des fleurs... un char qu'on croise ; le 4ème Escadron est donc déjà là...
Le "Dupleix" est en tête, suivi du "Davout". Puis c'est le "Desaix" et le Capitaine Fougère à bord du "Dunois "...
Les Zouaves de la section Lhopitaux se dressent, la mitraillette à la main, sur les plages arrières des chars...
Un boulevard... une place... un autre boulevard... soudain virage... Le "Dupleix" s'y engage... un pont... des murs massifs... le char emporté par son élan foule le pont d'accès à la porte Nord de la citadelle... Un fantassin boche, un fusil à la main, est rentré précipitamment par la porte murée aux trois-quarts... lueur métallique dans la demi obscurité du porche... à peine le temps de réaliser que c'est la bouche d'un canon de fort calibre... char et canon de 105 tirent ensemble... Puis deuxième coup de canon, trop court, couvrant le pont d'une épaisse fumée noire...
Les Zouaves ont bondi du char dans le fossé. Ils tirent sur la porte... Le tireur du "Dupleix", le Cuirassier Bert, tire lui aussi, à coups redoublés tandis que des superstructures, crépite un feu intense de mitrailleuses. " En arrière !" crie cependant à son conducteur le Maréchal-des-Logis Guermont, chef de char. Le "Dupleix" trop avancé, est surplombé par les remparts. Il faut lui donner du champ...
Le char recule et son équipage étonné voit sa chenille droite se dérouler sur le sol... Le premier coup de 105 boche a porté. N'écoutant que son courage, le Maréchal-des-Logis Guermont saute à terre et, sous le feu, à 20 mètres de l'ennemi, guide le "Dupleix" comme à la parade, le serre au plus près du talus, le fait virer vers la droite malgré sa chenille coupée. Désormais bien placé, le char reprend sa place dans le combat.
Derrière lui, à 50 mètres, le "Davout" qui s'est arrêté dès le premier coup de canon. Le "Desaix" a dégagé dans les arbres, à droite. Le "Dunois" est en bonne position derrière le "Davout".
C'est alors qu'apparaît le Hauptmann parlementaire.
" Explique-lui, crie le Capitaine Fougère au Maréchal-des-Logis Guermont qui sert d'interprète, que je leur donne un quart d'heure pour se rendre. Après, je rentre et je massacre tout..."
Le feu s'arrête à la vue de l'officier ennemi porteur du drapeau blanc. Il pénètre dans la forteresse... Dix minutes d'attente... Le parlementaire ressort accompagné par un capitaine d'artillerie. Même ultimatum...
"Nous serait-il permis de sortir en rangs et en armes ?"
" Oui, mais que ce soit rapide ! "
Une demi-heure à peine, et une longue colonne franchit le porche, défile devant les chars, se dirige vers l'endroit prévu pour son désarmement. Après l'Infanterie, ce sont les canons, puis les fourgons avec leurs chevaux. Dix officiers, trois cent gradés et hommes, trois pièces de 105, dont deux intactes, des mitrailleuses, des armes anti-chars, un matériel considérable, tel est le tableau de chasse du 2ème Cuirassiers. Il est 18 heures, le Général Sudre, Commandant le C.C.1 et le Colonel Durosoy assistent à la reddition de la garnison. Les rues de Langres fourmillent d'une foule enthousiaste... Mais se rend-elle bien compte de l'exploit unique auquel elle vient d'assister ?
La fin des beaux jours
Vers l'Epreuve des Vosges
(14-22 Septembre 1944)
Le 14 Septembre, à 7 heures, le 2ème Cuirassiers quitte le théâtre de ses exploits de la veille pour se porter dans la région de Plesnoy-Marcilly. Il pleut... Les chars creusent profondément de leurs chenilles les mauvais chemins détrempés qu'ils ont été obligés d'emprunter pour éviter les ponts sautés sur le canal de la Marne à la Saône. Les roues des Jeeps font jaillir, des ornières, des flots de boue noirâtre. Les véhicules dérapent, se redressent, tandis que les chefs de char, à la tourelle, courbent le buste pour éviter le choc humide des branches jaunies par l'automne.
Quelques villages bien vite traversés, villages austères que leurs rues mal pavées et leurs tas de fumiers rendent si semblables à ceux de Lorraine. C'est bientôt Plesnoy, l'objectif de la journée.
Le lendemain, 15 Septembre, à midi, ordre de se porter en direction de Jussey. Il s'agit de se saisir des ponts sur la Mance et la Saône.
A 14 heures, le Régiment en route traverse successivement Arbigny, Bize, Laferte, Pisseloup et Barges, précédé par l'Escadron André dont les messages radio signalent à chaque village, que la voie est libre. A Blondefontaine cependant, alerte : Cendrecourt est occupé par l'ennemi. Jussey est libre mais le pont sur la Mance est sauté.
Le Colonel décide aussitôt d'entreprendre une manœuvre pour chasser le boche de Cendrecourt dont la possession est indispensable pour protéger la construction du pont de Jussey. La Compagnie Guinard passera la Mance et le canal à pied, à Betaucourt, pour se rabattre sur Cendrecourt. Son mouvement sera protégé par l'Escadron Fougère, en position sur la crête entre Betaucourt et Raincourt et prêt à ouvrir le feu sur les lisières Nord de Cendrecourt.
De la crête dominant l'objectif, le Colonel suit à la jumelle la progression des Zouaves. Aucune réaction de l'ennemi...
L'Infanterie avance, aborde le village, y pénètre... " Pas de boches... Ils se sont enfuis, abandonnant Cendrecourt sans combat. Le mouvement reprend et c'est l'entrée triomphale dans Jussey pavoisé. Le lendemain, 16, le 2ème Cuirassiers est de nouveau en panne d'essence... Les réservoirs de ses chars légers en contiennent cependant suffisamment pour leur permettre de se livrer à une passionnante chasse à l'homme dans les bois situés au Sud de Jussey. En effet, dès le 16 au matin, les habitants ont signalé des groupes de boches se livrant au pillage des fermes de la région. Excellent passe-temps que de capturer ces pillards.
L'affaire se révèle cependant encore plus intéressante qu'elle n'avait parue de prime abord. N'apprend-t-on pas que de nombreux officiers, et même un Général, figurent dans les rangs des maraudeurs... Puis, renseignement plus précis, qui décuple l'ardeur des chasseurs, c'est la découverte de l'identité du fameux général... Il s'agit, en effet, du dénommé Von Brodowski, le responsable de l'affreux massacre d'Oradour-sur-Glane. Les documents de son Etat-Major, saisis le même jour permettront d'établir indiscutablement sa culpabilité. Le soir, 100 prisonniers dont un Colonel et sept officiers, figurent au tableau de chasse du 1er Escadron. 50 autres dont également un Colonel, ont été capturés par le 4ème Escadron. Quel spectacle que l'arrivée de ces Messieurs, sales, déguenillés, tombant de fatigue. Où donc est passée la morgue de ce Colonel, chef d'Etat-Major du Général Von Brodowski, effondré dans une brouette, poussée par son ordonnance ? Seul, le Général est resté introuvable...
"Il a de bonnes bottes..." disent ses Officiers beaucoup moins bien pourvus...
Le Général n'alla pas cependant bien loin. Echappant de justesse au 2ème Cuirassiers, il fut recueilli par le 2ème Spahis. Les 17 et 18 Septembre, le Régiment est toujours à Jussey. Jamais encore depuis le débarquement, il ne lui est arrivé de rester aussi longtemps inactif, de séjourner aussi longtemps dans une même localité... Que se passe-t-il donc ? Les temps si proches encore où l'on franchissait allègrement chaque jour, de grande ville en grande ville, ses 50 ou ses 100 kilomètres, sont-ils donc révolus ? Chaque jour exigeait alors sa nouvelle carte Michelin. Le dernier ordre d'opérations reçu de l'Etat-Major du C.C.1 fait état des "résistances ennemies qui se révèlent plus sérieuses à mesure que l'on se rapproche de la Trouée de Belfort". Il fait allusion à un mouvement de chassé-croisé qui doit amener le 6ème Corps d'Armée Américain, de la droite de l'Armée Française à sa gauche... Le boche est-il devenu coriace au point que la situation exige une pause ? La belle poursuite que l'on vient de vivre depuis plus d'un mois est-elle donc terminée ? Et ceci avant d'avoir libéré l'Alsace, avant d'avoir atteint le, Rhin... Il pleut toujours... Il commence à faire froid... C'est vraiment la fin des beaux jours...
Le 19 Septembre, à 14 heures, le Régiment s'ébranle enfin en direction de Lure. Étape sans intérêt par Port-sur-Saône et Vesoul, à travers un territoire libéré depuis plusieurs jours déjà, puis installation laborieuse dans de tout petits villages. La Creuse, situé à quelques 12 kilomètres à l'Ouest de Lure, échoit au P.C. du Colonel. Pas de mouvement, de nouveau, le 20 Septembre, les réservoirs des chars sont encore à sec...
Le lendemain, 21, ordre de se porter sur Lure.
Toutes ces petites étapes sentent affreusement la stabilisation du front. Ne se bat-on pas à quelques kilomètres seulement de Lure sans arriver à réaliser ces avances spectaculaires auxquelles le 2ème Cuirassiers a été habitué depuis le débarquement ?
L'ordre d'opérations de la Division, du 21 Septembre, adressé aux Zouaves engagés à pied, ne prévoit d'ailleurs que des objectifs très limités, situés à deux ou trois kilomètres seulement des positions tenues.
Le 22 Septembre, le peloton de mortiers du Régiment est mis à la disposition du 3ème Zouaves à Melisey.
Toujours la même stagnation le 23... Le 24, du nouveau... Le C.C. a quitté Lure pour se porter en direction de Faucogney d'où il devra être prêt à déboucher ultérieurement vers le Thillot... Pourquoi le Thillot ? C'est un carrefour important certes, mais n'y est-on pas nez à nez avec la barrière difficilement franchissable de la crête des Vosges ?
Une toute petite étape amène le 2ème Cuirassiers dans la région de Lantenot où s'installe le P.C. du Colonel. On y passe la pluvieuse journée du 25 Septembre. C'est dans la nuit du 25 au 26 que le Régiment reçoit l'ordre qui va fixer son sort pour de si longues semaines. Un groupement doit être constitué aux ordres du Commandant de Laprade.
Ce groupement comprendra une Compagnie du 3ème Zouaves, un Escadron de chars moyens (ce sera l'Escadron Ardisson), le peloton de mortiers du 2ème Cuirassiers, une section de Génie (section Paro). Sa mission est de relever les éléments de la 3ème Division d'Infanterie Américaine sur l'axe Corravillers - Château-Lambert et de barrer la route, face à l'Est à hauteur du méridien 27, à l'aplomb de Ferdrupt.
Qui aurait pu prévoir vers quels destins cet ordre entraînerait le Régiment...
Groupement de Laprade... Il portera bien peu de temps hélas ! le nom de son chef...
Méridien 27 ? Personne ne connaissait alors le nom désormais gravé en lettres de sang dans les fastes du 2ème Cuirassiers,
BOIS-LE-PRINCE
"Bois-le-Prince"... Tristesse... Désolation... Deuil... Mort...
Chef d'Escadrons de Laprade, votre ombre hante-t-elle ces lieux désolés ? .
Sous-bois humides... Crêtes des Vosges noyées dans les brouillards... Chant monotone de la pluie dans les branches...
Quinze fois, un jour pâle s'est levé sur notre espérance, quinze fois le crépuscule a couvert notre désespérance...
Journées de combat... Nuits sans sommeil... Obscurité peuplée d'éclairs...
Silence immense des bois... puis claquement sec d'une détonation à l'écho mille fois répété... bruit sourd d'une explosion... Face à nous, tel un monstre aux membres sans cesse renouvelés, le Régiment du Bodensee défend âprement Château-Lambert. Hauts-de-la-Parère... Le Hetraye... Noirs-Etangs... Mont-de-Breucheux... noms romantiques, noms sanglants de durs combats...
La mort dont le souffle frôle à chaque instant... la mort qui rôde impitoyable, frappant sans relâche...
Cette désolation a affermi cependant notre résolution, l'âpreté de la lutte, notre espérance.
Bois-le-Prince, le sang des nôtres a fait de toi une source d'eau vive. Nous y avons puisé, la volonté, la force et la dureté qui nous ont permis de vaincre.
Le premier choc
(26-27 Septembre 1944)
Le 26 Septembre, à 6 heures, le Groupement de Laprade quitte Lantenot. Il traverse Faucogney, monte vers Corravillers, gravit les lacets conduisant au col des Fourches et, tournant à droite, s'engage sur la route, dite stratégique du Fort de Château-Lambert.
Le temps est affreux. Au fur et à mesure de l'ascension, à la pluie fine du départ succède un brouillard de plus en plus opaque. Il est impossible d'avancer autrement qu'au pas sur l'étroit chemin de terre bourbeux et défoncé, baptisé pompeusement "route stratégique" ; toute fausse manœuvre conduirait inévitablement à un enlisement, le chemin étant bordé, d'après le peu qu'il est possible de voir, soit par des étangs, soit par des terrains meubles.
Les chars, les Half-Tracks s'enfoncent cependant résolument dans cette demi-obscurité pleine de menaces.
Mais voici des bruits de combat... des éclatements de plus en plus proches... puis des cadavres étendus sur le sol détrempé... Un dernier tournant... Une masse sombre... C'est un Sherman. Les Américains sont là.
"Vive la France !" s'écrie joyeusement le Colonel Américain en recevant le Commandant de Laprade.
Le Commandant de Laprade essaye de recueillir le maximum de renseignements sur le secteur dont il prend possession, pendant qu'on commence à procéder aux opérations de relève. Cette relève est bien une relève à la Française... Là où nos alliés avaient engagé deux bataillons d'Infanterie renforcés d'une compagnie de Sherman et d'une compagnie de T.D., nous mettons en ligne une compagnie squelettique de Zouaves et un Escadron de Chars... Comment, d'autre part, répartir judicieusement ces pauvres moyens, alors qu'il est impossible de se faire une idée de la configuration générale du terrain par suite de ce brouillard de plus en plus épais ?...
On fera pour le mieux... On se fiera à la carte...
Le point à priori important du secteur, est le carrefour de la route stratégique avec le mauvais chemin orienté Nord-Est - Sud-Ouest, conduisant d'une part vers Ramonchamp, d'autre part, à travers un enchevêtrement d'étangs, vers Esmoulières et Faucogney. Au peloton Giraud, la mission de le tenir.
200 mètres plus au Sud sur la route stratégique, une barricade construite par les Américains ; c'est la limite extrême de leur avance. C'est là que se mettra en position le peloton d'Annam. Autour du carrefour, meublant les angles formés par la route stratégique et le chemin d'Esmoulières, un bois, le Bois-le-Prince, dit la carte. Il serait essentiel d'interdire à l'ennemi l'accès de ses lisières Sud, sinon, gare aux infiltrations vers le carrefour ou même vers nos arrières. Il ne peut malheureusement pas être question de confier la défense d'un front aussi étendu à un peloton de chars et à deux sections de Zouaves, uniques moyens restant disponibles. Il faut courir le risque, en resserrant le dispositif... Le peloton Gérard se contentera donc de tenir la partie Nord du Bois-le-Prince, à proximité du carrefour.
Les Zouaves étaieront Giraud et d'Annam.
Rien par conséquent dans la profondeur du Bois-le-Prince... Rien dans les intervalles... Rien sur les sept kilomètres qui séparent la position du Col des Fourches...
La relève se poursuit dans cette demi-obscurité humide... Il faut se doubler, se croiser sur ce chemin étroit... Que d'entassements inévitables. Les observatoires ennemis sont aveugles, certes, mais les guetteurs boches, tout proches, n'entendent-ils pas ces bruits de chars... ?
Le Commandant de Laprade installe son P.C. Il se tiendra dans la petite ferme à 200 mètres, au Nord du carrefour.
Le poste de secours avancé et le Capitaine Petitclerc, observateur d'artillerie, partageront avec lui la maison. Le peloton de mortiers en assurera la défense immédiate. Fin de journée et nuit calmes cependant... l'ennemi réserve sans doute toute sa virulence en vue de l'assaut qu'il se prépare à déclencher le lendemain.
Le 27, à 7 heures, des obus, des minen s'abattent sur nos positions. Alerte ! chacun est à son poste.
Les balles sifflent, puis apparaissent des silhouettes toutes proches déjà... C'est l'attaque...
D'Annam est pris à partie de front. Le boche a pénétré dans le Bois-le-Prince... les arrières de Gérard sont menacés... Les Sherman réagissent violemment de toutes leurs armes. Les mortiers de l'Adjudant Thuny sont en action, prolongeant au plus près le puissant barrage d'artillerie déclenché par le Capitaine Petitclerc. L'attaque est stoppée.
Pourtant tout n'est pas fini... Des isolés se sont infiltrés dans les vides de notre dispositif clairsemé ; ils sont parvenus jusqu'au bois Ouest du P.C., bois qui abrite les trains légers du 4ème Escadron... Inquiet, le Lieutenant de Tinguy s'y porte. Il est suivi par l'Aspirant Virot. Soudain, devant eux, dans le fossé, un camion du 3ème Zouaves... Un corps inerte... c'est le conducteur tué... Un autre corps... un Officier... le Lieutenant Nicolas... Il est blessé... il râle...
L'Aspirant Virot se précipite à son secours... mais, rafale de mitraillette... Il chancelle... Il tombe, mortellement blessé...
Plus heureux, le Lieutenant de Tinguy réussit à faire ramener ses deux camarades au poste de secours avancé. Il rend compte de ce qu'il a vu au Commandant de Laprade. Il faut alerter le Colonel... Il faut faire demander d'urgence à l'Etat-Major du C.C.1 un renfort d'Infanterie...
Mais comment atteindre le col des Fourches à travers cette zone désormais incertaine ? Le Lieutenant de Tinguy part en half-track. Les minutes succèdent aux minutes... Le Commandant de Laprade se dépense sans compter.
Son P.C., une des rares maisons de cette région austère, est violemment pris à partie par l'artillerie et les minen boches. Des balles sifflent, elles aussi, claquant dans les arbres... L'ennemi est si près...
Insouciant du danger, le Commandant de Laprade règle posément, lui-même le tir de ses mortiers.
Soudain... coup fatal... Il s'effondre... Le Capitaine Ardisson qui était à ses côtés, gît, lui aussi sur le sol... Un minen a éclaté en fusant, dans les arbres...
"Le Commandant de Laprade est grièvement blessé" dit la voix de la radio, cette même voix qui n'osera pas, le soir même, annoncer au Colonel qui a immédiatement pris, en personne, le commandement de ce petit détachement, que "le Commandant de Laprade n'est plus... !"
Bois-le-Prince
Journées de combat - Nuits sans sommeil
(27 Septembre - 3 Octobre 1944)
27 Septembre, 22 heures...
La nuit qui a succédé au jour pâle, n'a pas été en mesure d'apporter aux combattants du Bois-le-Prince le calme et le repos. L'ennemi continue à harceler nos positions. Les canons, les minen s'acharnent sans relâche sur le P.C. du Commandant de Laprade dont le Colonel a pris possession. La toiture de la maison s'est effondrée.
Le Colonel veille parmi les cris des blessés, les râles des mourants...
Il a pu rétablir, dans le courant de l'après-midi, la situation compromise, étayer quelque peu, grâce aux renforts reçus, le dispositif du groupement. Ce fut d'abord la Compagnie Tardy à qui il confia la mission de nettoyer les bois dans lesquels s'était infiltré le boche, puis les pelotons de chars légers Martin et Gouailhardou, enfin la Compagnie Valmy de la Brigade F.F.I. Alsace-Lorraine.
Le Sous-Lieutenant Martin tient désormais, avec deux sections de Zouaves, les lisières de Bois-le-Prince sur la route d'Esmoulières. Le Sous-Lieutenant Gouailhardou est à sa lisière Ouest sur la route stratégique, en arrière du P.C.
Le Lieutenant Tardy, avec sa section de réserve, est à la même lisière, plus au Sud. Quant à la Compagnie Valmy, elle occupe le boqueteau à 200 mètres Nord-Est du P.C., face au mamelon dit Tête d'Alouette, tenu par l'ennemi.
A 19 heures, à la tombée du jour, le boche a tenté un coup de main sur notre point d'appui à l'Est du carrefour. Accueilli par un feu violent, il n'a pas insisté. Pas de repos possible cependant avec ces tirs incessants. Ce fut, à 19 heures, un bien sévère baptême du feu pour la Compagnie Valmy... Quatre morts, dix blessés...
Dure journée.
Le 2ème Cuirassiers a perdu, lui, trois tués dont deux Officiers, le Commandant de Laprade et l'Aspirant Virot, et quatre blessés dont un Officier, le Capitaine Ardisson. Il y a, en outre, sept blessés au 3ème Zouaves, deux à la section du Génie.
Le 28 Septembre, à 11 heures 30, pendant que le gros du Régiment fait mouvement de la région de Sainte-Marie-en-Chanois en direction de Faucogney, les obus ennemis s'abattent brusquement, dru, sur nos positions, abandonnant leur nonchalante intermittence. Le P.C. du Colonel est toujours spécialement visé.
Le médecin auxiliaire Barrot qui prodiguait ses soins aux blessés à l'intérieur de la maison, tend la main pour saisir son casque... Trop tard, il s'affaisse, mortellement blessé... Un éclat l'a atteint au front...
A 14 heures, nouvelle recrudescence du feu ennemi... Rafales d'armes automatiques de plus en plus fréquentes, de plus en plus proches... C'est une attaque, une violente attaque... La radio retentit d'ordres brefs, entremêlés du crépitement des mitrailleuses...
Tirs de barrage de nos automoteurs... Tirs de mortiers... Comme les minutes sont longues lorsqu'on se sent ainsi sur la corde raide ! Comment tenir à coups de chars et à coups de canons un aussi vaste front accidenté et boisé ?
Il faudrait de l'Infanterie... beaucoup d'Infanterie... infiniment plus que quelques dizaines de Zouaves et la Compagnie Valmy...
Compagnie Valmy ? Quels braves gosses ! N'ont-ils pas tous juré, à la Brigade Alsace-Lorraine de rentrer chez eux en combattant... Mais ils sont mal habillés, mal chaussés, à peine armés... Non encore aguerris, ils ne pouvaient pas, en outre, ne pas être secoués par leurs pertes de la veille...
Le Colonel appelle à la radio l'Etat-Major du C.C.1, une deuxième Compagnie F.F.I. lui est promise.
15 heures 30... Le boche a encore été stoppé. Il a de nouveau reporté toute sa fureur dans ses tirs d'artillerie et de minen. Les automoteurs du 68ème, les Sherman répondent ; ils pilonnent les observatoires probables, dont la Tête d'Alouette et le Bozon-du-Milieu. Que faire de plus pour soulager le combattant soumis à ces tirs incessants ? Une solution : les batteries américaines de Rupt-sur-Moselle...
"Allô, Pierre-Etienne... !"
Le Colonel insiste auprès de l'Etat-Major du C.C.1 pour obtenir des tirs de contrebatterie de nos alliés.
17 heures... Nouvelle contre-attaque... Le boche essaie cette fois de déboucher de la Tête d'Alouette... Il est aux prises avec le peloton Giraud...
Déluge de feu sur nos positions... La maison P.C. et ses abords sont devenus à tel point intenables que le Colonel consent enfin à changer d'emplacement. Les Half-Tracks, les Jeeps, débouchent de la clairière, traversent la route, pénètrent dans la partie Nord-Ouest de Bois-le-Prince, à 300 mètres de là. La terre jaillit autour des véhicules ; l'ennemi salue le déplacement du P.C....
"Sont-ce nos chars qui tirent ?" demande naïvement un radio du Half-Track au Colonel qui suit attentivement le déroulement de la contre-attaque...
La radio se calme, se tait... Une fois de plus le boche a été repoussé. Une patrouille d'Infanterie sort, rapporte des munitions abandonnées dans trois emplacements de mitrailleuses, rend compte qu'elle a relevé des nombreuses traces de sang. Le tir des chars du peloton Giraud a porté...
La nuit tombe. Voilà des renforts... C'est la Compagnie F.F.I. promise par l'Etat-Major du C.C.1. Elle est conduite au Colonel par le Chef de la Brigade Alsace-Lorraine, le Colonel Berger, accompagné par son adjoint, le Colonel Jacquot. Colonel Berger ? Nul n'ignore que c'est le nom de guerre de l'illustre écrivain André Malraux.
La Compagnie est aussitôt mise en place à la lisière du bois, de part et d'autre de la route de Ramonchamp, autour du peloton Giraud.
A 21 heures, réveil des armes automatiques. Une forte patrouille boche tâte nos positions.
"Combes. Tir 101..."
L'Aspirant Combes, Officier de liaison d'artillerie, bondit dans son Half-Track. Quelques instants, puis bruits de départs dans notre dos... sifflement des projectiles... éclatements... Le boche décroche.
Le 29 Septembre, à 8 heures, le Colonel lance une patrouille vers les lisières du bois de la croupe Ouest de La Hetraye.
Les Zouaves de la Compagnie Lacombe débouchent, se glissent entre les arbres. Ils sont suivis par les chars du peloton Giraud.
Silence brusquement rompu par le crépitement rageur des mitrailleuses... Leur voix s'enfle, se précipite, semble s'étouffer, puis reprend, s'étendant de proche en proche, ponctuée, par intervalles, par le roulement des canons des chars.
La patrouille rentre, rendant compte de ce qu'elle s'est partout heurtée à un terrain organisé et fortement tenu.
A 14 heures, l'ennemi contre-attaque de nouveau en partant de la Tête d'Alouette. Une pièce de mortiers est détachée au peloton Giraud. Ses projectiles tombent, précis, entre le bois de la Tête d'Alouette et le boqueteau de la Compagnie Valmy. Puis les chars du peloton Giraud poussent en avant... Eclair... explosion... Un bazooka vient de toucher le "Vaucouleurs ", sans grand dommage heureusement. Mais il est impossible d'aller plus loin dans ce terrain de guet-apens... Les Sherman redescendent.
La position de la pièce de mortier est devenue, elle aussi, intenable ; à chaque obus, un tir d'artillerie s'abat sur son emplacement de batterie... Il faut la replier. A 19 heures, relève de la Compagnie Lacombe par la Compagnie Guinard. Il est indispensable de la reformer car elle a été très éprouvée par ces quatre jours de combats. Eclatements de mortiers... rafales de mitraillette... Deux Zouaves tués, trois blessés... Le boche a senti la relève...
Journées relativement calmes, le 30 Septembre et le 1er Octobre; calmes en comparaison de celles qui les ont précédées, car les patrouilles ennemies sont toujours très actives, les obus, les minen continuent à labourer le sol du Bois-le-Prince dans le fracas de branches brisées, d'arbres abattus. Les hommes commencent à donner de sérieux signes de fatigue ; l'humidité pénétrante, le froid de jour en jour plus rigoureux, se liguent de plus en plus contre eux avec l'alerte perpétuelle et les bombardements continuels.
La nuit du 1er au 2 Octobre est particulièrement dure. Les équipages du 4ème Escadron sont à bout. Ne serait-il pas possible de les relever ?
Cette relève du 4ème Escadron par le 3ème, toujours en réserve à Sainte-Marie-en-Chanois, est proposée par le Colonel à l'Etat-Major du C.C.1. L'autorisation demandée est accordée. L'opération est délicate. Il s'agit de remplacer des chars qui sont en position parfois à quelques cinquante mètres seulement des postes ennemis. Il ne peut être question de faire croiser les unités sur les étroites pistes défoncées qui conduisent au Bois-le-Prince. Tout est préparé dans les moindres détails. Le 3ème Escadron arrivera, la nuit, par la route d'Esmoulières ; le 4ème dégagera par celle du col des Fourches. Le peloton Barral, à trois chars, prendra la place du peloton d'Annam, le peloton de Latour, à trois chars, celle du peloton Gérard, le peloton Avenati, à quatre chars, relèvera le peloton Giraud.
La nuit tombe... voici l'obscurité totale... Au loin, bruit de moteurs... C'est le 3ème Escadron.
La réaction de l'ennemi est immédiate ; les obus semblent aussitôt jaillir partout du sol. Pourquoi donc le 3ème Escadron est-il aussi bruyant ? On pourrait croire que les conducteurs font exprès de donner un coup d'accélérateur au dernier virage avant le carrefour... Le feu ennemi s'intensifie ; c'est le grand jeu. Les chars sont cependant tous en place...
Ce sont maintenant les moteurs des Sherman du 4ème qui sont en marche... Qu'ils fassent vite !
Enfin le bruit s'éloigne, s'éteint...
L'artillerie ennemie se tait à son tour. La voix de la mitraillette succède à celle du canon ; le boche inquiet a déclenché ses patrouilles...
Journée calme, le 3 Octobre... L'ennemi n'a plus contre-attaque depuis quarante-huit heures.
Le Groupement Durosoy s'apprête par contre à reprendre la marche en avant, à se frayer un passage vers le fort de Château-Lambert.
Bois-le-Prince
Pas à Pas vers le Fort de Château-Lambert
(le 3-10 Octobre 1944)
Le 4 Octobre, le ciel des Vosges s'illumine de Melisey à la Moselotte : la 1ère Division Blindée vient de passer à l'attaque, tentant d'enserrer dans un vaste étau, son objectif, le Thillot. Au Nord, c'est le Régiment de Parachutistes Français qui s'est élancé en suivant la ligne de crêtes qui sépare la Moselle de la Moselotte, vers la croupe de la Tête du Midi. Au Sud, le Bataillon de Choc tente de déboucher de Miellin pour atteindre le Fort du Ballon de Servance, tandis que le Groupement Fouchet, partant de Servance, pousse en direction de Château-Lambert et du Thillot.
Au centre enfin, le Groupement Durosoy progresse vers le Fort de Château-Lambert. La tâche du Groupement est particulièrement ardue, car les moyens demeurent d'une faiblesse insigne. A droite, le 3ème Zouaves attaque, fournissant l'effort principal, en suivant l'axe général de la route stratégique, avec des compagnies réduites à un effectif de 35 à 40 hommes exténués. A gauche, le Bataillon de la Brigade Alsace-Lorraine dont la mission est de couvrir le 3ème Zouaves en agissant en direction de la croupe Sud du Haut de la Parère (Tête d'Alouette), puis du Mont de Breucheux et du Haut de Grandmont, ne compte que trois compagnies de 60 hommes. Les chars du 2ème Cuirassiers, ceux du 1er et du 3ème Escadron sont là, certes, pour aider de leur mieux leurs camarades fantassins, mais ils sont incapables de donner toute leur mesure dans ce terrain impraticable qui interdit toute action en dehors des chemins. Et c'est cette poussière d'Infanterie, ces chars qui semblent réduits à l'impuissance, qui s'attaquent aux positions âprement défendues par deux bataillons ennemis bien armés, solidement retranchés, disposant de l'appui de mortiers et d'une puissante artillerie, celui du 318ème Panzer Grenadiere, installé dans la région Ouest du Mont de Breucheux, et celui du Bodensee-Regiment, tenant la région Sud-Est du Bois-le-Prince...
Le Groupement progresse, luttant farouchement pour chaque arbre de la forêt... C'est le Sous-Groupement Vallin qui a débouché le premier avec la mission de déborder par le Sud les défenses ennemies de la route stratégique. Les Zouaves, appuyés par le peloton de Latour, avancent pas à pas. A 8 heures 10, ils sont sur le Bozon de Dessous, l'objectif 01. A 11 heures 20, le Commandant Letang pousse à son tour avec le reste de son bataillon et le peloton Barral.
Lutte ardente... Une énorme barricade minée qui arrêtait les chars, est conquise à l'arme blanche par les Zouaves.
A midi, le Sous-Groupement Letang atteint 02, le Bozon du Milieu. A sa gauche, le Sous-Groupement Vallin n'est plus qu'à 300 ou 400 mètres de la partie Sud de la même croupe quand, à 12 heures 40, fâcheux contretemps, il voit brusquement se dresser devant lui un mur opaque, infranchissable : le brouillard des Vosges vient à l'aide du boche, stoppant brutalement notre progression.
Un combat acharné continue cependant à se livrer au Nord-Ouest, dans la région du fameux mamelon Tête d'Alouette, d'où sont parties tant de contre-attaques ennemies.
Là, attaque le sous-Groupement Jacquot comprenant le bataillon Bark (nom de guerre du Commandant Pleiss) de la Brigade Alsace-Lorraine, renforcé du peloton de chars moyens Avenati, et du peloton de chars légers Zeisser. Le Commandant de Maison-Rouge coordonne l'action des chars avec celle de l'Infanterie.
Les jeunes F.F.I. se sont rués à l'assaut avec une fougue admirable. Hélas ! le feu ennemi a aussitôt éclairci leurs rangs. Le peloton Avenati soutient la Compagnie de gauche, qui a débouché entre les deux étangs Nord du carrefour du Bois-le-Prince en direction de la Tête d'Alouette. Le peloton Zeisser appuie la Compagnie de droite, axée sur la croupe Ouest du Hetraye.
L'attaque progresse à gauche dans un terrain où la densité des arbres conduit à un contact étroit qui tient du corps à corps. Les deux chars du groupe du Maréchal-des-Logis Figaro suivent au plus près les premiers éléments. Le Lieutenant Avenati est en soutien, légèrement en retrait, avec le reste de son peloton.
Avance lente, méthodique : il faut nettoyer un à un tous les buissons... La lisière Sud du bois de la Tête d'Alouette est cependant atteinte à midi.
Les progrès sont tout d'abord moins sensibles à droite où les chars sont arrêtés par des abatis d'arbres, en bordure du bois, et au col situé entre la Tête d'Alouette et la croupe Ouest du Hetraye. Le peloton Zeisser parvient néanmoins à passer. A 15 heures 15, il aborde, le premier, les bois de la croupe... Il y pénètre... L'ennemi se replie, abandonnant ses positions... Les chars continuent à patrouiller en attendant l'arrivée de l'Infanterie.
A 18 heures 30, la croupe Ouest du Hetraye est entièrement occupée. Seule, la nuit tombante empêche l'occupation de la Tête d'Alouette.
Le Bataillon Bark a payé chèrement ces résultats acquis : ses 15 tués et ses 35 blessés dont le Colonel Jacquot, blessé pour la deuxième fois en trois jours, témoignent de l'opiniâtreté de la lutte qu'il a dû soutenir.
Il y a neuf tués et blessés chez les Zouaves, trois à la section de Génie. Le 5 Octobre, le Groupement avance encore en direction du Fort de Château-Lambert. Il étend en outre son emprise vers le Nord, vers la vallée de la Moselle. Le peloton de Latour, qui a relevé le peloton Barrai, pousse en avant sur la route stratégique avec une section de Zouaves et un groupe de Génie. Deux autres sections d'Infanterie le couvrent de part et d'autre de la route. Le pavillon de pêche, dit des Noirs-Etangs, est atteint à 9 heures 45. Les Sherman le dépassent...
Le Lieutenant de Latour est en tête dans son char "Orléans III". Il est suivi du "Ste-Odile", char du Maréchal-des-Logis Pellerin... La progression est moins malaisée que la veille ; l'ennemi s'accroche moins au terrain...
Brusquement, à 10 heures 30, explosion... Le "Ste-Odile" vient de sauter sur une mine... Le groupe du Génie est aussitôt à pied d'œuvre et, surprise... sept mines sont découvertes sur les traces de l'"Orléans III" qui, par miracle, les a foulées impunément. Pendant ce temps, le Colonel tente de reprendre le mouvement de débordement par le Nord, amorcé la veille. La Compagnie Lacombe du 3ème Zouaves a été portée sur la Tête d'Alouette. Elle achève l'occupation de la croupe, nous procurant un observatoire excellent sur Ramonchamp et la vallée de la Moselle, puis essaie de déboucher en direction du Haut de la Parère. Un ennemi solidement enterré ne lui permet pas de prendre pied sur cet objectif.
A 14 heures 05, les automoteurs du 68ème pilonnent sévèrement la position boche. Les nouveaux efforts de la Compagnie Lacombe n'en demeurent pas moins vains. Plus au Sud, la Brigade Alsace-Lorraine réajuste son dispositif, après relève des unités ayant attaqué la veille.
La Compagnie "Vieil-Armand" vient occuper, dans le courant de l'après-midi, le bois de la Tête d'Alouette. Le Commandant de Maison-Rouge s'installe avec la section de réserve de cette compagnie et les pelotons de chars Avenati et Zeisser au bosquet situé entre les deux étangs Nord du carrefour. Le Commandant Chazy, de la Brigade Alsace-Lorraine, partage son P.C.
Les opérations offensives sont suspendues le 6 Octobre, un nouvel et considérable effort étant prévu pour le lendemain 7. L'activité des unités du groupement se borne donc à quelques patrouilles dont celle du Commandant de Maison-Rouge en direction du Haut de la Parère : une section de la Compagnie du Vieil-Armand débouche, à midi, appuyée de chars légers ; elle constate que la croupe est toujours tenue par l'ennemi.
Toujours des tirs d'artillerie et de mortiers et, en particulier, un harcèlement assez violent, dans le courant de la matinée, sur le P.C. du Colonel. Des obus viennent aussi éclater de l'autre côté de la route, en plein P.C. du Capitaine de Boisredon. Le boche a-t-il voulu faire, à sa façon, ses adieux au 3ème Escadron... Un ordre particulier de l'Etat-Major de la 1ère D.B. le met en effet à la disposition de la 1ère D.F.L. ainsi qu'un peloton de chars légers, qui sera le peloton Martin. Relevé par le 4ème, le 3ème Escadron quitte définitivement le Bois-le-Prince dans le courant de la matinée.
Le Colonel prépare cependant l'attaque qui doit être déclenchée sous ses ordres le lendemain. De nouveaux moyens lui ont été attribués à cet effet : c'est tout d'abord le Bataillon de Choc à qui il confie la mission de déborder par le Sud les résistances de la route stratégique en attaquant sur l'axe Beulotte, les croupes de Bozon, la Plaine ; puis un groupe d'Escadrons de Gardes Mobiles qui devra assurer la couverture vers la Moselle du 3ème Zouaves, maintenu sur l'axe de la route stratégique, en progressant en direction du Mont de Breucheux, puis du Haut de Grandmont. Le peloton Zeisser est mis à la disposition des Gardes : le peloton Giraud appuiera le 3ème Zouaves.
L'Objectif 01 sera la croupe Nord-Est-Sud-Ouest dominant le Fort de Château-Lambert et parallèle à la route Le Thillot-Servance.
L'attaque part le 7 Octobre à midi.
Le Bataillon des Gardes Mobiles descend les pentes Est du Hetraye. Au Sud, la Compagnie Guinard pousse sur la route stratégique avec le peloton Giraud. A sa droite, la Compagnie Tardy et un Escadron motocycliste de la Garde Mobile assurent la liaison avec le Bataillon de Choc. A 15 heures 45, tandis que les Gardes Mobiles sont stoppés par des tirs de mortiers et des snipers boches, la Compagnie Guinard et les Sherman parviennent à une barricade bloquant la route à 300 mètres des Noirs-Etangs. Le Génie s'attaque aussitôt à la destruction de l'obstacle... La terre tremble soudain... un violent tir de mortiers s'est abattu sur les Sapeurs surpris en plein travail... Deux morts, huit blessés gisent sur le terrain... La Compagnie Guinard est clouée au sol... Plus au Sud, le Bataillon de Choc poursuit sa progression. Il atteint les Sapins du Haut quand il est stoppé à son tour, à 16 heures.
Pendant ce temps, le Colonel Berger et le Commandant de Maison-Rouge ont monté une opération contre les boches du Haut de la Parère, en exécution des instructions spéciales du Colonel.
Cette opération est déclenchée, à 15 heures, par la Compagnie "Vieil-Armand", en liaison à gauche avec une compagnie de Tabors, appartenant à la 3ème D.I.A., qui vient d'arriver dans notre zone pour agir contre Ramonchamp. Un groupe de chars du peloton Gérard appuie l'Infanterie. Le Colonel Jacquot s'élance à la tête des F.F.I. "En avant, Alsace !" s'écrie-t-il... II s'effondre au même instant, très grièvement blessé, blessé pour la troisième fois en six jours. Les pentes du Haut de la Parère sont cependant nettoyées jusqu'à Xonrupt. De nombreux prisonniers restent entre nos mains.
Ayant toujours sa gauche bloquée dans la région de Hetraye, le Groupement reçoit, en fin d'après-midi, une aide précieuse de la part d'une autre unité de la 3ème D.I.A. qui, comme les Tabors, traverse sa zone d'action. Cette aide provient du Bataillon Journoux du 4ème R.T.T. qui agit, lui aussi, en direction de la Moselle et dont l'axe passe par le Mont de Breucheux, toujours aux mains de l'ennemi.
Ayant débouché du Bois-le-Prince, il atteint à 16 heures 30, la limite Sud-Ouest des bois de cette croupe.
Le Groupement repart en avant le Dimanche, 8 Octobre.
Les unités progressent, pas à pas, dans un terrain toujours aussi difficile, se heurtant toujours à la même défense opiniâtre de l'ennemi. En fin de journée, des gains sensibles partout ; quatre-vingts prisonniers sont restés entre nos mains.
Le Bataillon Journoux occupe le Mont de Breucheux.
Le Bataillon de Gardes Mobiles tient la crête Nord des Noirs-Etangs.
La Compagnie Guinard est parvenue aux fermes des Noirs-Etangs.
Le Bataillon de Choc est dans la région de Pré-Pillard et du Haut-de-Frenet. La Compagnie Tardy et l'Escadron motocycliste assurent toujours la liaison entre ce Bataillon et la Compagnie Guinard.
Noirs-Etangs... Haut-de-Frenet... Pré-Pillard... les positions ennemies ont été sérieusement entamées au Sud de la route stratégique grâce à l'héroïsme et la ténacité de nos unités... La route du Thillot, le Fort de Château-Lambert semblent tout proches... Au Nord cependant le boche tient toujours ferme. Il a fallu le concours d'une unité étrangère au Groupement pour le déloger du Mont de Breucheux. Il occupe toujours en force le Haut-de-Grandmont, position clé qui interdit les approches du Thillot. Cette situation n'est pas sans faire peser une lourde menace sur notre flanc gauche de plus en plus découvert.
Le 8 Octobre, personne n'occupe plus le Haut-de-la-Parère : La Compagnie de Tabors a fait mouvement sur Ramonchamp, la Compagnie Vieil-Armand a été retirée du Groupement... Qu'adviendra-t-il lorsque le Bataillon du 4ème R.T.T. évacuera, lui aussi, le Mont de Breucheux pour se porter vers la Moselle ?
Faisant flèche de tout bois, le Colonel constitue un point d'appui arrière au col de la Tête d'Alouette avec le peloton de mortiers, le peloton Gérard et les chars de commandement ; il le met aux ordres du Commandant de Maison-Rouge. Le 9 Octobre, il retire de la droite de son dis-positif l'Escadron motocycliste de la Garde Mobile et le porte au Nord du bois du Hetraye avec la mission de tenir le col Sud du Mont de Breucheux.
Le 9 Octobre, on attaque encore, on attaque toujours...
A 8 heures, le Lieutenant Tardy est blessé au cours d'une liaison avec le Bataillon de Choc.
Le Lieutenant Loriot prend le commandement de sa compagnie. Progrès sensibles au Bataillon de Choc qui s'empare de la cote 763, atteignant ainsi, le premier, la partie Sud de la crête qui domine la route Le Thillot-Servance. Avance toujours lente sur la route stratégique où le Génie démine sans répit. Un canon automoteur ennemi débouche brusquement du tournant à angle droit de la route, au Nord-Ouest de l'Etang de la Plaine.
Impossible de le faire prendre à partie par les T.D. dans ce terrain couvert... Les Zouaves rampent... l'approchent... l'attaquent au bazooka... l'engin ennemi se replie. Le déminage continue tandis que deux chars du peloton Giraud gravissent la crête pour assurer la liaison avec la Compagnie Loriot.
A 12 heures, puissants tirs de mortiers et d'artillerie de gros calibre et, simultanément, brusque réapparition d'un brouillard intense... la progression des Zouaves est bloquée. Au Sud, le Bataillon de Choc est durement contre-attaque. La Compagnie Loriot n'est plus en liaison avec lui. Une de ses compagnies est encerclée dans la région de la cote 763. Il faut se résoudre à abandonner ce point....
A 20 heures, nouvelle tentative offensive de la part de l'automoteur allemand. Des fantassins le guident.... Mais il est vu par le "Strasbourg" qui ouvre le feu de ses trois mitrailleuses à la fois. L'Infanterie boche se disperse... L'automoteur fait demi-tour...
Temps bouché le mardi 10 Octobre... Une petite pluie fine achève de transpercer les vêtements mouillés des combattants recroquevillés dans leurs trous individuels...
Pauvres combattants ! Seuls, un moral élevé et une énergie farouche leur ont permis de tenir jusque là : ils tombent désormais d'épuisement. Sept Zouaves viennent d'être évacués pour pieds gelés, trois pour troubles mentaux, à la seule Compagnie Loriot ex-Tardy...
Impossible de réattaquer ce matin... Toute action offensive doit d'ailleurs être suspendue dans le secteur, par ordre de l'Etat-Major du C.C.1. Mais il faut conserver à tout prix le terrain conquis, ce terrain arraché mètre par mètre à l'ennemi après tant d'efforts... C'est déjà une bien lourde tâche pour les unités à bout de souffle ; c'est aussi un grave souci car les réactions ennemies de la veille laissent présager que le boche va tenter de nouveaux efforts. Où contre-attaquera-t-il ? Dans la direction Nord-Est - Sud-Ouest, prenant à partie notre flanc gauche découvert, avec ses unités rassemblées dans la région du Thillot ?
Sera-ce de front, sur l'axe de la route stratégique ?
Plus au Sud, peut-être, là où la liaison a été perdue entre le 3ème Zouaves et le Bataillon de choc ?
Il semble cependant s'hypnotiser sur la route stratégique... Vers 10 heures 30, deux automoteurs suivis par des éléments d'Infanterie débouchent de la région du Fort.
Dure épreuve pour les Zouaves et le peloton Giraud soumis au tir précis des canons de 88...
Aucune aide à attendre des T.D. que la route déjà encombrée par les Sherman et l'absence totale de visibilité réduisent à l'impuissance... Un seul recours... le bazooka...
Courageusement, des Zouaves se glissent entre les buissons... lueur aveuglante... Un des chars boches est touché... L'ennemi n'insiste plus. Ses tirs de mortiers conservent néanmoins leur violence.
A midi, des rassemblements boches sont signalés sur la crête de la Plaine, à l'Ouest du Fort.
Le Colonel pousse immédiatement à la disposition du Commandant Letang le peloton de mortiers de l'Adjudant Thuny. Il ramène en outre le peloton Gérard du col de la Tête d'Alouette au carrefour du Bois-le-Prince : on pourra avoir besoin de lui...
Notre Infanterie, bien qu'épuisée, reste pourtant active, guettant la moindre défaillance de l'ennemi. Ainsi, à 14 heures 55, le Bataillon de Choc réoccupe la cote 763, prend pied sur le Frenet.
A 15 heures 30, nouveau mouvement offensif sur la route de Château-Lambert... Il faut replier légèrement la compagnie Guinard pour permettre à nos 105 de déclencher un tir d'arrêt...
Nervosité croissante des unités au contact par suite de l'agressivité de plus en plus marquée de l'ennemi... Tout le monde sent l'"événement" qui va surgir, le nouveau choc qui se prépare et auquel il s'agira de faire face...
"J'espère avoir quelqu'un demain pour relever les Zouaves",
"Félicitez vos gens pour le coup d'arrêt infligé au boche. Dites leur aussi de la part du Général de Monsabert que c'est l'action du C.C.1 qui vient de permettre les succès de nos voisins de gauche", dit un mot personnel adressé au Colonel par le Colonel Desazars de Montgailhard qui a pris le Commandement du C.C.1, le 1er Octobre, à la suite du départ du Général Sudre, devenu Général Adjoint au Général de Division.
Les Zouaves seront donc probablement relevés demain ?... C'est parfait, mais pourront-ils tenir encore aujourd'hui ?...
La décision du Colonel est prise : pas d'expectative passive... Il est impossible de rien entre-prendre de front sur l'axe de la route stratégique ; il subsiste par contre une solution, très risquée il est vrai, d'une action de chars légers en tout terrain, au Sud des Noirs-Etangs. Le peloton Gouailhardou gravit vaillamment la pente détrempée, disparaît dans les arbres...
Ecoute anxieuse de la radio...
Victoire ! Les chars légers surgissent près de la ferme Le Baudy, surprenant complètement un rassemblement d'Infanterie qui s'attendait à tout, sauf à voir apparaître des chars dans ce terrain réputé impraticable. La ferme tombe entre nos mains avec de nombreux prisonniers. Ce coup d'arrêt bouleverse le dispositif ennemi, l'oblige à abandonner ses projets offensifs. Il améliore notablement nos positions en rétablissant la liaison entre les Zouaves et le Bataillon de Choc. Cette journée du 10 Octobre devait être la dernière passée par les unités du 2ème Cuirassiers dans le secteur du Bois-le-Prince.
Les ordres de l'Etat-Major du C.C.1 se succèdent en effet dans la nuit. Le premier d'entre eux, arrivé à 3 heures 30, prescrit la constitution d'un détachement blindé aux ordres du Commandant de Maison Rouge. Fort d'un peloton de chars moyens (peloton Giraud) et d'un peloton de chars légers (peloton Zeisser), ce détachement doit être mis à la disposition de la 3ème D.I.A. en vue d'une opération sur la Tête de la Chapechatte.
L'ordre suivant est celui de relève du Groupement tout entier par un Groupement fourni par le C.C.2 aux ordres du Colonel Kientz.
C'est ainsi que les chars du 2ème Cuirassiers quittèrent l'axe de la route stratégique, interrompant l'opiniâtre poussée qui les conduisit du kilomètre 4,5 au kilomètre 0,8 en direction du Fort de Château-Lambert, en dépit de tous les obstacles que l'ennemi s'acharna à dresser sur leur chemin.
Le 11 Octobre, vers 11 heures, l'Etat-Major du Régiment s'éloigne le dernier, du Bois-le-Prince pour se porter dans la vallée de la Moselle, à Ferdrupt.
Cependant dans la Vallée de la Moselle
Le 2ème Escadron attaque Ramonchamp
(7 Octobre 1944)
7 Octobre, pluvieuse journée d'automne...
Pendant que le Groupement Durosoy attaque en direction du Fort de Château-Lambert, une autre action se déroule dans la vallée de la Moselle où le 4ème R.T.T. pousse vers Ramonchamp par les deux rives du cours d'eau.
Le peloton Laporte du 2ème Escadron appuie l'Infanterie. Le Capitaine Fougère qui n'a pu tolérer que des chars de son unité soient engagés hors de sa présence, est là, lui aussi. Il a fallu scinder le peloton en deux.
Au Nord, sur l'axe Ferdrupt-L'Etraye, attaquent le "Jourdan" et le "Jeanne d'Arc II", aux ordres du Capitaine Fougère lui-même, à bord du "Duguesclin".
Au Sud, le Lieutenant Laporte, à bord du "Joffre", conduit le "Joubert" et le "Jean-Bart" par le chemin qui va du Chêne à Libauxaire et à Xonrupt.
L'attaque a débouché à 9 heures 30...
A 10 heures 15, parvenu à 500 mètres de Ferdrupt, le Capitaine Fougère descend de son char pour prendre la liaison avec les fantassins. Il fait quelques pas, puis chancelle et s'affaisse... Il a été atteint dans la région abdominale par les éclats d'un obus de 88 qui vient d'éclater près de la route...
Son fidèle conducteur de Jeep, Wolsach, qui le suivait de près, s'empresse aussitôt auprès de lui, le porte vers sa voiture, l'évacue...
Les trois chars continuent, prenant leurs ordres directement auprès du Capitaine d'Infanterie.
Progression lente et difficile sous un feu violent, le long d'une route parsemée de mines...
Remanvillers est cependant pris à 16 heures.
A 17 heures, le village a été nettoyé et occupé par la Compagnie Perpcée du 4ème R.T.T.
Le Capitaine d'Infanterie communique alors sa décision aux chefs de char : la nuit est proche ; l'opération ne sera pas poussée plus loin : elle reprendra le lendemain, 8 Octobre, au petit jour.
Deux chars devront cependant faire une patrouille jusqu'à L'Etraye, le faubourg Nord de Ramonchamp. Ils l'exécuteront seuls, sans être accompagnés par des fantassins.
17 heures 10... Le "Jourdan" démarre, suivi du "Duguesclin", et file d'un seul bond vers l'objectif qui lui a été assigné.
Il tire de toutes ses armes...
Panique dans l'Etraye... des Allemands sortent des maisons, se pressent dans la rue, les bras levés...
Le Maréchal-des-Logis Chef Lolliot qui commande le "Jourdan", continue à pousser en avant.
N'y a-t-il pas lieu de tirer le maximum de bénéfices de cet effet de surprise ?
Le "Duguesclin" suit toujours, à une centaine de mètres...
Une lueur jaillit tout à coup de la fenêtre d'une maison...
Le "Jourdan" vient d'être atteint d'un coup de Panzerfaust, juste au-dessus du volet du conducteur..., le "Jourdan" n'a plus d'équipage...
Tué sur le coup, le conducteur, le cuirassier Faurel, atteint en pleine tête...
Mort, l'aide conducteur, le cuirassier Fritsch, touché en pleine poitrine...
Mourant, le tireur, le cuirassier Amengal, dont les deux jambes sont broyées...
De nombreux éclats ont criblé les jambes du Maréchal-des-Logis Chef Lolliot et du cuirassier Legrand, chargeur...
Perdu, le "Jourdan" ? Il le serait sans le courage et l'énergie farouche du Maréchal-des-Logis Chef Lolliot qui continue d'agir malgré ses blessures.
Tandis que le "Duguesclin" tire rageusement à coups de canon, sur les maisons avoisinantes, il surgit du char, tirant derrière lui le Cuirassier Legrand. Quelques ordres brefs et l'un des prisonniers terrorisés apporte un matelas. Le Maréchal-des-Logis Chef Lolliot le pose sur la plage moteur du char et étend Legrand sur cette couche improvisée. Il se porte alors au secours d'Amengal, parvient à grand'peine à le sortir de la tourelle, le place à côté de son camarade.
Pas une plainte ne sort de la bouche du mourant qui répète sans se lasser :
" Laissez-moi, les gars ! En avant ! C'est pour la France "
II est grand temps maintenant de ramener dans nos lignes le "Jourdan", car l'ennemi commence à réagir violemment : les obus et les minen pleuvent autour des Sherman... Il faut faire vite. Le boche ne va-t-il pas s'apercevoir que les deux chars sont seuls et que l'un d'eux est inutilisable ?
Le Maréchal-des-Logis Lolliot, le colt à la main, rassemble les prisonniers, pendant que le Maréchal-des-Logis Chef Schwatacz, Chef de char du "Duguesclin", manœuvre pour accrocher le câble de remorquage au "Jourdan", dociles, les boches aident les cuirassiers...
Le câble est en place, mais qui prendra les leviers de direction du char blessé ?
Le Maréchal-des-Logis Chef Lolliot n'hésite pas. Il confie les prisonniers à l'équipage du "Duguesclin" et monte sur le "Jourdan"... Armé d'une barre à mine, il tente d'ouvrir le volet du poste de conduite... Impossible, il est coincé... Une seule solution : le trou d'homme...
Il descend du char, rampe sur le sol, se glisse dans le poste de conduite, écartant le corps de Fritsch... Rien à faire pour enlever le corps de Faurel... Il faut s'asseoir sur les genoux du mort...
19 heures 30... Les tirailleurs de Remanvillers, stupéfaits, voient surgir de la nuit un spectacle fantastique...
Un char pénètre très lentement dans le village...
Il tire en remorque un autre char...
Entre les deux engins, soixante prisonniers les bras en l'air...
Sur le char remorqué, une voix mourante qui trouve la force d'articuler fermement :
"Vive la France ! Allez-y les gars !"
Du Bois-le-Prince à la Vallée de la Moselle
Les Observateurs de l'Etat-Major au travail
(8 Octobre 1944)
(Dialogue radio enregistré par le Sous-Lieutenant Calia)
L'action se déroule à Ramonchamp qui vient d'être occupé. Elle est soigneusement suivie par l'équipe des observateurs du Régiment installée sur la Tête d'Alouette, conquise le 5 Octobre par le groupement Durosoy.
Le peloton Laporte, en position à Ramonchamp, est toujours scindé en deux depuis la veille :
au Nord de la Moselle, le "Duguesclin" et le "Jeanne d'Arc II", au Sud, le "Joffre", le "Jean-Bart" et le "Joubert".
Aucune liaison possible entre les deux groupes de chars par suite de la destruction des ponts.
Le "Duguesclin" et le "Jeanne d'Arc II" patrouillent dans le village.
Tout à coup, des engins blindés ennemis sortent du Thillot et progressent vers Ramonchamp.
Les chars du 2ème Escadron qui ne peuvent pas les voir, risquent d'être surpris, aussi les observateurs alertent-ils le P.C. du Colonel qui dispose de moyens radio suffisamment puissants pour communiquer le renseignement au 2ème Escadron.
PERSONNAGES
Soleil ..................... Colonel
Rayonne .................. Capitaine Adjoint
Raoul ..................... Equipe des observateurs
Isidore .................... 2ème Escadron
Bidule ..................... Char ou engin blindé
10 heures 30 : Raoul à Rayonne. - Très urgent. Un char ennemi venant du Thillot progresse vers Ramonchamp. Notre artillerie tire dessus. Il se trouve derrière la station électrique.
10 heures 45 : Raoul à Rayonne. Deux chars progressent sur la route Le Thillot - Ramonchamp.
Des fantassins progressent derrière.
Rayonne. - Compris. Sont-ce des chars ennemis ?
Raoul. - Oui, suivis de fantassins.
Rayonne. - Sont-ce des Panthers ?
Raoul. - Probablement, ils sont très bas...
Rayonne. - Compris.
Raoul. - Les deux chars ennemis se replient vers Le Thillot.
Rayonne. - Nous avons dans le village deux bidules appartenant à Isidore ; les avez-vous vus ? Voyez-vous toujours les deux chars boches ?
Raoul. - Oui, je vois les uns et les autres. Notre artillerie tire toujours sur les chars boches.
11 heures 50 : Raoul. - Un char qui est un Panther ou un Tiger est sur la route Nationale, à la sortie Nord-Ouest du Thillot.
Rayonne : - Je fais tirer sur lui l'artillerie. Observez le tir et dites-moi s'il est bon, au fur et à mesure.
11 heures 52 : Raoul. - Prévenez Isidore qu'un char ennemi avance vers ses deux bidules.
Rayonne à Isidore. - Un char ennemi vient du Thillot vers vos deux enfants.
Rayonne à Raoul. - Avez-vous observé le tir que nous venons d'exécuter ?
Raoul. - Le tir tombe tout à fait sur la gauche.
Raoul. - Je vois actuellement dans la vallée, à 800 mètres de la sortie du Thillot, un char boche progressant derrière l'Infanterie. Je vois deux chars de chez nous, progressant dans Ramonchamp sans Infanterie.
Raoul. - Le char ennemi se trouve à 100 mètres du transformateur. Je crois que c'est un point de repère pour notre artillerie.
Raoul. - Je voudrais que vous préveniez nos chars qu'ils ont affaire à plus forts qu'eux : les chars ennemis sont embossés.
Soleil. - J'ai entendu Isidore prévenir ses enfants. Je vais encore les mettre en garde.
12 heures 20 : Soleil. - Donnez la position des chars ennemis pour le tir d'artillerie. Les artilleurs ne connaissent pas le transformateur. L'Officier d'artillerie qui est avec vous fait-il tirer ?
Raoul. - L'artillerie fait actuellement un tir sur le premier char ; le deuxième se dirige vers Ramonchamp.
Soleil à Isidore. - Un char ennemi progresse vers Ramonchamp. Vous avez l'avantage sur lui, étant embossé.
12 heures 25 : Soleil à Raoul. - Tenez-moi au courant de l'avance du Fritz.
12 heures 30 : Raoul. - Le deuxième char Fritz qui était en marche vers Ramonchamp vient de faire demi-tour. Le premier a tiré sur Isidore sans le toucher. Il reste en station, embossé.
Rayonne. - Les chars boches avancent-ils toujours ?
Raoul. - Oui, le deuxième avance maintenant dans un champ à droite de la route. Le premier par contre vient de prendre la route du Thillot.
Raoul. - Le char boche arrive au dos d'âne de la route. Il vient de tirer dans une maison. Il s'avance toujours.
12 heures 32 : Raoul. - Le char recule devant le tir d'artillerie. Il fait demi-tour.
Rayonne à Isidore. - Vos T.D. ne peuvent-ils pas tirer sur le char boche ?
Isidore. - Les T.D, sont en avant.
Raoul. - C'est certainement un automoteur et non un char : il n'a pas retourné son canon en faisant demi-tour. Il est très vulnérable à l'arrière.
Isidore à Rayonne. - Que dois-je faire ?
Rayonne. - Revenez à votre point de départ.
Isidore. - Je pourrai peut-être faire quelque chose à droite. J'ai là un chemin possible.
12 heures 45 : Le char est maintenant camouflé derrière la maison, à droite de la route, près du transformateur.
Rayonne à Isidore. - Dites à votre char qui progresse de faire attention. Le char boche est embossé à 50 mètres à droite, après le transformateur.
Raoul. - Le deuxième char boche se replie. Il est protégé par le premier qui tire sensiblement dans la direction de nos chars.
Rayonne. - Isidore va tirer. Observez et dites-moi si le tir est bon.
Rayonne à Isidore. - Avez-vous bien compris l'emplacement du 2ème char boche ?
Regardez ! L'artillerie vient d'y tirer. Les chars ennemis sont à peu près à 800 mètres de vos enfants.
13 heures 10 : Raoul. - Les deux chars ennemis partent vers Le Thillot. Les fantassins viennent de quitter l'emplacement auquel se trouvaient les chars. Ils viennent de recevoir une dégelée de notre artillerie.
Il semble bien que ce soient des automoteurs et non des chars : leur canon est tourné vers l'avant.
Dans la Vallée de la Moselle
L'Ennemi contre-attaque à Ramonchamp
(8 Octobre 1944)
(Dialogue radio-enregistré par le Sous-Lieutenant Calia)
Il est 17 heures 30 environ...
Le paysage est triste. Depuis deux jours, il pleut sans arrêt dans cette vallée de la Moselle encore toute secouée par la canonnade dont l'ont abreuvée tous ces jours-ci, les artilleries tant alliées qu'ennemies. De nombreuses maisons sont détruites. Ramonchamp... triste mais précieuse étape sur la route du Thillot... Il faut conserver ce terrain chèrement acquis ; et puis, nous n'avons pas le droit de laisser revenir le boche dans ce coin des Vosges où nous ont accueillis le sourire et la joie reconnaissante de nos frères délivrés du joug allemand.
Le Lieutenant-Colonel Rougier, affecté au 2ème Cuirassiers, le 1er Octobre, comme Commandant en second, a pris à 17 heures, le commandement de tout le secteur de Ramonchamp.
La défense du village a été réorganisée : le peloton Moine est en place au Sud de la Moselle ; au Nord, l'Etraye forme un point d'appui défendu par une compagnie de tirailleurs, deux T.D. et le peloton Laporte.
Le Lieutenant Laporte vient d'arriver, ramenant les trois chars, précédemment sur la rive droite.
Le Lieutenant Monier qui a pris le commandement du 2ème Escadron à la place du Capitaine Fougère, est là, lui aussi.
Avant que le Lieutenant Laporte ait eu le temps de placer ses chars, les boches déclenchent une première contre-attaque à base d'Infanterie.
Les minen se mêlent désagréablement à la pluie. L'orage dure une vingtaine de minutes. Les chars continuent cependant à prendre les emplacements qui leur ont été fixés, quand, soudain, le "Jeanne d'Arc II" quitte la route à la suite d'une fausse manœuvre, et s'embourbe...
Il est 18 heures 15... A ce moment précis, les boches contre-attaquent de nouveau et, cette fois, l'affaire est plus sérieuse...
Des éléments à pied de l'importance d'une compagnie se sont infiltrés, au Nord de la route, dans le parc du château et, au Sud, entre la route et la Moselle.
Un automoteur tire le "Jeanne d'Arc II" et le manque : c'est une maison qui se trouvait sur la trajectoire, qui a reçu l'obus... Elle flambe et, de son sinistre halo, éclaire la scène.
Les fantassins qui, engagés sans répit depuis plusieurs jours, n'ont cessé de combattre magnifiquement, sont près de l'épuisement... Or, il ne peut être question pour le moment de relève ; il faut, au contraire, conserver à tout prix le terrain et assurer la protection des chars mis en danger par l'obscurité qui les paralyse.
Ça cogne de tous les côtés... Les Tirailleurs cèdent peu à peu sous la pression de l'ennemi...
Voilà que les chars sont seuls... Ils se défendent en exécutant, de toutes leurs armes, des tirs systématiques dans le secteur qui a été imparti à chacun d'entre eux par le Lieutenant Laporte...
Et il importe, en même temps, de dépanner le "Jeanne d'Arc II"...
