A L'inverse de Chenu :
 

Du "Char d'Assaut"
au képi rouge
       
1ère partie. 10 mai – 6 juin

CAMPAGNE 1939 – 1940

 
Regard en arrière sur le 37e Bataillon
La première période de la campagne se terminait pour moi par mon départ du 37e Bataillon de chars.
Ce changement qui m'avait été annoncé le 22 février, à la suite d'un coup de téléphone reçu par le commandant de Cissey mettait fin à une période militaire de mon existence particulièrement heureuse qui m'avait apporté un dérivatif à des difficultés d'ordre personnel et m'avait de plus, donné des satisfactions d'ordre professionnel et fait trouver dans mon commandement des joies que je ne croyais pas que l'Armée put en donner encore.
Affecté au 511
e Régiment de chars à Verdun le 14 décembre 1937, j’avais après quelques semaines de stage dans les unités dotées de différents matériels, 2C, R35, et B1, pris le 1er mai 1938 le commandement de la 4e Compagnie, ayant le matériel B1.
Je succédai au capitaine Ziégler, qui venait d'être reçu à l'Ecole de Guerre et me laissait après deux années de commandement une unité parfaitement tenue, pourvue de gradés excellents, tels l'adjudant Maricot, le sergent-chef Etourneau, le sergent-chef Dourdonaud, tous pilotes expérimentés ayant à leur actif les essais des prototypes de chars B1, le sergent-chef Douvarel, aussi bon spécialiste radio que les précédents étaient excellents pilotes, sans compter un lot de jeunes sous-officiers et gradés pleins d'ardeur et de dévouement, de foi et qui au cours des deux années où je les eus sous mes ordres, m'apportèrent tout leur concours et ne me causèrent jamais aucune difficulté méritant d'être retenue.
Ma mise au courant de ce métier très nouveau pour moi en raison d'un matériel qui m'était jusqu'ici totalement inconnu, m'avait été facilitée également par les chefs très bienveillants et en même temps pleins de foi et d'ardeur sous les ordres de qui je me trouvais appelé à servir.
Le colonel Bruneau, un des créateurs des chars B, technicien émérite, ne vivant que pour son idée qui était de réaliser l'"Arme blindée" qui devrait d'après lui être l'arme par excellence de la guerre future .
L'avenir devait malheureusement lui donner étrangement raison en dépit de l'opposition acharnée et serait-on tenté de dire, malveillante que ses idées trouvèrent auprès de nos grands chefs de l'époque. Tout au plus pourrait-on lui reprocher d'avoir eu en son matériel une confiance trop totale. Il était certes excellent et le meilleur des diverses armées étrangères, mais il était cependant raisonnable de ne pas croire à sa valeur exclusive.
Avec un tempérament et des modes d'expression très différents, on peut dire que l'un des rares parmi nos chefs qui avaient des vues exactes de l'avenir et sentaient que quelque chose dans nos méthodes et nos règlements devait être changé était le colonel De Gaulle commandant à l'époque le 507
e Régiment de char de Metz.
Si son rôle depuis les tristes errements de juin est sujet à discussions, il n'en reste pas moins que si les idées du colonel Bruneau et les siennes avaient été au moins écoutées, quelque chose eut été changé dans la conduite de la guerre à venir, certaines erreurs grossières sûrement évitées et peut-être quelques revers évités.
Le commandant Cardin qui commandait le bataillon B, breveté à l'Etat-Major, chef des plus bienveillants et doué lui aussi d'un tempérament ardent, avait su par l'exemple et sa foi absolue en notre matériel, par la chaleur de sa parole, faire de tout son personnel un ensemble fanatique du char B, animé du désir d'en tirer le meilleur rendement, et de faire du bataillon - le 1
er bataillon B de l'armée – une unité d'élite. Cela n'allait pas sans quelques frictions avec le 1er bataillon, le bataillon léger 35R du régiment, mais cela nous importait peu et chacun, du haut en bas de l'échelle s'attachait à la tâche avec une volonté ferme et un enthousiasme raisonné.
Le commandant de Cissey, avait remplacé en septembre 1938, le commandant Cardin à la tête du bataillon. Aussi calme que son prédécesseur était exubérant, il ne tarda pas cependant à s'attirer les sympathies unanimes du personnel.
Les états de service de 1914 à 1918, dans les chasseurs à pied où il avait été six fois blessé, sa bienveillance cachée sous une apparence de froideur, l'attachement qu'il montra dès le début pour notre matériel et son emploi eurent vite fait de lui conquérir tous les esprits et tous les cœurs et d'en faire le chef que tous suivraient aveuglément, la malheureuse affaire en Belgique l'a parfaitement démontré.
Servi par ces éléments favorables je ne pus que me mettre facilement et rapidement au courant.
S'il n'y jouait le fait que des officiers de réserve fanatiques eux aussi de ce matériel moderne venaient fréquemment faire des périodes volontaires – dont la carte de surclassement – n'était pas le but principal. L'un deux venait même depuis Perpignan. Il n'y aura rien d'étonnant à ce que lors de la mobilisation de 1938, puis celle de 1939, j'aie eu la possibilité et la satisfaction d'avoir sous mes ordres une unité parfaitement au point, qui lors de tous les exercices du temps de paix, puis de ceux de la période d'attente de la guerre, réussit toujours parfaitement tant au point de vue matériel chars qu'au point de vue des liaisons radio les manœuvres les plus longues et les plus délicates qui lui furent demandées, même par les temps les plus défavorables.
Si j'y ajoute la parfaite camaraderie qui s'était cimenté au cours de six mois de popote commune, le dévouement affectueux et entier des sous-officiers et des hommes, il sera facile de comprendre les sentiments qui m'agitaient le matin du 27 février 1940, lorsque je quittai Saint Soupplets, cantonnement de cette compagnie que j'avais commandé deux ans, et qui allait dans un temps indéterminé, voir le feu sans moi.
Lesquels reverrai-je de mes camarades, de mes gradés et de mes chasseurs ? Je partais avec la certitude qu'ils seraient à hauteur de toutes les tâches, mais ce dont je ne pouvais me douter c'est que cette force magnifique serait anéantie dès le début de l'offensive allemande en Belgique, et ce en une demi-journée.
Du 37e au 47e Bataillon

Je quittai le 37e à Saint Soupplets le 27 février au matin. Le commandant de Cissey, toujours aussi bienveillant, avait accordé au lieutenant Grandjean, une permission exceptionnelle de trois jours pour lui permettre de m'emmener en voiture et de m'accompagner jusqu'à Aubigny où devait se former le 47e.
J’abrégeai le plus possible mes adieux aux officiers de ma compagnie car mon émotion était intense et mon chagrin profond en les quittant tous. Je trouvai le commandant en plein exercice de transmission ; il le fit arrêter un quart d’heure pour me dire encore quelques mots mais de notre fait à tous les deux, les silences furent encore plus éloquents.
Enfin, je dis enfin, car tout cela était affreusement pénible, la voiture de Grandjean se mit en route et nous gagnâmes Paris où je m’arrêtai trois jours avec lui avant de continuer.
Ce séjour à Paris me permit de sortir un peu, de voir pas mal d’amis et d’atténuer un peu la tristesse que j’éprouvais.
Après trois jours passés à Paris, je repris toujours avec Grandjean la route d’Aubigny-sur-Nère. Ma grande joie de la journée fut de m’arrêter au passage à Argent-sur-Sauldre où je fus l’hôte à déjeuner et à dîner du capitaine Aulois, commandant la 1
ère Compagnie du 49e Bataillon de chars B.
J’avais fait sa connaissance au 37
e où il était venu en décembre faire un stage d’un mois. Nous y avions tous apprécié ses qualités d’allant et de bonne camaraderie.
Avocat au barreau de Paris, ancien député, âgé de 46 ans, ayant fait dans les chars plusieurs attaques de l’autre guerre, après avoir appartenu à l’infanterie dans les groupes francs, il était officier de la légion d’honneur et porteur d’une magnifique croix de guerre. Alors que son âge aurait pu lui permettre de faire une guerre confortable il avait tenu à reprendre le commandement d’une compagnie. Il devait être blessé grièvement, amputé d’un bras, lors des premières attaques de sa compagnie. Il perdra par la même occasion son pilote et ami le sergent-chef Chapuis tué dans son char. Il fut fait prisonnier. Sa popote où je retrouvai un certain nombre de camarades du 37
e, mutés au 49e pour la mise sur pied de son bataillon, était installée dans une vaste maison d’Argent, et sous son impulsion digne des meilleures traditions d’ambiance et de camaraderie du 37e. Ce fut une joie pour moi comme une transition, comme un prolongement du 37e et j’y puisai le courage nécessaire pour entrer dans mon nouveau corps, afin d’essayer d’y faire mettre à l’honneur, les mêmes qualités qui avaient fait pour moi du 37e un souvenir inoubliable.
Au dîner du soir, je rencontrai le commandant Préclaire, commandant le 49
e avec son adjoint, le capitaine Macé de Gastine, ancien camarade du 501e de Tours, que j’étais très heureux de retrouver pour quelques temps.
Après le dîner, nous passâmes une soirée assez bruyante et à minuit rentré à Aubigny. Je faisais mes adieux à Grandjean. Ce dernier adieu nous trouva fort émus l’un et l’autre en raison du mois de vie commune que nous venions de vivre et de l’amitié personnelle qui s’était tissée entre nous.
Dans l’après-midi, j’étais allé au dépôt n° 511 à Bourges, me présenter au commandant Giot, commandant du dépôt, auquel le 47
e devait être administrativement rattaché. Je rencontrai à Bourges le capitaine Gougenheim, commandant le détachement précurseur du 47e à Aubigny.
Le 47
e ne devrait pas arriver avant le milieu de la semaine suivante, le dépôt m’avait donné une permission.
Je pris donc dès le lendemain matin le chemin de Paris où j’allais attendre le moment de rejoindre.
Le mercredi 6 mars à midi je reprenais le train pour Gien ; là, la voiture d’Aulois était venue me chercher. Elle me ramena à Aubigny, où je n’avais plus qu’à attendre l’arrivée du commandant Petit, commandant le 47
e.
Il arriva vers 16 heures. Je me présentai à lui. Le 47
e
commençait.

Période active au 47
e

I. Alerte et préparation au départ

10 mai 1940

Le 10 mai, nous avions un tir de tous les chars disponibles du bataillon, soit 12, sur le terrain d’Ennordres. Le commandant Bescond était venu le 8 au champ de tir, amenant son bataillon le 46e, de Neires-sur-Loire, par la Charité. Tous ses chars sauf un, soit 34 avaient fait l’étape de 60 km qui les amenait au tir, et qui en raison des courts délais dont on disposait pour la mise sur pied, représentait une incontestable réussite. Bescond en était fier et heureux. En le quittant le 8 au soir, j’étais loin de penser que 12 jours plus tard, le 21 mai en arrivant à Fismes, la première nouvelle que j’apprendrais serait la disparition et la mort plus que probable de ce magnifique officier et parfait camarade ainsi que l’hécatombe de plus de la moitié de ses chars devant Laon.
Le 10 mai, peu après 8 heures, heure de début du tir, le bruit commença à courir que les allemands avaient dans la nuit envahi la Hollande, la Belgique et le Luxembourg. Nous y fîmes d’abord peu attention, comme à tant de bruits qui courraient sans cesse sans être confirmés. Mais la rumeur se précisa, petit à petit et il ne nous fut bientôt plus possible d’en douter.

Les chars du 46e au tir d’Ennordres
Le Commandant Bescond             
 
 
Les premiers ordres ne tardèrent du reste pas à parvenir d’avoir, tout en continuant le tir, à procéder à l’installation des postes de D.C.A. Ils furent répartis : deux au champ de tir, deux au terrain de manœuvre dans les bois duquel les chars étaient logés depuis l’avant-veille, mesure que j’avais fait prendre à la fois pour décongestionner le village dans lequel les appareils étaient précédemment répartis, éviter de trop ruiner le sol des rues ainsi que les accidents et mettre le personnel plus dans l’ambiance de la vie en campagne.
Pendant l’interruption du tir au déjeuner, l’appareil de radio du sous-lieutenant Roy, branché sur une de nos voitures de liaison nous tint au courant des évènements de la matinée, en particulier du bombardement d’un certain nombre de villes françaises. Puis on vint chercher le commandant, le ministère le demandant au téléphone. En remontant au tir il nous dit qu’il a reçu l’ordre de tenir le bataillon prêt à partir dans les moindres délais, en procédant par compagnies successives, celles-ci pouvant être amenées à être dirigées sur les armées séparément au fur et à mesure de leur mise sur pied.
Cette hâte qui traduit peut-être les premières inquiétudes du commandement, ne nous semble pas encore de mauvaise augure, tant notre foi en notre résistance est complète.
Qui de nous à ce moment-là se doute de la vitesse à laquelle marcheront les évènements dans les prochaines semaines.
J’avais ce jour là invité mon camarade Duchart qui commandait une compagnie de D.C.A. à Valbris à venir déjeuner avec nous et assister à nos tirs, afin de lui montrer les chars B qu’il ne connaissait pas. L’alerte donnée immédiatement à la D.C.A. l’empêche bien entendu de venir.
Le soir même je décommanderai le voyage que j’avais projeté à Paris et à Tours pour les jours de la Pentecôte.Le soir Suzanne Caron vint dîner avec moi et je la chargeai de m’excuser auprès des amis chez qui nous devions nous rendre.

Samedi 11 mai

Le bataillon perçoit 9 chars à l’entrepôt de Gien et pour se conformer aux ordres reçus hier, six sont donnés à la 3e Compagnie afin de la compléter et lui permettre d’être dirigée au plus tôt sur les armées.
(1ère Cie : 490 ARCOLE, 512 RIVOLI, 2e Cie : 426 VERCINGETORIX, 3e Cie : 410 DARDANELLES, 456 MARENGO, 457 LODI, 478 EYLAU, 479 ULM, 509 FRIEDLAND)
Le char CRECY-AU-MONT, perçu quelques jours plus tôt est reversé à Gien. A l’examen il s’est révélé en effet que son train de roulement était en piètre état. Le même fait a été constaté au 46e sur certains chars par le commandant Bescond et a fait l’objet d’un rapport dans chacun des deux bataillons.
Ces chars ont fait des essais à Satory devant la commission de réception.
Or par suite d’une scandaleuse négligence on ne s’est jamais préoccupé de les nettoyer et de les graisser, si bien qu’en très peu de temps les trains de roulement ont été secs et les axes se sont grippés.
Le résultat en est que des chars entièrement neufs doivent être reversés pour qu’on leur change le train de roulement et ceci au moment où les évènements exigent la mise sur pied des bataillons de chars dans les délais les plus rapides. La scandaleuse impéritie de certains services nous révolte, mais que dirions nous si nous devions dès maintenant imaginer les autres nombreux exemples bien plus ignobles encore qu’il nous sera donné de contempler dans les semaines qui vont suivre.
Vers midi, le bruit court qu’Avord a été bombardé le matin très violemment et a été détruit.
Cela me donne de grosses inquiétudes pour Chènevière, la propriété des Brusaut, située en limite du camp et où sont réfugiées Madame Brusaut, et ses trois enfants et sa sœur Zette Duchemin et ses deux filles.
Le soir vers 16 heures passe à Aubigny une jeune femme qui a fui Avord le matin, complètement affolée par le bombardement. Elle est encore en pyjama et confirme les dégâts dont on nous a parlé. Elle est passée à Savigny en Septaine, mais ne peut rien me dire au sujet de Chènevière.
Depuis hier soir, nous avons renforcé les mesures de défense passive à Aubigny. La ville est plongée dans l’obscurité la plus complète et le soir de nombreuses patrouilles commandées par des officiers, assurent la parfaite exécution de ces mesures.

Dimanche 12 Mai Pentecôte

A 10 heures, un message téléphoné nous apporte l’ordre de hâter au maximum les préparatifs. En conséquence, le bataillon reprendra le travail dans les unités et dans les ateliers dès le début de l’après-midi.
A 15 heures, la subdivision de Bourges nous alerte ; des parachutistes seraient descendus dans différents points de la région et nous envoyons des reconnaissances dans tout le secteur Dampierre-en-Crol, Vailly-sur-Sauldre.
Je fais moi-même une tournée dans toute la région, mais nulle part personne n’a rien vu.

Lundi 13 mai Lundi de Pentecôte

On travaille encore dans toutes les unités et aux ateliers.
Dans l’après-midi j’ai pu faire téléphoner à Chènevière par mon camarade Sanglé-Ferrière, qui est à la subdivision. La maison et la famille sont saines et sauves, mais les bombes sont tombées à proximité. Jacqueline Brusaut est partie avec les enfants dans la propriété d’une amie, de l’autre côté de Bourges.
Le soir à 23 heures, alors que je viens de me mettre au lit, on m’alerte à nouveau. Cette fois, ce serait un avion qui, aux dires d’automobilistes de passage, se serait posé à la tombée de la nuit à proximité de la route d’Aubigny, la Chapelle d’Anguillon. J’organise une battue avec le concours des gendarmes, mais à deux heures du matin je rentre sans avoir rien trouvé.

Mardi 14 mai

L’état-major du Groupe de Bataillon de Chars n° 533 reçoit l’ordre de départ pour la zone des armées.
Le Colonel De Gaulle qui vient de prendre le commandement de la 4e Division Cuirassée, annonce sa visite au bataillon pour le 17 mai.

Mercredi 15 mai

Le G.B.C. 533 est parti à 5 heures du matin pour la Charité où il embarquera avec le 46e Bataillon.
Le lieutenant-colonel Sudre me dit que leur destination est Waterloo. Mais les évènements marchèrent plus vite qu’il n’était prévu, et comme je l’ai dit plus haut, que nous les retrouverons avec la douloureuse surprise de voir quatre jours plus tard le 46e déjà décimé et le commandant Bescond disparu.
Le même jour, nous recevons l’ordre de tenir deux compagnies immédiatement prêtes. La 3e, compagnie Ghislain a déjà tous ses chars. Pour compléter la 1ère, compagnie Dirand, on leur passe :
Le PETIT-VERLY de la C.E.
Le JEAN-BART, le JEMMAPES, le VERCINGETORIX de la 2e.
La 1ère va donc ainsi se trouver prête à embarquer dans les délais les plus courts, mais avec une instruction des plus rudimentaires. En particulier, à aucune des compagnies, les radios n’ont travaillé en char, pour la bonne raison que les postes de T.S.F. n’ont pas encore été montés. Beaucoup de pilotes n’ont pas encore conduit sur route et aucun n’a roulé de nuit.
Depuis deux jours déjà, la lamentable exode des réfugiés a commencé.
A midi je vois arriver à Aubigny mes amis Le Conte de Châlons-sur-Marne, qui ont quitté leur maison après les premiers bombardements. Il y a là Yvonne Le Conte, sa sœur Mme d’Evry avec ses deux enfants, et un de leurs frères. M. et Mme Le Conte avec leur autre fille Nick, sont restés dans leur propriété près d’Epernay. Elles nous disent que l’on met en hâte la région de Chalons en état de défense. Tous les canons disponibles ont été placés sur la Vesle. Malgré ce mauvais son de cloche, je ne me résigne pas encore à croire la partie si compromise. Je pense que certes nous avons été surpris !! et avons essuyé un gros revers du fait de la violence et de la rapidité de l’offensive allemande, mais que sous peu nous aurons endigué le flot et rétabli la situation. Quelle erreur !
Un des radios de l’E.M. du bataillon, le chasseur Raeder, employé des Postes, originaire de Strasbourg, qui avait tenu en public des propos hitlériens et violemment anti français, est incarcéré à la prison de Bourges.

