Chef de char : Sous-Lieutenant Jean-Paul Pasteur Pilote : brigadier Dupont Radio : Vévé
Dans la matinée du 13 mai 1940, des unités du 1er bataillon du 11e R.D.P. se battent héroïquement dans le village de Jandrain (Belgique) contre des forces blindées ennemies de plus en plus nombreuses. Le lieutenant-colonel DE VALLÉE, commandant le sous-secteur de son observatoire de Jauche, suit à la jumelle le développement de l'attaque allemande qui menace d'encercler les défenseurs de Jandrain. Il décide de donner un coup de boutoir avec un escadron de chars Somua, afin de desserrer l'étreinte ennemie. Le 2e escadron du 1er Cuirassiers exécutera cette contre-attaque qui a pour objectif une ligne de crête, au sud de Jandrain, entre cette localité et le Village de Jandrenouille. Le capitaine donne aussitôt ses ordres à son escadron; les pelotons DUBOST et PERRIER partiront en tête, suivis en deuxième échelon du peloton ISSERT. A la lisière du village de Jauche sévèrement bombardé, les officiers ont réuni leurs chefs de chars pour leur donner les ordres. Le sous-lieutenant PASTEUR domine de sa carrure d'athlète le groupe de ses subordonnés. Très calme, il étudie avec eux le terrain où l'on s'engagera tout à l'heure, vaste croupe dénudée que pilonne l'artillerie allemande. Cet épais nuage de fumée, à 1.500 mètres vers l'Est, masque le village de Jandrain violemment bombardé. A deux kilomètres au sud de Jandrain on devine, dans les éclatements des toits et des arbres, la bourgade de Jandrenouille dont la lisière Nord servira de point de direction au peloton. Tous regardent, très lucides, le terrain sur lequel l'officier désigne soigneusement les repères. Tout à l'heure, dans les cabines de pilotage et dans les chambres de combat des chars, on aura une vision imparfaite, aussi faut-il s'imprégner du paysage. Un dernier coup d'oeil sur le terrain, les dernières recommandations aux équipages, il est 12 h.55 ; la contre-attaque doit déboucher a 13 heures. "Moteurs en route..." C'est un vacarme assourdissant qui s'échappe des capots et couvre le bruit de la canonnade et de la fusillade. Mais il manque une voix à ce concert, l'oreille exercée du sous-lieutenant PASTEUR a reconnu que le moteur du char 39 était silencieux. Qu'importe ! l'engin défaillant rejoindra sur le terrain le peloton qui partira avec quatre chars. Il est treize heures. "En avant !.. " Le char de l'officier, le char 35 fonce, encadré des chars 36 et 37 ; un peu en arrière, comme prévu, le char 38. A bord du 35, les trois membres de l'équipage sont concentrés sur leur mission. Dans la chambre de combat, le sous-lieutenant PASTEUR, derrière ses armes prêtes, promène son regard attentif d'un appareil de vision à l'autre ; par le tube de l'aviophone passé dans son baudrier il donne à son conducteur les indications de route. Le brigadier DUPONT est au volant, ne quittant des yeux le point de direction que pour vérifier les indications du tableau de bord. A côté du brigadier, le radio VEVE, les écouteurs aux oreilles, est prêt a recevoir les ordres du capitaine. Officier, pilote et radio se connaissent de longue date : l'équipage est bien uni, chacun sait qu'il peut compter sur les deux autres, quoi qu'il arrive. PASTEUR a formé ses hommes par un patient labeur quotidien : sportif de grande classe, il s'est imposé par son adresse au tir et dans le pilotage des engins mécaniques ; ses qualités de cœur ont fait le reste. Les chars ont parcouru plus d'un kilomètre sans autre incident notable que la traversée de barrages d'artillerie. Mais voici qu'une arme antichars ennemie se révèle. A peine a-t-elle tiré que le sous-lieutenant PASTEUR l'a repérée. Un ordre bref dans l'aviophone. DUPONT fait stopper le char. L'officier, de son premier obus, réduit au silence l'engin adverse. L'arrêt n'a pas duré dix secondes, on repart. La lisière du village de Jandrenouille n'est plus qu'à 500 mètres. Les balles des mitrailleuses allemandes tombent, denses, sur la cuirasse du char 35. Le radio passe à son officier un billet griffonné : "Ordre du capitaine, contournez le village par le Nord". Le mouvement prescrit est immédiatement exécuté par les quatre chars du peloton. Le cinquième n'a toujours pas rejoint. Soudain, une masse de chars allemands débouche d'un bois proche du village... Ils sont peut-être trente ou quarante et ouvrent un feu infernal. Les blindages de nos chars résonnent sous les coups. Le sous-lieutenant PASTEUR décharge sans arrêt son canon et sa mitrailleuse. Il a bientôt la satisfaction de voir flamber deux chars ennemis, trois autres sont certainement touchés. Dans la fièvre du combat, il ne prête aucune attention aux éclats du blindage qui sont projetés dans l'intérieur de son char. Son bras gauche cependant lui fait très mal et refuse tout service, un fragment d'obus lui a labouré l'épaule. Mais il faut tirer quand même au risque de perdre équipage et char. Le bras droit est encore bon, le cerveau est lucide, l'âme est forte. PASTEUR tire toujours malgré son bras inerte : bien mieux, il tire juste et réduit les ennemis au silence. Mais il s'écroule sur le plancher d'acier du 35, un éclat lui a fracassé la cuisse gauche. Presque en même temps, le radio, grièvement blessé, s'affaisse sur son siège de sangle. Le brigadier DUPONT, seul valide, va tenter alors de sauver l'équipage, en conduisant le Somua à l'abri d'un mouvement de terrain. Il a à peine commencé la manœuvre qu'une salve d'artillerie tirée à moins de 200 mètres fracasse l'engin, broyant la cuisse gauche du conducteur. Le char 35 s'immobilise avec son équipage inanimé... Le sous-lieutenant PASTEUR se retourne, il interpelle DUPONT. Le 35 ne doit pas tomber entre les mains des Allemands, il y a des grenades incendiaires à bord, on va les utiliser. Pour cela, il faut que les blessés sortent du char. Le radio râle doucement. Unissant leurs efforts, PASTEUR et DUPONT ayant tous deux la cuisse fracturée, essayent de sortir du char leur camarade mourant : c'est en vain, ils ont trop présumé de leurs forces. Par des prodiges d'énergie, l'officier et son conducteur pourraient eux-mêmes sortir du blindage brûlant, mais ils ne consentent pas à abandonner le radio qui va mourir. Ils attendront longtemps les secours. Hélas !.. ce ne sont pas des mains amies qui les dégageront. Les Allemands emmèneront à l'hôpital de Liège le sous-lieutenant PASTEUR et le brigadier DUPONT, ils enterreront non loin de là le radio VEVE. Le 9 juillet 1940, le sous-lieutenant PASTEUR mourait des suites de ses blessures à l'hôpital de Liège. Le brigadier DUPONT, amputé de la cuisse gauche, rejoignait la France en novembre 1940 avec un convoi de grands blessés. (C'est lui qui a narré à ses chefs l'héroïque combat de l'équipage du 35).
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