PERSONNAGES
Le Lieutenant-Colonel Rougier.
Le Lieutenant Monier, à bord du "Duguesclin".
Le Lieutenant Laporte, à bord du "Joffre".
Le Maréchal-des-Logis Chef Schwatacz, à bord du "Duguesclin", prend le micro lorsque le Lieutenant Monier est absent du char.
Le Maréchal-des-Logis Chef Bourassin, à bord du "Jean-Bart".
Le Maréchal-des-Logis Hussenot, à bord du "Joubert".
Le Lieutenant Moine, à bord du "Foch", qui suit anxieusement l'action de la rive Sud de la Moselle.
Le Maréchal-des-Logis Pouret est le chef de char du "Jeanne d'Arc II".
18 heures 23 : Lt Laporte au M.-d.-L. Chef Bourassin. - Avancez pour "soutenir le "Jeanne d'Arc".
Lt Laporte au Lt Monier. - Pouvez-vous envoyer un T.D. Il y a un char boche. Faites vite.
Lt Laporte au M.-d.-L. Chef Bourassin. - Avancez pour soutenir le "Joubert" qui soutient déjà le "Jeanne d'Arc".
Lt Laporte au Lt Monier. - Envoyez tout de suite le T.D.
Lt Monter au Lt Laporte. - D'accord.
18 heures 25 : Lt Laporte au M.-d.-L. Chef Bourassin. - II y un a T.D. qui va arriver. Il va tirer sur le bidule boche. Vous le lui montrerez.
Le T.D. arrive ! Arrêtez-le ! Poussez-le en avant jusqu'au "Jeanne d'Arc".
18 heures 28 : Lt Laporte au M.-d.-L. Chef Schwatacz. - Votre patron est-il avec vous ?
M-d-L. Chef Schwatacz au Lt Laporte. - Non, je l'attends. Dès qu'il reviendra je vous le passerai.
Lt Laporte au M.-d.-L. Chef Hussenot. - Méfiez-vous ! Il y a des infiltrations sur votre droite.
M-d-L. Hussenot au Lt Laporte. - Je tiens la droite et tout ce qu'il y a à coté de l'église.
18 heures 33 : Lt Laporte au M.-d.-L. Chef Bourassin. - Les tirailleurs se replient ! Restez où vous êtes pour surveiller la droite en liaison avec le "Joubert".
Lt Laporte au Lt Monier. - Les tirailleurs se replient ! Ils se replient !
Lt Monier au Lt Laporte. - Je vais voir immédiatement leur Capitaine.
Lt Laporte au Lt Monter. - Leur Capitaine vient de dire qu'il va s'installer sur les crêtes derrière ! Alors nous sommes seuls !
A cet instant, le Lieutenant Laporte voit le M-d-L. Chef Bourassin qui vient vers lui.
Lt Laporte au M-d-L. Chef Bourassin. - Halte ! Halte ! Où allez-vous ?
M-d-L. Chef Bourassin au Lt Laporte. - Le "Jeanne d'Arc" ne peut pas se dégager par ses propres moyens. Il faut le pousser.
18 heures 38 : Cela ne va pas mieux. La nuit est là. Les balles traceuses deviennent de plus en plus nettes au fur et à mesure que l'obscurité s'épaissit. Le Lieutenant Monter a-t-il pu joindre le Capitaine d'Infanterie?
Lt Laporte au M-d-L. Chef Schwatacz. - Où est votre patron ?
M-d-L. Schwatacz au Lt Laporte. - Je ne sais pas. Je vais essayer de l'atteindre.
Lt Lapone au M-d-L. Hussenot. - Repliez-vous légèrement, mais restez en liaison avec le "Jeanne d'Arc".
18 heures 40 : Lt Laporte au M-d-L. Chef Schwatacz. . Le Lieutenant Monier est-il oui ou non avec vous ?
M-d-L. Chef Schwatacz. - Le voilà.
Le T.D. est alors touché par un obus. Le système de pointage de son canon ne fonctionne plus. Se sentant inutile, il se replie derrière le "Jean-Bart", cela inquiète le Lieutenant Laporte.
Lt Lapone au Lt Manier. - Le T.D. se replie lui aussi... Il faut faire remonter les fantassins ! La situation devient tragique ! Plus personne n'est là !
Lt Laporte au M.-d.-L. Chef Bourassin. - Le "Joubert" est-il devant moi ?
M-d-L. Chef Bourassin. - Oui, le "Jeanne d'Arc" aussi.
18 heures 45 ; L'ennemi ne tire plus pour l'instant. Mais cela n'est pas rassurant... Que prépare-t-il?
Lt Laporte au M-d-L. Chef Bourassin. - Voyez-vous le "Joubert" ?
M.-d.-L. Chef Bourassin. - Avec la nuit je ne le vois plus. Il est au virage devant moi.
Lt Laporte au M-d-L. Chef Bourassin. - Remontez jusqu'au carrefour. Le T.D. est derrière vous. Prenez la liaison avec le "Joubert" ; demandez-lui s'il voit le "Jeanne-d'Arc". .
Lt Laporte au Lt Monier. - Il n'y a plus un seul fantassin ici. La situation devient tragique ! Qu'a décidé le Capitaine d'Infanterie ?
Lt Monier au Lt Laporte. - Une section d'Infanterie va venir au devant de vos chars pour les soutenir, ce qui vous permettra de dégager celui qui est enlisé.
18 heures 48 : M-d-L. Chef Bourassin, qui a suivi la conversation. - La section arrive ?
Lt Laporte. - Oui. Dites au " Joubert" de tirer le "Jeanne d'Arc" avec son câble ; l'Infanterie vous protégera.
M-d-L. Chef Bourassin. - Compris. Je ferai la commission à l'Infanterie quand elle passera.
18 heures 50. - Le secteur est de nouveau agité. Les balles sifflent de plus belle.
Lt Laporte au M-d-L. Chef Bourassin. - Dites au "Joubert" de commencer à tirer le "Jeanne d'Arc" en arrière.
M-d-L. Chef Bourassin. - Compris... mais il n'y a personne devant lui et il risque gros.
En effet, les chars sont toujours sans protection. Le Lieutenant Laporte rappelle le Lieutenant Monier.
18 heures 52 : Lt Laporte au Lt Monier. - Monier ! Faites monter les fantassins tout de suite. Bon Dieu ! Il y a des gens qui sont seuls devant !
Mais le Lieutenant Monier est pris ailleurs... le S.O.S. reste sans réponse...
18 heures 53 : Lt Laporte. - Monier ! Monier ! Répondez !
Le poste du "Duguesclin" ne répond pas. Il est en panne. Tout est contre nous... Il faut, en attendant l'aide promise, agir par ses propres moyens.
Lt Laporte au M-d-L. Chef Bourassin. - Etes-vous arrivés jusqu'au "Joubert" ?
Le Maréchal-des-Logis Chef Bourassin, occupé à donner des ordres n'a pas entendu... Peut-être le Lieutenant Monier est-il là, lui, maintenant ?...
Lt Laporte. - Monier ! La situation devient grave. Répondez ! Toujours aucune réponse !...
M-d-L. Chef Bourassin au Lt Laporte. - J'ai fait la commission. Je crois même que le "Joubert" est déjà en train de sortir le "Jeanne d'Arc".
Lt Laporte. - Bon ! Très bien ! Dites leur de reculer ensuite un peu. Vous resterez en liaison à vue avec eux.
De l'autre côté de la Moselle, le peloton Moine assiste au drame. Malheureusement, le pont détruit l'empêche d'intervenir aussi efficacement qu'il le voudrait. Il nettoie cependant de son mieux le terrain qu'il peut balayer par son feu. Auprès de lui, le Lieutenant-Colonel Rougier qui commande le secteur et qui devine la situation critique du peloton Laporte, est inquiet,
18 heures 55 : Lt Moine au Lt Laporte. - Je vous passe le Colonel Rougier.
Lt-Colonel Rougier au Lt Laporte. - Avez-vous reçu l'ordre écrit que je vous ai envoyé ?
Le Lieutenant Monier intervient...
Lt Monier. - Le Lieutenant Laporte n'a reçu aucun ordre écrit. Mais, le Lieutenant-Colonel Rougier veut s'adresser directement au Lieutenant Laporte.
Lt-Colonel Rougier. - Je vous disais de regrouper votre peloton à l'endroit où vous avez fait vos pleins d'essence et d'y prendre des éléments F.F.I, cet ordre n'est plus exécutable en raison des circonstances. Continuez votre mission.
Lt Laporte. - Je suis dans une situation très grave. Je suis seul avec mes chars. L'un d'eux est embourbé et les Fritz me tirent dessus.
Lt-Colonel Rougier. - Pouvez-vous me donner votre situation exacte ?
Lt Laporte. - Je suis à 150 mètres de l'église.
Lt-Colonel Rougier. - Est-ce là où une maison fume ?
Lt Laporte. - Exactement.
Lt-Colonel Rougier. - Vous êtes donc au carrefour. Est-ce que les fantassins sont avec vous ?
Lt Laporte. - Ils se sont repliés. Je ne les vois plus.
Lt-Colonel Rougier. - Et les T.D. ?
Lt Laporte. - Ils sont à côté de moi.
Lt-Colonel Rougier. - Etes-vous actuellement embêté par l'ennemi ?
Lt Laporte. - Actuellement non.
Le Lieutenant Laporte entend très mal la voix du Lt-Colonel Rougier. Il demande au Lieutenant Moine de prendre le micro.
Lt Moine. - Ordre du Colonel : ramener les fantassins.
A ce moment, le "Duguesclin", char du Lieutenant Monier (mais dont le chef est temporairement le Maréchal-des-Logis Schwatacz, le Lieutenant Monier étant parti en jeep) passe à côté du Lieutenant Laporte.
Lt Laporte au M-d-L. Chef Schwatacz. - Où allez-vous ? J'ai l'ordre du Colonel de rester sur place et de faire revenir immédiatement les fantassins.
M-d-L. Schwatacz. - Je vais voir leur Capitaine pour vous les faire renvoyer.
Lt Laporte. - II faut nous les renvoyer tout de suite. Il faut aussi donner l'ordre au T.D. de rester sur place. J'ai du mal à l'obtenir par radio.
Le T.D. qui normalement n'est pas aux ordres du Lieutenant Laporte, vient de rejoindre en effet au deuxième carrefour son camarade, en réserve, juste derrière le "Joffre".
19 heures : Lt Moine au Lt Laporte. - Ordre du Colonel : méfiez-vous des infiltrations sur votre droite. Arrêtez les T.D. Le Colonel va voir leur Capitaine.
Lt Laporte. - Faites dire au Colonel de m'envoyer des éléments pour protéger mon char enlisé. Il y a juste le pont à traverser.
Lt Moine. - Toute la compagnie va revenir vous rejoindre.
Lt Laporte. - Pouvez-vous faire donner aux T.D. l'ordre d'avancer ?
Lt Moine. - Le Colonel s'en occupe.
Lt Laporte. - Oui, mais faites vite.
19 heures 10 : Lt Moine. - Le Colonel donne l'ordre d'avancer aux fantassins, mais il faudrait les retrouver.
Lt Lapone. - C'est facile à dire ! Ils sont au diable vauvert ! Comment les retrouver ? Le Lieutenant Laporte est bloqué dans son char. Il n'a d'autre moyens de liaison que son équipage et la radio. La lutte fait toujours rage. Les chars crachent à en perdre le souffle. (5000 à 6000 cartouches de mitrailleuses ont été tirées par char. Quant aux obus, tous les explosifs, soit 60 par char, ont été consommés...).
Les tubes des mitrailleuses sont rouges, et les pointillés qu'ils projettent semblent arrachés à la matière même du tube (à la fin de la deuxième contre-attaque les canons des mitrailleuses n'avaient plus de rayures : il a fallu les changer le lendemain)... et ce renfort qui ne vient pas !...
19 heures 15 : Lt Laporte au Lt Monier. - Est-ce que l'Infanterie arrive ?
Lt Monier. - Elle va arriver. L'Infanterie va arriver.
Lt Laporte. - Bon Dieu ! Ils ont été rudement longs !
Dans la situation du Lieutenant Laporte, les minutes sont interminables. Le tic-tac de la montre qui en donne la mesure, est souverainement désagréable...
19 heures 17 : Lt Monier au Lt Laporte. - Je vous envoie les fantassins tout de suite.
Lt Laporte. - Qu'ils se dépêchent, tonnerre de bois ! Venez que je vous explique la situation !
Lt Monier. - Je vous rejoins par la route.
Le Lieutenant-Colonel Rougier et le Lieutenant Moine qui ont suivi la conversation et qui partagent l'angoisse du Lieutenant Laporte, ont eux aussi, hâte de voir arriver les fantassins.
19 heures 18 : Lt Moine au Lt Laporte. - Les fantassins sont-ils avec vous ?
Lt Laporte. Ils ont mis le temps, mais ils arrivent.
Lt Moine. - Les T.D. sont-ils toujours avec vous ? J'ai vu leur Capitaine. Le Lieutenant Laporte occupé à donner ses ordres aux fantassins, n'a pas entendu. Le T.D. qui était en réserve est remonté. La situation s'améliore... Le dépannage va pouvoir s'effectuer sous la protection des éléments à pied qui tiendront en respect les bazookas trop audacieux, tandis que la seule présence du T.D. assagira l'automoteur boche.
19 heures 28 : La nuit est maintenant complète...Le Lieutenant-Colonel Rougier cherche à parler au Lieutenant Monier pour lui donner ses instructions.
Lt Moine au Lt Laporte. - Le patron est-il avec vous ?
Lt Laporte. - Non, pas pour l'instant.
Lt Moine au M-d-L. Chef Schwatacz. - Le patron est-il avec vous ?
M-d-L. Chef Schwatacz. - Non, il vient de partir.
Lt Moine. - Dites-lui que l'ordre pour tout le monde est de rester en place dans le dispositif pris cet après-midi.
19 heures 31 : Lt Moine au Lt Laporte. - Les fantassins sont-ils arrivés ?
Lt Laporte. - Oui.
Lt Moine. - Tout est donc en place comme cet après-midi ?
Lt Laporte. - Oui.
Lt Moine. - O.K. Je reste en liaison radio avec vous.
Lt Laporte. - Je vais remonter au carrefour avec mon bidule.
C'est fini ! L'alerte a été chaude. Le peloton Laporte a vécu des minutes tragiques. A chaque instant un boche armé du bazooka pouvait se glisser, à la faveur de l'obscurité, à distance de tir et attaquer les chars. Mais maintenant la famille est au complet : fantassins et T.D. sont là pour épauler leurs frères d'armes... Le "Jeanne d'Arc" est sorti de l'ornière et va pouvoir reprendre, avec le "Joubert", un emplacement plus propice pour le stationnement de nuit.
20 heures 45 : Lt Laporte au Lt Monier. - Tout est en place chez moi. R.A.S.
20 heures 50 : Lt Monier au Lt-Colonel Rougier. - R.A.S.
21 heures : Lt-Colonel Rougier à l'Etat-Major du C.C.1. - Situation rétablie. R.A.S.
Etat-Major du C.C.1 : Toutes mes félicitations !
Vers le Col d'Oderen
(11-21 Octobre 1944)
Tandis que, guidés par le Commandant de Maison-Rouge, les pelotons Zeisser et Giraud s'attaquent aux chemins de chèvre conduisant vers la Tête du Canard pour épauler les fantassins du Général Duval en peine, une petite étape d'une quinzaine de kilomètres amène à Ferdrupt l'Etat-Major du 2ème Cuirassiers, le 1er et le 4ème Escadron.
Le 2ème Escadron rassemblé à Remanvillers, est tout proche ; le 3ème est attendu à Saulx :
le Régiment va se trouver ainsi regroupé, pour la première fois depuis le 26 Septembre, reprenant rapidement le souffle en prévision du nouvel effort qu'il devra tenter contre les défenses ennemies des Vosges, barrant l'accès du col d'Oderen.
Ferdrupt... Remanvillers... comme cantonnements de repos, on fait mieux...
"Vous souvenez-vous du "Cabaret de la belle femme" ?... avait demandé à la radio au Capitaine Adjoint, le Capitaine Demeunynck, parti en détachement précurseur vers Ferdrupt, avant que le groupement Durosoy n'ait quitté le Bois-le-Prince.
Pauvre village ! Des ruines... des maisons sans toits... Toute une population confinée depuis des jours et des jours dans les caves... Précaution bien légitime d'ailleurs en raison des tirs de harcèlement de l'artillerie ennemie.
Ces bombardements ne facilitent pas la tâche des équipages qui s'empressent autour des chars dont l'entretien a été si longtemps négligé...
Et puis qu'y a-t-il de plus vexant que de perdre du monde quand on n'est pas engagé ?
Or, il y a deux blessés au 2ème Escadron, le 11 Octobre, un tué, le Cuirassier Farbos, et deux Sous-Officiers blessés, l'Adjudant-Chef Charrue et le Maréchal-des-Logis Schwatacz, le 12...
Le Vendredi, 13 Octobre, le 2ème Cuirassiers est de nouveau en route. Laissant à Remanvillers le 2ème Escadron, il descend la Moselle jusqu'à Dommartin, puis passe à Peccavillers, dans la vallée de la Moselotte qu'il remonte jusqu'à Thiefosse. Il est désormais à pied d'œuvre en vue de la nouvelle opération qui doit être déclenchée sur l'axe Travexin - Ventron, dès que l'Infanterie de la 3ème D.I.A. aura conquis Cornimont et la Tête de la Chapechatte.
L'occupation de ce piton est annoncée le soir même au Colonel par le Commandant de Maison-Rouge ; d'autre part, progrès très satisfaisants de la 3ème D.I.A. vers Cornimont.
Le 14 Octobre, le 2ème Cuirassiers, toujours à Thiefosse, reçoit l'ordre d'opérations de l'Etat-Major du C.C.1 en prévision de l'attaque fixée pour le lendemain :
un Groupement Durosoy est reconstitué, II comprendra :
les 3ème et 4ème Escadrons du 2ème Cuirassiers, le peloton Zeisser du 1er Escadron,
deux pelotons de T.D., le 3ème Zouaves,
une compagnie de parachutistes,
une section du Génie,
une batterie du 1er Groupe du 68ème R.A., en appui direct.
Sa mission est tout d'abord de s'emparer de Travexin, puis de progresser vers Ventron pendant que le Régiment de Parachutistes attaquera, à sa droite, le long de la ligne des crêtes cote 1008 - Haut-du-Rouge-Gazon - le Collet, et que le Groupe de Commandos Bouvet, agissant à la droite de ce dernier, fera face au Sud sur la Tête des Champs et le Ruisseau des Granges.
Cet ordre est cependant bientôt modifié :
l'attaque est reportée au 16 octobre, la journée du 15 devant être mise à profit pour l'exécution de certaines opérations préliminaires, dont l'occupation de Travexin par des éléments appartenant au Groupement Durosoy.
La mission du Groupe de Commandos Bouvet est changée, cette unité étant désormais chargée d'agir en direction du Haut-de-Tonteux, au Nord du Groupement Durosoy.
La tâche du Groupement semble désormais plus facile, des actions d'Infanterie étant prévues sur les deux lignes de hauteurs encadrant la vallée de Ventron qui lui a été fixée comme axe de progression.
L'ordre d'attaque du Colonel confie au Commandant de Maison-Rouge le commandement d'un Sous-Groupement comprenant :
la compagnie de parachutistes (Compagnie Audebert),
les deux pelotons de chars Giraud et Zeisser,
le peloton de T.D. Courtivron,
une section du Génie, trois canons de 57 du peloton anti-chars du Sous-Lieutenant Ghalem.
Sa mission est d'une part d'occuper, dans le courant de la soirée du 15 Octobre, Travexin et d'y établir un solide point d'appui, face à Ventron et au Menil, d'autre part, de maintenir une puissante base de feu face à l'Est et au Sud-Est, à la Tête de la Chapechatte.
Le Chef de Bataillon Letang commandera l'autre Sous-Groupement composé :
du 3ème Zouaves,
du 4ème Escadron moins le peloton Giraud,
du peloton de T.D. Feller,
d'une section du Génie.
Poussant, le 16 octobre, au lever du jour, au Sud du ruisseau de Ventron, sur l'axe Les laiteux-Travexin, il devra relever, à Travexin, la compagnie de parachutistes Audebert, puis progresser vers le Daval, objectif 01, et éventuellement, Ventron, Objectif 02.
La liaison entre le Groupement et le Régiment de Parachutistes sera confiée à la compagnie Audebert, agissant, après sa relève à Travexin, vers la Malcote (01), puis la Ronde-Bruche (02).
L'ordre prévoit enfin qu'un verrou sera maintenu à Travexin, après le débouché du Sous-Groupement Letang, et une base de feu conservée sur la Tête de là Chapechatte.
Cette mission sera assurée par un détachement aux ordres du Lieutenant. Colonel Rougier comprenant : le peloton Giraud,
le peloton de T.D. Courtivron,
les 3 canons de 57 du Sous-Lieutenant Ghalem,
le peloton de mortiers de l'Adjudant Thuny.
Le 15 Octobre à 19 heures, la Compagnie Audebert dévale la pente de la Chapechatte et vient occuper Travexin. Elle est rejointe par les canons de 57 du peloton Ghalem qui ont suivi a route de Saulxures à Cornimont, puis la piste partant du carrefour des Baranges et longeant la rive Ouest du ruisseau de Ventron. Ces canons sont au nombre de deux seulement, le camion du troisième ayant été accidenté en cours de route.
Toute l'opération se déroule sans coup férir, le village ayant été évacué par l'ennemi depuis l'occupation de la Tête de la Chapechatte.
Le 16 avant le lever du jour, les chars et les T.D. affrontent, à leur tour, l'étroit sentier détrempe par la pluie qui descend la pente escarpée.
Le "Verdun " et Ie "Vaucouleurs" parviennent à passer, ainsi que trois chars légers et deux T.D.
Moins heureux, le "Vesoul" reste immobilisé à la sortie du bois, presque déchenillé. Il bloque la piste, obstruée par ailleurs par un gros éboulement qui s'est produit après le passage des autres engins.
L'occupation de Travexin est ainsi terminée dans les conditions prévues. Il ne reste plus à la Tête de la Chapechatte que la base de feu composée de deux chars du peloton Giraud (en plus du "Vesoul", indisponible), deux T.D. et le peloton des mortiers. Le Commandant de Maison-Rouge y maintient en outre son P.C. à proximité d'un observatoire d'artillerie. Il a gardé à sa disposition un char léger.
Dès le lever du jour, l'ennemi réagit très violemment par de puissants tirs d'artillerie. Disposant d'excellentes vues sur toute la vallée du ruisseau de Ventron et sur les pentes Est de la croupe de la Chapechatte, il pilonne sévèrement Travexin et ses abords. Le chemin, suivi au cours de la nuit par le peloton Ghalem, devient inutilisable ; il faut renoncer à le faire emprunter par le Sous-Groupement Letang. Ce groupement se trouve dès lors dans l'impossibilité de déboucher, la destruction des ponts sur le ruisseau de Ventron, au carrefour des Baranges, lui interdisant l'accès de la route de la rive Est du ruisseau, non vue des observatoires ennemis.
La Tête de la Chapechatte est, elle aussi, durement bombardée. Le boche prend à partie le "Vesoul" immobilisé en terrain découvert ; l'équipage du char est surpris par le tir ennemi au cours de ses vains efforts de dépannage : l'Adjudant Chardac, chef de char, et les cuirassiers Quinsac, Bernard et Berto sont blessés, seul, le cuirassier Ferrand est indemne.
Le Commandant de Maison-Rouge adresse cependant au Colonel ses premiers compte-rendus à partir de Travexin. Il signale que le pont situé sur le ruisseau de Travexin, est praticable aux chars, bien qu'endommagé ; les parachutistes poursuivent les travaux de déminage dans le village et ses abords ; une patrouille a été poussée en direction de la Malcote où, d'après des renseignements de prisonniers communiqués par l'Etat-Major du C.C.1, l'ennemi aurait aménagé un fossé anti-chars.
A midi, pas de changement au Sous-Groupement Letang... Il faut attendre la construction du pont des Baranges, entreprise par le Génie... Les sapeurs sont à pied-d'œuvre sous un véritable déluge de feu, s'attirant, une fois de plus, l'admiration de leurs frères d'armes des chars et de l'Infanterie.
De Travexin, le Commandant de Maison-Rouge rend compte du retour de la patrouille de parachutistes de la Malcote : elle a été très éprouvée par de violents tirs déclenchés à partir de la Ronde-Bruche ; il a fallu l'intervention du "Verdun" pour lui permettre de se replier. Le fossé anti-chars a été, d'autre part, reconnu par une patrouille du Génie ; elle n'a pas pu, se maintenir dans la région par suite de feux d'armes automatiques venant d'une sorte de maquis brun situé au Sud du Bruleux et de la Petite Goutte.
Le Colonel suit au plus près l'évolution de la situation, de son P.C. installé à l'Est du Pont des Longènes. Le P.C. du Commandant Letang est à quelques centaines de mètres de là, de l'autre côté du passage à niveau. Rien ne peut cependant être entrepris tant que le pont de Baranges ne sera pas rétabli...
Visite du Colonel Desazars au P.C. du Colonel, dans le courant de l'après-midi... Progression très satisfaisante tant du groupe de Commandos Bouvet que du Régiment de Parachutistes... Le Colonel Desazars juge le moment venu pour le Lieutenant-Colonel Rougier de se rendre à Travexin pour se familiariser avec le secteur.
Le Lieutenant-Colonel Rougier part en jeep...
Il est ramené, blessé, presque aussitôt après... Le Lieutenant Giraud qui avait entrepris de le piloter dans Travexin, a été blessé à ses côtés.
L'ordre d'opération de l'Etat-Major du C.C.1 pour le 17 Octobre prévoit que cette journée sera consacrée à assurer les gains acquis.
Le Groupement Durosoy doit en particulier assurer la conservation du couloir Travexin - carrefour des Baranges où la construction du pont a été achevée par le Génie. Il tiendra défensivement le carrefour 1 kilomètre Est de Travexin et nettoiera la partie Nord de la Forêt du Gehan jusqu'à 1 kilomètre Est de la route Travexin - col du Ménil. Un point d'appui devra y être installé permettant la liaison avec le Régiment de Parachutistes qui a conquis la cote 1008 de la crête du Haut-du-Rouge-Gazon.
Temps particulièrement mauvais, le 17 Octobre... La pluie et la boue gênent considérablement les opérations. Toute circulation devient impossible à la Tête de la Chapechatte, toujours aussi violemment bombardée et où l'unique sentier s'effondre de plus en plus.
Néanmoins, dès le début de la matinée, le Sous-Groupement Letang pousse en avant une compagnie de Zouaves qui vient relever à Travexin, la compagnie Audebert.
Appuyés par les chars du peloton Giraud, les Zouaves tentent de progresser en direction du fossé anti-chars du Daval. L'ennemi riposte aussitôt. Un char ou un canon anti-char prend à partie le "Vaucouleurs".
Le Sherman brûle... Son conducteur, le cuirassier Laborde, est tué... En dépit des tirs boches et de l'incendie qui fait rage, ses camarades, le Maréchal-des-Logis Thomas et les cuirassiers Besch, Rossillon et de Montjoie, parviennent à retirer son corps du char ; ils y remontent, récupérant tout le matériel susceptible d'être sauvé...
La journée s'achève à parfaire l'organisation défensive de Travexin. La Compagnie Audebert installe le point d'appui prévu au Nord de la Forêt du Gehan.
Un sérieux effort est prévu pour le 18 Octobre.
Un nouvel ordre d'opérations informe les unités des dispositions prises par le Colonel.
La défense du point d'appui de Travexin et la sûreté des routes Col du Ménil - Travexin - les Baranges sont confiées au Capitaine Argoult disposant, en plus de son Escadron de reconnaissance (le 2ème Escadron du 2ème R.C.A. qui vient d'être mis à la disposition du Groupement), des pelotons de chars Garcia et Zeisser et du peloton de T.D. Courtivron.
Le peloton Barral, du 3ème Escadron, sera poussé au Col du Ménil, en renfort du Régiment de Parachutistes.
Le 3ème Zouaves, renforcé du peloton Gérard, du 4ème Escadron, et du peloton de Latour, du 3ème Escadron, aura pour mission d'attaquer en direction de Ventron, par les deux rives du ruisseau.
Cette attaque sera précédée par une opération préliminaire menée par la Compagnie Audebert vers la Malcote.
La Compagnie Audebert se met en place, durant la nuit, dans les bois Sud-Est de la route Travexin - Le Ménil. Son attaque débouche à 7 heures. Au départ, accrochage dans les bois, mais les résistances ennemies sont débordées et tombent
rapidement entre nos mains. A 9 heures le nettoyage est terminé. De nombreux cadavres boches restent sur le terrain.
La Compagnie qui tenait le secteur est anéantie ; ses trente-six rescapés sont fait prisonniers. Les parachutistes se sont en outre emparés, sur la croupe de la Malcote, de trois canons anti-chars et de plusieurs mitrailleuses, armes dont la mission était de battre le fossé anti-chars et les lisières de Travexin.
A 10 heures, les Zouaves se portent en avant, à leur tour, et progressent malgré la réaction d'un canon automoteur ennemi.
Ils s'emparent de la Petite Goutte, leur objectif 01, infligeant de sévères pertes au boche et lui capturant de nombreux prisonniers.
"Ça va très bien chez les Parachutistes. Ennemi complètement désorganisé. Il laisse de nombreux morts sur le terrain. Le chef de Bataillon ennemi, commandant l'ensemble, a été fait prisonnier avec 200 hommes".
"Ça va moins bien aux Commandos, où "grosse réaction ennemie", passé à la radio, au Colonel, à 11 heures 5, le Commandant Doré, chef d'Etat-Major du C.C.1.
Cet échec du Groupe de Commandos qui, contre-attaque au Nord du Groupement Durosoy, par des forces supérieures, est obligé de se replier, amène l'Etat-Major du C.C.1 à donner l'ordre au Groupement d'arrêter sa progression et de s'organiser sur la ligne Petite-Goutte - La Goutte-du-Riant.
Les ordres qui parviennent au Groupement dès le début de la matinée du 19 Octobre, laissent présager que le Commandement a décidé de renoncer à sa tentative de percée vers le col d'Oderen.
Ils font état, en effet, de la situation particulièrement grave du Régiment de Parachutistes qui, attaquant sans répit depuis le 4 Octobre, est désormais incapable de fournir un nouvel effort.
La Compagnie Audebert est retirée du Groupement Durosoy et remise aux ordres de son Colonel.
Le dispositif du Régiment doit être remanié en vue de "durer"...
Ces ordres ne surprennent personne. L'état d'épuisement des unités, aggravé par le mauvais temps persistant, se traduit en effet par des évacuations chaque jour plus nombreuses, dues en particulier à des pieds gelés.
Ces évacuations constituent un véritable problème pour le Régiment de Parachutistes, parvenu jusqu'à la crête du Rouge-Gazon après de longs jours d'attaque à travers un terrain montagneux et totalement démuni de chemins. La route, carrefour des Baranges - Col du Ménil, bien que très battue par le feu d'artillerie ennemi, vient heureusement offrir des possibilités nouvelles. Le Lieutenant-Médecin Deloupy, Médecin-Chef du 2ème Cuirassiers, les met aussitôt à profit pour venir à l'aide de ces magnifiques Soldats dont les exploits ont enthousiasmé le Régiment. Ses half-tracks sanitaires font sans relâche le va-et-vient entre le col du Menil et le poste de secours régimentaire, évacuant des dizaines de blessés. Les infirmiers montrent fièrement aux équipages de chars leurs véhicules criblés d'éclats d'obus et repartent aussitôt.
De nouveaux ordres, parvenus au Groupement dans le courant de la journée, lui apprennent que le C.C.1 doit quitter le secteur le lendemain, 20 Octobre, après relève par le C.C.3.
Une contre-attaque vient cependant retarder de vingt-quatre heures cette relève.
Au cours de la nuit, sur la Tête de Chapechatte, vain essai de dépannage du "Vesoul" par le peloton d'échelon du 4ème Escadron. Les moyens de levage utilisés se révèlent insuffisants ; les dépanneurs sont obligés de renoncer à leur tentative, entreprise sous les obus ennemis.
La situation du Groupement est inchangée le 20 Octobre.
A la tombée de la nuit, le peloton d'échelon du Corps prend à son compte le "Vesoul". Un "recovery" a été poussé sur la Tête de la Chapechatte, par le chemin refait par le Génie. Tout est en place, quand le câble casse... c'est de nouveau l'échec...
Pauvre "Vesoul". Il est achevé le lendemain matin par l'artillerie boche... il est en flammes...
Le 21 Octobre à 7 heures 40, les unités non engagées du 2ème Cuirassiers quittent le secteur en direction de cette même région de Raddon qui leur a servi de point de départ, un peu moins d'un mois plus tôt, vers le Bois-le-Prince.
L'Etat-Major du Colonel et les pelotons en ligue s'ébranlent, à leur tour, dans le courant de la nuit, après avoir été relevés par le 2ème R.C.A.
Au Repos dans la Franche-Comté
(22 Octobre - 15 Novembre 1944)
Magnivray, Rignovelle, Esboz, Belmont, Corbière... petits villages sévères où le vent apporte encore, par intermittence, le sourd roulement du canon !...
Lantenot, tout proche, avec ses souvenirs de là veillée funèbre de la nuit du 28 Septembre, cette nuit où les Officiers non engagés du Régiment, descendus de Faucogney, sont venus se recueillir une dernière fois auprès du corps du Commandant de Laprade....
Paysage mélancolique et sans attrait... Ciel gris tout chargé de pluie... Installation précaire...
C'est dans cette ambiance qui lui rappelle à chaque instant les dures heures qu'il vient de vivre que le 2ème Cuirassiers passe les journées des 22, 23, 24 et 25 Octobre.
Le 26, il fait mouvement en direction d'une nouvelle zone de stationnement dans la région Nord de Vesoul. Cette étape d'une cinquantaine de kilomètres, amène à Pusy, l'Etat-Major du Régiment et le 1er Escadron, à Auxon, les trois Escadrons de chars moyens, à Bougnon, l'E.H.R.
Le 2ème Cuirassiers séjournera trois semaines dans ces cantonnements initialement prévus pour un ou deux jours. Période de calme qu'il mettra à profit pour panser ses blessures, pour combler les vides qui se sont creusés dans ses rangs.
Le Chef d'Escadrons Doré qui a quitté l'Etat-Major du C.C.1, prend les fonctions de Commandant en second du Régiment.
Le Lieutenant Bérard, remplacé à la tête du peloton d'échelon de l'E.H.R. par le Lieutenant Monier, prend le commandement du 2ème Escadron.
Le Lieutenant d'Annam conserve celui du 4ème.
De jeunes engagés sont venus, d'autre part, de tous les coins de France compléter les équipages de chars éprouvés par les derniers combats. Leur instruction est activement poussée.
Tout est mis en œuvre pour que le 2ème Cuirassiers puisse reprendre au plus tôt sa place dans la bataille, bataille toute proche peut-être...
Chacun sait en effet que la 1ère Division blindée est sur le point d'être retirée du front de l'Est pour être transportée en direction des côtes de l'Atlantique, où sont restés encerclés d'importants effectifs ennemis.
Pointe de Grave... Royan... La Rochelle... St-Nazaire... Quelle belle promenade en perspective ! Voilà de quoi occuper agréablement ses loisirs en attendant le printemps ! Il est bien probable en effet que le front des Vosges ne bougera plus d'ici la belle saison...
D'ailleurs, un Ordre du Jour du Général de Lattre n'annonce-t-il pas le départ massif en permission du personnel de la IIe Armée ?
Une telle mesure serait-elle prise s'il y avait eu le moindre projet d'une offensive tant soit peu importante ?
L'hiver dans l'Ouest, l'Alsace au retour, excellent programme !
Dès le 27 Octobre, le Régiment est en possession des tableaux détaillés fixant la répartition des Escadrons entre les différents trains. Il reçoit, le 28, l'ordre préparatoire consacré aux éléments non chenillés du C.C.1, qui devront exécuter le trajet par voie de terre.
Tout est prêt : seul, le jour J à partir duquel devront être déclenchés tous les mouvements, n'a pas été fixé. Il paraît imminent. On l'attend... On l'attend en vain.
Les jours succèdent aux jours... le mois de Novembre survient... Le doute a commencé à gagner les esprits.
Cette expectative incertaine semble cependant prendre fin le 10 Novembre.
De nouveau ce départ auquel on ne croyait plus guère paraît brusquement tout proche.
" Le C.C.1 commencera ses mouvements vers le 16 Novembre" dit le 12, un Ordre préparatoire de l'Etat-Major de la 1ère D.B....
On reprend les préparatifs interrompus...
Des précisions enfin, le 15... Le jour J est fixé au 18, les colonnes routières devront quitter leurs stationnements le 17...
Ces dates paraissent définitives : les trains ne sont-ils pas d'ores et déjà en gare de Vesoul ?
Les événements pourtant se précipitent...
C'est tout d'abord, la nouvelle du départ inopiné de Vesoul, en direction de Baume-les-Dames, de l'Etat-Major de la 1ère D.B.... Puis, quelques heures plus tard, une note de service de l'Etat-Major du C.C.1 informant le régiment qu'il pourrait être alerté dans le courant de la nuit en vue d'un mouvement "de faible amplitude".
Mouvement de faible amplitude ? Oui, et ce ne serait pas pour embarquer... il s'agirait d'une autre mission...
Le 2ème Cuirassiers est perplexe. Il n'ignore pas qu'une attaque a été déclenchée la veille, dans la région de Belfort par le 1er Corps d'Armée. Il reste cependant sceptique, après son expérience des Vosges. La percée est-elle possible en plein hiver, dans ce secteur qu'on lui a toujours dit très fortifié et âprement défendu par le boche...
Fin de journée calme. Cette alerte de nuit paraît tellement improbable !
A 2 heures 15, cependant, bruits de motocyclette dans l'unique rue de Pusy... ce sont les ordres du Colonel Gruss qui a pris le commandement du C.C.1 le 20 Octobre : le Régiment doit être prêt à faire mouvement à 4 heures...
Dans tous les cantonnements, les Cuirassiers s'empressent autour des chars... Ronflement des moteurs... On est prêt... On attend...
A 5 heures, c'est enfin l'ordre de mouvement : le C.C.1 doit se regrouper dans la région de Baume-les-Dames... Le 2ème Cuirassiers s'y portera par Vesoul, Rioz, Devecey, Moncey, Rigney, Chaudefontaine et Roulans...
A 6 heures 30, la longue colonne de chars s'étire sur la route. Le 2ème Cuirassiers voit s'esquisser un rêve auquel il n'ose pas encore croire...
Veillée d'Armes devant la Porte de France
(16-19 Novembre 1944)
16 Novembre... Cantonnements d'alerte le long de la Nationale 73 entre Besançon et Baume-les-Dames.
Le P.C. du 2ème Cuirassiers est au Château de Glamondans.
Toutes les pensées s'envolent vers l'offensive qui fait rage dans la trouée de Belfort.
Les nerfs sont tendus... On est à l'affût des nouvelles... Elles seraient favorables... Ah! Si cela pouvait être vrai ! L'Alsace, beau rêve depuis si longtemps caressé ! Trop beau rêve qu'il a fallu abandonner il y a un mois à peine... Un nouvel espoir est né... gare à une nouvelle déception !...
17 Novembre, 17 heures... le 1er corps d'Armée progresse toujours... Est-ce le miracle de la percée ?... La première position
boche serait dépassée en plusieurs points. Le bruit court que la 1ère DB serait lancée en exploitation vers Delle, lorsque notre Infanterie aurait atteint la deuxième position ennemie, qui épouserait le cours de la Lizaine, la rivière de Montbéliard, puis celui du Gland...
18 heures 30... Est-ce l'effondrement du front boche ? La deuxième ligne de défense ennemie aurait croulé presque en totalité... Notre glorieuse 1ère Armée serait à Héricourt, Allondans, Seloncourt, Hérimoncourt, Meslières... Elle avancerait partout irrésistiblement... Le C.C.2 et le C.C.3 auraient déjà commencé l'exploitation.
A quand donc le tour du 2ème Cuirassiers ? Ne sera-t-il pas engagé cette nuit même ?
23 heures 30... Message téléphonique de l'Etat-Major du C.C.1 ; "Nous sommes dans les faubourgs de Montbéliard..."
Le maléfice est vaincu ! Fini le déprimant piétinement des Vosges !... Les beaux jours sont revenus !...
18 Novembre, 16 heures... On ne comprend plus : notre offensive progresse d'une façon foudroyante, Montbéliard a été libéré hier soir ; à 13 heures, nous avons appris que notre droite était à Delle, et le 2ème Cuirassiers est toujours au port d'armes, rongeant son frein !...
Des avions narquois évoluent dans un ciel incroyablement bleu...
17 heures 30... Le Régiment ne bougera décidément pas encore aujourd'hui ! Que se passe-t-il ? L'a-t-on oublié ?
22 heures... Enfin la perspective d'agir ! Mais il faudra pour cela revenir vers Lure pour attaquer avec le 2ème Corps d'Armée sur l'axe Champagney-Rougemont.
19 Novembre, 9 heures... Nuit désespérément calme... Le projet de mouvement vers Lure a été abandonné. Promesse, par contre, de nouveaux ordres dans le courant de la matinée...
14 heures... Enfin !... Le 2ème Cuirassiers a l'ordre verbal d'être prêt à démarrer à partir de 18 heures... Aucune autre précision...
17 heures... Nous partons... C'est bien vrai ! Le Régiment doit passer, à 20 heures 15, au carrefour Nord de Passavant, son point initial, puis mouvement vers Dampierre-les-Bois par Vellevans, Sancey, Maîche, St-Hippolyte, Pont-de-Roide, Hérimoncourt et Beaucourt.
Demain, ce sera peut-être l'Alsace !...
Avec le Soleil dans la Plaine d'Alsace
Libération D'Altkirch
20-21 Novembre 1944)
Le lundi, 20 Novembre, à 9 heures 30, baignés des gais rayons d'un soleil déjà éclatant, les chars du 2ème Cuirassiers traversent Seppois, leur premier village alsacien. Continuant vers l'Est par Bisel, Felbach, et Riespach ils atteignent, à 10 heures, Waldighofen.
Douze heures seulement se sont écoulées depuis le passage du Régiment à Passavant...
Heures intenses d'une réalité plus belle que les plus beaux des rêves... Heures précieuses dont on repasse, sans se lasser, les innombrables impressions parmi lesquelles on s'efforce de se retrouver...
Cette longue étape, dans la nuit, à travers un territoire à peine libéré, vers la voix du canon de plus en plus proche...
L'arrivée nocturne à Dampierre-les-Bois...
L'émotion provoquée par la perspective imminente d'entrer en Alsace...
La marche de nouveau vers le soleil levant, après un dernier regard narquois vers la cime hostile des Vosges, couronnées de neige...
Les bruits de bataille qu'on laisse derrière soi, au fur et à mesure qu'on s'éloigne des bords de la brèche qu'on a franchie...
Les maisons si nettes, si pleines de caractère, du premier village alsacien qu'on retrouve encore plus belles que dans le lointain souvenir précieusement conservé... Les drapeaux tricolores flottant au faîte des clochers...
Le calme paisible des champs verts...
Cette sensation de délivrance de pouvoir pousser sans entraves en avant, toujours plus en avant, à la recherche de l'ennemi désorganisé...
Le désarroi de l'oppresseur battu qui se lit à chaque pas dans le village libéré...
La joie de retrouver l'Alsace encore plus ardemment, encore plus farouchement française qu'on ne l'avait espéré, en dépit des formidables efforts de germanisation de l'ennemi...
L'admiration respectueuse de l'héroïsme de ces innombrables Alsaciens qui, bravant les pires dangers, sont restés dans " la plaine " pour maintenir le culte de la France et la pérennité de sa pensée...
La satisfaction de se sentir fort, le plaisir de le montrer à ses frères retrouvés par des gestes naïfs peut-être, mais qu'on est si heureux de perpétrer, tels que la destruction à coups de colt de bustes d'Hitler, la lacération de drapeaux à croix gammée, l'anéantissement de panonceaux teutons...
Puis, de nouveau, la marche joyeuse vers le combat, un combat dont on est sûr de sortir victorieux...
A peine arrivé à Waldighofen, tout le 2ème Cuirassiers ne songe qu'à aller plus loin. Il a hâte de reprendre sa place de toujours à la pointe de l'Armée Française.
" Altkirch... 16 kilomètres "...
L'affreuse pancarte jaune sale attire tous les regards...
A 13 heures 30, soulagement... Le Régiment a ordre de pousser en avant... Il est précisément chargé de libérer Altkirch.
Au centre, le Groupement Durosoy, avec le 4ème Escadron commandé par le Lieutenant Giraud, en l'absence du Lieutenant d'Annam, le 2ème Escadron, la Compagnie Guinard du 3ème Zouaves, la 88/2ème Compagnie du Génie moins une section, l'Escadron de T.D. Laporte du 9ème R.C.A., moins un peloton, et tout le 1er Groupe du 68ème R.A.
Mission : Faire tomber Altkirch par une action d'Est en Ouest, en progressant par l'itinéraire Grentzingen - Willer -Hausgauen - Schwoben - Wittersdorf.
A droite, le Groupement Letang, dont fera partie le 1er Escadron, couvrira vers le Nord l'opération sur Altkirch, en agissant sur l'axe Steinsoultz - Franken - Tagsdorf et, ultérieurement, Illfurth.
A gauche, le Groupement Vallin, déjà en place à Heimersdorf et devant Bettendorf, et qui comprend le 3ème Escadron, essaiera de s'emparer d'Hirsingue.
Les ordres du Colonel sont immédiatement diffusés aux unités : le Commandant de Maison-Rouge sera en avant-garde avec le peloton d'A.M. de Bellefond du 3ème R.C.A., le 4ème Escadron, la compagnie Guinard, le peloton de T.D. Feller, une section du Génie, la batterie d'Artillerie Navelet. Le P.C. du Colonel suivra, puis ce sera le 2ème Escadron, le reste du Génie, le Groupe d'artillerie. Il faut former la colonne, toutes les unités du C.C.1, excepté celles placées aux ordres du Commandant Vallin, étant restées groupées organiquement au cours du mouvement en direction de Waldighofen. On perd inévitablement un temps précieux...
Le détachement de Maison-Rouge se porte en avant à 15 heures. Il tourne à droite à Grentzingen abandonne la route directe d'Altkirch, traverse un plateau faiblement ondulé, descend dans la vallée du petit affluent de l'Ill, Thalbach, tourne à gauche dans Hausgauen.
Des coups de feu partent de Schwoben. La route est minée...
Le Groupement ne ralentit pas... L'ennemi est irrésistiblement bousculé avant d'être revenu de sa surprise. Vingt prisonniers... Des cadavres gisent sur le terrain... La progression reprend aussitôt.
Wittersdorf est en vue... Il est, lui aussi, tenu par l'ennemi...
Cette fois, la résistance est plus sérieuse, d'autant plus que le boche a été mis sur ses gardes par l'échauffourée de Schwoben. Il faut manœuvrer...
Les chars passent le Thalbach, entrent dans Emlingen...
Mais le Groupement est parti trop tard de Waldighofen. Il est 17 heures 15... Les lueurs des Panzerfaust strient la nuit qui tombe... Il faut suspendre l'opération... L'ordre de rester sur place est donné aux unités. Le P.C. du Colonel s'installe à Tagsdorf, dans la partie du village située sur la route d'Altkirch, au Sud du ruisseau. La liaison est prise avec le Groupement Letang qui a facilement atteint la partie Nord de Tagsdorf.
Au même moment, le groupement Vallin est aux prises avec les boches d'Hirsingue.
Les chars du 3ème Escadron pénètrent dans le village malgré un violent barrage d'artillerie.
L'"Ouessant" est en tête... Son conducteur, le Cuirassier Ygon, voit soudain, dans la fumée, un boche le pointant avec un bazooka. Lâchant ses leviers, il se penche à droite, saisit la mitrailleuse de capot, abat le tireur ennemi...
Les Sherman sont dans la place. Le nettoyage du village s'avère cependant difficile : l'ennemi est en forces... il se défend âprement... la nuit tombe de plus en plus...
L'"Ouessant" tourne dans une rue... Au même moment, lueur fulgurante... un bazooka vient d'éclater contre le volet de conduite du char...
Le cuirassier Ygon est mortellement blessé. Tout son flanc gauche est arraché... Son cœur est presque à nu... Il rassemble pourtant ses dernières forces... Il fera jusqu'au bout son devoir... plus que son devoir... Il sauvera l'"Ouessant", il sauvera ses camarades irrémédiablement perdus si le char reste immobilisé sous les coups de l'ennemi...
Comme le levier de vitesse est dur à passer... Voici enfin la marche arrière... Le Sherman recule, tourne... Il est à l'abri d'une maison...
Ygon peut mourir... Il meurt sans une plainte...
Le nettoyage se poursuit ; il continuera presque toute la nuit.
A Tagsdorf, la joie des habitants se donne libre cours. Les Cuirassiers sont fêtés, choyés.
Ils écoutent avec autant d'avidité que de colère le récit des odieuses brimades des boches auxquelles furent soumis pendant, plus de quatre ans, les Alsaciens.
Nuit calme, à part une patrouille que l'ennemi a eu l'imprudence de pousser jusqu'à l'auberge située sur la route d'Altkirch, à 500 mètres Sud-Ouest d'Emlingen. Trois morts, fauchés par une rafale de mitrailleuse, sont restés sur le terrain.
Dès les premières lueurs du jour, le Groupement est de nouveau tendu vers l'avant.
A 7 heures, les salves des automoteurs du 68ème s'abattent sur les lisières de Wittersdorf.
En même temps, incident imprévu, un canon boche de 122 mm, tracté par un camion, débouche du village et vient buter contre nos premiers éléments. Ne sachant pas jusqu'où il pouvait pousser sans danger pour se mettre en batterie, il a été parfaitement " renseigné " par les habitants, trop heureux de jouer un tour aux boches...
Dix prisonniers dont un Feldwebel, un excellent camion... bonne prise !
Les chars et les Zouaves débouchent à 7 heures 30.
Wittersdorf est aussitôt abordé. Son nettoyage est rapidement mené. Les boches, terrorisés, essaient de se réfugier dans les maisons d'où ils sont tirés par la menace de la mitraillette. Les prisonniers affluent ; ils sont bientôt une soixantaine dont plusieurs Officiers. Le Groupement, capture en outre deux canons de 20.
A neuf heures quinze, le détachement de Maison-Rouge se reporte en avant. Le peloton de Bellefond est en tête.
La route d'Altkirch continue à suivre, presque rectiligne, pendant près d'un kilomètre, la vallée du Thalbach ; elle tourne alors à gauche, à angle droit, pour remonter la vallée de l'Ill. Quelques centaines de mètres après le tournant, un moulin, puis le hameau de l'Hôpital St-Morand, faubourg Est d'Altkirch.
Peu de couverts dans cette étroite vallée.
A gauche, les hauteurs de la ferme Schweighof qui descendent vers St-Morand par un bois qui porte le nom de Klosterwald.
A droite, le Berg qui domine le confluent de l'Ill et du Thalbach.
Dès la sortie de Wittersdorf apparaît au loin la route de Mulhouse qui emprunte, par Walheim, la rive gauche de l'Ill.
Les A.M. ont dépassé le coude de la route ; elles avancent vers l'hôpital St-Morand... Tout est calme quand l'ennemi se dévoile soudain... L'auto-mitrailleuse du Sous-Lieutenant de Bellefond est percée de part en part par un obus anti-char. Chance exceptionnelle, son équipage est indemne : c'est le poste radio qui s'est trouvé sur le trajet du projectile.
Le peloton se replie au moulin de l'Ill, d'où il essaie de localiser l'ennemi, installé dans les bois situés de l'autre côté de la rivière, dans la région du passage à niveau, au Nord de l'hôpital St-Morand.
Simultanément, nouvel incident inattendu ; un important convoi hippomobile allemand apparaît sur la route de Walheim. Il est immédiatement pris à partie par le peloton Gérard, arrêté entre Wittersdorf et le coude de la route, et le peloton de Bellefond.
Embouteillage... Enchevêtrement des fourgons... Affolement des chevaux...
Le convoi est disloqué à coup de canon, achevé à la mitrailleuse. Tandis que le peloton Gérard reste sur l'axe, une manœuvre est en cours pour déborder la résistance ennemie.
C'est tout d'abord, la section Bley qui, après un tir d'artillerie sur les hauteurs de la ferme Schweighof d'où partaient des coups de feu, parvient à prendre pied dans la partie Est du Klosterwald. Elle est cependant soumise aux tirs provenant toujours de la même résistance du passage à niveau, et ne réussit pas à atteindre la route.
Le peloton Giraud et la section Bousquet sont alors dirigés, par la ferme Schweighof, vers la lisière Ouest du Klosterwald avec la mission de prendre le boche à revers.
Des tirs d'artillerie sont déclenchés, en même temps, sur la position ennemie par le Chef d'Escadron Augereau, Commandant le 1er Groupe du 68ème, qui se tient en permanence auprès du Colonel.
Le Groupement apprend par ailleurs que le Commandant Vallin a été relevé à Hirsingue par un autre détachement de la Division et qu'il a reçu, lui aussi, l'ordre de pousser sur Altkirch.
Abandonnant la vallée de l'Ill et la grand'route, le Groupement Vallin débouche d'Hirsingue par un chemin assez médiocre, s'élevant vers le Nord et coupant l'angle formé par la rivière.
Le " Perpignan", du peloton Barrai, ouvre la marche.
Dès le départ, difficulté : l'Ill n'est franchissable que sur un pont en bois, marqué 2 T. 5 seulement. Deux tonnes et demie, c'est vraiment peu pour les Sherman... Il y a un gros risque à courir...
Le "Perpignan" passe tout doucement, bien au milieu du pont. L'essai est concluant : l'Escadron passera...
Cinq ou six cents mètres, puis le chemin traverse une langue de bois : c'est le Haumgartenholz...
Quelques coups de canon à droite de la lisière, quelques coups à gauche, de façon à dégoûter les tireurs de bazooka éventuels, et le "Perpignan" avance rapidement.
"Halte !"... Une barricade d'arbres et de charrettes barre la route...
Un rapide tir sur l'obstacle, puis plus loin, pour couvrir les Zouaves de la section Germain, qui ont bondi de leurs half-tracks et progressent déjà à travers champs, sous le feu d'armes automatiques ennemies...
Le peloton Avenati, encore de l'autre côté de l'Ill d'où il voit les boches de flanc, tire lui-aussi.
Dès que les Zouaves ont dépassé la barricade, le "Perpignan" pousse en avant, bouscule l'obstacle, le renverse.
Des Allemands se dressent les mains en l'air. Ils sont de 120 à 130. Deux Officiers dont un pleure. L'autre furieux, explique: "Soldaten : Frauen..."
Le temps de désarmer les prisonniers et le peloton repart, traverse de vastes champs dont la monotonie est à peine rompue par quelques rares buissons au bord du chemin, franchit une crête.
Sur l'autre versant une nouvelle lisière de bois. Tout au long, des trous individuels, des amorces de tranchées...
" Stop ! Feu !"...
De nouveaux boches se lèvent, les bras en l'air dans la fumée des obus explosifs des Sherman.
Le Sous-Lieutenant Germain, du 3ème Zouaves, avance à pied, la mitraillette à la hanche.
Le "Perpignan" bondit, traverse le bois, s'arrête. Le silence règne... partout des boches debout, l'air sombre... Surprise complète pour eux... Pouvaient-ils prévoir que des chars oseraient se risquer sur ce pont de 2 T. 5 !
Les Zouaves fouillent les teutons dont quelques-uns tentent encore de cacher des grenades sous leurs pèlerines bariolées.
Bientôt, le peloton est de nouveau en marche. Le chemin tourne à gauche, puis à droite...
Voilà Altkirch ! Altkirch est en vue !
Aucun indice de résistance, sauf quelques arrivées d'artillerie autour des chars...
Vers 10 heures, le détachement de Maison-Rouge reprend son mouvement en avant dans la vallée du Thalbach.
L'anti-char ennemi qui a traversé l'automitrailleuse du Sous-Lieutenant de Bellefond ne s'est plus manifesté. N'y-a-t-il pas lieu de croire qu'il a été neutralisé, sinon détruit, par nos tirs d'artillerie ?
Le "St-Quentin" est en tête. Puis vient le "St-Denis". Le Sous-Lieutenant Gérard suit, un peu plus loin, à bord du "St-Malo".
Les Sherman dépassent le coude de la route... Ils approchent de l'hôpital St-Morand... quand, brusquement, le "St-Quentin" est atteint par un obus anti-char et brûle... Le "St-Denis" veut faire demi-tour, mais il est traversé et mis en flammes, lui aussi... Le cuirassier Santo est tué, il y a six blessés dont plusieurs graves : le Maréchal-des-Logis Chabrat, le Brigadier-Chef Bouagne, le Brigadier Breyton qui sera amputé d'une jambe, les cuirassiers Bardy, Jacquey et Bourdelin.
Le "St-Malo" riposte à coups redoublés... il a pu repérer le boche... c'est un char dont la tourelle émerge à peine au-dessus d'une petite crête, à proximité du passage à niveau... Son feu interdit toute la portion de la route comprise entre le tournant et la sortie Est d'Altkirch.
Les T.D. du peloton Feller sont portés en avant. Ils tirent eux aussi, l'ennemi répond à leur première rafale, puis se tait.
Les automoteurs de la batterie Navelet, entrent pourtant de nouveau en action, couvrant de leurs obus toute la zone de résistance, tandis que la section Loth de la compagnie Guinard a franchi l'Ill et progresse, à pied, par le Nord de la voie ferrée.
Le peloton Giraud continue cependant son mouvement de débordement. Il a atteint la ferme Schweighoff. Il a fait dix-neuf prisonniers. Des chars sont subitement apparus à sa droite.
"Attention ! Ne tirez pas ! ce sont les enfants d'Oscar !" lui a dit la radio du P.C. du Colonel.
Il a pris, depuis, la liaison avec le 3ème Escadron. Il poursuit son mouvement vers le Klosterwald, tandis que les Sherman du Capitaine de Boisredon se ruent dans Altkirch.
Le peloton Barral pénètre dans la ville le premier. Le "Perpignan" et le "Paris" s'arrêtent sur la place de la halle au blé qui domine la vallée de l'Ill et la plaine qui s'étend vers Dannemarie.
Ils sont couverts par le "Poitiers" et le "Péronne", groupe de chars commandé par le Maréchal-des-Logis Chef Vincent, en position sur une petite croupe offrant des possibilités de tir encore meilleures vers les mêmes directions.
Le peloton de Latour dépasse le peloton Barral et traverse Altkirch pour se porter vers sa sortie Est.
Le peloton Avenati reste momentanément sur le plateau, en couverture vers Hirsingue.
C'est le nettoyage... Les Zouaves se répandent dans les rues, soutenus par les Sherman.
Ils dévalent, hurlant de joie, la prairie qui descend de la place de la Halle au blé vers l'Ill. Des boches harassés sortent des maisons, se rendent. D'autres tentent de s'enfuir : ils fourmillent sur la route de Dannemarie, se dispersant dans les champs...
Des habitants, les yeux brillants de joie, sont remontés de leurs caves malgré le crépitement des mitrailleuses, le fracas assourdissant du canon, les " gros noirs" dont l'ennemi ne cesse d'arroser la ville.
Le "Perpignan" un emplacement commode sur la place de la Halle au blé, gêné par les branches d'arbres trop basses, puis ouvre le feu sur les multiples objectifs qui s'offrent à lui.
Riposte immédiate de l'ennemi... deux anti-chars se révèlent quelque part dans la plaine, dont un canon de 88 qui tire alternativement à obus perforants puis explosifs.
Le "Perpignan" se déplace sans cesse, recule, avance, tire... Un des anti-chars ennemis se tait, l'autre, le canon de 88, semble cependant irréductible... Le "Paris" est touché deux fois, mais heureusement, par obus explosifs seulement. Un des half-tracks d'Infanterie est atteint... des Zouaves tombent...
Le Maréchal-des-Logis Chef Vincent, à bord du "Poitiers", le Maréchal-des-Logis Bar, à bord du "Marne", les Brigadiers Rossignol et Fuentes, à bord du "Paris" s'efforcent vainement, deux heures durant, de repérer le boche. Il faut une manœuvre du Lieutenant Avenati, poussé dans Altkirch avec un des groupes de son peloton, pour réduire enfin la pièce au silence.
Pendant que le Groupement Vallin, que l'Etat-Major du C.C.1 a placé aux ordres du Colonel, poursuit l'opération de nettoyage, les chars du peloton Gérard reprennent leur progression vers Altkirch.
Ils passent à travers champs pour éviter les épaves fumantes du "St-Quentin" et du "St-Denis", qui encombrent la route, parviennent à l'hôpital de St-Morand.
L'ennemi n'a plus réagi : sa résistance du passage à niveau est réduite : trois chars parfaitement camouflés, y dressaient le puissant barrage de leurs armes protégées par un épais blindage ; l'un d'eux, un P.K.W.5 "Panther" est en flammes, inutilisable dès le début, son frein de bouche ayant été atteint et brisé par le premier coup de 75 du "St-Malo" ; les autres, sans doute " Jagdpanther" sont en fuite ; la section Loth les poursuit à travers bois.
La liaison est tout d'abord prise entre le peloton Gérard et le peloton Giraud qui a débouché sur la route en descendant du Klosterwald, puis, à 14 heures, avec le groupement Vallin.
Le Colonel fait son entrée dans la ville dès que le Génie a déblayé la route. Il est accueilli par Monsieur Martin, qui durant de longues années, avait été l'âme de la résistance de toute la région. L'investiture officielle de chef local des F.F.I. d'Alsace lui est donnée.
Cependant, si la partie d'Altkirch située sur la rive droite de l'Ill a été nettoyée, les boches occupent encore toute la rive gauche, et en particulier, l'important quartier de la gare et le faubourg d'Aspach auxquels le Groupement Vallin n'a pas pu accéder par suite de la destruction des ponts sur la rivière. Un seul passage reste praticable, celui de l'hôpital St-Morand.
Le Colonel y lance immédiatement le Commandant de Maison-Rouge avec le peloton Giraud.
Panique parmi les boches, surpris en flagrant délit de pose de mines... Encore une soixantaine de prisonniers... Le peloton de Bellefond dépasse Altkirch, avance sur la route d'Aspach, pénètre dans le village. Il mitraille les fantassins ennemis en fuite, entend des bruits de chenilles... seraient-ce les "Jagdpanther" ?
Le Groupement Durosoy, malheureusement trop pauvre en Infanterie, n'est pas en mesure de donner un soutien aux A.M. Le Sous-Lieutenant de Bellefond doit être replié, en fin de journée, sur le point d'appui organisé par le Commandant de Maison-Rouge dans le quartier de la gare et de la cimenterie.
La nuit tombe sur Altkirch redevenue française. Les chars du 2ème Cuirassiers veillent sur la ville libérée.
L'Ennemi contre-attaque
(22-25 Novembre 1944)
Mercredi, 22 Novembre... griserie de la victoire... Enthousiasme... Fierté...
La situation est cependant confuse. Le 2ème Cuirassiers ignore à peu près tout des événements en cours ; son horizon s'arrête aux limites de l'étroite zone d'action des unités du C.C.1. : à Altkirch, aux ordres du Colonel, l'Etat-Major du Régiment, les 3ème et 4ème Escadrons et deux Compagnies de Zouaves ; à Wittersdorf, en réserve du C.C.1, le 2ème Escadron ; dans la région de Zillisheim, Illfurth et Tagolsheim, le 1er avec le groupement Letang ; au delà, le vide, des conjonctures...
Mulhouse aurait été libérée par le C.C.3. Des bruits courent que des chars allemands ont fait une incursion sur les arrières de la Division, dans la région Delle - Seppois, coupant. la route qui a conduit le Régiment en Alsace... Qu'est-il donc advenu du C.C.2 et de la 5ème D.B. qui devaient suivre le C.C.1 ?
Confiance totale cependant dans le succès de nos armes. Contrariété seulement d'être momentanément obligé de marquer un temps d'arrêt. La mission du Groupement se limite en effet à la conservation d'Altkirch ; des reconnaissances doivent être poussées, il est vrai, aussi bien en direction du Nord qu'en direction de l'Ouest, mais ce n'est pas ce que le 2ème Cuirassiers aurait souhaité...
Chacun comprend pourtant avec quelle prudence doit être poursuivie la libération de l'Alsace : ici, plus que jamais, nos troupes ont le devoir rigoureux de conserver jalousement chaque arpent du sol conquis sur l'ennemi ; gare, autrement, aux représailles féroces qui ne manqueraient pas de suivre l'évacuation de toute localité trop hâtivement occupée ! En l'occurrence, deux Escadrons de chars et deux Compagnies de Zouaves ne sont pas de trop pour garder une ville comme Altkirch...