Jeudi 16 mai

Le matin, un coup de téléphone du ministère m’enjoint de tenir la 2e Compagnie Marcille prête à embarquer le soir même sans matériel chars pour Satory où elle ira percevoir ses appareils à la chaîne de montage.
Je lui fais en conséquence verser ses deux derniers chars, l’un le CONDE (423) à l’état-major du bataillon pour en faire le char de commandement, l’autre le MALMAISON (380), à la compagnie d’échelon où il entrera dans la composition de la section de remplacement avec le TOURVILLE (436) qui y figurait déjà. Le MALMAISON sera le char du lieutenant Oger, chef de section, le sous-lieutenant Bizet, chef du 3e char n’ayant pas d’appareil.
Entre temps, un détachement commandé par le lieutenant Charreyron part pour Versailles percevoir un complément de matériel auto, destiné paraît-il à remplacer le matériel tout-terrains qui ne peut nous être donné.
Il ramène quelques camions et huit voitures de liaison 202 Peugeot. Je me demande en quoi ce matériel est dans l’esprit de nos patrons susceptible de parer au manque de voitures six roues. C’est un complément de matériel appréciable parce qu’il nous permet d’emporter plus de bagages et d’augmenter les facilités de liaison, mais c’est tout !
Le manque d’engins de dépannage, tracteurs de dépannage Somua, est particulièrement regrettable. Nous ne tarderons pas, dès les premiers déplacements dans la zone des armées, à nous rendre compte à quel point.
De plus, Charreyron a également ramené des camionnettes aménagées en cuisines, à défaut de cuisines roulantes tractées que nous réclamons depuis le début et parce que paraît-il « il n’y en a plus ».

Vendredi 17 mai

La 2e Compagnie Marcille pour qui j’ai reçu l’ordre de départ la veille se met en route à cinq heures du matin pour Cercottes, au nord d’Orléans. L’ordre formel est de l’embarquer par le train. Or Cercottes est à 80 km de nous et le trajet total pour Satory était de 180 km. Il semble donc qu’on aurait pu lui faire faire le trajet entièrement par la route ! Mais le plus beau est qu’en arrivant à Cercottes d’où elle doit partir à midi, il n’y a pas de train pour elle et le commissaire de gare lui déclare qu’il ignore quand il pourra lui en procurer un. Marcille prend donc la décision de partir de lui-même pour Satory, inaugurant ainsi l’ère des initiatives personnelles qui vont désormais parer à toutes les déficiences que nous verrons progressivement grandir et s’accumuler au cours des opérations.
La compagnie Marcille est renforcée par un élément atelier prélevé sur la compagnie d’échelon et mis sous les ordres de Charreyron. Le capitaine Gimé, commandant la C.E., pensant que cet élément est destiné à aider la mise sur pied de la compagnie Marcille à Satory et qu’il le récupérera ensuite, lui a honnêtement donné ses meilleurs ouvriers. Comme nous ne les reverrons jamais, c’est donc amputée du meilleur de son personnel que la compagnie d’échelon va se mettre en campagne.
Ceci, qui nous gênera considérablement au début, deviendra malheureusement moins grave par la suite en raison du rythme accéléré des déplacements qui finiront par empêcher à peu près tout travail des ateliers.
Le soir j’ai pu aller, accompagné par l’Aspirant De Thoisy, à Chènevière faire mes adieux à Zette Duchemin et à ses parents qui préparent leur départ.

 Samedi 18 mai

 A deux heures du matin on vient me réveiller. C’est Marcille qui revient en hâte de Satory pour nous rendre compte de son voyage et de la surprise qui l’attendait à Versailles.
Ayant fait la route en auto avec sa compagnie, il est allé se présenter en arrivant au dépôt 503 où on l’a d’abord accueilli avec de grands yeux étonnés puis après quelques recherches on lui a dit qu’il était complètement détaché du 47e et destiné , aussitôt son matériel perçu, à former la compagnie autonome de chars n° 349.
On lui a donné comme cantonnement des fermes dans la région de Satory, et aussitôt sa compagnie installée tant bien que mal, il a repris avec sa voiture la route d’Aubigny pour nous mettre au courant et demander au commandant d’intervenir pour que le 47e récupère sa compagnie. Nous allons ensemble réveiller le commandant avec qui nous parlons jusqu’à quatre heures du matin, puis ayant tant que nous avons pu réconforté Marcille, il repart pour Satory.
Dès le matin, le commandant téléphone au ministère. On lui répond qu’il n’y a rien a faire, que ce sont des ordres supérieurs mais qu’il y a toutes chance que dans quelques jours, une fois aux armées, nous puissions regrouper le bataillon.
Autant d’eau bénite de cour ! Jamais la 2e Cie ne nous retrouvera. Elle sera accaparée par la 2e Division Cuirassée et sera même engagée avant nous. A chaque occasion qui se présentera nous demanderons à ce que la 2e revienne parmi nous. Ce sera en pure perte et le bataillon sera engagé quelques jours plus tard avec seulement deux compagnies.


424 RICHELIEU             
 
 18 mai La Compagnie Ghislain quitte Aubigny





 
479 ULM
   

A dix heures du matin, la compagnie Ghislain, prête au départ, quitte son cantonnement du terrain de manœuvre pour aller s’embarquer à la gare de Gien. Elle traverse Aubigny, dans un ordre parfait, les mitrailleuses de D.C.A. montées sur les tourelles des chars, au milieu de la population.
Le défilé de cette compagnie, alors que tous les esprits sont tendus à l’extrême par les mauvaises nouvelles de ces derniers jours se fait au milieu d’une très grosse émotion, non seulement des civils, mais de nous-mêmes qui voyons ainsi partir malgré leur entraînement insuffisant et l’instruction rudimentaire de beaucoup de personnel, les premiers éléments que depuis deux mois et demi, nous nous sommes efforcés de préparer de notre mieux pour la rude tache qui les attend.
L’impression profonde que produit toujours à tous de la puissance du matériel, un défilé de B à travers une ville est cette fois considérablement accrue et transformée.
Je passe ma journée à m’occuper de toutes les questions que pose le départ du reste du bataillon prévu pour demain et à 4 heures, je prends avec Suzanne Caron, la route de Gien pour aller dire au revoir à la compagnie Ghislain et voir l’embarquement du 1er train de la Cie d’échelon.
Après avoir dépassé Argent, je m’arrête auprès d’un char que l’on est en train de réparer sur le bord de la route. Je trouve là, un sous-lieutenant du 28e bataillon, de la Compagnie Bruneau qui est avec son pilote, deux autres gradés et une camionnette. Il nous dit qu’il arrive de Belgique et que son bataillon après avoir perdu tous ses chars dans un engagement contre une « Panzerdivision » est complètement dispersé. Lui-même avec sa camionnette a reçu l’ordre de rejoindre le dépôt de Bourges pour s’y regrouper.
Cette terrible catastrophe eut pour ceux d’entre nous qui l’écoutent, en même temps qu’une surprise totale, un véritable écroulement. Nous envisagions toujours en effet que nos appareils ne pourraient faire autrement que de se mesurer victorieusement avec les chars allemands, même les plus puissants. Aussi ai-je du mal à y croire et à le réaliser. Nous saurons plus tard, que nous ne nous trompions qu’à moitié. Les B ont en effet nettement affirmé leur supériorité, mais engagés dans des conditions déplorables, presque à bout d’essence, et à un contre dix, ils n’ont pu, après avoir fait un magnifique travail, que s’incliner devant la triste fatalité.
Une pensée va aussitôt vers mon cher 37e et je demande à ____ s’il sait quelque chose de lui. Mais il n’a aucun renseignement et mon angoisse est grande au sujet de ces chers camarades et de l’incomparable ami qu’a été pour moi le commandant de Cissey.
Je rentre dîner à la popote d’Aubigny avec Suzanne Caron, puis après le dîner repars à Gien voir embarquer le train du Capitaine Citroën. Mais le train qu’on lui amène est formé de wagons qui ne peuvent porter ses lourds camions. Il faut donc demander un nouveau train. Je couche au Terminus de Gien et ce n’est qu’à midi le lendemain que Citroën pourra enfin embarquer et partir.

Dimanche 19 mai

A onze heures, alors que tout est à peu près paré pour notre départ, je reçois du ministère un coup de téléphone du lieutenant Lalanne, me disant qu’il vient d’arriver en gare de Gien pour l’entrepôt, 18 tracteurs Lorraine.
Je dois les prendre pour le bataillon et les emmener avec nous. Comme tous nos trains sont calculés au plus juste, je n’ai pas la place et après avoir passé la majeure partie de la journée à téléphoner dans toutes les directions : ministère, gare de Gien, Service des chemins de fer à la gare d’Austerlitz, entrepôt de Gien, par obtenir que les tracteurs ne seront pas débarqués du train qui les a amenés à Gien et qu’un train spécial, sous les ordres du Sous-lieutenant Bizet de la compagnie d’échelon, sera intercalé entre deux de nos trains normaux pour nous amener ces tracteurs de ravitaillement dans la gare de débarquement.
Entre temps, un camarade revenu de Bourges me dit qu’il a vu au dépôt les adjudant-chefs Pinault et Perrot du 37e qui a rejoint le dépôt, ayant perdu la bataille de Belgique. Ils ne savent rien de précis sur le 37e, mais tout laisse supposer que là aussi il y a eu un coup dur. Quand saurais-je quelque chose, mais tout cela n’est pas réconfortant au jour de notre départ.
A 19 heures part le train de la Compagnie Dirand qui emmène le Commandant et une partie de l’état-major du bataillon dont le médecin, le lieutenant Drapied adjoint technique. Grenelin, l’officier de renseignement est parti avec le 1er train, celui de Ghislain.

  19 mai Départ de Gien du train de la Cie Dirand
 

Je dîne à l’hôtel Beau-Rivage à Gien. Pendant le dîner la T.S.F. nous apprend la prise du commandement en chef par le général Weygand.
Les nouvelles disent qu’après un gros effort, les divisions blindées allemandes « devraient » en raison des nécessités du ravitaillement et des réparations, marquer un temps d’arrêt. Mais il y a peu de réconfortantes dans tout cela. L’ambiance est angoissante.
A vingt deux heures commence l’embarquement de mon train qui comporte 4 chars et le reste des véhicules de la compagnie d’échelon sous les ordres capitaine Gimé.
L’embarquement se passe bien, quoique un peu long et à cinq heures du matin nous prenons à notre tour la direction de la zone des armées.
L’aventure commence. Malgré l’angoisse des jours que nous venons de vivre nous sommes cependant pleins d’espoir encore et nous ne doutons pas qu’elle sera aussi brève et se terminera pour la France de si catastrophique manière.

II A la recherche du Fritz.

Lundi 20 mai

Notre première destination est Juvisy. Après quelques heures de sommeil dans le train, nous y arrivons vers neuf heures du matin. Je vais faire viser ma feuille de route par le commissaire militaire qui me donne comme nouvelle destination Soissons.Le train se remet en route et dès après le passage de la grande ceinture n’avance plus que très lentement, les trains devant nous et derrière nous se succèdent à quelques centaines de mètres. On ne marche plus que par bonds très courts, entrecoupés de longs arrêts. Nous attribuons cette marche hésitante à l’encombrement des rames, alors que comme nous le saurons sous peu les coupures de voies par l’aviation allemande en sont la principale cause.
A partir de la région de Dammartin en Gaël nos hommes commencent a être attirés par les premiers spectacles de guerre qu’ils voient, trous de bombes, quelques maisons détruites, des lignes télégraphiques arrachées.
Nous arrivons vers 18 heures en gare d’Ormoy, entre Nanteuil le Haudon et Crépy en Valois. L’arrêt se prolonge près de deux heures. A 19 heures, tous nos hommes sont en train de regarder un vol de 14 avions tous blancs dans le ciel, se demandant à quelle nationalité ils appartiennent, lorsque retentit le bruit de plusieurs chapelets de bombes. Ce sont les mêmes avions, des allemands, qui viennent de déverser leur chargement sur la gare de Crépy en Valois, juste devant nous. Immédiatement un énorme nuage de fumée s’élève, matérialisant les points de chute à nos regards.
Quelques instants après passe un groupe d’avions de chasse français, mais nous ne saurons jamais s’ils ont retrouvé les bombardiers allemands.
Nous restons encore un bon moment en gare et vers 20 heures, alors que nous nous attendons à repartir, le commissaire de réseau vient me trouver et me dit : « Les voies sont entièrement coupées au devant de nous par les bombardements aériens. Je ne peux assurer votre mise en route avant demain matin. A ce moment là vous risquez de nouveaux bombardements qui peuvent être très meurtriers si vous êtes encore sur wagon. Je vais donc dans votre propre intérêt et dans celui de vos chars vous débarquer ici. Il sera prudent de gagner votre destination sur chenilles ».
Cela me laisse perplexe car j’ignore ma destination définitive. Mais il revient quelques instants après et me transmet un message téléphoné au régulateur général me disant : Le colonel De Gaulle, Commandant la 4e division cuirassée vous donne ordre de rejoindre au plus tôt et par la route la Forêt de Dôle, au S.O. de Fismes.
Cela représente une étape de nuit de 60 km, en pays inconnu et comme je l’ai dit plus haut, à part l’adjudant-chef Barthélemy, pilote du CONDE, avec des pilotes non confirmés, n’ayant jamais roulé en B de nuit. Je suis inquiet de la façon dont cela se passera, mais c’est un ordre et il n’y a qu’à l’exécuter. Je serai heureusement servi par un beau clair de lune.
On commence donc le débarquement mais pour mettre à quai, une erreur d’aiguillage détruit l’aiguille et empêche l’accès du quai sauf aux quatre premiers wagons qui portent les chars. Je débarque ceux-ci et d’accord avec le commissaire de gare on me refoule l’échelon sur roues sur la gare de Nanteuil le Haudoire où Gimet le débarquera. Je reste avec les chars et fixe pour tous un point initial, à Vaumoise, au carrefour des routes Crépy en Valois – Villers Cotterêts de façon à garder la liaison avec mes deux éléments et à laisser partir les chars avant la C.E. pour que celle-ci les recueille en cas d’incidents.
La C.E. qui à Nanteuil a des difficultés de débarquement est lente à venir au rendez-vous. Arrivé à Vaumoise avec les chars je les fais filer devant puis laisse sur place un gradé chargé de dire à Gimet que je suis déjà parti et qu’il n’a qu’à suivre.
J’avais traversé Crépy en Valois où plusieurs maisons brûlaient encore suite au bombardement que nous avions vu à dix-neuf heures. Je traverse également Villers Cotterêts, très abîmé par endroits.
A l’entrée de la Forêt de Villers Cotterêts, ma voiture dans l’obscurité totale causée par les grands arbres, s’engage dans un trou. C’est une bombe qui a éclaté là juste au bord du chemin. La route est très étroite et la conduite difficile parce qu’on y croise quantité de voitures de réfugiés et ce sans aucune lumière dans l’obscurité profonde. Je me demande quels dégâts mes chars auront causé dans tout cela, mais en les rattrapant un peu plus loin, j’ai la bonne surprise de constater que tout marche bien ; le moral des pilotes et de tous est parfait. Malgré l’effort fourni le jour arrive alors que nous sommes encore loin de notre destination. Aussi je fais forcer l’allure pour tacher d’arriver le plus tôt possible dans notre forêt.


Itinéraire du débarquement à Nanteuil le Haubois à Rollot (Montdidier).
 
 Mardi 21 mai

Notre route se poursuit au grand jour. Après le village de Corcy à l’entrée de la forêt alors que j’ai heureusement décollé de la colonne je me heurte à un chemin démoli par un entonnoir de deux mètres de profondeur. C’est une bombe qui à un embranchement est tombée en plein milieu de la chaussée. Décidément les aviateurs allemands visent avec précision. Je l’ai déjà vu quelques kilomètres plus tôt où les bombes sont tombées au bord de la route, à quelques mètres d’un pont de chemin de fer, je le verrai encore un peu plus loin à un carrefour qui cette fois est indemne mais a été entouré de très près.
Devant l’impossibilité d’emprunter cet itinéraire je retourne rapidement sur ma colonne et prescris aux chars et aux véhicules de se détourner par Villers Halloy et Blanzy.
Par cet itinéraire, on suit pendant quelques kilomètres une longue croupe entièrement dénudée et maintenant qu’il fait grand jour, n’étant pas rassuré au point de vue aérien, je fais forcer l’allure au maximum. Enfin on retrouve la vallée et laissant ma colonne je pars en avant reconnaître la forêt de Dôle et voir qui s’y trouve.
J’arrive enfin vers cinq heures du matin à Mareuil en bordure de la forêt. Là je vois bien des traces de chenilles, mais pas de chars B et pas trace de personnel des chars. Je continue donc jusque dans la forêt. Je l’explore dans toutes les directions mais bien qu’elle soit garnie de monde je ne trouve personne de chez nous.
Je rencontre seulement des éléments arrière du bataillon 19, chars D2 du commandant Ayme. Il ne peuvent me donner l’emplacement exact du P.C. de celui-ci.
Je commence à me demander si je retrouverai les miens lorsqu’un officier peut enfin m’indiquer le P.C. du colonel De Gaulle.
Je repars au devant de Gimet, lui donne un emplacement approximatif dans la forêt, lui laisse le commandement du détachement et pars prendre liaison à la 4e Division.
Je traverse en auto Fismes, complètement évacuée, et sérieusement bombardée et prend la route de Chavigny.
En traversant le village de Crugny (6 km S.E. de Fismes) je vois des chars B. Je m’arrête et apprends à ce moment là de la bouche du lieutenant Bibes qu’il est là avec les 15 chars restants du 46e. C’est lui qui m’apprend la disparition de Bescond. C’est pour moi une véritable et douloureuse surprise.
Bibes me dit en outre que le P.C. de la demi- brigade est dans le village. Je m’y rends et trouve le lieutenant-colonel Sudre qui me mit au courant des opérations faites par la division les jours précédents. Elle a été engagée dans la région de Laon, a connu des combats très durs mais on peut dire qu’au prix de ses pertes elle a arrêté la ruée allemande sur Soissons. Elle est provisoirement retirée du combat en attendant de nouvelles opérations.
Le lieutenant-colonel Sudre me dit avant toutes choses d’aller me présenter au colonel De Gaulle, puis de tacher de retrouver les autres éléments du bataillon qui comme nous ont du être débarqués à l’improviste en différents endroits dont aucun de nous deux n’a idée.
Je repars pour Savigny à 3 km de là, P.C. de la 4e D.C.R. Je me présente en l’absence du colonel De Gaulle à son chef d’état-major lieutenant-colonel Rime-Bruneau et au chef du 3e bureau, le commandant Faivre dans le bureau de qui je trouve mon camarade du P01, le capitaine Vigret, attaché au 3e bureau.
Là j’apprends que Ghislain vient d’envoyer un message disant qu’il avait débarqué à Mont Notre Dame et qu’il se dirige vers Fismes au plus tôt avec sa compagnie.
Du train du commandant et du capitaine Dirant on ne sait rien.
Le Cdt Faivre me fixe pour le 47e le stationnement d’Arcis le Ponsard.
Je fais la reconnaissance des lieux et en revenant à la Forêt de Dôle je rencontre le capitaine Citroën. Son train a été débarqué à « ? » et il est actuellement avec son détachement à l’est de Fismes au village de Courlandon.
Je lui donne l’ordre de rejoindre le plus tôt possible Arcis le Ponsard, puis je retourne à Mareuil où je retrouve Gimet. Je laisse reposer le personnel qui a marché toute la nuit, une partie de la journée et à 16 heures j’emmène tout le monde à Arcis le Ponsard.
Sur ces entrefaites, le colonel Petit est arrivé en voiture. Son train a débarqué à Longpont et la compagnie Dirand est actuellement stationnée au Nord-Est de la forêt de Villers-Cotterêts où elle reste jusqu’à nouvel ordre.
Ghislain est arrivé non loin de nous et sa compagnie stationne à quelques kilomètres d’Arcis le Ponsard, près de Draregny.
A 18 heures, pensant que nos derniers éléments arrivent vers Arcis le Ponsard, où les derniers des chars de mon train arrivent vers 21 heures, se tient au P.C. de la Division une réunion de tous les chefs de corps. Les ordres suivants en ressortent :
La Division Cuirassée fera mouvement vers l’Ouest demain matin, pour se rendre dans la forêt de Compiègne. Tout le chemin que nous avons fait aujourd’hui et la nuit dernière est donc à refaire en sens inverse demain !
De plus cette étape de 80 km en plein jour, toute la division cuirassée en ruban sur la même route nous cause les plus grandes inquiétudes sur les réactions de l’aviation allemande. Nous pensons que si les allemands veulent s’en donner la peine, cela tournera pour nous au désastre. Mais ce sont les ordres !
La soirée se passe pour nous à donner des ordres pour le mouvement du lendemain ce qui n’est pas facile après la dispersion du bataillon telle qu’elle a été réalisée aujourd’hui. Il nous faut en particulier envoyer des liaisons de nuit, en pays inconnu et par l’obscurité totale au capitaine Dirand pour lui dire de rester sur place et d’attendre que nous le prenions demain au passage.
L’itinéraire prévu pour demain repasse par Mareuil, Longpont, la Forêt de Villers-Cotterêts, évitant cette ville en la laissant à gauche, Pierrefonds et le chemin forestier à la Croix-St Ouen sur lequel toute la Division doit stationner en colonne, les éléments de combat des différents corps en tête, les éléments arrière groupés derrière eux. Où sont les grands principes appris en temps de paix ?
Une partie de la nuit se passe à donner les ordres et nous sommes de nouveau debout de bonne heure pour les derniers préparatifs.

