
DE CHARS DE COMBAT
Dernier des bataillons de chars formés en 1939-1940 dans nos territoires d'Outre-Mer, le 68ème BCC n'eut qu'une existence très brève. Le rôle de cette puissante unité blindée, qui attrait pu être capital dans les événements du Moyen-Orient de 1940-1941, s'est pratiquement réduit à néant sous la pression des circonstances. Son histoire, assez représentative de son époque, mérite cependant que l'on s'y arrête.
C'est, vers le 15 septembre 1939 que le Ministère de la Guerre français, enfin décidé à réaliser pratiquement son soutien à la Pologne, le concrétisa soirs la forme d'un envoi substantiel en matériel militaire. C'est ainsi que le matériel complet et flambant neuf d'un bataillon de chars Renault R35 devait être acheminé par voie maritime en Pologne via Constanza en Roumanie, ces deux pays ayant à l'époque frontière commune. Mais la rapide avance germano-russe interdit tout accès vers notre malheureuse alliée. Devant l'impossibilité de livrer le matériel,on décida en dernier recours de dérouter, le convoi sur la Syrie, pour renforcer le petit potentiel de l'armée du mandat français.
Les projets du général Weygand, Haut-Commissaire et commandant en chef au Levant, sont bien connus : il envisageait alors la création d'un second front dans les Balkans, pour prendre les Allemands à revers, un peu dans le style de l'Armée d'Orient de 1918. Et la métropole commençait à faire parvenir des renforts aux maigres effectifs des forces françaises du Levant dans le but de créer la célèbre "Armée Weygand" destinée aux futures actions dans ce secteur. C'est à ce titre qu'arriva notamment la 86ème Division d'Infanterie ; de même fut créé le 68ème BCC avec le matériel dévié de Pologne. Il était destiné à seconder le 63ème BCC, seule unité blindée française de ce secteur, équipé en partie de D1 et en partie de R 35, de qualité médiocre.
Au début de novembre 1939 on fit donc appel à un certain nombre de volontaires pour garnir les effectifs du nouveau bataillon. Le Centre Mobilisateur 506 à Besançon fut la principale source de recrutement . Même certains indisciplinés qui purgeaient une peine de prison furent pressentis pour se porter volontaires, en échange de leur liberté. La nouvelle unité fut presque entièrement, formée de réservistes et placée sous l'autorité du commandant prince Charles Murat, descendant direct du maréchal d'Empire.
Les équipages rejoignirent leur matériel à Homs, en Syrie, le 30 novembre 1939. Là, le bataillon établit ses quartiers dans l'école militaire des cadets syriens qui avait été débarrassée au préalable de ses pensionnaires.
La composition du bataillon était réglementaire. Il était formé par l'état-major, 3 compagnies de combat comprenant chacune 4 sections de combat et une section d'échelon, et une compagnie d'échelon chargée des travaux de réparations et du transport. Les compagnies de combat comprenaient outre 13 chars Renault R 35, les 4 camions Renault AGR et les 4 chenillettes Lorraine 37L de la section d'échelon, le VTT Laffly du capitaine, une ou deux VTL Peugeot 202 ou 402 et une dizaine de moto-sides René Gillet. La compagnie d'échelon comptait 34 véhicules divers, dont des camionnettes Renault ADK1 et des porte-chars made in USA. Quant à l'état-major, il disposait de 10 véhicules légers.
Cet ensemble de matériel brillait par son homogénéité et son modernisme ; tous les véhicules appartenaient à l'armée et étaient réglementaires. C'est un fait notable à l'époque où dans les unités régnait la réquisition et où les camions de livraison de la Samaritaine côtoyaient les luxueuses limousines Delahaye 135.
Entre novembre 1939 et juin 1940, les seules actions du 68ème BCC se limitèrent à diverses manoeuvres conjuguées avec la Légion Etrangère,notamment le 6ème REI, L'annonce des tragiques événements de métropole fut rendue plus inquiétante encore par l'éloignement de la France. Weygand, le "médecin consultant appelé au chevet d'un malade condamné", quitta son poste au Levant, pour prendre la direction des armées de métropole, puis ce fut l'armistice du 22 juin 1940 ; alors se posa devant les divers ordres du jour contradictoires. Le problème de savoir où était le devoir : respecter l'armistice ou continuer le combat. Tout le bataillon, à l'exception de son chef, le commandant Murat, décida de rejoindre les Anglais en Palestine pour poursuivre la lutte, conformément à la circulaire du colonel de Larminat, chef d'état-major au Levant. Cette tentative considérée comme une "désertion à l'étranger" débuta le 29 juin 1940. La colonne partit d'Homs avec 2 jours de vivres et se dirigea lentement vers la Palestine, empruntant la route du Liban. Mais cette "odyssée" se termina assez rapidement, car à Chtaura, sur la route Beyrouth-Damas, le bataillon se vit couper la route par un barrage de la Légion Étrangère. Les mutins, peu désireux de massacrer des compatriotes, durent se résoudre à clore là leur tentative ; seuls deux officiers en side réussirent à rejoindre les Anglais et à poursuivre la lutte dans les rangs des FFL. Un escadron de Gendarmerie appelé d'urgence se chargea d'appréhender les "déserteurs" et de les escorter jusqu'à Beyrouth où les officiers eurent droit à un séjour en salle de police. La triste rentrée au bercail se fit le 5 juillet 1940. Aucune sanction importante ne vint heureusement frapper les responsables de l'escapade et le bataillon fût rendu à sa monotone vie de garnison jusqu'à sa dissolution au début de 1941. Tous les équipages furent rapatriés à l'exception des rares éléments d'active qui furent réincorporés au 63ème BCC... Quant aux blindés de l'unité, ils vinrent grossir de façon importante le parc du 63ème BCC qui devait, 6 mois plus tard, faire face tragiquement à l'incursion des Anglais et des Forces Françaises Libres en Syrie...
C'est ainsi que le 68ème BCC passa au travers des dramatiques événements de 1940 et 1941 sans jamais y prendre part, laissant à son homologue le 63ème BCC le triste privilège de se faire massacrer pour la défense du mandat français.
Sources : Archives du SHAT Vincennes.