La faiblesse de nos moyens ne laisse d'ailleurs pas d'inquiéter quelque peu les habitants, d'autant plus que l'ennemi est tout proche. Il occupe, immédiatement au Nord de la ville, face au détachement Maison-Rouge, les hauteurs situées de part et d'autre du Zipfelgraben, petit affluent de l'Ill, le Lerchenberg et la cote 381. Il tient solidement Aspach. Un poste de surveillance des Zouaves, mis en place dans la région des carrières, au Nord du Cimetière National, a été attaqué cette nuit, à 3 heures 30, après une préparation d'artillerie, par des fantassins allemands descendus de la cote 381...
Situation très imprécise à l'Ouest, face au Groupement Vallin. Une opération, dirigée contre Carspach, doit être entreprise par le Groupement, en liaison avec le Groupement Labarthe. Sur la route de Dannemarie, c'est l'inconnu dès la sortie d'Altkirch.
A 7 heures 30, le Commandant de Maison-Rouge déclenche une reconnaissance offensive vers Aspach. Elle se heurte aussitôt à des éléments d'Infanterie bien enterrés et appuyés par un char, probablement un "Ferdinand". Cinq tués et neuf blessés à la Section Bley de la Compagnie Guinard ; les chars légers et les automitrailleuses qui appuyaient les Zouaves, essuient plusieurs coups de bazookas, restés fort heureusement sans résultat.
Succès par contre à l'Ouest, où l'opération de Carspach, lancée à 8 heures, est menée à bonne fin ; deux pelotons du 3ème Escadron et deux sections de Zouaves y participent victorieusement.
A 9 heures, première reconnaissance des chars en direction de Dannemarie. Prise à partie par un feu ennemi violent, elle ne parvient pas à dépasser le carrefour de la cote 308, à 1500 mètres à l'Ouest d'Altkirch.
L'ennemi semble donc avoir établi un solide barrage aussi bien au Nord qu'à l'Ouest de la ville. Pas de percée possible sans une attaque massive réunissant tous les moyens du Groupement.
En fin de matinée, toujours très peu de renseignements sur l'évolution générale de la situation, sauf la confirmation de la libération de Mulhouse par le C.C.3. Mais là-bas aussi, les habitants se sont émus en constatant que leur ville n'était occupée que par une poignée d'hommes : des Mulhousiens, inquiets, se replient sur Altkirch... On les rassure, on les convainc... peut-on admettre l'idée du recul des chars de la 1ère Division Blindée ?...
Une très violente canonnade retentit, très loin, vers le Sud-Ouest. Est-ce l'attaque de la 5ème D.B. ?
A 15 heures, le peloton Maurice de l'Escadron André débouche de Carspach vers Fulleren.
Il est arrêté au passage en dessus de la cote 316 par des tirs d'armes anti-chars et un train armé qui se replie vers l'Ouest.
A 16 heures, c'est le peloton Bellefond qui pousse de nouveau sur la route de Dannemarie.
Il atteint, sans obtenir de contact, la région de la cote 323, au Sud des Bois du Grand Bannhold, mais il lui est impossible de poursuivre son mouvement par suite de la nuit tombante.
A 16 heures 15, le Colonel reçoit l'ordre de relever, à Carspach, le Groupement Labarthe qui part en direction de Mulhouse. Cette mission est confiée au Capitaine André qui disposera d'un peloton de reconnaissance (le peloton Maurice), d'une section de Zouaves et de trois canons de 57 du peloton anti-chars du 2ème Cuirassiers. Moyens bien réduits certes, il a fallu cependant gratter tous les fonds de tiroirs pour les rassembler.
A 18 heures, des infiltrations sont signalées vers Hirtzbach, le contact est toujours aussi serré face à Aspach, l'artillerie ennemie ne cesse de pilonner Altkirch... Situation bien curieuse à vivre... On respire à pleins poumons un air sursaturé d'événements sensationnels imminents...
On attend avec intérêt, avec passion...
A 21 heures 15, une nouvelle qui se répand comme une traînée de poudre : un communiqué triomphal de la B.B.C. a annoncé la prise de Saverne. Le 2ème Cuirassiers est au paroxysme de l'enthousiasme...
Jeudi 23 Novembre... Il pleut... La nuit a été calme à part le bombardement intermittent de la ville et de ses faubourgs par l'artillerie ennemie. Plusieurs obus sont tombés sur le P.C. occupé par le Colonel le 21 Novembre, et évacué dans le courant de la journée du 22.
Dès le lever du jour, le peloton Bellefond s'est porté en avant, sur la route de Dannemarie, avec la mission de préciser la situation du carrefour 2 km 500 Nord-Est de Ballersdorf. Il parvient à 1 km de son objectif, voit des fantassins ennemis et un engin blindé... Personne ne tire, car la visibilité est très mauvaise à cause de la pluie... Les auto-mitrailleuses reviennent à Altkirch.
Plus au Sud, les chars du 3ème Escadron patrouillent vers Hirtzbach et Hirsingue.
Tout est calme au Nord, devant le détachement Maison-Rouge, où le contact est toujours aussi étroit.
On apprend, à 11 heures, que l'unique route reliant l'Alsace au reste de la France, a de nouveau été coupée par l'ennemi entre Seppois et Réchesy. Le 2ème Cuirassiers s'organise néanmoins sans inquiétude dans cet isolement : une réserve d'essence et de munitions a été constituée grâce à l'activité du Commandant Quiniou ; le Médecin-Lieutenant Deloupy opère nuit et jour à l'Hôpital St-Morand, y accueillant les blessés de toutes les unités de la Division ; le Capitaine Demeunynck est en liaison permanente avec le Capitaine Martin, qui pose les premières bases du retour de la ville d'Altkirch à l'administration française ; il reçoit une aide précieuse des F.F.I.A. qui, aux ordres du Lieutenant Bettinger, suppléent à notre pénurie d'effectifs en assurant la garde et l'escorte des prisonniers.
La radio a donné de nouvelles précisions au sujet de la percée de Saverne : le Régiment a appris avec émotion la marche victorieuse sur Strasbourg de la 2ème D.B. Quelle joie d'apprendre que ce magnifique succès a été dû à une grande unité française ! Aussi est-ce avec une curiosité amusée que l'on se passe de main en main les tracts lancés par les avions allemands qui parlent d'"encerclement", de "situation sans issue", de "reddition ". Quelle plaisanterie ! Faut-il tout de même que ces boches soient tombés bas pour recourir à des stratagèmes aussi grossiers ! On rit très fort !
Ne dit-on pas d'ailleurs que la 9ème D.I.C. est chargée de la destruction des unités ennemies attardées dans la région de Seppois, et que la 5ème D.B. débouche de Chavannes en direction de Dannemarie ?
Un ordre verbal que le Colonel reçoit à midi à Tagsdorf du Général du Vigier, vient confirmer ce renseignement : malgré la faiblesse de ses effectifs, des reconnaissances offensives sont prescrites au Groupement sur les axes Altkirch - Ballersdorf et Carspach - Fulleren, pour tendre la main à la 5ème D.B. Le 2ème Escadron moins un peloton, jusque là en réserve du C.C.1, est remis dans ce but à la disposition du Colonel.
Deux détachements sont aussitôt constitués ;
- au Nord, sur la route de Dannemarie, deux pelotons du 2ème Escadron, la section Bley du 3ème Zouaves, un peloton de T.D. et une demi-section du Génie ;
- au Sud, sur la route de Fulleren, le peloton Avenati du 3ème Escadron, la section Mahoux du 3ème Zouaves, le peloton de T.D. Jourdan et une demi-section du Génie.
Le carrefour 2 km 500 Nord-Ouest de Ballersdorf d'une part, le passage en dessus 316, 2 km Ouest de Carspach d'autre part, constitueront l'objectif 01, Ballersdorf et, si possible, Fulleren, l'objectif 02.
La direction générale de l'opération est confiée au Commandant Doré.
Dès 14 heures, le Colonel Gruss Cdt le CC. et le Colonel se portent à la sortie Sud-Ouest d'Altkirch, d'où ils seront en mesure de suivre le déroulement de l'opération.
Les détachements débouchent à 15 heures 15.
C'est le peloton Bourlon qui est en tête sur l'axe Nord. Tout d'abord, le "Duquesne" portant sur la plage arrière, trois sapeurs chargés de relever les mines posées par notre Génie sur la route, à 500 mètres des lisières Ouest d'Altkirch, puis le "Desaix". Viennent ensuite le "Duguay-Trouin" et Ie "Dupleix". Le "Davout" char du Sous-Lieutenant Bourlon, transporte une partie de la section de Zouaves. Un peu plus loin les T.D. Le peloton Formell reste prêt à intervenir en 2ème échelon.
L'objectif 01 est atteint, sur les deux itinéraires, vers 15 heures 30. Pas de résistance devant le détachement Nord ; au Sud, par contre, l'ennemi a vainement tenté de s'opposer au peloton Avenati dans la région du passage en dessus 316.
Les Sherman repartent.
Sur la route de Dannemarie, le "Duquesne" aborde un mouvement de terrain d'où Ballersdorf apparaît dans le lointain, à 2000 mètres.
Tour d'horizon rapide mais minutieux... Rien ne bouge... Quelques obus à priori néanmoins, sur les lisières des bois environnants... Pas de riposte... Le détachement repart.
Le sol détrempé interdit toute manœuvre en dehors de la route ; les chars se suivent largement échelonnés, recourant au seul moyen dont ils disposent pour diminuer leur vulnérabilité.
Un dernier mouvement de terrain, puis, à 500 mètres, Ballersdorf. Le "Duquesne" est à la crête. Le Maréchal-des-Logis Chef Friess, chef de char, observe à la tourelle... Rien de suspect dans le village... N'aurait-il pas été évacué par l'ennemi ?
Le "Duquesne" dévale la pente. Le "Desaix" suit. Le "Duguay-Trouin" et le "Dupleix" dépassent, eux aussi, la crête pour mieux appuyer leurs camarades...
15 heures 45... "Allô Joseph 1 ! J'arrive au village" annonce triomphalement le Maréchal-des-Logis Chef Friess... Au même instant, le drame... Une canonnade brutale et précise...
Touché en plein réservoir, le "Desaix" flambe comme une torche... Son équipage est cependant à terre, indemne.
Deux obus viennent frapper le train de roulement du "Duquesne". Le char immobilisé continue à tirer jusqu'au moment où un troisième obus le met en flammes : c'est alors l'évacuation inévitable... Seuls, le conducteur et l'aide-conducteur réussissent à gagner le bas-côté de la route : le Brigadier Robinet, tireur et le Cuirassier Mereu, chargeur, sont tués par deux nouveaux projectiles avant d'avoir pu quitter leurs postes de combat, le Maréchal-des-Logis Chef Friess est mortellement blessé par un obus anti-char, en sautant à terre.
Le "Dupleix" est atteint lui-aussi. Le Maréchal-des-Logis Guermont, chef de char, et le Brigadier-Chef Chipeaux, tireur, gisent, foudroyés, dans la tourelle. Le Cuirassier Aymard, conducteur, manœuvre néanmoins pour faire demi-tour, exécutant l'ordre de son chef de peloton. Encore trois obus et le char brûle... Aymard blessé réussit à se dégager de son poste de conduite et rejoint ses camarades Blanco et Durieux, déjà sortis du char, blessés eux aussi.
Le "Duguay-Trouin" est frôlé par deux obus de 88 ; il parvient pourtant à gagner la crête qui le dissimule aux vues de l'ennemi.
15 heures 45... Le détachement se regroupe sur 01 : cinq tués, trois blessés, trois chars détruits, tel est le tragique bilan de dix minutes d'action...
Le Colonel a suivi seconde par seconde, grâce à la voix de la radio, les péripéties de la reconnaissance de Ballersdorf. Il a cherché aussitôt avenir en aide au détachement éprouvé. Un seul moyen à sa portée : la reconnaissance Sud. Le détachement Avenati piétine précisément sur la route de Fulleren : l'itinéraire est miné et le feu ennemi rend ardue la tâche des sapeurs... Ordre donc au Lieutenant Avenati d'abandonner sa mission initiale ou d'essayer de progresser vers l'Ouest, au Nord de la voie ferrée de Dannemarie. Les chars quittent la route et affrontent résolument le sol marécageux... Des fantassins ennemis débouchent tout à coup à leur droite, du bois de Stockete : ils fuient sous la pression des Zouaves du Commandant Doré... Proie facile pour les canons des Sherman...
La progression se poursuit lente et prudente. A chaque instant, c'est la lutte contre l'enlisement. Il faut en outre être prêt à faire face aux canons de 88 qui guettent dans la région de Ballersdorf.
Le détachement franchit plus d'un kilomètre ; les chars de tête ne sont plus qu'à 600 ou 700 mètres du village... L'ennemi les voit... Ils essuient son feu, ripostent... Deux armes anti-chars sont réduites au silence... Mais la nuit tombe... Les chefs de char, les tireurs cherchent, vainement à capter les dernières parcelles du jour dans les prismes de leurs périscopes... Le Colonel a d'ailleurs donné l'ordre de rebrousser chemin. Manœuvre difficile, car le sol détrempé prend sa revanché sur ceux qui l'ont vaincu ; on s'empresse autour du "Nice", enlisé ; on essaie de le remorquer ; tous les efforts restent vains... L'ennemi s'en mêle... On continue à dépanner les véhicules tout en combattant... Mais l'obscurité s'étend de plus en plus ; le marais a aspiré progressivement le "Nice", le recouvrant jusqu'à la tourelle ; un peu plus loin, un half-track de Zouaves est dans une situation aussi désespérée. On déshabille entièrement les engins agonisants avant de les abandonner... C'est alors de nouveau la lutte opiniâtre pour épargner un sort aussi funeste aux autres chars, aux autres half-tracks... Le succès récompense ces longs efforts ; la reconnaissance atteint le sol ferme ; elle est en route vers Altkirch.
Replié au carrefour qui a constitué son premier objectif, le détachement Nord s'efforce de situer les armes qui ont détruit les chars du peloton Bourlon. Tâche difficile... On décèle par contre, émergeant, de la crête qui précède Ballersdorf, une tourelle carrée de char, probablement "Tiger".
L'ennemi sort-il de son repaire pour contre-attaquer ? Un T.D. soutenu par un groupe d'Infanterie est poussé par le Commandant Doré dans le bois de Stockete. Il ne parvient malheureusement pas à prendre à partie l'engin ennemi à cause de la distance et de la visibilité très médiocre due à la pluie ; le terrain trop meuble ne lui permet, pas d'autre part d'utiliser le bois pour parvenir à bonne portée.
Le jour baisse... Violente canonnade à gauche ; le peloton Avenati est engagé... Des coups de feu en arrière et à droite venant du Bois du Grand Bannhold... On y croit entendre des bruits de chenilles...
Il fait nuit... Le Colonel a donné l'ordre de repli aux deux détachements. On fait demi-tour.
Le peloton Formell couvre le mouvement. Des obus traceurs venant de la direction d'Aspach passent au-dessus de la route... Le retour vers Altkirch s'opère néanmoins sans incident.
Le vendredi 24 Novembre, surprise à Carspach : le village jusque là à peine- occupé, trop peu occupé même au gré des habitants, est littéralement envahi par une très importante colonne blindée ; C'est le C.C.4 de la 5ème D.B. commandé par le Colonel Schlesser. La nouvelle que la radio a aussitôt transmise à Altkirch, est accueillie avec satisfaction : on se félicite de voir désormais solidement étayé le flanc gauche du Régiment : on se réjouit de pouvoir envisager, dans un avenir tout à fait immédiat, la reprise du mouvement en avant.
Coïncidence ou réaction, l'ennemi semble faire preuve de nervosité, la manifestant en particulier par des tirs encore plus violents que les jours précédents ; des obus de gros calibre pleuvent sur Altkirch : il y a un tué et trois blessés à l'Escadron de T.D. Laporte du 9ème R.C.A. Contact toujours étroit, au Nord, avec l'Infanterie allemande défendant les approches d'Aspach. La nuit est néanmoins calme.
Dans le courant de la journée du samedi 25 Novembre, l'Artillerie ennemie continue à bombarder violemment la ville : le Cuirassier Ferrer de l'Etat-Major du Régiment est tué. Les automoteurs du 68ème ripostent ; une pièce allemande est réduite au silence.
Au début de l'après-midi, le Groupement Letang attaque, à droite, Heidwiller, petit village situé sur le canal du Rhône-au-Rhin. Deux actions convergentes sont dirigées contre le village, celle du peloton Formell du 2ème Escadron, par la route Illfurth - Heidwiller, celle du peloton de chars légers Gouailhardou, appuyé par la section Richard du 3ème Zouaves et le Groupe Franc du 1er Escadron aux ordres du Lieutenant Henriot, par de mauvais chemins, puis en tout terrain, sur l'axe direct Tagolsheim - Heidwiller.
12 heures 50... C'est l'heure H... Le peloton Gouailhardou débouche... Devant les chars, un terrain faiblement vallonné. Au loin, une lisière boisée. Pluie... Boue.
En tête, le "Charente", char du Maréchal-des-Logis Basile, puis le "Cévennes", celui du Sous-Lieutenant Gouailhardou. Les hommes du Lieutenant Henriot sont sur les plages arrières des engins.
A l'orée du bois, abattis... Entre les arbres, des silhouettes de fantassins ennemis en fuite...
La barricade est rapidement dégagée. Le peloton avance, retrouve le terrain découvert. En face, un mouvement de terrain, dominant Heidwiller...
"A la crête !"
Les chars patinent, peinent, gravissent néanmoins la pente détrempée...
Le village est tranquille, trop tranquille même. Des éclatements de nos 105 le long de sa lisière... Soudain des Allemands sur la route.,. Les mitrailleuses entrent en action.
Les chars descendent lentement par une piste encaissée et trop étroite.
"Halte au dernier couvert !"
Dernier coup d'œil sur l'objectif...
Le Lieutenant Henriot et le Cuirassier Djelloul montent sur le "Charente".
"En avant, 40 miles !" .
Le char bondit, neutralisant les maisons à la mitrailleuse. Le "Cévennes" suit, tirant lui aussi.
Derrière eux, le "Casablanca" et le "Champagne".
La sortie Nord-Est est atteinte... Un verger... Une ferme isolée... Vlan !... La terre vole à droite, à gauche, en avant... Des anti-chars ennemis tirent de Spechbach-le-Bas, de l'autre côté du canal. Les chars légers stoppent, ripostent.
Des S.S. sortent des maisons, les bras en l'air. Duel inégal pendant ce temps entre les chars et les canons allemands : l'ennemi est trop loin pour être contre-battu efficacement par les petits 37.
Les Sherman du peloton Formell apparaissent heureusement sur la route d'Illfurth. Les 75 tirent. L'ennemi se tait...
A 15 heures 30, un ordre de l'Etat-Major du C.C.1 faisant état d'indices d'un allégement possible du dispositif ennemi, prescrit au Groupement Durosoy de vérifier l'importance de l'occupation d'Aspach.
Des patrouilles sont aussitôt poussées en avant par le détachement Maison-Rouge. Elles sont accueillies par de violents tirs d'armes automatiques.
En fin de journée, le 2ème Cuirassiers est en expectative : on a conscience que le Régiment a rempli sa mission et que sa présence n'est plus utile à Altkirch, car toute la 5ème D.B. est désormais à Hirsingue : des Officiers de cette grande unité se succèdent au P.C. du Colonel pour se renseigner sur ce secteur qu'ils sont sur le point de prendre à leur compte.
Convoqué au P.C. du C.C. 1, le Colonel est mis au courant d'un projet de manœuvre consistant à porter un groupement à Mulhouse, à le faire passer, dans cette ville, sur la rive Nord du Canal du Rhône-au-Rhin et de l'Ill, puis à lui faire rebrousser chemin vers Illfurth, où un pont serait alors lancé par le Génie ; le Groupement Durosoy l'utiliserait pour entrer en action sur l'axe Illfurth-Spechbach.
Cependant, très peu de temps après le retour du Colonel à Altkirch, un message vient informer le Régiment de l'abandon de ce projet.
On attend de nouveaux ordres... Ils parviennent à 2 heures du matin :
Le Groupement Durosoy, comprenant désormais :
- les 1er et 3ème Escadrons,
- les Compagnies Guinard et Renucci du 3ème Zouaves,
- le peloton de T.D. Jordan,
- la section du Génie Darlot,
- une demi-batterie d'artillerie
a pour mission de se porter le dimanche 26 Novembre, dès 7 heures 15, en direction de Mulhouse, puis d'agir sur l'axe Mulhouse, Kingersheim, Wittenheim, Ensisheim, couvert, à l'Ouest, par le Groupement Letang, à l'Est, par le cours de l'Ill et une action du C.C.2.
Les motocyclistes se hâtent, dans la nuit, pour alerter les unités... On s'endort, joyeux, en rêvant au combat dont on n'est plus séparé que par quelques brèves heures.
Sur le Plateau de Burnhaupt
(26-29 Novembre 1944)
Le dimanche 26 Novembre à midi, le 2ème Cuirassiers fait son entrée dans Mulhouse, encore toute frémissante de sa libération à peine acquise. Ambiance étrange que celle de cette cité où l'enthousiasme se mêle à l'inquiétude, même à l'anxiété... A toutes les fenêtres, les drapeaux tricolores flottent au vent, drapeaux qui ont spontanément jailli des cachettes les plus secrètes ; leur rouge souvent un peu brique révèle la mise à contribution des oripeaux hitlériens. Des sourires sur tous les visages. Un effort touchant pour deviner le moindre besoin, le moindre désir de tout ce qui porte l'uniforme français. Joie évidente de pouvoir enfin parler une langue trop longtemps proscrite.
Le boche abhorré est pourtant proche : toute la banlieue Nord de la ville est encore entre ses mains ; il occupait ce matin même, les casernes du faubourg de Colmar ; ses canons et ses mortiers pilonnent sans arrêt les rues ; les toitures des maisons s'effondrent, les carreaux volent en éclats, puis, soudain, rafales de mitraillette... un tireur isolé vient de se dévoiler dans une maison...
L'ennemi refuse de renoncer à sa proie... et s'il allait revenir ! Quel drame affreux ! Mulhouse s'est donnée, tout entière, avec un tel élan aux quelques chars français qu'elle a vu surgir, inattendus, comme dans un conte de fées ! Le boche ne le lui pardonnera jamais.
Le P.C. du 2ème Cuirassiers est installé au faubourg de Dornach. Le Régiment attend... Il a appris, ce matin que les ordres de la nuit étaient devenus caducs ; un nouvel objectif lui a été désigné : il doit être prêt à attaquer en direction de Cernay, pour couper la retraite aux colonnes ennemies, cherchant à s'échapper de Belfort.
Mais il faut auparavant, franchir la Doller... Action de force car l'ennemi tient solidement tout le cours de la rivière : Lutterbach, Pfastatt, Bourtzwiller, Illzach, sont autant de points d'appui farouchement défendus. Les unités du C.C.1 lui font face :
- à Morschwiller et au Nord, le Groupement Vallin,
- du pont de chemin de fer de Lutterbach à la gare du Nord de Mulhouse, le Groupement Durosoy,
- de la gare du Nord au pont du faubourg de Colmar le Groupement Letang.
Elles attendent avec impatience l'ordre de repartir en avant.
Le 27 Novembre, à une heure et demie du matin, il faut renoncer déjà à la douceur du premier sommeil...
Le Groupement Durosoy, relevé de sa mission, est mis aux Ordres du Colonel Commandant le C.C.3 en vue d'une action sur l'axe Didenheim - Hochstatt o Froeningen - Spechbach-le-Bas - Spechbach-le-Haut, Bernwiller - Burnhaupt, en liaison, à gauche, avec la 5ème D.B., à droite, avec le C.C.3. But de l'opération : l'interception des communications entre Belfort et Cernay.
Il fait encore nuit noire lorsqu'à 6 heures, le Groupement quitte Mulhouse.
En tête, aux ordres du Commandant Doré, le 1er Escadron moins un peloton, le 4ème moins un peloton, la Compagnie Guinard du 3ème Zouaves, la Section du Génie Darlot, le peloton de T.D. Jordan. Le P.C. du Régiment suit avec la réserve que le Colonel a gardée à sa disposition : le peloton de mortiers, le peloton anti-chars de 57, un peloton du 1er Escadron, un peloton du 4ème.
On débouche d'Hochstatt à 8 heures, conformément à l'horaire fixé par le Colonel "Commandant le C.C.3. Frœningen est atteint sans incident, à 8 heures 30, par le détachement Doré qui recueille une vingtaine d'Allemands cachés dans les caves.
Accueil particulièrement émouvant de la population. Une jeune fille apparaît portant un magnifique coussin dont elle déchire fébrilement l'enveloppe de soie... Stupéfaction, puis attendrissement : un drapeau tricolore se déploie, tiré du lieu secret qui l'abritait depuis quatre ans...
Le P.C. du Colonel s'arrête au moulin du village, tandis que le détachement Doré continue vers Spechbach-le-Bas.
Rapide engagement au carrefour de la cote 259, occupé par quelques fantassins ennemis et, à 11 heures, les chars sont en vue de leur objectif. Là, surprise... Spechbach-le-Bas a déjà été libéré par le C.C.5 de la 5ème D.B., venu d'Altkirch.
Impossible néanmoins d'y pénétrer par suite de la destruction du pont sur le Krebsbach, affluent de l'Ill, à quelques 2 ou 300 mètres de la lisière du village. Il faut attendre l'arrivée du "treadway" qui permettra d'enjamber la brèche.
Ce n'est qu'à 15 heures que le détachement Doré peut reprendre le mouvement en avant.
Traversant rapidement Spechbach-le-Bas, il se porte sur Spechbach-le-Haut, occupé en fin de matinée par le C.C.5, puis sur Bernwiller, qui vient d'être libéré par le Groupement Lépinay du C.C.3, venu de Galfingue.
A Bernwiller, arrêt derrière le Groupement Lépinay qui a vainement tenté de déboucher du village en direction de Burnhaupt. Deux chars du 2ème Chasseurs d'Afrique sont en flammes.
Il est 17 heures 30. Le jour décline rapidement. Le détachement Doré s'installe pour la nuit dans la partie Sud de Bernwiller en flammes, la partie Nord étant occupée par le Colonel de Lépinay.
Le reste du Groupement Durosoy s'échelonne entre Spechbach et Frœningen.
Le mardi 28 Novembre ; au lever du jour, le P.C. du Colonel se transporte du moulin de Frœningen à Bernwiller.
La mission du Groupement est d'attaquer en direction de Burnhaupt-le-Bas, par la route directe, en liaison, à droite, avec le Groupement Lépinay, visant le même objectif en partant des lisières Ouest du Bois de Spechbach. Les C.C.4 et C.C.5 de la 5ème D.B. doivent pousser simultanément à gauche, vers Soppe-Ie-Bas, à partir d'Uberkummen et d'Ammertzwiller, ,à peine conquis à l'issue d'un brillant coup de main de nuit.
L'enjeu est d'importance, car l'action de nos chars vers Soppe-Ie-Bas et vers e Pont d'Aspach, conjuguée avec celle du C.C.6 de la 5ème D.B. venant de Lachapelle-sous-Rougemont, doit fermer définitivement la poche qui subsiste au Nord-Est de Belfort.
Le Colonel a fractionné le Groupement en deux détachements :
- sur la route principale, aux ordres du Commandant Doré, le 4ème Escadron moins un peloton, deux sections de Zouaves le peloton de T.D., la section du Génie moins un groupe ;
- sur l'axe secondaire Bernwiller - Ammertzwiller - Burnhaupt-le-Bas, aux ordres du Capitaine du Boispean, le 1er Escadron moins un peloton, une section de Zouaves, un groupe du Génie.
Premier objectif: cotes 300 et 296 ; deuxième objectif : Burnhaupt-le-Bas.
Il faut en même temps pourvoir à la sécurité des flancs et des arrières : un peloton de chars légers est maintenu à Ammertzwiller, en surveillance face à l'Ouest ; la défense de Spechbach-le-Haut est assurée par le peloton anti-chars de 57.
Un peloton de chars du 4ème Escadron et le peloton de mortiers sont gardés en réserve par le Colonel, à Bernwiller.
Le Groupement est prêt. On n'attend plus, pour attaquer, que l'ordre du Colonel Commandant le C.C.3.
Le Groupement Lépinay, dont l'action doit précéder la nôtre, démarre à 11 heures 45.
Progression difficile du fait de la résistance opiniâtre de l'ennemi. L'Infanterie atteint néanmoins la source située à 1 kilomètre Est de Burnhaupt.
12 heures 40. " En avant !" passe la radio de l'Etat-Major du C.C.3.
12 heures 45. Le Groupement Durosoy débouche.
Un véritable glacis s'étend devant le détachement Doré. Aucun couvert sur la route ; elle est par ailleurs obstruée par les chars brûlés du 2ème Chasseurs d'Afrique. A gauche, le sol paraît suffisamment ferme pour être praticable aux chars. Deux bois à l'horizon : lisières au calme énigmatique...
Une section de Zouaves est poussée en avant à pied... Soulagement : les bois sont inoccupés.
La deuxième section du détachement Doré et le peloton Giraud progressent à leur tour, disparaissent dans les arbres.
Le Colonel est auprès du Commandant Doré, suivant à vue, comme toujours, la progression des unités. Aujourd'hui, tâche difficile, s'il en fut, pour les chars du 4ème Escadron... Ils doivent utiliser à fond le moindre ravinement, n'avançant qu'à pas comptés, car l'ennemi est aux aguets, prêt, à prendre violemment à partie toute tourelle se profilant à l'horizon. Ne sait-on pas, grâce aux renseignements recueillis auprès d'un prisonnier, que Burnhaupt est défendu par une garnison de 200 hommes, disposant de 5 canons de 88 Pack Flack, de 28 mitrailleuses dont 8 lourdes, de 5 ou 6 mortiers, et appuyée par 4 chars lourds ?... Le Groupement Lépinay n'est-il pas toujours cloué au sol, à droite, malgré trois tentatives successives pour reprendre le mouvement en avant, précédées chacune d'une violente préparation d'artillerie ?...
Les Sherman, les Zouaves poursuivent pourtant leur marche lente mais inexorable.
Le détachement du Boispean avance, lui aussi. Il avance prudemment, car de nombreuses traces de chenilles sillonnent la route, à la sortie d'Ammertzwiller. Le voilà à 1500 mètres de Burnhaupt. Soudain, au loin, des éléments ennemis se replient à travers bois... l'"Altkirch" char de tête ouvre le feu.
La progression continue ; la dernière crête, dominant l'objectif est atteinte ; l'"Altkirch" observe longuement. Un Pipper Cub survole le village : il est pris à partie par une mitrailleuse de D.C.A., installée aux premières maisons. Imprudence... L'" Altkirch" l'a vue : ses obus explosifs couvrent la position de batterie de l'arme allemande. Mais riposte... Une arme anti-chars s'attaque au char, le manquant heureusement.
17 heures 30. Les chars et les Zouaves du détachement Doré ne sont plus qu'à une centaine de mètres de Burnhaupt, où ils doivent faire face à des feux violents d'armes automatiques et aux tirs fusants d'artillerie.
A droite, le Groupement Lépinay, toujours stoppé, a fait connaître qu'il ne fallait pas s'attendre à aucune aide de sa part.
A gauche, le détachement du Boispean est encore à près d'un kilomètre du village.
Que faire ? Impossible de risquer un combat de nuit, avec des effectifs aussi réduits, dans un village de cette importance... Le Colonel donne l'ordre de suspendre l'opération.
Tard dans la soirée, bruit de violentes explosions au Nord, dans la région de Burnhaupt.
Quelle valeur attribuer à cet indice ? Le 2ème Cuirassiers a entendu plus d'une fois, au cours de ces longues semaines de campagne victorieuse, ce tonnerre d'explosions nocturnes, aveu d'impuissance d'un ennemi réduit à la retraite, détruisant ce qu'il n'a pas su conserver... Comment admettre pourtant que le boche ait pu se résoudre à abandonner sans combat des positions aussi importantes, qu'il a défendues jusque là avec un tel acharnement ?... Combien est lâcheuse cette sombre nuit dont le voile complice couvre les entreprises de l'Allemand !...
Le 29 Novembre, à 6 heures 30, le détachement du Boispean aborde Burnhaupt par la route d'Ammertzwiller. Le village est libre... Les Zouaves se répandent dans les rues, précédant les chars stoppés par un pont sauté.
Le détachement Doré avance rapidement, lui aussi par la route de Bernwiller. Il est bloqué à son tour par un fossé anti-char. Mais le Colonel est déjà sur place ; il juge d'un coup d'œil la situation : les chars légers pourront éviter l'obstacle en passant à travers champs, près d'un emplacement abandonné de canon de 88, quant aux Sherman, un dépôt fort opportun de fascines doit permettre de combler le fossé.
"En avant, direction le Pont d'Aspach !"
C'est une véritable course. Le détachement du Boispean traverse, sans s'arrêter, Burnhaupt-le-Haut ; le Capitaine Demeunynck le précède dans sa jeep, puis, très près derrière, à plein moteur, un peloton du 4ème Escadron avec le Lieutenant de Tinguy...
Pont d'Aspach... La Doller... Objectif atteint.
Les deux ponts sur la rivière, dont un de chemin de fer, sont coupés. Le Commandant Doré, le Capitaine du Boispean et le Sous-Lieutenant Darlot de la 88/2 Compagnie du Génie, en reconnaissent les abords. Tout à coup, violente explosion... Le Sous-Lieutenant Darlot a sauté sur une mine anti-personnel, il a une cheville fracturée et un œil touché ; quelques éclats ont atteint à la joue et à la main gauche le Capitaine du Boispean ; le Commandant Doré, violemment projeté sur le sol, se relève indemne. On emporte les blessés.
II y a désormais beaucoup de monde au "rendez-vous." d'Aspach : voici, tout d'abord, des éléments de la 5ème D.B. venus de Dieffmatten, puis le détachement Dewatre du C.C.3, qui doit relever à Burnhaupt-le-Haut et au Pont d'Aspach le détachement Doré.
La matinée s'achève. Les détachements se regroupent tandis que l'ennemi, en position sur la rive Nord de la Doller, réagit hargneusement avec son artillerie et ses minen : six Cuirassiers du 4ème Escadron sont légèrement blessés à Burnhaupt-le-Haut.
A 15 heures les unités reprennent la route de Mulhouse où les appellent déjà les messages radio de l'Etat-Major du C.C.1.
"Je remercie bien chaleureusement le Groupement Durosoy dont la collaboration au sein du C.C.3 a été très efficace", dit le Colonel Caldairou dans l'ordre d'opération N° 48, qui rend sa liberté au Groupement. Mais ce n'est que le vendredi 1er Décembre, que le 2ème Cuirassiers apprend par la chronique hebdomadaire, faite à Radio-Genève par Monsieur René Payot, toute l'importance de l'opération à laquelle il avait participé. Quelle surprise que de découvrir les dangers encourus par la 1ère Armée du fait de l'effort désespéré tenté par l'ennemi contre ses lignes de communication. Nul n'avait supposé que notre victoire en Alsace pouvait tenir à cette opération de jonction du 1er et du 2ème Corps d'Armée sur le plateau de Burnhaupt.
Trois jours à Mulhouse
LA CONTRE-ATTAQUE DE LUTTERBACH
(30 Novembre - 2 Décembre 1944)
De retour à Mulhouse, le 29 Novembre, à la tombée de la nuit, le Groupement Durosoy s'installe dans Dornach, où il doit être provisoirement maintenu en réserve du C.C.1. Le 3ème Escadron est toujours à Morschwiller avec le Groupement Vallin, le 2ème fait toujours partie du Groupement Letang, en position le long de la Doller, entre le pont de Lutterbach et la gare du Nord.
Situation inchangée à Mulhouse : la ville continue à subir des bombardements intensifs d'artillerie et de minen ; le contact de nos unités avec l'ennemi demeure très étroit. Agressivité marquée même de la part du boche en un certain nombre de points et, en particulier, dans la région des lisières Sud de Lutterbach où nous avons une tête de pont sur la rive gauche de la Doller tenue par le 1er Bataillon du 6ème R.T.M. La violente pression à laquelle est soumise cette unité depuis le 28 Novembre au soir, a imposé au Commandement un redoublement de vigilance : un peloton de reconnaissance et un groupe de 50 F.F.I.A. ont été mis à la disposition du Groupement Letang dès le 29 Novembre, afin de lui permettre de renforcer sa liaison avec le Groupement Vallin. Le 30 Novembre, en fin de matinée, nouvelle mesure de précaution, c'est un détachement fourni par le Groupement Durosoy qui reçoit l'ordre de prendre à son compte cette mission. Il est mis en route à 16 heures, aux ordres du Lieutenant Bley de la Compagnie Guinard. A 17 heures, les trois postes de liaison prévus sont en place :
- à la fabrique de la cité Hofer, un peloton de Sherman et le peloton de mortiers, commandés par le Sous-Lieutenant Gérard,
- à l'usine Mer-Rouge, déjà tenue par les F.F.I.A., le peloton de chars légers Gouailhardou,
- dans les maisons sur la voie ferrée, à 200 mètres de l'usine Mer-Rouge, une section de Zouaves, chargée de détacher un groupe sur la Doller.
Le Vendredi 1er Décembre, à 5 heures 30, violent bombardement d'artillerie sur Dornach, tirant de leur sommeil les dormeurs les plus endurcis. Les obus ennemis s'abattent, particulièrement précis, sur le peloton de ravitaillement de l'E.H.R., pourtant parfaitement camouflé et abrité.
Trois camions de munitions brûlent. Seuls la présence d'esprit et de courage du Lieutenant Guérin et de ses hommes, qui parviennent à conduire les véhicules, dont certains sont déjà en flammes, hors de la zone dangereuse, permettent de limiter les dégâts.
Un fort coup de main est déclenché, à la même heure, par l'ennemi, en direction du pont de chemin de fer de Lutterbach. La Compagnie du 1/6 R.T.M. qui tenait la position, subit de fortes pertes : progressivement dissociée par l'infiltration, elle ne parvient qu'à grand peine à conserver quelques éléments au delà de la Doller. Une contre-attaque est aussitôt montée pour reprendre le terrain perdu et consolider notre tête de pont. Le peloton Formell du 2ème Escadron est mis à cet effet à la disposition des Tirailleurs.
Alerté à midi, l'Adjudant-Chef Formell se rend immédiatement auprès du Capitaine Commandant la Compagnie chargée de l'opération, qui le met rapidement au courant de sa mission :
- Objectif : la fabrique et le château d'eau 600 mètres Sud-Est de la station de Lutterbach ;
- base de départ des chars : le passage à niveau 200 mètres Sud-Est du pont ;
- base de départ de l'Infanterie : les positions encore tenues sur la rive Nord de la Doller ;
- Heure H : 13 heures.
Les chars devront traverser la rivière par le pont de chemin de fer, puis progresser d'un seul bond, sur le remblai de la voie ferrée, jusqu'à leur objectif.
A 12 heures 40, violent tir de préparation déclenché par notre artillerie.
Les Sherman démarrent à 13 heures. Le glorieux "Jourdan" ouvre la marche, attaquant pour la première fois sans son chef, le Maréchal-des-Logis Chef Lolliot, qui vient de quitter le 2ème Cuirassiers, muté, en qualité d'instructeur à l'Ecole de Cadres de la 1ère Armée. Derrière, le "Jean-Bart", char du Maréchal-des-Logis Chef Bourassin, suivi, lui-même du "Joffre", char de l'Adjudant-Chef Formell. Le "Jeanne d'Arc II" et le "Joubert II" restent momentanément en appui, à hauteur du passage à niveau, base de départ. Le peloton Moine et le "Duguesclin", char de Commandement du Lieutenant Bérard, bien que ne participant pas effectivement à l'opération, sont là, eux-aussi, pour aider par leur feu le peloton Formell.
Au dernier moment, alors que le "Joffre" est déjà engagé sur le remblai de la voie ferrée, un message radio signale que la préparation d'artillerie sera prolongée jusqu'à 13 heures 30. Les Sherman s'arrêtent, puis joignent leur voix à celle des 105, pilonnant sévèrement leur objectif tout proche.
13 heures 30... Le "Jourdan" passe le pont et bondit sur l'objectif, suivi par les autres chars du peloton. Le croisement de la voie ferrée avec le chemin joignant la fabrique au château d'eau, est atteint en quelques minutes. Mais réaction immédiate de l'ennemi... Deux coups de bazooka frappent le Sherman, l'immobilisant.
"A terre !" commande le chef de char.
Les hommes quittent leurs postes de combat, se glissent, un à un, dans les trous d'obus...
c'est le tour du Brigadier Galan... Il apparaît à la tourelle, la mitraillette à la main et les poches bourrées de chargeurs... Une rafale d'arme automatique le fauche au même instant.
Le "Jean-Bart" qui a vengé le "Jourdan" en abattant le tireur de bazooka posté contre le remblai de la voie ferrée, continue, mais, faisant face de tous les côtés à la fois, il est bientôt sur le point d'être à court de munitions. L'Adjudant-Chef Formell fait passer aussitôt en tête le "Jeanne d'Arc II" et le "Joubert II".
Le "Jeanne d'Arc II" quitte le remblai et prend à partie de flanc et de revers les défenseurs de la fabrique, tandis que le Joubert II", resté au passage à niveau le couvre par son feu.
Les coups de canon des chars ouvrent des brèches profondes dans les murs des bâtiments.
Les armes automatiques ennemies se taisent, l'une après l'autre. Des silhouettes se dressent, puis s'affaissent. D'autres se tapissent dans des trous, dans des recoins, dans l'espoir d'échapper au sort qui les menace.
Les chars sont toujours seuls, car les Tirailleurs ne les ont pas suivis ; ils ont essayé à plusieurs reprises de déboucher de leur base de départ, mais un feu intense d'armes automatiques les a chaque fois, cloués au sol. Les équipages des Sherman font pour le mieux. C'est tout d'abord celui du "Jourdan" qui continue à combattre à pied : le Cuirassier Peters, bien que blessé à la jambe, a emprunté une mitraillette et suit, pas à pas, le "Jeanne d'Arc II", au mépris du feu violent attiré par le char ; il aperçoit soudain, dans la fumée des explosions, un boche, tout proche, levant son bazooka... il l'abat. Intervention aussi du Cuirassier Moullard, aide-conducteur du "Jeanne d'Arc II" ; sautant à terre, il fait sortir de leurs trous une demi-douzaine de prisonniers : le Cuirassier Peters, affaibli par sa blessure, les prend en charge pour les ramener vers la base de départ.
Tandis que le "Jeanne d'Arc II" et le "Joubert II" continuent à combattre à l'intérieur de la fabrique, l'Adjudant-Chef Formell, à bord du "Joffre", aborde le pâté de maisons du château d'eau. Il y libère le dernier survivant des Tirailleurs qui avaient tenu cette position, capture une quarantaine de prisonniers.
La résistance de l'ennemi est ébranlée, son feu faiblit. L'Infanterie en profite pour tenter un nouvel effort pour se porter en avant et parvient enfin à progresser. Les Tirailleurs sont bientôt à leur tour sur l'objectif, se répandant, de part et d'autre de la voie ferrée, dans les bâtiments de la fabrique et les maisons entourant le château d'eau ; leur nettoyage est activement mené. Tout est terminé à la nuit ; les Tirailleurs et le peloton Formell tiennent solidement la tête de pont reconquise.
En fin de journée, le Lieutenant Bérard donne l'ordre à l'Adjudant-Chef Formell de ramener le "Jourdan" sur la rive Sud de la Doller. Le char blessé est pris en remorque par le "Jean-Bart" qui l'entraîne sans incident jusqu'au pont ; ici, catastrophe... la moitié de l'ouvrage est déjà franchie quand le "Jourdan" glisse et passe en partie à travers la claire-voie du tablier. Tous les efforts pour le dégager de cette position étant restés vains, le Lieutenant Bérard ne peut qu'alerter le dépannage régimentaire.
Le Commandant Quiniou se rend aussitôt sur place accompagné du Lieutenant Monier, Chef du Peloton d'Echelon, et de l'Adjudant-Chef Rostaing. Il fait nuit ; un épais brouillard s'est étendu en outre dans la vallée de la Doller ; les canons ennemis fouillent cette obscurité intense, battant sans relâche les alentours du pont et le pont lui-même. Il est impossible de rien entreprendre avant le jour.
La nuit du 1er au 2 Décembre est relativement calme, nuit pénible néanmoins pour les équipages du peloton Formell qui la passent à leurs postes de combat. Il fait froid. Quelle tentation, au petit jour que de quitter la tourelle pour détendre les membres engourdis, pour se réchauffer en faisant quelques pas ! Mais les"snipers" ennemis, installés dans les maisons voisines, veillent, tirant sur tout ce qu'ils voient bouger ; deux Tirailleurs tombent à côté des chars sans qu'il soit possible de préciser d'où sont venus les coups qui les ont frappés.
Tandis que le Capitaine Guinard quitte le Groupement Durosoy avec ce qui reste de sa Compagnie pour aller renforcer, à Morschwiller, le Commandant Vallin, le Commandant Quiniou et le Lieutenant Monier reviennent au pont de chemin de fer avec les trois rescapés de l'équipage du "Jourdan". Rampant sur la voie ferrée, ils tentent d'étayer avec des traverses le tablier défoncé de l'ouvrage. Entreprise héroïque car l'ennemi tire furieusement sur le pont des lisières de Lutterbach et de Pfastatt, à peine distantes de 7 à 800 mètres... Essai infructueux qui se solde par deux blessés, le Brigadier-Chef Forbras et le Cuirassier Tortosa... Le "Jourdan" est dès lors condamné : les canons ennemis s'acharnent de plus en plus sur lui ; il est atteint par un obus de 88 et brûle, communiquant le feu aux madriers du pont.
Vers 13 heures, un ordre préparatoire de l'Etat-Major du C.C.1 informe les Groupements qu'ils doivent se tenir prêts à faire mouvement pour gagner une zone de stationnement au Sud de Mulhouse. Quel est le but de ce déplacement imprévu ? Signifie-t-il que les projets offensifs du Commandement sont provisoirement abandonnés ?
Toujours des obus et des minen sur la tête de pont de Lutterbach, d'autres tombent sur Dornach et sur l'usine Mer-Rouge, tenue depuis la veille par le peloton de mortiers précédemment à la citéHofer. Des corps étendus, inertes... l'Adjudant-Chef Thuny, le héros du Bois-le-Prince et de la Tête de la Chapechatte, ce frère d'armes dont les commandants de détachements se sont toujours disputé le précieux concours, vient de tomber glorieusement au champ d'honneur. Quatre Cuirassiers ont été blessés à ses côtés, Quadri, Fuxa, Ibanez et Martinez Jean.
A 16 heures, un nouvel ordre de l'Etat-Major du C.C.1, prescrivant la mise en route immédiate des campements chargés de reconnaître les nouveaux stationnements des unités :
- Steinbrunn-le-Haut et Steinbrunn-le-Bas, pour le Groupement Durosoy.
- Walbach, pour le Groupement Vallin.
- Obermorschwiller, pour le Groupement Letang, moins le 2ème Escadron qui doit rester provisoirement à Mulhouse.
Puis, une heure plus tard, c'est l'ordre de mouvement : le Groupement Durosoy, relevé par des unités de la 4ème Division Marocaine de Montagne, devra quitter Dornach, le Dimanche 3 Décembre, à 7 heures, pour se porter à Steinbrunn par Bruebach.
L'ordre explique les raisons de ce mouvement : la situation désormais moins tendue sur la Doller, serait, par contre, plus difficile à l'Est, dans la forêt de la Harth, du fait d'une arrivée de renforts ennemis. La nouvelle mission du C.C.1 est de faire face à toute menace survenant de cette direction.
19 heures 30... Le Lieutenant Bérard a reçu l'ordre de regrouper sur la rive droite de la Doller, le peloton Formell. Trois chars sont encore, en position, à l'intérieur de la tête de pont, le "Joffre", le "Jeanne d'Arc II" et le "Joubert II", le "Jean-Bart" étant déjà au passage à niveau, base de départ de la contre-attaque de la veille.
L'Adjudant-Chef Formell se porte aussitôt, à pied, vers le pont, accompagné du Maréchal-des-Logis Hussenot et du Cuirassier Galvez, conducteur du "Joffre". L'incendie déclenché par le "Jourdan" fait toujours rage ; il est indispensable de maîtriser le feu sous peine d'être définitivement bloqué au Nord de la rivière. On fait entrer en jeu les extincteurs... Longs et périlleux efforts pour précipiter dans la Doller les traverses enflammées... Colmatage des brèches, dues aussi bien au feu qu'aux projectiles ennemis, avec des madriers neufs... Réparation hâtive, mais qui permet néanmoins d'envisager l'utilisation de l'ouvrage. A peine l'Adjudant-Chef et ses compagnons ont-ils terminé leur tâche, que les minen et les obus de 88 ennemis, s'abattent de nouveau. Il faut ramper le long du remblai de la voie ferrée pour rejoindre les chars.
Les Sherman s'ébranlent. Le "Joffre" passe. C'est le tour du "Jeanne d'Arc II"... Sifflement des obus de 88... Le char s'abrite derrière la dépouille du "Jourdan".
Profitant d'une courte accalmie, l'Adjudant-Chef Formell revient au pont et aide le Brigadier-Chef Ruiz à placer des nouveaux madriers devant le "Jeanne d'Arc II", qui s'est écarté du chemin prévu.
"En avant!..." le char est passé..."
Mais les tirs reprennent dès que le "Joubert II" s'engage sur la voie étroite et défoncée.
Le char hésite... avance... il est presque au bout, mais craquement... le tablier a cédé... Le "Joubert II" gît, renversé, sur la berge Sud de la rivière...
Revenu aussitôt sur place, l'Adjudant-Chef Formell dégage le Maréchal-des-Logis Hussenot coincé, assommé, dans la tourelle. Les autres membres de l'équipage plus ou moins contusionnés, ont pu quitter leurs postes par leurs propres moyens.
Pauvre "Joubert II" ! Les minen boches le mettront en flammes le 3 Décembre.
Deux chars perdus sur cinq engagés. Telle est la première contribution du 2ème Cuirassiers à la libération de Mulhouse, prémices de l'holocauste auquel il s'offrira, six semaines plus tard, pour écarter définitivement tout péril de la belle cité alsacienne.
Dans l'attente de l'ultime offensive libératrice
(3 Décembre 1944 - 19 Janvier 1945)
Le dimanche, 3 Décembre, les unités du 2ème Cuirassiers se regroupent dans leurs nouveaux cantonnements. Seuls sont restés à Mulhouse, le 2ème Escadron, laissé en appui de feu de la 4ème D.M.M. et l'E.H.R. et l'Atelier, confortablement installés à Dornach, et dont le déplacement aurait provoqué une inévitable perturbation dans le fonctionnement des services.
Le temps est gris : il pleut, il recommence à faire froid. On patauge dans des flaques d'eau en s'efforçant de mener à bien une installation qui se révèle assez laborieuse, malgré l'indéfectible bon accueil de la population, du fait de la saturation des localités déjà occupées par des troupes de toutes armes. On admet de mauvaise grâce la possibilité de l'abandon temporaire de toute action offensive, tout en comprenant la nécessité de la refonte du dispositif de la 1ère Armée, à la suite des dernières opérations. Qu'y-a-t-il de plus déprimant que la stabilisation du front, surtout lorsqu'on a conscience de ne pas avoir encore mené à bien sa tâche !... " II ne doit pas y avoir d'homme de guerre en repos en France tant qu'il restera un Allemand en deçà du Rhin"...
Le mardi, 5 Décembre, cérémonie émouvante des adieux du Général du Vigier qui quitte le commandement de la 1ère Division blindée pour rejoindre le poste de Gouverneur Militaire de Strasbourg.
Les délégations de tous les Corps de la Division sont massées, dès 8 heures, dans une prairie au bord de la route de Steinbrunn-le-Haut à Obermorschwiller. Le 2ème Cuirassiers est représenté par le Colonel, le Fanion, la Fanfare et un peloton par Escadron.
Le Général du Vigier passe une dernière fois en revue ses frères d'armes, dont certains avaient déjà combattu victorieusement sous ses ordres, en 1942, en Tunisie. D'Hadjeb el Aioun au Rhin, quelle épopée !... Un dernier serrement de main et sa voiture s'éloigne. La 1ère D.B. est désormais commandée par le Général Sudre.
Dans le courant de la journée, reconnaissance des itinéraires vers Habsheim et Rixheim, en prévision des contre-attaques, qui pourraient être exigées par la situation. Comment aimer ce mot de contre-attaque qui suppose que l'initiative des opérations est entre les mains de l'ennemi !
Quelle misère que d'en arriver là le lendemain même d'une aussi brillante victoire !
Simultanément, de nouvelles rumeurs touchant le départ du C.C.l vers le front de l'Atlantique.
Une date est même avancée : 15 Décembre... D'accord, si la poche d'Alsace peut être liquidée d'ici là !
Un ordre survenu en fin de journée, modifie les stationnements de certaines unités du C.C.1.
Le groupement Durosoy quitte Steinbrunn le 6 Décembre, à 9 heures. Ce petit mouvement amène à Emlingen, l'Etat-Major du 2ème Cuirassiers, à Obermorschwiller le 1er Escadron et la Compagnie Guinard. Le 4ème Escadron reste à Steinbrunn-le-Haut. Pas de changement, non plus, pour le 3ème Escadron, toujours à Walbach, ni pour le 2ème, resté à Mulhouse.
Supportant difficilement le poids de l'inaction, on reste à raffut des nouvelles. Certains prétendent que le C.C.1 serait sur le point d'être lancé sur l'axe Pont-d'Aspach - Cernay, de façon à tendre la main aux unités qui descendent des Vosges. On souhaite que ce soit vrai...
Jeudi, 7 Décembre. Une offensive aurait été lancée par le 1er Corps d'Armée et le C.C.1 devrait être prêt à l'exploiter en direction d'Ensisheim, Neuf-Brisach... Nouvel espoir... On continue à se pencher avidement sur des cartes que l'on connaît déjà par cœur, accueillant joyeusement quiconque est susceptible de donner le moindre renseignement. Puis, quittant le front d'Alsace et même le front occidental, on se perd en conjectures sur les raisons du calme qui règne depuis quatre mois déjà, à la Frontière de la Prusse Orientale. On souhaite l'offensive générale qu'on croit devoir provoquer l'effondrement définitif de l'ennemi.
La journée du 8 décembre n'amène aucun changement dans la situation du Régiment. Temps toujours désagréable, caractérisé par une pluie incessante. On surveille mélancoliquement les flots grandissants de boue qui envahissent victorieusement les rues des villages. D'excellentes nouvelles pourtant : Thann aurait été libéré par le 2ème Corps d'Armée.
Notre Infanterie se trouverait entre Thann et le Vieux-Thann. Au Nord de la Doller, on signale l'occupation de Michelbach, qui permet de dominer les deux Aspach, et la constitution de deux têtes de pont, au Nord du Pont d'Aspach et au couvent d'Œlenberg. Dans la région de Mulhouse, par contre, notre avance serait très fortement gênée par de multiples champs de mines.
Le samedi, 9 Décembre, première chute de neige. Cette neige fond d'ailleurs aussitôt, rendant encore plus épaisse la couche de boue qui recouvre le sol.
Les nouvelles du front de la Doller ne sont guère favorables ; nos tentatives de percée auraient toutes échoué.
On examine une fois de plus les cartes, cherchant désespérément d'où surgira enfin la possibilité d'agir.
10 et 11 Décembre. Pluie... Boue... grandeurs et servitudes de la guerre : avec quelle rapidité les périodes d'activité fiévreuses et les nuits sans sommeil font place, sans transition, au calme plat et au mortel ennui !...
Le 12 Décembre, on est tout joyeux d'apprendre les progrès réalisés par les divisions qui descendent des Vosges : la libération de Thann, de Vieux-Thann et des deux Aspach semble menacer très sérieusement Cernay. Nouvel espoir de pouvoir peut-être repartir en avant.
Le C.C.1 bouge effectivement le mercredi, 13 Décembre, mais il ne s'agit que de relever le C.C.2, en position jusqu'à ce jour à Mulhouse et face à la forêt de la Harth. En fin de mouvement, l'Etat-Major du Régiment s'installe pour la nuit, à Rixheim, en attendant que soit libéré le P.C. de Mulhouse du 5ème Chasseurs d'Afrique ; le 4ème Escadron est à Rixheim, lui aussi, le 1er à Zimmersheim, sauf un peloton détaché à Morschwiller, le 3ème à Riedisheim, avec le Groupement Letang, mission spéciale enfin pour le peloton anti-chars du Lieutenant Ghalem, qui a gagné l'usine de Modenheim, position périlleuse, située en toute première ligne, dans un terrain absolument découvert.
Le lendemain, 14 Décembre, le 2ème Cuirassiers, dont le P.C. s'est transporté à Mulhouse (rue de Zimmersheim), reçoit des précisions au sujet de sa nouvelle mission : le C.C.1 est à la disposition de la 4ème D.M.M. :
- pour contre-attaquer, en cas de besoin, aussi bien en direction de la Forêt de la Harth qu'en direction de Lutterbach,
- pour appuyer la progression ultérieure de cette grande unité.
On se met aussitôt en mesure de faire face à toutes ces alternatives : reconnaissances de terrain... prises de contact avec les unités au profit desquelles il faudra peut-être agir, et, en particulier, avec le 1er R.T.M. et avec la Brigade de Paris, commandée par le Colonel Fabien, héros de la résistance.
On profite naturellement de ce nouveau séjour à Mulhouse pour mieux connaître la ville et ses habitants ; franchissant le stade de la sympathie affectueuse, on s'achemine de plus en plus vers une amitié que rien ne pourra jamais démentir.
Mulhouse continue à faire face, fière et courageuse, à une situation fort peu enviable : beaucoup de magasins sont ouverts ; de multiples ateliers ont repris leur activité ; les habitants circulent dans les rues, vaquant à leurs besognes ; personne ne fait plus attention aux bombardements ennemis qui, tous les jours, font de nouvelles victimes (le Maréchal-des-Logis Santot, du 2ème Escadron, a été tué et les Cuirassiers Vidal et Gomez Antoine blessés, le 13 Décembre, par un obus venu éclater à l'entrée de la maison occupée à Dornach par le P.C. du Colonel, lors de son séjour du 30 Novembre au 3 Décembre) ; personne ne fait plus attention aux rafales de mitraillette des boches isolés, restés dans la ville, qui viennent se mêler parfois au fracas ininterrompu du canon.
Le 2ème Escadron, installé depuis 15 jours déjà dans les locaux des Etablissements Braun, a été définitivement adopté par le personnel de la Maison. Il usera et abusera de cette hospitalité à chacun de ses passages à Mulhouse, et sera accueilli, chaque fois à bras ouverts. Par ailleurs, Monsieur Eppler, directeur général des Etablissements, met la dernière main aux cartes de Noël, qui, conçues et tirées sous les obus ennemis, iront porter les vœux des Cuirassiers à leurs proches lointains.
15 Décembre, Ferdinand... Anatole... Berthe... Charles... Trois noms d'homme, un nom de femme, autant de signaux devant déclencher des actions différentes... On poursuit les reconnaissances ; on met au point dans les moindres détails les contre-attaques qu'on a été chargé de préparer. La nuit, on sort les Sherman ; on les promène aux lisières de la forêt de la Harth pour inquiéter l'ennemi par des bruits de moteurs et de chenilles... Le drame de la guerre revêt bien souvent l'aspect d'un jeu inoffensif...
Le bruit se répand, le samedi 16 Décembre, qu'une grande attaque serait déclenchée le lendemain. Pas de participation au début, pour le 2ème Cuirassiers, réservé en vue de l'exploitation en cas de succès.
Toute la journée activité intense de notre Artillerie. Le temps s'est éclairci et les Pipper Cub évoluent sans se lasser dans le ciel. Grondement du canon, toute la nuit, puis dès le lever du jour du dimanche 17 Décembre, tonnerre des bruits de départ d'une violence rarement atteinte.
Est-ce enfin l'offensive attendue? Non ! On apprend qu'elle a été remise à une date ultérieure.
Nouvel espoir pourtant, le 18 Décembre : le 2ème Cuirassiers a ordre de se tenir prêt à prendre part à une action de rupture, à partir d'un jour qui reste à fixer. Rassemblé initialement dans la région d'Hochstatt - Didenheim, il doit être lancé sur l'axe Richwiller - Cité Anna - Wittenheim - Ruelisheim, dès que l'Infanterie de la 4ème D.M.M. aura conquis son premier objectif.
Rien de nouveau pourtant le mardi 19. On-recommence à étudier de nouvelles hypothèses de contre-attaques : Murât, Louis un, Louis deux, Suzanne et Henri, sont venus remplacer Anatole, Berthe et Ferdinand ; Rosé rouge doit porter le 2ème Cuirassiers au secours de la Brigade de Paris.
II faut perdre ses dernières illusions le lendemain, 20 Décembre : n'apprend-t-on pas, en fin de journée, que le C.C.1 doit quitter Mulhouse au cours de la nuit du 21 au 22, pour se porter de nouveau dans la région Est d'Altkirch...
Dans la matinée du 21, reconnaissance des nouveaux cantonnements : Emlingen, Steinbrunn-le-Haut, Obermorschwiller... la tâche des campements est facile... Changement par rapport à la situation du 3 au 13 Décembre uniquement pour le 2ème Escadron, qui devra abandonner Mulhouse et la Maison Braun pour Franken.
Un contre-ordre vient pourtant suspendre les préparatifs de départ... Mais on est résigné et on n'a pas tort, car, le 22 Décembre, à la nuit, Sherman, chars légers et half-tracks sortent de Mulhouse et parcourent le chemin suivi en sens inverse neuf jours auparavant, exécutant un nouvel ordre, reçu par le Régiment au début de l'après-midi.
24 Décembre... L'hiver bat son plein. Le gel a figé les monceaux de boue. Chaque nuit, les Cuirassiers quittent, à intervalles réguliers, la douce tiédeur des maisons, que leur a largement ouvertes l'hospitalité alsacienne, pour mettre en marche les moteurs des chars ; Le C.C.1 est en réserve de Corps d'Armée, mais il doit être prêt, à chaque instant, à répondre à l'appel qui peut lui être adressé.
Le front de la Doller est calme, aussi l'attention de tous s'est-elle reportée vers la Belgique où la contre-offensive allemande fait rage. Alerte pourtant à 23 heures : des indices laisseraient prévoir la possibilité d'une action offensive ennemie dans le secteur du Rhin. Alerte ? Mais de toute façon a-t-on envie de dormir une nuit de Noël ?
A Emlingen, messe de minuit, dans la toute petite chapelle du village, sous les yeux bienveillants de St-Morand, qu'une statue curieuse représente conduisant par la main un petit squelette.
La voix du père Candau s'élève grave et vibrante, commentant à ses frères d'armes recueillis le mystère de cette nuit. Puis on réveillonne, prêts à faire face à l'ennemi menaçant. Réveillons intimes... Dans chaque maison, à chaque table,, des places ont été réservées pour les Cuirassiers.
Réveillon aussi dans la salle basse et étroite, mais propre et nette, de l'auberge d'Emlingen.
Indices d'attaque... Aura-t-on à passer, sans transition, de ce calme que le canon lointain ne parvient pas à troubler, au fracas assourdissant d'une lutte sans merci ? Vision fugitive, génératrice de froide résolution... Puis de nouveau, le rire, les chansons...
"Vous n'aurez pas l'Alsace et la Lorraine..."
Non ! Certes pas !...
Le lundi 25 Décembre, à 9 heures, l'état d'alerte est levé sans que l'ennemi ait attaqué.
On se réinstalle dans l'attente de cette action qu'on craint de ne pas pouvoir vivre avant le retour des beaux jours...
Jeudi 28... Un temps splendide depuis la Noël. Le soleil éclatant n'arrive pourtant pas à vaincre la rigueur de l'hiver.
Excellentes nouvelles de Belgique : l'Allemand a décidément agi à la légère en déclenchant cette offensive sans s'être assuré la permanence d'un ciel couvert ! On se réjouit en imaginant les attaques fulgurantes de l'aviation alliée contre les Panzer.
Le 2ème Cuirassiers poursuit toujours la préparation de ses contre-attaques : Ile-Napoléon-Habsheim, Schlierbach, Blotzheim, Huningue, Galfingue, Burnhaupt, Aspach... que de directions dangereuses à reconnaître ! Il faut être prêt à faire face partout à la fois... La mesure "Charlemagne" a fait son apparition, puis c'est "Charlemagne II", "Charlemagne III"... Pourquoi ne pas avoir, plutôt, multiplié les "Louis " ?...
Lundi 31 Décembre... L'année 1944 prend fin... année fructueuse qui a assisté à la libération de la majeure partie du sol national. On la quitte pourtant sans regrets, car on attend encore plus de l'année 1945, qui va naître. Il reste encore beaucoup à faire pour parachever l'œuvre entreprise ; l'homme de guerre français n'a pas acquis encore le droit au repos...
Le soir, c'est le réveillon de la St-Sylvestre. Ambiance unique : on ne sait vraiment profiter de l'heure présente que lorsqu'on ignore si l'on vivra celle qui suivra.
Le 1er Janvier 1945, après-midi, cérémonie émouvante à l'Hôtel de Ville d'Altkirch, en présence du Sous-Préfet et du Général Béthouart, Commandant le 1er Corps d'Armée. Altkirch offre un Fanion au 2ème Cuirassiers qui l'a libérée du joug teuton.