Mercredi 22 mai

Le point initial étant fixé pour nous à Mareuil à 8 heures, nous quittons Arcis à six heures. A Mareuil en Dôle nous devions prendre notre place derrière les Somua des Cuirassiers mais à Mareuil pas de « Somua ». Après quelques hésitations, le Colonel et moi décidons de partir sans attendre. Prenant la tête de la colonne et décollant ensuite nous gagnons Longpont et la forêt où nous allons confirmer les ordres au capitaine Dirand. Celui-ci a couché dans la forêt et a été bombardé par avion la veille, sans dommages, et tandis que le Commandant voit avec lui pour attendre la 3e compagnie, je retourne à Arcis le Ponsart donner des ordres complémentaires et chercher la Cie d’échelon. Sur la route je croise la 3e compagnie qui poursuit sa route sans incidents graves. Elle a été mitraillée un peu plus haut par un avion, mais rien de nouveau.
Le char MALMAISON (380), du lieutenant Oger a coulé une bielle près de Mareuil. Le lieutenant-colonel Sudre me donne pour lui un tracteur du 46e qui l’amènera dans la forêt de Compiègne. Enfin j’arrive à Arcis le Ponsard ; à peine ai-je donné mes instructions à Gimé qu’un motocycliste arrive me disant que le bataillon est enlevé à la 4e Division et mis à la disposition du général Frère.
L’ordre écrit est le suivant :

Forêt de Longpont. 13 h

1° Le bataillon est mis à la disposition d’une Armée.
Point de 1ère destination : Senlis.
Itinéraire : Villers-Cotterêts, Crépy en Valois, Senlis.
2° Exécution du mouvement, mêmes prescriptions générales que le matin.
Départ : dans le même ordre.
3° Le chef de bataillon se rend à Senlis prendre liaison avec le Q.G. de l’armée pour essayer d’avoir un point de 2e destination dans les forêts avoisinant Senlis. Le capitaine Laude prendra dès que possible le commandement du bataillon.
4° La C.E. et les éléments restés en arrière sous les ordres du capitaine Gimé se porteront également dès que possible sur Senlis.
Point de 1ère destination : Barbey
5° Prévenir le lieutenant Drapied des dispositions nouvelles en vue notamment de faire rejoindre les éléments en panne au bataillon.
Tous les éléments qui sont actuellement avec le capitaine Dirand partent avec lui.
Il est bien entendu que le départ de la C.E. est immédiat.
Signé : Petit

Aussitôt les nouveaux ordres donnés à Gimé, je repars pour retrouver sur la route le bataillon et en prendre le commandement.
Je rencontre près de Mareuil le lieutenant-colonel Sudre à qui je rends compte de l’ordre ci-dessus qu’il ignore encore. Il me conseille de passer par Pierrefonds pour en rendre compte à la Division qui pense-t-il l’ignore aussi.
Je vais donc à Pierrefonds et trouve au château du Prieuré, le commandant Faivre qui fait fonction de chef d’état-major, le colonel Rime-Bruneau étant parti.
Il tombe des nues en lisant le papier, me dit qu’un message du régulateur n’est pas un ordre et commence à m’eng… me disant que jamais le bataillon n’aurait du partir ainsi sans demander confirmation. Je lui fais remarquer que le commandant n’a pas exécuté au premier ordre reçu, ce que je viens d’apprendre, mais qu’il a reçu un deuxième ordre impératif et a bien été obligé de l’exécuter. Comme le ton de la conversation de ce peu sympathique individu commence à monter, je lui fais remarquer qu’étant militaire et discipliné j’aurais agi exactement comme le commandant et qu’au surplus je ne suis pour rien dans tout cela. Je vois bien qu’il a surtout une peur bleue de la réaction du colonel De Gaulle quand il va rentrer du G.Q.G. Aussi comme il en a une sainte frousse, me dit-il d’attendre le retour de De Gaulle et de lui rendre compte moi-même et de recevoir ses ordres. Il peut ainsi détourner l’orage à mon profit. J’attends plus d’une heure et demie et quand De Gaulle arrive je lui rends compte des faits. Contrairement à toute attente il se contente de déclarer que le régulateur général est un c.. et que puisque nous sommes partis pour Senlis nous n’avons qu’à y rester ce soir et venir prendre ses ordres le lendemain quand il aura éclairé le malentendu.
Je crois que le commandant Faivre n’en est pas encore revenu. Pauvre type !
Quant à moi, je fonce sur Senlis. Tout cela m’a considérablement retardé et quand je rejoins le bataillon le commandant y est déjà revenu.
Le régulateur routier de Senlis lui transmet l’ordre de rejoindre au plus tôt un point qui est à une quarantaine de kilomètres. Le bataillon a fait, en ce qui concerne certains chars 92 km dans la journée. Une nouvelle étape est impossible et le commandant s’y refuse. Il fera très bien puisque les ordres de la 4e D.C.R. dans le sein de laquelle nous sommes revenus, ne nous ferons partir que le lendemain soir.
Le cantonnement reconnu du bataillon est un bivouac en forêt d’Halatte. La 2e et la 3e sont dans la forêt. La compagnie d’échelon est dans le parc du château d’Ognon et le P.C. du bataillon s’installe au village d’Ognon. Vers minuit tout le monde aura rejoint et nous pourrons dormir un peu après minuit.



Jeudi 23 mai

La journée se passe sans incidents à Ognon et dans la forêt d’Halatte. En faisant le tour des compagnies je ne puis m’empêcher de songer aux chasses à courre qui s’y donnaient et à penser que ce spectacle convenait mieux à ces lieux que celui d’un bivouac de chars.
Quelques bombardements d’avion aux alentours, mais rien pour nous.
Le pays est entièrement vidé de ses habitants, plus évacué que l’Aisne dont nous arrivons. Dans les maisons tout est resté en place, de la viande toute fraîche dans les garde-manger, le bétail et les basse-cour à l’abandon. Cela nous permettra d’aider aux manques de ravitaillement mais est la première vision de ces spectacles lamentables que nous allons contempler pendant plusieurs semaines.
Dans la journée nous arrivent les ordres de se tenir prêt à partir dans la soirée.
Cet ordre est confirmé vers 19 heures par les précisions suivantes.
La 4e D.C.R. se porte dans la région de Montdidier, en situation d’intervenir principalement dans les directions Est et Nord-Est.
Le bataillon se porte dans la région de Rollot en vertu de l’ordre ci-après.

47
e Bataillon de chars                                            Ordre de mouvement

1° Le bataillon se porte sans délai dans la région de Rollot : 10 S.-E. de Montdidier.
2° Itinéraire : Fleurines, Pont St Maxence, Carrefour 3 km S.O. Estrées St Denis, G.C. 52 jusqu’à La Heuville Roy - Tricot – Rollot.
Ordre de marche : 1ère Cie, 3 Cie. La C.E. fera mouvement derrière les compagnies jusque dans la région d’Estrée St Denis où elle recevra de nouveaux ordres.
3° Point initial : Fleurines
Le capitaine commandant la 1ère Cie rendra compte au Chef de bataillon à Fleurines lorsque la compagnie sera prête. La 3e Cie se formera sur la route Compiègne – Senlis et se portera dès que possible sur la route Senlis – Pont St Maxence, la tête à la hauteur du débouché des bois de la 1ère Cie et se mettra en marche sur l’ordre du chef de bataillon.
4° P.C. du bataillon : à Fleurines à partir de 0h15 ensuite avec la 1
ère Cie.
5° Dépannage : 1 élément commandé par un officier de la C.E. derrière les 2 compagnies de combat et 1 élément derrière la C.E.
Le chef de bataillon

La première partie du voyage est rendue difficile du fait de l’obscurité totale qui règne sous les immenses arbres de la forêt, difficultés accrues par le fait qu’on m’a installé une chicane en un point de la route. L’écoulement de la colonne est long mais se fait cependant sans incidents et une fois sur la route les pilotes mènent bon train.
Nous avons reçu l’ordre d’arrêter au jour là où nous serions afin de ne pas nous faire repérer. Personne ne tient à rester isolé. Aussi la colonne file-t-elle à toute allure, si bien que vers Laneuville-Roy, le char JURANCON (358), de l’aspirant Jourdain, manque son virage, file tout droit sur un talus à pic et se renverse sur la route, obstruant la circulation.
En l’absence de moyens de levage, nous ne pouvons le dépanner et nous abandonnons Jourdain avec 4 jours de vivres et la perspective que le parc d’armée vienne le dépanner. Il ne nous rejoindra plus jamais (le jour même il sera bombardé).
Malgré la vitesse de l’étape, nous ne seront pas tout à fait arrivés pour le jour, mais un brouillard épais nous permettra de gagner notre étape sans inconvénients.
Les chars Somua sont encore derniers et plus en retard que nous.

Vendredi 24 mai

Nous avons ainsi pris la direction du Nord. Cela nous évitera sans doute un ridicule incident du genre de celui de la veille où la colonne de la 1ère compagnie dans la descente sur Crépy en Valois, a été arrêtée par un capitaine de Gendarmerie, revolver au poing, qui s’est précipité sur l’aspirant Aubry de Maraumont, chef du char de tête en l’accusant de fuir et d’emmener dans sa fuite toute son unité. Aubry, discipliné lui a expliqué la situation. Le fait s’aggravait de ce que quelques civils soi-disant anciens combattants, et employés des chemins de fer, prenaient parti pour le gendarme et agonisaient de sottises Aubry de Maraumont. L’incident fut éclairci et le gendarme s’est incliné de mauvaise grâce. Il s’en tire à bon compte et il peut s’estimer heureux de n’avoir eu affaire ni au capitaine Dirant ni à moi-même. Il aurait sans doute conservé un mauvais souvenir de notre entrevue.
A 6h du matin nous arrivons à destination, la 3e compagnie à Courcelles, la 1ère et l’état-major du bataillon à Rollot. Une demi-heure après notre arrivée nous recevons l’ordre de la demi-brigade de nous tenir prêts à repartir immédiatement. Des éléments de cavalerie motorisée assurent la découverte vers Amiens, Corbie et Péronne.
Vers 10 heures nous sommes survolés par un groupe de 27 avions allemands qui vont lâcher leur chargement non loin de nous. A leur retour la 1ère compagnie nous annonce qu’elle en a abattu un à coups de mitrailleuse. Ils l’auraient vu sous leurs rafales descendre rapidement en lâchant de la fumée. Je vais en avertir le commandant qui dort dans une maison. Nous envoyons immédiatement deux patrouilles motocyclistes rechercher le point de chute, mais ils ne trouvent rien.
L’ordre de départ consécutif à l’ordre préparatoire déjà reçu ne vient pas.
Dans l’après-midi je fais faire par chaque compagnie des liaisons par officiers dans tous les villages autour de nous pour savoir par quels éléments ils sont occupés.
Je vais voir moi-même en liaison auprès du lieutenant-colonel Sudre, au nord de Montdidier. La région est calme ; pas d’incidents.
Dans la soirée, un convoi de camionnettes passe. Ce sont des évacués d’un régiment étranger. Un médecin à deux galons qui est sur le siège de l’une d’elles nous crie au passage de préparer nos masques. Les allemands auraient attaqué avec des gaz à Péronne dans l’après-midi et ils emmèneraient des gazés. Cette nouvelle jette un certain émoi parmi nos hommes et je vais faire un tour dans la 1ère compagnie pour leur expliquer que ce doit être faux.
A minuit passe encore une de ces camionnettes de soi-disant gazés. J’interroge le conducteur longuement, lui demande sa destination et fait examiner ses malades par le toubib. Ces gens souffrent de conjonctivite mais n’ont nullement été gazés. Le fait me sera confirmé le lendemain lorsque je ferai prendre des renseignements à l’ambulance de Boulogne – Le Gresse où ils ont été évacués. Le médecin de la veille est un de ces nombreux affectés dont on verra tant de tristes exemples par la suite et qui échappèrent sans doute au traitement qu’ils ont largement mérité. Ou bien est-ce un « de la cinquième colonne » en train de semer la panique ?
Le reste de la nuit se passe sans incident.

Samedi 25 mai

La matinée s’est passée sans incident à Rollot.
A 15 heures nous recevons l’ordre de faire mouvement le soir pour la région de Poix et Conty au sud-est d’Amiens.
But : Contre-attaquer sur la Somme ou progresser au Nord de cette rivière si celle-ci a pu être franchie par nos éléments de 1ère ligne. Notre départ de Rollot se fait à 21 heures, avec le début d’un orage épouvantable.
Au point initial de Courcelles nous sommes survolés à très basse altitude par trois bombardiers qui passent dans l’averse. Mais ils viennent de décharger leurs bombes et passent très dédaigneux de nos salves de mitrailleuses dont les belles traçantes font avec les éclairs un magnifique feu d’artifice.
Le démarrage est difficile en raison du temps. L’orage se prolonge jusque vers deux heures du matin en rendant la conduite extrêmement pénible. Resté le dernier pour m’assurer que tout le monde est bien parti, et devant l’impossibilité de doubler la colonne par cette nuit d’encre. Je fais un grand détour pour essayer de la gagner de vitesse et d’en reprendre la tête. Je redescends jusqu’à Laneuville-Roy, puis reprends par Le Plessier-St Just en Chaussée mais une partie de la colonne est déjà passée lorsque je rejoins son itinéraire à Thieux.
Au cours de la marche, je remarque des lueurs qui se déplacent, s’éteignent, se rallument. Intrigué je me demande de quoi il s’agit et constate que c’étaient mes chars qui malgré les ordres donnés se servaient par intermittence de leurs phares. Je fais des observations à ceux qui me tombent sous la main. Mais comment leur en vouloir ! Quand on pense au métier que font ces gens depuis cinq jours, marchant à étapes forcées de jour et de nuit alors que ce sont pour la plupart des débutants. Le résultat obtenu est prodigieux et cette étape en particulier tient du miracle si l’on veut bien faire entrer en ligne de compte la fatigue, la nuit noire, l’encombrement des routes par les réfugiés, des véhicules militaires dans les deux sens. Normalement tout cela devrait se terminer par des accidents très graves. Pratiquement il n’en est rien. Nos types, gonflés à bloc, commencent à être rodés et marchent merveilleusement.
L’itinéraire est jalonné par de gros incendies allumés par les bombardiers venus à la tombée de la nuit. En particulier un énorme brasier dévore le centre de St Just en Chaussée barrant la grande route d’Amiens à St Just.
Grâce à un arrêt marqué à Froissy, j’ai pu doubler la colonne de chars et en reprendre la tête. A 2 h du matin, le temps s’est éclairci, la lune s’est levée et on repart par une nuit relativement claire. J’ai pu par des motocyclistes regrouper à peu près le bataillon et je repars sur Crèvecœur, puis Marseille en Beauvaisis.
Les pilotes marchent à bonne allure et le jour nous prend pas loin de l’arrivée après avoir traversé Grandvilliers où des maisons flambent.
J’espère déjà que tout va bien marcher lorsque par suite de je ne sais quels ordres, dans le chemin étroit qui quitte la route de Poix et mène à Guizancourt et Bergicourt, nous croisons la colonne du 46e qui se dirige vers Equènnes. Il faut faire garer certains chars, faire attendre les autres, ce qui fait qu’il est grand jour lorsque nous pouvons enfin arriver à destination.
Un avion vient bien nous survoler et nous nous attendons à voir arriver le renfort peu après, mais il n’en est rien et nous nous installons sans incidents.
L’étape a été menée rondement, 82 km à la moyenne de 13 km-heure ce qui est extraordinaire dans les conditions que nous avons eues.
Il reste cependant quelques véhicules et chars en panne, ce qui est normal vu la difficulté de cette étape qui servi à confirmer les pilotes et à leur donner confiance en eux.
Le C.R. de fin de mouvement est le suivant.
47e BCC                                                                          P.C. 25 mai 6h25
Mouvement terminé à 6h15.
Véhicules en panne.
char DARDANELLES (410) 3e Cie panne d’alimentation à Tricot, en cours de dépannage.
char MANGIN (418) 1ère Cie Joint de cloche de Naeder à changer. Sortie Ouest de Warrignies, en cours de dépannage.
Les deux véhicules rejoindront dans la journée.
char CONDÉ (423) char du chef de bataillon Joint de cloche de Naeder à changer, 800 m Est de Crèvecoeur.
char JEMMAPES (446) 1ère Cie Joint de cloche de Naeder à changer, sortie S.-E. de Crèvecoeur.
Ces deux véhicules rejoindront dans le courant de la nuit.
deux tracteurs de ravitaillement entre Tricot et Anjouvillers, seront remis en état dans la journée par l’atelier, rejoindront dans le courant de la nuit avec les chars.
Conditions générales d’exécution du mouvement.
Le chef de bataillon

Pratiquement le JEMMAPES suivra le bataillon mais n’arrivera pas à le rejoindre et ne sera pas à l’attaque sur Abbeville.


De Rollot à l’attaque de la Somme puis vers le repos à Therines
 
25 mai - 1er juin
 
Dimanche 26 mai

Matinée passée à Bergicourt, temps pluvieux. Le temps est passé à s’installer, chaque section dans son secteur, à faire les pleins dès l’arrivée ainsi que d’habitude, à s’occuper des appareils de façon à être prêts à toute éventualité.
D’après les habitants demeurés dans le village l’activité aérienne a été violente les jours précédents ; de nombreux coins des environs ont été bombardés. Le site est très agréable, Bergicourt domine une vallée assez encaissée, verte et boisée très pittoresque. Un ruisseau y coule très rapide où certainement la pêche aurait du succès, mais nous avons bien autre chose à faire.
Pour arriver là, le bataillon a du fournir un gros effort. Débarqué le 20, tard dans la nuit, nous sommes ici le matin du 26 ayant réalisé, en quatre étapes 300 km, se répartissant en trois étapes de nuit :
Du 20 au 21 : 75 km
Du 23 au 24 : 53 km
Du 25 au 26 : 82 km
Et une étape de jour le 22 mai : 92 km.
Cela nous paraît déjà considérable ; que dirions nous si on nous annonçait maintenant qu’un mois plus tard nous serons près de Périgueux !

A 15 heures, le Lieutenant-Colonel Sudre nous convoque à son P.C. à Guizancourt, où se trouve la 1ère compagnie. C’est pour nous communiquer un ordre d’alerte.
Il s’agit d’appuyer une attaque menée à 19 heures pour nettoyer les éléments ennemis occupant les faubourgs sud d’Amiens. L’opération doit se faire sur l’axe de la route Poix – Amiens, limitée à droite par les marécages qui bordent la Celle vers Pont de Mez. Nous recevons les ordres de détail bien qu’il soit manifestement trop tard pour nous porter dan cette région dans le délai voulu. Nous ne devons nous mettre en route qu’après confirmation. Heureusement le contre-ordre arrive pour nous empêcher de faire route pour rien. Le commandement reconnaît que nous ne pouvons arriver à l’heure. C’est manifestement dommage car Amiens ne paraît pas suffisamment tenu par les Allemands. A telle enseigne que le 19e bataillon de chars D2 du commandant Ayme, fera cette attaque le lendemain, rentrera dans Amiens puisqu’un de ses chars est détruit par une torpille aérienne dans l’intérieur des faubourgs. Malheureusement ce succès ne sera pas exploité par la 7e division coloniale, sur la conduite ignominieuse de laquelle le commandant Ayme fera ensuite un rapport cinglant.
A dix neuf heures nous assistons au début d’un combat aérien entre un bombardier allemand et quatre Morane , mais leurs évolutions les éloignent de nous et nous ne verrons pas la conclusion de la bagarre.
Bergicourt représente pour nous un intermède reposant après la dure nuit de la veille. L’état-major du bataillon s’est installé dans une grande maison qui domine le village et la vallée. Les habitants en sont partis brusquement laissant tout dans le plus grand désordre et aussi très sale, ce qui fait que nous ne nous servons pas des lits, et préférons nous coucher sur nos lits de camp ou nos brancards dans le grand salon.
Cette maison abandonnée en hâte et qui contient des meubles riches du plus mauvais goût donne une impression d’abandon à laquelle nous commençons à nous faire mais qui n’en est pas moins pénible.
Nous y sommes quand même magnifiquement installés.

Bergicourt Toilette au bord de l’eau
 
Ce village a été précédemment occupé par des anglais, qui avec des boites de fer blanc ont installé le rudimentaire mais pratique lavabo que nous utilisons avec volupté au bord de la rivière.
De plus nous avons installé la popote au moulin, qui est la propriété du maire. Nous y faisons un excellent dîner en compagnie de 8 officiers du 4e bataillon de chasseurs, le bataillon porté de la 4e Division Cuirassée, dont le capitaine Pussis de Charonnes.
Nous y avons de splendides mottes de beurre, chance qui ne nous suivra tant que nous resterons dans cette région de la Somme.

Lundi 27 mai

La plus grande partie de la journée se passe à Bergicourt et le soir arrivant nous pensons bien y faire une seconde bonne nuit, quand au moment de nous mettre à table pour le dîner, l’ordre de mise en route arrive.
Dîner évidemment gâché par la nécessité de donner les ordres, de prévenir tout le monde, de préparer le départ.

Nous n’avons reçu qu’un ordre préparatoire au départ. La soirée se passe sans confirmation et nous commençons à espérer passer une nuit tranquille lorsque peu avant minuit nous recevons l’ordre d’exécution alors que nous avons tenté de prendre un petit acompte de sommeil. Nous rédigions immédiatement l’ordre du bataillon.

47e Bataillon de Chars
E.M.P.C 24 heures
                                      Ordre de Mouvement
La 6e demi brigade se porte dans la région de Fontaine le Sec (Est de Oisemont).
Itinéraire : Poix – Eplessier – Lamaronde – Tronchoy – Liomer – Fresneville (Ouest) – Ecoreau – Frettecuisse – Fontaine le Sec.
Point initial : Poix Sortie Ouest.
Passage : 46e Bataillon 1.15
47
e Bataillon 1.45

Seuls les éléments de combat feront mouvement.
Stationnement à l’arrivée :
46e Bataillon Fontaine le Sec – Bois au N.
47
e Bataillon Bois de Bienflos
.
En garde face au Nord et l’Ouest.

Il est donc minuit lorsque cet ordre peut être donné, et détaillé en ordres au bataillon. Poix est à 8 ou 9 kilomètres. Le temps de former les colonnes, nous ne serons manifestement pas à l’heure. Nous ne quittons en effet Bergicourt qu’à 1h40 alors que nous devrions déjà être à Poix.

 III L’attaque sur Abbeville

Mardi 28 mai

Mouvement sur Fontaine le Sec.
Nous nous sommes présentés au point initial vers 2h40 soit avec une heure de retard. J’y trouve le sous-lieutenant Perbot, officier de liaison de la 6e demi brigade, qui me dit que le 46e, qui devait passer une demi heure avant nous ne s’est pas encore présenté. Je vois aussi que nous n’avons pas été les seuls à ne pouvoir satisfaire l’horaire et que les ordres tardifs en sont encore une fois la cause. Finalement le 46e passe et nous nous mettons en route.
Route de nuit sans incidents spéciaux et nous arrivons un peu avant le jour à Frettecuisse, le village avant Fontaine le Sec, où le 47e déboîte pour gagner le bois de Bienflos. Je m’installe au carrefour de Frettecuisse pour régler le mouvement car les chars du 46e qui continuent tout droit sont assez mélangés avec les nôtres.
Les rares habitants du village restés là nous donnent tout ce qu’ils peuvent comme œufs et comme beurre. Ils ont vu passer la veille des automitrailleuses allemandes. Nous sommes dans le pays entre Somme et Bresle et avons bien l’impression que si les allemands ont atteint la Bresle c’est avec des éléments légers, mais que nous pouvons néanmoins nous trouver à tout moment nez à nez avec eux mais nous ne savons toujours pas ce qu’on attend de nous.
Je suis entre temps parti reconnaître le bois de Bienflos et ai constaté qu’il est très difficile d’accès ; on y accède que par un chemin de terre très bourbeux, et je crains d’autant plus d’y laisser du matériel que je constate d’après les traces que des chars anglais s’y sont embourbés. Je fais donc passer une partie des miens par le même itinéraire que le 46e sur la route de Fontaine le Sec d’où ils pourront gagner le bois de Bienflos par un chemin un peu meilleur, sans être cependant très bon.
Mais il y a beaucoup de retard dans les colonnes par suite de l’embouteillage des routes. Pour comble de malheur, à la sortie de Frettecuisse nous sommes tout à coup bloqué par un convoi de 200 camions qui reviennent de monter en ligne un régiment de coloniaux, le 22e. Cela n’arrange rien car il est impossible de se croiser.
Finalement il est au moins dix heures du matin quand tout est à peu près en place et que j’arrive moi-même à Fontaine-le-Sec que je trouve complètement encombré par les éléments du 46e et la demi-brigade.
Le P.C. du commandant est installé dans un champ à l’entrée du village.
Il a donné à neuf heures l’ordre ci-après :
Ordre de Stationnement
La position occupée est une position d’attente en vue d’opérations ultérieures.
Les unités doivent se tenir prêtes à partir au premier signal sans préavis.
Chacun doit être à son poste. Un service de guet sera organisé. Toutes mesures de défense immédiates seront prises.
Le char du commandant sera dirigé immédiatement sur le P.C. du bataillon dès les pleins faits.
P.C. de la demi-brigade : Fontaine-le-Sec.

Attente à Fontaine-le-Sec.
A 10 heures, le bataillon envoie à la demi brigade le C.R. suivant :
Compte-rendu d’installation.
1° Le bataillon est installé à Bienflos dans le bois de Bienflos.
P.C. : Fontaine-le-Sec
2° Situation du Matériel
1ère Cie : réduite à six chars
3
e Cie : au complet
3° Chars en panne
418 MANGIN : joint de cloche à changer, peut rejoindre en fin d’après-midi.
446 JEMMAPES : ventilateur cassé, radiateur percé, à évacuer.
426 VERCINGETORIX : Naeder à changer, essai de dépannage sur place. 

Le temps est activement employé à revoir le matériel, à faire les pleins, à faire manger les hommes.
A 13 heures le commandant et les capitaines sont convoqués à la demi-brigade.
Le lieutenant-colonel Sudre leur donne les ordres pour une attaque qui doit avoir lieu à 17 heures en direction d’Abbeville.
Le temps pressant, aucun ordre écrit n’est établi. De quelques notes prises au cours de la réunion on peut extraire les indications sommaires ci-après :
Ligne de départ de l’infanterie :
Warcheville, Bois de Couvrières (P.D. du 47e), Limeux, Bois de Bailleul.
Heure de franchissement : 17 heures
Axe de la 6e demi-brigade :
Warcheville, Huppy, Côte 104, Mont de Caubert.
Occupation de la P.D. : 10h45
Manœuvre : Attaque en 2 temps.
1er temps : atteindre au plus tôt la crête de la côte 104, s’y mettre en protection face au nord. Simultanément : neutralisation de Huppy : anti-chars signalés.
2e temps : débordant Villers, Mareuil par l’est, atteindre la route Mesnil-Trois-Fœtus – Mont de Caubert Caubert.
Renseignements :
Artillerie : Préparation sur Huppy – Crête – Moulin de Limeux de H-15 à H+1
De H+1 à H+60’ Encagement sur Bienfay et Villers/Mareuil.
P.C. 6e demi-brigade : Cimetière de Doudelainville.
Mission du 47e :
1er bond Jusqu’à la côte 104 (01)
A la côte 104, épouser la forme du terrain : une compagnie de chaque côté de la route N 28.
Arrêt prévu 60’.
Le 46e dans le même temps attaque sur Huppy puis les Croisettes.
2e bond Objectif 02 du 47e : le mont de Caubert.
Ravitaillement en essence : à pousser dans le bois de Villers.
Ralliement du 47e : dans le bois de Poultières.
Tels sont en gros les renseignements donnés verbalement et très rapidement par le lieutenant-colonel Sudre.
Il est plus de 13h30 lorsque la séance est levée. L’attaque doit avoir lieu à 17 heures. Or les chars sont à l’heure actuelle à plus de 12 km de la position de départ et tout le personnel depuis le commandant jusqu’au dernier chef de char ignore totalement le terrain sur lequel le bataillon va être engagé.
Le chef de bataillon et les commandants de compagnie partent immédiatement en auto en direction de la base de départ pour faire un tour d’horizon et tacher de reconnaître sommairement le terrain de l’attaque.
Pendant ce temps je fais venir les chefs de section à Fontaine-le-Sec, leur donne l’ordre de préparer leurs unités et leur indique ce que l’on attend d’eux. Puis je les renvoie auprès de leurs chars dans le bois de Bienflos où ils attendront le retour de leurs capitaines.
Les capitaines et le commandant ont juste le temps de faire en auto une reconnaissance très rapide et de revenir chercher leurs compagnies. A 16 heures, celles-ci traversent Fontaine-le-Sec, se rendant vers la base de départ. Je les regarde passer, saluant un par un tous les chefs de char qui passent devant moi assis sur leurs tourelles. Combien de fois je les ai ainsi salués au passage, mais cette fois une émotion profonde m’étreint, car c’est la marche vers l’attaque que nous attendions depuis si longtemps, et je me demande quels sont ceux parmi eux que je ne verrai jamais revenir. Il s’y joint aussi l’angoisse de la savoir insuffisamment entraînés, jetés dans la bagarre par nécessité avant que l’instruction de tous ait pu être suffisamment poussée. Je sais en particulier que la radio ne marchera pas et que une fois lâchés ils seront livrés chacun à lui-même, à son initiative avec des chars qui leur sont encore peu familiers et des sections et des compagnies qui n’ont jamais fait une manœuvre d’ensemble, donc pas assouplis et habitués à manœuvrer à l’imitation. Ce sont là de fâcheuses conditions mais qu’y faire !
Il ne reste qu’à souhaiter que le combat soit le moins meurtrier possible et espérer que le cran de chacun dont je suis assuré palliera dans une certaine mesure aux défauts de préparation.
Lorsque le dernier char est passé je prends avec Drapied le tête des échelons de dépannage et de ravitaillement que je vais emmener à Marquenneville où je vais installer le P.C. arrière de façon à pouvoir suivre le déroulement du combat, pousser mes tracteurs soit vers Huppy à gauche, soit vers le bois de Limeux et le bois du Mont Beauce à droite.
Avec ma colonne de tracteurs je traverse Oisemont puis me dirige sur Marquenneville, rencontrant sur mon chemin quelques chars anglais détruits.
En arrivant vers Marquenneville il est 16h55. Depuis dix minutes j’entends le tir de la préparation d’artillerie et à 17 heures les coups de canon de 75 des chars.
Ceux-ci sont arrivés sur leur base de départ, cinq minutes avant l’heure fixée pour le déclenchement de l’attaque. Les chefs de char n’ont même pas eu le temps de descendre de char pour voir un peu leur terrain. La majorité d’entre eux n’a même pas de cartes. Que vont-ils pouvoir faire dans les déplorables conditions où ils sont engagés ? Il est trop tard pour regretter quoi que ce soit. Il ne reste plus qu’à attendre le déroulement des évènements et espérer !
Le message et l’ordre du jour ci-après indiquent l’importance de la partie ainsi engagée pour tenter de marcher vers le Nord et de couper les blindés allemands de leur gros.

VIIe Armée Le 29 mai 1940 15h45
E.M. 3e Bureau
655 5/3
Message à diffuser d’urgence
A tous les échelons

(à ne pas emporter en ligne – A détruire avant le départ)
Secret
Du Général Weygand. Commandant en chef des théâtres d’opérations.
« Tendre avec toute la vigueur possible à la jonction du G.A. 3 et du G.A. 1 tout en assurant un barrage de sécurité sur la Somme dès que cette rivière aura été dépassée.
Prévoir l’effort que feront les éléments allemands aventurés à l’Ouest pour se dégager. Empêcher leur retour en arrière.
Les Panzerdivisionen aventurées derrière notre dispositif doivent y trouver leur fin. »

Du Général Georges Commandant le front Nord-Est
Insister sur le rôle à jouer par le Groupement Altmeyer. Par ailleurs il a été demandé à la division cuirassée britannique de pousser sur Abbeville et ultérieurement Saint-Pol.
 P.O. le Colonel Chef d’E.M.
Signé : Baurès

Le Général Weygand                                                                                                          P.C. le 23 mai 1940
Chef d’E.M. de la Défense Nationale
Cdt en chef de l’ensemble des
Théâtres d’Opérations
 Ordre Général n° 3

Appelé par la confiance du gouvernement au poste de chef d’Etat-Major de la Défense Nationale et de Commandant en chef de l’ensemble des théâtres d’opérations, je compte que chacun apportera une énergie farouche dans l’accomplissement de son devoir en toutes circonstances.
Aucune défaillance, d’où qu’elle vienne ne saurait et ne sera tolérée.
Résister est bien, rendre coup pour coup est mieux encore, mais seul obtient la victoire celui qui frappe plus fort qu’il n’a été frappé.
                                                                     Weygand


III. L’attaque du 28 mai


Aussitôt mon P.C. arrière installé à Marquenneville, je me rends avec des motocyclistes au P.C. de la demi brigade à Doudelainville afin de voir si le lieutenant-colonel Sudre a quelques renseignements sur le développement de l’attaque. Vers 17h30, il ne sait encore rien ; la liaison radio avec le 46e marche irrégulièrement et pas du tout avec le 47e. Je vais alors sur la route de Warcheville à la sortie de Doudelainville, seul point d’où l’on puisse espérer voir quelque chose. J’y trouve le bataillon de chasseurs qui n’a pas démarré encore en direction de Huppy.
J’aperçois quelques chars B qui évoluent à 7 ou 800 mètres en avant de nous, mais impossible de déterminer ce qui se passe exactement. On entend les chars tirer au canon et quelques rafales de mitrailleuses traversent la route à notre hauteur.
Le lieutenant-Colonel, puis le capitaine Mousquet, dans le char de la demi brigade font un tour vers Huppy pour voir ce qui se passe. Il se confirme que Huppy est très fortement tenu et que les chars du 46e sont engagés sur ce village. Quant aux chars du 47e, impossible d’avoir de leurs nouvelles et de savoir où ils sont et ce qu’ils font. Ne pouvant aller me rendre compte en passant par Huppy, je décide d’aller par la côte 104, en faisant un détour par la droite. Je prends ma voiture et file avec Drapied sur Frucourt. Un tir d’artillerie vient de s’abattre sur le village de Limeux lorsque j’y arrive pour prendre liaison avec les gens qui l’occupent. Je vois là un capitaine d’infanterie qui dans ce secteur avec une division renforcée d’un régiment de lanciers anglais attaque en même temps que nous. On ne nous l’avait jamais dit et lui-même ignore que la 4e Division Cuirassée est là. D’après lui, nos premiers éléments sont un peu au Nord du village sur la crête de l’ancien moulin de Limeux et des chars sont avec eux. Je laisse la voiture en bas de la côte et monte au moulin à pied suivi de Drapied et de mes motocyclistes également à pied. Tout le long de la montée, je croise des détachements, des blessés et des prisonniers qui redescendent. Vers le haut, dans le fossé de la route un allemand mort, le premier cadavre que nous voyons de cette guerre. Mes motocyclistes le contemplent au début avec un léger serrement de cœur, puis prennent immédiatement le dessus. Le premier contact avec les réalités de la guerre est pris pour eux ; maintenant ils sont endurcis et rien ne les étonnera plus. Et ces motocyclistes comme tous les autres feront preuve au cours de toutes les opérations des mêmes qualités d’allant, de mépris du danger et de dévouement absolu.
Nous voici enfin sur le haut de la crête de Limeux. Le jour commence à baisser et le spectacle qui s’offre à nous donne vraiment l’impression de la guerre. Des tirailleurs sénégalais sont couchés dans leurs trous individuels, des chars anglais détruits achèvent de se consumer, des blessés s’en vont ou sont transportés vers l’arrière, avec des prisonniers. C’est là des cadavres semblant dormir ; devant nous à quelques centaines de mètres des chars légers de chez nous tirent sans arrêt à la mitrailleuse, neutralisant les lisières des bois. Un ensemble de circonstances fait de cette soirée sur cette crête un vrai tableau de bataille tels qu’on les représente souvent en images. Cette impression d’ensemble ne se renouvellera plus au cours des jours et des semaines suivants où les combats prendront des formes brutales et localisées, ou la physionomie d’accrochages rapides avec des têtes de colonnes ennemies au cours de la retraite.
Mais je n’ai toujours pas trouvé mes chars. Un lieutenant me signale à quelques centaines de mètres le P.C. du lieutenant-colonel Simonin commandant la demi brigade. Je vais à lui et le trouve en effet avec sa voiture radio auprès d’une meule de paille. Il me dit avoir vu des chars B non loin sur la gauche. Je pars dans la direction indiquée et ne tarde pas en effet à tomber sur le lieutenant Robinet avec son char l’EYLAU qui se trouve là avec trois autres chars de sa compagnie. Sur les quatre chars, deux sont en état de démarrer, deux autres sont indisponibles par suite des obus anti-chars qui les ont frappés. Je réunis les chefs de char dans le fossé d’un silo à betteraves où se regroupent quelques coloniaux. Je leur donne l’ordre de retirer leurs chars un peu en retrait de la crête et d’y attendre le ravitaillement en essence que je leur enverrai dès mon retour à Marquenneville.
Que s’est-il passé ? Ils ne peuvent pas me donner grands renseignements. Ce qui est sûr, c’est qu’ils ont passé la base de départ avec leur compagnie, puis ont été pris à partie par de nombreux anti-chars auxquels ils ont riposté puis ont continué leur route mais en appuyant beaucoup trop à droite ce qui les a amenés entre Limeux et Caumont au lieu de la côte 104 où ils devaient se rendre. La nuit achevant de tomber, il est trop tard pour les renvoyer à 104 ; ils ont du reste besoin de ravitaillement. C’est la raison pour laquelle je les laisse provisoirement dans la région où ils sont.
Ceci fait, je reviens immédiatement rendre compte au lieutenant-colonel Sudre qui me dit qu’il faut absolument mettre la main sur le commandant Petit ; que l’attaque doit reprendre, qu’il faut immédiatement se maintenir à la côte 104 pour reprendre à 4 heures la 2e partie de l’attaque.
Je me dirige alors dans le terrain précédent le bois de Poultières où se trouve d’après les ordres le point de ralliement du bataillon. En pleine nuit je cherche puis finis par regrouper quelques chars dont le LODI du lieutenant Becquet, le JEAN-BART du lieutenant Foerst. Je les regroupe comme je peux sur la route entre Doudelainville et Poultières, les fait ravitailler puis vais avec le lieutenant Drapied jusqu’à Fontaine-le-Sec mettre en mouvement la compagnie d’échelon pour les dépannages et les ravitaillements.
Les dépannages et le ravitaillement font l’objet de l’ordre ci-après :
47e Bataillon P.C. Fontaine le Sec
E.M. Le 29 mai 0h45
Situation
L’ennemi tient toujours la côte 104. La progression n’a été que de 2 kilomètres environ. Huppy est à nous.
Plusieurs chars sont en panne sur le terrain.
Mission de la C.E.
Le 29 mai, dès le jour, pousser sur Marquenneville des équipes de dépannage dont les missions seront précisées sur place par l’adjoint technique.
Un officier se portera avec ces éléments et dirigera les opérations de dépannage.
Commander une autre demi unité de feu.
Renseignements
Les chars ont tiré les 2/3 de leurs munitions. Les camions à munitions des compagnies ainsi que la citerne ont été conduits à Marquenneville pour assurer le recomplétement des tracteurs.
Signé : Drapied

L’affaire en effet nous a coûté cher en matériel : sur les 18 chars engagés, quatre seulement repartiront le lendemain matin.
Le bataillon est tombé sur un terrain truffé de pièces anti-chars et très solidement tenu par des allemands pleins de cran, bien enterrés dans leurs trous et qui tiennent devant les chars jusqu’à la dernière minute. Les chars se dirigent sur eux, les tirant au 75 et au 47, presque jusqu’à bout portant. Mais il y en a des quantités et sans cesse de nouvelles pièces se dévoilent.
Le point d’appui de Huppy a tenu ainsi quatre heures et ce n’est qu’à 21 heures, à la nuit que complètement assommés, les allemands ont lâché.