La grande salle est comble de ravissantes jeunes filles, revêtues de ces charmantes robes alsaciennes, qui leur siéent si bien. Un groupe de Cuirassiers émus : les équipages des chars entrés, les premiers, dans la ville... Les Capitaines Commandants les Escadrons... l'Etat-Major du Colonel...
Chaude allocution du Maire, suivie de celles du Sous-Préfet et du Général Béthouart... Le Colonel répond...
On se fige au garde-à-vous, tandis que retentit une vibrante Marseillaise, entonnée par les fraîches voix des Altkirchoises... Puis ce sont les flots de vin d'Alsace, largement répandus par de petites mains charmantes... Les Cuirassiers entonnent de tout leur cœur " Vous n'aurez pas l'Alsace....... Une garde d'honneur avance, l'arme au poing, encadre le magnifique fanion, brodé par les Sœurs de Ribeauvillé : le 2ème Cuirassiers saura montrer combien il est digne de cette marque d'estime et d'affection...
Le 2 Janvier, répercussion de la contre-offensive allemande en Belgique, une instruction de l'Etat-Major du 1er Corps d'Armée prescrit la mise immédiate en état de défense de tous les cantonnements, de façon à multiplier les barrages, auxquels aurait à se heurter l'ennemi en cas d'attaque suivie de percée. On ne peut pas être très satisfait de ce nouveau signe de la stabilisation du front. Défense des cantonnements ?... Il faudra donc rétablir tous les ouvrages, toutes les barricades, tous les fossés anti-chars, qui avaient été édifiés par le Boche, et qu'on a eu tant de plaisir à mettre bas ? Les habitants hochent la tête en observant les travaux... L'Armée française n'est-elle pas entrée en Alsace peu de temps après que l'envahisseur eut réalisé son " dispositif de défense arrière" ? Une pareille attitude ne dénote-t-elle pas qu'on craint l'irruption des Panzer ?
Le moral des Mulhousiens a baissé, lui aussi, à la suite du départ des unités de la 1ère D.B. : on organise, pour rassurer les amis inquiets, des patrouilles de chars qui sillonnent la ville, s'arrêtant dans les principales artères et aux carrefours importants. Emlingen est d'ailleurs tout près de Mulhouse : les liens noués au cours des séjours qu'on y a effectués, deviennent de plus en plus étroits.
Le vendredi 5 Janvier, importante chute de neige et, comme par hasard, le canon lointain enfle sa voix... Le bruit court qu'on s'attend à une attaque sur l'Ile-Napoléon, que le boche a bombardée avec acharnement... Comment contre-attaquer alors que tout est recouvert d'un épais linceul blanc ?... Pas d'alerte pourtant pour le 2ème Cuirassiers... L'incident a été réglé sans lui.
8 Janvier... Toujours le froid, toujours la neige... il faut faire face à ce côté nouveau de la situation : on dégage les rues, on sable le sol devant les chars pour qu'ils puissent être mis en route sans difficulté en cas d'alerte, on peint en blanc les engins, dont les flancs ont été recouverts de rondins pour les protéger contre les bazookas, petits travaux, qui, avec les reconnaissances de terrain, les exercices d'alerte et les patrouilles dans Mulhouse, sont seuls à interrompre la monotonie de ces quartiers d'hiver. On attend pourtant impatiemment le dimanche : c'est le jour de "visites" pour les "Cuirassiers"... Des camions entiers d'Altkirchoises en costume alsacien, se répandent dans les cantonnements : vin d'Alsace, Kougelhoff, rire, saine gaieté... Ce n'est qu'à la nuit tombante que les camions ramènent dans Altkirch leur précieuse cargaison.
On suit toujours avec autant d'avidité la marche des opérations, l'offensive von Runstedt a été enrayée en Belgique, mais l'ennemi a tenté un nouvel effort : il attaque en direction de Strasbourg ; une poche, plus à l'Ouest, menace Saverne... Quand donc les Alliés attaqueront-ils ?...
On apprend, le 13 Janvier, la Nomination au grade de Lieutenant-Colonel du Chef de Bataillon Letang. Nommé au commandement de la Demi-Brigade de Zouaves, il est remplacé à la tête du 3ème Zouaves et de son Groupement Tactique, par le Chef de Bataillon Vallin. Le Groupement Tactique commandé jusque là par le Commandant Vallin, passe aux ordres du Chef d'Escadrons Doré. Un petit Etat-Major lui est constitué par prélèvement sur le P.C. du Colonel ; le Capitaine du Tertre devient son Officier adjoint.
14 Janvier. Notre situation semble assez peu brillante dans le Nord de l'Alsace et dans la région de Strasbourg... Un ordre de l'Etat-Major de la Division prescrit la mise en route d'un détachement chargé de reconnaître l'itinéraire Belfort, Lure, Gérardmer, St-Dié, pour préparer le mouvement éventuel des C.C.l et C.C.2. Le 2me Cuirassiers bougerait donc sous peu... On souhaite que ce ne soit pas seulement en vue d'une opération défensive...
Le jeudi 18 Janvier est un jour historique pour le Régiment : le 2ème Cuirassiers a retrouvé son Etendard ! Sa soie chargée d'or et de gloire se déploie enfin, projetant son ombre sur les Sherman.
"Nous irons chercher notre Etendard en France ! "
Que de longues et stériles recherches depuis le débarquement ! Lueurs d'espoir trop rapidement évanouies... renseignements que l'on croyait sûrs, se révélant complètement erronés... des précisions enfin : Monsieur Jean Brunon, collectionneur connu, aurait recueilli et caché à l'ennemi notre glorieux Emblème... Tous les efforts pour le joindre restent néanmoins vains jusqu'au jour où... communication téléphonique inattendue de l'Etat-Major de la Division au Capitaine adjoint :
"Votre Etendard est là !... Il est à vous... Venez le prendre !"...
Les Officiers du 2ème Cuirassiers se pressent au P.C. du Colonel, saluent respectueusement, émus, frémissants de joie...
"Nous irons chercher notre Etendard en France"...
"II nous conduira en territoire ennemi..."
Peut-être n'est-on pas tellement éloigné de cette nouvelle partie de la mission qu'on s'est imposée ? Le front interallié, trop longtemps immobile, s'est mis en branle à l'Est : tout semble crouler en Allemagne sous la formidable poussée russe ; les Armées soviétiques s'engouffrent irrésistiblement dans une immense brèche de plus de 400 kilomètres... Bientôt peut-être, ce sera notre tour... S'il pouvait nous être permis au moins d'achever, au plus tôt, la libération de l'Alsace.
Bientôt ?... Qui pouvait savoir, au 2ème Cuirassiers que le Régiment attaquerait le surlendemain, samedi 20 Janvier ? Qui pouvait prévoir que, le 20 Janvier, la 1ère Armée Française mettrait un terme à sa longue expectative, se lançant, tout entière, à l'assaut des positions, puissamment fortifiées par l'ennemi, de la poche de Colmar ?... Le 20 Janvier à 7 heures 45, l'heure de l'action tant attendue allait enfin sonner... connue de quelques rares initiés de l'entourage du Colonel, prévenus, eux-mêmes, dans le courant delà matinée du 19 seulement, elle allait surgir, inattendue...
La suprême bataille de la libération allait être engagée.
La Victoire de Colmar
LA RUPTURE
(20 Janvier 1945)
20 Janvier 1945, 6 heures 30... La route d'Emlingen à Mulhouse par Bruebach déroule son ruban blanc devant les engins du Groupement Durosoy. Mouvement imprévu.., mouvement mystérieux, dont le but n'a pas été révélé aux unités... On croit deviner, certes... Bien peu nombreux pourtant sont ceux qui savent...
Les hommes n'ont guère dormi. La faute en incombe aux plaisanteries stupides du temps ne s'est-il pas brusquement mis à dégeler hier après-midi ? On s'est immédiatement empressé d'enlever le camouflage blanc des chars, respectant la consigne prescrivant au 2ème Cuirassiers d'être prêt en permanence... Mais, à la tombée de la nuit, retour du froid et nouvelle chute de neige.. Il a fallu se remettre à la tâche...
6 heures 45... Bruebach est dépassé. On suit la route étroite qui descend vers Brunstatt en avançant lentement pour éviter le dérapage dont on est menacé, à chaque instant, sur ce sol recouvert de neige glacée.
De part et d'autre, des positions de batterie d'artillerie, éparpillées dans les champs... Aucun fièvre dans la succession régulière des départs... Attaquera-t-on vraiment ?...
Ce serait beau pourtant de retrouver cette ambiance de combat, revivre de nouveau intensément après deux trop longs mois de calme !
7 heures 10... Le Groupement est arrêté à l'entrée de Mulhouse, au pont enjambant la voie ferrée, pour permettre l'écoulement d'une autre colonne. Le jour est levé, un pâle jour, chargé de neige...
7 heures 15... Tonnerre d'explosions.., le sol tremble... les multiples batteries en position dans la région de Mulhouse, viennent d'entrer en action, toutes à la fois. Les Mulhousiens anxieux ouvrent leurs volets, sortent des maisons, questionnent les Cuirassiers
- " Est-ce qu'Ils reviennent ?... "
- " Mais non ! Rassurez-vous, c'est nous qui attaquons... "
Car la nouvelle a immédiatement parcouru les rangs comme une traînée de poudre: la 1ère Armée Française est passée à l'attaque de la poche de Colmar...
7 heures 45... Le P.C. du Régiment est installé au Faubourg de Colmar, dans le café appartenant aux frères Mas, qui ont ouvert spontanément, toutes grandes, les portes de leur maison. On s'empresse autour des half-tracks de commandement dont la radio semble toute heureuse d'avoir été tirée de son trop long silence. D'excellentes nouvelles aussitôt, en particulier, celle touchant les coups de main précédant l'heure H, qui ont été déclenchés par des unités de la 9ème D.I.C. La mission du Groupement est d'appuyer avec son Escadron de chars, l'Infanterie chargée de l'opération de rupture, dans la région de Bourtzwiller, se tenant prêt, avec ses autres moyens, initialement réservés, à exploiter vers le Nord.
Les pelotons Giraud et Duwez du 4ème Escadron, Escadron d'Annam, sont prêts : ils attendent à proximité du confluent de l'Ill et de la Doller, la réalisation de la tête de pont qui leur permettra de franchir la rivière à gué, pour passer à l'action à leur tour.
8 heures... Les Coloniaux passent l'Ill sur des passerelles de bateaux pneumatiques... L'ennemi résiste farouchement... Nos fantassins s'accrochent au sol conquis, mais ont peine à progresser...
8 heures 45... Peu de progrès dans notre tête de pont... L'ennemi s'est ressaisi... Ses armes automatiques fauchent impitoyablement les corps qui se dressent pour se porter en avant... Des tireurs retranchés dans l'usine Manurhin, tiennent sous leur feu précis les deux rives de la Doller. Des "minen" éclatent tout autour des points de passage. La situation est délicate : aux Sherman de donner...
Les chars du peloton Giraud descendent vers la Doller, avançant avec précaution, car les snipers ennemis n'ont pas permis au Génie de jalonner l'itinéraire. Le Lieutenant Giraud choisit, près du confluent, un point où l'eau lui paraît peu profonde... Le Colonel Durosoy est près de lui, au mépris des "minen " qui soulèvent des nuages de neige. Le "Verdun" descend la rive, pénètre dans la rivière... Un instant d'anxiété : l'eau transportée par un violent courant, se brise sur le char en bouillonnant... N'arrêtera-t-elle pas les moteurs ?... Non !... Le "Verdun" est passé... Le "Valmy" suit, puis le "Vesoul", le "Vaucouleurs" et le "Valenciennes". Mais le plus dur reste à faire : il faut gravir la berge Nord, cette berge abrupte, recouverte de 20 cm de neige...
Le "Verdun" et le "Valmy" réussissent à passer non sans peine, mais les autres chars patinent, glissent. Sans attendre leurs camarades, le "Verdun" et le "Valmy" bondissent vers l'usine Manurhin, qu'il est urgent de nettoyer. Pendant ce temps, les équipages des autres Sherman ont mis pied à terre et déblaient la neige, sans se soucier des minen. Efforts couronnés de succès : l'obstacle est définitivement vaincu...
9 heures 30... Le peloton Duwez a démarré, à son tour, de la base de départ. Il descend vers la rivière, suivant les traces du peloton Giraud, la traverse sans incident et va se mettre aussitôt à la disposition du Bataillon Lacheroy du 23ème R.I.C. chargé de l'attaque du couvent de Bourtzwiller et de l'usine Strueth.
La lutte fait rage de toute part... armes automatiques... minen... 75 des chars... le tout se détachant sur le bruit de fond du roulement ininterrompu du canon... Combat de rue où l'on progresse de maison en maison... nettoyage à la grenade et à la mitraillette.
10 heures. Le peloton Duwez a conquis le couvent de Bourtzwiller. Il se porte aussitôt vers l'usine Strueth.
Le peloton Giraud pousse, de son côté, vers la sortie Ouest de Bourtzwiller, qui conduit vers Pfastatt. Les coups de feu crépitent dans les rues... les balles sifflent..., puis c'est un nuage de fumée, une pluie de gravats.., un minen vient d'exploser... Imperturbables, les Sherman se fraient passage, brisant irrésistiblement tout ce qui ose se dresser sur leur chemin...
10 heures 30. L'usine Strueth, attaquée par le peloton Duwez, est entre nos mains.
Le peloton Giraud a atteint l'entrée de Pfastatt, où il était attendu par le Bataillon Allain de 23ème R.I.C. Les chars se déploient... Le "Verdun" se porte à droite... Bruit infernal : cinq mines viennent d'exploser à la fois... Le char est immobilisé, une de ses chenilles arrachée... Le Lieutenant Giraud saute à terre. Il commandera son peloton en suivant à pied les fantassins de premier échelon.
11 heures. Du P.C. du Colonel on suit attentivement l'attaque de Pfastatt par le Bataillon Allain, appuyé par le peloton Giraud. Les ordres se succèdent à la radio :
"Faites attention ! Il y a un canon à 800 mètres, en face ! "
Puis :
"Sur ma droite il y a un char qui me tire dessus..."
Ordres entremêlés de crépitements de mitrailleuses...
13 heures. Pfastatt est pris. Deux canons de 75 PAK sont tombés intacts entre nos mains.
15 heures. Les Sherman du 4ème Escadron poursuivent leur effort. Au Nord, le peloton Duwez appuie le Bataillon Daboval du 6ème R.I.C., qui, à partir de Bourtzwiller, attaque Illzach Au Sud, le peloton Giraud débouche de Pfastatt vers Lutterbach, avec le Bataillon Loisy du 23ème R.I.C. La défense ennemie d'Illzach s'effondre aussitôt, les organisations allemandes ayant été basées sur l'hypothèse d'une action venant du Sud et non de l'Ouest. Le village est rapidement nettoyé.
15 heures 37. Le peloton Giraud passe à la radio "Je suis dans Lutterbach..."
16 heures. Sans ralentir leur élan, le peloton Duwez et le Bataillon Daboval poussent vers Kingersheim. Le peloton Giraud annonce au même instant la prise de la brasserie de Lutterbach.
Pendant de longues semaines, toute une partie de la population de cette cité laborieuse s 'était réfugiée dans ses caves profondes... de longues semaines d'attente... de longues semaines d'espoir...
Son calvaire est enfin terminé.
16 heures 30. Le peloton Gérard, jusque là en réserve, est engagé. Dépassant le peloton Giraud, il prend à son compte le nettoyage de la partie Est de Lutterbach.
Des voix nouvelles retentissent à la radio :
"La dernière maison à droite, sur la route de droite, est le P.C. boche. Tirez dedans ! "
"En avant! Qu'attendez-vous pour foncer sur l'obstacle ?... "
"Je m'occupe d'un point de résistance... "
" D'accord ! mais faites vite ! "
18 heures. Kingersheim est pris, mais la nuit a empêché de parfaire le nettoyage du village. Un canon de 75 PAK a été capturé avec tous ses servants.
Cent prisonniers ont été faits à Lutterbach par le peloton Gérard, mais, là aussi, les opérations ont dû être suspendues à cause de l'obscurité.
Le 4ème Escadron se regroupe à Pfastatt, ou le Capitaine d'Annam a installé son P.C. ; seul le peloton Duwez se rallie à Illzach. Les Cuirassiers peuvent être fiers des résultats de cette magnifique première journée d'offensive : une brèche profonde a été creusée dans le formidable dispositif ennemi ; cinq villages ont été libérés : Bourtzwiller, Pfastatt, Lutterbach, Illzach et Kingersheim. Mulhouse a été dégagée du cercle de feu qui l'oppressait depuis deux longs mois.
Nettoyage et Contre-Attaques
(21-22 Janvier 1945)
Pas de réaction ennemie au cours de la nuit du 20 au 21 Janvier ; l'Allemand désorganisé par notre violent coup de boutoir, n'a sans doute pas encore réussi à se ressaisir ; il est vrai aussi qu'une très violente tempête de neige a fait rage toute la nuit.
De nouvelles unités du 2ème Cuirassiers ont été poussées sur Mulhouse : le 1er Escadron a pris place dans les faubourgs Sud de la ville, le 2ème Escadron, Escadron Bérard, a fait mouvement, lui aussi, à travers la tempête, avec le Groupement Doré, pour venir s'installer, en position d'attente, à Brunstatt.
Le 21, dès le lever du jour, le 4ème Escadron repart en avant. C'est tout d'abord le peloton Duwez qui, quittant Illzach, retourne à Kingersheim, dont il a mission d'achever le nettoyage. Puis, à 8 heures 10, c'est le message radio du Capitaine d'Annam, dont la voix joyeuse annonce :
"Nous partons à la chasse aux bécasses... " : les pelotons Gérard et Giraud ont débouché de Pfastatt, attaquant en direction de Richwiller.
Le nettoyage de Kingersheim, à peine libéré la veille au soir, s'avère aussitôt particulièrement difficile. Le village est un véritable guêpier : les Allemands s'accrochent, laissant passer nos éléments, puis leur tirent dans le dos ; le danger est partout, en avant, en arrière, à droite, à gauche... Des tireurs isolés sont embusqués dans les caves... A chaque pas, plane la menace du bazooka... Il serait facile, certes, de réduire cette résistance acharnée en détruisant successivement toutes les maisons à coups de canon, mais comment admettre une pareille solution dans un village de France.
Les Sherman manœuvrent, ne tirant qu'à coup sûr. Le peloton est pourtant bientôt réduit à trois chars, car le "Tourcoing" a été mis hors combat par un coup de bazooka qui lui a transpercé la tourelle, blessant les Cuirassiers Besnard et Ibanez tandis que le "Toulon", en difficulté dans un terrain très enneigé, subit une avarie mécanique grave (demi-arbre brisé). Le "Tarbes", le "Tours" et le "Tonnerre" continuent la lutte.
Plus à l'Ouest, c'est le peloton Gérard qui est en tête. Les chars avancent, précédés par les démineurs du Génie, et parviennent bientôt au pont sur le Hagelbach, à quelques 300 mètres de Richwiller. La réaction ennemie est violente, notre Infanterie progresse pourtant, appuyée par le feu des Sherman, qui ont été obligés de stopper en attendant que le Génie ait déminé le pont.
Le Capitaine d'Annam dirige, lui-même, la manœuvre, ripostant implacablement à chaque entreprise de l'Allemand :
- " Voyez-vous la maison verte aux volets ouverts ?... "
- " Attention, une section d'Infanterie ennemie arrive en renfort sur votre droite !... "
- " Dans la direction du pont, dans une corne de bois, vous avez deux 88... Attention !... "
Puis c'est la voix du Lieutenant Gérard, voix impérieuse et rapide...
A 10 heures 35, compte-rendu : "Richwiller est occupé par nos fantassins... Des fantassins allemands descendent de l'usine de munitions vers la ferme Grossacker. . . "
Obus... minen... armes automatiques... la bataille continue...
A 11 heures 35, les deux premiers chars du peloton Gérard sont à l'entrée de Richwiller ; ils ont dû passer le Hagelbach à gué, des tirs ennemis ayant interdit au Génie de déminer le pont. Ils entreprennent aussitôt le nettoyage.
- " J 4 : Regardez les fenêtres à hauteur de J 2... attention !... " crie le Lieutenant Gérard.
- " Avancez et appuyez les fantassins à gauche !... "Mais une barricade anti-chars arrête les Sherman.
- " N'essayez pas de passer... Débordez par la droite ou par la gauche... Par la gauche plutôt, car vous seriez trop en vue à droite... "
A 12 heures 30, ordre du Capitaine d'Annam au peloton Giraud, maintenu jusque là en arrière, de passer le ruisseau et de serrer sur le centre du village, d'où il devra descendre sur Lutterbach par la route directe, à travers bois, en vue de parfaire le nettoyage de cette localité, inachevé la veille.
- "Valenciennes, Valmy, passez par le champ, derrière toutes les maisons !... Tenez en respect le bois...". Le Lieutenant Giraud est parti... Il est 13 heures...
Le peloton Gérard reste désormais seul dans Richwiller, où la lutte est toujours aussi ardente.
- " Je suis au carrefour central. Des boches partent en courant, mais je n'ai pas du tout d'Infanterie avec moi . .
- " Ne les suivez pas ! Ne vous laissez pas entraîner !. . . "
- " Annoncez que les Allemands ramènent du monde en camion par la route en face de nous. C'est peut-être une contre-attaque... "
- " Mettez-vous à droite de la route. Moi, je suis à gauche. Nous allons faire un tir de barrage devant nous, à l'Ouest du carrefour... "
- " J'ai tiré sur quelque chose qui m'a tiré dessus !... "
Puis:
- " Je vous signale qu'on vient de me tirer au bazooka. "
- " Vous êtes sûr ?"
- " J'ai vu le boche qui m'a tiré et a f... le camp... "
Les Sherman sont déchaînés... Des cadavres ennemis s'entassent dans les rues... Des prisonniers sortent des maisons, les bras levés... Deux canons de 75 PAK ont été capturés...
A 16 heures 25, le nettoyage de Richwiller est terminé.
18 heures. La nuit est tombée. Le 4ème Escadron a de nouveau été regroupé à Pfastatt, sauf les trois chars du peloton Duwez restés à Kingersheim. Rude journée pour le peloton qui s'est battu, sans un instant de répit, de l'aube au crépuscule... Les hommes sont las... Ils doivent veiller pourtant, car la situation de Kingersheim demeure très délicate. Le boche ne veut pas s'avouer vaincu.
Il a résisté farouchement toute la journée, tentant plusieurs contre-attaques ; à la suite de l'une d'entre elles, appuyée par six chars, le Colonel Durosoy a reçu l'ordre de mettre à la disposition du Colonel Commandant le 6ème R.I.C., à Bourtzwiller, la Compagnie Guinard et le peloton de T.D. Jourdan. Toutes ces contre-attaques ont été repoussées, mais l'ennemi reste agressif : quatre chars allemands ont été signalés, à la chute du jour, aux lisières Nord du village, partout des rafales de mitrailleuses, les balles viennent s'écraser, impuissantes, contre le blindage des Sherman ; l'Artillerie et les minen donnent aussi...
C'est à cause de cette instabilité de la situation que le Commandant Daboval a décidé, pour le maintien du moral de sa troupe, de garder le peloton Duwez en toute première ligne, contrairement à la règle générale qui veut que les chars soient reportés vers l'arrière pour y être revus et ravitaillés au cours de la nuit. Demain, on procédera au nettoyage méthodique du village, maison par maison, avec une compagnie fraîche. Mais c'est long une nuit sans sommeil après une telle journée, surtout lorsqu'on sait qu'il faudra de nouveau combattre le lendemain.
Les quinze hommes d'équipage sont en alerte...
Lundi 22 Janvier, 6 heures 45. Le jour a commencé à se lever... Tonnerre de départs, puis violentes explosions devant nous notre artillerie a déclenché son tir de préparation... des fumigènes pour terminer... Les fantassins sont prêts à déboucher, mais il leur faut l'accompagnement immédiat des chars... Comment agir dans des conditions aussi défavorables ? Il fait à peine jour ; la fumée de notre artillerie répandue dans les rues, rend nulle cette visibilité médiocre ; les Sherman se sont en outre contentés la veille, de parcourir les artères principales du village, or il faut aujourd'hui pénétrer dans des ruelles étroites, à peine praticables, infestées de tireurs de bazooka : rien de plus facile, dans ces conditions, que d'incendier un char, sans encourir de risques, d'une maison, d'une cave, ou d'un jardin...
La décision du Lieutenant Duwez est prise : il accompagnera à pied la patrouille de tête des fantassins ; le "Tarbes" aux ordres du Maréchal des Logis Pla, le suivra à vue...
9 heures... Le soleil est levé, un brillant soleil prometteur d'une très belle journée... Le nettoyage est en bonne voie, les prisonniers affluent... Le Lieutenant Duwez est parvenu aux lisières Nord-Ouest de Kingersheim : devant lui, des vergers, des jardins, parsemés de groupes de fantassins allemands s'enfuyant en désordre... Le "Tarbes " est aussitôt embossé entre deux maisons, fauchant implacablement, de sa mitrailleuse, les fuyards...
9 heures 30. Plus d'ennemis à l'horizon, le calme semble revenu... Accompagné du Maréchal-des-Logis Pla, le Lieutenant Duwez monte au grenier d'une maison à moitié détruite... Là, quelle stupeur ! Il voit, à 400 mètres de lui, quatre chars allemands, entourés de fantassins... L'ennemi a monté une nouvelle contre-attaque...
Alerte immédiate à notre Artillerie... Un tir de barrage est déclenché... Il est malheureusement mal ajusté.
Les chars avancent... L'un d'eux n'est plus qu'à 150 mètres... Les fantassins allemands ont déjà sauté dans les premières maisons du village, d'autres s'abritent derrière des clôtures... Et toute cette progression se déroule en dehors du champ de tir des Sherman... Impossible de les déplacer sans reculer très loin, abandonnant notre Infanterie...
Certains fantassins allemands ne sont plus qu'à trente mètres... Un seul recours possible :
les mortiers des Coloniaux... Le Lieutenant Duwez règle posément leur tir. C'est aussitôt une véritable panique chez l'ennemi : des morts, des blessés, gisent abandonnés sur le terrain, fuite éperdue des survivants... Le char le plus proche, fait demi-tour : il est mis en flammes au deuxième coup de canon par un T.D. des Coloniaux... Les trois autres hésitent... Le Lieutenant Duwez dévale de son grenier et, malgré les difficultés du terrain, parvient à déplacer le "Tarbes" de façon à lui aménager un étroit créneau vers un point qui sera obligatoirement traversé par les engins ennemis. L'observation est difficile en raison des clôtures et des maisons : le tireur ne disposera que de deux secondes au maximum pour voir son objectif, le viser, appuyer le doigt sur la détente... Le premier char passe trop vite le Brigadier-Chef Sanguinècle n'a pas eu le temps de tirer... Le suivant est atteint dans sa partie arrière, il continue légèrement endommagé... Coup au but enfin sur le troisième... Le Panzerjager brûle...
L'échec de cette ultime contre-attaque semble avoir fait comprendre à l'ennemi l'inanité de ses efforts pour reprendre Kingersheim. Il réagit par contre rageusement en augmentant l'intensité de ses tirs d'artillerie. Ce sont désormais des projectiles de très gros calibre qui pleuvent sur le village... L'un d'entre eux atteint de plein fouet le "Tours". Le Sherman flambe immédiatement, son conducteur, le Cuirassier Gilles est tué... Le peloton Duwez n'a plus que deux chars, le "Tarbes" et le "Tonnerre Il"...
Tandis que le combat s'éteint à Kingersheim, le peloton Giraud, qui a démarré, à 10 heures, de Pfastatt, procède au nettoyage de la partie Nord de Bourtzwiler, poussant jusqu'à la fabrique Strueth, puis jusqu'au carrefour Ouest de la ferme Grossacker. Cette opération qui s'étendra sur toute la journée, se déroulera sans incidents notables. Nos chars rentrent à Pfastatt, à la tombée de la nuit, ramenant 190 prisonniers du 137e Régiment de Chasseurs de Montagne, unité faisant partie d'une division toute fraîche, ramenée de Norvège, arrivée en renfort la nuit précédente.
Le succès de Kingersheim, la progression facile du peloton Giraud, joints aux renseignements fournis par un Alsacien, venu à Mulhouse, de Bollwiller, par Pulversheim et Wittenheim, laissent entrevoir la possibilité d'un fléchissement de la défense ennemie. Aussi le Colonel Durosoy, dont P.C. est déjà installé à Bourtzwiller, reçoit-il l'ordre, à 14 heures, de coordonner les reconnaissances lancées sur la cité Auna, par l'Escadron André, sur la cité Kullmann, par les unités du Régiment d'Infanterie Coloniale du Maroc.
Les A.M. débouchent... Elles sont aussitôt stoppées par de violents tirs tant de mitrailleuses et d'armes anti-chars que d'artillerie. L'heure de l'exploitation n'est pas encore venue.
Le Commandement décide dès lors un nouvel effort pour le lendemain, 23 Janvier : tout le 2ème Cuirassiers devra y prendre part. A droite, à la disposition du Lieutenant-Colonel Dessert, commandant le 6ème R.I.C., le 2ème Escadron, Escadron Bérard, attaquera sur l'axe Kingersheim - Cité Kullmann. Au centre, le 4ème Escadron appuiera un Bataillon du 23ème R.I.C., en direction de la cité Anna. A gauche, enfin, un groupement aux ordres du Colonel, comprenant :
- le Bataillon de choc Quinche,
- le 1er Escadron,
- et le Groupement Vallin (3ème Escadron, compagnie Tardy, peloton de T.D. Feller), a pour mission de s'emparer de la cité Richwiller, de la Station, et de la cité Amélie II, en vue d'aider la progression de la 2ème Division d'Infanterie Marocaine qui, attaquant à la gauche de la 9ème D.I.C., s'est aussitôt heurtée à une résistance acharnée de l'ennemi, et n'a guère réalisé de progrès depuis le commencement de l'offensive.
Presque toutes les unités sont à pied-d'oeuvre: le 4ème Escadron s'est rallié à Pfastatt, sauf le peloton Gérard, qui a été porté, à 16 heures, à Richwiller, d'où il devra déboucher, le lendemain, vers la ferme Grossacker et MeyersHof ; le 2ème Escadron est à Dornach ; le P.C. du Colonel est resté à Bourtzwiller. Seul, le groupement Vallin devra faire mouvement, au cours de la nuit, se portant tout d'abord sur Brunstatt, puis, le 23 à 8 heures, sur Dornach.
Le 2ème Cuirassiers est prêt en vue de cette journée, cette rude journée qui éclaircira ses rangs.
La rude journée du 23 Janvier
23 Janvier, 2 heures du matin. Le Capitaine Bérard dort profondément à son P.C. de Dornach, malgré le tintamarre de la bataille, toute proche : on s'habitue si facilement à la voix du canon.
Soudain, des coups à la porte de sa chambre...
- " Mon Capitaine! Mon Capitaine !... "
Rien de plus pénible que d'être tiré aussi brutalement de son premier sommeil... Il faut faire un effort surhumain pour ouvrir les yeux... Les paupières sont toutes de plomb...
- " Qu'y a-t-il ? Entrez... "
- " Mon Capitaine, voici les ordres... "
Un rapide coup d'œil sur le papier... Il faut faire réveiller l'Escadron, expliquer la mission aux cadres.
- Les chars auront à appuyer le Bataillon Communal du 6ème R.I.C.
Base de départ : Lisière Nord de Kingersheim.
Objectif O1 : un petit paquet de maisons entre Kingersheim et la cité Kullmann.
Objectif O2 : la cité Kullmann.
Objectif O3 : Wittenheim.
7 heures. Le Capitaine Bérard et ses chefs de peloton, le Sous-Lieutenant Bourlon, l'Aspirant Douçot, et l'Adjudant-Chef Formell sont en route pour prendre au plus vite la liaison avec les fantassins, et pour reconnaître le terrain d'attaque, précédant l'Escadron, qui fait mouvement aux ordres du Lieutenant Laporte, Officier d'échelon.
Voici Lutterbach, Pfastatt, Bourtzwiller, Illzach, Kingersheim enfin, tous villages atrocement mutilés, qu'il a fallu conquérir maison par maison... Et l'artillerie allemande continue encore à s'acharner sur ces ruines...
Court passage au P.C. du Commandant Communal, puis trajet à pied vers les lisières à partir desquelles s'étend la plaine enneigée, conduisant vers la masse sombre des maisons occupées par l'ennemi.
Le terrain est complètement découvert à gauche ; à droite, c'est un peu plus facile, mais de toute façon, il est impossible d'engager plus d'un peloton à la fois. L'Escadron attaquera donc par pelotons successifs : l'Aspirant Douçot débouchera le premier, appuyé par une Compagnie d'Infanterie, avec la mission de s'emparer du 1er objectif. Ce sera alors le tour du Sous-Lieutenant Bourlon : dépassant le peloton Douçot, il se portera vers la cité Kullmann. Le peloton Formell restera, jusqu'à nouvel ordre, en appui de feu, aux lisières Nord de Kingersheim.
9 heures. Les Sherman sont là. Les Chefs de char, ont reconnu leurs objectifs. On n'attend plus que l'heure H, fixée à 10 heures....
Pendant ce temps, le 4ème Escadron est, lui aussi, en attente sur sa base de départ. C'est le peloton Giraud qui attaquera à droite, sur l'axe Fabrique Strueth - Cité Anna, tandis que le peloton Gérard, débouchant de Richwiller, progressera tout d'abord vers la ferme Grossacker, puis vers MeyersHof. Pas d'action initialement plus à gauche, l'heure H de l'opération du Groupement Durosoy sur la cité Richwiller n'était fixée qu'à 13 heures 30.
Le Lieutenant Giraud a reconnu son terrain d'attaque la tâche à réaliser est rude : impossible de profiter de la route, bordée de quelques arbres, car elle est minée ; il faut progresser à travers champs, franchissant 500 mètres de glacis, parsemé de barrages de mines et battu par les chars, canons et automoteurs, dont est littéralement infestée la cité Anna. Les Sherman ont beau être peints en blanc, ils ne sont que trop visibles dans les lunettes des canons anti-chars allemands...
9 heures 30. Commencement de la préparation d'artillerie. Recrudescence des tirs ennemis aussi... A Kingersheim un obus atteint, à 9 heures 55, le "Jean-Bart" rangé sagement avec ses autres camarades du peloton Formell, face à l'objectif sur lequel il n'avait pas encore ouvert le feu... Un tué, le conducteur Ithurbide, un basque évadé de France, en 1942, par l'Espagne, un blessé, le tireur... Le char est immobilisé, une chenille coupée... Quelle malchance que de subir ainsi des pertes avant d'avoir rien fait !
10 heures. De Richwiller à Kingersheim, tout le front se met en mouvement.
A gauche, le peloton. Gérard a démarré vers la ferme Grossacker.
Au centre, le peloton Giraud tire au profit de la compagnie Tournier du 1er Bataillon du 23ème R.I.C., qui a débouché la première, et que les chars s'apprêtent à suivre.
A droite, a retenti l'ordre : " Allo ! les Suzanne, en avant ! "
Le "Dunois" char de l'Aspirant Douçot, le "Foch", le "Fabert" et la "Faidherbe" progressent...
Le Capitaine Bérard a mis aussitôt en place les pelotons Bourlon, dont l'indicatif radio est Joseph, et Formell, Thérèse, de façon à appuyer au mieux les Sherman engagés :
- "Joubert", je ne vous vois plus... Suivez "Jeanne d'Arc" ! "Jeanne d'Arc", appuyez contre la maison à votre gauche. En avant, à gauche !"
- "En arrière, un peu, les Thérèse !"
- "Joubert" attendez ! Ne tirez pas !"
- "Jeanne d'Arc" il faut m'arroser le grand observatoire qui est à gauche"
- "Duquesne", surveillez votre droite ! "
Le peloton Douçot avance, ouvrant le chemin aux Coloniaux. Il atteint très vite les premières maisons de la suite presque ininterrompue, qui relie Kingersheim à la cité Kullmann.
- " Avancez à hauteur des fantassins qui sont pris à partie par des types qui tirent de la cave
- " Tirez sur l'observatoire boche et sur la cheminée ! "
- " Trop long !"...
- " Que vous est-il arrivé ? J'ai vu une forte explosion... N'est-ce pas une mine anti-personnel ?
- " C'est bien mon avis aussi... "
Mais le canon du "Dunois" ne fonctionne pas : l'huile du frein est figée, sans doute par suite du froid intense... L'Aspirant Douçot change de char, montant sur le "Fabert" et renvoie le "Dunois" inutilisable sur Kingersheim.
10 heures 25. A gauche, le peloton Gérard rend compte qu'il arrive à la ferme Grossacker :
tout va donc bien de ce côté là. Le Capitaine Tournier signale au même moment au Lieutenant Giraud que ses hommes ont atteint les premières maisons de la cité Anna. Un autre renseignement précise que les bois du Puits Anna seraient occupés, eux aussi, renseignement qui sera reconnu faux, mais trop tard hélas !
10 heures 30. Le peloton Giraud débouche. Le Lieutenant ,Giraud est en tête à bord du "Vaucouleurs", le "Vesoul" le suit ; un peu plus loin, à gauche de la route, en deuxième échelon, le "Valenciennes" et le "Valmy".
Les Sherman avancent rapidement... Ils sont déjà tout près de la lisière de la cité, quand un obus perforant atteint le "Vesoul" le mettant en flammes. Le Cuirassier de Montremy est tué à son poste de combat, le Maréchal-des-Logis Beauquis, chef de char, est grièvement blessé aux jambes. Les trois survivants de l'équipage, bien que violemment commotionnés, réussissent à le dégager du char, et à le ramener dans nos lignes sous un véritable déluge de feu.
Les armes anti-chars s'acharnent désormais sur le "Vaucouleurs" resté seul en tête. Le Sherman, parvient pourtant à leur échapper, s'embossant dans une carrière, occupée par les quelques fantassins qui ont atteint les lisières de la cité.
Le "Valenciennes" et le "Valmy" se hâtent pour appuyer leur chef de peloton en difficulté... Ils n'en sont plus qu'à une centaine de mètres... Mais l'ennemi les a sans doute laissé approcher sciemment, car ils sont touchés, à leur tour, par plusieurs obus perforants...
L'équipage du "Valmy" saute à terre, les trois hommes de la tourelle du "Valenciennes" dont le canon est inutilisable, font de même, ramenant le tireur, le Cuirassier Pons, blessé, mais la Brigadier Tostain, conducteur et le Cuirassier Baro, aide-conducteur, restent à leurs postes ; le moteur du char tourne toujours : ils vont essayer de le ramener... Impossible de faire demi-tour :
le Brigadier Tostain passe la marche arrière, accélère... Les obus perforants et explosifs, les balles frappent le Sherman, venant de toute part... Il continue pourtant à reculer, protégeant de sa masse les hommes à pied, dont il est l'unique abri sur ce glacis... Mais un coup mieux ajusté... Le "Valenciennes" est en flammes... L'atmosphère devient bientôt irrespirable dans le char : impossible de rester dans le poste de conduite. Le Brigadier Tostain, faisant preuve d'un magnifique sang-froid, bloque à fond l'accélérateur à main et saute à terre, suivi par le Cuirassier Baro. Le char qui ne veut pas mourir, recule toujours... Une lueur d'espoir : plus que 200 mètres jusqu'à nos lignes... Hélas ! une explosion... Le Sherman s'arrête... Tout est fini...
Le "Valmy" n'a pas brûlé... Les Cuirassiers Lorenzi et Bellot décident spontanément de le rejoindre pour en prélever les postes de radio, et si possible, les mitrailleuses. Ils rampent dans la neige, sous le feu... Quelques mètres encore et ils sont aux pieds du char... Ils l'atteignent... Il s'agit maintenant de monter sur la tourelle, moment délicat entre tous, car les tireurs d'élite allemands les guettent des maisons de la cité Anna... Ils se dressent... mais retombent aussitôt, mortellement frappés et montent, allongés, leur dernière garde auprès de la dépouille du "Valmy".
Le "Vaucouleurs" est donc le seul rescapé du peloton, mais sa position est plus que critique il est bloqué dans sa carrière, face à la cité ; les obus perforants rasent sa tourelle... Le Lieutenant Giraud sort du char pour prendre la liaison avec le Lieutenant Bacon et les quinze hommes retranchés dans la maison voisine.., un créneau d'où il voit le terrain : spectacle peu rassurant, à travers les flocons de neige : des tireurs d'élite à chaque fenêtre de maison... des chars qu'on devine...
Un Sherman et quinze hommes entourés de trois côtés par l'ennemi... Ne sera-ce pas bientôt la fin ?
10 heures 50. A droite, le peloton Douçot a atteint O1. Il manœuvre au milieu des maisons, quand plusieurs obus de 88 atteignent, coup sur coup, le "Faidherbe"..., qui flambe aussitôt...
Seuls le Maréchal-des-Logis Bert, chef de char qui a un bras arraché, et le brigadier-Chef Wolff, tireur, blessé lui aussi, parviennent à se dégager ; les Cuirassiers Martinez Henri, conducteur, Schmutz, aide-conducteur, et Millot, chargeur, mortellement atteints, brûlent avec le Sherman.
11 heures. "Un autre char de Suzanne brûle, crie l'Adjudant-Chef Formell... L'équipage en est sorti... C'est le "Fabert"... L'Aspirant vient en courant... le char explose... "
Le "Foch" resté seul sur l'objectif, rend compte, peu de temps après, que sa tourelle est coincée. Le peloton Douçot est définitivement hors de combat...
Le Capitaine Bérard pousse aussitôt en avant le peloton Bourlon.
11 heures 30. Un obus touche l'avant du "Dupleix II" ; il ricoche, mais détériore le train de roulement. Pas d'autres blessés que le char qui ne peut plus manœuvrer. Le Capitaine Bérard lui donne l'ordre de tenter de revenir vers Kingersheim.
O1 est désormais occupé par l'Infanterie mais au prix de quelles pertes ! Comment continuer dans ces conditions vers la cité Kullmann ....
A la cité Anna, la situation du "Vaucouleurs" ne s'est pas améliorée ; il lutte farouchement, se déplaçant sans cesse pour dérouter le feu ennemi... Deux choses urgentes : des renforts d'Infanterie et des tirs fumigènes pour cacher le char aux vues de l'Allemand. De minute en minute, la voix du Lieutenant Giraud devient plus pressante :
- " Il faut coûte que coûte des fumigènes ! "
- Est-ce que l'Infanterie arrive, car la situation devient de plus en plus tragique dans ce coin ?...
- " Les fantassins demandent du renfort, sinon, nous allons être coincés... "
- " Ils ont l'air de se préparer à contre-attaquer en face... Ils amènent des chars et de l'Infanterie... "
- " Peut-on matraquer toute la lisière ?... Ils sont à 20 mètres et je ne peux pas leur tirer dessus."
- " Dépêchez-vous ! Il reste cinq ou six fantassins... tous les autres sont blessés... "
- " Faites tirer plus à droite et plus en avant! Vite ! Vite ! "
- " Faites allonger le tir de 100 mètres ! Ça nous tombe dessus... "
- Il faut surtout des gens pour occuper le terrain... Il n'y a plus personne ici... "
- Seule, une nouvelle et puissante attaque serait en mesure de dégager nos hommes, et il faudrait pour cela de nouveaux moyens dont ne dispose pas le Commandement...
11 heures 50. L'artillerie ennemie continue à pilonner Kingersheim. Un nouveau char du peloton Formell, le "Jeanne d'Arc" reçoit un obus explosif sur la tourelle : le Brigadier-Chef Ruiz, chef de char, est tué sur le coup. Pas de dégâts au Sherman.
L'Adjudant-Chef Formel est bientôt blesse a son tour. Nos pertes s'accumulent...
Midi. Le groupement Durosoy attend l'heure H pour déclencher son attaque en direction de la cité Amélie II.
Le Bataillon de choc Quinche, les Sherman du Capitaine de Boisredon, les chars légers du Sous-Lieutenant Martin, les Zouaves du Capitaine Tardy, les T.D. du Sous-Lieutenant Feller, l'Etat-Major du Commandant Vallin, sont à Richwiller.
Le P.C. léger du Régiment a été transporté de Bourtzwiller à Pfastatt, où il a été installé dans une boulangerie. Deux pièces, la salle de vente et une autre, plus petite. Des sacs et des planches pour remplacer aux fenêtres les carreaux manquants... La maison a conservé son toit : c'est un P.C. magnifique... d'autant plus qu'il n'y a qu'une place à traverser pour se rendre au P.C. du Colonel Landouzy, Commandant le 23ème R.I.C. Dans la cour, le half-track de commandement, d'où l'on suit anxieusement l'action des autres, en attendant d'agir soi-même. La radio est hélas fort mauvaise aujourd'hui... Position critique du Lieutenant Giraud, qu'on s'efforce d'aider par des tirs d'artillerie, l'unique moyen dont on dispose... Puis c'est la nouvelle de l'échec du peloton Bourlon, qui a tenté vainement de déboucher vers la cité Kullmann du premier objectif de l'Escadron Bérard : les Allemands bien abrités dans une tranchée, au Sud des lisières de la cité, tirent furieusement, deux canons automoteurs balaient en outre tout le terrain... Et puis, là aussi, notre Infanterie est très éprouvée.
Jusque là, le seul succès de la journée est celui du peloton Gérard, qui a conquis la ferme Grossacker. Il en débouchera à 13 heures, avec la Compagnie Camors du 1er Bataillon du 23ème R.I.C. en direction de Meyers Hof.
13 heures 15. La 2ème Division d'Infanterie Marocaine, au profit de laquelle va être faite l'opération de la cité Amélie II, est très en retard, aussi le groupement Durosoy reçoit-il l'ordre de ne pas dépasser la cité Richwiller. Peut-être est-ce aussi une répercussion de l'échec de nos deux attaques contre la cité Auna et la cité Kullmann ?
A la cité Anna, le Lieutenant Giraud avec le "Vaucouleurs", et les quelques Coloniaux du Lieutenant Bacon, luttent toujours avec le courage du désespoir. Plus qu'une solution pour eux, tenir jusqu'à la nuit, puis décrocher à la faveur de l'obscurité... Mais tiendront-ils encore d'aussi longues heures ?
Le peloton Gérard semble, par contre, progresser victorieusement dans le bois qui conduit vers MeyersHof.
13 heures 25. La neige continue à tomber : ses flocons semblent même, par moment, devenir plus épais... Temps déplorable pour les chars, dont les périscopes sont inutilisables : pour pouvoir combattre, il faut sortir la tête de la tourelle, s'offrant délibérément aux coups des " snipers "...
Le groupement Durosoy est prêt à la lisière Nord-Ouest de Richwiller : quelques maisons en planches, une scierie... A gauche, bordant la route, le Bois de Pfastatt, à droite une plaine toute blanche, puis, à quelques 500 mètres, la lisière de la forêt de Nonnenbruch, à l'aspect peu accueillant... En avant, l'objectif, la cité Richwiller qu'on devine, plutôt qu'on ne voit, à travers un épais écran de neige.
13 heures 30. On se faufile entre les madriers et les machines-outils de la scierie, poussant en avant : à droite de la route, le peloton Avenati, à gauche, le peloton Latour, puis, encore plus profondément dans le Bois de Pfastatt, les chars légers du Sous-Lieutenant Martin le Capitaine de Boisredon attaque à pied avec les fantassins. Les arbres du Bois de Pfastatt s'ébrouent, secouent la neige qui retombe en gros flocons, se penchent, s'abattent dans un fracas assourdissant de branches cassées... vive fusillade... des armes automatiques... une flamme rouge à gauche (serait-ce un bazooka ?...) quelques éclatements de mortiers... mais la résistance ennemie n'est pas très opiniâtre.
A 14 heures 30, les chars du 3ème Escadron pénètrent, à droite, dans la cité Richwiller, et progressent, à gauche, jusqu'à la rive Est de l'étang. Quelques prisonniers.
15 heures. Un ordre particulier de l'Etat-Major de la 9ème D.I.C., faisant état de la remise de l'attaque de la 2ème D.I.M., à laquelle le groupement Durosoy doit tendre la main, nous prescrit de revenir en arrière, évacuant la cité Richwiller. L'opération sera reprise demain.
Comment se résoudre à un tel repli ? N'est-ce pas remettre tout en jeu, renonçant aux bénéfices d'un succès somme toute assez facile? Avons-nous le droit, en outre, d'abandonner le moindre arpent de notre sol ?
Le Colonel Durosoy se rend immédiatement au P.C. du Colonel Landouzy, où se trouvent précisément le Général Béthouart, commandant le 1er Corps d'Armée et le Général Morlière, commandant la 9ème D.I.C. Il obtient gain de cause : le Groupement restera à la cité Richwiller.
16 heures. La neige tombe de plus en plus dru. Le peloton Gérard et la Compagnie Camors sont maîtres de MeyersHof : l'ennemi qui s'y était puissamment fortifié, a été surpris par notre attaque, venue de la ferme Grossacker, et non de Richwiller, direction face à laquelle étaient orientées ses lignes de tranchées. La poudrière Sud et la fabrique d'explosifs sont nettoyées. Il reste bien encore quelques Allemands dans des maisons à l'Est de la fabrique, mais notre Infanterie, aux effectifs clairsemés, est à bout de souffle : tant pis pour ces quelques boches ! Il est bien plus urgent de s'organiser, au plus vite, sur l'objectif conquis, d'autant plus qu'on ne dispose que d'un peu plus d'une heure de jour.
A la cité Anna, le drame du char "Vaucouleurs" semble près de son dénouement : la position est entièrement cernée... Le Lieutenant Giraud continue pourtant à se débattre au milieu des Allemands qui entourent sa carrière, tirant au canon, tirant à la mitrailleuse... Des mortiers viennent heureusement à son aide : il les règle, lui-même, à la radio... Flottement dans les rangs ennemis : des morts, des blessés sur le terrain, mouvement de repli des survivants... Simultanément, suprême chance ! Redoublement de la tempête de neige et quelques obus fumigènes, qui tombent devant le char... N'est-ce pas le moment ? Le "Vaucouleurs" quitte son abri... Il était temps ! Un "Panther" s'en approchait pour lui donner le coup de grâce...
16 heures 30. Le miracle s'est produit le Sherman a rejoint nos lignes... Le Cuirassier Betsch, tireur, enlève son casque traversé de deux balles... L'équipage sourit à son chef...
18 heures. La nuit est tombée, une nuit blanche de neige... L'Escadron Bérard a reçu l'ordre de décrocher de l'objectif atteint en fin de matinée, et de Kingersheim, pour se rallier à Illzach, où il refera ses pleins d'essence et se remettra en ordre. Le peloton Formell quitte ses emplacements de combat... au même instant, le "Joubert" saute sur une mine... Le "Joffre" le prend en remorque.
20 heures. Le Groupement Durosoy est reparti entre la cité Richwiller et le village du même nom. Dès la prise de la cité, le Colonel a fixé sur place, le dispositif à adopter : la défense de l'objectif conquis est aux ordres du Capitaine de Boisredon, disposant de deux pelotons de son Escadron, du peloton de chars légers Martin, et de trois Compagnies du Bataillon de choc ; le reste du Groupement est au village.
La Compagnie Camors, le peloton Gérard et le peloton de T.D. Jourdan, sont installés à Meyers hof. Il a été décidé, une fois de plus, de laisser les chars dans ce point d'appui avancé.
Le 2ème Escadron est à Illzach, furieusement bombardé par l'Artillerie ennemie, le 4ème, moins le peloton Gérard, à Pfastatt.
On fait le bilan de la rude journée qui vient de se terminer : les rangs du 2ème Cuirassiers ont été sérieusement entamés... Deux chars brûlés et quatre endommagés au 2ème Escadron, qui a cinq tués, le Brigadier-Chef Ruiz, les Cuirassiers Ithurbide, Martinez Henri, Schmutz et Millot, et sept blessés, le Maréchal-des-Logis Bert, le Brigadier-Chef Wolf, le Brigadier Palatre, les Cuirassiers Cardona, Bordj, Bressolles et l'Adjudant-Chef Formell. Trois chars détruits, trois tués, les Cuirassiers de Montremy, Lorenz, et Bellot, et deux blessés, le Maréchal-des-Logis Beauquis et le Cuirassier Pons, au 4ème Escadron. La situation de cet Escadron, engagé sans relâche depuis trois jours, devient particulièrement difficile : il ne reste plus que deux chars, le "Tarbes" et le "Tonnerre Il" au peloton Duwez, un seul, le "Vaucouleurs", au peloton Giraud.
Journée de repos heureusement pour lui, demain, ainsi que pour l'Escadron Bérard, car tout le front de la 9ème D.I.C. marquera un temps d'arrêt, pour permettre aux unités d'organiser solidement la ligne atteinte. Seul le Groupement Durosoy doit être prêt à exécuter l'action prévue, en direction de la cité Amélie II.
Les vaines Contre-Attaques de la Brigade Feldherrnhalle et la Conquête de la Cité Amélie II (24 Janvier 1945)
"L'action du Groupement Durosoy en direction de la cité Amélie Il, sera déclenchée le 24 Janvier à 8 heures 15... " portait l'additif à l'Ordre d'Opérations pour la journée du 24 Janvier, de l'Etat-Major de la 9ème D.I.C., parvenu au P.C. léger du 2ème Cuirassiers, le 23, en fin de soirée.
Les unités ont été aussitôt alertées ; le Colonel leur a précisé les objectifs successifs qu'elles auraient à atteindre : O1 : la station de Richwiller,
O2 : le Puits Max,
O3 : la cité Amélie II.
Les différents tirs d'artillerie sont prêts.
Tout est calme, à la cité Richwiller, au P.C. du Capitaine de Boisredon ; deux Compagnies du Bataillon de choc et les quatre Sherman du peloton Latour, défendent le point d'appui. Le peloton Avenati et les chars légers du peloton Martin, sont dans le bois à gauche de la route, avec la 3ème Compagnie d'Infanterie.
La neige a cessé de tomber ; il fait moins froid. Les équipages s'efforcent de dormir, recroquevillés à leurs postes de combat ; seul, l'homme de garde veille à la tourelle, le colt à la main, prêt à donner l'alerte.
Rien à signaler, non plus, au peloton Gérard, à MeyersHof, sauf que tout le monde est encore debout, à une heure et demie du matin il a fallu mettre en place le dispositif, contrôler le fonctionnement des différentes liaisons, compléter les pleins des chars en essence et en munitions, profiter enfin de la bonne aubaine d'une soupe chaude. Quel réconfort pour les équipages que l'arrivée nocturne du Maréchal-des-Logis-Chef Pierre, dont le camion est venu leur apporter tout le nécessaire, comme à la manœuvre !... Une heure et demie du matin.., il est grand temps de prendre quelque repos... Espoir chimérique, car, à deux heures, alerte. Un déserteur vient d'arriver au P.C. du Capitaine Camors : il annonce qu'une contre-attaque ennemie débouchera, à 6 heures, avec huit chars et quatre compagnies d'Infanterie...
Branle-bas général... Tout le monde debout... Le Capitaine Camors, le Lieutenant Jourdan et le Sous-Lieutenant Gérard se concertent...
Point d'appui à défendre ? Une usine d'explosifs semée d'abris bétonnés. Quelques maisons dont toutes n'ont pas pu être nettoyées.
En avant, à droite, à gauche, de grands glacis, une sorte de vaste clairière, qui sépare MeyersHof des lisières du Bois de Nonnenbruch, dans lequel s'est réfugié l'ennemi, à quelques trois cents mètres de là. Derrière, un bois tout en longueur, profond seulement de cent cinquante à deux cents mètres.
Le point d'appui ami le plus proche est à la ferme Grossacker, tenue par la Compagnie Aubert du 3ème Bataillon du 23ème R.I.C.
Un fil téléphonique relie Meyers Hof au P.C. de l'Infanterie de Pfastatt, moyen de liaison bien précaire, auquel suppléera heureusement la radio.
Les moyens avec lesquels il y aura lieu de faire face à la puissante contre-attaque ennemie de tout un Bataillon, appuyé par des chars, sont très réduits : une compagnie d'Infanterie, dont les effectifs ont fondu au cours des durs combats des jours précédents, un peloton de quatre chars, un peloton de trois tank-destroyers, quelques sapeurs, deux canons de 57.
Comment se garder de tous les côtés à la fois ? Un seul moyen : constituer un réduit dans l'usine, avec l'Infanterie et les canons de 57 ; garder les engins blindés en dehors de ce réduit, pour manœuvrer en cas d'imprévu. Le bois de Meyers Hof tiendra lieu d'écran, à l'abri duquel chars et T.D. se mettront en position d'attente, d'où ils déboucheront, frappant à bon escient. Deux positions sont prévues : à gauche, à proximité de la route MeyersHof - Richwiller, où se tiendront le "St-Raphaël", char du Maréchal-des-Logis-Chef Navarro, et le T.D. du Maréchal-des-Logis Rivry, tous deux aux ordres de l'Adjudant-Chef Brillault du peloton Jourdan ; à droite, près du chemin de Meyers Hof à Pfastatt, position occupée par le gros de nos blindés, les trois Sherman du Sous-Lieutenant Gérard et des Maréchaux-des-Logis Joly et Gauthier, et les deux T.D. du Lieutenant Jourdan et du Maréchal-des-Logis Henry. Une jeep radio du peloton Jourdan maintiendra la liaison entre l'usine du Capitaine Camors et les chars.
6 heures. Tout est prêt... On dresse l'oreille... Les yeux brouillés par la blancheur de la neige croient distinguer des ombres... Les obus tombent dru...
Alerte aussi au P.C. du Groupement Durosoy, à Pfastatt : le renseignement de Meyers Hof retransmis au Colonel par le Colonel Landouzy, paraît sérieux, car le Capitaine de Boisredon a été prévenu, lui-aussi, par un prisonnier, de la possibilité d'une contre-attaque avec chars.
Rien de nouveau pourtant à 6 heures... Une demi-heure s'écoule... Tout est calme... Tant pis pour la contre-attaque, somme toute problématique ! Le Groupement ne peut plus attendre, car il faut qu'il commence à préparer sa propre action vers la cité Amélie II.
Le Capitaine de Boisredon fait relever les mines, posées la veille pour interdire, au cours de la nuit, la route conduisant au point d'appui, puis il pousse en avant une patrouille du Bataillon de choc, commandée par l'Aspirant Rodocanachi ; mission : reconnaître la station de Richwiller et la région Sud de l'Etang, afin de s'assurer des possibilités du franchissement de la voie ferrée par les chars. Il est 7 heures...
7 heures 15. Toujours cette pluie d'obus à MeyersHof... Sourds éclatements de mortiers... Fusants rageurs... Puis les "Nebelwerfer", lugubres chats-huants, qui arrivent par paquets de six...
Les hommes, fatigués par cette nuit sans sommeil et par l'attente, souhaitent ardemment que l'ennemi débouche...
7 heures 20. Une... deux... trois... quatre masses sombres, qui ont franchi à vive allure la lisière du Bois de Nonnenbruch, marchant droit sur la partie Ouest de notre position... Ils sont au moins quatre Jagdpanthers... puis des A.M.... des voitures blindées des Panzergrenadiere.
Un Jagdpanther et une A.M. abordent déjà notre gauche... Ils sont face à face avec le T.D. du MarechaI-des-Logis Rivry et le "St-Raphaël"... Au T.D. le char, au Sherman l'A.M. les engins ennemis sont en flammes... Puis, tandis que le Lieutenant Jourdan et le Sous-Lieutenant Gérard quittent la droite de la position, pour se porter vers la gauche menacée, le "St-Raphaël" et le T.D. s'enfoncent dans le bois et continuent la lutte.
Les AM allemandes suivies par des fantassins ont pénétré dans l'usine du Capitaine Camors mais le "St-Raphaël" survient : le Maréchal-des Logis-Chef Navarro manœuvre... le Brigadier Bartkowlak tireur, vise soigneusement : deux blindés allemands brûlent, deux autres sont précipitamment abandonnés par leurs équipages...
Un perforant, tout à coup, dans le T.D. du Lieutenant Jourdan, qui l'incendie... Un seul rescapé de l'équipage, hélas ! le conducteur...
Le Sous-Lieutenant Gérard prend aussitôt le commandement : les Sherman seront aux ordres du MaréchaI-des-Logis-Chef Navarre, les T.D. à ceux de l'Adjudant-Chef Brillaud... Puis il agit : les chars des Maréchaux-des-Logis Joly et Gauthier, et le T.D du Maréchal-des-Logis Heni déborderont par la gauche du bois, pour attaquer le flanc de l'ennemi, tandis que le "St-Raphael" continuera à nettoyer l'usine ; à droite, les autres blindés, qui viennent d'être renforcés par des T.D. des Coloniaux, venus de la ferme Grossacker, prêts à parer à la menace des trois Jagdpanther que le Capitaine Camors signale au Nord-Est de Meyers Hof.
Un coup d'arrêt a été porté à l'ennemi... Ses rangs sont hachés par les puissants tirs de barrage que notre Artillerie renouvelle sans se lasser... L'initiative des opérations est désormais entre nos mains...
Une lutte sans merci se livre simultanément à la cité Richwiller, où les événements se sont précipites avant que le Capitaine de Boisredon ait pu réagir.
Ce fut tout d'abord le retour de l'Aspirant Rodocanachi, brûlé aux yeux et aux mains. Sa patrouille a été stoppée par des Schuhmines, il a perdu plus de la moitié de son effectif et ramener les survivants, ayant juste pris le contact.
Puis, presque aussitôt, le canon tonne... Deux sherman du Peloton Avenati sont touchés.
le "Neuilly" explose, le "Nevers", perforé, a sa tourelle hors de service...,
Les obus éclatent, immédiatement après, au P.C. de l'Escadron : deux perforants manquent le "Marengo", char du Capitaine de Boisredon, qui parvient à se mettre à l'abri, sans avoir vu d'ou étaient venus les coups...
Nos artilleurs déclenchent les tirs de barrage, préparés la veille. Les T.D. qui ont passé la nuit au village de Richwiller sont alertés. Mais comment les orienter sur leur mission ? Le Lieutenant Feller est bien auprès du capitaine de Boisredon mais il n'est pas en mesure d'entrer en contact avec son peloton, son half-track radio étant en panne, l'antenne coupée par un obus... personne ne sait d ailleurs où sont les engins ennemis... Il est huit heures.
8 heures 5. "Des chars, boches sont entrés dans la cité" signale le Capitaine de Boisredon que les T.D. viennent tout de suite, sinon je ne pourrai pas tenir..."
Il a vraiment fort à faire, car notre Infanterie, surprise par l'irruption brutale de l'ennemi fléchit...
La Compagnie Tardy du 3ème Zouaves a débouché de Richwiller, venant à son secours. Voici l'half-track de tête, à hauteur de son P.C.... Il est mis en flammes en deux coups de canon... Ce tir dévoile enfin le boche : le Lieutenant de Latour a vu la lueur des départs. Il bondit aussitôt à pied, pour tenter de situer d'une façon encore plus précise la position des chars allemands... Il approche...
Il voit... Deux Panzerjäger sont en place, au carrefour de la route Est de la cité : l'un d'eux prend la route d'enfilade, l'autre tire dans le village.
8 heures 15. "Deux Tiger dans l'axe de la route. Envoyez les T.D. Urgent ! Sinon nous sommes tous flambés" annonce la voix calme du Capitaine de Boisredon.
Puis : "Il y a quatre chars : un léger, un moyen et deux gros. L'objectif des T.D. est dans l'axe de la route".
Les T.D. se hâtent, mais la route de Richwiller à la cité est battue par les chars ennemis, embossés dans la région de MeyersHof : il faut passer par le bois de Pfastatt, ce qui est long.
Sans les attendre, le peloton Latour entre en action. L'"Orléans III" est en place : son tir sera réglé par l'aide-conducteur, en observation dans la maison la plus proche de l'ennemi. L'"Ouessant" gagne, de son côté, la position de combat, qui lui a été assignée par son chef de peloton. C'est aussitôt la lutte à mort... L'"Orléans III" est à 100 mètres de l'un des deux Allemands... Il tire, manœuvre autour de la maison, occupée par son observateur, tire encore... Riposte du Panzerjäger, qui tente d'atteindre le Sherman au travers d'un rideau d'arbres... Mais il voit mal, alors que chacun de ses mouvements est indiqué au Lieutenant de Latour, par son aide-conducteur qui, par trois fois, quitte sa maison et vient à pied, sous un feu d'enfer, renseigner son Officier. C'est un véritable duel... Une dizaine de coups sont échangés de part et d'autre ; le Panzerjäger a été touché trois fois, mais sans dommage apparent ; un obus a atteint l'avant du Sherman sans grand mal aussi ; un blessé pourtant, le chargeur qui a le bras cassé...
Tout à coup, des flammes, une épaisse fumée : l'"Ouessant" a pu approcher à 150 mètres de l'autre engin allemand... il sort vainqueur du combat singulier qu'il a entrepris, lui-aussi...
"Je crois que nous avons une victoire !... Ça y est !..." annonce le Capitaine de Boisredon, à la radio.
Le Brigadier-Chef Yvon Trouchaud, tireur à bord du "Ouessant" vient de venger son frère le Caporal Georges Trouchaud, tué, sur le half-track des Zouaves, par le Panzerjäger qu'il a détruit.