  28 mai Pièce détruite probablement par le CROUY

Carrefour des croisettes – Devant le tas de pierres : les restes informe des servants
Huppy – L’Aspirant Aubry de Maraumont, pilote du JEANNE-D’ARC
et l’une des pièces anti-chars écrasées sous ses chenilles.
 

Mais cela nous a coûté beaucoup de matériel chars qui est resté sur le terrain.
Les trous percés dans nos blindages nous laissent à penser que c’est avec des canons de 47 anti-chars français pris en Belgique et retournés contre nous, que nous avons été reçus.
Certains de nos chars ont cependant fait du bon travail. Le JEANNE D’ARC en particulier, dont le rapport de combat est relaté plus loin, le CONDÉ, char du commandant, dont le pilote, l’adjudant-chef Barthélemy a fait merveille, conduisant volet ouvert et n’étant par miracle touché que par un petit éclat au bras.
Les pertes en officiers à la fin de la journée s’établissent comme suit :
Lieutenant Bauché tué.
Dans son équipage, le sergent Rouyer est blessé, le caporal Hacré blessé et le chasseur Baulmont tué. Son char, le CROUY, a été pris à partie au carrefour des Croisettes par une pièce de 105 tirant à vue directe. Le tourelleau a été arraché par un obus et le char incendié à sauté.
Officiers blessés : Le capitaine Dirand.
Le capitaine Ghislain, légèrement, non évacué
Le lieutenant Ortel
Le sous-lieutenant Huberdeau (tourelleau de l’ARCOLE arraché)
L’aspirant de Thoisy, légèrement, non évacué
Un certain nombre de pilotes ont également été blessés dont, sur le VALMY, le caporal Hannoteaux André, mon ancien aide-pilote du GARONNE au 37e qui a eu la cheville brisée par l’arrivée d’un obus sur la plaque avant. Il continue néanmoins à tirer avec son char immobilisé jusqu’à ce qu’on l’évacue, permettant à son chef de char le sous-lieutenant André de ramener deux prisonniers. Il m’écrira après l’armistice de l’hôpital de Morlaix : J’ai appris que j’avais été cité. Je me demande pourquoi, car en continuant à tirer, je n’ai fait qu’exécuter ce que l’on m’avait appris au peloton des élèves-gradés.
Le sergent-chef Beurtheret, pilote du JEAN-BART est également blessé aux yeux.
Les constatations faites sur les chars permettront de voir que les allemands connaissent parfaitement les détails du char et ont visé avec une précision déconcertante tous les points sensibles.
Le char JEAN-BART du lieutenant Foerst a un obus de 37 qui est resté planté dans une des fentes de visée du 75 ; l’ULM du sous-lieutenant Grosborne a le chemin de roulement percé de deux obus et des impacts sur chacune des fentes de visée du 75. Les armes de certains chars ont été elles-mêmes touchées ce qui vient encore confirmer que les allemands non seulement ont bien visé, mais aussi ont tenu jusqu’au bout et visé de tout près.
Parmi les combats livrés ce 28 mai par les chars, celui du JEANNE D’ARC est particulièrement évocateur du cran des équipages et mérite d’être rapporté intégralement ci-dessous :

Combat du JEANNE D’ARC
H = 17 heures. Le JEANNE D’ARC traverse avec la compagnie un chemin creux très difficile pour les chars, puis le bois de Poultières.
Des pièces anti-chars ennemies entrent en action : deux sont repérées et détruites au 75. Malheureusement un projectile pénètre dans l’âme du canon prêt à tirer, provoque son recul. La cartouche est coincée : impossible de se servir de l’arme.
Les deux postes de T.S.F. sont successivement mis hors d’usage.
Le JEANNE D’ARC prend alors la tête des chars de la compagnie, traverse Huppy (zone Est) tirant à la mitrailleuse sur les nombreux éléments d’infanterie ennemie qu’il y rencontre, continuant la progression il franchit la route nationale 28 au sur-ouest des Croisettes puis la route Croisettes - Moyenneville, se dirigeant vers la côte 104.
C’est alors qu’il est accueilli par un feu intense d’armes anti-chars de tous les calibres.
Les déplacements ne sont plus commandés désormais que par la nécessité de combattre.
Les appareils de vision sont pulvérisés. Le capitaine est blessé à la main droite (index coupé) et aux deux bras. Le lieutenant Ortel au bras gauche et à l’omoplate par deux obus qui traversent la tourelle (probablement du 47 français), celle-ci est bloquée par un projectile.
Dans l’impossibilité de se servir d’aucune arme, le char fonce sur les pièces anti-chars pour les écraser sous ses chenilles.
L’ennemi tire à bout portant, restant aux pièces jusqu’à ce que l’ennemi soit à quelques mètres. Le lieutenant Ortel est à nouveau atteint à l’œil gauche par des éclats de métal.
La porte du capot de conduite et celle de la tourelle s’ouvrent sous l’effet des projectiles ; le volet à fente variable du pilote est bloqué à 20 mm d’ouverture.
A toute seconde les projectiles ennemis frappent le char, dont l’intérieur est rayé d’éclairs par les fragments de projectiles qui pénètrent par toutes les ouvertures.
Une dizaine de pièces anti-char au moins, deux auto mitrailleuses postées à une lisière, sont abordées et détruites sous les chenilles.
Dans l’impossibilité de détruire toutes les pièces, le capitaine donne l’ordre de se replier en deçà des Croisettes sous le feu des pièces ennemies.
A hauteur des Croisettes, le char passe devant le CROUY détruit peu avant (vraisemblablement par une pièce de 105, la même qui va détruire le JEANNE D’ARC).
A ce moment il est pris à partie par une pièce anti-char de gros calibre. Un obus pénètre dans le réservoir de gauche et met le feu au char.
L’équipage l’évacue et se réfugie dans les taillis où il se dissimule jusqu’à la nuit, échappant aux patrouilles allemandes lancées à sa recherche. L’obscurité venue, l’équipage rejoint les lignes amies puis arrive à Huppy.
Les blessés sont soignés au poste de secours et évacués. Le reste de l’équipage rejoint la compagnie.
L’équipage été ainsi composé :
Chef de char : capitaine Dirand
Pilote : aspirant Guy Aubry de Maraumont
Aide-pilote : lieutenant Jean Ortel. N’ayant pas de char, il a demandé à embarquer comme aide-pilote.
Radios : caporal Paul Laversanne, chasseur Gaston Ricros.

IV. L’attaque du 29 mai

En rentrant au Fontaine-le-Sec, je vais à Poultières où sont regroupés les chars du bataillon. J’y trouve le commandant Petit ; son char, le CONDÉ est indemne et avec trois autres chars du 47 et six chars restants du 46 va reprendre l’attaque à 4 heures du matin.
Robinet que j’avais retrouvé la veille à Limeux a rejoint et il reste sur pied au 47e :
Le CONDÉ, commandant Petit
L’EYLAU, lieutenant Jean Robinet
Le TOURVILLE, sous-lieutenant Charles Jourdan
Le JEAN-BART, lieutenant Edouard Foerst qui a un obus dans les fentes du 75 et fait équipage avec le lieutenant Gazel comme pilote.
Le LODI, lieutenant Becquet
4 heures. Comme prévu, l’attaque reprend avec les chars du 46e et du 47e bataillon groupés sous les ordres du commandant Petit.
Huppy, occupé la veille est dépassé par les chars qui se portent vers la côte 104 et le mont de Caubert.
Je suis au plus près leur progression afin de me rendre compte de ce qui se passe et d’aviser à toute mesure qui serait nécessaire.
Je reste un bon moment dans Huppy où se trouve le lieutenant-colonel Sudre avec son P.C. et le colonel de Gaulle qui s’y maintiendra pendant une grande partie de la journée, malgré des bombardements d’artillerie et la proximité de notre ligne de chars qui à certains moments ne seront pas à plus de deux kilomètres en avant du P.C. la division.
Huppy porte les traces des violents combats de la veille. De toutes parts des pièces anti-chars allemandes et les cadavres des servants sont à terre et témoignent à la fois du dégât fait par nos chars et de l’opiniâtreté des allemands à défendre leurs positions jusqu’à la tombée de la nuit.
Pendant qu’accompagné de l’aspirant Aubry de Maraumont, je contemple les restes d’une pièce anti-chars détruite par lui la veille, à l’entrée Sud-Est de Huppy, exactement à la côte 109, une rafale d’artillerie allemande tombe autour de nous. Nous abandonnons l’endroit où j’ai cependant eu le temps de prendre une photo, et allons jusqu’à la sortie Nord de Huppy. De très nombreux prisonniers sont découverts dans les maisons du village, dont un très grand nombre dans le château. on les rassemble tous et ils sont conduits vers l’arrière par les chasseurs à pied du 4e. La plupart sont des autrichiens qui présentent un grand état d’abattement. D’après eux ils ont fait 500 km à pied jusqu’à leur arrivée en ligne. Je fais avec Drapied et nos motocyclistes une reconnaissance jusqu’à hauteur des Croisettes. Dans les prés entre les bois du château de Limercourt et les Croisettes, plusieurs vaches au pâturage sont blessées et les trous d’obus indiquent les traces d’un bombardement récent.
 

Marquenneville 29 mai
Le capitaine Ghislain légèrement blessé la veille
Et le lieutenant Becquet

 

Marquenneville Un coin du P.C. arrière
Le char RICHELIEU qui a eu son train de roulement abîmé la veille le 28 mai

29 mai P.C. du château d’Huchenneville

29 mai Les Croisettes

Le caporal-chef Panhard un des meilleurs agents de liaison motocycliste


N’ayant rien vu d’anormal je reviens dans Huppy où l’on s’efforce de remorquer le FRIEDLAND du lieutenant Paul qui est immobilisé depuis la veille par un obus reçu dans le barbotin.
Au P.C. du lieutenant-colonel Sudre, ce dernier me dit que les chars sont provisoirement arrêtés à la hauteur de la côte 104, que la reprise de l’attaque est fixée à 9h15 et qu’auparavant il faut les ravitailler car ils ont déjà brûlé pas mal de munitions et d’essence et qu’on ne sait combien de temps pourra durer la 2e phase de l’opération, c’est à dire l’assaut du Mont de Caubert.
Je retourne donc chercher les tracteurs que j’ai laissé un peu en arrière à Poultières et je les ramène à travers Huppy vers les Croisettes.
A 50 mètres avant Les Croisettes une mine a sauté au beau milieu de la route sous une voiture de chasseurs à pied et les deux cadavres des malheureux qui la montaient sont répartis tout autour horriblement déchiquetés.
Je fais contourner le tout par mes tracteurs et franchis sans encombre le carrefour des Croisettes. Au delà je les engage sur le plateau en trois colonnes de trois, assez espacées et les dirige parallèlement à la route vers les chars que j’aperçois à 2 km environ devant nous.
Mais ces différents mouvements ont demandé pas mal de temps et lorsque j’arrive à 300 mètres des chars environ je vois ces derniers se mettre en mouvement et reprendre l’attaque, car il est 9h15, mais sans avoir pu se ravitailler.
Le plateau dénudé sur lequel je me trouve avec mes chenillettes n’offrant aucune sécurité, je leur fait faire demi-tour pour regagner les Croisettes et les dissimuler dans les jardins et les taillis qui entourent le hameau.
A peine suis-je revenu à peu près à la hauteur des Croisettes et alors que quelques tracteurs sont déjà cachés seulement un violent tir de 105 s’abat sur nous. Personne heureusement n’est touché et une fois le tir arrêté, comme il faut absolument ravitailler les chars je forme un groupe de six tracteurs sous les ordres du sous-lieutenant Feydeau pour le 46e et du sergent-chef Feydeau pour le 47e et leur donne l’ordre de suivre à distance la progression des chars en longeant en colonne le côté droit de la grande route jusqu’à Villers-Mareuil. C’est ce détachement qui permettra aux chars de se ravitailler les uns après les autres au cours de l’action, puis de tenir jusqu’au soir ou plutôt pour ceux du 47 jusqu’à leur destruction.
L’attaque en effet s’est heurtée, pour monter les pentes du Mont de Caubert, à un réseau anti-chars extrêmement dense.
Les allemands se sont renforcés pendant la nuit sur cette position dominante. Au pied de ces pentes les chars du 47e sauf le CONDÉ trouvent leur fin. Ils briseront cependant avant de mourir une puissante contre-attaque allemande qui tente de dévaler les pentes du Mont de Caubert, en rangs serrés.
A 16h50 le commandant Petit a envoyé au lieutenant-colonel Sudre, au château de Huchenneville le C.R. ci-après :
Commandant Petit à Lieutenant-Colonel Sudre 16h30
2 chars détruits par anti-chars.
Tous les chars risquent d’être détruits au prochain débouché en raison de la multitude de pièces anti-chars tirant à vue directe et au petit nombre de chars restants.
Deux équipages hors de combat.
Je demande ordres et mesures spéciales pour attaquer. A mon avis attaque impossible sans tourner au désastre dans les conditions présentes.
Situation des chars à 16h30 :
SURCOUF reste avec une tourelle immobilisée.
EYLAU Hors de combat équipage compris
TOURVILLE idem
LODI coup de 105 dans le train de roulement.
Reste donc le char de commandement et un char avec tourelle immobilisée.
46e Bataillon : Cinq chars peuvent encore marcher.
Envoyer s.v.p. voiture médicale.
signé : Petit

Après être retourné à Marquenneville jeter un coup d’œil sur les échelons pour voir si les arrières travaillent aux réparations urgentes, me rendre compte de l’état d’avancement de celles-ci et donner des ordres pour les ravitaillements.
Je reviens au P.C. du lieutenant-colonel Sudre à Huchenneville au moment où le lieutenant-colonel Sudre veut reprendre contact avec le commandant Petit pour lui transmettre l’ordre formel d’attaquer coûte que coûte le mont de Caubert et de tenter d’y monter. « N’aurait-il plus qu’un char, dites lui que je veux qu’il y aille, et que je n’admets aucune observation ».
Telles sont les paroles que je suis chargé de transmettre au commandant Petit, en ajoutant qu’il tâche de gagner le Camp de César par le chemin qui monte de Bienfay.
Je ne me dissimule pas la vanité de cet ordre, étant donné l’effort fourni en vain depuis 24 heures sur ce point ; mais le lieutenant-colonel Sudre est des plus nerveux et il ne me reste plus qu’à tenter de trouver le commandant Petit dont on ne sait exactement où il est et à lui transmettre ce message pour ce qu’il vaut.
Personnellement je n’ai pas eu communication du C.R. du commandant Petit, et si je me doute que sa situation n’est pas brillante je ne sais cependant pas encore le détail des pertes.
Je reprends ma voiture et tente de gagner par le plus court le bois de Villers où je pense avoir le plus de chances de trouver le reste des chars. Mais à la côte 104, je suis arrêté par des artilleurs qui m’empêchent de passer. Une pièce anti-chars vient en effet de détruire deux de leurs pièces de 47 automoteurs juste au carrefour et le passage sur la route à cet endroit est impossible.
Je retourne en arrière et essaie l’itinéraire qui fait un grand détour en repassant par les Croisettes et Bienfay.
J’arrive jusqu’à Bienfay sans encombre et y trouve des chars H 39 et les chasseurs à pied du 4e. Le village, principalement la sortie vers le bois de Villers est soumis à un violent bombardement qui m’empêche de m’engager avec ma voiture. D’autre part, un sous-lieutenant qui revient vers nous en auto-mitrailleuse me dit que les infiltrations allemandes sont nombreuses sur les pentes du Mont de Caubert et que le chemin qui y conduit est pris sous les feux de l’infanterie. Pendant que nous parlons les obus tombent ; l’un d’eux nous éclate à 25 mètres devant le nez sur le chemin. Il faut pourtant que je passe et estimant que si j'y vais en voiture je serai obligé de marcher très vite et risquerait de passer près des chars sans les voir je décide de laisser ma voiture à Bienfay et de faire à pied la reconnaissance du bois. Au sud de la route qui nous mène à Villers Mareuil je trouve une compagnie du 4e B.C.R. mais nul n'a vu les chars par là.
Je continue ma route à pied le plus rapidement possible et à la sortie des bois j'aperçois trois chars B abandonnés ; il y a là le LODI affaissé sur un côté, les deux autres achèvent de brûler. Je vais vers eux et identifie le TOURVILLE. Je ne puis voir le nom du troisième. Je fais le tour des chars et constate qu'ils sont vides de leurs équipages. Le spectacle de ces trois débris offre quelque chose de très triste mais je n'ai guère le temps d'y réfléchir beaucoup car je commence à entendre siffler des balles. En regardant vers le Nord, je vois sur les pentes du Mont de Caubert les allemands debout, sans se gêner qui font des aménagements, installent des pièces. N'ayant rien à faire dans à faire dans le coin, je décide au lieu de retourner à Bienfay chercher ma voiture de regagner à pied Huchenneville pour rendre compte au plus tôt au Lieutenant-Colonel de ce que j'ai vu. Je me dirige donc en me dissimulant de mon mieux, car je me sens visé par les mitrailleuses qui tentent de faire un carton sur moi. Vers le village de Mareuil où je cesse enfin d'être en vue du Mont de Caubert. Je fais un tour dans le village, mais là aussi pas de trace du Colonel Petit et je me dirige sur le bois d'Huchenneville. En y arrivant, je n'y trouve plus personne. Le P.C. a déménagé et on a laissé personne pour me dire où ils sont. Comme j'ai entendu dire qu'ils devaient partir pour Bienfay, il ne me reste plus qu'à y retourner à pied. Sur le bled entre les bois et la route, j'ai droit à un mitraillage personnel par un petit avion qui m'a repéré par le fait que je me trouvais seul au milieu des champs. Il repasse une deuxième fois. Je vois quelques balles arriver autour de moi. Je fais le mort et l'avion s'étant éloigné, je peux repartir. Mais cette randonnée à pied m'a éreinté et c'est avec plaisir qu'en arrivant à la grande route je trouve la voiture tous-terrains de la demi-brigade avec le capitaine Broyet qui me dit qu'après être allé à Bienfay le lieutenant-colonel Sudre a décidé de revenir à Hucheneville. Il m'y ramène ; le lieutenant-colonel Sudre y arrive peu après ainsi que le commandant Petit qui a pu reprendre la liaison. On a renoncé à escalader le Mont de Caubert et les chars restant sont regroupés à Hucheneville.
Il reste à ce moment là :
au 47e: le CONDÉ, char de commandement, seul rescapé que je retrouve avec une joie sans mélange son équipage composé de l'adjudant-chef Barthélemy, de l'aspirant de Thoisy et du caporal-chef Aulois, le frère du capitaine Aulois du 49e bataillon.
Au 46e: cinq chars.
Je pense à ce moment-là prendre une moto et aller rechercher ma voiture à Bienfay. Mon chauffeur que j'y avait laissé plus de trois heures auparavant ne cache pas sa joie, car ma longue absence l'avait convaincu qu'il m'était arrivé quelque chose après l'avoir quitté.
Vers 19 heures, un violent tir d'artillerie s'abat sur le bois où nous nous trouvons. Le capitaine Bousquet, chef d'état-major du lieutenant-colonel Sudre est grièvement blessé à la jambe. On entend des mitrailleuses allemandes tirer non loin de nous. Notre situation dans ce fond est un véritable traquenard. Aussi le lieutenant-colonel décide-t-il de déplacer tout le monde pour la nuit et de gagner les bois du château de Caumondel.
Le mouvement se fait à 21h30, mais en raison du bruit, au moment précis où je viens de dire à Gravelui qui est dans ma voiture : « Les allemands sont tout de même de bonne composition », un violent tir s'abat sur nous. Nous sautons de voiture, nous plaquons le long du talus de la route. Pendant vingt minutes, ça claque à qui mieux mieux, nous sommes couverts de cailloux et de débris puis le tir s'arrête. Il n'y a aucun mal et nous remettons en route et gagnons non sans difficultés, en raison de l'obscurité totale, l'allée du château de Caumondel où nous nous rangeons comme nous pouvons et allons passer quelques heures à nous reposer dans les chars et les voitures.
Ainsi se termine la journée du 29. Triste journée en définitive puisque malgré les efforts déployés depuis la veille, le résultat escompté n'est pas atteint : malgré des succès certains et une progression profonde, le Mont de Caubert n'est pas à nous. Le passage de la Somme et Abbeville ne sont pas sous notre feu.
Comme la soirée de la veille, la journée d'aujourd'hui a permis aux équipages de faire preuve de leur cran, de leur allant et ce n'est certes pas de leur faute si on aboutit en définitive à un échec.
Seul de tous les chars du 47e reste le CONDÉ et encore a-t-il des difficultés mécaniques avec son coupleur.
La citation à l'ordre de l'Armée de son pilote, l'adjudant-chef Barthélemy donne une juste idée de son attitude au feu :
« Pilote de char de commandement du bataillon. A brillamment combattu les 28 et 29 mai, sans prendre une heure de repos.
Profondément engagé dans les lignes ennemies avec le bataillon a détruit au canon ou écrasé sous les chenilles de son appareil une dizaine d'armes anti-chars le 28 mai et une douzaine le 29 mai, ainsi que de nombreuses mitrailleuses.
A participé également le 29 mai aux tirs des chars qui ont permis d'arrêter deux puissantes contre-attaques d'infanterie ennemie. ».
Par ailleurs l'aspirant Aubry de Maraumont a obtenu pour le combat du JEANNE D'ARC, relaté plus haut, la citation suivante :
« Pilote du char de commandement de la compagnie, s'est profondément engagé dans les lignes ennemies au cours du combat du 28 mai.
Ayant son capitaine blessé à bord, la tourelle hors d'usage et le canon de 75 bloqué par un projectile, n'a pas hésité à foncer sur les armes anti-chars pour les écraser sous ses chenilles.
Ayant ensuite son char incendié par le tir ennemi, a sorti son capitaine et les autres membres de l'équipage blessés et a réussi à les ramener dans nos lignes ».
De tous les combats livrés par les équipages au cours de ces deux journées, un autre mérite comme le JEANNE D'ARC, d'être rapporté en détail, c'est le combat du TOURVILLE :
Equipage : Chef de char : sous-lieutenant Charles Jourdan
Pilote : sergent Henri Hochard
Aide-pilote : caporal-chef Niederberger
2e Aide-pilote : caporal Guy Mossler
Ce dernier, dépanneur a supplié le sous-lieutenant Jourdan de le prendre à bord de son char pour le combat.
Le 28 mai.
Vers 20 heures le TOURVILLE est en surveillance aux abords de l'objectif que la compagnie vient d'atteindre.
Le pilote aperçoit à proximité du char le servant d'une mitrailleuse ennemie qui sort de son trou et tire dans le dos un fantassin du 22e R.I.C. Il le signale à son chef de char qui abat l'adversaire avec sa mitrailleuse.
Sur l'ordre du lieutenant, le cal-chef Niederberger et le caporal Mossler sortent du char pour ramasser le blessé et le ramener. Au moment de remonter à bord ils aperçoivent trois allemands qui tirent sur eux. Ils ripostent à coups de pistolet. Mossler abat un adversaire, les autres disparaissent dans le trou laissant leur mitrailleuse en place. Niederberger bondit sur l'arme et s'en saisit, la retourne et bien qu'ignorant tout de son maniement, fusille les servants à bout portant. Rejoignant leur char les deux caporaux aperçoivent un autre allemand. Sommé de se rendre celui-ci refuse et est abattu d'un coup de pistolet.
L'équipage se retrouve enfin au complet à bord avec le blessé qu'il ramène vers l'infanterie amie et repart ensuite au combat.
Le 29 mai.
Le TOURVILLE a repris l'attaque le 29 mai à 4 heures.
Vers 16 heures il se trouve en surveillance aux lisières du bois de Villers, face au Mont de Caubert ; il tire sur une contre-attaque ennemie qui en dévale les pentes.
L'EYLAU est touché par un obus de 105 et brûle.
Entendant les appels du sergent Douchet pilote de ce char, le S-Lt Jourdan et le caporal-chef Niederberger se précipitent à son secours et le trouvent affreusement brûlé au visage et aux mains, et avec une jambe brisée.
Ils sont eux-mêmes blessés en essayant de ramener le sergent Douchet au TOURVILLE qui est à son tour atteint par un obus de 105 et prend feu.
Les deux membres indemnes de l'équipage dont le caporal Mossler, ramènent leurs camarades blessés vers le village de Mareuil-Caubert où ils trouvent du secours.
On peut signaler à la suite de ceci que le caporal-chef Niederberger en traitement à Augen et non guéri a quitté à pied cet hôpital sur le point d'être occupé par l'ennemi et a fui pour retrouver le 47e bataillon dans la région de Périgueux. Il est âgé de 22 ans et père de deux enfants restés à Nancy.