L'adversaire de l'"Orléans III" est immobilisé, lui-aussi, mais on ne voit plus rien par suite de l'incendie de la victime de l'"Ouessant" : impossible de l'achever... Un troisième char a été endommagé par les autres Sherman du peloton Latour ; l'Infanterie ennemie a subi, elle-aussi, des pertes énormes du fait de notre Artillerie, dont les tirs redoublent de violence à chaque instant...
C'est la fin... Il est 9 heures 45...
Les habitants de la cité Amélie II seront heureux de raconter, le soir, aux Cuirassiers, comment ils auront vu passer quelques fantassins allemands en déroute, accompagnés de trois chars dont deux traînaient, en remorque, deux Panzerjäger blessés.
10 heures. La fortune des armes a changé à MeyersHof : le Lieutenant Gérard attaque, prenant en tenaille avec ses chars et ses T.D., qui débouchent de part et d'autre du bois, les Jagdpanther signalés au Nord-Ouest de la position. Mais l'ennemi voit le danger : un dernier tir de fumigènes et ses engins s'enfuient à l'abri du rideau de fumée. Seuls les Panzergrenadiere sont restés pris au piège : ils ne pourront plus décrocher, car notre puissant barrage d'artillerie leur coupe le chemin du repli. La bataille de Meyers Hof est d'ores et déjà gagnée.
10 heures 30. Nouveau retour offensif de l'Allemand, appuyé par quatre chars, sur la cité Richwiller, vain effort, qui se brisera contre le mur infranchissable du barrage de nos 105 : tirs d arrêts, puis matraquage de la station de Richwiller et du puits Max, bases de départ des assaillants...
Le Colonel Durosoy est sur place, auprès du Capitaine de Boisredon.
Cette deuxième contre-attaque est définitivement stoppée à 11 heures 15. On interroge les prisonniers : il ne resterait plus, à leurs dires, qu'une cinquantaine de survivants d'un bataillon complet, renforcé de 90 hommes du Génie...
12 heures. Le Groupement Durosoy est de nouveau tendu vers lavant, ne songeant plus qu'au déclenchement de l'opération interrompue, ce matin, par les contre-attaques. Des patrouilles ont déjà été poussées jusqu'au pont de la station de Richwiller ; il est intact : les chars pourront passer la voie ferrée qui suit un profond déblai, aux pentes abruptes. Tout est prêt, lorsque survient, l'ordre de l'Etat-Major de la 9ème D.I.C. prescrivant au Groupement de démarrer si possible entre 13 et 14 heures, pour tendre la main à la 2ème D.I.M. qui est en train de nettoyer les cités Else et Graffenwald et la Mine de Potasse. Le Colonel a fixé à 13 heures 30, l'heure H.
Petit retard pourtant : une demi-heure supplémentaire est nécessaire aux Zouaves, pour parfaire leur mise en place.
L'attaque part à 14 heures, précédée par une violente préparation d'artillerie. Elle progresse rapidement. La station Richwiller est atteinte, à 14 heures 30, par les Sherman et le Bataillon de choc. Un quart d'heure plus tard, le puits Max est entre nos mains ; le Bataillon de choc en entreprend aussitôt le nettoyage.
" Les dernières résistances sont en voie de liquidation" signalent à 14 heures 56, les Zouaves.
Tandis que le Bataillon Quinche réalise l'occupation des deux premiers objectifs, le Commandant Vallin monte la nouvelle opération sur la cité Amélie II, que le Colonel l'a chargé de conquérir avec la Compagnie Tardy, appuyée par les pelotons Avenati et Latour.
A 16 heures, la voix est de nouveau au canon ; le détachement Vallin débouche à 16 heures 10.
L'action se poursuit toujours aussi rapide.
"Mon premier enfant vient d'aborder O3", signale, à 16 heures 40, le Capitaine de Boisredon.
Les voix des chefs de char couvrent immédiatement la sienne :
"Prends la cité dans le sens de la longueur. "
"On agite un drapeau blanc dans une maison."
"Compris. On s'en occupe..."
"Allez jusqu'à la gare..."
"Ste-Odile", passez à gauche!..."
Tout est terminé à 17 heures.
Pendant ce temps. Coloniaux, Chasseurs d'Afrique et Cuirassiers, sont en train de parfaire notre victoire de MeyersHof, purgeant la position des éléments boches, qui s'y sont trouvés bloqués, après l'échec de leur contre-attaque.
Camouflée aux vues des observatoires ennemis par des tirs fumigènes, l'opération commence à 16 heures 15. Partant de la gauche vers la droite, nos fantassins, appuyés parles chars et les T.D., progressent méthodiquement, ratissant soigneusement le terrain. Le Sous-Lieutenant Gérard précède son peloton à pied.
Le 2ème Bataillon du 23ème R.I.C. est chargé de la conquête de la cité Anna, le 1er Bataillon du 6ème R.I.C. devra le dépasser, continuant vers la cité Kullmann. Ce sont des unités jeunes ardentes, comme toutes celles de la 9ème D.I.C. : les Cuirassiers ont appris à estimer leurs camarades Coloniaux, dont ils admirent la bravoure, la fougue et la science manœuvrière.
Tout a été mis en œuvre pour assurer le succès de l'opération : préparation d'artillerie quarante minutes, mise en place nocturne de l'Infanterie, mouvement des chars au tout dernier moment. La tâche n'en demeure pas moins rude, d'autant plus qu'aucune reconnaissance de terrain a pu être faite par les Capitaines Commandants, en raison de l'arrivée tardive des ordres, aux sablières de cette vaste plaine que recouvrent soixante centimètres de neige !
6 heures 40. La préparation d'artillerie commence : quatre groupes de 105 et deux groupes de 155 submergent de quelques quatre mille obus les défenses ennemies.
Le 2ème Escadron se met lentement en branle vers la base de départ, qui, à 500 mètres de l'objectif, longe, à droite de la route de Bourtzwiller à la cité Anna, le chemin de MeyersHof à Kingersheim. Plus que deux pelotons aujourd'hui à l'Escadron Bérard, par suite des pertes des jours précédents ; l'un d'eux est commandé parle Sous-Lieutenant Bourlon, l'autre, formé des restes des pelotons Douçot et Formell, par l'Aspirant Douçot. Le 4ème Escadron attaquera avec des effectifs encore plus réduits : le Capitaine d'Annam n'a derrière lui que les trois chars du peloton Duwatre le "Tarbes", le "Tonnerre II" et le "Toulon" qui, réparé, reprend sa place dans la bataille, et deux chars du peloton Giraud, le "Verdun", réparé lui aussi et le "Vaucouleurs".
Le 2ème Bataillon du 23ème R.I.C. est déjà en place, deux Compagnies en premier échelon, une en deuxième. Le Sous-Lieutenant Bourlon appuiera la Compagnie de droite, l'Aspirant Douçot celle de gauche, le 4ème Escadron, débouchera ultérieurement avec la Compagnie de deuxième échelon.
7 heures 10. Plus que dix minutes avant l'heure H... La préparation d'artillerie se termine, ce sont maintenant des obus fumigènes qui voilent l'objectif, puis dressent un mur opaque, à droite pour cacher notre flanc. Les chars se déploient...
Encore cinq minutes... Les Coloniaux se lèvent et se portent en avant pour serrer au plus près des tirs d'artillerie...
7 heures 20... A Dieu va ! Les pelotons Bourlon et Douçot démarrent...
Début de progression facile : l'ennemi, sans doute assommé par nos tirs d'artillerie, réagit peu.
Puis, peu à peu, l'Infanterie ralentit, s'arrête : les armes automatiques allemandes sont entrées en action, l'une après l'autre, les minen tombent de plus en plus dru...
Les Sherman passent aussitôt en tête : à eux la destruction méthodique, à coups de canon des nids de résistance, que leur signaleront les fantassins.
8 heures 30. Le 4ème R.T.M. débouche, lui aussi, de la cité Amélie II, après une préparation d'artillerie de vingt minutes. Son premier objectif est le puits Amélie I, la cité Amélie I, le deuxième.
Le peloton Latour appuie les Tirailleurs.
Il y a une certaine contradiction entre les différents ordres reçus par le Groupement Durosoy et l'Etat-Major de la 9ème D.I.C. a précisé que le Groupement doit être remis à la disposition de cette grande unité, dès l'enlèvement du puits Amélie I, l'Etat-Major de la 2ème D.I.M. a prévu, par contre que nos chars appuieraient l'Infanterie jusqu'à la cité Amélie I, et même jusqu'à Wittelshein (Ordre de l'Etat-Major de l'Infanterie divisionnaire de la 2ème D.I.M). Que faire ? La décision du Colonel est prise : il restera avec le 4ème R.T.M., même s'il outrepasse sa mission, tant qu'il n'aura pas été relevé par un autre Groupement blindé.
9 heures. Les Sherman du 2ème Escadron ont ouvert la voie aux Coloniaux... A droite, une section d'Infanterie a bondi, atteignant d'un seul élan les premières maisons delà cité Anna... Le "Duguay-Trouin" la suit, puis c'est le "Desaix", le "Duquesne", le "Dupleix", le "Davout", avec le reste de la Compagnie d'Infanterie...
C'est aussitôt le combat de rue, ce corps à corps farouche, où les coups sont assénés à bout portant... snipers qui tirent aussi bien des caves que des greniers... mitrailleuses embusquées dans les maisons... grenades à main... bazookas... sans compter les obus de 88 qui visent les chars et les minen qui fauchent tout ce qui n'est pas blindé...
Le peloton Bourlon et les Coloniaux élargissent pourtant lentement la brèche, avançant de maison en maison.
La Compagnie d'Infanterie de gauche et le peloton Douçot ont pris pied dans la cité, eux aussi, tandis que le 4ème Escadron a démarré de la base de départ avec la troisième Compagnie.
9 heures 30. La résistance ennemie faiblit sous les coups de boutoir de nos Sherman, qui s'enfoncent de plus en plus profondément dans la cité. Tout à coup, devant le " Desaix", loin, au bout d'une rue, deux automitrailleuses et une voiture légère en fuite : une des A.M., aussitôt touchée, se renverse et brûle, la voiture légère, atteinte elle aussi, s'arrête... des silhouettes s'en échappent, plongeant dans le fossé...
Le peloton Bourlon continue, appuyant à droite vers les lisières Est de la cité, tandis que le peloton Douçot progresse vers la cité Fernand. L'Escadron d'Annam est là lui-aussi ; parvenu rapidement jusqu'à la voie ferrée, qui traverse d'Ouest en Est la localité en son milieu, il s'est placé face à gauche, pour attaquer en direction du puits Anna.
Pendant ce temps, le 4ème R.T.M., appuyé par le peloton Latour, a abordé le puits Amélie I :
Le nettoyage de l'objectif est en cours, opération lente et difficile dans ce lacis de bâtiments surplombés de hauts "crassiers". Des prisonniers ont été faits par le peloton Latour.
11 heures. Le peloton Bourlon a atteint les lisières Est et Nord-Est de la cité Anna, son objectif ; le peloton Douçot a commencé le nettoyage de la cité Fernand ; le 4ème Escadron progresse méthodiquement au milieu des bâtiments du puits Anna : son action est malaisée dans cette partie toisée de la position, que l'ennemi a organisée avec soin ; deux canons de 75 PAK sont détruits par nos chars.
12 heures 30. Des obus, soudain, autour du "Davout" et du "Desaix"... Alerte ! Cinq gros chars ennemis ont pu approcher, sans être vus, du dernier mouvement de terrain précédant la cité Anna, surgissant devant le peloton Bourlon... Des vagues d'Infanterie progressent derrière eux...
Les Sherman tirent furieusement... Barrage d'artillerie... Riposte aussi des Coloniaux, dont les mitrailleuses sont entrées en action, fauchant les silhouettes qui bondissent... L'ennemi hésite, s'arrête... Brusquement, coup au but du "Duquesne", dont un obus explosif coupe la chenille de ce qu'on croit être un Tiger. C'est le reflux... Les T.D. tentent d'achever le char blessé, mais son blindage résiste. Un autre Tiger le prend en remorque, l'entraînant à l'abri de la crête.
Contre-attaque aussi à la même heure, au puits Amélie I : tout un Bataillon, appuyé par trois Jagdpanther, vient de déboucher de la cité Amélie I. L'ennemi avance malgré nos tirs d'artillerie. Ses chars pénètrent dans l'enceinte du puits, tandis que son Infanterie s'infiltre, parmi les bâtiments, venant renforcer les éléments allemands, qui n'ont pas encore pu être éliminés.
Prenant à ses ordres le peloton Latour et le peloton de T.D. Feller, le Capitaine de Boisredon manœuvre : affronter de face les Jagdpanther serait un véritable suicide, telle et la disproportion l'épaisseur de blindage et de puissance de canon de nos Sherman et des engins ennemis : il faut le débusquer, attendre patiemment, puis tirer à bout portant.
14 heures. Impossible de repérer les Jagdpanther. Les Tirailleurs prétendent pourtant qu'ils sont toujours dans l'enceinte du puits ... Nouvelle manœuvre du Capitaine de Boisredon ; les chars gagnent la lisière Nord-Ouest de la cité Amélie II, d'où ils voient tout le terrain de combat tandis que le peloton Latour progresse le long de la lisière des bois, qui contourne la droite du puits Amélie I.
Ce mouvement est sans doute décelé par les engins ennemis, car nos Tirailleurs signalent leur mouvement avant qu'il soit achevé. Simultanément, deuxième contre-attaque à la cité Anna : cinq chars, dont trois Sherman (quelle surprise) accompagnés d'automitrailleuses, apparaissent à la crête. Mais notre dispositif été renforcé, à la demande du Capitaine Bérard, par un peloton de T.D. venu se joindre au peloton Bourlon. Trois automitrailleuses sont touchées, l'une d'entre elles brûle... Un des Sherman ennemis est immobilisé... Les autres engins se replient, réussissant, une fois de plus, à prendre en remorque le char touché.
15 heures. La cité et le puits Anna sont définitivement nettoyés : la plus grande partie du premier objectif est donc à nous, sauf la cité Fernand, où l'Allemand s'accroche toujours désespérément.
Des pertes au peloton Douçot : un char brûlé, le "Joffre" qu'un bazooka a touché par derrière, deux blessés, l'Aspirant Douçot, lui-même, et le Brigadier-Chef Rinjonneau ; les quatre Sherman poursuivent le difficile nettoyage, progressant de maison en maison.
Le Commandant Doré avait initialement prévu que ce serait le 2ème Escadron qui continuerait vers la cité Kullmann avec le 6ème R.I.C., après la liquidation de la cité Anna, mais le 2ème Escadron est toujours dépensé : impossible de compter sur le peloton Douçot engagé, quant au peloton Bourlon, il faut qu'il reste en garde, face au Nord-Est, prêt à faire front aux contre-attaques toujours possibles. La cessation de toute résistance au puits Anna, permet, par contre, de récupérer l'Escadron d'Annam.
Rappelés par radio, les chars du Capitaine d'Annam se portent aussitôt vers les lisières de la cité, à travers un véritable enfer de feu, car l'artillerie et les Nebelwerfer allemands s'acharnent plus que jamais sur la proie qui leur échappe... Un obus de 88, tout à coup, sur le "Tonnerre", le Sherman est en flammes...
- "Voulez-vous dire si les hommes sont sortis ?"
- "Oui, légèrement blessés, mais pas grave..." répond la radio.
15 heures 40. Une troisième contre-attaque ennemie est déclenchée... Deux chars, suivis de multiples silhouettes apparaissent au plein Nord, à 1800 mètres du peloton Bourlon. Deux obus perforants de nos Sherman atteignent les engins ennemis, qui s'arrêtent... Aucun dommage hélas car ils ouvrent le feu... Mais ils n'ont pas pu repérer nos chars : leurs projectiles tombent au hasard. Echange de coups... Un obus, tout près du "Duguay-Trouin"... Un autre qui frôle presque "Duquesne"... Puis un mur de feu et de fumée, se dressant devant les vagues d'assaut ennemies, notre Artillerie est entrée en action... Tir d'une précision remarquable qu'on croirait posé à la main. Les chars ennemis reculent, l'Infanterie reflue... Une nouvelle contre attaque a été repoussée...
16 heures. L'Escadron d'Annam a débouché avec le 6ème R.I.C.... L'attaque de la cité Kullman est partie...
C'est de nouveau la progression pied à pied... de nouveau la lutte farouche contre un ennemi embusqué qui ne tire qu'à coup sûr... de nouveau une mer d'obus et de minen... La bataille se poursuit.
17 heures. Le puits Amélie I est enfin définitivement entre nos mains. Il a fallu toute la journée de combat pour le conquérir... Les nombreux prisonniers, qui ont été capturés, avouent les grosses pertes subies par leurs unités : un Bataillon entier a été anéanti..
Le Groupement Durosoy a donc rempli la mission en vue de laquelle il a été détaché auprès de la 2ème D.I.M. : la 9ème D.I.C. le réclame... Mais comment laisser les Tirailleurs qui ont besoin des chars pour défendre l'objectif conquis ? Le Colonel décide que le Groupement attendra les unités du C.C.2 qui sont annoncées.
17 heures 30. Les chars de l'Escadron d'Annam arrivent au puits Ouest et Est ; ils ont brisé toutes les résistances adverses, détruisant un Jagdpanther, et sont prêts à repartir en avant, mais la nuit tombe, cette nuit qui sera venue tant de fois, à l'aide de l'ennemi... L'ordre est d'arrêter l'attaque ; le nettoyage de la cité Fernand, qui n'a pu être achevé, devra être suspendu aussi. Tant pis ! Il est vrai que nos unités ont besoin de souffler après cette longue journée de lutte.
Un dernier incident pourtant à la cité Anna : une patrouille allemande qui s'est infiltrée à la faveur de l'obscurité, a installé une mitrailleuse au sommet du crassier, prenant d'enfilade les chars du peloton Bourlon. Tentative désespérée, car il suffit de quelques coups de canon pour la réduire au silence. Des Coloniaux blessés gisent cependant sur le sol ; blessé aussi, le Maréchal-des-Logis Bonneterre, surpris par une rafale à la tourelle de son char.
20 heures. Le 4ème Escadron est de retour à Pfastatt, le 2ème à Bourtzwiller. Seul, le Groupement Durosoy reste au puits Amélie I, en attendant l'arrivée des unités chargées de le relever. Il a pourtant ordre de la 2ème D.I.M. elle-même, de ne pas attendre cette relève. Les unités ne seront regroupées à Pfastatt que dans le courant de la nuit.
Aucune opération d'envergure n'est prévue pour le vendredi, 26 Janvier : l'ordre est de maintenir le terrain conquis et de préparer la reprise du mouvement en avant. Donc, journée de repos pour le 2ème Cuirassiers, un repos qui sera également utilisé en vue de la révision et de l'entretien du matériel, qui commence à donner de sérieux signes de fatigue.
Seul, le 2ème Escadron a reçu la mission de se porter dès 7 heures, à la cité Anna, où il devra se mettre à la disposition du Lieutenant-Colonel Dessert, commandant le 6ème R.I.C. Ce mouvement se révèle toutefois impossible, par suite d'une violente tempête de neige, qui a fait rage à partir de quatre heures du matin. Le Capitaine Bérard se rend donc seul à la cité Anna, où il se met en liaison radio avec son Escadron, de façon à être en mesure d'essayer de le faire rejoindre si sa présence se révélait absolument indispensable.
La tempête de neige s'étant calmée vers midi, le Lieutenant-Colonel Dessert fait appel au Capitaine Bérard, lui demandant un peloton pour achever le nettoyage de la cité Fernand. Le Maréchal-des-Logis-Chef Bourassin, chargé de cette opération, part aussitôt de Bourtzwiller avec le "Foch" et le "Joubert". Entrepris à 15 heures 45, le nettoyage se poursuivra jusqu'à la nuit, par suite de la résistance toujours aussi acharnée de l'ennemi, qu'il faudra déloger successivement de chaque maison de la cité.
Dans le courant de la soirée, un ordre préparatoire informe le Groupement Doré que, le lendemain, 27 Janvier, il sera mis à la disposition du 6ème R.I.C., chargé de l'attaque de la cité Kullmann, à partir du puits Ouest et Est conquis la veille.
A 21 heures, le temps s'est nettement amélioré : le ciel est découvert et la visibilité excellente grâce à la lune. Le Capitaine Bérard met immédiatement à profit ces circonstances favorables pour conduire ses chefs de peloton reconnaître leurs positions de départ au puits Ouest et Est. Tendu de toutes ses forces vers la bataille, il n'aurait pas agi autrement s'il avait su que cette belle soirée de Janvier devait être la dernière de sa vie.
La troisième Attaque de la Cité Kullmann
(27 Janvier 1945)
"C'est donc bien entendu : Bourassin démarre, tout de suite après les tirs d'artillerie, avec une première Compagnie et s'empare de la filature. Ceci fait, Bourlon progresse à son tour, avec une autre Compagnie, dépasse la filature, continue jusqu'au cimetière, et s'installe au carrefour, face à Wittenheim, pour isoler définitivement la cité. Une troisième Compagnie, que Bourassin appuiera, nettoiera alors tout l'objectif, prenant à revers les boches qui en défendent les lisières
Sud face à Kingersheim. Notre mission sera alors terminée, car c'est le 4ème Escadron qui continuera avec un autre Bataillon, sur Wittenheim".
Le Sous-Lieutenant Bourlon et le Maréchal-des-Logis-Chef Bourassin, les deux derniers chefs de peloton du 2ème Escadron, écoutent attentivement leur chef, le Capitaine Bérard. Ils ont soigneusement reconnu le chemin qu'ils devront suivre pour gagner le puits Ouest et Est, vers lequel ils auront à conduire tout à l'heure leurs chars. Leur regard a scruté le tapis de neige, qui scintille sous la caresse blafarde de la lune ; dans le lointain, à quelques trois cents mètres, c'est la filature, qui borde les lisières Ouest de la cité Kullmann ; l'ennemi est tout proche... la nuit est pourtant calme...
Quelques coups de feu isolés seulement... puis une rafale d'arme automatique... des obus aussi, naturellement et des minen, mais qui arrivent nonchalants, comme à regret... Rien de ce déchaînement furieux des heures de crise...
La cité Kullmann ? Elle est semblable à ses sœurs avec ses petites maisons entourées de jardins, alignées de part et d'autre de la route toute droite de Kingersheim à Wittenheim. Un bloc massif de bâtiments, faisant face à la cité Anna, tel le donjon d'un château fort ; la filature...
La cité Kullmann ? L'Escadron Bérard l'a déjà attaquée, le 23 Janvier, mais du Sud au Nord en partant de Kingersheim : deux chars ont été brûlés et quatre endommagés sans que la résistance ennemie ait pu être entamée.
Une nouvelle attaque déclenchée l'avant-veille d'Ouest en Est, à partir de la cité Anna à peine conquise, a porté l'Escadron d'Annam jusqu'au puits situé entre les deux cités. Elle aurait pu être plus fructueuse, car l'Allemand était certainement moins prêt à faire face dans cette direction, s'il n'avait pas fallu stopper à cause de la nuit.
L'Escadron Bérard n'aura plus demain le bénéfice de la surprise : cette troisième attaque sera, encore plus que les autres, une action de force, une lutte à mort contre un ennemi particulièrement bien armé pour défendre une position qu'il a décidé de conserver à tout prix.
4 heures. Le ciel s'est progressivement couvert ; la neige a apparu de nouveau en de légers flocons. De retour à Bourtzwiller, le Capitaine Bérard passe une dernière inspection de son Escadron ; plus que huit Sherman aujourd'hui, le "Duguesclin", son char, trois au peloton Bourassin, le "Foch", le "Joubert" et le "Turenne", char de commandement détaché en renfort de l'Etat-Major du Colonel, quatre au peloton Bourlon, le "Duguay-Trouin", le "Davout", le "Duquesne" et le "Dupleix"... L'Escadron a déjà payé un lourd tribut, et la bataille n'est pas terminée....
Dernières recommandations aux équipages : mouvement à l'allure normale, jusqu'à la cité Anna, où un court arrêt sera marqué ; silence complet à partir de ce moment ; les moteurs des chars, eux-mêmes, devront tourner à l'extrême ralenti, sur tout le chemin conduisant vers le puits Ouest et Est, base de départ de l'attaque ; il n'y a pas lieu de se presser, l'heure H n'étant fixée qu'à 7 heures 45 ; l'essentiel est de ne pas donner l'alerte à l'ennemi aux aguets...
6 heures. La mise en place de l'Escadron Bérard est terminée ; les Sherman sont face à l'ennemi; autour d'eux, des ombres silencieuses: les Coloniaux du 1er Bataillon du 6ème R.I.C., qui attaqueront avec eux... Encore une heure avant la préparation d'artillerie, une heure et demie avant l'attaque... Comme le temps semble long ! D'autant plus qu'il fait froid et qu'il neige de plus en plus fort... Il avait été initialement prévu que l'attaque serait remise, si les conditions atmosphériques étaient défavorables, mais le contre-ordre devait être donné à 6 heures : il ne viendra plus... L'Escadron d'Annam a sans doute démarré, lui-aussi, de Pfastatt vers la cité Anna ; lui-aussi n'est plus qu'une ombre d'Escadron : huit chars, dont deux au peloton Giraud, deux au peloton Duwez, trois au peloton Gérard...
7 heures 5. Une salve de coups de canon, puis quelques secondes après, une deuxième, puis un roulement ininterrompu : la préparation d'artillerie est commencée. Les batteries ennemies ripostent presque immédiatement ; bientôt on ne distingue plus les arrivées des départs. En face, une épaisse fumée voile l'objectif... Quel réveil pour l'ennemi ! Il ne sera pas pourtant commode d'attaquer avec cette neige, dont les flocons deviennent de plus en plus épais...
7 heures 35. Les Coloniaux bondissent en avant... Le "Foch", le "Joubert" et le "Turenne" démarrent... C'est aussitôt l'enfer... Trois cents mètres seulement séparent la filature de la cité Kullmann, de la base de départ, mais ce sont trois cents mètres d'un terrain complètement découvert, que de multiples armes automatiques, aussitôt entrées en action, toutes à la fois, balaient impitoyablement ; les Coloniaux sont fauchés par grappes : en quelques instants la neige est jonchée de morts et de blessés... les survivants avancent sans un regard vers l'arrière, sans tenir compte de leurs rangs de plus en plus clairsemés... nos Sherman progressent avec eux... Un dernier bond et la filature est atteinte...
" Mon premier "bidule" est arrivé aux maisons d'en face", signale à 7 heures 46, le Capitaine Bérard.
Notre attaque a pris pied dans l'objectif, mais combien sont ceux qui ont réussi à franchir les trois cents mètres de glacis ?...
Le combat s'engage aussitôt dans les bâtiments de l'usine, un combat disproportionné, car nous n'y avons qu'une poignée d'hommes et trois chars. Deux minutes à peine et le "Foch" est touché par deux coups de Panzerfaust et prend feu... Les cinq hommes de l'équipage sont, tous, blessés : le chef de char, le Maréchal-des-Logis-Chef Bonnet, a reçu plusieurs éclats dans la cuisse et est brûlé au visage, les autres, les Cuirassiers Abt, tireur, Louazani, conducteur, du Passage, aide-conducteur, et Diano chargeur, sont atteints plus légèrement par des éclats. Ils réussissent à sortir du char, mais impossible de regagner nos lignes : le Maréchal-des-Logis-Chef Bonnet restera plus de six heures dans la neige, avant de pouvoir être transporté vers un poste de secours.
Le "Turenne" et le "Joubert" luttent désespérément pour appuyer les Coloniaux dont la situation devient de plus en plus critique ; on ne passe plus sur le glacis : de nouveaux corps tombent à chaque tentative de notre Infanterie de se porter en avant pour y rejoindre ceux qui ont passé.
Le Capitaine Bérard se dépense sans compter ; il a demandé de nouveaux tirs d'artillerie sur les lisières de la cité, mais ces tirs n'ont pas réussi à réduire au silence les mitrailleuses allemandes...
Si, au moins, il lui avait été possible de déterminer d'une façon précise leurs emplacements, les Sherman du peloton Bourlon se chargeraient de les détruire... Et "Suzanne", le peloton Bourassin, qui ne répond même plus à la radio !... Il se porte en avant, vers la filature, et, sans se soucier des snipers, observe à la tourelle, fouillant intensément du regard les fenêtres des bâtiments qu'il soupçonne d'abriter les armes automatiques trop bien cachées...
Tout à coup, un claquement sec... Le capitaine Bérard s'affaisse, touché d'une balle en pleine tête... II est huit heures trente...
- "Isidore en personne est blessé", dit la radio...
C'est aussitôt des questions de toute part, car tout le 2ème Cuirassiers suit l'attaque de l'escadron Bérard :
- " Qu'est-il arrivé à Isidore ?"...
- " S'agit-il bien d'Isidore, lui-même ?..."
- "Isidore est-il blessé gravement ?..."
La réponse vient, implacable :
- " Oui ! c'est grave... " ,
- " Isidore est mort..."
Tandis que le Sous-Lieutenant Bourlon prend le Commandement de l'Escadron, et que Lieutenant Laporte se hâte vers le P.C. du Commandant Doré, abandonnant les Sherman endommagés, dont il poussait la remise en état à Bourtzwiller, le "Duguesclin", porteur du corps Capitaine Bérard, arrive à la cité Anna. On pourrait croire que l'ennemi s'acharne sur sa victime car trois obus explosifs de 88 encadrent le "Duguesclin", au moment précis où les hommes d'équipage du char, consternés, sortent de la tourelle la dépouille mortelle du chef qu'ils avaient respecté et aimé...
8 heures 50. Dans la filature où le combat se poursuit, une nouvelle menace a surgi, celui d'une contre-attaque de chars :
- "On me signale un gros bidule boche à la corne Nord-Ouest de la filature..."
Puis :
- " Erreur, c'est au Sud de la filature, entre l'usine et la filature..."
- " S 1, surveillez bien votre gauche..."
En présence de cette lutte de plus en plus inégale, et en raison des pertes de notre Infanterie qui sont très élevées, le Commandement donne l'ordre à tous les éléments engagés de revenir sur la base de départ, en attendant qu'une nouvelle action soit montée.
- "Tous mes "bidules" sont rentrés, sauf celui qui a brûlé", rend compte à 9 heures le Sous-Lieutenant Bourlon.
Du puits Ouest et Est, les Sherman continuent à pilonner les défenses ennemies :
- L'Infanterie signale une résistance au 1er étage de l'usine... Pouvez-vous tirer ?..."
L'Allemand ne les épargne pas lui non plus :
- " J'ai un char qui a été tiré par un gros "bidule" qui l'a heureusement manqué..."
11 heures 45. Il neige toujours... Il neige de plus en plus fort. Les trois chars du peloton Bourlon ont démarré...
- "Je suis très embêté avec la neige..." se plaint le Sous-Lieutenant Bourlon. Mais l'ennemi est au moins aussi gêné que nous ; plusieurs obus perforants, venant de Witteheim, passent tout près des Sherman sans les toucher...
Rafales aveuglantes de neige... mur d'obus surgissant à chaque instant de tous côtés, crépitement de mitrailleuses... sinistres lueurs, auxquelles il faut répondre immédiatement sous peine de mourir... des corps qui se dressent, puis retombent aux côtés de ceux déjà recouverts d'un épais linceul blanc...
- "Nous recevons une dégelée de minen..."
- " C'est un véritable tir de barrage !..."
- "Beaucoup de morts et de blessés autour de nous..."
- "Rien de nouveau, les fantassins progressent toujours..."
Car les Coloniaux avancent dans cette fournaise,.. Ils avancent lentement, mais rien ne peut briser leur élan...
Notre attaque progresse également au Sud.
12 heures. Le peloton Bourlon approche du cimetière situé au carrefour Nord de la cité Kullmann. Les Sherman broient impitoyablement la résistance farouche de l'ennemi, auquel s'allient les éléments déchaînés : ils sauront venger leur chef...
- "Arrosez le carrefour au canon et à la mitrailleuse !"
- "Attention ! les fantassins arrivent au cimetière..."
- "Je suis parvenu à la dernière maison..."
- " Tirez sur le carrefour à droite du cimetière !... N'y allez pas, il doit être miné..."
- " On tire sur une maison à 300 mètres avant le cimetière: il semble que ce sont des mortiers...
Attention que ce ne soient pas ceux des Coloniaux : la maison est à nous..."
- " Les fantassins ont fait treize nouveaux prisonniers, mais leur Officier, le Lieutenant Roblet, a les deux jambes coupées..."
- " Un char ou une A.M. à l'angle du cimetière... je lui tire dessus..."
- " On vient de me tirer juste en face... C'est tombé dans la maison à deux mètres de moi... "
Puis de nouveau :
- "Un mortier m'est tombé dessus sans dégâts..."
10 heures 55. Une nouvelle voix retentit, s'adressant au 2ème Escadron :
- "Ici Isidore! Je prends le commandement. J'arrive vers vous..."
C'est le Lieutenant Laporte : il est monté dans le "Duguesclin", encore tout couvert du sang du Capitaine Bérard ; il se hâte vers le lieu du combat...
"Isidore", jamais ce prénom n'a paru ridicule au 2ème Cuirassiers...
11 heures. Du puits Ouest et Est à la cité Anna tout n'est qu'un vaste éclatement...
Des coups encadrent l'Escadron d'Annam, toujours en réserve... Un nouveau corps étendu, inerte, sur la neige : c'est le Maréchal-des-Logis Glineur... pauvre Glineur... Qui ne le connaissait, qui ne l'estimait ? Il y a huit jours à peine, au moment du passage de la Doller, il avait bondi, au mépris des minen, pour ramasser un Officier Colonial blessé, suscitant l'admiration de tous...
Au puits Ouest et Est, le 2ème Escadron est pris à partie encore plus violemment. A 11h30, le "Duguay-Trouin" reçoit, coup sur coup, trois obus de 88 explosifs, qui blessent son conducteur, le Cuirassier Flours : son canon est hors de service, le volet du conducteur est coincé : il faut évacuer le char... Puis c'est le tour du "Joubert", dont le canon est aussi détérioré et la tourelle coincée...
Quelques instants et le "Turenne" est, lui aussi, endommagé...
Il ne reste plus que quatre chars au 2ème Escadron, le "Davout", le "Dupleix" et le "Duquesne" du peloton Bourlon, et le char de commandement "Duguesclin"... plus que quatre chars pour participer à la nouvelle attaque qui va déboucher...
Deux actions convergeront, cette fois, vers la cité Kullmann : l'une d'entre elles, dirigée contre ses lisières Nord, n'est que la reprise de celle de ce matin ; l'autre doit être entreprise par un Bataillon débouchant de Kingersheim vers ses lisières Sud.
A 14 heures, le peloton Bourlon occupe les lisières Nord de la cité, dont le nettoyage se poursuit :
- " N'allez pas au carrefour ! Rangez-vous face au Nord ! Restez où vous êtes pour appuyer les fantassins !"
- " Suivez derrière les fantassins qui pénètrent dans le groupe de maisons..."
- " Des Fritz en fuite, entre la lisière et le carrefour ! Tirez ! "
De son côté, le Lieutenant Laporte a pris l'initiative audacieuse de se porter, avec son seul char "Duguesclin", vers la partie Sud de la filature en voie de nettoyage, elle aussi. Il la dépasse en combattant, et atteint le carrefour Sud de la cité, où il se joint aux Coloniaux du Bataillon venu de Kingersheim, tout en continuant à suivre à la radio l'attaque du peloton Bourlon.
On se bat ainsi, toujours avec le même acharnement, aux deux extrémités de l'objectif.
16 heures. D'accord avec le Lieutenant-Colonel Dessert, commandant le 6ème R.I.C., le Commandant Doré engage l'Escadron d'Annam, qui reçoit la mission de prendre, à son compte, le nettoyage par le Sud, de la cité Kullmann, auquel avait spontanément participé jusque là le seul char "Duguesclin ".
Le peloton Duwez passe, en tête, au puits Ouest et Est, contourne la partie Sud de l'usine, et débouche au carrefour de la route de Kingersheim. A peine s'y est-il engagé que le "Tarbes" saute sur une mine... Un char de moins au 4ème Escadron.
16 heures 15. Le Lieutenant Laporte, qui a passé la main aux Sherman du Capitaine d'Annam, a rejoint le peloton Bourlon, au Nord de la cité. Les quatre chars du 2ème Escadron sont désormais réunis. Il y a un moment d'émotion, dû à l'embrayage du "Davout", char du Sous-Lieutenant Bourlon, qui se refuse brusquement à fonctionner : tout rentre heureusement dans l'ordre.
16 heures 30. Les Coloniaux ont traversé la route de Wittenheim à la cité Kullmann, pour entreprendre le nettoyage de la partie Nord-Est de l'objectif... Les Sherman veulent les suivre, mais sont immédiatement tirés par des engins embossés aux lisières de Wittenheim... Impossible de passer, car la route est prise d'enfilade : les obus sifflent dès qu'un char se montre... Continuer serait courir à une destruction certaine... Le Lieutenant Laporte poursuit pourtant ses vaines tentatives, jusqu'au moment où, à 16 heures 57, un message radio du Capitaine d'Annam, plus heureux au Sud, lui apprend que nos fantassins ne sont plus seuls :
- "Nous avons traversé ce que nous devions... Nous sommes à la corne Nord-Est..."
17 heures. Toute la partie de la cité Kullmann à gauche de la route est définitivement à nous. Les quatre chars du 2ème Escadron sont postés face à Wittenheim prêts à riposter à toute tentative de contre-attaque.
A droite l'Escadron d'Annam se bat encore, mais, si la tempête de neige ne connaît pas d'accalmie, la résistance allemande est moins vigoureuse : on sent la fin...
19 heures. La bataille est terminée : l'Infanterie tient solidement tout l'objectif conquis et nettoyé. Les Sherman peuvent regagner les cantonnements qu'ils ont quittés ce matin.
Quinze heures de combat en chars, quinze heures de corps à corps par un froid intense et au milieu d'une tempête, de neige, d'une violence encore inégalée... Un char brûlé et trois endommagés sur huit engagés... le 2ème Escadron, qui pleure son chef, le Capitaine Bérard, aura certainement vécu sa plus dure journée depuis le gai matin du débarquement.
Toujours de durs Combats après de courts Repos...
(28 Janvier - 2 Février 1945)
Dimanche, 28 Janvier. Plus que vingt-huit chars moyens au 2ème Cuirassiers en ce neuvième jour de l'offensive, et encore faut-il comprendre dans ce nombre les trois chars de commandement de l'Etat-Major du Colonel... C'est le 3ème Escadron qui est le mieux partagé avec douze chars, après lui le 4ème avec huit, le 2ème, le plus gravement touché, n'en a plus que cinq... L'atelier régimentaire des dépannages des Escadrons travaillent pourtant nuit et jour, soudant les blindages percés à coups de bazooka, remettant en état les trains de roulement endommagés par les mines, décoinçant les tourelles immobilisées par les obus, révisant les moteurs de plus en plus fatigués ; ils ne sont pas en mesure hélas ! de redonner la vie aux carcasses brûlées, qui jalonnent notre marche en avant...
Des vides irréparables aussi parmi les équipages : la liste des morts et des blessés s'allonge tous les jours... Il faut pourtant mener à bonne fin cette bataille d'usure ; il faut se montrer plus tenace que l'Allemand, dont la capacité de résistance ne peut pas être illimitée... N'a-t-il pas perdu des bataillons entiers à chacune de ses contre-attaques ? N'a-t-il pas déjà laissé sur le terrain, incendiés trois Sherman, trois Jagdpanther, quatre PzKw 4, quatre autos-mitrailleuses et trois voitures blindes, sans compter tous les engins gravement endommagés qu'il a réussi à évacuer ? Et les centaines de prisonniers que les Cuirassiers ont capturés en liaison avec les Coloniaux ? Il a réussi de-ci delà à reconstituer son dispositif ébranlé par chacune de nos attaques, mais en aura-t-il encore le temps les moyens ?
Le 2ème Cuirassiers n'est pas engagé le 28 Janvier ; un ordre de l'Etat-Major du C.C.1. lui a prescrit de porter les 2ème et 4ème Escadrons au Sud de la Doller, à Dornach, pour permettre aux équipages de se reposer, et surtout pour faciliter la remise en état des chars. Le 3ème Escadron reste seul à Pfastatt, où est demeuré le P.C. du Colonel.
Ce demi-repos permet au personnel disponible d'assister aux obsèques du Capitaine Bérard et du Maréchal-des-Logis Glineur.
Le lendemain, 29 Janvier, tandis que le 2ème et le 4ème Escadrons, qui ont repris leur place dans les Groupements Durosoy et Doré, poursuivent activement, à Dornach, la révision de leur matériel et la reconstitution de leurs équipages, le Groupement Vallin reçoit l'ordre de mettre le 3ème Escadron à la disposition du Colonel commandant le 23ème R.I.C., chargé du nettoyage de la forêt de Nonnenbruch, au Nord-Ouest de la cité Anna.
Le Capitaine de Boisredon porte aussitôt son P.C. à la cité Anna, précédant les deux pelotons restés à ses ordres, après le départ du peloton Latour, qui a quitté son unité la veille au soir, pour être placé en réserve mobile de défense anti-chars, tout d'abord à la cité Anna, puis le 29 Janvier matin, à la cité Kullmann.
Reconnaissance rapide du terrain à nettoyer... L'opération prévue n'est pas facile : impossible aux Sherman de progresser à travers bois à cause de la densité des arbres ; ils devront se contenter des rares sentiers, qui ne peuvent pas ne pas les canaliser vers une défense anti-chars qu'il y a lieu de prévoir solide et cohérente, car l'ennemi tient toujours toute cette région boisée qui s'étend jusqu'aux lisières de Pulversheim et de la cité Rossallemand, bastions de sa nouvelle position de résistance ; littéralement infestée de mines de toute sorte, pratiquement impossibles à déceler sous un épais tapis de neige, la forêt est en outre particulièrement propice à l'emploi du bazooka, si largement répandu dans les unités ennemies.
Le 3ème peloton de l'Escadron de Boisredon, commandé par l'Adjudant Schmitt, démarre à 13 heures, avec une section d'Infanterie Coloniale.
C'est aussitôt une progression lente et ardue le long de l'étroite percée de la ligne de force que nos chars remontent en direction Nord-Est : difficultés de terrain, dues aussi bien à la neige qui fait patiner les chenilles, qu'à l'épais mur d'arbres, dont il faut savoir trouver les fissures, opposition farouche de l'Allemand qui utilise à fond les facilités de défense qui lui sont offertes par la forêt...
Touché par Panzerfaust, le "Poitiers II" brûle... des Coloniaux blessés gisent de plus en plus nombreux sur le sol... Mais d'autres chars, d'autres fantassins ont surgi... le combat continue...
C'est le "Perpignan" qui a pris, en tête, la place du "Poitiers II". Il faut bientôt le relever lui aussi, car ses armes, mises à rude épreuve depuis de longs jours, se refusent à fonctionner... Le "Péronne" se porte en avant... pas longtemps... il est transpercé à son tour par un bazooka qui blesse son conducteur, le Cuirassier Bogard...
Un char détruit, deux inutilisables... L'ennemi choisit ce moment pour contre-attaquer...
Des silhouettes se glissent entre les arbres... les rafales de mitraillette deviennent de plus en plus proches... Mais le boche ne passera pas... Nos Sherman survivants sauront l'arrêter...
Le peloton Avenati vient, à 17 heures 30, relever le peloton Schmitt qui rentre à la cité Anna.
C'est de nouveau la poussée lente mais obstinée... Des bazookas éclatent tout autour de nos chars, qui sont parfois manqués de très peu... Ils continuent, n'arrêtant qu'à la nuit... C'est alors, suprême vengeance de l'ennemi, un violent tir de mortiers qui tombe, précis, couvrant la ligne que nous avons atteinte... des morts, des blessés... Un éclat a atteint à la mâchoire le Lieutenant Avenati... Il conserve néanmoins le commandement de son peloton, malgré la gravité de sa blessure. Ce n'est qu'à la cité Anna, où il a reçu l'ordre de ramener ses chars qu'il consent à se laisser évacuer.
Un char brûlé, deux indisponibles, deux tués, le MaréchaI-des-Logis Vincent et le Cuirassier Frère, quatre blessés, les Cuirassiers Cuenca, Morales et Bogard et le Lieutenant Avenati, tel est le bilan de cette opération de nettoyage.
Pendant ce temps, tout le 2ème Cuirassiers se prépare à l'action d'envergure à laquelle il doit prendre part le lendemain 30 Janvier... Une note d'orientation du Général Sudre, commandant la 1ère D.B., lui a désigné l'objectif final qui devra être atteint dans les plus brefs délais, objectif lointain, que la lente progression de tous ces jours d'attaque fait paraître presque inaccessible : c'est Ensisheim, ce pivot de la défense ennemie, ce nœud routier qui commande les accès du pont de Chalampé, point de passage parfaitement masqué par l'écran de la forêt de la Harth, par lequel l'Allemand fait acheminer la majeure partie de ses ravitaillements et de ses renforts, point de passage qui sera son plus sûr, sinon son unique moyen d'évacuation, s'il est obliger d'abandonner la poche de Colmar.
" L'enjeu de cet effort décisif est Strasbourg et l'Alsace" a dit le Général Sudre...
Un ordre de l'Etat-Major du C.C.1. a fixé la mission des Groupements. Leur action, liée au succès de l'attaque menée sur Wittenheim, dans le courant de la matinée du 30, par le 3ème Bataillon du 6ème R.I.C. qu'appuiera le peloton Latour du 3ème Escadron, s'exercera sur l'axe cité Anna - Pulversheim.
Le Groupement Vallin avec le 3ème Escadron réduit à deux pelotons, et le peloton de chars légers Gouailhardou, se tiendra prêt, à partir de 7 heures 30, à déboucher de la cité Fernand, pour agir en direction de Schönensteinbach, en suivant les lisières Est de la forêt de Nonnenbruch pour éviter la route directe, minée et très enneigée.
Le Groupement Durosoy dont font toujours partie le 1er et le 4ème Escadrons, sera regroupé, pour 8 heures, à Pfastatt, de façon à pouvoir suivre le Groupement Vallin.
Le Groupement Doré restera momentanément en réserve à Bourtzwiller.
Veille d'armes aussi à la cité Kullmann, où les quatre chars du peloton Latour, l'"Orléans III", l'"Oran", l'"Ouessant" et le "Ste-Odile", attendent l'importante attaque sur Wittenheim, de l'issue de laquelle dépend l'opération du C.C.1.
C'est le 3ème Bataillon du 6ème R.I.C. qui est chargé de cette action. Une de ses Compagnies doit déboucher avant l'aube, vers la corne Sud-Ouest du village, s'emparer du premier pâté de maisons, puis progresser le long de la lisière Ouest de la localité. Une autre Compagnie, la 10ème, appuiera le Lieutenant de Latour, se placera pendant la nuit face aux lisières Sud-Est de l'objectif, fera irruption, dès les premières lueurs du jour dans les premières maisons de cette lisière, s'y accrochera coûte que coûte, puis progressera vers l'école et l'église ; les ayant atteintes, elle cherchera à opérer sa jonction avec la Compagnie qui aura pris pied au Sud-Ouest. Le Sud du village restant complètement déblayé, deux nouvelles Compagnies seront engagées, l'une en direction de la sortie Nord-Ouest, conduisant vers la cité Ste-Barbe, l'autre en direction du château.
La nuit du 29 au 30 Janvier est particulièrement dure ; le ciel complètement découvert, tout illuminé par un clair de lune magnifique, est celui des grands froids ; il gèle effectivement à pierre fendre ; le thermomètre descend à moins vingt-cinq...
Une dernière reconnaissance est entreprise par les fantassins, qu'accompagne un Sous-Officier du peloton Latour. Elle est poussée très loin en direction de Wittenheim ; un seul fait intéressant à signaler : un fossé coupe le chemin que devront parcourir les Sherman, mais il n'est pas très profond et ne paraît pas gênant. Tout semble donc avoir été prévu, même les conséquences du froid ; les équipages ont reçu l'ordre de faire tourner les moteurs des chars pendant vingt minutes toutes les heures. A 2 heures du matin, le conducteur du "Ste-Odile " vient pourtant réveiller le Lieutenant Latour : le char est en panne, refusant obstinément de se mettre en marche ; à 2 heures et demie, visite identique du conducteur de l'"Ouessant", à 3 heures, c'est le tour de celui de l'"Orléans III"...
Les équipages luttent toute la nuit avec les moteurs récalcitrants, aidés, à partir de 6 heures, par une équipe de dépannage du 3ème Escadron, venue de la cité Anna avec le Lieutenant Butruille, Officier d'échelon... Et pourtant, à 7 heures moins dix, dix minutes avant l'heure fixée pour le débouché de l'attaque, le peloton n'a que deux chars disponibles, l'"Orléans III" et l'"Oran".
Ne pouvant plus attendre, le Lieutenant de Latour se hâte vers la base de départ avec les deux Sherman quand, suprême malchance, l'"Orléans III" tombe irrémédiablement en panne d'embrayage... Le Lieutenant de Latour abandonne son char pour monter à bord de l'"Oran" ; il est suivi par l'équipage de l'"Orléans III", qui a décidé de combattre à pied avec les fantassins, aux ordres du Maréchal-des-Logis Olivarès.
7 heures. Le ciel s'est couvert ; il fait pourtant toujours aussi froid. La préparation d'artillerie est terminée, mais il faut tout changer au dernier moment, car il avait été prévu qu'il y aurait deux Sherman avec la section chargée de l'attaque de l'école, et deux autres avec celle qui agira vers l'église, or, l'"Oran" est seul... Que faire ?... Mais le temps presse..." En avant !..." crie le Capitaine Bourriquen, qui commande la Compagnie... Les corps se dressent, mais retombent aussitôt, cloués au sol : armes automatiques... obus... minen... l'ennemi réagit violemment... Payant d'exemple, les Officiers Coloniaux bondissent, entraînant leurs hommes... Le Cuirassier Camus, conducteur de l'"Orléans III" et Pujalte, aide-conducteur, sont au premier rang...
"A Bir-Hakeim, j'étais dans la Coloniale ! On y démarrait plus vite !..." hurle non sans injustice Camus, qui gesticule comme un diable... Pauvre Camus ! Le sort qui lui a été favorable à Bir-Hakeim, le trahira à Wittenheim...
L'"Oran" fait de son mieux pour détruire les résistances qui s'opposent à notre progression... Poussant rapidement en avant, il atteint le fossé reconnu au cours de la nuit, s'y laisse glisser, puis remonte sur la pente opposée... Mais l'épaisse couche de neige fait patiner les chenilles : le Sherman retombe lourdement en arrière... Le Cuirassier Ricard, conducteur, le lance de nouveau en ayant à plein moteur... Nouvel échec, et simultanément des cris : le Maréchal-des-Logis Olivarès qui suivait le char, est tombé, il a une jambe coincée sous la chenille... Le Lieutenant est aussitôt à terre, tenant dans ses bras le blessé, tandis que les Cuirassiers Camus, Porcher et Roy se relaient, piochant la neige pour le dégager. Ayant gardé toute sa connaissance, malgré sa jambe totalement broyée à hauteur du genou, le Maréchal-des-Logis Olivarès dirige calmement la manœuvre... On arrête un jeune médecin et une équipe de brancardiers, mais ils ne savent déjà où donner de la tête... La situation devient pourtant de plus en plus délicate, car l'ennemi a repéré le char en panne depuis une demi-heure, et les obus de mortiers tombent de plus en plus près... Le travail à la pioche est désormais terminé ; il faut absolument trouver un médecin... Le Lieutenant de Latour part vers la cité Kullmann... une jeep du Régiment de Chasseurs de Chars Coloniaux... elle le conduit au P.C. du Lieutenant-Colonel Dessert... Explication rapide de la situation et le Médecin-auxiliaire Pariente reçoit l'ordre de porter immédiatement secours au Maréchal-des-Logis Olivarès...
Course dans la neige sous les minen et à travers les rafales de mitrailleuses, deux brancardiers arrêtés au passage, et voici de nouveau le fossé fatal... Ordres brefs et nets, aussitôt, du médecin... Aucun souci des obus de plus en plus drus, de plus en plus précis... Une piqûre de morphine, un garrot solide, et c'est l'amputation, une amputation faite sans hâte, aussi méticuleuse que s'il s'était agi d'opérer dans un hôpital des lointains arrières...
" Tirez..." Le Maréchal-des-Logis Olivarès est dégagé : sa jambe, seule, reste sous la chenille du Sherman... Il a conservé toute son énergie et toute sa présence d'esprit malgré le froid et malgré sa souffrance ; étendu sur le brancard sur lequel il sera emporté, il dit posément au revoir à ses camarades...
Quelques instants plus tard, l'"Oran", qui a réussi à sortir de son fossé, et le "Ste-Odile, qui vient de le rejoindre, sont à Wittenheim.
Lutte farouche dans le village... Les deux sections de la 10ème Compagnie ont atteint leurs objectifs, mais l'une d'entre elles, celle qui agissait vers l'église, a perdu son chef, l'Aspirant Museret, et n'a plus que huit hommes valides sur quarante ; l'autre, celle qui attaquait l'école, n'a pu s'emparer que du rez-de-chaussée du bâtiment d'où elle ne peut pas déboucher : impossible d'achever le nettoyage de la maison, car un Officier et quinze Allemands se sont retranchés dans la cave, où ils ont enfermé, avec eux, une soixantaine de civils, rendant impossible toute action de force.
Laissant le "Ste-Odile" sur la place de l'église, le Lieutenant de Latour se porte auprès du Capitaine d'Infanterie, avec l'"Oran" ; le Cuirassier Porcher assurera à pied la liaison entre les deux chars.
Voici le Capitaine Bourriquen... Blessé au dos et à la jambe, il continue pourtant à diriger le combat par l'intermédiaire de l'Adjudant Rey, chef de sa section de commandement ; ce dernier conduira le Lieutenant de Latour vers l'école, car il faut absolument aider l'Aspirant Mathis...
On rase les murs en parcourant les rues où retentit une vive fusillade... C'est enfin l'école, mais il faut traverser la cour de récréation... Le danger réside dans un soupirail à travers lequel tire l'ennemi...
" J'y vais... S'ils ne tirent pas, c'est qu'ils ne regardent pas et vous pourrez passer... " L'Adjudant Rey a bondi... Pas de réaction... Le Lieutenant de Latour le suit aussitôt... Un coup de feu, mais l'Allemand n'a pas su viser...
Une trentaine d'hommes dans la salle de classe... On se concerte... Un seul moyen de clarifier la situation : ouvrir une brèche dans le mur de la cour avec l'"Oran", puis forcer l'ennemi à sortir de la cave en y lançant des pots fumigènes... Le projet est immédiatement mis à exécution ; les Allemands se rendent...
Pendant ce temps, le Groupement Vallin progresse vers Pulversheim, l'Etat-Major du C.C.1 lui ayant donné l'ordre d'entreprendre l'action prévue, sans attendre la fin du nettoyage de Wittenheim.
C'est le peloton Schmitt qui a démarré le premier, à 10 heures 30, avec la section Loriot et la Compagnie Tardy. Un groupe de Zouaves avance de part et d'autre de chaque char, se maintenant à sa hauteur, pour éliminer au maximum les risques des bazooka.
Le peloton Gouailhardou, avec une autre section de Zouaves, couvre le flanc gauche de l'attaque à l'intérieur de la forêt de Nonnenbruch. Nos unités se heurtent aux mêmes difficultés que la veille : résistance opiniâtre de l'ennemi, impénétrabilité de la forêt... La densité des arbres devient tout à coup telle que les Sherman sont obligés d'emprunter un layon. Quelques mètres à peine, et le "Nîmes ", char de tête, saute sur une mine... Force est de renoncer définitivement à tout chemin, mais ce n'est pas fait pour rendre plus rapide notre progression... Pliant et brisant les jeunes arbres, contournant les futaies, combattant sans désemparer, le peloton Schmitt se fraie lentement un passage... Il fait par ailleurs, un temps affreux ; la neige a refait son apparition sans que la température se soit tant soit peu élevée : transportée par un violent vent du Nord, elle recouvre les périscopes, rendant de plus en plus ardue la tâche des chefs de char et des tireurs, glacés dans leurs tourelles.
Vers midi, le peloton Schmitt, qui n'a fait que très peu de chemin, se heurte à un champ de mines anti-personnel, situé au niveau du chemin conduisant de la route de Pulversheim vers le pavillon de chasse de la forêt de Nonnenbruch. Le Génie intervient aussitôt, s'efforçant de le délimiter, mais il est trop étendu ; une couche de neige de cinquante centimètres rend en outre la détection presque impossible. Un sapeur et un Zouave ont les jambes coupées au cours de cette vaine reconnaissance. Le Lieutenant Loriot et l'Adjudant Schmitt décident dès lors de recourir à l'unique moyen permettant de traverser l'obstacle : insensibles aux Schuhmines, les chars marcheront en tête, l'Infanterie suivra rigoureusement leurs traces, profitant de la brèche qu'ils auront ouverte. L'explosion des mines vient s'ajouter au crépitement des armes automatiques et au fracas des arbres abattus : plus de cent d'entre elles sautent sous les chenilles des Sherman. Mais la nécessité de maintenir en arrière les fantassins n'est pas sans répercussion sur la cohésion du détachement : plus de protection pour les chars de la part des Zouaves. Ils n'en progressent pas moins aussi vite que le leur permet le terrain...
L'opposition de l'ennemi devient de plus en plus sérieuse au fur et à mesure de notre avance : des casemates blindées ont fait leur apparition... Elles sont neutralisées, puis détruites, une à une.
Tout à coup, une éclaircie... une vaste clairière au fond de laquelle on aperçoit, à 1.000 mètres, le château du Hohroendechubel, premier objectif du Groupement.
L'Adjudant Schmitt, qui conduit son peloton à bord du "Péronne", entraîne ses chars en avant, espérant gagner l'ennemi de vitesse, mais pris à partie par des feux anti-chars venant d'un mamelon qui s'interpose entre lui et le château, il est obligé de stopper, ne pouvant pas continuer sans l'Infanterie, qui ne l'a pas encore rejoint. S'enfonçant alors de nouveau dans la forêt, il décide de contourner la clairière sans quitter l'abri relatif des arbres, l'expérience qu'il vient de faire lui ayant prouvé que la lente progression à travers bois est tout de même préférable au rush à travers un glacis.
Les Sherman reprennent leur marche laborieuse... C'est de nouveau le combat rapproché, le tir à bout portant... Mais l'ennemi voit aussi mal que nos chars : n'approchent-ils pas à moins de cinq mètres d'un canon de 37 qui est capturé sans avoir pu tirer ?...
La forêt est cependant vaincue : le peloton Schmitt a réussi à parvenir à portée d'assaut du Hohrœndechubel... Un tir d'artillerie sur le château, et fantassins et Sherman partent à l'attaque...
L'ennemi décroche... Un canon automoteur qui défendait la position s'enfuit...
Le Commandant Vallin installe son P.C. dans l'objectif conquis.
Le Colonel Durosoy suit attentivement l'action du groupement Vallin, de la cité Anna où il a transporté son P.C. dès le début de la matinée. C'est un vrai P.C. de combat : une maison à la toiture plus que défaillante... une pièce dans laquelle il faut s'éclairer avec des lampes à pétrole en plein jour, des planches obturant les fenêtres privées de carreaux... Les propriétaires de la maison sont réfugiés dans la cave depuis de longs jours, ils sourient pourtant, chaque fois qu'ils en remontent pour s'informer de l'évolution de la situation. Quant à leur fils, un petit garçon d'une dizaine d'années, il est en permanence avec les Cuirassiers, heureux de pouvoir montrer des photographies représentant des membres de sa famille revêtus de l'uniforme français.
- " On t'a bien arrangé ta maison, mon pauvre petit" lui dit le Colonel.
- " Quelle importance ? répond aussitôt l'enfant, quelle importance, puisque les Français sont là ?..."
16 heures. Le peloton Latour a rejoint son Escadron après avoir été relevé à Wittenheim, toujours en cours de nettoyage, par un peloton de T.D. du Régiment de Chasseurs de Chars Coloniaux. Il a perdu le Cuirassier Camus, tué d'une balle en plein cœur... Trois chars désormais au peloton, grâce au retour de l'"Ouessant", qui a pu être dépanné. Leur renfort ne sera pas inutile, car le Capitaine de Boisredon se prépare à faire un nouveau bond en avant. Le prochain objectif qui lui a été désigné par le Commandant Vallin, est le carrefour de la cote 236, où la route de Wittenheim rejoint celle de Pulversheim à la cité Anna. Puis il faudra continuer vers Schönensteinbach, après le déminage du carrefour par le Génie. Cette nouvelle action sera quelque peu différente de celle qui l'a précédée, car il faudra traverser un terrain relativement découvert, battu par des canons anti-chars en position dans le bois de Jungholz, au Nord-Est du carrefour.
Simultanément, à la cité Anna, le Groupement Durosoy s'apprête à se porter en avant pour dépasser le groupement Vallin, lorsque ce dernier aura pris Schönensteinbach.
L'attaque débouche à 16 heures 30, en dépit de bourrasques de neige de plus en plus violentes. Atteint par un obus perforant, le "Nantes" brûle : un tué, le Brigadier Cloître, tous les autres membres de l'équipage, le Maréchal-des-Logis Loigerot, le Brigadier-Chef Parra et les Cuirassiers Chafer et Etchegaray, sont plus ou moins gravement brûlés. Le carrefour est atteint, mais il faut en rester là, car la nuit tombe.
Tandis que le 3ème Escadron se regroupe au Hohrœndechubel, les chars légers du peloton Zeisser couvrent un groupe de démineurs qui suit la route de la cité Anna ; trente-trois mines antichars sont relevées.
Nuit sous les obus à la cité Anna et surtout au Hohrœndechubel, largement arrosé par les projectiles de tous calibres. Fait imprévu, le temps se radoucit : on assiste, le 31 Janvier matin, à un brusque dégel qui rend immédiatement inhabitables les maisons sans toiture, comme celle du P.C. du Colonel.
La mission du C.C.1. pour cette journée du 31 est d'organiser la défense du Hohrœndechubel, d'achever le nettoyage des bois au Sud-Ouest de ce point d'appui, et de rechercher, à gauche, la liaison avec la 2ème D.I.M., qui est signalée à la cité Amélie I.
Les effectifs du 2ème Cuirassiers ont encore fondu au cours des combats des deux jours précédents ; il n'a plus que vingt-deux chars moyens, dont sept au 2ème Escadron, sept au 3ème et cinq au 4ème. Seize ont été détruits par l'ennemi, seize sont indisponibles, pour de longs jours, pour la plupart. Cinquante-huit Officiers, gradés, et Cuirassiers sont hors de combat ; la situation est particulièrement critique au 2ème Escadron qui a perdu son Capitaine, deux chefs de peloton et neuf chefs de char... Le Régiment est vraiment à bout de souffle à l'issue de ces douze jours d'offensive...
L'état de choses n'est probablement pas étranger à la décision prise par le Commandement de relever le C.C.1. sur l'axe Pulversheim, par le C.C.3, qui n'a pas encore été engagé. Le 2ème Cuirassiers en est informé à 18 heures.
1er Février, c'est de nouveau Dornach pour les 1er, 2ème et 4ème Escadrons, tandis que le P.C. léger du Colonel rejoint le P.C. lourd, toujours installé dans le café des frères Mas, du Faubourg de Colmar.
Seul, le 3ème Escadron n'a pas été relevé, ayant été provisoirement maintenu au Hohrœndechubel pour fournir, l'appui de ses feux au C.C.3 qui doit attaquer Schönensteinbach.
L'opération démarre après une violente préparation d'artillerie. S'étant portés en avant pour gagner leurs positions de tir, les Sherman du Capitaine de Boisredon sont pris à partie par les armes anti-chars toujours embusquées dans le bois de Jungholz. Le "Perpignan" est touché et brûle. D'autres résistances prennent à partie les chars du C.C.3, qui subissent de lourdes pertes.
L'attaque est stoppée.
Le 3ème Escadron passe encore toute cette journée au Hohrœndechubel, toujours sévèrement bombardé. Libéré, en fin de soirée, de sa mission auprès du C.C.3, il se porte, à 22 heures, en direction de Pfastatt, qu'il quitte le lendemain, 2 février, à 14 heures, pour gagner, lui aussi Mulhouse.
Le suprême Effort
La Conquête de la Cité Sainte-Thérèse et d'Ensisheim
(3-6 Février 1945)
La nouvelle de la libération de Colmar par les unités du 2ème Corps d'Armée s'est répandue dans Mulhouse, le samedi 2 Février, comme une traînée de poudre. Le 2ème Cuirassiers réalise mal la rapidité de la progression des camarades venant du Nord, après ces deux semaines d'avance pied à pied, toute faite de combats de rues et de durs nettoyages. Exsangue, il n'ose plus espérer pouvoir prendre une part tant soit peu efficace dans la bataille qui semble toucher à sa fin.
On apprend pourtant, à 18 heures 30, que le Colonel vient d'être convoqué au P.C. du C.C.1...
On en conclut aussitôt que le Régiment va être de nouveau engagé... On attend...