Jeudi 30 mai.

Arrivés vers minuit dans l'allée du château de Caumondel nous reposons quelques heures d'un sommeil agité et sans cesse interrompu lorsque vers deux heures du matin un vacarme effroyable de détonations nous fait sursauter. Notre premier réflexe est de nous jeter dans les fossés mais nous ne tardons pas à nous rendre compte que nous avons stationné à moins de 200 mètres d'une batterie de 75 et que c'est cette dernière qui s'est mise à tirer. Nous réintégrons nos voitures et recommençons à dormir tant bien que mal.
Avant le jour le lieutenant-colonel Sudre nous remet en route car il veut que pour le jour levé les chars et son P.C. aient rejoint le bois d'Huchenneville qu'il nous a seulement fait quitter pour éviter les surprises nocturnes et nous installer sur une hauteur.
Je n'ai pas revu le commandant Petit qui était parti en voiture en même temps que nous. Mais son char est là et reprend avec les autres le chemin d'Huchenneville. Mais en cours de route, le coupleur le lâche. Il a besoin d'une réparation et de plus Barthélémy et Aulois sont épuisés, complètement à bout de forces. Ils n'arrivent même plus à passer les vitesses qui sont très dures. Je les laisse donc sur place et décide de faire le plus tôt possible réparer le CONDE par la compagnie d'échelon et de lui envoyer un équipage neuf.
Les chars du 47e n'existant plus, le lieutenant-colonel Sudre me donne l'ordre de rechercher le commandant Petit avant même d'arriver à Limeux. Il a passé la nuit là. Je le réveille, lui communique les instructions du colonel, puis nous prenons ensemble la route de Marquenneville.
Là, l'ordre ci-après est établi par l'adjoint technique :
Marquenneville 30 mai 6h45
Situation
a) L'ennemi a contre-attaqué et sa première ligne passe par les lisières nord d'Huchenneville et la côte 104.
b) Les chars engagés ont été arrêtés par l'ennemi sauf le CONDÉ.
La 1ère ligne amie passe par la côte 104 – Huchenneville.
Mission de la C.E.
- Envoyer de toute urgence tous les éléments de dépannage et d'atelier disponibles à Marquenneville avec au moins deux officiers.
- A Marquenneville, remettre en état les chars qui ont été rassemblés.
- A Huppy, dépanner le FRIEDLAND.
- Dans la région de l'ancien Moulin de Limeux, dépanner le KEMMEL et récupérer les autres chars.
- L'officier adjoint technique est à Marquenneville.
Signé : Drapied

De plus l'ordre suivant pour le ravitaillement est donné.
Marquenneville 30 mai 8h30
1° Pousser à Marquenneville le camion citerne avec 5000 litres
1 camion d'ingrédients.
Véhicules rendus à 14 heures au plus tard.
2° Percevoir le plus vite possible
a) une demi unité de feu en obus de 47 explosifs.
b) une demi unité de feu en obus de 75 explosifs.
Signé : Drapied

Enfin l'ordre suivant est adressé au commandant de la compagnie d'échelon par le chef de bataillon.
Marquenneville 9h10
1°) Le Capitaine commandant la C.E. enverra d'urgence le sous-lieutenant Biget et son équipage à Caumont (P.C. arrière du bataillon) pour prendre en compte le char CONDE dont l'équipage est indisponible.
2°) A 9h15 aucune équipe de la C.E. n'est encore rendue aux chars. Je ne comprends pas. Les envoyer de toute urgence à Marquenneville.
Confirmation de l'ordre d'urgence :
Le CONDÉ (lisière nord du bois ouest de Caumont) est à remettre en état sans délai (coupleur).
Signé : Petit

Réponse du Cdt de la C.E. :
(au dos de l'ordre ci-dessus)
1°) Le message remis à 6h45 n'est parvenu qu'à 9h15.
2°) Le présent message n'est parvenu qu'à 10 heures.
La camionnette qui vous le retourne part à 10h30.
Vos agents de liaison viennent-ils directement ?
Transmis à Biget qui se met en route dès que prêt.

Nous déjeunons à Marquenneville avec les officiers des compagnies qui y sont actuellement rassemblées.
Puis sur autorisation de la demi-brigade qui nous dit de retirer le P.C. Plus en arrière, le P.C. Du bataillon est installé à Frucourt en suite de l'ordre ci-après.
47e Bataillon Le 30 mai 1940
E.M. 14 heures
Ordre de Mouvement

Le P.C. du bataillon s'installe en entier à Frucourt.
L'adjudant-chef Pade (resté à Fontaine-le-Sec avec le gros de la section de commandement) prendra toutes dispositions pour que la totalité du personnel et du matériel constituant le P.C. du bataillon soit rendu à Frucourt à 18 heures au plus tard.
Les échelons des compagnies de combat se porteront à Vaux – Marquenneville.
L'échelon de dépannage de la C.E. restera à Vaux-Marquenneville jusqu'à nouvel ordre.

Dans la soirée, le CONDÉ qui avait été remis en état a attaqué avec les chars du 46e.
Il est à son tour mis hors de combat, le tourelleau arraché par un obus et plusieurs autres obus lui ayant causé des avaries.
L'équipage, dont le sergent Jean Bigot qui a été blessé rejoint nos lignes.
Le CONDÉ détruit est à son tour abandonné entre les lignes. Tous les chars du 47e ont désormais payé leur tribut.
Quelques uns seront réparés et continueront.
Un seul, le KEMMEL, de l'aspirant Depigny, verra parmi nous le jour de l'armistice après avoir tant bien que mal effectué toute la retraite.

Vendredi 31 mai.
 
Le P.C. passe la nuit au cantonnement de Frucourt.
Pendant la nuit nous sommes tenus éveillés par un long bombardement qui semble tomber de nous.
Nous saurons en effet que c'est Huppy, où s'est installé le P.C. de la Division qui a été le plus visé.
Doudelainville où le P.C. de la demi-brigade s'est installé hier soir après avoir passé une journée bien marmitée à Huchenneville est aussi pris dans la fin de ce bombardement.
J'y vais dans la matinée prendre les ordres du lieutenant-colonel Sudre. Ceux-ci se réduisent à peu de choses :
Les chars du lieutenant Gazelle et du lieutenant Arnould remis en état sont prêtés au 4e B.C.P. qui forme un point d'appui à Bienfay. Ils y reçoivent plusieurs bombardements mais ne sont pas engagés et rentrent le soir au P.C. de la demi-brigade.
A 18 heures, nous terminons tranquillement la journée. Des batteries anglaises se sont installées un peu partout dans les environs ont attiré une grande activité de l'aviation allemande. Subitement Frucourt et les environs sont attaqués par une trentaine de bombardiers qui pendant une demi-heure, lancent des bombes, attaquent en piqué, avec de grands bruits de sirènes et font un carrousel infernal. Puis tout à coup, ils repartent par trois dans un ordre impressionnant. Résultat : beaucoup de bruit mais peu de mal, quelques blessés chez nos voisins artilleurs, mais chez nous rien.
Nous voyons ensuite passer un par un des bombardiers français qui vont attaquer les ponts d'Abbeville. L'horizon est garni avec une densité énorme des éclatements de la D.C.A. allemande qui nous font un contraste pénible avec ce dont nous disposons.
A 23 heures nous recevons l'ordre de départ et l'ordre de bataillon ci-après est aussitôt établi après quoi nous prenons quelques instants de sommeil avant le départ.
 
Frucourt 31 mai 1940
 
 
47e bataillon Le 31 mai 23h30
 
Ordre de mouvement
 
I. La Division se regroupe dans la région de Marseille en Beauvaisis.
II. Z
one probable de stationnement du 47e :
Therines, Montaubert, Eperlay, Le Ply, Lannoy.
P.C. : Thérines
P.C. demi-brigade : Roy-Boissy
III. Le mouvement commence en principe à 3h30 et s'effectuera par petites colonnes de 10 véhicules au maximum (prévoir un chef, 1 serre-file et si possible une protection anti-aérienne pour chaque rame).
Grandes distances entre les fractions (2km env.).
IV. Exécution des mouvements.
Eviter de serrer. En cas d'à coups, si un arrêt se produit, s'arrêter et se camoufler ; prévenir l'élément suivant pour qu'il s'arrête à temps.
V. Détachement précurseur et campement sous les ordres de l'aspirant de Thoisy avec l'adjudant-chef Patle, 1 sous-officier et 4 chasseurs par compagnie.
VI. Itinéraire : sera précisé par la 4e D.C.R. au cours de la nuit.
VII. La réparation des chars récupérés sera poursuivie activement. Les équipages et les équipes de dépannage resteront à Marquenneville jusqu'à la fin des opérations.
Le capitaine Gimé réglera les détails d'exécution et assurera la subsistance des éléments restés à Marquenneville.
VIII. Dépannage de la colonne : organisé par le commandant de la Cie d'échelon qui fournira également le serre-file général.
La sécurité du cantonnement a Marquenneville sera assurée jusqu'au départ du dernier élément du bataillon.
IX. J
alonnement.
Assuré par le Sous-Lt Gravelin jusqu'à Oisemont.
X.
Point initial pour le bataillon :
Oisemont
Des précisions sur la sortie de Oisemont seront données lorsque l'itinéraire sera connu.
L'ordre de marche sera fixé après réunion des commandants des compagnies.
Signé : Petit
Ainsi se termine la période de l'attaque de la Somme. Nous pensons encore à ce moment que si nous n'avons pas percé, nous tenons cependant bon encore et que nous reviendrons bientôt dans un secteur ou dans un autre. Personne de nous ne croit encore à la grande descente vers le Sud.
 
Frucourt 31 mai
Le toubib a toujours gardé le sourire
 
 
IV Quelques jours de repos.
 
Samedi 1er juin.
 
Le bataillon a quitté Frucourt à 3h30 pour sa nouvelle zone de stationnement.
L'itinéraire nous étant parvenu tard dans la nuit nous avons juste eu le temps de faire venir de Vaisse-Marquenneville et de Marquenneville les commandants des compagnies pour leur donner les derniers ordres.
Le commandant, le médecin reste à Frucourt où à 6 heures on dit un cours office et met en terre les corps du lieutenant Bauché et du chasseur Baulmont, tués aux Croisettes à bord du CROUY le 28.
Je pars à 3h30 avec le P.C. et j'ai toutes les peines du monde à sortir de Frucourt, la compagnie de transport est arrivée en effet dans la nuit pour charger les R 35 qui comme nous font mouvement vers le sud. Elle encombre les rues déjà étroites avec ses énormes camions.
J'arrive, en raison de cela au point initial après que les compagnies y soient passés. Je les rattrape un peu plus loin et prend la route de Marseille en Beauvaisis. Nous traversons Sénarpont où nous prenons la vallée de la Bresle dans sa partie supérieure. Nous traversons Aumale, qui porte déjà les traces de nombreux bombardements ainsi que nombre de maisons et de localités tout au long de la voie ferrée.
D'ailleurs l'activité aérienne est intense dans les environs. Nous entendons de nombreux bombardements tout autour de nous et scrutons le ciel avec beaucoup d'intérêt. Mais une certaine chance nous poursuit. Seule la rame de la compagnie d'échelon est attaquée. Une bombe tombée à proximité a tué une quinzaine de réfugiés, femmes et enfants. Une autre bombe, ou plutôt deux bombes tombent sur un de nos camions à essence qui brûle immédiatement, mais les conducteurs sont indemnes. Finalement le bataillon est arrivé pour midi dans ses cantonnements sans incidents graves et nous poussons un vrai soupir car ce jour-là comme le 22 mai nous étions plus qu'inquiets de cette cavalcade en plein jour.
Mais la chance que nous avons eue jusqu'ici à ce point de vue se maintiendra jusqu'au bout, même pendant les étapes les plus longues et les plus embouteillées de la retraite.
Notre P.C. avait été fixé à Thérines, mais en allant à la 3e compagnie, le commandant Petit découvre le château de Lannoy que celle-ci occupe. Il est remarquablement installé et le commandant décide d'y installer également le P.C.
Les camarades de la 3 font un peu grise mine car cela leur enlève la possibilité de coucher dans un lit, ce que tous cependant ont bien mérité.
La popote du bataillon fait salle commune avec celle de la 3e compagnie dans la grande salle à manger du château. Il fait un temps magnifique et si notre séjour doit se prolonger là, il s'annonce sous les plus heureux auspices.
 
Château de Lannoy
1 – 5 juin 1940
 
Château de Lannoy
La popote et le popotier

Château de Lannoy 4 juin

Le fanion du bataillon porté par l'Adjudant-chef Barthélémy
A sa gauche : le Sergent-chef Huchart, aumônier du bataillon
 
En attendant l'inspection du Général de Gaulle.
 
Dimanche 2 juin.
 
Le matin dans le parc du château, la messe est dite par le sergent-chef Huchart, notre aumônier, à l'intention du lieutenant Bauché et du chasseur Baulmont.
L'après-midi, il y a repos pour tout le personnel et chacun en profite pour se nettoyer et se reposer sous les arbres du parc. Quelques avions passent bien de temps à autre, mais, cachés dans notre verdure nous n'attirons l'attention de personne et nous pouvons goûter notre repos en toute quiétude.
 
Lundi 3 juin.
 
Le travail est entrepris pour la réparation et l'entretien des chars et de tout le matériel.
La situation des chars est la suivante :
Chars en état de combattre : 5
1ère compagnie
RIVOLI – VERCINGETORIX – PETIT-VERLY
3e compagnie
KEMMEL – DARDANNELLES
Chars déjà livrés au parc d'engins blindés :
MALMAISON : avaries mécaniques
JURANCON : resté sur la route le 24 mai
Chars restés à l'ennemi :
JEANNE D'ARC : brûlé
LODI : train de roulement défoncé
EYLAU : brûlé
TOURVILLE : brûlé
CROUY : brûlé
Chars détériorés à évacuer sur le parc :
A remorquer
CONDÉ
ARCOLE : tourelleau arraché
VALMY : avant défoncé
SURCOUF : obus dans le moteur
Sur chenilles
JEMMAPES : avaries de ventilateur, n'a pas combattu
MANGIN : avaries diverses par obus
JEAN-BART :
MARENGO
ULM
FRIEDLAND
RICHELIEU : arrivé par fer le 5 juin au P.E.B. 27.
 
Telle est la situation peu brillante du matériel le 2 juin.
Le lieutenant Drapied adjoint technique et le commandant de la compagnie d'échelon, avec les équipes d'atelier et de dépannage restés à Marquenneville se livrent chaque nuit à un travail considérable pour réparer les chars endommagés sur le terrain, changer des ensembles malgré les tirs d'artillerie, remorquer les chars sur des points où on pourra y travailler de jour. Les chars à évacuer par chemin de fer sont dirigés sur la gare de Vieux-Rouen.
Un travail considérable et obscur est aussi entrepris pendant la durée de notre repos. Il sera d'ailleurs rendu vain en grande partie par la prochaine avance allemande qui submergera le terrain de travail et forcera à abandonner du matériel sur lequel un gros effort avait été fait ; les compte-rendus de l'adjoint technique en font foi.
Dans la matinée le lieutenant-colonel Sudre vient passer l'inspection des cantonnements et reste déjeuner au château de Lannoy.
 
Mardi 4 juin
 
La journée n'est marquée que par l'inspection du général de Gaulle qui vient de recevoir ses étoiles.
On lui présente les équipages proposés pour la légion d'honneur, la médaille militaire ou des citations à l'ordre de l'Armée.
 

V. Autour de Beauvais

Mercredi 5 juin.
 