Quelques précisions à 21 heures : le 2ème Cuirassiers doit être prêt à faire mouvement en direction de la cité Ste-Barbe qui aurait été conquise par la 9ème D.I.C. dans le courant de la journée, pour attaquer vers Ensisheim... Alerte à partir de 6 heures 30. On se hâte d'aller prendre quelques heures de repos, mais la nuit sera courte, car, à deux heures du matin, c'est déjà l'ordre d'opérations de l'Etat-Major du C.C.I et l'ordre de mise en place : il faut passer au pont de Lutterbach, point initial du C.C.1, à 4 heures... Tandis que les motocyclistes partent alerter les unités, on étudie l'ordre d'opérations.
Au Nord le 2ème Corps d'Armée pousse, après la prise de Colmar, vers Sainte-Croix-en-Plaine ; au Sud, le C.C.3 s'est emparé de Schönensteinbach, la 9ème D.I.C., de la cité Ste-Barbe et des puits Eugène et Théodore. Il importe plus que jamais de tout mettre en œuvre pour chasser, l'ennemi d'Ensisheim, cet objectif désigné par le Général commandant la 1ère Armée. Ce sera la tâche du C.C.1, renforcé à cet effet par le 2ème Bataillon du 6ème R.I.C., Commandé par le Chef de Bataillon Revol. Partant des lisières Nord de la cité Ste-Barbe, dès la fin du nettoyage de cette localité, le C.C.1 poussera droit sur son objectif, tandis que le C.C.3 entreprendra une action visant le même but, mais précédée par l'attaque de Pulversheim.
Les pertes subies par les unités du C.C.1 ne lui permettant plus de conserver ses trois groupements tactiques habituels, ses moyens seront répartis entre les Groupements Durosoy et Vallin.
Le Colonel aura à ses ordres :
- le 2ème Escadron (sept chars), commandé par le Lieutenant Laporte,
- le 4ème Escadron (cinq chars),
- la Compagnie Dufour du 3ème Zouaves (deux sections),
- la Section du Génie Fazentieux.
Le 3ème Escadron (cinq chars) attaquera avec le Commandant Vallin, qui disposera :
- du reste de son bataillon (Compagnies Tardy et Guinard et Compagnie d'accompagnement).
- du peloton de chars légers Martin,
- de la section du Génie Dangel.
Le 1er Escadron, moins le peloton Martin, restera à la disposition du Colonel commandant le C.C.1.
Précédés, chacun, par une patrouille légère de l'Escadron André du 5ème R.C.A., les Groupements déboucheront, à l'heure H, de la cité Ste-Barbe, et pousseront sur les deux axes parallèles,
- route conduisant de la cité Ste-Barbe à Ensisheim (Groupement Durosoy),
- chemin longeant la lisière Est du bois de Neumattenwald vers la cité Ste-Thérèse (Groupement Vallin).
Les objectifs successifs seront :
O1 : la iïgne de boqueteaux située à 1200 mètres au Nord de la lisière Nord de la cité Ste-Barbe, et s'étendant à partir d'un saillant du bois de Neumattenwald jusqu'au carrefour de la route d'Ensisheim et du chemin conduisant vers la ferme St-Georges.
O2 : langue de bois à 400 au Sud de la cité Ste-Thérèse - carrière à 1200 mètres au Sud d'Ensisheim.
O3 : cité Ste-Thérèse - passage de l'Ill à Ensisheim.
Maintenu initialement en réserve, le Bataillon Revol sera poussé à gauche du Groupement Vallin, dès que ce dernier aura atteint son premier objectif ; il participera à l'attaque de la cité Ste-Thérèse aux ordres du Commandant Vallin.
A 3 heures 45, le Groupement Durosoy est rassemblé à la sortie de Mulhouse, la tête au passage à niveau de Dornach. Le Groupement Vallin prend la suite derrière lui.
A 3 heures 50, départ. On traverse une nouvelle fois Lutterbach, Pfastatt et Bourtzwiller, aux contours plus que familiers, c'est ensuite Kingersheim, la cité Kullmann, Wittenheim toujours en flammes, dont l'église mutilée se profile dans un tragique halo, puis enfin, à 5 heures 30, la cité Ste-Barbe. Que de souvenirs tout frais éveillés par ces maisons détruites, ces ruines fumantes, ces carcasses carbonisées de chars et d'automoteurs ennemis, croisées tout au long de cette route. Souvenirs de journées de lutte où il a fallu payer chèrement chaque mètre de terrain arraché à l'Allemand.
Souvenirs d'instants parfois critiques, vécus à tel ou tel coin de rue de cité... Souvenirs de camarades qu'on ne reverra plus...
6 heures, le Colonel Durosoy donne ses ordres à son Groupement :
- Le Capitaine d'Annam débouchera le premier, à l'heure H, avec son Escadron, une section d'Infanterie et un groupe du Génie ; appuyé par les feux d'un détachement aux ordres du Lieutenant Laporte, comprenant le 2ème Escadron, l'autre section d'Infanterie et l'autre groupe du Génie, il devra s'emparer du carrefour 01 (carrefour de la route d'Ensisheim et du chemin de la ferme St-Georges), nettoyer les bois se trouvant au Nord-Est de ce carrefour, puis s'y mettre en base de feu face au Nord ;
- Le Lieutenant Laporte serrera sur le carrefour 01, dès qu'il aura été conquis, et enverra une patrouille en direction de la ferme St-Georges ; c'est lui qui sera chargé de l'attaque de 02 et de 03, sur nouvel ordre du Colonel.
A l'Ouest, le Groupement Vallin s'apprête, lui-aussi, à déboucher : la Compagnie Tardy progressera à droite, appuyée par les cinq chars du 3ème Escadron, la Compagnie Guinard, à gauche, le long de la lisière du bois de Neumattenwald, avec le peloton de chars légers Martin.
6 heures 50. Le jour commence à se lever... Des coups de feu claquent dans la partie Nord de la cité, dont les Coloniaux achèvent le nettoyage... Les obus allemands, jusque là assez discrets, arrivent plus nombreux : un tir assez violent même, semblant provenir de la direction de Ruelisheim, et qui tombe sur les lisières Sud-Est du village... Aucune difficulté pour installer le P.C. du Colonel ; toutes les maisons sont vides, leurs propriétaires s'étant réfugiés dans les caves...
7 heures 40. Le jour est levé... On peut voir le terrain d'attaque : c'est une plaine dénudée, limitée à quelques 1200 mètres par la ligne boisée formant l'objectif 01, et coupé en son angle Nord-Ouest par le Thurbachlein, petit affluent de l'Ill, qui continue, au delà de l'horizon visible, vers le Nord-Est. Une route rectiligne, celle d'Ensisheim, axe de marche du Groupement Durosoy...
Un chemin de fer à voie étroite, qui va vers la cité Ste-Thérèse, après avoir franchi le Thurbachlein à 700 mètres des lisières Nord de la cité Ste-Barbe, sur un pont qui est l'unique point de passage du ruisseau dans la zone d'action du Groupement Vallin; ce pont obligera ce groupement à s'écarter de son axe, vers la droite, puis à se rabattre vers la gauche après l'avoir traversé. A gauche de la zone d'action du Groupement Vallin, le bois de Neumattenwald, prolongé par le bois de l'Allemend qui s'étend jusqu'à la cité Ste-Thérèse, bois à première vue relativement perméables aux chars et à l'Infanterie, mais qui comportent certainement des zones minées. Quelques bois aussi à droite du carrefour O1 ; la lisière de l'un d'entre eux s'étend, parallèle à la route, à quelques 200 ou 300 mètres de celle-ci, jusqu'à mi-chemin entre la cité Ste-Barbe et le carrefour. Le dégel a rendu le sol très lourd et difficile aux chars, dont les blindages portent encore les traces grisâtres du camouflage blanc dont ils avaient été revêtus pour la neige.
7 heures 45. Les deux patrouilles de l'Escadron André débouchent. Tandis que celle de gauche progresse rapidement, celle de droite se heurte, dès 8 heures 5, à une résistance située dans le bois à droite de la route. Engagement rapide : le nettoyage du bouchon ennemi, qui comprenait un canon anti-char et des mitrailleuses, est terminé à 8 heures 20.
Quelques minutes plus tard, à 8 heures 26, la patrouille de gauche qui a dépassé le pont sur le Thurbachlein, signale à son tour un canon anti-char qui vient de se révéler sur O1, près d'une maisonnette à proximité de la voie ferrée. Elle atteint pourtant le 1er objectif à 8 heures 48, et le dépasse, progressant vers O2, pendant que la patrouille de droite, parvenue au carrefour O1, prise à partie par des canons automoteurs embossés dans un groupe de maisons à gauche de la route, à 1400 mètres de là, est définitivement stoppée. Elle reste en surveillance face aux bois de droite, qui semblent fortement tenus ; une de ses automitrailleuses saute sur une mine.
"En avant !" passe à la radio, à 9 heures 4, l'Etat-Major du C.C.1. Le Colonel déclenche aussitôt le détachement d'Annam. Le Groupement Vallin démarre.
Évitant la route directe qui est minée, les chars du 4ème Escadron se déploient à travers champs à droite de celle-ci, et poussent aussi rapidement qu'ils le peuvent, vers les bois qu'ils ont l'ordre de nettoyer, et dont le saillant Sud n'est qu'à 500 ou 600 mètres de la cité Ste-Barbe. Des tirs sont simultanément effectués par nos artilleurs sur le bois situé dans l'angle Nord-Est du carrefour O1, et sur la région de la ferme St-Georges.
A gauche, avance rapide du Groupement Vallin, malgré le détour imposé par le pont sur le Thurbachlein ; ses premiers éléments atteignent à 9 heures 40 l'objectif O1, tandis que la patrouille de l'Escadron André qui les précède, est déjà en observation à 800 mètres de O2, qu'elle ne doit pas aborder sans nouveaux ordres.
A la même heure, le détachement d'Annam n'est qu'à la corne Sud du premier bois, retardé par des mines et l'épaisseur du taillis.
" Nous avons atteint la route, mais nous sommes arrêtés par je ne sais quoi", rend-il enfin compte, à 10 heures 30. La route atteinte est le chemin de la ferme St-Georges, quant à ce " je ne sais quoi", le Capitaine d'Annam est parti le reconnaître.
Tandis que l'Etat-Major du C.C.1 donne l'ordre, à 10 heures 37, au Groupement Vallin de démarrer en direction de O2, le Capitaine d'Annam précise qu'il se trouve un peu à droite du carrefour 01, et que ses Sherman sont pris à partie par ce qu'il croit être un canon anti-char sous casemate, en position dans le bois au Nord du chemin.
"Je vais faire tirer dessus" dit-il.
Ce tir est efficace, car la radio annonce, à 10 heures 45, que "ça flambe."
Le nettoyage se poursuit.
" Je ne peux pas passer le croisement car il est miné. Je fais venir le Génie" rend compte, à 11 heures, le Capitaine d'Annam. "Vous pouvez envoyer Isidore, mais il faut qu'il passe par le même chemin que nous", ajoute-t-il.
Le Colonel pousse immédiatement en avant" Isidore", le détachement Laporte, son mouvement s'effectue sous un violent bombardement d'artillerie. Les obus allemands tombent d'ailleurs partout :
des projectiles de gros calibres pleuvent sur la cité Ste-Barbe, alors que, au delà, dans toute la plaine qui s'étend vers la cité Ste-Thérèse, ce sont les minen, les nebelwerfer et les 88 des automoteurs ; ces derniers sont particulièrement actifs tout au long de la route d'Ensisheim et de ses abords. D'autres tirs sur le carrefour O1 proviennent de la région de la ferme St-Jean.
A 11 heures 30, le détachement d'Annam est en position à la lisière Nord des bois situés au Nord du chemin de la ferme St-Georges, bois dont il a achevé le nettoyage. Devant lui, la route toute droite conduisant vers Ensisheim, l'objectif du Groupement. A l'Est de la route, un vaste glacis, limité à droite par l'Ill et coupé, par trois fois, dans toute sa largeur, par le cours zigzagant du Thurbächlein, puis du Dollerbächlein. Il est impossible de lancer des chars dans cette plaine découverte et marécageuse. A l'Ouest de la route, c'est tout d'abord le Westerfeld, un autre glacis, parsemé pourtant de quelques boqueteaux de forme curieuse, entièrement en longueur et sans profondeur ; on en compte quatre principaux : l'un d'eux, le plus proche de la cité Ste-Thérèse, constitue l'objectif O2 du Groupement Vallin ; le suivant, parallèle au premier et situé à 250 mètres Sud-Est à proximité de la route d'Ensisheim, sert de repaire à des automoteurs ennemis ; long de 250 mètres, le suivant est perpendiculaire à ce dernier ; le quatrième enfin, qui n'a qu'une centaine de mètres de longueur, et qui, parallèle aux deux premiers, est situé à 900 mètres de O2, est occupé depuis 11 heures 10, par la Compagnie Tardy et les Sherman du Capitaine de Boisredon. Le Westerfeld est bordé par la lisière des bois de Neumattenwald et de l'Allemend, le long de laquelle progresse la Compagnie Guinard et les chars légers du peloton Martin. On ne connaît pas la position exacte du Bataillon Revol du 6ème R.I.C., qui, parti de la cité Ste-Barbe, par les bois de Ruelisheim et de Neumattenwald, a été notablement ralenti par l'opposition de l'ennemi et les mines.
11 heures 44. Le détachement Laporte qui a atteint 01, s'installe de part et d'autre du carrefour, poussant à gauche jusqu'au bois situé à 200 mètres de la route, auquel il a pu accéder ; grâce à un ponceau sur le Thurbächlein. Il y est soumis, tout comme le détachement d'Annam, à des tirs de mortiers et d'automoteurs, de minute en minute plus violents.
" Ursule a un éclat au bras droit", annonce, à 11 heures 51, la radio.
Le "Saumur" ramène aussitôt, à la cité Ste-Barbe, le Capitaine d'Annam blessé... Le Lieutenant de Tinguy prend le commandement du 4ème Escadron.
On s'efforce de détruire, ou tout au moins de neutraliser, les canons allemands ; deux automoteurs sont pris à partie par les Sherman du 4ème Escadron dans le petit bois à proximité de la route d'Ensisheim ; des tirs d'artillerie sont réglés par le Capitaine Navelet qui accompagne, en char, le 4ème Escadron ; les obus ennemis n'en continuent pas moins à pleuvoir, de plus en plus denses, rendant impossible toute progression sur ce glacis.
13 heures 07. " Nous nous dirigeons vers la haie verticale. Nous progressons à la lisière du bois Ouest où nous rencontrons des difficultés", rend compte le Commandant Vallin.
La "haie verticale" est l'un des quatre boqueteaux du Westerfeld ; elle est située à peu près à mi-distance entre O1 et O2.
Irrémédiablement bloqué à droite, le C.C.1 avance donc toujours à gauche.
Convoqué par radio, à 13 heures 55, au P.C. du C.C.1, installé à la sortie Sud de la cité Kullmann, le Colonel y reçoit communication d'un nouvel ordre d'opérations. La situation générale de l'ennemi empirerait d'heure en heure ; les unités blindées du 2ème Corps d'Armée auraient dépassé Ste-Croix-en-Plaine et ne se trouveraient plus qu'à 17 kilomètres de nous. L'heure est donc venue de fournir un suprême effort qui doit être décisif : le C.C.1 a l'ordre impératif de s'emparer avant la nuit de la cité Ste-Thérèse, cette porte de l'importante position d'Ensisheim, qui commande toute la partie Sud de l'étroit couloir encore entre les mains de l'ennemi. L'organisation et la direction de cette opération essentielle sont confiées au Colonel qui prendra à ses ordres le Groupement Vallin et le Bataillon Revol, après avoir passé au Chef d'Escadron Doré le commandement de son Groupement dont il prélèvera une partie des moyens blindés. Trois Groupes d'artillerie appuieront l'attaque.
Le nouveau Groupement Doré, formé du reliquat de l'ancien Groupement Durosoy, renforcé par le 1er Escadron moins le peloton Martin, et par l'Escadron André, prendra à sa charge la défense de la région du carrefour O1.
La décision du Colonel est aussitôt prise : récupérant le 2ème Escadron toujours au carrefour O1, après avoir laissé à la disposition du Commandant Doré le 4ème, il attaquera l'objectif avec tous ses moyens, dès qu'ils auront atteint la lisière Nord du bois de l'Allemend qui leur servira de base de départ.
Agissant à droite, le Groupement Vallin, appuyé par les chars déjà à sa disposition, aura la mission de s'emparer de la partie Est de la cité et de pousser sur Ensisheim.
A gauche, le Bataillon Revol, appuyé par le 2ème Escadron, devra conquérir la partie Ouest de la cité, l'usine et le puits Ste-Thérèse, puis continuer jusqu'au pont de la Thur. Mais avant d'en arriver à l'attaque proprement dite, que de difficultés à vaincre ! Déjà engagées sur un vaste front, les unités du nouveau Groupement agissent vers un même objectif, mais sans grande cohésion entre elles : on ne connaît même pas d'une façon exacte la position du Bataillon Revol. Tout est à faire de même pour souder et coordonner les appuis d'artillerie. A ces difficultés de commandement il faut joindre celles qui proviennent du fait de l'ennemi, la base de départ constituant elle-même un objectif à conquérir. Comment fixer dans ces conditions l'heure H ?
Et pourtant le temps presse : il est plus de 14 heures... il ne reste plus que quatre heures environ avant la tombée de la nuit...
Nouvelle avance du Groupement Vallin pendant le séjour du Colonel au P.C. du C.C.1.
A 14 heures 10, le Capitaine de Boisredon rend compte que le peloton Latour n'est plus qu'à 500 m de l'objectif O2. Le peloton Martin continue à progresser lui aussi, à gauche, avec la Compagnie Guinard.
A 14 heures 30, le Colonel, toujours au P.C. du C.C.1, adresse au 2ème Escadron l'ordre radio de décrocher du carrefour O1 et de rejoindre au plus vite les dernières maisons de la corne Nord de la cité Ste-Barbe, où se trouve le P.C. du Commandant Vallin. Il s'y porte d'ailleurs, lui-même.
Violents tirs de barrage, à 15 heures 15, devant les unités du Groupement Vallin qui sont obligées de stopper. A gauche, le Bataillon Revol est toujours très en retard.
Parvenu au P.C. du Commandant Vallin, le Colonel lui communique ses ordres et oriente sur sa nouvelle mission le Lieutenant Laporte. Il est 15 heures 45 ; il ne reste plus que deux heures de jour, car il fait nuit noire à 18 heures ; il ne faut donc pas que l'heure H soit plus tard que 17 heures, car une heure ne sera pas de trop pour aborder l'objectif et le nettoyer : cela ne semble pas impossible en ce qui concerne le Groupement Vallin qui approche de la base de départ de l'attaque, mais où en est le Bataillon Revol ? A 16 heures, soulagement : les Coloniaux viennent d'atteindre O2... Le Colonel quitte aussitôt le Commandant Vallin pour aller prendre liaison avec le Commandant Revol.
Aucun relâchement, pendant tout ce temps, dans les tirs d'artillerie ennemie : le boche est déchaîné... Des projectiles de tous calibres submergent la cité Ste-Barbe, semblant marquer une préférence inopportune pour les abords du P.C. du Commandant Vallin... Le Colonel parvient néanmoins à rejoindre son "command-car", mais le véhicule est criblé d'éclats et s'immobilise sur ses roues aux pneumatiques percés avant d'avoir pu sortir du village. Il est impossible de franchir autrement qu'en char ce véritable barrage : le "Lyautey " est heureusement là...
16 heures 25. Le Colonel est auprès du Commandant Revol.
"Nos voisins de gauche ont occupé Pulversheim. Ils envoient des éléments en direction de Ste-Thérèse. Il faut pousser sans délai", passe l'Etat-Major du C.C.1... Pousser ? Le Colonel n'a pas d'autre désir, mais si le Lieutenant Laporte a rejoint les Coloniaux et termine sa mise en place face à l'objectif, le Bataillon Revol dont la progression a été très retardée par les mines et les résistances ennemies n'est pas prêt. Il faut même se résoudre à reporter l'heure H à 17 heures 30, pour permettre aux Artilleurs de se mettre en mesure d'appuyer convenablement l'attaque.
Obus d'artillerie lourde... minen... nebelwerfer... bruit assourdissant... fumée... éclats...
Nulle part, de la cité Ste-Barbe à la lisière Nord du bois de l'Allemend, on n'est à l'abri.
Un tir particulièrement violent coiffe soudain, à 17 heures 30, le 3ème Zouaves prêt à déboucher : des morts dont le Sous-Lieutenant Lott, des blessés ; et, en particulier, le Capitaine Guinard, si connu et si estimé au 2ème Cuirassiers... Les Zouaves se dressent pour se porter en avant, mais de nouveaux obus viennent les faucher, toujours aussi précis... "
Rush irrésistible, par contre, à gauche : les trois chars du peloton Bourlon ont démarré à plein moteur, suivis par la 7ème Compagnie du Bataillon Revol au pas de course. Ils traversent rapidement le tir d'arrêt : blessé à la tête, l'Adjudant Casenave continue à commander son char... aucun ralentissement non plus chez les Coloniaux en dépit de lourdes pertes... La cité Ste-Thérèse est abordée d'un seul élan... L'Infanterie a immédiatement sauté dans les premières maisons, tandis que les Sherman continuent vers l'usine. Quelques instants et les trois chars du peloton Moine et le "Duguesclin" sont là, eux-aussi.
Panique chez l'ennemi qui n'a pas eu le temps de comprendre. Dans les rues, a retenti le cri : "Voici les Sherman !... Voici les Sherman !..." et les Allemands fuient en désordre, abandonnant leurs armes et leur matériel... Trois automitrailleuses sautent sur leurs propres mines...
Le "Turenne", commandé par le Maréchal-des-Logis-Chef Dietch, débouche à un carrefour de rues quand, tout à coup, un canon de 75 PAK apparaît à quelques mètres de lui, dans les dernières lueurs du jour mourant... Ses servants sont restés à leurs postes mais l'arme est mal orientée... Ils tirent pourtant : l'obus ricoche... Le "Turenne" qui n'a pu s'arrêter dans son élan, a presque dépassé la pièce allemande... C'est alors une lutte de vitesse dont le perdant devra mourir : d'un côté, les servants du canon déplacent fébrilement la flèche de l'arme désormais incapable de tirer, pour la pointer de nouveau sur le char, de l'autre, le Brigadier-Chef Carron, le tireur du "Turenne", tourne aussi rapidement qu'il peut le volant de sa tourelle dont le moteur électrique ne fonctionne pas, tandis que le Maréchal-des-Logis-Chef Dietch tire à la mitraillette sur les Allemands... Quelques instants d'incertitude, le Sherman a gagné... Trois obus explosifs à bout portant et il ne reste plus que très peu de chose du 75 PAK...
18 heures 15. Il fait nuit noire : on ne voit plus rien à l'intérieur des chars... De tous côtés, des rafales de mitrailleuses... les balles traceuses strient l'obscurité... L'ennemi est en déroute : il ne songe même pas à ses bazooka qu'il n'a su que trop bien utiliser tout au long des combats de rues dans les cités... Et pourtant les Sherman du peloton Bourlon sont seuls, l'Infanterie n'ayant pas pu les suivre...
La 6ème Compagnie du Bataillon Revol aborde, à son tour, le village à 18 heures 23, puis, à 18 heures 36, c'est le peloton Latour du 3ème Escadron qui pénètre dans la partie droite de l'objectif, portant une section de Zouaves sur ses chars. Le Colonel lui donne immédiatement l'ordre de pousser jusqu'aux ponts d'Ensisheim. Le Lieutenant de Latour essaie aussitôt, sans grand succès, de s'orienter. Impossible, non plus, de prendre quelque liaison que ce soit : comment discriminer les amis des ennemis alors que partout ce ne sont que des coups de feu et des rafales d'armes automatiques et qu'on ne voit pas à deux pas devant soi ?...
- 20 heures. Situation toujours confuse à la cité Ste-Thérèse où nos unités n'ont pas été en mesure de souder leur dispositif. Le Lieutenant Laporte a pris le parti de regrouper ses chars et de former un réduit dans l'usine, avec les éléments de la 7ème Compagnie du Bataillon Revol qui ont pu être ralliés. Le Lieutenant de Latour, à la tête d'un petit détachement formé par son peloton et la trentaine d'hommes survivants des sections Loriot et Guigual, cherche toujours à progresser vers les ponts... On ne sait pas très bien où est le Commandant Revol... A cette incertitude il faut ajouter les problèmes angoissants du ravitaillement en essence et en munitions, car les deux routes carrossables conduisant vers la cité sont toujours tenues : impossible d'emprunter celle de la cité Ste-Barbe à Ensisheim, toujours furieusement battue par l'ennemi, quant à celle venant de Pulversheim, tout ce que l'on sait d'elle, est que les chars du 2ème Chasseurs qui avaient tenté de progresser vers la cité Ste-Thérèse, ont été obligés s'arrêter ; or, en dehors de ces routes, seule la voie ferrée aurait pu permettre aux véhicules à roues d'atteindre la cité, mais elle a été rendue impraticable par le passage des chars... Comment évacuer aussi les blessés alors que les half-tracks eux-mêmes ne peuvent pas passer ?...
Le Colonel se rend au P.C. du C.C.1 à la cité Kullmann pour exposer toutes les difficultés auxquelles il doit faire face et pour demander en particulier l'organisation par le Commandement de convois armés chargés de ravitailler le Groupement en essence et en munitions par la route de Pulversheim qu'il y aura lieu de dégager au plus tôt. Aucune aide ne peut cependant lui être promise.
Peut-être pourra-t-il trouver une solution appropriée sur place ? Le Colonel Gruss, Commandant le C.C.1, a d'ailleurs hâte de voir le Colonel rendu à la cité Ste-Thérèse, dans l'espoir qu'il sera en mesure de clarifier la situation du village conquis.
2 heures. Le Colonel est de retour à son P.C. de la cité Ste-Barbe... Rapide conciliabule...
Comment rejoindre la cité Ste-Thérèse ? Un seul moyen : y aller à pied... La promenade ne sera pas de tout repos, car il s'agira de traverser une zone boisée, minée et imparfaitement nettoyée, tout au long de cette marche à pied de quatre kilomètres... Le Commandant Vallin, le Capitaine de Boisredon et le Capitaine Demeunynck accompagneront le Colonel, ainsi qu'une petite escorte d'orienteurs de l'Etat-Major : le "Marengo", char de Commandement du Capitaine de Boisredon, constituera l'élément de force du détachement... Pendant ce temps là, le Capitaine Kaminski restera au P.C. de la cité Ste-Barbe pour tâcher de trouver un moyen de ravitailler le Groupement et pour assurer un relais radio entre la cité Ste-Thérèse et le P.C. du C.C.1 hors de portée des postes des chars. Quant aux blessés, on les évacuera à bras : le Colonel sait qu'il peut compter sur l'initiative intelligente du Médecin Lieutenant Deloupy, qui, secondé par le Médecin-Auxiliaire Bert et l'Aumônier Candau, s'apprête à établir des relais de brancardage.
22 heures 30. La lune est levée : c'est le moment... Le Colonel se met en route... C'est aussitôt une marche prudente le long de la voie ferrée, ligne de repère précieux : en tête, le petit noyau d'orienteurs, derrière, le "Marengo"... Le "Marengo" ? Sa présence se révèle immédiatement plus dangereuse qu'utile... L'ennemi entend le char... Obus et minen encadrent instantanément la petite troupe... Puis c'est une succession de meuglements stridents suivis de furieuses explosions : les "nebel" se sont mis de la partie, cherchant dans l'obscurité le Sherman trop bruyant... Il faut se résoudre à lui donner l'ordre de stopper... Il rejoindra plus tard...
4 Février. 3 heures. Le Colonel est à pied d'œuvre à la cité Ste-Thérèse ; les Commandants d'unités, trouvés après de longues recherches, sont rassemblés autour de lui : il est enfin possible de faire à peu près le point. Toute la cité semble occupée, mais l'ennemi tient encore la partie d'Ensisheim située sur la rive gauche de l'Ill et en particulier le faubourg de la station. Le Lieutenant de Latour a réussi à faire reconnaître par une patrouille les abords du pont sur l'Ill situé sur la route principale d'Ensisheim (un autre pont enjambe la rivière un peu plus au Nord, dans la région de la station) ; commandée par le Sergent-Chef Marquetti du 3ème Zouaves, cette patrouille a pris le contact de l'ennemi ; l'ouvrage est sauté et la coupure fortement tenue. Le Groupement a donc rempli sa mission, mais il lui est impossible d'exploiter immédiatement ce brillant succès, car les unités sont dissociées et les hommes sur pied sans discontinuer. depuis vingt-quatre heures, morts de fatigue. Et puis comment continuer sans essence et sans munitions ?...
5 heures. La radio ne s'est pas tue de la nuit au P.C. arrière du 2ème Cuirassiers, à la cité Ste-Barbe. La violence des tirs d'artillerie ennemis ne s'est pas relâchée non plus un seul instant : des obus de gros calibre ont manqué de peu l'half-track de commandement, le criblant d'éclats et mutilant sa mitrailleuse anti-aérienne. Tout est prêt pour diriger vers nos unités ravitaillement et renforts, mais par quel chemin ?... A 7 heures 30, pourtant, soulagement, la route de Pulversheim serait libre... Une colonne est aussitôt constituée : les chars de protection de l'Etat-Major lui ouvriront, s'il le faut, le chemin... Elle passe sans encombre...
8 heures. Un message de l'Etat-Major du C.C.1 est transmis par radio. Immédiatement capté, il est répété joyeusement par tous les postes des chars et des half-tracks.
" Le Colonel est " plein" !... Le Colonel est " plein," !...
C'est ainsi que le 2ème Cuirassiers apprend en plein combat l'heureuse nouvelle de la promotion au grade de Colonel de son chef le Lieutenant-Colonel Durosoy...
Des félicitations fusent aussitôt de toute part, venant se glisser parmi les messages d'ordres et les comptes-rendus. A la cité Ste-Thérèse, des mains malhabiles se hâtent de découdre les deux galons d'argent pour les remplacer par des galons d'or... La joie se lit dans tous les yeux...
Pendant ce temps un ordre d'attaque du Colonel a fixé aux détachements Vallin et Revol leurs nouveaux objectifs. Agissant à droite, le Commandant Vallin aura la mission de nettoyer le quartier d'Ensisheim s'étendant à l'Ouest de l'Ill, et de s'emparer du pont, tandis qu'à sa gauche, le Commandant Revol devra achever le nettoyage du puits Ste-Thérèse, mettre la main sur la station d'Ensisheim et le puits Ste-Thérèse II, puis lancer des patrouilles dans le "bec de canard" situé entre l'Ill et la Thur, et s'assurer la possession du pont sur l'Ill à l'Est de la station, et du pont sur la Thur. Les unités ont d'ailleurs déjà commencé à préparer leur mouvement en avant :
un groupe du Génie a entrepris, dès les premières heures du jour, le déminage de la route Ste-Thérèse-Ensisheim ; conduite sous la protection d'une section de Zouaves, cette opération nous vaut 15 nouveaux prisonniers dont un chef de section. Les comptes-rendus des unités ont permis d'autre part de mesurer toute la gravité du coup qui a été porté la veille à l'Allemand : en dehors de 240 prisonniers et de nombreux cadavres qui sont restés sur le terrain, l'ennemi a perdu trois chars quatre automitrailleuses, six canons de 75 PAK, deux canons de 88 et un important matériel.
A 9 heures 40, un message radio de l'Etat-Major du C.C.1 demande au Groupement, "en raison du développement des opérations ", de mettre la main de toute urgence sur les ponts de l'Ill et de la Thur. Tout a été déjà mis en œuvre pour que les opérations soient déclenchées au plus tôt, mais il est impossible de rien entreprendre avant que les unités soient regroupées et ravitaillées.
On apprend à la même heure la tentative faite par l'Escadron André de pousser une patrouille d'automitrailleuses sur la route directe cité Ste Barbe Ensisheim. Prise à partie par des tirs antichars, elle a été obligée de rebrousser chemin après avoir perdu une de ses voitures détruite par un obus perforant.
10 heures. Le peloton anti-chars Ghalem se porte en avant pour se mettre en position, face au carrefour Ouest d'Ensisheim.
Les camionnettes tractant les canons de 57 débouchent de la cité Ste-Thérèse et... dépassent avant d'avoir pu s'en rendre compte, le premier échelon des Zouaves... Aucune réaction chez l'ennemi probablement stupéfait d'une telle audace, de telle sorte que les hommes du Lieutenant Ghalem réussissent à mettre leurs pièces en batterie dans le groupe de quatre maisons qui précède immédiatement le carrefour.
Les Zouaves, derniers restes de la Compagnie Guinard qui, aux ordres du Sous-Lieutenant Bousquet, sont chargés de s'emparer du carrefour et du pont, bondissent en avant, appuyés par les deux chars du peloton Latour, l'"Oran" et le "Provence", mais un véritable mur de feu impossible à franchir, se dresse aussitôt devant eux... Les canons des Sherman sont aussitôt en action, cherchant les armes automatiques parfaitement bien placées et qui sont restées silencieuses jusqu'au dernier moment, tandis que le Lieutenant Ghalem, isolé dans le "no mans' land", se venge sur un char allemand déjà immobilisé, mais qui sert encore de repaire à des fantassins et dont la mitrailleuse prend la route d'enfilade... Des corps se dressent à chaque fissure du feu ennemi... gagnent quelques mètres... puis c'est de nouveau la rafale qui fauche... des silhouettes tombées ne se relèvent plus, mais d'autres, opiniâtres, avancent, avancent toujours... Lente poussée que récompense le succès :
Le petit noyau qui forme la première section de la Compagnie, est auprès des Cuirassiers du peloton antichars... Les deux Sherman quittent leurs postes de tir pour les rejoindre, mais c'est aussitôt le sifflement d'obus anti-chars... l'"Oran" et le "Provence" l'ont échappé belle... Quittant l'"Oran", le Lieutenant de Latour s'efforce de situer l'origine des coups : il observe de la lucarne d'un grenier, change de maison n'ayant rien vu, se déplace encore... Impossible de trouver les armes ennemies...
Mais les deux autres sections de la Compagnie Guinard ont réussi à avancer jusqu'à la hauteur des Sherman... N'est-il pas possible d'aller plus loin ? Mais si, à condition d'éviter la route... L'une des sections dégage à gauche, appuyée par le "Provence", l'autre s'enfonce dans les jardins à droite, suivie par l'"Oran".. c'est aussitôt une lutte étroite : il faut réduire une à une les multiples armes automatiques avec lesquelles on se trouve face à face, à chaque pas... Le nettoyage est poursuivi méthodiquement... De nouveaux cadavres allemands... de nouveaux prisonniers...
Ce n'est qu'à 13 heures que le Bataillon Revol est en mesure de déclencher son attaque.
Agissant tout d'abord vers le pont de la Thur, il doit se rabattre, dans un deuxième temps, vers l'Est, vers la station d'Ensisheim. Le Colonel Dessert, Commandant le 6ème R.I.C. et le Colonel sont à l'usine de cité Ste-Thérèse au départ de l'attaque.
A 12 heures 50, violente préparation des sept Sherman de l'Escadron Laporte, puis, à l'heure H, les trois chars du peloton Moine démarrent à toute vitesse, suivis par la 6ème Compagnie du Bataillon Revol et appuyés par le peloton Bourlon.
Grêle d'obus et de minen... On ne voit plus rien dans la fumée des éclatements... et pourtant il est indispensable de savoir où l'on va dans ce terrain archi-miné où l'ennemi a perdu la veille quatre de ses propres engins... Mais rien ne peut arrêter l'élan de nos troupes : les maisons qui bordent le pont sont rapidement atteintes... De nouvelles vagues de Coloniaux déferlent à travers le glacis quand, tout à coup, les rafales d'une mitrailleuse qui vient de se dévoiler quelque part à droite, viennent s'ajouter au barrage d'artillerie... Le Lieutenant Laporte charge immédiatement un Sherman du peloton Bourlon de régler cet incident...
Sur les bords de la Thur, auprès du pont déjà sauté, c'est le corps à corps... l'ennemi se défend avec le courage du désespoir mais il lutte en vain... Tout est terminé à 14 heures...
"Cernay, Uffhoitz, Wattwiller, Berrwiller, Hartmannswiller, sont à nous", passe à 14h40 l'Etat-Major du C.C.1... Tout lâche donc d'un seul coup à notre gauche ; devant nous, le couloir qui nous sépare du 1er Corps d'Armée n'a plus qu'une dizaine de kilomètres : la bataille touche bien à sa fin.
Rien n'est changé pourtant pour le combattant qui continue à attaquer. Le pilonnage de la cité Ste-Thérèse se poursuit, toujours féroce : des obus sont venus rendre inhabitable le P.C. du Colonel, l'obligeant à se transporter dans la maison voisine.
14 heures 50. " Je suis dans de petits jardins en train d'essayer de dénicher des mitrailleuses", rend compte le Lieutenant de Latour : les Zouaves, appuyés par nos chars, poursuivent leur poussée lente et méthodique... De son côté, le Bataillon Revol s'apprête à repartir vers son 2ème objectif, la station d'Ensisheim.
A 15 heures, début de la préparation d'artillerie, puis, à 15 heures 10, le peloton Moine démarre. Cette seconde partie de l'opération se déroule sur un rythme aussi rapide que la première ; profitant d'un cheminement bien abrité entre deux séries de "crassiers" nos chars ont atteint d'un seul bond leur objectif... immédiatement derrière eux, les Coloniaux...
A 15 heures 45, les Zouaves sont parvenus au pont principal d'Ensisheim, leur objet final, mais l'ouvrage est détruit et tout le terrain environnant miné, de telle sorte que les chars du peloton Latour sont obligés de rester en arrière.
Tandis que les Zouaves s'installent face à Ensisheim et que le Génie entreprend un laborieux déminage, le Lieutenant de Latour vient reconnaître à pied le secteur : visite tout d'abord au Receveur des P.T.T., réfugié avec toute sa famille dans la cave de sa maison qui est située tout contre le pont, puis retour vers la rivière... Au même instant bruit de chenilles et de moteur ; un gros char allemand manœuvre juste en face, sur l'autre rive de l'Ill... il vient de faire demi-tour... le Lieutenant de Latour est seul... pas d'autre arme que son "colt"... mais aucune intention agressive de la part du chef de char ennemi, qui se retourne à sa tourelle et fait un signe d'adieu de la main...
Quiétude trompeuse, car, quelques instants plus tard, c'est le tir précis des snipers, ce sont les éclatements de mortiers : l'ennemi, rejeté de l'autre côté de l'Ill, s'est ressaisi...
17 heures. Le Bataillon Revol borde l'Ill, lui-aussi, après s'être emparé de la station. Plus de pont là non plus : les prisonniers déclarent que leurs Officiers les ont quittés au dernier moment, traversant la rivière à la nage. Nous contrôlons par des patrouilles le "bec de canard" situé entre l'Ill et la Thur. Tous les objectifs du Groupement ont été atteints. Près de 150 prisonniers ont été capturés ; de nombreuses armes automatiques ont été détruites ; l'ennemi a abandonné, en outre, près de la station, un canon automoteur. Malgré la fatigue des derniers combats venus s'ajouter à celle accumulée tout au long de seize jours de lutte incessante, malgré les obus dont l'ennemi continue à arroser le secteur, la joie et l'optimisme se donnent libre cours au P.C. du 2ème Cuirassiers, le Dimanche, 4 Février, soir :
la victoire semble trop proche pour que toutes les rudes heures qu'il a fallu vivre, n'aient été instantanément oubliées...
" L'ennemi est partout bousculé et ne peut se rétablir", dit l'ordre de l'Etat-Major du C.C.1 pour la nuit du 4 au 5 et la journée du 5 Février... La nouvelle mission du Groupement est, tout d'abord, au cours de la nuit de garder l'objectif conquis et de reconnaître les possibilités du franchissement de l'Ill et de la Thur, puis, pendant la journée du lendemain, de conserver un contact agressif face à Ensisheim, de façon à donner le change à l'ennemi en le maintenant dans l'expectative d'une attaque frontale, alors qu'en réalité, la conquête du village serait confiée à deux autres actions venant respectivement du Nord-Ouest et du Sud-Est. Une base de feu puissante, installée par le Groupement, devra d'ailleurs appuyer cette opération en agissant massivement sur les lisières Ouest et Sud d'Ensisheim et sur le faubourg Sud-Est du village (Faubourg St-Martin) : ses tirs seront déclenchés sur ordre radio de l'Etat-Major du C.C.1.
Persistance de très violents tirs d'artillerie pendant toute la nuit du 4 au 5... Le Capitaine Navelet dont le P.C. est installé dans la maison voisine de celle du Colonel, a la surprise de se réveiller dans une demeure sans toit, sans portes et sans fenêtres...
Au petit jour, pas de contact devant nos unités en place le long de l'Ill. Les Zouaves et le Génie longent impunément la rivière pour en reconnaître les possibilités de franchissement. Cette opération se révèle aussitôt fort difficile : gonflée par le dégel qui a fait monter son niveau de plus d'un mètre, l'Ill s'est transformée en un véritable torrent impossible à traverser à gué et se prêtant fort mal au lancement d'une passerelle. On peut envisager pourtant le passage d'éléments d'Infanterie chargés de former une tête de pont.
Devant l'absence de toute réaction ennemie, le Colonel prescrit à 8 heures 45, au Commandant Vallin et au Commandant Revol, de pousser des patrouilles de l'autre côté de la rivière, en utilisant des moyens de franchissement de fortune. La circulation sur les bords de l'Ill devient aussitôt plus intense et, fait nouveau, quelques coups de feu claquent soudain ; des "snipers " viennent de se dévoiler...
9 heures 20. Chaque message radio de l'Etat-Major du C.C.1 se rapportant à l'évolution de la situation, est un véritable bulletin de victoire. Ne vient-on pas d'apprendre que le C.C.3 a pris la liaison à Rouffach et à Ste-Croix-en-Plaine, avec la 1ère D.B. Américaine. Plus près de nous, le 21ème R.I.C. est à Réguisheim... Et dire que le boche tient toujours ! Il est vrai que tous ses efforts doivent être concentrés en vue de retarder au maximum la chute d'Ensisheim, le dernier bastion couvrant les approches du pont de Chalampé.
10 heures 20. Deux bateaux pneumatiques ont pu être mis à la disposition des détachements Vallin et Revol. Chacun d'entre eux va tenter de lancer une section de l'autre côté de la rivière, de façon à établir des têtes de pont respectivement en face de la station et vers le confluent, à l'Est de la briqueterie d'Ensisheim. Le Commandant Vallin fait entreprendre simultanément le déminage de la route en direction de la cité Ste-Barbe. Mais le secteur devient de minute en minute plus agité : le tir impitoyable des snipers interdit désormais toute circulation à découvert, des pertes sérieuses obligent bientôt le Génie à interrompre son travail sur la route.
12 heures. L'opération de franchissement montée par les Zouaves est prête... Le canot pneumatique portant un sous-officier du Génie et un sapeur, chargé d'établir un va-et-vient, décolle de la rive, traverse rapidement l'Ill, et accoste de l'autre côté... Est-ce le succès ? Non... Une arme automatique entre en action, tirant d'une casemate parfaitement camouflée... Un tué : le sous-officier, un blessé grave : son compagnon... Les Sherman du peloton Latour poussent en avant...
Leurs canons fouillent la rive opposée, cherchant la casemate. Plusieurs essais infructueux, puis un coup d'embrasure... Tout le front s'anime immédiatement ; artillerie, minen, nebelwerfer, armes automatiques, puis bientôt canons anti-chars... C'est le grand jeu... Impossible désormais de paraître sur la berge et il faut même reculer les Sherman, qui se trouvent à bonne portée des tireurs de bazooka embusqués dans les maisons de la rive adverse.
Plus au Nord, au détachement Revol, échec identique, à 13 heures : l'Allemand est trop bien en garde, il est trop bien installé. Le Commandant Vallin n'en entreprend pas moins la construction d'une passerelle...
A 15 heures, nouvel ordre de l'Etat-Major du C.C.1 : le Groupement doit arrêter ses tentatives de franchissement ; l'action contre Ensisheim sera conduite par un Bataillon du 21ème R.I.C. qui a franchi l'Ill au Nord du village, à Réguisheim ; la mission du Groupement sera limitée à la diversion par le feu, initialement prévue.
A 17 heures, ordre de commencer la préparation d'artillerie, puis, 17 heures 30, déclenchement de la base de feu sur les lisières du village...
"Le feu attire le feu", dit-on... Le Groupement Durosoy constate à quel point c'est vrai : les tirs de barrage ennemis s'abattent aussitôt avec une violence inouïe tout le long de l'Ill, s'acharnant tout spécialement sur nos positions de la station et de la briqueterie, à partir desquelles avaient été déclenchées les tentatives de franchissement de la rivière : la cité Ste-Thérèse reçoit, elle-aussi, sa bonne part d'obus.
Aucun relâchement de ces tirs furieux à 18 heures 30, bien que nos canons et nos mitrailleuses se soient tus, respectant l'horaire fixé par l'Etat-Major du C.C.1. Les Zouaves signalent au contraire que des organisations qui ont été évacuées par l'ennemi dans le courant de la journée, ont été de nouveau réoccupées.
N'ayant aucune liaison radio avec les Coloniaux qui attaquent Ensisheim venant du Nord, l'Etat-Major du C.C.1 cherche sans cesse à s'informer auprès du 2ème Cuirassiers.
"Les unités de première ligne n'entendent-elles pas des bruits de combat ? Qu'elles rendent compte dès qu'un fait nouveau se produira".
Mais les seuls bruits perçus au Groupement sont ceux des "marmites" qui lui sont destinées.
21 heures. L'attaque des Coloniaux aurait réussi, d'après l'Etat-Major du C.C.1 ; le Groupement se trouve pourtant dans l'impossibilité ni de confirmer, ni d'infirmer cette nouvelle ; il n'a rien vu par suite d'une nuit particulièrement noire, il n'a rien entendu... Il ne reste plus qu'à attendre le jour qui permettra d'établir la liaison avec les camarades qui doivent se trouver de l'autre côté...
Cette liaison sera effectivement prise le mardi, 6 Février, à 6 heures, par le détachement Vallin, qui mettra ainsi le point final à l'affaire d'Ensisheim.
La Victoire de Colmar
D'Ensisheim au Rhin
(6-9 Février 1945)
Mardi 6 Février... La bataille d'Alsace est virtuellement terminée ; de la "poche de Colmar" il ne reste plus qu'une tête de pont dont Chalampé est le centre, une toute petite tête de pont qui s'amenuise d'heure en heure sous la poussée convergente des unités de la Ve Armée.
Les derniers chars du 2ème Cuirassiers voudraient bien prendre part, eux aussi, à cette ultime poursuite, impatients d'exécuter l'ordre qui leur a assigné leur nouvel axe de progression, mais, pour pousser sur Munchhouse et Rumersheim-le-Haut, il faut pouvoir franchir l'Ill, opération qui ne pourra pas être réalisée tant que le Génie n'aura pas achevé le pont dont il s'apprête à entreprendre le lancement.
Nouveaux ordres pourtant à 13 heures : une nouvelle possibilité vient de se faire jour par suite du dégagement rapide de la banlieue Nord-Est de Mulhouse, où l'Infanterie progresse déjà vers Battenheim après avoir libéré sans grosse résistance Sausheim et Baldersheim. Battenheim, n'est-ce pas une base de départ en direction de Chalampé au même titre qu'Ensisheim, et une base de départ immédiatement accessible puisque l'avance de nos troupes permet d'y parvenir en suivant la rive Est de l'Ill, après avoir traversé la rivière à Mulhouse ?... Le Colonel Gruss va tenter de tirer parti de cette situation en lançant dans la brèche qui-semble être ouverte, un Groupement aux ordres du Colonel, comprenant :
- l'Etat-Major du Régiment,
- le 2ème et le 1er Escadrons,
- la Compagnie Dufour du 3ème Zouaves,
- le peloton de T.D. Cordonnier du 9ème R.C.A.,
- la section du Génie Fazentieux.
Pendant ce temps un détachement aux ordres du Capitaine du Boispean, composé du 1er Escadron et d'une Compagnie du 3ème Zouaves, franchira le pont de 15 tonnes en voie d'achèvement à Ensisheim, à la suite de l'Escadron André chargé d'une autre mission vers le Nord, et agira offensivement en direction de l'écluse 46 sur le Canal du Rhône-au-Rhin, dont il devra tenter de s'emparer avant la chute du jour. Quant au Groupement Vallin dont fait partie le 3ème Escadron il restera momentanément à la cité Ste-Thérèse.
Dès 13 heures 45, le Groupement Durosoy est en route ; la Compagnie Dufour et le 4ème Escadron qui n'ont pas participé aux opérations de la cité Ste-Thérèse, ont débouché de la cité Ste-Barbe et font mouvement en tête, aux ordres du Commandant Doré ; l'Etat-Major du Colonel, le 2ème Escadron, les T.D. et le Génie suivent un peu plus loin, après avoir quitté la cité Ste-Thérèse.
Nouvelle traversée, toujours émouvante, de toute la profondeur du champ de bataille..
Route familière s'il en fut aux chenilles des Sherman ; et pourtant, violente explosion au pont de Lutterbach, ce pont sillonné sans cesse depuis près de trois semaines par des milliers de véhicules : le "Rocroi" a sauté sur une mine du seul fait de s'être légèrement écarté du milieu du chemin pour céder la place à un camion...
Rapide passage dans les rues de Mulhouse, puis, de nouveau, retour vers le Nord... Modenheim, village qui est resté de si longues semaines en première ligne, puis une suite presque ininterrompue de maisons jusqu'à Sausheim, à peine libéré... A Sausheim, brusque arrêt des éléments de tête une énorme brèche de 8 mètres coupe la route, et il est impossible de la contourner par suite du sol détrempé par le dégel et infesté de mines. Nos sapeurs sont immédiatement sur place, mais il sont impuissants : deux broakway sont indispensable pour permettre aux véhicules du Groupement =de traverser l'obstacle. La colonne s'immobilise entre Sausheim et Modenheim en attendant le matériel demandé.
18 heures. Le jour baisse et les broakway ne sont toujours pas là... Il est impossible de passer la nuit sur place, une rapide reconnaissance ayant permis de constater que les maisons environnantes avaient été piégées par l'ennemi... Le Colonel décide de ramener ses unités dans Mulhouse tout proche.
Pendant ce temps, à Ensisheim, le Capitaine du Boispean vient à peine de réussir à traverser le pont dont la construction a été plus longue que cela n'avait été prévu. Son détachement s'installe pour la nuit dans les maisons du Faubourg St-Martin.
De nouveaux ordres de l'Etat-Major du C.C.1 parviennent au P.C. du Colonel dans le courant de la nuit : toutes les actions prévues pour le C.C.l sont supprimées ; le mouvement vers le Rhin à travers ce terrain boisé et miné, où les unités mécaniques ne disposent que de très peu d'axe de pénétration, sera poursuivi uniquement par les fantassins du Général Salan, et le C.C.1, maintenu en réserve, ne sera engagé que s'il est fait appel à lui. Les Groupements resteront donc à leurs emplacements actuels : à Mulhouse le Groupement Durosoy, à Ensisheim le Groupement Vallin et le détachement du Boispean.
Pourtant, le 7 Février, à 9 heures 30, le Capitaine du Boispean reçoit un nouvel ordre confirmant sa mission de la veille vers l'Ecluse 46. Les chars légers du 1er Escadron démarrent aussitôt du Faubourg St-Martin. Tandis que le peloton Gouilhardou et la section de Zouaves Lorriot progressent sur l'axe, en direction de la lisière de la forêt de la Harth, le peloton Zeisser descend la Nationale 422 vers Battenheim, avec la mission d'y prendre liaison avec les fantassins qui ont occupé cette localité.
A 10 heures 30, deuxième bond du peloton Gouailhardou vers le pont sur le canal, le Capitaine du Boispean porte son P.C. à la lisière de la forêt. Les chars légers avancent rapidement sur la route qui est toute droite tout au long des trois kilomètres qui séparent le pont de la lisière. Tout à coup, mouvements désordonnés d'une silhouette humaine... On ne tire pas, et à juste titre, car il ne s'agit que d'un mannequin suspendu au moyen d'un fil de fer : l'ennemi qui espérait faire déclencher trop tôt le tir de nos chars, a insuffisamment tenu compte des oscillations que le vent allait imprimer au mannequin : son piège se retourne dès lors contre lui, car nos équipages sont alertés...
Le peloton Gouailhardou continue... Encore quelques centaines de mètres puis un dos d'âne dominant la route... c'est le canal, c'est le pont... Les canons de 37 et les mitrailleuses entrent en action, balayant quelques Allemands manifestement surpris... Mais le pont est déjà sauté et le peloton Gouailhardou n'est pas en mesure d'exploiter les heureux effets de son intervention inopinée..
Réaction de l'ennemi : mitrailleuses, bazooka, tirs de mortiers... Notre artillerie tire aussitôt à priori, en particulier sur le puits de Radbrunnen, et le secteur se calme.
Dans le courant de l'après-midi, tandis que le peloton Gouailhardou garde le contact sur l'axe, face au pont détruit, le détachement effectue quelques patrouilles et prend la liaison avec les Coloniaux aux lisières Nord de la forêt. De nouveaux moyens sont mis en place dans la forêt de la Harth, le jeudi 8 Février : c'est désormais le Commandant Vallin qui est chargé de l'opération contre l'Ecluse 46; disposant en plus de son Groupement, du détachement du Boispean et de la Compagnie Dufour, retirée au Groupement Durosoy, il réunit sous son commandement tout le 3ème Zouaves.
Dès le début de la matinée, les chars légers reconnaissent le canal de part et d'autre de la route, le peloton Martin à droite, le peloton Zeisser à gauche; une patrouille à pied précise en outre le contact à l'écluse: les Allemands sont toujours là... Le Commandant Vallin monte dès lors son attaque: la section de Zouaves Léonard, appuyée par les Sherman du 3ème peloton de l'Escadron de Boisredon et par deux chars légers du peloton Gouailhardou, est chargée de passer le canal sur l'écluse et de conquérir une petite tête de pont. La Compagnie Dufour suivra immédiatement ces premiers éléments et parachèvera leur action, tandis que le Génie entreprendra sans délai le lancement d'un pont permettant le passage des chars.
L'opération se déroule suivant les prévisions : les Zouaves bondissent tout d'abord dans la maison de l'éclusier, puis sur les berges du canal ; très gênés par le feu d'une mitrailleuse que le "Cévennes" et le "Charente" ne réussissent pas à réduire au silence, ils parviennent pourtant à franchir l'écluse, mais sont cloués au sol sur la rive adverse : l'intervention des Sherman dont les obus fusent dans les arbres, règle cet incident... La tête de pont est réalisée : le Génie peut se mettre au travail.., il est 14 heures...
A 15 heures, le pont est terminé : les chars peuvent traverser. Le "Casablanca" passe en tête, suivi du "Cévennes". Sur la rive opposée ce sont aussitôt de multiples explosions, car le terrain est littéralement infesté de mines anti-personnel qui éclatent sous les chenilles des engins. Une détonation plus violente, soudain... le "Cévennes " a sauté sur une Tellermine... " Halte ! " crie presque aussitôt le Maréchal-des-Logis Munoz, chef de char du "Casablanca"... le char s'arrête de justesse, à 30 centimètres d'une autre Tellermine...
Il faut évacuer du "Cévennes " son conducteur le Cuirassier Bandet, qui est blessé aux pieds... on apporte une échelle pour que l'équipage n'ait pas à fouler un sol plus que suspect, mais malgré ces précautions, une Schuhmine fauche le Cuirassier Dumas, aide-conducteur, lui arrachant son pied droit.
Pendant ce temps, tout le 1er Escadron a traversé le canal ; le 3ème est là, lui aussi, mais aucun véhicule ne pourra passer derrière les Sherman dont les chenilles ont complètement défoncé le sol détrempé par le dégel...
A 17 heures 30, tandis que le détachement Vallin s'installe pour la nuit au carrefour de la Vache, à 800 mètres à l'Est du canal, une dernière patrouille est demandée au 1er Escadron : il s'agit de traverser toute la forêt de la Harth, poussant jusqu'à la maison forestière d'Ottmarsheim. Le Lieutenant Gouailhardou, déjà en tête depuis la veille, demande que cette mission lui soit confiée.
Quelques instants pour charger sur les chars les Zouaves de la section de l'Aspirant Bacquet, et le peloton s'enfonce dans la forêt... C'est tout d'abord la descente rapide vers la maison forestière Le Grünhütte puis, au carrefour, une route à droite, celle de Bantzenheim.
Les chars approchent déjà, sans avoir rien vu, de leur objectif final, quand ils entendent une très forte explosion : le pont sur le canal de la Harth vient de sauter devant eux... Le "Champagne" qui est en tête, ouvre le feu sur les Allemands qui courent sur la rive opposée. Les Zouaves sautent à terre... Mais la nuit vient bientôt interrompre le combat.
Un ordre parvenu dans le courant de la nuit au P.C. du 2ème Cuirassiers, lui prescrit de diriger vers le carrefour de Grünhütte, pour le 9 Février, 8 heures, un peloton de 4 ou 5 chars moyens, dont la mission sera de fournir le maximum d'appui de feu au cours d'une opération offensive conduite par le 21ème R.I.C. Le Chef d'Escadrons Doré accompagnera le peloton et assistera, en qualité de conseiller technique, le Colonel commandant le 2lme R.I.C.
Le 4ème Escadron qui a été moins engagé que le 2ème au cours des derniers combats, est désigné par le Colonel ; quant au peloton à fournir par cet Escadron, il sera formé, aux ordres du Lieutenant Giraud, au moyen de 4 chars, prélevés sur les 6 de l'effectif total de l'Escadron.
Les Sherman quittent Mulhouse le vendredi 9 Février à 6 heures; le lieutenant de Tinguy accompagne le Lieutenant Giraud. Tandis que les chars remontent jusqu'à Ensisheim, puis passent par Munchhouse, pour pouvoir franchir le canal du Rhône-au-Rhin, le Commandant Doré et le Lieutenant de Tinguy se rendent directement au carrefour de Grünhütte et ne trouvent personne au point de rendez-vous. Après de longues recherches dans la forêt, ils finissent pourtant par rencontrer le Colonel commandant le 21ème R.I.C., qui leur apprend que l'attaque est décommandée, l'ennemi s'étant replié, dans le courant de la nuit, de l'autre côté du Rhin, et ayant fait sauter le pont de Chalampé. Pendant que le Génie travaille à rétablir le pont sur le canal de la Harth à la maison forestière d'Ottmarsheim, pour permettre aux chars du 4ème Escadron de continuer vers l'Est, le Colonel Commandant le 21ème R.I.C., le Commandant Doré et les Lieutenants de Tinguy et Giraud se portent à Bantzenheim, occupé par les Coloniaux.
Leurs premiers éléments ont débouché du village, mais hésitent, ayant vu deux chars suspects évoluant dans Chalampé. Les Lieutenants de Tinguy et Giraud partent immédiatement les reconnaître en jeep. Les deux kilomètres qui séparent Bantzenheim de Chalampé sont rapidement parcourus le village est désert... seuls, quelques coups de mortiers viennent de temps en temps troubler le calme... La jeep poursuit vers le Rhin, quand, soudain, bruits de moteurs : deux chars apparaissent effectivement venant de Chalampé-le-Bas, mais ce sont deux Sherman de l'Escadron d'Ussel du 2ème R.C.A. qui appuient l'Escadron de reconnaissance du 9ème R.C.A.
Ainsi finit, pour le 2ème Cuirassiers, cette rude bataille de Colmar, tout au long de laquelle il a donné sans compter, versant le meilleur de son sang ; parti à 54 Sherman le matin du 20 Janvier il n'en a plus que 19 disponibles, le 9 Février ; certaines de ses unités, comme le 2ème Escadron, sont à reconstituer entièrement à la suite des lourdes pertes en personnel qu'elles ont subies ; mais le Régiment est heureux et fier d'avoir contribué à la magnifique victoire de la 1ère Armée ; qui, désormais, borde le Rhin de Bâle à Strasbourg.
Tout est joie et allégresse, à Mulhouse, le Samedi 10 Février : la ville, déjà largement pavoisée, est littéralement recouverte de drapeaux ; toutes les rues sont combles d'une foule délirante d'enthousiasme comme sait l'être la foule Alsacienne lorsqu'on a su l'émouvoir. Impossible d'atteindre la rue Franklin, car c'est là que doit se dérouler la grande revue de la Libération passée par le Général de Gaulle et présentée par le Général de Lattre en personne ; aussi de véritables grappes humaines débordent-elles très loin, partout où l'on a une chance ne serait-ce que d'entrevoir la cérémonie qui va se dérouler.
A l'heure fixée, retentit au loin une sourde rumeur qui enfle de seconde en seconde, devient de plus en plus proche : c'est le cortège officiel... Les voitures avancent doucement, s'arrêtent.
C'est alors aussitôt la remise des décorations : la Croix de la Légion d'Honneur récompense le Sous-Lieutenant Gérard de son héroïque conduite le jour de la contre-attaque ennemie de Meyershof.
A la gauche des récipiendaires, un petit groupe : le Colonel et le Lieutenant Constantin, encadré de cinq gradés... le 2ème Cuirassiers s'apprête à recevoir officiellement son Étendard des mains du Général de Gaulle.
Minute émouvante entre toutes... minute qui vient.., qui s'enfuit trop vite.., minute inoubliable pour le Régiment...
Puis ce sont les musiques... les noubas... les coiffes des Mulhousiennes défilant au premier rang des Bataillons.., les visages las mais fiers de ceux qui combattaient la veille encore. Cris... acclamations fusant sans fin, toujours plus fortes, toujours plus ardentes... Puis bruits de moteurs et de chenilles dans le lointain... automitrailleuses... T.D.... Chars... Notre Étendard voit défiler pour la première fois les Sherman, ses Sherman...
Dans Mulhouse libérée
(10 Février - 14 Avril 1945)
Satisfaction générale au 2ème Cuirassiers à l'annonce de la nouvelle que le Régiment continuera à stationner à Mulhouse tout au long de cette période de remise en ordre et de repos qui vient de s'ouvrir et qui promet d'être longue : les Cuirassiers sont chez eux dans la belle cité Alsacienne qui les a adoptés, et ils savent que nulle part ailleurs ils ne pourraient être mieux. Invités à demeure par les familles Mulhousiennes, choyés et fêtés, les équipages des chars profitent largement des joies des foyers qui se sont ouverts à eux.
Période de repos, un repos bien gagné dont on est heureux de profiter, car on a l'âme en paix :
quelle satisfaction que d'avoir enfin réalisé la libération totale de tout le territoire national, ce but qu'on poursuivait inlassablement depuis si longtemps ! La guerre n'est pas terminée, certes, et le 2ème Cuirassiers compte bien qu'il ne sera pas frustré de la participation à la dernière phase de la lutte, qui se déroulera cette fois de l'autre côté du Rhin, mais ce ne sera plus la même bataille... Le Régiment s'y prépare d'ailleurs activement, les Escadrons ont perçu des chars neufs et des noms glorieux sont venus donner une âme aux blindages anonymes : "Jeanne d'Arc III", "Joubert III", "Jourdan III",
"Orléans III", "Poitiers III", "Tonnerre III", "Vesoul III" et tant d'autres encore... De nouvelles recrues sont venues compléter les équipages clairsemés. L'instruction bat son plein.
Le 19 Février, un visage connu au P.C. du Colonel : c'est le capitaine Fougère... grièvement blessé au foie, le 7 Octobre à Ramonchamp, il n'est pas encore totalement remis après plus de quatre mois d'hôpital, mais il n'a pas pu tenir en place dès qu'il a appris la mort de son camarade Bérard. Ne sait-il pas combien sa présence sera utile au 2ème Escadron qu'il faut reformer presque totalement. Mieux que personne il saura galvaniser ses hommes qui ont une véritable dévotion pour lui...
Des nouveaux venus aussi parmi les Officiers : le Capitaine Perrin, le Sous-Lieutenant Caubet, le Sous-Lieutenant Mathieu. Le Capitaine Perrin remplacera à la tête du 3ème Escadron. Le Capitaine de Boisredon qui, promu Chef d'Escadrons, a été muté à l'Etat-Major du 1er Corps d'Armée ; le Sous-Lieutenant Caubet qui a déjà servi aux ordres du Capitaine Perrin, sera affecté au 3ème Escadron, le Sous-Lieutenant Mathieu au 2ème.
Le 2ème Cuirassiers est de nouveau presque prêt le 19 Mars, lorsque lui parvient la nouvelle du franchissement de la Lauter par ses camarades du 2ème Corps d'Armée. Aucun changement pour la 1ère D.B., lui dit-on pourtant : elle peut se considérer au repos jusqu'à la date du 1er Avril, initialement fixée.