Jour de la grande attaque allemande. Celle-ci sur la basse Somme a rejeté nos troupes entre la Somme et la Bresle jusqu'à hauteur d'Hellericourt et dans la soirée la division est alertée pour se rendre dans la région au sud de Beauvais, afin de pouvoir continuer la reconstitution plus loin de l'ennemi qui s'est terriblement rapproché de nous.
Déjà la veille un ordre préparatoire non confirmé nous alertait pour nous rendre dans l'ouest de Beauvais.
Cette fois le départ a lieu.
Le départ du bataillon est prévu pour 23 heures et je pars moi-même à 20 heures avec le détachement précurseur.
La direction générale est la région d'Auneuil au sud de Beauvais. Je marche le plus vite possible afin de tacher de voir un peu comment le pays est fait avant qu'il ne fasse nuit noire. Je suis retardé par des encombrements sur les routes. J'ai cependant le temps d'arriver vers 23 heures à Auneuil, puis, ayant reconnu les différents villages attribués au bataillon et installé les campements au travail, de revenir à l'entrée d'Auneuil pour y attendre l'arrivée du bataillon.
 
Jeudi 6 juin
 
J'ai passé toute la nuit au carrefour de deux grand routes qui traversent Auneuil pour diriger les éléments du 46e et du 47e qui arrivent très échelonnés et sans cela ne sauraient où rejoindre ni quelle direction prendre étant donné l'embouteillage invraisemblable qui règne à cet endroit.
Il passe des troupes dans tous les sens. Tandis que nous allons vers l'Ouest, une division se croise avec nous qui monte vers Beauvais ; d'autres troupes descendent sur Gisors. C'est toute la nuit un enchevêtrement de véhicules sans nom qu'il faut guider un par un après lui avoir demandé à quelle unité il appartient et où il va, tout cela dans l'obscurité à peu près complète malgré un ciel très clair et plein d'étoiles.
J'entends par moments des bruits d'avions qui rodent au dessus de nous, mais rien ne tombe du ciel et c'est heureux car le résultat serait loin d'être beau.
En dépit de ces difficultés le bataillon est en place, en position d'attente de la manière suivante :
compagnie d'échelon : Neuville-sous-Auneuil
1ère compagnie : Tiersfontaine
3e compagnie et bataillon : Grumesnil
Les ordres reçus dès l'arrivée prescrivent de se tenir prêts à partir instantanément, de garder les issues et de se considérer en alerte permanente, les équipages aux chars. Les ordres correspondent sans doute au développement de la bataille et à la pénétration d'engins blindés en certains points de notre dispositif.
La journée se passe ainsi, avec quelques alertes au passage d'avions, mais sans incidents.
Le P.C. est installé dans une toute petite maison, sorte de rendez-vous de week-end, agréablement aménagée par des hôtes qui sont partis mais qui d'après les détails de l'installation sont suédois. Le temps y passe assez doucement et sans à-coups, coupé seulement par les alertes aériennes.
A dix-neuf heures nous recevons l'ordre de consacrer tous nos efforts à la reconstitution du matériel et de déployer les ateliers, la durée du séjour pouvant se prolonger plusieurs jours.
Le général de Gaulle, nommé sous-secrétaire d'état à la guerre quitte le commandement de la 4e Division Cuirassée qui sera exercé provisoirement par le colonel Chaudesolle commandant l'Artillerie de la Division.
 
Lt Dubois Cne Laude S-Lt Gravelin
 
GRUMESNIL 6 – 7 juin
Le P.C. du Bataillon
 
  Lt Dubois    Docteur Dezaunay    S-Lt Gravelin
 
 
Vendredi 7 juin
 
Dans le courant de la matinée nous entendons une violente canonnade qui semble provenir de la région de la Basse-Somme et nous nous demandons, en l'absence de toute nouvelle, quel est le déroulement des combats qui se livrent en ce moment et quelle part nous est réservée ?
Tout au long de la journée l'activité aérienne allemande est intense. Les avions passent par escadres nombreuses de 20 à 200 appareils. Mais les petites comme les grosses ne s'intéressent pas à nous et en dehors des objectifs lointains semblent s'attaquer à la voie ferrée et au tunnel du Mont-des-Fourches. Nous voyons de nombreuses bombes tomber sur la crête qui domine le Vauraix.
Néanmoins la journée se passe sans rien de nouveau.
Dans la soirée, nous recevons l'ordre de refaire entièrement notre organisation. Le 46 et le 47 fusionnent en un seul bataillon qui aura pour état-major celui du 47e.
Par ailleurs, nous devons faire faire à deux heures du matin, mouvement sur le parc d'engins de Villotran à tous nos chars indisponibles.
Les chars du 47e ne forment plus qu'une compagnie unique sous les ordres du capitaine Ghislain ; le capitaine Citroën qui a pris le commandement de la 1ère après la blessure de Dirand, n'a plus qu'une compagnie de cadres qui pourra éventuellement recevoir du matériel à la première occasion.
De plus, tout le personnel en surnombre, par suite de cette réorganisation doit être envoyé sur le centre de reconstruction de chars de Houdan. La soirée se passe à organiser ces différents mouvements. Heureusement les évènements empêchent celui sur Houdan de se faire. Le fameux centre de reconstruction n'a probablement jamais existé. Ceux qui y sont allés ne l'ont jamais trouvé ou bien y ont trouvé les allemands déjà installés.
Un ordre nous parvient en effet à vingt deux heures d'avoir à envisager un mouvement que la D.C.R. est susceptible de faire dans la nuit.
La nuit se passe pour nous à peu près entière à organiser les différentes parties du bataillon. Le mouvement des chars indisponibles du bataillon sur Villotran peut s'effectuer.
A Villotran ils ne trouvèrent d'ailleurs personne, feront comme ils pourront la retraite vers la Seine et nous ne les retrouverons pour quelques heures que dans la forêt de Rambouillet.
L'ordre préparatoire au départ n'est pas confirmé par un ordre d'exécution et la nuit entière se passe, sans sommeil il est vrai, dans notre petite maison d'Auneuil, où les objets et photographies de Suède nous permettent, ainsi que deux déshabillés laissés dans une armoire, d'évoquer à temps perdu, des silhouettes de grandes filles blondes !
Mais que tous cela est bien du domaine des rêves dans notre vie actuelle.
 
Samedi 8 juin
 
L’ordre de départ arrive à 10 heures du matin.
Les chefs de corps sont convoqués à Auneuil au P.C. de la demi-brigade pour recevoir les ordres. Je m’y rends avec le commandant et Gravelin.
Que s’était-il passé la veille ? le 7 les allemands avaient pénétré à l’est de la Bresle, sur le plateau d’Hornoy et poussé jusqu’à Forme.
La mission qui nous est impartie aujourd’hui est sans doute de nous porter au devant de ces forces et d’endiguer la suite de leur mouvement vers le Sud.
Notre mission est en effet pour la demi-brigade de nous diriger vers Milly-sur-Thérain à une quinzaine de kilomètres N.O. de Beauvais et d’y établir un point d’appui et une base de contre-attaque contre les engins blindés. C’est en somme la couverture de la route de Beauvais et ultérieurement de Paris.
Bien que nous commencions à envisager la gravité de la situation, qui de nous pourrait penser que dans 24 heures nous descendrons déjà à hauteur du point où nous sommes aujourd’hui et nous ne nous arrêterons plus jusqu’à la Seine où nous serons dans moins de quarante heures, ayant joint le Nord-Ouest de Beauvais à Poissy en 24 heures d’une pénible retraite.
Le bulletin de renseignement n° 8 du 7 juin était rédigé comme suit :
 
La pression ennemie s’est affirmée dans la journée d’hier, mettant en œuvre sur un large front des moyens de chars importants.
Sur le front de la 1ère Armée la situation n’a pas subi de modification essentielles ; l’ennemi a toutefois accentué sa pression. Fortes infiltrations de chars entre Poix et Aumale, vers le Sud les engins blindés ennemis seraient parvenus aux environs de Paix.
D’autre part des engins circulant par groupes (2 ou 3) à l’intérieur de nos lignes sont signalés jusqu’à la région de Grandvilliers vers Saint-Arnoult et Feuquières.
Au Sud d’Amiens l’ennemi s’est emparé de Oresmeaux, mais Hébécourt était ce matin encore entre nos mains.
En arrière de cette zone, la 24e D.I. tient fortement la ligne Conty – Ailly encadrée à droite et à gauche par les éléments des divisions voisines.
Signé : Chaudesolle.
 
La mission qui nous est impartie est incluse dans celle de la division Cuirassée : se porter en avant pour couvrir la mise en place du 25e Corps d’Armée.
A 13 heures le bataillon se met en route pour Milly par :
Le Vivier Banger, Savignies, Pierrefittes, Herchies.
C’est encore une fois le long ruban de la Division Cuirassée étalé tout au long de la route, les embouteillages sont nombreux, particulièrement dans Savignies et Pierrefitte où nous mélangeons avec les chars D2 du 19e Bataillon.
Les colonnes de réfugiés que nous croisons augmentent encore la difficulté du problème.
Le tout compliqué par le survol par une aviation allemande très active, mais qui heureusement ne fait que de al reconnaissance et ne bombarde pas.
Nous arrivons cependant à Milly sans incident grave à 16 heures.
Le chef de bataillon Ayme, commandant le 19e Bataillon prend le commandement d’un groupement formé par la 1ère compagnie de son bataillon (8 chars D2) et les 6 chars B1 bis du 46e et du 47e bataillon. Il a pour mission d’interdire tout débouché de chars ennemis venant du Nord et de l’Ouest (Villers-sur-Bonnières et Crillon).
Il fait cependant remarquer au Cdt de la demi-brigade que la situation des unités de chars placées ainsi en avant du Thérain qui constitue une coupure infranchissable (en dehors des passages existants) lui paraît dangereuse et demande de faire reporter les chars au Sud de cet obstacle et de faire détruire les passages.
A 17h30, le commandant Ayme reçoit l’ordre verbal d’envoyer une patrouille composée de six chars vers la lisière sud de Villers-Bonnières et à la tombée de la tombée de la nuit. Considérant que les chars D2 ne sont pas aptes à remplir une pareille mission sans accompagnement d’infanterie et de chars, le chef de bataillon demande que cet ordre soit annulé.
La mission est alors donnée à l’escadron du Châtelet du 3e Cuirassiers (chars Somua et H35).
A la même heure il reçoit l’ordre de faire replier sa 3e compagnie de Crillon sur Bonnières à 21h30.
Les chars B1 bis du 46/47 sont en surveillance en avant du terrain, moitié vers Bonnières, moitié vers le Nord.

Autour de Beauvais 1–9 juin
De Beauvais au Sud de la Seine
9 juin 5 heures – 10 juin 5 heures
Les sections de chars D2 qui sont à Saint-Omer en Chaussée, ne recevront que dans la nuit l’ordre de se retirer en avant de Milly. A cet endroit, un caporal du 19e bataillon est blessé par deux cyclistes allemands armés de mitraillettes, qui en s’enfuyant sont immédiatement abattus par les équipages.
La journée s ‘est ainsi passée à la mise en place du dispositif, sans incidents notoires. Les survols par les avions allemands sont extrêmement nombreux mais ils n’agissent pas sur nous et vont bombarder Beauvais d’où s’élève dans notre dos une immense colonne de fumée.
Toute la journée nous voyons refluer au milieu de nous des troupes en débandade, fantassins sans armes, sans équipement, débraillés, certains ivres. A ceux que l’on peut arrêter, on ne peut que faire dire que les allemands sont là, que leurs officiers leur ont donné l’ordre de «sauve qui peut» et qu’ils se dirigent vers l’arrière.
Spectacle démoralisant pour nos hommes qui sont toujours bien en mains, prêts à tout ce qu’on leur demandera et qui voient ainsi défiler sans arrêt cette horde ignoble, entremêlée dans les convois de réfugiés.
Vers 18 heures passent un certain nombre de motocyclistes de deux bataillons de chars qui se replient. Ils appartiennent aux compagnies d’échelon et leurs bataillons à peu près encerclés se battent dans Lihus et Grez, à l’Ouest de Crèvecoeur où ils sont à peu près encerclés. Ils nous disent que Masséna qui commande le 48e bataillon vient d’y être blessé.
Vers 20h30, le Général de la Font qui a pris aujourd’hui même le commandement de la 4e Division Cuirassée, à la suite du départ du Général de Gaulle, vient lui-même se rendre compte de notre situation à Milly. Il a une longue conférence avec le Lieutenant-Colonel Sudre et finalement, se rendant aux raisons exposées par le commandant Ayme, donne l’ordre de se reporter avant le jour en arrière du Thérain, mais décide qu’une opération aura lieu en direction du Nord-Ouest le 9 à 3h30 afin de permettre aux unités du 7e R.D.P. de se replier sur Milly.
Les ordres sont donnés en conséquence et nous attendons l’opération du matin dans les voitures.
Au cours de la nuit, les passages d’avions sont extrêmement nombreux, l’incendie de Beauvais fait rage et éclaire la région d’un feu sinistre. Vers deux heures, un tir d’artillerie s’abat derrière nous, sur Herchies où est le P.C. de la Division.
Toute la nuit continue la débandade des troupes ainsi que l’exode des réfugiés dans une obscurité totale.
A 3h30, l’opération prévue a lieu, faite par les D2 et les B.
Ils montent sur les crêtes Nord du Thérain puis se replient ainsi qu’il était prévu par les ponts de Milly et de Bonnières. Le pont de Milly saute aussitôt.
A 5 heures, l’opération terminée, je quitte Milly avec le dernier char, la voiture sanitaire et le médecin, pour gagner le point de regroupement du bataillon, qui est fixé à La Motte et dans les bois avoisinants, au Sud du Thérain.
 
VI La Seine
 
Dimanche 9 juin
Dès le moment du départ, les ordres ont été changés et au lieu de se regrouper en arrière du Thérain, c’est un ordre général de repli qui intervient pour la 4e Division Cuirassée.
Les éléments de combat sont à ce moment là assez éparpillés. Les chars se trouvant dans la région de la Motte et les tracteurs de ravitaillement avec un camion cuisine devant se trouver au Plouy-Louvet.
Comme suite à l’ordre que j’avais envoyé à minuit 15 au lieutenant Graufogel, commandant l’échelon, alors qu’il se trouvait à Campdeville, le village après Milly sur la route de Beauvais, en vue du mouvement du matin. L’ordre était ainsi conçu :
 
P.C. 0h15
Le lieutenant Graufogel fera mouvement à 3h15 avec ses chenillettes et la cuisine roulante.
Itinéraire : Campdeville – Herchies
Destination : Le Plouy-Louvet jusqu’à nouvel ordre.
Attention à ne pas embouteiller Herchies où passeront les chars.
 
Le point de regroupement de la demi-brigade est le Vauroux. Le mouvement de repli de la 4e Division Cuirassée sera couvert par le bataillon du commandant Ayme et deux escadrons (Somua et H 39) du 3e Cuirassiers sous les ordres du lieutenant Duchâtelet.
Il s’agit donc pour nous de transmettre ces nouveaux ordres aux différents éléments du bataillon. Le commandant s’occupe des chars et de mon côté je vais à la recherche de Graufogel. Je traverse Herchies, dans un invraisemblable embouteillage et alors que je commence à entendre tomber les obus allemands non loin de nous. Après une bonne demi-heure je réussis enfin à sortir de Herchies mais je suis loin du bout de mes peines car la montée de la route vers le Plouy-Louvet est extrêmement difficile et lente. C’est une file ininterrompue et mélangée de réfugiés, de chars de tous modèles, de pièces d’artillerie, de camions et de voitures. Le tout est agrémenté par l’arrivée des obus allemands. Le jour s’est maintenant levé entièrement, la brume aussi et sur les grandes pentes douces qui forment le paysage autour de nous, à droite et à gauche nous ne voyons que des colonnes semblables à la nôtre qui s’écoulent avec difficulté et à une lenteur désespérante.
Maintenant que notre mouvement de retraite est amorcé on sent que l’allemand pousse derrière et l’accompagnement de son artillerie nous en est une preuve désagréable.
J’arrive enfin au Plouy-Louvet où est installé le P.C. du colonel Sudre. J’y trouve également Graufogel, mais une partie des ses tracteurs est déjà partie ravitailler vers la Motte. Il faut absolument les récupérer ; j’emmène avec moi tout ce qui est là et Graufogel va chercher le reste. Qu’est-il devenu ?
Le soir il n’a pas rejoint et nous n’avons jamais eu de son nouvelles. Il est évidemment tombé sur l’allemand ; s’est-il battu avec la mitrailleuse de son side-car ? A-t-il été tué ou fait prisonnier ? Cinq mois après nous n’en savons rien encore.
Pendant que je reste au Plouy-Louvet où j’attends en principe les chars, les obus continuent à tomber un peu partout et nous assistons, impuissants, au repli ordonné des éléments de la division et à la fuite sinistre des réfugiés, où femmes et enfants n’ont même plus pour la plupart, la force de s’effrayer lorsqu’un obus tombe. C’est la fuite silencieuse, farouche et morne, dans un complet abattement
Enfin le colonel Petit arrive et me dit de ne pas attendre les chars qui sans passer par ici, iront directement sur Pierrefitte. Nous repartons donc en direction du Vauroux.
Pendant ce temps, le 19e bataillon et son détachement du 3e Cuirassiers qui couvrent la retraite de la division, ont eu à s’employer contre les allemands.
A 10h10, au moment où les derniers side-car du 7e Dragons portés atteignent le carrefour Sud-Est de Pierrefitte, le commandant Ayme et son adjoint le capitaine Foucaud essuient de nombreux coups de feu. Des éléments allemands qui ont suivi les derniers motocyclistes français s’efforcent au moyen de mitrailleuses et d’anti-chars d’interdire l’entrée de Mont-Saint-Adrien.
Un combat d’arrière garde s’engage avec deux compagnies de chars D2. Puis, à 10h10, les derniers éléments de la division entrent dans Mont-Saint-Adrien. A 10h50, le commandant Ayme donne l’ordre de repli.
L’escadron du Châtelet interdit tout débouché ennemi jusqu’au passage des derniers éléments et agira ainsi jusqu’au Vauroux.
Au cours du combat, le sous-lieutenant Péquignon du 19e est blessé au pied et sera amputé par la suite.
Pendant ce temps nous avons pu, tant bien que mal, continuer notre progression en direction de Vauroux.
A partir de Villers-Saint-Barthélémy, la route sur 4 km monte d’abord une côte assez longue puis traverse un vaste plateau entièrement dénudé. Sur cette route, en pleine vue, par un temps superbe, l’encombrement dépasse ce que nous avons vu de mieux jusqu’ici.
Il est 10h30 et je songe soudain avec une certaine anxiété que c’est sur cette croupe que nous avons vu depuis Auneuil, les escadres aériennes allemandes délester leur chargement vers onze heures. Cela promet pour tout à l’heure s’ils ne modifient pas leurs habitudes. Je regarde si je vois quelques trous pour s’abriter en cas de besoin, mais rien, tout est plat comme la main.
Pour comble de malheur, la colonne s’immobilise. Les chars s’arrêtent au bord de la route, derrière un convoi d’artillerie. Je vais donc à pied jusqu’au Vauroux. C’est la traversée de ce village qui embouteille tout. J’y trouve le colonel Sudre qui s’efforce de diriger chacun vers sa destination pour décongestionner la circulation. Enfin, petit à petit, les chars commencent à arriver et on les envoie à 2 km du Vauroux, sur la route du Coudray-Saint-Germer où ils doivent s’installer en garde face au Nord. D’après certains renseignements les allemands sont vers la Chapelle-aux-Pux, non loin de nous.
Je m’installe au carrefour de Vauroux, où se trouve également le P.C. de la demi-brigade et au fur et à mesure de leur arrivée, j’aiguille les éléments du bataillon sur leur destination.
Par miracle, l’aviation allemande qui, décidément, semble nous mépriser n’a pas fait son apparition quotidienne, et nous n’avons pas à déplorer un bilan qui eût été catastrophique.
Au cours de la marche sur le Vauroux, trois chars, le RIVOLI, le DARDANELLES, le PETIT VERLY, à bout de forces, ont du être abandonnés dans l’impossibilité où la situation nous met, de les réparer sur place. On les a fait sauter.
Vers midi, nous recevons l’ordre de quitter la 6e demi-brigade et de passer aux ordres du Lieutenant-colonel Simonin qui commande la 8e demi-brigade. Son P.C. est à la Tuilerie, 1 km au Nord de Villers-Saint-Barthelemy. Pour aller prendre liaison avec lui, le commandant Petit et moi refaisons donc en sens inverse le chemin si péniblement fait le matin et le fait de remonter le courant de circulation augmente encore les difficultés. C’est toujours le même flot de réfugiés, des matériels militaires de toutes sortes. Il s’y ajoute des blessés et il faut résister aux supplications des gens qui voudraient qu’on charge l’un des leurs, épuisé ou blessé. Qu’en ferais-je d’ailleurs si je le prenais ? Je serais bien en peine de trouver un médecin et un poste de secours en ce moment.
Enfin nous joignons le lieutenant-colonel Simonin. Les ordres sont simples et les voici tels qu’on nous les donne :
« Continuer sans délai le mouvement vers le Sud, par l’itinéraire que nous jugerons le meilleur. Passer par Chaumont-en-Vexin et nous installer en protection du villages de Marines à 14 km de Pontoise, face au nord et au Nord-Est. Le bataillon est réserve de division.
Cet ordre ne nous surprend guère que par la rapidité de la descente sur le Sud qu’il implique, et nous pensons à ce moment là pour la première fois que si cette cadence continue, dans huit jours il n’y aura plus de guerre. C’est la première fois que la confiance est sérieusement ébranlée et lorsque après être revenus au Vauroux, nous transmettons les ordres à tous, le silence est éloquent et indique nettement les réflexions que chacun est en train de se faire.
Les motocyclistes partent immédiatement rechercher les détachements. Nous aurions voulu regrouper le bataillon au Vauroux, pour repartir, mais le passage incessant d’éléments de toutes sortes ne nous laisse jamais la route assez libre et puisque chacun a les ordres, nous partons comme nous pouvons et savons que le rendez-vous général est à Marines où nous pourrons nous retrouver.
Je prends à ce moment là les devants pour me rendre à Marines et y reconnaître les emplacements que nous aurons à occuper au cours de la nuit.
L’itinéraire choisi par le bataillon passe par la Houssoye, puis emprunte la nationale 181 (Beauvais – Gisors) jusqu’à l’embranchement de Chaumont-en-Velin, puis Chaumont-en-Velin, Lierville et enfin la route de Pontoise (N 15) jusqu’à Chars et Marines.
En fin de mouvement, les P.C. prévus sont Marines pour la 4e D.C.R. et Chars pour la 8e demi-brigade.
Pendant ce temps la 6e demi-brigade se trouve plus à l’Ouest et couvre la route Gisors – Pontoise.
La première partie de notre itinéraire présente les mêmes caractéristiques d’encombrements et d’embouteillage que celle que nous avons faite toute la matinée, mais à partir de la Houssoye la circulation va en se décongestionnant progressivement. Les réfugiés vont droit vers le Sud et à partir de Lierville, la route est presque entièrement libre. Cela me permet de prendre une certaine avance et de reconnaître le village de Marines. Je trouve ce dernier presque libre et après m’être rendu compte de l’impossibilité de s’établir correctement au Nord de la ville sur la route de Neuilly où, juste sur les lisières, je décide d’arrêter le bataillon à 2 km au Nord, dans le bois de chars, situation qui permet de garder cette route en direction Nord-Ouest, avec des champs de tir suffisants. Je m’arrête à cet endroit et y attends l’arrivée du commandant et du reste du bataillon.
Ces derniers arrivent vers 17 heures et comme depuis le départ d’Auneuil nous avons perdu tout contact avec la compagnie d’échelon, après avoir fait approuver notre point de stationnement par le commandant, je décide d’accord avec lui de me mettre à la recherche de l’échelon, car le ravitaillement en essence et en vivres commencent à être nécessaires, malgré tout ce que nous avons emporté. Connaissant approximativement la zone par où a pu passer la C.E., je pars à sa recherche et la chance aidant, je tombe au tournant d’une rue sur le lieutenant Paulin, officier d’approvisionnement, dans le village d’Haravilliers. Il m’apprends qu’il reste seul là, avec quelques éléments et que la compagnie d’échelon est déjà partie pour le sud de la Seine, vers la vallée de Chevreuse. Peu importe, il a encore ce dont nous avons le plus besoin ; je lui indique notre position et vers 20 heures, ses camions nous apportent le ravitaillement à Marines.
Quant à moi, je suis revenu immédiatement au bataillon où je trouve tout l’état-major plongé dans le sommeil. Je réveille le commandant pour lui annoncer que j’ai trouvé le ravitaillement. Il m’écoute d’une oreille distraite et d’un œil à peu près fermé ; puis il me demande si j’ai fait et envoyé le C.R. d’installation. Les trouvant tous ainsi endormis et sans souci apparent, alors que je viens de m’offrir un nombre supplémentaire de kilomètres, sa question m’estomaque puis la colère me prend et l’explication est plus que vive.
Peu de temps après, l’ordre nous arrive d’avoir à nous préparer pour un départ très proche. On alerte toute le monde et l’ordre d’exécution arrive enfin.
La 4e Division doit passer si possible avant le jour le pont de Porsoy. Nous nous mettons en route à une heure du matin, piétinons un long moment derrière le bataillon 2/24 qui stationnait à Marines même et nous mettons en route vers la Seine.
 