Le lendemain, 20 Mars, le Général de Lattre de Tassigny vient visiter la Division, assistant à une grande prise d'armes qui a lieu au Sud d'Altkirch, à Hirtzbach : le Régiment y participe représenté par deux Escadrons de marche formés par prélèvement de deux pelotons de chars par escadron de chars moyens. Le Capitaine Ardisson, qui n'est toujours pas remis de ses blessures depuis le Bois-du-Prince, reçoit à cette occasion la Croix d'Officier de la Légion d'Honneur ; la Croix de Chevalier est remise aux Lieutenants Giraud et de Tinguy, la Médaille Militaire au Sous-Lieutenani Zeisser et au Maréchal-des-Logis-Chef Navarro, la Croix de guerre enfin à un certain nombre d'Officiers, gradés et Cuirassiers.
Au retour, on traverse une nouvelle fois des lieux connus, ces lieux devenus désormais si paisibles, en songeant au canon qui, par un juste retour des choses, tonne sur le territoire allemand.
Le 1er Avril, date fatidique, on attend l'ordre d'alerte... Ne sait-on pas que la 1ère Armée Française a franchi le Rhin de vive force, la veille, à Spire et à Germersheim... Mais, seul de la Division, le C.C.2 est alerté...
Le 9 Avril, prise d'Armes à pied à Mulhouse pour toutes les unités du C.C.1. La voix du Colonel s'élève pour présenter le 2ème Cuirassiers à son Étendard devant lequel il est réuni pour la première fois en entier.
Le 10 Avril, on commence à s'impatienter : aura-t-on oublié le Régiment .... Mais l'heure de la bataille est proche : dans quatre jours les Sherman s'ébranleront de nouveau sur la route glorieuse qui les conduira à Ulm, puis en Autriche.
L'Alerte et la Revue de Strasbourg
(14-17 Avril 1945)
Le samedi 14 Avril à 2 heures du matin, le téléphone retentit au P.C. du 2ème Cuirassiers si calme depuis tant de jours :
l'Etat-Major du C.C.1 prescrit au Régiment la constitution immédiate de détachements précurseurs. C'est aussitôt un joyeux branle-bas de combat : les rouages parfaitement rodés de la machine complexe qu'est l'Etat-Major du Colonel se sont aussitôt mis en mouvement.
Un ordre préparatoire parvenu au P.C. à 5 heures et demie, confirme le message téléphonique de la nuit et fournit quelques précisions supplémentaires : le mouvement du C.C.1 aura lieu dans le courant de l'après-midi en direction d'Obernai, les reconnaissances des cantonnements doivent être déclenchées immédiatement. Tout le monde est aussitôt debout ; on empile dans les sacs les effets dont on n'aura plus besoin ; on commence à charger chars et camions, tandis que dans les parcs retentit le joyeux ronronnement des Sherman.
A 15 heures, le 2ème Cuirassiers défile au carrefour de l'Ile-Napoléon et, poussant vers le Nord, s'éloigne de Mulhouse.
Etape sans histoire par la plaine Alsacienne ; on traverse Ensisheim, Sainte-Croix-en-Plaine, Colmar, puis Sélestat et Epfig ; à l'entrée de Goxwiller, accueil du détachement précurseur dont on apprend que l'Etat-Major du Régiment, l'E.H.R., le 1er et le 2ème Escadrons cantonneront dans Obernai même, tandis que le 3ème et le 4ème s'installeront à Krautergersheim. Pas d'autres précisions pour le moment si ce n'est que le 2ème Cuirassiers doit se tenir prêt à prendre part dès le lendemain, dimanche, 15 Avril, à une grande revue qui doit avoir lieu à Strasbourg. Cette nouvelle surprend quelque peu, mais on comprend très vite toute la portée de la cérémonie qui se prépare : la situation évoluerait très rapidement sur la rive droite du Rhin, si rapidement que la chute de Kehl serait imminente ; Strasbourg sans cesse bombardée depuis cinq mois, est donc sur le point de vivre l'heure de sa libération définitive et le Général de Lattre a décidé de marquer cet événement en faisant son entrée dans la ville en venant de Kehl.
On s'installe rapidement à Obernai, et à Krautergersheim et on attend les ordres ; la journée du 15 Avril s'écoule pourtant très calme, la revue de Strasbourg ayant été remise de vingt-quatre heures. On profite de ce répit pour monter jusqu'à Sainte-Odile toute proche ; on parcourt aussi les rues d'Obernai, admirant les vieilles maisons de cette charmante petite ville que la guerre a heureusement épargnée.
Le lendemain, lundi 16 Avril, tout le 2ème Cuirassiers est à Strasbourg ; comment décrire l'enthousiasme d'une foule en délire venue, jusqu'aux plus lointains faubourgs, à la rencontre du chef victorieux de la 1ère Armée ? A 10 heures, une vedette blanche décolle de la rive allemande et franchit le Rhin : ce sont aussitôt des acclamations frénétiques... Lentement, à pied, foulant un sol jonché de fleurs, le Général de Lattre passe devant les Sherman... Puis c'est le défilé. Place de Broglie, devant tout un peuple criant sa joie...
De retour à Obernai, signe avant-coureur d'un départ tout proche, c'est l'ordre d'échange de la monnaie française contre des marks d'occupation : juste retour des choses quand on songe aux flots de fausse monnaie qui, quatre années durant, ont été déversés en France...
Nuit calme de nouveau, puis, le 17 en fin de matinée, l'ordre "de se tenir prêt à rompre le lendemain 18, au lever du jour".
L'après-midi parait interminable : on a hâte de connaître les intentions du Commandement..
Où franchirons-nous le Rhin ? Quelle sera notre mission ? S'agira-t-il d'une bataille d'usure comparable à celle de Colmar ? Connaîtrons-nous au contraire des jours grisants comme ceux d'Août 44 ?..
On interroge les cartes allemandes qu'on vient de percevoir, après les avoir soigneusement classées. Petit travail qui rappelle celui qu'on a fait, il y a huit mois, sur les bateaux qui se dirigeaient vers les côtes de Provence... Mais les cartes aux noms barbares, trop nombreuses, gardent leur secret..
A 21 heures enfin, c'est l'ordre tant attendu dont on relit sans se lasser la première phrase
" Le C.C.1 franchira le Rhin et se portera en territoire allemand au cours de la matinée du 18 Avril 1945 ".
Du Rhin au Neckar
(18 - 19 Avril 1945)
Mercredi 18 Avril, 4 heures du matin... La longue colonne de chars, half-tracks, jeeps et camions du 2ème Cuirassiers a débouché d'Obernai et approche de Strasbourg. Monotonie de tous les mouvements de nuit : les équipages dorment à leurs postes de combat, seuls, les conducteurs scrutent intensément l'obscurité pour conserver rigoureusement leur place derrière la masse sombre qui les précède sur la route...
On contourne Strasbourg, un Strasbourg dont le silence étonne après les enthousiastes ovations de l'avant-veille... boulevards extérieurs vides et obscurs, la place de la gare avec ses immeubles endommagés, puis la route de Brumath... On hésite, les ordres de l'Etat-Major du C.C.1 ayant prévu l'itinéraire par Drusenheim et Roppenheim : n'y a-t-il pas erreur ? On interroge des hommes au casque blanc surgis de la nuit... Non... il a dû y avoir un contre-ordre qu'on ignore...
Voici Haguenau... On tourne à droite, vers l'Est, à travers la forêt. Plus de 60 kilomètres ont été déjà parcourus, il est 6 heures et le jour commence à se lever... Sur les bords de la route, chars et camions, épaves des derniers combats, dont la nuit voile les blessures, semblent prêts à s'ébranler après un court arrêt... Traversée des derniers villages, silencieux sans qu'on sache s'ils dorment ou s'ils sont morts : Runtzenheim, Roeschwoog, Roppenheim... C'est ici que l'on devrait traverser le Rhin d'après les ordres reçus, les hommes de la Régulatrice Routière font signe pourtant de continuer plus loin... Beinheim... on suit maintenant un petit chemin qui tourne vers la droite, traçant un large arc de cercle, et le Rhin surgit brusquement dans la brume du matin : il est 7 heures...
Un mince trait barre le fleuve aux eaux bouillonnantes : le pont ; sagement, un par un, les engins s'engagent sur l'étroit chemin de roulement qui s'affaisse sous leur poids ; quelques minutes de marche lente mais sans à-coups et c'est l'autre rive, c'est l'Allemagne, une Allemagne déjà vaincue et soumise, témoin, ce groupe de travailleurs civils, requis par notre Génie, qui, face au pont, s'emploie à planter sur le faîte d'un énorme ouvrage de l'ex-ligne Siegfried, un immense mât qui portera nos trois couleurs.
Les unités s'arrêtent quelques instants après avoir dégagé les abords immédiats du pont, puis c'est aussitôt la descente de la plaine de Bade... Iffezheim, Hûgelsheim, Stoilhofen, Lichtenau, villages propres et coquets, si semblables à nos villages d'Alsace. On est tout surpris de les voir complètement intacts ; la plaine est pourtant parsemée d'énormes blocs de béton, masses menaçantes faites en vue d'une résistance farouche... On cherche vainement à comprendre en songeant à la lutte pied à pied qu'il a fallu soutenir pour libérer notre sol à nous...
A 10 heures, l'Etat-Major du 2ème Cuirassiers parvient à Gamshurst, gros village tout en longueur, situé sur la route de Lichtenau à Achern, dans lequel le Régiment doit stationner, d'après les ordres reçus la veille, à l'issue de l'étape de plus de 100 kilomètres qu'il vient d'effectuer. A 11 heures 30 pourtant, avant que tous les Escadrons ne soient parvenus à Gamshurst, contre-ordre :
il faut repartir immédiatement, rebroussant chemin, pour se porter à Sandweier, village situé au Sud de Rastadt. On s'efforce aussitôt d'alerter au plus vite les unités en cours de mouvement pour leur éviter un parcours inutile, tâche difficile, les Sherman ayant été obligés d'emprunter des itinéraires détournés par suite de l'insuffisance de portée des ponts sur la route directe de Lichtenau, qui, détruits par l'ennemi, n'ont été rétablis par notre Génie qu'en vue du passage de véhicules légers.
Finalement ce n'est qu'à 14 heures que le 2ème Cuirassiers est en mesure de se porter de nouveau en avant. Empruntant des chemins secondaires, il atteint assez rapidement Steinbach, où il rejoint la grande route de Buhl à Rastadt par Sinzheim et Oos. Là, embouteillage dû aux nombreuses colonnes venant de tous côtés : on n'avance plus que pas à pas, s'arrêtant à chaque instant. Il est déjà 17 heures lorsqu'à l'issue d'un long et odieux piétinement, la tête du Régiment parvient à Sandweier.
Cependant, dès 16 heures, de nouveaux ordres ont été remis à l'Etat-Major du Colonel au cours d'un de ses arrêts entre Steinbach et Sandweier ; le C.C.1 a reçu la mission de se porter dans la région de Freudenstadt par Kuppenheim, Gernsbach, Herrenalb, Hofen, Wildbad et Besenfeld ; les Groupements tactiques seront reconstitués dans la région du passage à niveau de Gaggenau, vers lequel doivent faire immédiatement mouvement les unités du C.C.1 :
- en tête, le Groupement Vallin, dont fera partie le 2ème Escadron, Escadron Fougère,
- ensuite, le Groupement Durosoy, avec le 3ème Escadron, Escadron Perrin, la Compagnie Tardy du 3ème Zouaves et un peloton de T.D.,
- puis le Groupement Doré, avec le 1er Escadron,
- enfin, en réserve du C.C.1, le 4ème Escadron, toujours commandé par le Lieutenant de Tinguy.
Il y a environ 75 kilomètres de Gaggenau à Freudenstadt, 75 kilomètres d'une route sinueuse et accidentée qui, jusqu'à Hofen, traverse d'Ouest en Est la partie septentrionale de la Forêt Noire, puis descend vers le Sud, le long de son versant Est, d'Hofen à Freudenstadt. Par ailleurs, tout comme lors de l'entrée du 2ème Cuirassiers en Alsace, on ignore tout de la situation générale, l'ordre de l'Etat-Major du C.C.1 se contentant de faire état de " l'incertitude de la situation de la forêt"
et prévenant les Groupements qu'ils auront à pourvoir eux-mêmes à leur sécurité à partir d'Hofen, les équipages devant être prêts à ouvrir le feu dès la première alerte. Comme c'est agréable d'avoir à repartir pour une aussi longue étape de nuit sur des routes de montagne et dans une région hostile, alors qu'on est déjà sur pied depuis tant d'heures et qu'on vient de faire tant de kilomètres...
On se hâte pourtant de mettre à exécution l'ordre reçu... Tout d'abord les pleins d'essence : l'Escadron Fougère qui part en tête, sera servi le premier, puis l'Escadron Perrin et l'Etat-Major, enfin les chars légers et l'Escadron de Tinguy. Les unités décollent dès qu'elles ont terminé, vers 18 heures le 2ème Escadron, à 19 heures le Groupement Durosoy.
On redescend vers Oos, faubourg de Baden-Baden qu'on devine dans le lointain, puis on remonte vers Kuppenheim, après avoir traversé Haueneberstein... A Gaggenau, arrêt : le Groupement Vallin n'a pas encore décollé. C'est désormais la nuit, une nuit noire ; continuer derrière le Groupement Vallin, ce serait infliger aux équipages fatigués une étape encore plus pénible que celle de l'après-midi par suite des à-coups inévitables sur cette route étroite et escarpée : ne vaut-il pas mieux se donner du champ ? Il sera facile de regagner au jour le terrain perdu... Le Colonel décide donc de passer la nuit à Gaggenau, le Groupement Doré et le 4ème Escadron s'arrêtent eux-aussi.
On s'installe de son mieux dans le village muet... Le P.C. du Colonel est au large dans une vaste brasserie... On ne tarde pas à s'endormir...
Le lendemain, jeudi 19 Avril, dès 5 heures, tout le monde est sur pied à Gaggenau. A 6 heures, aux premières lueurs du jour, le Groupement Durosoy se porte en avant, suivi immédiatement par le Groupement Doré. C'est tout d'abord la vallée avec une suite presque ininterrompue de maisons, puis, au bout de quelques kilomètres, après Gernsbach, la route de montagne.
De nouveaux ordres à 8 heures, alors qu'on traverse Herrenalb, ordres qui fixent la mission des Groupements et apportent quelques précisions sur la situation générale.
Tout en roulant, on se penche avidement sur les cartes en s'efforçant de se retrouver parmi tous ces noms qui, n'éveillant aucune image et se ressemblant tous, sont oubliés ou confondus sitôt lus ou entendus : Balingen, Ebingen, Eutingen, Dettingen, Hechingen, Empfingen, Fischingen, et tant d'autres encore... On se hâte de marquer d'un grand coup de crayon de couleur les villages qu'on a fini par repérer après de laborieuses recherches.
La mission du C.C.1, encadré à gauche par la 5ème D.B. et la 2ème D.I.M., et à droite par le C.C.2, est d'exploiter sur l'axe général Freudenstadt, atteint la veille à 15 heures 30 par le C.C.2, Horb, village sur le Neckar, occupé la veille aussi par des éléments de la 5ème D.B., Balingen, Ebingen et enfin Sigmaringen. Il progressera avec deux Groupements en ligne : à gauche, le Groupement Vallin qui devra agir offensivement, pour franchir le Neckar, entre Dettingen exclu et Horb, puis pousser vers Steinhoffen, village situé au Nord-Est de Balingen ; à droite, le Groupement Durosoy qui doit mettre la main sur les passages du Neckar à Dettingen, puis agir en direction d'Empfingen et d'Erzingen, village à 3 kilomètres Sud-Ouest de Balingen. Le Groupement Doré et le 4ème Escadron suivront dans le sillage du Groupement Vallin.
Pendant ce temps, la route a continué à dérouler ses lacets devant les engins du 2ème Cuirassiers.
On tourne plein Sud 2 kilomètres avant Hofen et c'est bientôt Wildbad, qui a dû être un centre d'estivage charmant ; après Wildbad, Enzklosterle et Besenfeld, petits villages perdus dans des forêts de sapins, puis enfin, vers 10 heures Freudenstadt qu'on traverse sans s'arrêter, continuant vers l'Est ; mais c'est de nouveau un épouvantable embouteillage semblable à la veille. Ce n'est qu'à 12 heures 30 que le Groupement Durosoy parvient à atteindre Schopfloch, son premier point de destination ; plus heureux, le Groupement Doré, qui a pu quitter à Aach la route de Freudenstadt à Horb, est à 11 heures à Glatten, tandis que le Groupement Vallin, en place à Horb, s'apprête à attaquer l'ennemi installé de l'autre côté du Neckar.
A 13 heures, un nouvel ordre de l'Etat-Major du C.C.1 vient modifier les dispositions de celui reçu au début de la matinée : la reconnaissance a constaté que tous les ponts sur le Neckar étaient sautés hormis celui d'Horb ; il est par conséquent inutile que le Groupement Durosoy se porte à Dettingen : il restera à Schopfloch, prêt à suivre le Groupement Vallin. L'action de ce dernier est déclenchée à 14 heures 30 : appuyés par les Sherman de l'Escadron Fougère, les Zouaves franchissent la rivière et établissent une tête de pont. En fin de journée, nos chars sont à Empfingen et à Wiesenstetten ; le Capitaine François Gillet a été tué en tête de sa Compagnie de Zouaves, un seul blessé au 2ème Escadron, le Cuirassier Pascual.
Poussé vers le Neckar plus au Sud, à Sulz, où le Groupement Doré a reçu l'ordre de relever des éléments du C.C.2, le 1er Escadron est éprouvé plus durement, un de ses chars ayant été perforé par bazooka, à 19 heures, au cours d'une reconnaissance de la crête Sud de la rivière ; le Maréchal-les-Logis Peretti, chef de char, et le Brigadier-Chef Fallecker sont tués, le Cuirassier Vidal est blessé.
C'est tard dans la soirée que parviennent aux unités les ordres définitifs pour le lendemain, 20 Avril. La mission du C.C.1 reste inchangée, seules, celles des Groupements sont modifiées : agissant à gauche, le Groupement Durosoy doit dépasser le Groupement Vallin à Empfingen et à Wiesenitetten dès 6 heures 15, puis pousser sur l'axe général Haigerloch, Gruoi, Geidsingen, Balingen ; à droite le Groupement Doré doit agir offensivement, dès le lever du jour, vers Bochingen, puis Rosenfeld, en suivant la ligne de crêtes longeant à l'Est le cours du Neckar, de façon à couvrir le C.C.2 qui progressera à sa droite, dans la vallée de la rivière ; le Groupement Vallin, en réserve lu C.C.1, suivra l'axe du Groupement Durosoy. La composition des Groupements reste inchangée sauf en ce qui concerne ce dernier qui recevra, en plus du 3ème Escadron, le 4ème jusque là en réserve.
Strasbourg, Haguenau, le Rhin, la plaine de Bade, la Forêt Noire, le Neckar... que de chemin parcouru en moins de quarante huit heures. Et pourtant c'est seulement le vendredi 20 Avril que le 2ème Cuirassiers va commencer sa vraie campagne d'Allemagne.
Du Neckar au Danube et à Sigmaringen
(20 - 22 Avril 1945)
Une région difficile, boisée et montagneuse, le Jura Souabe, de mauvais chemins poussiéreux, étroits et tortueux, un ennemi dont on ne sait pas grand chose mais dont on connaît l'opiniâtreté est qui sera magnifiquement servi par le terrain, telles sont les perspectives qui s'ouvrent devant le Régiment : l'ère des avances spectaculaires et des succès faciles semble donc révolue.
La journée débute d'ailleurs d'une façon assez laborieuse : parti à 5 heures 30 de Schopfloch, le Groupement Durosoy est bloqué des heures durant dans les rues d'Horb par des embouteillages dus à la faible viabilité du pont sur le Neckar, de telle sorte que ce n'est qu'à 9 heures que ses chars parviennent à déboucher de la ligne Empfingen - Wiesenstetten, atteinte la veille par le Groupement Vallin ; ils se heurtent d'ailleurs aussitôt à de sérieuses résistances. Quant au Groupement Doré, il est en panne d'essence à Sulz et ne pourra pas être ravitaillé avant midi.
Deux Sous-Groupements ont été formés par le Colonel :
- à gauche, aux ordres du Chef d'Escadrons de Maison-Rouge, le 3ème Escadron, deux sections de la Compagnie Tardy et un groupe du Génie, ayant la mission de progresser par l'itinéraire Empfingen, Weildorf, Haigerloch, Gruoi, Erlaheim, Geislingen, Balingen ;
- à droite, aux ordres du Lieutenant de Tinguy, un peloton du 4ème Escadron, une section le Zouaves et un groupe du Génie, poussant sur l'axe Empfingen, Renfrizhausen, Heiligenzimmern, Linsdorf, Isnigen, où la liaison devra être recherchée vers Rosenfeld avec le Groupement Doré.
Le 4ème Escadron, moins le peloton du Sous-Groupement de Tinguy et le peloton de T.D., restent en réserve et marchent avec le P.C. du Colonel, derrière le Sous-Groupement de Maison-Rouge.
C'est devant Weildorf, à quelques 4 kilomètres d'Empfingen, que les chars du Capitaine Perrin doivent soutenir leur premier combat, tandis que ceux du Lieutenant de Tinguy sont accrochés à deux kilomètres à peine de leur point de départ, à Renfrizhausen. Les deux villages sont enlevés et nettoyés de haute lutte vers 10 heures 30 ; le "Ste-Odile" brûle à Weildorf : un blessé, le Brigadier Lacrampe. Aussitôt reprise, la progression continue dans d'assez bonnes conditions, malgré de violents tirs d'artillerie ennemie, à gauche, sur le chemin en lacets qui descend vers la vallée de l'Eyach et Haigerloch ; elle est par contre lente et difficile à droite, où le Lieutenant de Tinguy, qui doit traverser une région particulièrement accidentée et boisée, ne peut avancer que pas à pas : " Ils nous mettent des barricades tous les deux mètres, et derrière chaque arbre il y a un boche avec panzerfaust que je ne peux atteindre qu'à coup de canon", rend compte le Lieutenant de Tinguy. Il faudrait un véritable ratissage d'Infanterie pour nettoyer ces bois et les Sherman ne sont appuyés que par une poignée de Zouaves.
On apprend par la radio, à 11 heures et demie, que le Groupement Vallin qui devait initialement marcher derrière le Groupement Durosoy, a reçu l'ordre de s'intercaler entre ce dernier et le Groupement Doré, et qu'il attend que la queue du Sous-Groupement de Tinguy ait dégagé Renfrizhausen pour pousser vers Vohringen.
A midi, le Commandant de Maison-Rouge est à Haigerloch : le village est inoccupé et ses ponts sur l'Eyach sont intacts ; leur garde est confiée à l'Escadron André venu du Nord et le Sous-Groupement de Maison-Rouge continue vers Gruol.
Le Groupement Doré qui a enfin pu faire ses pleins d'essence, débouche à la même heure de Sulz sur l'axe Sigmarswangen - Bochingen - Trichtingen - Bohringen. Pas de résistance frontale ; par contre, avant d'arriver à Sigmarswangen, des tirs de mitrailleuses de flanc, venant des fermes situées à gauche de la route ; les chars légers ripostent au canon, tandis qu'une patrouille de Zouaves fouille les maisons ; une dizaine d'Allemands sont tués, quinze prisonniers.
Nouveaux progrès, à 13 heures, à la gauche du Groupement Durosoy, où le Sous-Groupement de Maison-Rouge vient d'enlever Gruol. Ayant aussitôt débouché du village, il s'attaque aux éléments d'Infanterie qui, profitant d'un défilé boisé, barrent à deux kilomètres de là, la route d'Erlaheim.
A droite, par contre, toujours la même résistance opiniâtre devant le Sous-Groupement de Tinguy qui poursuit le difficile nettoyage de la croupe boisée au Sud de Renfrizhausen. Etant à court d'Infanterie, le Colonel constitue un petit détachement à l'aide d'un peloton de Sherman et du peloton de mortiers de l'Etat-Major du Régiment qui, aux ordres du Lieutenant Mougeot, reçoit la mission de venir renforcer le Lieutenant de Tinguy en le rejoignant par un petit chemin qui, abandonnant la route d'Empfingen à Weildorf, coupe tout droit à travers le terrain de combat. Un autre ordre prescrit au Commandant de Maison-Rouge, renforcé dans ce but du peloton de T.D. jusque là en réserve, de tendre la main au Lieutenant de Tinguy en occupant Binsdorf, dès que la résistance du défilé aura été brisée.
Le 2ème Escadron qui vient de déboucher de Renfrizhausen en direction de Bergfelden et de Vohringen dans le cadre du Groupement Vallin, doit faire face aussitôt aux mêmes difficultés que le Groupement Durosoy : difficultés de terrain, opposition de l'ennemi épaulée à de multiples barricades et abatis d'arbres. Un tragique accident illustre l'état du réseau routier utilisé par les Sherman : le char du Sous-Lieutenant Mathieu, Officier nouvellement arrivé au Régiment qui a su s'attirer l'estime et l'amitié de tous par ses qualités exceptionnelles, tombe dans un ravin à la suite d'une manœuvre particulièrement périlleuse ; le Sous-Lieutenant Mathieu est tué.
Seul, à l'extrême droite du C.C.1, le Commandant Doré est mieux partagé. A 13 heures 30, il est à Wittershausen, dernier village avant Bochingen, son objectif O1.
" Coups de feu isolés. Exécute nettoyage", annonce la radio.
Le Groupement Vallin est encore loin derrière lui puisque ce n'est qu'à 14 heures 45 qu'il parvient au village de Vohringen que le Groupement Doré a déjà traversé, et à partir duquel il doit obliquer à droite, vers Rosenfeld, à travers une région aussi difficile que celle du Lieutenant de Tinguy.
Ayant eu raison, vers 15 heures, des résistances qui lui barraient le chemin, le Sous-Groupement de Maison-Rouge pousse simultanément vers Erlaheim et Binsdorf, suivant les instructions du Colonel, tandis que le Lieutenant de Tinguy atteint Heiligenzimmern à l'issue des durs combats qu'il a eu à soutenir. Le terrain est désormais un peu plus dégagé, la tâche du Groupement devient moins ardue.
Plus à droite, le 2ème Escadron est toujours aux prises avec des barricades qu'il lui faut enlever une à une, après en avoir anéanti les défenseurs. Quant au Groupement Doré, parvenu à Bochingen à 15 heures 30, il a reçu l'ordre de reconnaître Oberndorf et Aistaig, localités situées dans la vallée du Neckar. Cette opération se déroule sans incident et le Commandant Doré attend les nouvelles instructions de l'Etat-Major du C.C.1 pour repartir en avant en direction de Rottweil, son objectif O2.
Pour occuper le temps, coup de sonde sur Brittheim. Le Lieutenant Henriot qui n'a jamais consenti à se confiner dans ses fonctions d'Officier d'échelon, précède en voiture les chars ; quelques kilomètres d'une route sinueuse à travers bois, puis soudain, après un dernier virage, le spectacle inattendu d'un détachement ennemi au repos... Le Lieutenant Henriot bondit de sa voiture, suivi de son chauffeur... Hurlement d'un Sous-Officier qui veut donner l'alerte et, simultanément, claquement d'un coup de feu : le Cuirassier a abattu l'Allemand. Le Lieutenant Henriot, la mitraillette à la main, est déjà auprès de l'Officier ennemi qui lui fait face, les bras en l'air. La patrouille qui a suivi, n'a plus qu'à ramener 50 prisonniers.
L'ordre de reprise du mouvement ne parvient au Commandant Doré qu'à 18 heures, sa transmission ayant été retardée par les difficultés de liaison avec l'Etat-Major du C.C.1 dont la radio n'atteint plus le Groupement ; chars légers et Zouaves se portent aussitôt en avant. Bientôt, c'est Trichtingen rapidement nettoyé : 25 nouveaux prisonniers. Bohringen est atteint à 20 heures 30 et le Commandant Doré décide d'y passer la nuit.
Pendant ce temps, le Groupement Vallin, parvenu enfin à réduire les multiples résistances auxquelles il s'est heurté après Vohringen, a dépassé Rosenfeld, son objectif 01, et, bénéficiant enfin d'un terrain plus facile, a continué vers le Sud. Un dernier incident aux approches de Dautmergen où chars de l'Escadron Fougère et Zouaves font prisonniers les servants d'un canon de 88, leur quatrième canon de 88 de la journée, puis, à 20 heures 25, c'est Schomberg où les Sherman pénètrent au moment précis où sept avions allemands s'enfuient de l'aérodrome de la ville.
Victoire aussi au Groupement Durosoy qui, recueillant les fruits d'une longue journée de lutte, a fait son entrée dans Balingen à 19 heures ; cinq cents prisonniers ont été faits dans la ville et un important matériel capturé. Le départ des Allemands a été si précipité que les Officiers de l'Etat-Major du Régiment ont eu la surprise de trouver dans les chambres de l'hôtel de la Gare, où s'est installé le P.C. du Colonel, les bagages et jusqu'aux manteaux et casquettes des Officiers ennemis, partis sans avoir eu le temps de se vêtir.
Un dernier incident clôt la journée : roulant dans une ambiance de sécurité totale, la colonne des half-tracks et camions du P.C. arrière du Colonel a quitté Erlaheim et approche de Geislingen, lorsque surgit en rase-mottes un avion à l'aspect absolument inoffensif qu'on croit être un Pipper Cub ; mais c'est presque aussitôt le bruit des explosions : le boche a jeté des grenades sur la queue de la colonne et a immédiatement disparu... Deux Cuirassiers sont blessés, Gandoin et Boukhas Mohamed, deux véhicules endommagés.
Mais la nuit est tombée et le Groupement s'organise sur le terrain conquis :
- à Balingen, le P.C. du Colonel, l'Etat-Major, le 3ème Escadron, deux sections de Zouaves et le peloton de T.D. ; à Geislingen, le Groupe du 68ème R.A. moins la batterie qui appuie le Groupement Doré ;
- le Sous-Groupement de Tinguy est à Isnigenet à Binsdorf, la section du Génie à Erlaheim, tandis que les ponts sur l'Eyach à Gruoi sont gardés par le peloton Chardac du 4ème Escadron.
" Par ordre du Général commandant la 1ère Armée Française, la progression en cours doit être poursuivie sans arrêt, même de nuit, jusqu'au Danube", dit l'ordre d'opération remis aux unités du C.C.1 dans le courant de la nuit. A droite, le Groupement Doré continuera vers Rottweil et Tuttlingen ; au centre, Mulheim constituera l'objectif du Groupement Vallin ; quant au Groupement Durosoy, il devra infléchir sa marche, par Hossingen et Heinstetten, vers Hausen-im-Tal.
Ayant débouché à 6 heures, le Sous-Groupement de Maison-Rouge s'est engagé sur l'étroite route de montagne conduisant vers le plateau qui domine Balingen. Pas de résistance ; par contre, à chaque pas, un véritable lacis d'obstacles de toutes sortes, qu'il faut déblayer : barricades minées, abatis et destructions freinent si bien la marche de nos chars qu'ils ne parviennent qu'à 8 heures 30 à Endingen, distant de trois ou quatre kilomètres seulement de leur point de départ ; quelques prisonniers dont un Capitaine, restent entre nos mains dans le village.
Pendant ce temps, les autres unités du Groupement Durosoy ont rallié Balingen et attendent que la colonne commandée par le Commandant de Maison-Rouge ait pris suffisamment de champ pour démarrer à sa suite. On observe avec curiosité l'attitude de la population allemande : ce ne sont que sourires et courbettes, une prévenance servile, presque de la joie... Au P.C. du Colonel, visite d'un homme venu d'Ostdorf, village situé au Nord de Balingen et qui n'a pas été traversé par le Groupement, venu expliquer que ses concitoyens demandent à être occupés... Il est vrai qu'en même temps, hommes, femmes et enfants s'empressent de mettre à sac les immenses dépôts de la Wehrmacht, faisant d'amples provisions de vivres, de vêtements et de chaussures. Nos hommes tentent de s'opposer à ce pillage, mais la foule qui a reflué, se rue de nouveau sur les précieux stocks dès que les Cuirassiers ont tourné le dos, et brouettes, charrettes et voitures d'enfants continuent leur va-et-vient à travers la ville.
A 9 heures 15, tandis que le Commandant de Maison-Rouge pénètre dans Erzingen, les Groupements Doré et Vallin qui ont pu progresser sans être arrêtés par les mêmes difficultés, ont déjà franchi un nombre appréciable de kilomètres : le Commandant Doré est à Rottweil qu'il a trouvé inoccupé, mais où il est obligé de marquer un temps d'arrêt par suite de la destruction du pont sur le Neckar ; quant au Commandant Vallin, il pousse rapidement vers Mulheim. Encore un peu plus de deux heures de marche, à peine ralentie par de courts incidents, et le mince ruban du Danube, un Danube qui n'a rien encore de son cours majestueux de la plaine hongroise, surgit devant les Sherman de l'Escadron Fougère : il est 11 heures 30... Chars du 2ème Escadron et 3ème Zouaves ont atteint, bons premiers, l'objectif désigné par le Général de Lattre.
A la même heure, le Groupement Durosoy a dépassé Weilheim et s'étale tout entier, en une seule colonne, entre Balingen et Tieringen, après avoir laissé à Balingen, sur l'ordre de l'Etat-Major du C.C.1, une petite garnison constituée par le peloton de T.D., le peloton de mortiers du Lieutenant Mougeot et, le peloton anti-chars du Sous-Lieutenant Ghalem. Toujours les mêmes difficultés, dues aux obstacles que l'ennemi a accumulés sur la route ; les quelques éléments trouvés dans les villages se rendent sans résistance. Après Tieringen, traversée sans incidents d'Oberdigisheim et d'Unterdigisheim, puis d'Hartheim et d'Heinstetten. Partout ce sont de véritables acclamations de la part de la population allemande ; femmes et enfants, rassemblés à l'entrée des villages, agitent des mouchoirs, plaisantent, rient ; les maisons sont littéralement pavoisées de draps blancs ! Inconscience ?
Joie de voir la guerre proche de sa fin ? Admiration béate du vainqueur ? La surprise des Cuirassiers que le souvenir d'une longue et dure occupation prédispose fort mal à la fraternisation, croît à chaque instant.
Après Heinstetten, à 12 heures 30, arrêt : Schwenningen est solidement tenu.
Rapide mise en place de l'Infanterie et des chars, courte préparation d'artillerie et, à 13 heures, départ de l'attaque.
Les Sherman submergent le village quelques minutes après. Lueur des Panzerfaust manquant leur objectif, nettoyage à la mitraillette et à la grenade, des groupes d'Allemands les bras en l'air...
Nous sommes définitivement maîtres de la position à 13 heures 30.
Cette affaire nous rapporte 150 prisonniers dont beaucoup de gradés, le point d'appui ayant été tenu par les élèves d'un centre d'instruction ; un Colonel même... Au début, attitude quelque peu narquoise de l'Officier allemand, persuadé que nos Sherman ont profité d'une brèche ouverte par surprise et qui s'est refermée derrière eux... Il est rapidement détrompé et son étonnement fait place à une véritable stupeur lorsqu'il apprend que le 2ème Cuirassiers a précisément traversé les régions qu'il croyait tenues d'une façon particulièrement solide.
C'est au cours de l'attaque de Schwenningen que le Colonel apprend par un message radio de l'Etat-Major du C.C.1 que le Danube a été atteint et dépassé par le Groupement Vallin ; le même message lui prescrit de diriger d'urgence sur Mulheim un Escadron de chars moyens. Le Colonel alerte aussitôt le 4ème Escadron toujours en réserve et met au courant de sa nouvelle mission le Lieutenant de Tinguy. Mission peu commode, les chars devant traverser une région non reconnue sans le moindre appui d'Infanterie, les effectifs déjà plus que réduits du Groupement rendant impossible tout nouveau prélèvement... La route qui suit le cours du Bara, petit affluent du Danube semble devoir être l'itinéraire le plus favorable et le plus court... Le 4ème Escadron démarre...
Six ou sept kilomètres séparent Schwenningen de Hausen-im-Tal. La route assez rectiligne au départ, descend vers la vallée par une série de lacets de plus en plus accentués, de plus en plus à pic. En dépit de plusieurs barricades, les Sherman du 3ème Escadron sont parvenus d'un seul bond jusqu'au rebord abrupt du plateau. A leurs pieds le Danube et une longue colonne ennemie qui, bien que sur la rive Sud du fleuve, semble toute proche. Objectif de choix, dispersé en quelques instants par nos canons, puis c'est aussitôt une descente rapide, un poste allemand bousculé avant qu'il ait pu se ressaisir, les rues du village, un dernier tournant à droite et le fleuve... Le pont de Hausen-im-Tal, un vieux pont de pierre massif et majestueux, saute au même instant... Il est 14 heures 30... Il faut pourtant que le Groupement ait une tête de pont... Il l'aura, car une reconnaissance a déjà trouvé un pont de circonstance intact à un kilomètre à l'Est du village : le Colonel lance aussitôt en avant le Capitaine Perrin avec deux pelotons de son Escadron et deux sections de Zouaves. Nouvelle action rapide : à 15 heures 30, le Capitaine Perrin est maître de Kreenhein-stetten, village situé à 7 kilomètres au Sud de Hausen-im-Tal et du Danube : 100 nouveaux prisonniers ont été faits.
Cette brillante opération a porté le Groupement Durosoy sur une excellente base de départ en direction de Sigmaringen, l'objectif final du C.C.1, cette ville distante à peine désormais d'une quinzaine de kilomètres et qui, l'avant-veille encore, paraissait si lointaine.
A 13 heures 30, tandis que le Groupement Durosoy se préparait en vue du dernier bond qui devait le conduire à Hausen-im-Tal et à Kreenheinstetten, et que le Groupement Vallin poussait vers Neuhausen ob Eck, au delà du Danube, le Groupement Doré entrait dans Baigheim après avoir dépassé sans incidents Spaichingen, Dans Baigheim, résistance assez sérieuse. Un bazooka atteint le "Béarn", tuant le Maréchal-des-Logis-Chef Domecq et le Cuirassier Lenné, et blessant le brigadier Londiveau et le Cuirassier Lacote. Chars légers et Zouaves nettoient méthodiquement le village, pendant que la batterie d'artillerie tire sur les pentes qui le dominent au Nord, et où l'on observe des Allemands en fuite.
Vingt-quatre prisonniers sont faits.
A la sortie de Baigheim, la route aboutit à un pont enjambant la voie ferrée ; impossible de passer car l'ouvrage est miné... Pour ne pas perdre de temps, le Commandant Doré fait déboîter la colonne vers Durbheim. Nouvel engagement qui nous donne 80 prisonniers, et le Groupement continue.
Rietheim et Weilheim sont traversés sans combat. Vingt prisonniers dans Wurmiingen, dernier village avant le Danube, et la colonne s'engage sur la route qui longe le fleuve vers Tuttlingen.
Au carrefour 2 kilomètres Nord-Ouest du pont, le contact est pris avec un Groupement du C.C.2 aux ordres du Commandant de Menditte ; les Chasseurs d'Afrique laissent passer les Cuirassiers.
Une barricade impressionnante sur le pont qui est intact : on se hâte de la déblayer et, à 16 heures 30, le Groupement Doré fait son entrée dans Tuttlingen.
Les trois Groupements ont donc atteint le Danube leur objectif; seul le 4ème Escadron continuera à combattre jusqu'au soir pour se frayer passage vers Mühlheim ; il n'y réussira d'ailleurs pas, l'absence de ponts l'empêchant de traverser le Bara. Après une dernière et vaine tentative à Bärenthal, le Lieutenant de Tinguy décide de pousser jusqu'au Danube de Beuron ; il y parvient à 19 heures 30, après avoir parcouru 20 kilomètres en combattant et avoir capturé 100 prisonniers.
Le village est inoccupé ; les Cuirassiers y trouvent par contre un hôpital militaire de 800 hommes environ, convalescents pour la plupart. - Comment en assurer la garde ? Le Colonel tente de se mettre en liaison avec l'Etat-Major du C.C.1, hors de portée radio.
A 22 heures, arrivée au P.C. du Colonel de l'Aspirant Hirigoyen, détaché du 2ème Cuirassiers en qualité d'Officier de liaison à l'Etat-Major du C.C.1. Venant de Schomberg, il vient de traverser seul, en jeep, une région à peine conquise, dont l'insécurité reste totale du fait de nombreux éléments ennemis dispersés dans les bois ou restés en position dans les localités que la rapidité de notre avance n'a pas permis de reconnaître. L'Aspirant Hirigoyen est porteur d'ordres pour la journée du lendemain 22 Avril.
Datés de 16 heures, ces ordres ne font pas état des résultats obtenus dans le courant de la journée par le Groupement, résultats qui n'ont pu être communiqués par radio. Ne mettant à profit que la tête de pont conquise à Muhlheim par le Groupement Vallin, ils prévoient l'action de ce dernier, renforcé par un Escadron de chars moyens, sur l'axe Buchheim, Thalheim, Rohrdorf, Engelswies, Vilsingen, Sigmaringen, couverte à droite, vers le Sud, sur l'axe Muhlheim - Neuhausen, par le Groupement Doré, supposé lui-aussi encore au Nord du Danube, alors qu'il est à Tuttlingen, tandis que le Groupement Durosoy poussera à partir de Schwenningen vers Glashutte, Stetten, Nusplingen, Oberschmeien, Unterschmeien, Sigmaringen.
Le Colonel rédige aussitôt une brève mise au point, faisant ressortir les avantages qu'il y aurait à lui confier l'opération de Sigmaringen, dont il n'est éloigné que de 15 kilomètres alors qu'une distance de plus de 30 en sépare le Groupement Vallin. Un temps appréciable pourrait être gagné du fait que le Groupement sous ses ordres est déjà orienté vers l'objectif sur les deux rives du Danube :
le 3ème Escadron agirait au Sud, à partir de Kreenheinstetten, pendant que le 4ème, remis à sa disposition, suivrait le cours du fleuve.
Ce compte-rendu est confié à l'Aspirant Hirigoyen qui repart aussitôt, escorté par une jeep du peloton d'orienteurs.
Dans le courant de la nuit, nouvelle liaison de l'Aspirant Hirigoyen, muni d'un nouvel ordre d'opérations. Cet ordre, qui fait état des têtes de pont de Tuttlingen et d'Hausen-im-Tal, n'est d'ailleurs qu'une confirmation du précédent. Il est seulement prescrit au Groupement Durosoy qui devra repasser sur la rive Nord du Danube, de laisser un élément à Kreenheinstetten jusqu'au moment où le Groupement Vallin aura dépassé ce village.
Pour limiter au maximum les mouvements inutiles, le Colonel décide de récupérer le lendemain le 4ème Escadron qui rejoindra Hausen-im-Tal dès le lever du jour, et de mettre à la disposition du Commandant Vallin le 3ème, déjà en place sur l'axe qui sera suivi par ce Groupement. Deux petits détachements seront formés à l'aide de l'unique Escadron de chars moyens et de la Compagnie de Zouaves, restant aux ordres du Colonel si l'un d'eux suivra la vallée du Danube, l'autre progressera au Nord, sur l'axe fixé par l'Etat-Major du C.C.1.
Nuit assez agitée aussi bien à Beuron qu'à Hausen-im-Tal, de petits groupes ennemis encerclés tentant de mettre à profit l'obscurité pour traverser nos lignes : plusieurs Allemands sont tués en plein P.C. du Colonel par les équipages des chars de commandement.
Le dimanche 22, à 6 heures, le 4ème Escadron quitte Beuron et rejoint le P.C. du Groupement à Hausen-im-Tal ; les deux détachements prévus se forment aussitôt.
Les Groupements Vallin et Doré se sont mis en route eux aussi, précédés l'un et l'autre par des patrouilles de l'Escadron André. Progression facile pour le Groupement Vallin à peine retardé par quelques résistances rapidement bousculées. Guère d'opposition non plus, tout au moins au départ, face au Groupement Doré qui parvient assez rapidement devant Worndorf, en dépit de nombreuses barricades non défendues, dont les abords sont jonchés de bazookas abandonnés.
Quelques coups de canon à priori sur le village que des renseignements signalent occupé : des drapeaux blancs jaillissent immédiatement. Le temps de désarmer 270 prisonniers et le Commandant Doré poursuit, laissant le soin à sa section de Génie de faire sauter un important dépôt de bazookas et d'explosifs, ainsi que 5 canons de 20 mm.
Il en est cependant tout autrement pour le Groupement Durosoy, toujours réduit aux petits chemins sinueux et escarpés de la rive gauche du Danube. Remonté sur le plateau, le Lieutenant de Tinguy traverse sans incidents Unter Glashûtte, mais se heurte à une très violente résistance à Stetten : un important camp de prisonniers s'étend au Nord du village et sa garnison, aidée hélas ! par des miliciens français, fait face à nos Sherman et à nos Zouaves. C'est aussitôt le combat de rues à travers les baraquements du camp, un combat qui se prolonge du fait de la faiblesse du détachement de Tinguy qui dispose, en tout et pour tout, d'un peloton de chars et d'une section d'Infanterie.
Pendant ce temps, au Sud, le Commandant de Maison-Rouge se fraie un passage difficile à travers les obstacles accumulés par l'ennemi. Il parvient à dépasser Thiergarten et Gutenstem, lorsqu'à 10 heures 30 des destructions infranchissables l'arrêtent définitivement à 3 kilomètres plus à l'Est ; il faut se résoudre à faire demi-tour à cinq kilomètres de Sigmaringen !... Demi-tour difficile sur une route étroite et encombrée, puis, suivant les ordres du Colonel, retour vers Thiergarten où l'on oblique à droite, s'engageant sur le chemin également détruit et obstrué qui conduit vers Stetten.
A la même heure le Groupement Doré nettoie Messkirch, après avoir réduit au silence, à coups de canon, un anti-char en position au Nord du village. Nettoyage méthodique qui nous rapporte 640 prisonniers et un important matériel de guerre dont sept canons de 20 mm. Que faire de tous ces prisonniers ? Le Commandant Doré les fait désarmer puis rassembler en colonne et les dirige sans escorte vers Neuhausen, après avoir alerté l'Etat-Major du C.C.1. Il y a un risque à courir : la faiblesse de nos effectifs ne permet pourtant pas de faire autrement... D'ailleurs, on ne peut plus dociles, les Allemands prennent la route sans sourciller...
Pendant ce temps le peloton de reconnaissance Lapasse, appuyé par une section de Zouaves, a déjà dépassé Menningen et est en vue de Goggingen, l'automitrailleuse "Ulm" en tête. Soudain, deux coups de canon : deux obus frôlent l'engin, le manquant ; court arrêt en attendant les T.D. qui détruisent les deux anti-chars ennemis, et le village est abordé : deux cent trente nouveaux prisonniers.
Après Goggingen, c'est à 11 heures 30, une forte résistance devant Krauchenwies : elle est implacablement brisée ; cent quarante prisonniers et trois canons de 20 mm. restent entre nos mains.
A midi, tandis que le Groupement Doré est toujours à Krauchenwies et que les deux détachements du Groupement Durosoy sont bloqués à Stetten, où la lutte continue de faire rage, et sur le chemin de Thiergarten à Stetten, la radio du Groupement Vallin annonce :
"Sommes au château... !"
Sigmaringen est pris...
Tous les ponts de la ville sont sautés, sauf celui du chemin de fer qui paraît être utilisable bien que miné ; chars des 2ème et 3ème Escadrons ont pourtant réussi à pénétrer dans l'objectif, d'ailleurs déjà abandonné aussi bien par les Allemands que par le pseudo-gouvernement de Vichy ; seuls quelques comparses de dernier ordre ont pu être capturés.
Le nettoyage de Stetten par le détachement de Tinguy est enfin terminé à 13 heures 30 ; la garnison ennemie a subi des pertes sévères ; de nombreux prisonniers, parmi lesquels des" Waffen S.S. " dont plusieurs Officiers ; les Cuirassiers ont libéré par contre 800 prisonniers alliés.
Une heure plus tard le détachement de Maison-Rouge atteint à son tour Stetten et tout le Groupement Durosoy se trouve rassemblé dans le village. Au même moment, le Groupement Doré entre dans Mengen où il fait 180 prisonniers. Une patrouille est poussée vers le Danube pour reconnaître le pont de Blochingen : il est intact ; Blochingen est occupé avec 15 prisonniers.
A 16 heures, le Groupement Durosoy se porte de Stetten à Sigmaringen par Nusplingen et Oberschmeien ; c'est de nouveau la marche à l'extrême ralenti sur un chemin très difficile, presque impraticable aux chars, une marche de quatre heures pour franchir une distance d'une douzaine de kilomètres !...
A 20 heures, tout le 2ème Cuirassiers, sauf le 1er Escadron, est à Sigmaringen. Il est trop tard pour que les derniers arrivés puissent visiter le château des Hohenzollem, mais ils y pensent à peine, car Sigmaringen conquis a perdu tout son mystère... D'autant plus qu'un nom sonore a déjà été prononcé, un nom que les Anciens de la Grande Armée ont su, il y a plus d'un siècle, inscrire sur leurs drapeaux et sur leurs étendards : le 2ème Cuirassiers, qui a ordre de progresser " sans désemparer sur Ulm", a déjà oublié Sigmaringen...
La reconnaissance du Groupement Doré qui a reçu le premier cet ordre, a déjà débouché de Mengen, poussant vers Herbertingen, mais le village est solidement tenu et il fait nuit noire...
Le Commandant Doré décide d'arrêter l'action, ne la reprenant qu'au lever du jour ; répit bien mérité à l'issue de cette journée au cours de laquelle le Groupement a parcouru en combattant 70 kilomètres et a capturé 1.475 prisonniers, 15 canons de 20 mm et deux canons de 88.
A Sigmaringen, les Cuirassiers s'empressent autour des chars, les préparant pour la magnifique aventure du lendemain ; puis c'est un repas hâtif avant d'aller prendre quelques courtes heures de repos... On glane en passant des anecdotes... On examine sans déplaisir le brouillon d'une lettre trouvée au château, lettre d'adieux de Jean Luchaire à ses "collaborateurs " " Après sept mois de travail à Sigmaringen, les circonstances obligent la plupart de nous à nous disperser !"...
Les "circonstances"... Et quelles " circonstances" !... Les traîtres ont vu surgir l'heure du châtiment...
Ulm
(23-24 Avril 1945)
Quarante-huit heures d'étapes épuisantes suivies de trois jours de combat : cinq nuits de veille à bord des chars, cinq nuits au cours desquelles il a fallu, à peine arrivé sur l'objectif conquis, songer à celui du lendemain... les hommes sont las et la victoire elle-même ne parvient plus à les émouvoir... Que ne donneraient-ils pas pour quelques heures de sommeil, ce sommeil qui alourdit leurs paupières, qui engourdit leurs membres courbatus... Il faut pourtant continuer à se battre :
" Conformément aux instructions du Général d'Armée Commandant la 1ère Armée Française, il y a lieu de profiter au maximum de la désorganisation actuelle des forces ennemies pour progresser sans désemparer en direction d'Ulm.
La prise de la ville historique d'Ulm aura un retentissement dans le monde qui n'échappera à personne".
C'est pourtant avec le même cœur qu'ils sont repartis, au petit matin, enlevant pour de nouvelles charges leurs montures harassées...
A 4 heures 30, le Groupement Durosoy s'ébranle, quittant Sigmaringen. En tête, le Sous-Groupement de Maison-Rouge avec le 4ème Escadron, deux sections de la Compagnie Tardy et la section du Génie ; le P.C. léger du Colonel suit, précédant la batterie Dubreuil du 1er Groupe du 63ème R.A. ; puis la réserve qui, aux ordres du Capitaine Perrin, est composée du 3ème Escadron, du peloton de T.D. Gelly, d'une section de Zouaves et des mortiers et canons anti-chars de l'Etat-Major du Régiment ; le P.C. lourd et une batterie du 68ème marchent enfin en queue de colonne.
On remonte la rue en pente conduisant à la sortie Sud-Est de la ville et c'est aussitôt le Wild Park, à travers lequel court la route de Krauchenwies ; le vrombissement des Sherman se répand dans les allées où, seul, retentissait jadis le galop des Hohenzollern. Après Krauchenwies on tourne à gauche vers Herbertingen, qu'on croit déjà occupé par le Groupement Doré : l'ordre est de continuer de là en direction de Durmentingen, Kirchbielingen, Dellmensingen et enfin Ulm, tandis que le Groupement Doré poussera vers le même objectif par Uniingen, Unter-Marchtal, puis, en suivant la rive Nord du Danube, par Ehingen et Erbach.
A l'entrée de Mengen, rapidement atteint, véhicules et engins s'immobilisent après un brusque à-coup : le Groupement Doré n'a pas encore quitté le village, Herbertingen étant toujours tenu par l'ennemi. Rien à faire tant que cet incident n'aura pas été réglé.
A 6 heures, aux premières lueurs du jour, la radio sort de son silence :
"Patrouille partie", rend compte l'Escadron André, dont les autos-mitrailleuses doivent précéder les Groupements : "résultats vont venir dans quelques instants..."
A 6 heures 35, on apprend que la station d'Herbertingen est libre ; puis trois-quarts d'heure plus tard, c'est l'annonce de l'occupation du village lui-même. Cent cinquante prisonniers sont laissés à la garde des prisonniers français libérés.
A 8 heures, le Groupement Durosoy peut enfin reprendre le mouvement, tandis que le Groupement Doré qui a dégagé la route, pousse vers Riedlingen.
De Mengen à Herbertingen, une voie ferrée, endommagée par l'aviation alliée ; ce ne sont qu'entonnoirs et rails tordus, contrastant avec l'aspect paisible de longs trains militaires abandonnés, chargés de véhicules et de canons.
Rapide passage à Herbertingen puis à Ertingen, où nos chars libèrent un important convoi de prisonniers alliés, provenant d'un camp évacué et déjà à leur quinzième jour d'épuisantes étapes à pied. L'attitude de la population civile est toujours aussi surprenante : c'est toujours de la curiosité et même de la sympathie à l'exclusion non seulement de l'hostilité mais même de la simple inquiétude. A Durmentingen, où le Groupement parvient à 9 heures, hommes, femmes et enfants agitent frénétiquement des mouchoirs avec un tel ensemble qu'il paraît impossible qu'une semblable manifestation ne soit pas le résultat d'une consigne ; s'agit-il d'un ordre donné par la B.B.C. ?
A la même heure le Groupement Doré disperse à la mitrailleuse de fortes colonnes ennemies surprises à gauche de la route d'Ertingen à Neufra : plus de 300 prisonniers. Après Neufra, c'est le carrefour conduisant vers Riedlingen, village situé à cheval sur le Danube ; poussant vers le fleuve, l'Infanterie fouille les maisons de la rive Sud, la seule accessible : encore 450 prisonniers
A 10 heures 15, tandis que le gros du Groupement est encore à Riedlingen, la tête a déjà abordé Unlingen. Le Commandant Doré est enchanté :
" Ça marche bien. Je galope vers le pont. C'est un véritable carnage", annonce-t-il à 10 heures 43 ; puis, quelques minutes plus tard : " Je viens de mettre en feu deux chars ennemis".
Il s'agit de deux chars repérés sur la rive Nord du Danube, à hauteur de Riedlingen et incendiés par les T.D.
De nouveaux objectifs se présentent d'ailleurs sans cesse de l'autre côté du fleuve, objectifs immédiatement pris à partie tant par les chars légers du 1er Escadron que par la batterie d'artillerie qui appuie le Groupement.
Après le nettoyage d'Unlingen qui a donné 250 prisonniers, 2 canons de 88 et 32 Panzerfaust, le Commandant Doré continue vers Unter-Marchtal. Ses premiers éléments sont en vue d'Ober-Marchtal à 11 heures 45 et la batterie d'artillerie ouvre le feu sur le village dans lequel vient de pénétrer un important groupe d'Allemands. L'ennemi ne résiste pourtant pas : Ober-Marchtal est occupé sans incidents à midi. Il ne reste plus que trois kilomètres jusqu'au pont, ils sont rapidement franchis par les A.M., mais leur compte-rendu n'est pas celui que l'on espérait : l'ouvrage a sauté à 3 heures du matin...
Pendant ce temps, le Groupement Durosoy a enlevé, à 9 heures 30, Hailtingen où il a fait une trentaine de prisonniers et a libéré 200 Polonais. Les bois situés au Nord et à l'Est du village sont littéralement infestés d'ennemis en repli ; Sherman et automoteurs de 105 canonnent violemment, avant de repartir, les rassemblements particulièrement importants qui peuvent être repérés.
L'objectif suivant est Uttenweiler, distant de 6 kilomètres ; les automitrailleuses du peloton Maurice s'y portent d'un seul bond, tandis que le Lieutenant de Tinguy qui commande les éléments de tête du Sous-Groupement de Maison-Rouge, observe de la crête qui, à un kilomètre de là, surplombe le village.
Des coups de canons... des rafales des mitrailleuses de 20... le pare-brise de la jeep du Lieutenant de Tinguy vole en éclats... De la fumée simultanément à la lisière de l'objectif : une de nos automitrailleuses brûle...
" Faire vite", telle est la consigne donnée par le Colonel : le Lieutenant de Tinguy bondit en avant avec le peloton Kogler et la section de Zouaves Aries, sans attendre d'être rejoint par le gros du Sous-Groupement. A droite, l'Aspirant Kogler avec trois Sherman et les Zouaves : il faudra qu'il quitte la route et s'efforce de pénétrer dans le village par le Sud, de façon à en couper les issues en direction de Biberach : à gauche, le Lieutenant de Tinguy, lui-même, avec le "Saumur" son char de commandement, et le "Saint-Quentin", char du Maréchal-des-Logis-Chef Chabrat : il va contourner Uttenweiler par le Nord afin d'interdire les sorties vers Dieterskirch et Sauggart.
Pas d'appui d'Infanterie pour lui, mais qu'importe !... ne s'agit-il pas de faire vite ?...
Des taches vert clair se meuvent dans le vert sombre des blés déjà hauts... Quelques rafales de mitrailleuses et les Sherman dépassent des corps immobiles auprès desquels gisent des Panzerfaust devenus inoffensifs.
Le feu ennemi s'amplifie, lui aussi, à mesure que se rapprochent les lisières du village ; canons de 20, mitrailleuses, fusils, c'est un tintamarre infernal... Les chars avancent pourtant, faisant mouche à chaque coup de canon, à chaque rafale de mitrailleuse car, impassibles en dépit des balles qui sifflent, ricochent sur les volets ouverts, effleurent les casques et brisent les périscopes, les chefs de chars continuent d'observer à découvert, le buste à la tourelle ; il y a quatre minutes à peine que le peloton a débouché et une partie d'Uttenweiler est déjà en feu.
Un court arrêt du char de l'Aspirant Kogler pour recueillir un Sous-Officier du peloton Maurice... les trois Sherman se déplacent... quelques coups de canon et c'est de nouveau la poussée en avant : l'arme qui a détruit l'automitrailleuse ne tirera jamais plus.
Plus que cinquante mètres désormais jusqu'aux premières maisons... quelques instants pour attendre l'Infanterie retardée par l'intense barrage d'armes automatiques ennemies... Pas longtemps, car l'Aspirant Aries a rejoint avec environ un groupe de sa section... Les Zouaves montent sur les chars qui repartent...
L'ennemi semble quelque peu désemparé et cesse de tirer. Profitant de cette accalmie, l'Aspirant Kogler s'engage entre deux maisons qui brûlent, par un petit chemin parallèle à la grand'route.
Un Panzerfaust s'écrase aussitôt devant le Sherman, un autre effleure l'épaule de l'Aspirant et éclate dans une fenêtre voisine... Sans attendre le troisième projectile, le char fait marche arrière.
Mais l'Aspirant Aries a vu les coups partir... Sautant à terre, il avance dans la rue, suivi de deux de ses hommes et couvert par les armes du "Saint-Nazaire"... Deux pas à peine et tous trois sont fauchés par plusieurs rafales d'armes automatiques, provenant d'une autre fenêtre de maison... Rageusement, l'ennemi s'acharne sur les corps étendus, cruauté aussi inutile qu'imprudente : deux coups de 75 du "Saint-Nazaire" et trois soldats allemands sautent par les fenêtres, dans la rue... courte rafale de mitrailleuse... tout est fini.
L'Aspirant Kogler quitte alors son char et, en dépit d'un feu violent, court relever l'Aspirant Aries et les deux Zouaves, puis, ayant constaté le désarroi produit sur toute la section par la perte de son chef, il s'arme d'une mitraillette et repart en avant, à pied, entraînant les Zouaves derrière lui ; il restera à leur tête tout le long de l'opération d'Uttenweiler.
Pendant ce temps, à gauche, le "Saumur" et le "Saint-Quentin" ont progressé eux-aussi, mettant impitoyablement en flammes les maisons abritant les tireurs ennemis. Deux Panzerfaust s'écrasent soudain entre les deux chars : deux secondes à peine et une grange brûle. Trois clochers dominent toute la zone de combat : le Lieutenant de Tinguy concentre sur eux le feu des deux Sherman ; première salve sans résultats apparents ; le tir est repris avec des obus à retard ; aussitôt une violente explosion... Les obus arrêtés par les branches d'un arbre ont arrosé de leurs éclats les servants d'un canon de 88 PAK Flak, en batterie sur la route, juste au bas de l'église et les Allemands, se croyant repérés, se sont hâtés de faire sauter leur pièce... La route d'Ulgendorf est bientôt atteinte. Quelques coups de 75 sur deux camions et une voiture légère suffisent à retirer toute envie de fuite à l'ennemi. Les Panzerfaust s'écrasent toujours autour des chars ; l'un d'eux, qui n'éclate pas, permet au Maréchal-des-Logis-Chef Chabrat de voir les lueurs du départ... un obus... une nouvelle maison brûle... un tireur de bazooka de moins...
A droite, l'Aspirant Kogler a rejoint, lui-aussi, dans le village, la grand'route de Biberach.
Une barricade improvisée est rapidement enlevée. Soudain, à un tournant de rue, un automoteur : le char de tête essuie deux obus mal ajustés qui le ratent et l'engin ennemi se replie avant d'avoir pu être tiré. Les Sherman continuent vers la sortie du village qu'ils atteignent suffisamment à temps pour détruire une colonne automobile en fuite.
Dans Uttenweiler dont toutes les issues sont désormais verrouillées, commence alors le dernier acte, le nettoyage. Le Lieutenant de Tinguy a mis pied à terre avec le Cuirassier de Chabot ; suivi du "Saumur", il s'attaque à coups de grenades aux maisons; des soldats allemands qui tentent de s'enfuir, sont immédiatement abattus, d'autres se réfugient dans les caves, d'autres enfin, sortent spontanément dans la rue et se dirigent vers le char, les bras levés.
Au croisement de la route de Sauggart et de celle de Biberach, la section de Zouaves de l'Aspirant Baurens et une partie de celle du Lieutenant Loriot rejoignent le Lieutenant de Tinguy ; renfort qui est loin d'être inutile, car la résistance de l'ennemi semble se raffermir ; les Panzerfaust en particulier tombent si drus que les Cuirassiers croient un instant qu'il s'agit d'un barrage d'artillerie ou de mortiers.
L'Aspirant Baurens avance vers une grange... il a tout juste le temps de sauter en arrière, évitant une rafale de mitraillette ; un de ses hommes, un Alsacien, bondit à son tour : il est littéralement haché par un Panzerfaust en pleine poitrine... quelques grenades et la grange brûle avec tous ses défenseurs...
De nouveaux renforts, à ce moment, constitués par le groupe de nettoyage du Capitaine André.
Les prisonniers affluent, mais nombreux sont les Allemands qui, ne voulant pas se rendre, meurent dans les décombres des maisons incendiées. La lutte s'éteint peu à peu et tout est terminé à 12 heures 30. Cette opération, que la résistance farouche de l'ennemi a fait durer plus de deux heures, laisse entre nos mains environ 400 prisonniers, dix canons de 88, 105 et 155, deux canons de 25, trois canons automatiques de 20 et un grand nombre de véhicules de toutes sortes, dont un camion rempli de motocyclettes neuves.
Le 2ème Cuirassiers apprendra plus tard qu'il a défait les débris de plusieurs Artilleries Divisionnaires qui, retraitant du Nord, à la suite de la prise par nos troupes de Stuttgart, tentaient de gagner le "réduit" du Tyrol.
Envisageant l'éventualité de l'impossibilité du franchissement du Danube à Unter-Marchtal, l'ordre d'opération de l'Etat-Major du C.C.1 avait prévu que le Groupement Doré devrait, dans ce dernier cas, infléchir son axe de marche vers le Sud-Est, couper à Unter-Stadion l'itinéraire du Groupement Durosoy, puis se porter, à l'issue de ce chasse-croisé, vers Ulm par Ingerkingen, Unter-Sulmetingen, Laupheim, Achstetten, Altheim et Wiblingen. Avant d'entreprendre ce mouvement, le Commandant Doré tient pourtant à rendre compte d'une autre possibilité qui vient de se faire jour : le pont de Rottenacker serait intact d'après les renseignements recueillis auprès des habitants.
"Reconnaissez-le et, s'il est utilisable, reprenez votre mission N° 1" répond, à 13 heures, l'Etat-Major du C.C.1.
Une heure plus tard, renseignements favorables de la patrouille de l'Escadron André :
"Pont intact - Liaison prise avec les Américains."
Le Commandant Doré est déjà au courant de la présence de nos alliés au Nord du Danube tant par un message de l'Etat-Major du C.C.1, reçu à midi, qu'à la suite d'une liaison radio directe, réalisée à 13 heures ; il reste seulement à déterminer si le Groupement n'empiétera pas sur leur zone d'action en empruntant la route qui suit la rive Nord du fleuve. L'Etat-Major du C.C.1 transmet pourtant un nouvel ordre formel :
" Passez le pont ; marchez sur votre objectif. La grand'route nous appartient d'accord avec nos Alliés. Tâchez de savoir au plus tôt s'ils ont Ulm."
Le Commandant Doré dirige donc son Groupement vers Rottenacker par Hausen-am-Bussen, Emerkingen et Unter-Stadion, puis, devançant la colonne, se porte vers le pont, pour mettre au point les modalités de franchissement du fleuve.
Le contact est momentanément perdu ; de nombreuses unités ennemies restent néanmoins sur le flanc gauche, au Nord du Danube, unités tant d'Infanterie que d'Artillerie, et des projectiles de tous calibres viennent éclater par intermittence, non seulement dans la zone du Groupement, mais aussi dans celle du Groupement Durosoy. Ces tirs sont en général peu fournis, car l'ennemi doit être à court de munitions ; l'un d'entre eux endeuille cependant très gravement le 1er Escadron.
Arrêté sur le bord de la route à proximité d'Hausen-am-Bussen, le Sous-Lieutenant Martin observe le dépannage du poste radio d'un de ses chars, quand surviennent deux obus de 88 ; le Sous-Lieutenant Martin est tué ainsi que le Maréchal-des-Logis-Chef Saugeay, le Brigadier Deligny et le Cuirassier Di Constanzo ; un blessé, le Cuirassier Cachot.
Parvenu à 15 heures au carrefour Nord d'Unter-Stadion, le Commandant Doré y rencontre le Colonel à qui il expose sa situation. Les deux Groupements sont sensiblement à la même hauteur, les chars du 4ème Escadron, qui n'ont pas encore repris le contact depuis le combat d'Uttenweiler, étant près d'atteindre Kirchbierlingen, après avoir traversé Sauggart, Grundsheim, Ober-Stadion et Unter-Stadion.
A 15 heures 30, les Troupes Américaines progressant au Nord du Danube, prennent le contact radio avec le Groupement Durosoy sur sa longueur d'onde : "Allô ! Allô ! Ici colonne américaine... J'appelle la colonne française !..."
La position et l'axe de marche du Groupement sont indiqués à nos alliés qui précisent de leur côté que leur P.C. se trouve à Rechtenstein, à 2 kilomètres Nord-Ouest d'Ober-Marchtal.
A Kirchbierlingen, où le Groupement parvient à 16 heures, le 4ème Escadron, à bout d'essence, est obligé de stopper ; pour éviter toute perte de temps, le Colonel décide de faire passer en tête le 3ème, qui, en réserve jusque là, a déjà pu refaire ses pleins. La progression est reprise à 16 heures 45.
Pendant ce temps, le Commandant Doré à pris la liaison, à 16 heures 15, à Rottenacker, avec un Officier français détaché à l'Etat-Major de la 10ème Division Blindée Américaine. Ce dernier, très étonné de voir les chars français parvenus aussi vite et aussi loin, ne cache pas sa surprise en apprenant la mission du Groupement de pousser vers Ulm par la rive Nord du Danube ; en l'absence de toute nouvelle précision, le Commandant Doré décide de continuer.
Après Rottenacker, passage à Ehlingen, où se trouve le P.C. de la 10ème D.B.U.S. Chars légers et Zouaves prennent la route d'Ulm tandis que le Commandant Doré fait halte pour aller se présenter au P.C. allié. Etonnement de la part du Général Morris, commandant la 10ème D.B.U.S. qui affirme au Commandant Doré qu'il vient de pénétrer dans la zone qui lui a été impartie.
- " Qui a qualité de stopper cette colonne ? " lui demande-t-il, après avoir essayé de téléphoner à l'autorité supérieure.
- " C'est moi qui la commande, mais mes chars marchent déjà sur Ulm", répond le Commandant Doré.
Le Général Morris lui explique alors que ses unités viennent du Nord et qu'elles bordent le Danube de Rottenacker à Opfingen, point extrême de l'avance alliée vers l'Est. Son intention est de franchir le fleuve le lendemain et de déborder largement Ulm par le Sud-Est et la rive droite de l'Iller.
Le Commandant Doré réplique que les chars de la 1ère D.B. Française marchent déjà sur l'Iller.
De plus en plus surpris, le Général Morris déclare qu'il va demander de nouveaux ordres et ajoute : "Entre blindés, nous nous entendrons toujours..."
Après avoir pris congé du Général Américain, le Commandant Doré rejoint sa troupe, à la hauteur d'Oberdischingen, et poursuit vers Ulm dont il n'est plus séparé que par une dizaine de kilomètres.
A la même heure, le Groupement Durosoy est devant Dellmensingen. La flèche de la cathédrale d'Ulm se profile déjà dans le lointain, mais c'est de nouveau le combat, le combat qui fait perdre un temps précieux. Rien pourtant ne le laissait prévoir ; après Kirchbierlingen, ce furent successivement Altbierlingen, Griesingen, Rifstissen, Ersingen, villages paisibles où nos chars ne trouvèrent que sourires et mouchoirs blancs. A l'entrée de Dellmensingen, une barricade sur un petit pont. Les A.M. de l'Escadron André suivies de près par les Sherman, s'en approchent sans recevoir le moindre coup de feu et Chasseurs d'Afrique et Cuirassiers se mettent aussitôt à déblayer l'obstacle ; le Colonel, lui-même, toujours en tête dans sa jeep, a mis pied à terre et s'entretient avec le Capitaine André en observant l'opération. Elle est déjà achevée lorsqu'un feu précis venant des caves et greniers balaie la route : des morts, des blessés dont le Brigadier Julien de l'Etat-Major... Mais l'Allemand n'obtient pas l'effet de surprise escompté : les chars passent immédiatement à l'attaque....
A 19 heures 15, tandis que le Groupement Durosoy achève le nettoyage de Dellmensingen, le peloton de reconnaissance commandé par le Lieutenant de Bellefond, qui éclaire le Groupement Doré, atteint les premières maisons d'Ulm, mais ne peut plus progresser, la route étant balayée par des tirs nourris de 88 et de canons de 20. Le Commandant Doré, s'étant porté à la hauteur du Chef de peloton, envoie une patrouille d'Infanterie au Nord de la route : 35 prisonniers sont faits qui, interrogés, déclarent que l'axe du Groupement est battu par deux canons de 88 et six canons de 20 et que la ville est défendue par une garnison de 5.000 hommes.
La nuit est proche ; il est impossible de poursuivre l'attaque ; le Commandant Doré décide donc de se replier légèrement pour ne pas exposer ses hommes aux tirs de 88 et s'installe en situation défensive auprès du pont de chemin de fer que les Allemands ont laissé intact.
Situation identique au Sud du Danube ; de nouvelles et sérieuses résistances s'étant révélées dès le débouché de Dellmensingen, le Colonel s'est vu obligé d'arrêter les opérations par suite de l'obscurité. Le P.C. du Groupement s'installe à Ersingen.
Retardé par l'opposition de l'ennemi, le 2ème Cuirassiers n'a pas réussi à prendre pied dans Ulm, dont il a atteint les premières maisons, au Nord, les proches environs, au Sud. Les résultats de la journée qui s'achève n'en sont pas moins très brillants : plus de 80 kilomètres franchis en combattant, plus de 2.000 prisonniers, des dizaines de canons de tous calibres capturés, deux chars ennemis détruits. Vivant cette ambiance de victoire, les Cuirassiers ne se doutent même pas du drame qui se joue sur leurs arrières, dans ces mêmes villages que leurs chars ont conquis ou traversés ; ils ignorent que d'importants effectifs ennemis, retraitant de Stuttgart, les ont réoccupés après leur passage, interceptant les communications entre Siegmaringen et Ulm ; ce n'est que le lendemain qu'ils apprendront comment des S.S. ont massacré à Sauggart les deux sœurs Lecocq, ambulancières de leur Compagnie Féminine, qui transportaient deux blessés français et un allemand ; ce n'est que le lendemain qu'ils sauront qu'ils ont perdu un des leurs, particulièrement cher à tous, le Capitaine Fougère, suivi dans la mort par le Maréchal-des-Logis Paillé ; ce n'est que beaucoup plus tard, bien après le jour " V", qu'ils connaîtront le sort du Maréchal-des-Logis Khalfalah, Sous-Officier du peloton d'essence, venu si souvent leur apporter, sous les obus, le précieux carburant, retrouvé mort, le colt à la main.
C'est à 17 heures que le Capitaine Fougère, resté à Sigmaringen avec le Groupement Vallin, reçut l'ordre de l'Etat-Major du C.C.1 de se porter avec son Escadron, mais sans Infanterie d'appui, sur l'axe Herbertingen, Ober-Marchtal pour y intercepter d'importantes infiltrations ennemies venant du Nord-Ouest.
Parvenu à 22 heures à Unlingen, il y trouve le Lieutenant Paro, commandant la Compagnie 88/2 du Génie, qui le met au courant de ce qu'il sait de la situation, lui indiquant en particulier qu'il a constitué un bouchon avec sa section réservée au pont de Zwiefaltendorf. Malgré la nuit, ne songeant qu'à sa mission, le Capitaine Fougère quitte Unlingen en direction d'Ober-Marchtal. Deux kilomètres environ après la sortie du village, un bois ; l'Escadron s'y engage. Soudain lueurs et explosions... Que s'est-il passé ? Panzerfaust ? Grenades lancées par des Allemands embusqués dans les fossés au bord de la route ? Tout le personnel du half-track de commandement de l'Escadron est hors de combat : le Capitaine Fougère et le Maréchal-des-Logis Paillé sont tués. Le Lieutenant Laporte qui, en pleine action, tout comme à la cité Anna, prend la place de son chef tué, conduit l'Escadron à Ober-Marchtal qu'il occupe sans incidents.
Vers la même heure, les Officiers de l'Etat-Major du Colonel sont en train de dîner à l'auberge d'Ersingen. C'est la détente après la tension nerveuse du combat, la détente et, avec elle, le retour de l'impérieux besoin de dormir, maîtrisé puis oublié tout au long de la journée : des bustes se plient, des mains, déjà soulevées, tombent lâchant fourchettes et couteaux, des têtes se penchent soudain dans les assiettes... Un convive pourtant alerte et enthousiaste : c'est un pilote de chasse américain dont le " Thunderbolt" a été abattu par la D.C.A. ennemie deux jours auparavant ; descendu en parachute, il a réussi, non sans peine, à échapper aux Allemands qui le pourchassaient.
"Cet après-midi, j'ai brusquement vu sur la route des chars allant très vite", raconte-t-il pour la dixième fois, "ce sont certainement des Français, me suis-je dit... Et, en effet, j'ai reconnu le drapeau tricolore avec la croix de Lorraine..."
Le Colonel a déjà donné ses ordres pour le lendemain : le Groupement attaquera sur l'axe Donaustetten, Gogglingen, Wiblingen, Ulm, en liaison avec les troupes américaines, avec qui une parfaite coopération a été réalisée. Du côté allié, c'est la 44ème D.I. qui agira au Nord du Danube, sur l'axe direct Erbach - Ulm, tandis que la 10ème D.B. débordera la ville par le Sud. Un appui d'artillerie a été proposé au Colonel par le Général commandant la 44ème D.I.
Tout est donc prêt... On débarrasse les tables, livrant passage à une quinzaine d'Allemands qui, ayant appris que l'Etat-Major coucherait dans la salle de l'auberge, attendaient à la porte la fin du dîner pour venir dresser les lits qu'ils ont transportés sur leur dos... Il est minuit passé !
A 4 heures, visite d'un Officier américain ; venant de l'Etat-Major d'un C.C. de la 10ème D.B., il apporte les dernières précisions relatives au mouvement des chars alliés : débouchant à 6 heures de Donaurieden, ils passeront au carrefour Nord-Est d'Ersingen, puis pousseront vers Stetten, Schnürpflingen, Vohringen. Le Colonel lui précise en retour qu'il sera en mesure de couvrir vers le Nord la manœuvre qui vient de lui être exposée.
On n'a plus guère le temps de se recoucher lorsque l'Officier allié est parti ; la nuit aura été de nouveau courte avec ses quatre heures de sommeil...
Les premiers chars américains apparaissent dans la zone du Groupement Durosoy peu après 6 heures ; la longue colonne du "Combat Command" défile deux heures durant.
A 8 heures, le Colonel donne le signal de la reprise dé la progression.
Les premiers kilomètres sont rapidement franchis ; c'est tout d'abord Donaustetten, abordé dès 8 heures. 10, puis Gogglingen, occupé aussitôt après ; le Groupement n'est plus qu'à un kilomètre de Wiblingen, dernière localité avant Ulm, lorsqu'il est stoppé par de sérieuses résistances : la route est barrée et minée et le village solidement tenu, plusieurs batteries ennemies sont en action dans ses environs immédiats, tirant sur les troupes américaines qui attaquent les faubourgs Ouest d'Ulm ; le Colonel les fait aussitôt prendre à partie par les 105 du Groupement et, après une rapide reconnaissance de terrain, se prépare à déclencher une action de force contre la position allemande, action qui sera menée par les deux Escadrons de chars moyens.
Peu avant midi, visite d'un Officier de liaison de la 44ème D.I.U.S., venu offrir de nouveau un appui d'artillerie pour aider la progression du Groupement. Communication lui est donnée de l'ordre d'attaque.
Les unités achèvent de se mettre en place, lorsqu'à 13 heures, un message radio vient tout remettre en question :
"Dirigez d'urgence un Escadron moyen et une section d'Infanterie sur mon P.C.", prescrit l'Etat-Major du C.C.1.
Cherchant à comprendre ce qui a pu motiver cet ordre, survenu en pleine action et qui doit fatalement compromettre les résultats d'une opération aussi importante que celle d'Ulm, on fait des rapprochements avec les quelques messages captés dans le courant de la matinée et auxquels on n'avait pas prêté grande attention :
" Je me porte au secours de Laporte, qui a demandé mon aide. Je demande qu'on m'envoie une liaison d'artillerie" avait passé, à 11 heures le Commandant Vallin. Message suivi d'autres, où il était toujours question de Laporte, de violents tirs d'artillerie, de situation critique... Laporte ? On a pensé aussitôt au Capitaine Laporte du 9ème Chasseurs, commandant l'Escadron de T.D. du C.C.1, s'étonnant qu'il ait pu être engagé, alors qu'on ne savait même pas qu'il ait eu un Sous-Groupement tactique à ses ordres. Ce n'est qu'à 13 heures 30 que l'Etat-Major du Colonel apprit la douloureuse nouvelle de la mort du Capitaine Fougère, comprenant aussitôt qu'il s'agissait du Lieutenant Laporte et du 2ème Escadron.
Au reçu du message de l'Etat-Major du C.C.1, le Colonel prescrit la mise en route immédiate du 4ème Escadron qui achevait sa mise en place. Il est obligé, en contre-partie, de rapporter momentanément son ordre d'attaque : l'Escadron Perrin se contentera de conserver le contact devant Wiblingen qui sera soumis par ailleurs à un sévère bombardement d'artillerie. Arrêté au Sud, le 2ème Cuirassiers est plus heureux au Nord, où les chars légers du Groupement Doré ont pu pénétrer dans Ulm avec les fantassins américains de la 44ème D.I. ; obligé de lier son action à celle de nos alliés pour ne pas subir les effets de leurs tirs d'artillerie et d'aviation, le Groupement progresse sans combat en direction de la cathédrale.
A 13 heures 30, nouvelles précisions touchant à la situation de nos arrières : " Laporte avait coupé en deux un très gros convoi ennemi dont les tronçons sont très agressifs. Il semble que les ponts de Zwiefaltendorf sont sur l'itinéraire emprunté par d'importantes forces ennemies", rend compte le Commandant Vallin à l'E.-M. du C.C.1.
Puis, bientôt après, un message de la Compagnie 88/2 du Génie :
" Compagnie Infanterie ennemie déployée en tirailleurs attaque le village à partir lisière Ouest. Envoyez renfort Infanterie. Urgent."
Vers 15 heures, les batteries d'artillerie ennemies en position au Nord-Est de Wiblingen, et qui ont été violemment contre-battues par les automoteurs du l/68ème, se taisent. Une patrouille aussitôt poussée vers les lisières de l'objectif, en ramène le bourgmestre du village : venu se constituer en otage en signe de sa bonne foi, il déclare que les troupes ennemies viennent de décrocher. Wiblingen est immédiatement occupé.
A la sortie du village, nouveau contact à 15 heures 30, mais Sherman et Zouaves progressent en dépit de la farouche opposition de l'ennemi, nettoyant méthodiquement les bois situés de part et d'autre de la route. Ils sont tout près de l'Illerbrûcke, le pont sur l'Iller, porte d'Ulm, lorsqu'il saute sous leurs yeux !
Quelques minutes après, à 16 heures 10, nouvel ordre de l'Etat-Major du C.C.1 :
"Vous êtes relevé de votre mission actuelle. Dès reçu présent ordre, faire mouvement sur zone Ober-Stadion, Grundsheim, Mülhausen..." .
Cette fois-ci c'est la fin : le Groupement Durosoy doit faire demi-tour alors que son objectif est si proche, de l'autre côté de l'Iller. Les comptes-rendus adressés parle Commandant Vallin à l'Etat-Major du C.C.1 semblent pourtant rassurants :
" J'ai obtenu la reddition d'Ulgendorf" dit son message -" Avons fait plus de 400 prisonniers, détruit deux chars et une quinzaine de canons..."
Mais peut-être ne sait-on pas tout de la situation .?...
Seul, le Groupement Doré restera jusqu'au lendemain dans Ulm et le Capitaine du Boispéan aura la fierté de monter, victorieuses, dans le ciel de la ville, les couleurs françaises qui avaient flotté à son P.C. africain de Misserghin.
(25-26 Avril 1945)
Dans le courant de la journée du Mercredi 25 Avril, tout le 2ème Cuirassiers, y compris le 1er Escadron, se trouve rassemblé dans la région d'Oberstadion. Seule, la Compagnie de Zouaves du Groupement Doré est restée à Ulm pour y représenter l'Armée Française.
Désormais plus que deux Groupements au C.C.1, celui commandé par le Chef d'Escadrons Doré étant dissous ; le 2ème Escadron, cantonné à Uttenweiler, fait toujours partie du Groupement Vallin, tandis que le Colonel rassemble sous ses ordres tout le reste du Régiment. La mission du nouveau Groupement Durosoy est de pourvoir à la sécurité des communications dans la zone qui lui a été impartie et, en particulier, de veiller à la sûreté de la route de Sauggart - Uttenweiler.
Son dispositif est le suivant :
- à Oberstadion, le P.C., l'Etat-Major, le peloton de mortiers et le 1er Escadron ;
- à Grundsheim, le 2ème Escadron, moins un peloton et la section du Génie ;
- à Sauggart, le 4ème Escadron ;
- à Hundersingen, un peloton du 3ème Escadron et le peloton anti-chars de l'Etat-Major ;
- à Mülhausen, la Compagnie Tardy et le peloton de T.D.
La région continue à être littéralement infestée par les unités ennemies en déroute ; dispersés la veille par le coup d'arrêt porté par le Groupement Vallin et le 4ème Escadron revenu de Wiblingen, les Allemands se sont réfugiés dans les nombreux bois environnants ; incapables de toute nouvelle action de force, ils n'en rendent pas moins périlleuse la circulation des convois de ravitaillement et des véhicules isolés.
Dès le début de l'après-midi, le 4ème Escadron organise spontanément une véritable chasse à l'homme, capturant d'un seul coup 300 prisonniers et un char à Dieterskirch, village situé à 2 kilomètres de son cantonnement. Stimulé par ce premier succès, le Lieutenant de Tinguy continue, dosant judicieusement la force et la persuasion. Cette tactique réussit pleinement puisqu'à la chute du jour, plus de quinze cents prisonniers sont rassemblés à Sauggart.
A 16 heures, enterrement du Capitaine Fougère à Uttenweiler. On suit, le cœur douloureusement serré, le "Duguesclin" transportant pour la dernière fois la dépouille mortelle de celui qui fut le modèle de tant de vertus, de ce chef exceptionnel qui, ayant rejoint son unité, à peine guéri, affronta de nouveau le feu alors que l'atroce blessure qu'il avait reçue à Ramonchamp, s'était rouverte.
Les deux dernières journées ont été particulièrement lourdes pour le 2ème Escadron qui, en dehors de son Capitaine et du Maréchal-des-Logis Paillé tués, a eu neuf blessés dont plusieurs graves : l'Aspirant Douçot, le Maréchal-des-Logis-Chef Bart, le Brigadier Soler Diego et les Cuirassiers Genin René, Moullard Maurice, du Passage Antoine, Contursy, Muscat et Mohamed ben Chaïb.
Ayant dit le peu qu'il savait des circonstances de la mort de son chef, le Lieutenant Laporte raconte comment, après avoir passé la nuit à Ober-Marchtal, il a pu couper en deux une longue colonne allemande, dont les tronçons l'encerclèrent dans Datthausen, le mettant dans une situation critique, et comment, dégagé par le Commandant Vallin, il s'est porté au secours de la Compagnie 88/2 du Génie, encerclée, elle-aussi, à Hundersingen.
On ignore, en écoutant ce récit que c'est pour la dernière fois que l'on entend ce camarade que l'on estime et qui a donné au feu, en tant d'occasions, de si grandes preuves de sa valeur.
Les ordres pour le lendemain, jeudi 26, reçus dans le courant de la soirée, prévoient une vaste opération de nettoyage de toute la région comprise entre la zone de stationnement du C.C.1 et le Danube. Tout le 2ème Cuirassiers doit y prendre part dans le cadre des deux Groupements Durosoy et Vallin, à l'exception du 1er Escadron, chargé de l'escorte des quelques 2.000 prisonniers capturés dans le courant de la journée.
Commencée à 8 heures 30, l'opération se poursuit sans incidents jusqu'au soir. Les deux Sous-Groupements qui ont été constitués par le Colonel aux ordres des Chefs d'Escadrons Doré et de Maison-Rouge, ratissent méthodiquement la quadrilatère Uttenweiler, Ober-Marchtal, Rottenacker, Unter-Stadion, prenant la liaison aussi bien entre eux qu'avec le Groupement Vallin aux objectifs successifs qui ont été désignés. Le tableau de chasse est de nouveau impressionnant :
plus de 2.000 prisonniers dont deux Colonels, un matériel impossible à dénombrer, deux chars, trente canons de tous calibres.
Les documents trouvés sur les Officiers prisonniers permettent de reconstituer d'une façon précise les événements des jours précédents. Ils confirment en particulier que c'est l'attaque d'Uttenweiler, conduite le 23 avril par le Groupement Durosoy, qui a désorganisé le dispositif de couverture face à l'Ouest, que l'ennemi tentait de mettre en place pour permettre l'écoulement de ses colonnes en direction du triangle Isny, Kempten, Immenstadt. S'étant ressaisis, les Allemands se sont efforcés dans le courant de la journée du 24 Avril, de se fortifier dans le quadrilatère Unlingen, Ober-Marchtal, Unter-Stadion, Uttenweiler, mais leurs rassemblements furent dispersés par l'intervention du Groupement Vallin, aidé en fin de journée par le 4ème Escadron. Les nettoyages des 25 et 26 Avril portèrent le coup de grâce aux troupes ennemies en déroute.
En fin de journée, quelques modifications sont apportées au dispositif du Groupement qui a reçu l'ordre d'assurer la garde des ponts du Danube qui sont restés intacts, afin de les interdire à toute nouvelle infiltration d'éléments ennemis refluant du Nord. Le 3ème Escadron s'installe à Munderkingen, le peloton de T.D. Gelly, appuyé par une section de Zouaves, à Rottenacker, tandis que le 1er Escadron, de retour de sa mission d'escorte des prisonniers, prend la place, à Uttenweiler,
Mais de nouvelles missions attendent le 2ème Cuirassiers, dont la tâche est terminée dans cette région. Un ordre particulier parvenu au P.C. du Colonel le 27 Avril, à 2 heures du matin, annonce que le C.C.1 sera relevé dans le courant de la journée par un Groupement d'Infanterie.
Le Régiment devra pourtant laisser sur place le 1er Escadron et le Chef d'Escadrons de Maison-Rouge, désigné pour prendre le commandement du Groupement.
Le rideau du dernier acte de la campagne d'Allemagne va se lever.
Marche sur Immenstadt et Entrée en Autriche
(27 Avril-2 Mai 1945)
"Le C.C.1 doit être prêt à faire mouvement ce jour, à partir de 13 heures", portait "l'Ordre de Relève" reçu par le P.C. du Colonel, le vendredi 27 Avril, à 10 heures du matin. Mais, une demi-heure plus tard, dès 10 heures 30, c'est déjà le signal du départ : il est prescrit au Groupement Durosoy de se porter immédiatement dans la zone de Mittelbiberach, Reute, par l'itinéraire Ober-Stadion, Oggeisbeuren, Attenweiler ; Le temps d'alerter les unités, d'achever le chargement des véhicules et engins, et le 2ème Cuirassiers est en route.
Etape fort calme ; un seul incident : le mitraillage de quelques Allemands surpris à proximité d'Hausen-ob-Rusenberg, petit hameau entre Oggeisbeuren et Attenweuer. Ces derniers n'avaient d'ailleurs pas d'intentions agressives et ne songeaient qu'à se cacher, attitude désormais commune à tous les survivants des unités en déroute dans cette région.
Vers 15 heures 30, à peine parvenu à Mittelbiberach, le Groupement reçoit l'ordre de poursuivre sur l'axe Reute, Degernau, Hochdorf, sitôt que ses chars auront refait leurs pleins d'essence et de tenir en fin de mouvement Eberhardzell, Hetzisweiler et Buch. Un message radio, reçu peu après, lui prescrit par ailleurs de prévenir le Commandant de Maison-Rouge de ce que sa mission prendra fin à 18 heures.
C'est donc de nouveau la monotonie des petits chemins poussiéreux et étroits. Le 4ème Escadron est en tête avec deux sections de Zouaves, puis vient le 3ème avec la dernière section de Zouaves et la section du Génie, enfin l'Etat-Major du Colonel et les T.D.
A 19 heures, toutes les unités sont à leurs points de destination : le gros du Groupement est à Eberhardzell, village pauvre et sale, tandis que le 4ème Escadron tient Hetzisweiler et Buch, tous deux minuscules hameaux de quelques maisons seulement, situés à mi-distance entre Eberhardzell et Waldzee, occupé au Sud par le Groupement Vallin.
Au début de la nuit, des précisions sur la nouvelle manœuvre dans laquelle on est déjà engagé : la mission de la Division est d'agir en direction de Waldsee, Isny, Immenstadt, en vue de couper les lignes de repli des éléments ennemis refluant de la région Nord du lac de Constance.
Encadré à l'Ouest par la 5ème D.B. et à l'Est par le C.C.2, le C.C.1 devra progresser, dans le courant de la journée du 28 Avril, sur l'axe général Waldsee, Kissiegg. Deux objectifs successifs : tout d'abord la ligne Weingarten, Bengatreute, Molpertshaus, Ziegelbach, puis Vogt, Kissiegg, Heggelbach, Isny, Immenstadt... voilà donc le moment venu de marcher sur ces deux villes qui, avec Kempten, constituaient le suprême centre de ralliement, aussi bien des longues colonnes dispersée entre Sigmaringen et Ulm, que de tous les isolés capturés depuis le passage du Danube. Jamais encore la fin de la guerre n'a semblé aussi proche...
Il pleut à verse le samedi 28 Avril, lorsqu'à 7 heures 15, le Groupement Durosoy débouche d'Eberhardzell. Placé à gauche du dispositif du C.C.1, il a à sa droite le Groupement Vallin, dont fait désormais partie le 1er Escadron en plus du 2ème, et qui marche sur les deux axes :
- Waldsee, Volkertshaus, Bergatreure, Aittaun, Wolfegg, Vogt, et
- Reute, Kummerazhoffen, Baindt, Baienfurt, Weingarten.
Deux Sous-Groupements ont été constitués par le Colonel. Commandé par le Chef d'Escadron Doré et comportant le 3ème Escadron, deux sections de Zouaves, le peloton de T.D. et un groupe du Génie, le premier d'entre eux a pour mission de progresser par l'itinéraire Mülhausen, Eggs, Mansried, Haisterkirch, Molpertshaus (1er objectif), Einturnen, Immenried, Kissiegg (objectif final).
Aux ordres du Chef d'Escadrons de Maison-Rouge et formé du 4ème Escadron, d'une section de Zouaves, du peloton de mortiers et d'un groupe du Génie, le deuxième doit faire mouvement derrière le Sous-Groupement Doré jusqu'à Hattisweiler, puis agir offensivement dès la conquête de Molpertshaus, sur Ziegelbach. Mouvement ultérieur sur l'axe Arnach, Ubendorf, Heggelbach. La transversale Molpertshaus, Ziegelbach qui constitue le premier objectif du Groupement, ne doit pas être dépassé sans nouvel ordre du Colonel qui doit attendre lui-même l'ordre du Colonel Commandant le C.C.1.
Sherman et Zouaves progressent sans résistance avec une régularité mathématique ; le comptes-rendus se succèdent à la radio à intervalles réguliers, signalant l'occupation des différents villages : à 7 heures 55, c'est Mülhausen, à 8 heures 15, Eggmannsried, à 8 heures 30, Osterhofen, à 8 heures 35, Hitteikofen, à 8 heures 40, Haisterkirch, à 9 heures, Hattisweiler, à 9 heures 30 enfin, Molpertshaus.
Ayant déboîté, comme prévu, de l'axe principal du Groupement à Hattisweiler, le Sous-Groupement de Maison-Rouge atteint Ziegelbach avec la même facilité à 11 heures 35. Poussant un coup de sonde vers l'Est, vers Wurzach, il y prend la liaison avec un détachement du C.C.2 après avoir libéré un camp de concentration de 600 prisonniers civils, pour la plupart Britanniques originaires des îles Anglo-Normandes.
Accueil de plus en plus cordial de la part de la population que la froideur de nos hommes ne parvient pas à rebuter. " Vous êtes nos libérateurs " déclare le curé de Molpertshaus, après avoir raconté l'arrestation et l'emprisonnement par les S.S. de l'Evêque de Ravensburg. L'animosité de civils allemands contre les S.S. semble hors de doute (elle est d'ailleurs confirmée par les nombreux prisonniers français libérés un peu partout) - mais est-elle uniquement due aux abus du pouvoir et aux exactions de cette fine fleur du régime Nazi ? Car, incarnant un suprême effort de résistance au milieu de la débâcle allemande, les hommes d'Himmler sont certainement considérés comme des gêneurs par tous ceux qui ont hâte d'en finir avec une guerre perdue. Il est probable aussi que l'opportunisme n'est pas étranger à l'attitude de certains : n'est-il pas grand temps de tirer son épingle du jeu en se désolidarisant énergiquement de ceux qui se sont mis au ban du monde civilisé .
Quoi qu'il en soit, un message du Commandant Vallin signale que des drapeaux blancs flottent sur Ravensburg et sur Weingarten, dont les garnisons S.S. ont été expulsées par la population civile hostile à toute résistance.
L'ordre de se reporter en avant parvient au Groupement Durosoy à 12 heures 30. Les Sous-Groupements débouchent aussitôt et sont, dès 15 heures, sur leurs objectifs, Kissiegg et Heggelbach, après avoir bousculé sans peine quelques légers groupes retardateurs ennemis.
A l'arrivée à Kissiegg, on a la surprise d'apprendre que cette charmante petite ville, propre et coquette, est le siège provisoire des Ambassades neutres repliées de Berlin. Des drapeaux Suisses en particulier sur de nombreux immeubles, réservés à la Légation de ce pays ami, chargé des intérêts alliés en Allemagne et spécialement des camps de prisonniers anglo-saxons. Mais les Neutres ne sont pas les seuls à Kissiegg qui abrite aussi un "Lazaret" de 700 blessés de la Luftwaffe, dont un nombre important de convalescents.
Désertes à l'apparition des Sherman, les rues ne tardent pas à s'animer et les Cuirassiers assistent une fois de plus au spectacle des Allemands se ruant littéralement vers la mairie pour y transporter armes et postes de T.S.F. ; sabres, poignards, fusils de chasse, pistolets et revolvers s'entassent bientôt en un amoncellement hétéroclite.
Excellente nuit aussi bien à Vogt, occupé par le 2ème Escadron, qu'à Kissiegg et Heggelbach.
On profite amplement d'un repos que rien ne vient troubler, ni l'ambiance d'insécurité des premiers jours de la campagne d'Allemagne, ni la perspective d'un départ à l'aube.
L'"Ordre d'Opérations" que les Groupements reçoivent le dimanche 29 Avril, à 13 heures 20, annonce que la 44ème D.I. Américaine a déjà largement dépassé Kempten. Se mettant immédiatement en route, le Groupement Durosoy doit progresser sur les deux itinéraires Kissiegg, Waltershofen, Merazhofen, Christazhofen, Isny et Gebrazhofen, Engerazhofen, Beuren, Meneizhofen, Neu, Trauchburg, Isny, de façon à atteindre en fin de journée Christazhofen et Meneizhofen. A sa droite, le Groupement Vallin a la mission de pousser sur l'axe Vogt, Karsee-Leupolz, Ratzenried, Siggen, Eisenharz, Gestratz, sans dépasser Ratzenried.
L'ordre est aussitôt transmis aux deux Sous-Groupements Doré et de Maison-Rouge qui démarrent sans tarder.
Pas de résistance à droite, devant le Sous-Groupement Doré que suit le P.C. du Colonel ; parcourant rapidement la quinzaine de kilomètres qui sépare Kissiegg de Christazhofen, son objectif il l'atteint sans incidents à 16 heures. Résultats identiques à gauche, au Sous-Groupement de Maison.Rouge qui parvient à la même heure à Meneizhofen, après avoir mis en fuite une colonne d'Infanterie dans la région de Beuren.
La facilité avec laquelle le Groupement a pu mettre la main sur ses objectifs, jointe à l'heure encore peu avancée de la journée, rend fort tentante la poursuite de la progression en direction d'Isny, nœud routier important dont l'occupation semble devoir être beaucoup plus utile que celle de deux petites localités situées à l'écart des grands itinéraires et par conséquent dépourvues de tout intérêt tant tactique que stratégique. Mais l'ordre reçu par le Groupement est formel : Chnstazhofen et Meneizhofen ne doivent pas être dépassés.
Un fait nouveau permet pourtant de reconsidérer la question. S'étant rendu compte du parfait état des lignes téléphoniques de la région, le Chef d'Escadrons de Maison-Rouge appelle de Meneizhofen le bourgmestre d'Isny.
- " Ici le Commandant de la colonne blindée française" lui dit-il, " Je vous somme de vous rendre sans conditions, sinon je fais ouvrir le feu sur votre ville par mes canons lourds !" (sic).
La réponse est immédiate : Isny se rend sans conditions et son bourgmestre se porte au devant des troupes françaises.
En possession du compte-rendu du Commandant de Maison-Rouge, le Colonel alerte aussitôt l'Etat-Major du C.C.1 auquel il demande l'autorisation de pousser en avant. Cette dernière lui est accordée à 18 heures 30 ; l'occupation d'Isny est réalisée une demi-heure plus tard.
La reddition spontanée d'Isny, qui témoigne de l'état de désorganisation des forces ennemies, ne surprend personne, car tout indique que la guerre est proche de sa fin. N'apprend-on pas aux dernières nouvelles l'occupation de Munich par les troupes américaines ? - " Les opérations se poursuivent malgré les négociations ayant trait à la capitulation de l'Allemagne qui sont en cours", a dit la radio ; mais il est à prévoir qu'elles ne se poursuivront plus très longtemps pour le 2ème Cuirassiers, car, étroitement encadré aussi bien à l'Est qu'à l'Ouest, il n'a plus devant lui qu'un petit créneau, une véritable impasse verrouillée au Sud, dans la région d'Immenstadt, par la haute barrière du Tyrol.
Le lundi 30 Avril, départ à l'aube.
La mission du Groupement Durosoy est de pousser sur l'axe Holzleute, Rain, Sibratshofen, puis, au reçu de nouveaux ordres, vers le col de la cote 833, Missen et Immenstadt. A sa droite, action parallèle du Groupement Vallin qui a passé la nuit à Ratzenried, vers Siggen, Eisenharz, Gestratz, Ebratshofen, Stiefenhofen, Ober-Staufen.
Ne disposant que d'un itinéraire praticable, le Colonel a échelonné son Groupement en une seule colonne ; le Sous-Groupement de Maison-Rouge est en tête, puis vient le Sous-Groupement Doré, le P.C. ferme la marche. Quelques difficultés peu de temps après le départ, entre Holzleute et Weiler, par suite du croisement avec des colonnes du C.C.2 ; Sibratshofen n'en est pas moins atteint à 8 heures 30, sans autres incidents. Sherman et half-tracks se rangent sur le bord de la route en prévision d'un arrêt qui peut être long.
Il fait froid, si froid que manteaux et canadiennes ont fait leur réapparition dès le départ d'Isny ; on n'en est pas moins surpris lorsqu'on voit brusquement des flocons blancs de plus en plus drus : la neige un 30 Avril !... Il est vrai qu'on est à quelques 800 mètres d'altitude et seulement à une dizaine de kilomètres à vol d'oiseau du Tyrol.
La visite du Commandant Vallin dont le Groupement est parvenu à Ebratshofen, son premier objectif, qu'une bonne route - chose rare en cette région - relie à Sibratshofen, permet d'espérer que l'ordre de se reporter en avant ne tardera pas. Pourtant les heures passent et la radio reste muette...
A 11 heures enfin, le signal attendu. Les Sherman démarrent. Un chemin de montagne dont les difficultés sont accrues par une épaisse couche de neige, a désormais succédé à la route relativement facile du début. Quelle chance que l'ennemi n'y ait pas accumulé obstacles et destructions !
Sans doute n'en a-t-il pas eu le temps...
A 11 heures 20, le Sous-Groupement de Maison-Rouge est à Missen dont la garnison s'est rendue sans résistance. On constate pour la première fois que certains soldats allemands ont commencé à troquer leurs uniformes contre des vêtements civils, dans l'espoir d'échapper à la captivité.
Très court arrêt à Missen et le Commandant de Maison-Rouge reprend sa marche après avoir signalé qu'un fort détachement ennemi se trouvait à Borlas, petit village situé à 2 ou 3 kilomètres au Nord-Est de la route ; une patrouille du Sous-Groupement Doré en ramène effectivement une compagnie complète de 30 officiers et 200 hommes.
A 11 heures 40, le Sous-Groupement de Maison-Rouge a dépassé Zaumberg et a entamé la descente sur Immenstadt lorsque, près du col de la cote 802, surgit, dans un virage, une barricade que rien ne laissait prévoir. Sherman et half-tracks stoppent aussitôt, mais ils sont déjà environnés par un feu intense d'armes automatiques et de Panzerfaust. Manœuvre longue et difficile que celle d'un demi-tour sur un chemin aussi étroit ; les Cuirassiers et les Zouaves parviennent pourtant à se dégager tout en combattant : dégâts insignifiants aux chars, un seul d'entre eux ayant été atteint et sans gravité par un Panzerfaust, un tué et cinq blessés par contre chez les Zouaves.
Ayant aussitôt rejoint les éléments de tête, le Colonel examine la situation, tandis que les automoteurs du 1/66 doublent le Sous-Groupement Doré pour se mettre en batterie. La résistance ennemie est sérieuse, car, en dehors de la barricade, les Allemands tiennent solidement tout le massif boisé à gauche de la route dans la région du col de la cote 802 ; le terrain très accidenté et boisé ne pouvait pas être moins propice à une action d'engins blindés qui sont dans l'impossibilité totale de quitter l'étroit chemin sur lequel ils sont engagés. Il faut pourtant passer...
Quelques ordres rapides et les unités se mettent en place pour l'attaque. L'action sera menée par le 4ème Escadron, la Compagnie de Zouaves en totalité, la section du Génie et le peloton de T.D. Pendant ce temps le 3ème Escadron se tiendra prêt à déborder éventuellement Immenstadt par le Nord, en suivant le petit chemin qui descend vers la ville par Akams et Brannlings.
A 14 heures 30, vingt minutes de préparation d'artillerie sur le ravin Nord de la cote 802 et sur le coude de la route au Sud, puis aussitôt après, départ de l'attaque.
Un plein succès couronne l'opération qui se déroule sous une violente chute de neige. A 15 heures 25, la région de la cote 802 est atteinte. Le Génie entreprend immédiatement la destruction de la barricade, tâche qui exigera une demi-heure d'un travail acharné, tandis que les Zouaves, appuyés par les chars, abordent le nettoyage du massif boisé.
Pendant ce temps, déjà parvenu à Ober-Staufen, le Commandant Vallin a dirigé un détachement sur l'axe Thaïkirchdorf, Buhl, Immenstadt, en vue d'aider le Groupement. On prend la liaison radio avec les chars du 2ème Escadron, tout proches du Sud de l'Alp-See, mais ils sont obligés de rebrousser chemin, la route surplombant le lac étant coupée.
Un peu plus tard, à 15 heures 45, tandis que le Groupement poursuit le nettoyage des bois, nouveau message du Groupement Vallin ; cette fois-ci, c'est l'annonce d'une douloureuse nouvelle : le Lieutenant Laporte vient d'être tué à Aach... On se recueille on songeant à cet excellent camarade.
Quel destin aussi que celui de cet Escadron qui a perdu cinq Officiers depuis le débarquement et trois depuis le commencement de la campagne d'Allemagne ! On revoit un à un tous ces visages connus : Sous-Lieutenant Cattaneo... Capitaine Bérard... Sous-Lieutenant Mathieu... Capitaine Fougère... Lieutenant Laporte enfin...
A 16 heures, la résistance ennemie est définitivement brisée ; 50 S.S., armés de Panzerfaust, sont restés entre nos mains. La progression vers Immenstadt est immédiatement reprise, tandis que les artilleurs canonnent la ville.
Depuis quelques temps déjà des voix inconnues retentissaient à la radio, témoignant de la présence très proche d'unités françaises qu'on ne parvenait pas à identifier. Un indicatif soudain... vite "l'Ordre de Transmissions " de la Division et on découvre qu'il s'agit du 3ème Chasseurs d'Afrique...
Il était temps, car une nouvelle émission signale que des tirs d'artillerie bloquent la progression des unités engagées. Il ne peut être question que des tirs du Groupement et il faut conclure que les Chasseurs pénètrent, eux-aussi, dans la ville par une autre route. L'ordre de cesser le feu est aussitôt transmis aux artilleurs ; un radio aussi au Sous-Groupement de Maison-Rouge pour le mettre en garde contre les méprises.
Peu après, à 17 heures, nos premiers éléments abordent Immenstadt. Un pont à l'entrée de la ville... il est intact. Quelques Allemands... les Sherman les submergent. Le nettoyage commence aussitôt, nettoyage facile, car l'ennemi se rend en masse ; de nouveaux prisonniers bénévoles affluent à chaque instant des pentes Sud et Sud-Ouest de la ville ; ils seront plus de mille en fin de journée.
A 17 heures 30, la jonction est faite avec le Groupement du 3ème Chasseurs dont la présence a pu être décelée grâce à l'écoute-radio : commandé par le Lieutenant-Colonel Guibert, il est entré dans Immenstadt par la route de Kempten. Désormais l'objectif est définitivement à nous et tout le Groupement s'y trouve bientôt rassemblé.
Peu d'habitants dans les rues, la plupart d'entre eux s'étant réfugiés dans la montagne à la suite d'un bombardement d'aviation, qui a précédé de vingt-quatre heures l'arrivée des Sherman.
L'ordre est intimé au bourgmestre de faire revenir ses concitoyens qui sont d'ailleurs dans une situation plutôt inconfortable par suite du froid et d'une véritable tempête de neige.
Dans le courant de la soirée, des précisions au sujet de la mort du Lieutenant Laporte.
Parvenu à Ober-Staufen, le Commandant Vallin a dirigé un détachement vers Aach, petite ville se trouvant au-delà de la frontière autrichienne, pendant qu'un autre détachement tentait de progresser vers Immenstadt. Pénétrant en Autriche, bons premiers de l'Armée Française, les chars du 2ème Escadron ne tardèrent pas à se heurter à une très vive résistance : elle fut brisée, mais coûta la vie au Lieutenant Laporte, frappé d'une balle en plein front. Saigné à blanc par les pertes successives qu'il a essuyées depuis le passage du Neckar, le 2ème Escadron n'a plus qu'un Officier, le Sous-Lieutenant Moine ; le Colonel décide d'en confier le commandement au Capitaine d'Annam qui, blessé le 3 Février au cours de l'attaque de la cité Sainte-Thérèse, a précisément rejoint le Régiment la veille, à Isny.
Le mardi 1er Mai, tandis que le gros du Groupement assure l'occupation d'Immenstadt, le Sous-Groupement de Maison-Rouge quitte la ville avec la mission de nettoyer la région Ouest de Sonthofen, occupé la veille par un détachement du 3ème Chasseurs, et de reconnaître Oberstdorf.
Consacrant tonte la matinée à la première partie de sa mission, le Sous-Groupement pousse jusqu'à Gunzesried, puis, au delà de ce village, jusqu'à la cote 913, en suivant un petit chemin, presqu'un sentier, qui serpente dans une étroite vallée, surplombée par des sommets dépassant déjà 1.800 et 1.900 mètres. Au tableau de chasse, plus de 500 prisonniers et, capture intéressante, un Général d'Armée Hongrois avec tout son Etat-Major, comprenant 60 Officiers dont 3 Généraux.
Revenu à Sonthofen, le Sous-Groupement repart en direction d'Oberstdorf, à 14 heures, et atteint son objectif sans opposition, à 15 heures 30. Dans ce village, rencontre inattendue de Monsieur Amaury de Lagrange, Sénateur du Nord et du Général de la Porte du Teil qui signalent que de nombreuses et hautes personnalités tant françaises qu'étrangères, déportées par les Allemands, sont internées à une quinzaine de kilomètres de là, dans un village s'appelant Hirschegg. Monsieur Amaury de Lagrange et le Général de la Porte du Teil ont profité de la désorganisation de l'ennemi pour venir à la rencontre des troupes françaises.
De retour à Sonthofen à la nuit, le Sous-Groupement de Maison-Rouge en débouche de nouveau, le lendemain 4 Mai, dès le lever du jour, le 2ème Cuirassiers ayant reçu l'ordre de nettoyer au plus loin les fonds de la vallée Sonthofen - Oberstdorf et de libérer les personnalités internées à Hirschegg.
Parvenu à 9 heures à Obertsdorf, il y est rejoint par le Colonel, venu d'Immenstadt, et la colonne poursuit aussitôt sa marche.
A Walserschaug, premier village autrichien, accueil enthousiaste de la population qui acclame follement nos chars. Des camions de patriotes armés aux ordres du Colonel Karl Richter, encadrent les chars légers de l'Etat-Major et les A.M. de l'Escadron André, qui sont les seuls a pouvoir poursuivre au delà du village, l'état des routes et surtout la faiblesse des ponts interdisant l'emploi des Sherman. Le détachement léger, ainsi formé, parvient à 11 heures a Hirschegg, après un arrêt à Rieziern où le Colonel est reçu par le bourgmestre qui prononce une allocution et offre un vin d'honneur.
Accueil chaleureux des personnalités libérées qui sont :
S.A.R. Madame la Duchesse d'Aoste, Princesse ANNE DE FRANCE et ses enfants,
S.A.R. Madame la Duchesse d'Aoste, Princesse IRÈNE de GRÈCE et ses enfants,
Monsieur Albert SARRAUT,
Monsieur l'Ambassadeur FRANÇOIS-PONCET,
Monsieur BOUTILLIER,
Monsieur le Président NITTI,
Monsieur le Sénateur AMAURY DE LAGRANGE,
Le Général de LA PORTE DU TEIL,
Monsieur ESCALIER, Directeur de la Banque de l'Algérie,
Le Commandant HARDY,
Monsieur DEBECKER, sujet belge. .
Encadrées par les A.M., les voitures de tourisme des personnalités quittent Hirschegg, à 12 heures, en direction du P.C. du C.C.1 à Immenstadt.
Dans le courant de l'après-midi deux opérations sont exécutées avec l'aide des patriotes autrichiens : la première d'entre elles est poussée au delà d'Hirschegg jusqu'à Bodmen ; entreprise à partir d'Obertsdorf, la seconde est prolongée jusqu'à Birgsau. De nombreux prisonniers dont un certain nombre de S.S. La journée se termine par la capture du Général Hoffmann, commandant la 465ème Division d'Infanterie avec 13 Officiers de son Etat-Major.
La débâcle allemande est parvenue à un stade si avancé qu'un Général prisonnier n'étonne plus personne. Une certaine émotion pourtant en fin de matinée à la suite d un message de l'Etat-Major du C.C.1 annonçant la possibilité de la présence d'Himmler à l'hôtel Ifer, situé au petit Wal Seurtai au Sud-Ouest d'Oberstdorf. Le renseignement qu'on se hâte de contrôler, se révèle faux, mais la situation est telle que les nouvelles les plus extraordinaires sont parfaitement vraisemblables. Ne sait-on pas depuis midi qu'Hitler est mort et que le Maréchal von Rundstedt a été capturé par les troupes américaines ? La capitulation des Armées Allemandes d'Italie, annoncée par des émissions radio de la soirée, démontre manifestement que les événements se précipitent.
Sachant qu'il n'aura plus guère d'occasion d'agir, le 2ème Cuirassiers aurait fort bien accepté de rester à Immenstadt, à proximité immédiate de ce Tyrol autrichien qui lui a réservé un si chaleureux accueil, mais, dès le début de la nuit du 2 au 3 Mai, ce sont déjà les ordres prescrivant la releve de la Division par la 2ème D.I.M. et son regroupement au Nord, dans la région de Biberach.
Après un dernier regard vers les sommets couverts de neige le Groupement Durosoy reprend la route le jeudi 3 Mai à midi, faisant mouvement vers les mêmes horizons qu'il a quittés huit jours auparavant pour sa dernière opération de la guerre.
Vers l'Arc de Triomphe
4 Mai, 5 Mai, 6 Mai... Moosbeuren, Attenweiler, Assmannshardt, Alberweiler, Altheim, Schemmerberg... regroupé dans cette même région qu'il a traversée en combattant le 23 Avril, puis sillonnée en tous sens les 25 et 26, le 2ème Cuirassiers attend.
C'est déjà la monotonie du temps de paix : on révise le matériel, tout en s'installant de son mieux, entreprise pleine de difficultés dans ces villages pauvres et sordides ; on prend conscience des problèmes suscités par "l'occupation", problèmes qu'on n'a pas encore eu le temps d'approfondir ; on entreprend quelques petites opérations de nettoyage nécessitées par des attentats commis dans des cantonnements voisins ; on écoute la radio : elle dit, elle aussi, que la guerre est virtuellement terminée, chacune de ses émissions annonçant la capitulation de nouveaux débris de ce qui fut la puissante Wehrmacht.
Le lundi 7 Mai, ordre imprévu : le 2ème Cuirassiers doit se préparer à repasser le Rhin le surlendemain, 9 Mai, pour se porter dans la région de Landau.
On se perd en conjectures sur les raisons de cette décision du Commandement... Repasser le Rhin ?... Landau ?... On est quelque peu déçu de cette perspective, car n'avait-on pas le ferme espoir de retrouver les sites pittoresques du Sud du Wurtemberg, ou même de pousser plus loin encore, jusqu'en Autriche ?
Dans le courant de l'après-midi, un message "extrême urgent" de l'Etat-Major de la 1ère D.B. :
" Par ordre du Gouvernement Français et confirmé par Autorités Alliées, les hostilités cessent, Je dis les hostilités cessent, en Allemagne, sur tous les fronts, à 1 heure 40, le 7 Mai."
On mesure toute l'immense portée de l'événement que l'on vient d'apprendre; la Victoire, ce but si ardemment poursuivi pendant de si longues années de lutte, de misère, de désillusions, puis d'espérance... ce but auquel on s'est adonné si totalement, ne vivant que pour lui... On est loin pourtant de l'intense émotion à laquelle on s'attendait... Peut-être en aurait-il été autrement si la Victoire avait surgi en plein combat et non lorsqu'on a déjà cessé d'agir ?... Il aurait fallu aussi qu'elle reste jusqu'au bout plus imprévue, moins certaine...
On n'éprouve pas non plus cette ivresse, cet enthousiasme qu'aurait provoqué l'annonce de l'Armistice de 1918. Est-ce parce que l'on a songé aussitôt à tous ces amis, tous ces frères d'armes qui se sont offerts d'un tel élan pour que le Pays connaisse ce jour de Victoire ?... " Vive la France !
Allez-y les gars !..." criait, à Ramonchamp, Ameingal mourant... et Ygon qui, déjà presque mort à Hirsingue, trouvait encore la force de sauver son char... et Guermont qui a voulu servir dans le rang alors que sa situation de famille le désignait automatiquement pour un poste moins exposé...
Et Camus, et Friess, et l'Aspirant Virot, et le Capitaine Fougère, et tant et tant d'autres encore...
Leur image s'associe tout naturellement à celle de leurs veuves, de leurs enfants qui parfois n'auront même pas connu leur père, à celle de leurs vieux parents toujours si dignes dans le malheur...
" Laissez-moi prendre la place de mon fils à bord du "Jourdan", écrit d'Oran, au Lieutenant Laporte, Monsieur Fritsch, glorieux combattant de 1914-1918... Que dire de cet admirable exemple d'abnégation, et de patriotisme?... Et ceux qui resteront, leur vie durant, marqués dans leur chair... Semperé, atrocement brûlé à Beaune... Breyton, blessé devant Altkirch... Olivarès, amputé sur le terrain même au cours de l'attaque de Wittenheim... Comment les citer tous ?...
Mais il faut s'arracher déjà à toutes ces pensées, tous ces souvenirs, se préparant à un départ encore plus rapide qu'on ne l'avait envisagé ; " Le 2ème Cuirassiers doit être prêt à faire mouvement à minuit", dit " l'Ordre Particulier" de l'Etat-Major du C.C.1.
A 1 heure du matin, le Régiment est en route. Longue étape de nuit tout d'abord vers Herbertihgen par Attenweiler, Ahlen, Seekirch, Alleshausen, Kanzach et Marbach, puis vers Ruifingen et Sigmaringen, atteint aux premières heures du jour. Evitant les petits chemins qui l'ont conduit du Neckar au Danube, le 2ème Cuirassiers poursuit vers Horb par Gammertingen et Hechingen et parvient à 11 heures à Freudenstadt, où prend fin cette première étape. La journée se passe dans l'attente de l'essence ; on repart à 21 heures, dès que les réservoirs ont pu être réapprovisionnés.
Traversée nocturne de la Forêt Noire par Kniebis, Oppenau et Oberkirch ; puis c'est la plaine de Bade avec Appenweier ; une vingtaine de kilomètres et le Rhin apparaît à Kehl...
Dès l'entrée dans Strasbourg, éclatant contraste avec le silence de l'Allemagne. La ville est en liesse ; partout des groupes joyeux ; partout des bals publics dont les échos viennent se mêler au grincement des chenilles... Et dire que personne, au 2ème Cuirassiers, ne songeait à la "nuit de la Victoire", cette nuit que le Régiment ne connaîtra jamais... Le conducteur qui lutte contre la fatigue se redresse sur son siège ; cette joie populaire, n'en est-il pas l'artisan ?... Cette Victoire que fête là France, n'est-elle pas sa Victoire ?...
Après un court arrêt à Brumath, où l'on chante et on danse tout comme à Strasbourg, c'est la région affreusement mutilée d'Haguenau ; des drapeaux tricolores se détachent, dans la nuit, sur les ruines des maisons. On traverse ce qui fut la ligne Maginot et la ligne Siegfried, les ruines de Lauterbourg ; la route toute parsemée de trous d'obus longe l'ombre sinistre des ouvrages éventrés.
A 5 heures enfin, c'est Rheinzabern. Les Escadrons vont pouvoir gagner leurs cantonnements, leurs premiers cantonnements de temps de paix. 300 kilomètres viennent d'être parcourus en 28 heures au cours de ce raid sans précédent sans doute dans les annales d'une unité blindée...
16 Septembre 1943... 18 Juin 1945... Que de chemin parcouru au cours de ces vingt et un mois !... La route fut souvent aride et rocailleuse... Que de vides aussi, hélas ! dans les rangs de ce 2ème Cuirassiers qui, par une pluvieuse après-midi d'automne, écoutait, plein de résolution, "l'Ordre N° 1" de son Colonel !...
" Nous irons chercher notre Étendard en France... Nous saurons y inscrire de nouvelles victoires... Il nous conduira en territoire ennemi... et nous le ferons passer sous l'Arc de Triomphe."
Le Régiment a été fidèle à son serment...
Depuis l'aube lumineuse du débarquement si ardemment attendu, que de noms glorieux tout au long de sa marche libératrice ! Marseille, Châlon, Beaune, Dijon, Langres, Altkirch... autant de combats, autant de victoires... A Mulhouse, après la dure bataille des cités de potasse, il recevra solennellement des mains du Général de Gaulle son Étendard reconquis... Et bientôt, dans ses plis, d'autres noms, des noms historiques, des noms sonores vont s'inscrire : Le Rhin...
Le Danube... Sigmaringen... Ulm... L'Autriche...
18 Juin 1945... Après le siroco d'Afrique, les brouillards des Vosges et les neiges d'Alsace, c'est l'éclatant soleil d'un ciel de Victoire... Resplendissant de gloire, l'Étendard du 2ème Cuirassiers se détache sur la pierre sombre de l'Arc de Triomphe, cueillant sa suprême récompense dans le total accomplissement du serment. Et, dans le lointain Palatinat, les Cuirassiers purent tressaillir d'une légitime fierté.
Etat-major : |
|
|
|
M 4 A4 |
|
LYAUTEY |
Col DUROSOY |
M 4 A1 |
460530 |
LYAUTEY |
|
M 4 A4? |
420412 |
TURENNE |
Cdt DE MAISON ROUGE |
M 4 A4? |
461630 |
ROCROI |
réserve |
|
|||
ESCADRON HORS RANG : |
|
|
|
M 4 A4? |
468249 |
REISCHOFFEN |
|
M 5 A1 |
439626 |
LASALLE |
|
M 5 A1? |
439625 |
LORRAINE |
|
M 5 A1? |
439565 |
St LOUIS |
|
M 5 A1? |
|
MURAT |
|
1er ESCADRON : MF 42221 |
|
|
|
M 5 A1 |
|
BEAUVAIS puis BEAUMANOIR |
Cne Du BOISPEAN |
M 5 A1 |
|
BAYARD |
|
1er PELOTON : |
|||
M 5 A1 |
|
ALSACE |
|
M 5 A1 |
|
ALTKIRCH |
|
M 5 A1 |
|
ALGER |
|
M 5 A1 |
|
AJACCIO |
|
M 5 A1 |
|
AURILLAC |
|
2ème PELOTON : |
|||
M 5 A1 |
|
BOUVINES |
|
M 5 A1 |
|
BEARN |
|
M 5 A1 |
|
BUGEAUD |
|
M 5 A1 |
|
BRETAGNE |
|
M 5 A1 |
|
BOURNAZEL |
|
3ème PELOTON : |
|||
M 5 A1 |
|
CEVENNES |
Slt GOUAILHARDOU |
M 5 A1 |
|
CASABLANCA |
MdL MUNOZ |
M 5 A1 |
|
COLMAR |
BC PELLETIER |
M 5 A1 |
|
CHARENTES |
MdL BASILE |
M 5 A1 |
|
CHAMPAGNE |
|
2ème ESCADRON : MF 42222 |
|
|
|
M 4 A4 |
|
DUGUESCLIN |
Cne FOUGERE puis Cne BERARD |
M 4 A4? |
|
DUNOIS |
Asp DOUCOT |
1er PELOTON : |
|||
M 4 A2 |
|
DAVOUT |
SLt BOURLON |
M 4 A2 |
|
DESAIX |
|
M 4 A2 |
|
DESAIX II |
|
M 4 A4 |
439093 |
DUGUAY TROUIN |
SLt CATTANEO |
M 4 A2? |
|
DUPLEIX |
MdL GUERMONT |
M 4 A? |
|
DUPLEIX II |
|
M 4 A4 |
432441 |
DUQUESNE |
MdL FRIESS |
M 4 A? |
|
DUQUESNE II |
|
2ème PELOTON : |
|||
M 4 A4 |
U.S.A. 3018450 |
FOCH |
MdLC BONNET |
M 4 A4 |
|
FOUCAULD |
|
M 4 A1 76mm |
|
FOUCAULD II |
|
M 4 A? |
464137 |
FABERT |
|
M 4 A? |
430933 |
FORBIN |
|
M 4 A? |
|
FAIDHERBE |
MdL BERT |
3ème PELOTON : |
|||
M 4 A4? |
|
JOFFRE |
AdjC FORMELL |
M 4 A4? |
|
JEAN BART |
MdLC BOURASSIN |
M 4 A4? |
|
JOUBERT |
|
M 4 A? |
|
JOUBERT II |
MdL HUSSENOT |
M 4 A2 |
|
JOUBERT III |
MdL GAUTHIER |
M 4 A4 |
|
JOURDAN |
MdLC LOLLIOT |
M 4 A? |
|
JOURDAN II |
|
M 4 A? |
|
JOURDAN III |
|
M 4 A4 |
|
JEANNE D'ARC |
MdL KECK |
M 4 A? |
|
JEANNE D'ARC II |
|
M 4 A? |
|
JEANNE D'ARC III |
BierC RUIZ |
3ème ESCADRON : MF 42223 : |
|
|
|
M 4 A4? |
|
MARENGO |
Cne DE BOISDERON |
M 4 A4? |
|
MARNE |
réserve |
1er PELOTON : |
|
Lt AVENATI |
|
M 4 A4 |
|
NANTES |
MdL LOIGEROT |
M 4 A4 |
|
NANTES II |
|
M 4 A4 |
|
NEVERS |
|
M 4 A2 |
|
NEVERS |
|
M 4 A1 76mm |
|
NEVERS II |
|
M 4 A4 |
|
NEVERS II |
|
M 4 A4 |
|
NICE |
|
M 4 A4 |
|
NICE II |
|
M 4 A4 |
|
NANCY |
BC BOULET |
M 4 A? |
|
NIMES |
BC DUQUESROY |
2ème PELOTON : |
|||
M 4 A? |
|
ORLEANS |
Slt MOUSNIER |
M 4 A? |
|
ORLEANS II |
Slt BARRAL |
M 4 A? |
|
ORLEANS III |
Lt de LATOUR |
M 4 A? |
|
OLERON |
MdLC CHARRON |
M 4 A? |
439521 |
OUESSANT |
MdL POILVET |
M 4 A1 |
467139 |
ORAN |
|
M 4 A? |
|
SAINTE ODILE |
|
3ème PELOTON : |
|||
M 4 A4 |
460581 |
PARIS |
AdjC MOUTY |
M 4 A4 |
|
PARIS II |
|
M 4 A4 |
|
POITIERS |
BC AMARE |
M 4 A? |
|
POITIERS II |
|
M 4 A1 |
|
POITIERS III |
|
M 4 A? |
|
PERONNE |
Adj SCHMITT |
M 4 A? |
460691 |
PERPIGNAN |
|
M 4 A1 |
|
PERPIGNAN II |
|
M 4 A4 |
461182 |
PROVENCE |
|
M 4 A1 |
|
PROVENCE II |
|
4ème ESCADRON : MF 42224 |
|
|
|
M 4 A? |
439509 |
SAUMUR |
Cne ARDISSON |
M 4 A3 105mm |
|
STRASBOURG |
|
1er PELOTON : |
|
|
|
M 4 A4 |
|
St MALO |
|
M 4 A1 76mm |
|
St MALO |
|
M 4 A? |
|
St NAZAIRE |
|
M 4 A4 |
|
St DENIS |
|
M 4 A4 |
437107 |
St QUENTIN |
|
M 4 A? |
|
St RAPHAEL |
|
M 4 A4 |
|
Ste ODILE |
|
2ème PELOTON : |
|||
M 4 A? |
|
TARBES |
MdL PLA |
M 4 A? |
|
TONNERRE |
MdL BERNIN |
M 4 A? |
|
TONNERRE II |
|
M 4 A1 |
|
TONNERRE III |
|
M 4 A4 |
|
TOULON |
|
M 4 A4 |
|
TOURS |
|
M 4 A? |
|
TOURCOING |
|
3ème PELOTON : |
|||
M 4 A? |
|
VERDUN |
Lt GIRAUD |
M 4 A? |
|
VALENCIENNES |
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M 4 A4 |
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VALMY |
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M 4 A4 |
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VAUCOULEURS |
MdL THOMAS |
M 4 A4 |
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VAUCOULEURS II |
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M 4 A4 |
420071 |
VESOUL |
Adj CHARDAC |
M 4 A4 |
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VESOUL II |
MdL BEAUQUIS |
M 4 A4 |
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VESOUL III |
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