Lundi 10 juin
 
La marche a été assez lente et lorsque le jour commence à apparaître nous sommes encore à hauteur de Courdimanche, donc à une douzaine de kilomètre de Poissy. La route est évidemment encore encombrée mais ce n’est rien à côté de la journée d’hier et avec le jour nous pouvons rattraper un peu de temps perdu.
Nous arrivons bientôt à Carrières-sous-Poissy et abordons dans le village la grande descente sur la Seine.
Celle-ci porte les traces des gros passages qu’elle vient de voir. A chaque tournant ce sont des autos qui ont quitté la route et sont entrées dans les murs ; cela est du évidemment d’une part à la difficulté de cette route par nuit noire, puis au fait de conducteurs fatigués qui finissent par dormir au volant ou avoir les réflexes diminués.
Après la descente, on aborde la ligne droite qui aboutit au pont. Là c’est de nouveau l’embouteillage.
Beaucoup de réfugiés, ceux surtout des villages proches, dont beaucoup sont en train de finir de déménager, ont été arrêtés au pont pour laisser passer les troupes et s’accumulent là. J’arrive enfin à l’entée du pont ; je scrute l’horizon pour voir si le ciel n’est pas trop peuplé, mais il y a encore une légère brume et il faut reconnaître que l’aviation allemande n’en veut décidément pas trop à la 4e Division Cuirassée.
Aucune de nos cavalcades n’a encore eu le sort qu’elle méritait.
A l’entrée du pont, ma surprise est grande de voir un char B dirigé vers nous et camouflé au bord de la route. Je descends de voiture et reconnais le POITOU, un ancien char B1 de Verdun, celui du capitaine David.
Je me demande bien ce qu’il fait là lorsque je vois son chef de char, le sous-lieutenant Gambard de Lignères, qui me dit qu’il fait partie d’une compagnie reformée avec des éléments du 37e et qui venant de Rethel, a été envoyée là pour protéger le passage de notre division. Cette compagnie est commandée par le lieutenant Gaudet. J’aimerai le voir, mais il n’est pas là pour l’instant et je suis obligé de continuer ma route.
Le passage du pont se fait correctement mais m’enlève une illusion de plus. Je pensais encore à ce moment là que nous allions voir la défense de la Seine organisée et que nous allions simplement nous reconstituer au sud du fleuve, mais la Seine est gardée par une guérite et une sentinelle du dépôt du 11e Cuirassiers qui monte pieusement la garde baïonnette au canon, tout comme au champ de mars en temps de paix. Je demande au chef de poste où sont les troupes qui gardent le pont. Il me répond : c’est nous ! Alors inutile d’insister, on a compris !
Il est cinq heures du matin ; il y a juste vingt quatre heures que je quittais Milly au Nord-Ouest de Beauvais. Que de chemin parcouru, moralement plus encore qu’autrement !
A la sortie de Poissy, le commandant a aiguillé la tête de la colonne sur une fausse direction.
Je cours après lui, le rattrape sur la route de quarante sous.
Nouvelle explication un peu vive puis je le quitte et retourne au pont pour vérifier quels sont les éléments du bataillon qui ont passé, vois si tout le monde est là, et donne à tous les retardataires la direction et la destination.
Je reste près de deux heures à Poissy. Le spectacle est assez curieux : les gens n’ont pas l’air d’avoir encore bien réalisé ce qui se passe. C’est l’heure où beaucoup vont prendre le train à la gare proche du pont pour se rendre à leur travail. Ils nous voient passer avec curiosité, nous demandant ce que nous faisons là et si les boches sont loin. J’ai l’impression que la grande panique ne commencera que dans la soirée, telle que je la verrai le lendemain en allant à Paris, où mon impression sera toute différente.
Quand tout le monde a passé, je pars avec l’aspirant de Thoisy pour rejoindre le bataillon. Nous faisons un crochet par Villennes pour faire des achats pour la popote. Les gens m’y donnent encore plus l’impression de quiétude et de tranquillité ; jusqu’à la réclame de la plage de Villennes qui par cette belle matinée semble attendre que les baigneurs se réveillent. Hélas ils s’agit de bien autre chose, mais là comme ailleurs, pas une troupe, pas une défense. On se demande vraiment où est l’armée française !
En regagnant le bataillon, de passage à Orgeval, et dans les bois voyant des chars, je reconnais plusieurs de mes anciens gradés ou chasseurs de la 1ère compagnie du 37e. Je m’arrête éprouvant un immense plaisir à voir ces gars sympathiques et à avoir par eux des nouvelles de mon ancienne compagnie. Hélas, dans leur imprécision elles ne sont pas gaies. Sur quantité de disparus, combien en reverra-t-on après la guerre ?
Enfin je rentre au bataillon. Il se trouve dans les bois entre Beynes et Sault-Marchais, non loin de Grignon et de Ville preux, coins où nous venions faire la petite guerre quand nous étions à Saint-Cyr. Nous ne pensions certes pas à cette époque là, venir y faire la vraie guerre.
Le P.C. a été établi dans une maison que les braves gens ont mis à notre disposition. Nous y faisons une grande toilette qui nous repose un peu du rude effort qui vient d’être fourni.
Comme ils vont à Paris le soir – ils ne savent du reste trop comment, les trains ne marchant plus – je les charge de téléphoner à Linarès et à ??? de Sieyes pour leur dire que je vais bien et ne suis pas loin de Paris. Mais pour une raison ou pour une autre, les messages ne sont jamais arrivés.
L’après midi se basse à Beynes où nous récupérons un peu de sommeil et aussi mangeons de bon appétit, confortablement installés dans une popote, devant une table correcte et des verres. Depuis Aunneuil, cela ne nous était pas encore arrivé et nous étions au régime de la conserve sur le pouce.
Pour un peu, n’étaient les réalités, on reprendrait confiance et on trouverait la vie belle.
Ce même jour, l’Italie entre bravement en guerre
 
Mardi 11 juin
 
Le matin j’ai pris ma voiture et j’ai fait un saut jusqu’à Paris.
J’ai sonné chez Linarès que je n’ai pas trouvé, mais m’étant fait amener les clés par la concierge je me suis offert le luxe d’un bain qui m’a fait plaisir, comme rarement un bain n’en a procuré Puis je fais quelques courses pour les camarades et pour moi. J’achète des lits de camp et du matériel de camping au Printemps et chez Turner.
Mais ce voyage à Paris m’a laissé une impression désastreuse. J’ai essayé de joindre au téléphone les gens que je connais. Aucune réponse ; tout le monde est en fuite.
La route pour aller à Paris offre un spectacle inimaginable. Ce sont deux et trois files de voitures côte à côte qui m’empêchent d’avancer et avant Versailles, j’ai vu le moment où je serai peut-être obligé de renoncer.
Pire encore : une grosse proportion de voitures sont conduites par des officiers ou des militaires emmenant leur famille. Cela donne envie de les faire descendre et de les étendre sur le bord de la route.
Le bois, plein de campeurs, et Paris où les gens fuient, emmenant leurs bagages par tous les moyens, jusqu’à la brouette, est baigné dans un brouillard noir et sale d’un aspect sinistre, comme je n’en ai jamais vu. Je n’ai jamais pu définir s’il provenait de l’incendie des dépôts d’essence dans toute la région, ou de fumées répandues pour dissimuler la région parisienne.
Les deux versions ont eu cours mais j’ignore encore quelle est la bonne.
Je rentre à Beynes pour le déjeuner et déclare, de bonne foi, aux camarades que je ne regrette pas de n’en avoir amené aucun, que le spectacle qu’ils auraient eu sous les yeux n’était pas de nature à leur remonter le moral.
Au Printemps on avait l’impression que l’on aurait pu amener le magasin sans que personne s’en aperçoive.
Au rayon des sports, deux ou trois employés sont fort occupés à vendre des bicyclettes à tous les gens qui font la queue dans l’espoir de partir ainsi plus vite. Chez Turner on s’est pressé de me vendre ce que je voulais, au prix fort malgré tout, et de vite fermer les portes dès après mon départ. La cour de la gare Saint-Lazare offrait un spectacle inimaginable de gens ayant couché là, sur les terre-pleins et les trottoirs dans l’attente de trains problématiques. Des gens, rue Saint-Lazare, arrêtent ma voiture pour que je les amène à Montparnasse et ainsi de suite…
A Beynes, après le déjeuner, je m’offre une bonne sieste, interrompue par la visite de mon camarade Arkweighl ??, chef d’Etat-Major d’un G.B.C. et qui est à la recherche d’un porte-chars pour évacuer son matériel.
Quand je sors dans la rue je louche vers la voie-ferrée, qui passe tout près et où sont arrêtés un grand nombre de trains. Mais non, toujours rien de ce côté-là et seul dans la soirée, vient un avion allemand qui tourne lentement et dédaigneusement autour de nous, puis s’éloigne vers l’Ouest.
 
VII AUTOUR DE CHARTRES
 
Mercredi 12 juin
 
A la suite des opérations des trois derniers jours, le général commandant la 4e D.C.R. adresse à la division l’ordre du jour suivant :
 
Ordre du général n° 404
 
Le général commandant le 25e C.A. a bien voulu témoigner sa satisfaction pour la façon dont la 4e D.C.R. a couvert son flanc gauche dans les journées des 8, 9, et 10 juin.
Le général commandant la division cuirassée est heureux de transmettre à toutes les unités les félicitations du général Libaud et profite de cette occasion pour exprimer sa fierté d’avoir été appelé à commander les troupes qui composent la division.
L’effort qui nous a été demandé et qui nous sera encore demandé est considérable. Mais dans la dure bataille qui est engagée, il s’agit du salut du pays et nous ne devons pas ménager notre peine.
Sus aux boches
Le général de la Font
Commandant la 4e Division Cuirassée
 
Le bruit commence à courir que nous allons repartir vers le Sud en passant par la forêt de Rambouillet. Comme nous venons d’apprendre que le détachement de chars évacués qui avait fait mouvement dans la nuit du 7 au 8, d’Auneuil pour Villotran, a passé la Seine se dirigeant vers Houdan en se débrouillant par ses propres moyens. J’envoie un motocycliste prévenir le lieutenant Foerst chef de détachement, qu’il trouvera un ravitaillement et des ordres dans la forêt de Rambouillet à partir de huit heures du matin, au carrefour du poteau des trois seigneurs.
L’opération se fera comme prévu, mais à partir de ce moment notre détachement va prendre une direction tout à fait opposée à celle du lieutenant Foerst et nous ne le retrouverons plus jusqu’à la fin de la campagne.
La compagnie d’échelon qui nous a, elle aussi, rejoint et stationne à Sault-Marchais, nous quittera à son tour aujourd’hui avec la base arrière de la division et sera pratiquement perdue pour nous. Aucun dépannage sérieux ne sera plus possible, aucun travail d’atelier non plus, et les ravitaillement mêmes seront plus que précaires. On pourra, malheureusement, pallier à leur défaut, en vivant sur le pays.
 

De la Seine à la Creuse. 12 – 22 juin
 
Par ailleurs, la compagnie du lieutenant Gaudet formée avec les débris du 37e BCC et armée d'un mélange hétéroclite de chars B1 et B1 bis racolés un peu de tous côtés nous est affectée et reste désormais à la disposition de la 4e D.C.R. C'est une vraie joie pour moi de retrouver ainsi sous mes ordres nombre de camarades, de sous-officiers et d'hommes de troupe qui me rappellent un bataillon qui reste parmi mes meilleurs souvenirs.
D'autre part, j'avais envoyé, dans la journée d'hier, un adjudant de la compagnie d'échelon, voir s'il ne pourrait profiter de la proximité de Satory pour y trouver des pièces de rechange. Il en est revenu en ayant trouvé pas mal de choses, mais il a ajouté qu'il y a en ce moment à la chaîne de montage du Chenil de Satory, onze chars B1 bis tout neufs, prêts à sortir. On lui a dit là-bas que tout le monde évacuait le soir même et que les chars étaient à qui voulait les prendre. Ce n'est là qu'un épisode de plus de la lâcheté générale de ceux qui ayant des responsabilités, n'hésitent pas à les fuir en même temps que le danger et dont nous avons eu les premiers exemples dès le 20 mai à Soissons, où nous avons pu grâce au lieutenant Mayet, commandant l'échelon de la compagnie Dirant, récupérer 25 000 litres d'essence dans un dépôt qui en contenait plusieurs centaines de mille litres et dont les occupants sont partis plusieurs jours avant l'arrivée des premiers allemands. De même à Beauvais où nous avons trouvé les hôpitaux précipitamment évacués, leur médecin-chef ayant pris les devants pour reconnaître un nouvel emplacement et où ne restent, ce qui est triste pour les français, que les infirmières et conductrices des sections sanitaires automobiles anglaises.
Quoiqu'il en soit, je rends compte du fait au lieutenant-colonel Sudre qui décide que le lieutenant Bibes du 47e BCC avec sa compagnie ira prendre des chars en compte et les ramènera à la demi-brigade.
Mais les chars n'ont pas d'optique et il faut en même temps envoyer le lieutenant Raynaud, adjoint technique du 46e BCC à Gien et Bourges pour trouver les lunettes, épiscopes, périscopes, etc.…
Lorsque nous quittons Beynes, Bibes reste encore à Satory pour y prendre son matériel.
Le 47e bataillon est depuis la Seine repassé aux ordres de la 6e demi-brigade commandée par le lieutenant-colonel Sudre.
Telles sont les conditions générales dans lesquelles nous nous mouvons le 12 juin au matin lorsque l'ordre de départ nous arrive : Le bataillon 46-47 comprend désormais un état-major formé par celui du 47e BCC et 3 compagnies :
La compagnie Ghislain : 3 chars du 47e
La compagnie Gaudet : 4 chars du 46e
La compagnie Bibes : pas encore arrivée.
Le lieutenant Gaudet se trouvait à Saint-Germain-la-Grange où je l'avais ravitaillé dès la veille.
Le bataillon 46-47 fait mouvement à partir de midi par l'itinéraire suivant :
Beyne – le Pontel – N 12 – Château de Pontchartrain – GC 25 – le Cheval Mort (point initial de la D.C.R.) – les Mesnuls – les Bréviaires – la Croix Pater – la Boissière – l'Epinette – la Hauteville.
Le départ s'effectue normalement mais la marche est très ralentie, particulièrement à l'entrée de la forêt, par le flot des réfugiés, ainsi que par une très grosse colonne auto qui coupe notre itinéraire. Il s'y ajoute une pluie d'une très grande violence et le fait que les chars des cavaliers, ignorant la cause de notre arrêt nous doublent et finalement sont arrêtés côte à côte avec nous.
Sur le terrain détrempé par la pluie, quelques chars restent dans les bas côtés et il faut s'employer à des dépannages que le temps contribue à rendre pénible.
Un avion allemand, malgré le gros temps, vient mitrailler le bois au dessus de nous mais sans aucun dommage et il n'insiste pas.
Enfin, après bien des avatars, nous arrivons à la Hauteville.
Tout ce qui n'est pas élément de combat est dirigé sur Forges-les-Bains et incorporé à la base arrière de la 4e D.C.R. Nous avons fini de voir nos échelons pour jusqu'après l'armistice.
Dans l'après-midi on nous a communiqué les renseignements suivants venant de la 4e D.C.R. :
1° La 8e division d'infanterie coloniale tient la lignes Chaignes – Bonnières – Mantes.
2° La 84e division d'infanterie tient à partir de Mantes vers l'est.
3° La 1ère division légère motorisée est à l'est d'Evreux.
4° La 2e division légère motorisée est à Breuilhon, 6 km S.E. de Pacy-sur-Eure.
Les renseignements sont complétés plus tard par le bulletin suivant :

Bulletin de renseignements n° 12.
Situation générale :
Dans la journée du 11 juin l'ennemi a bordé la Seine et l'Oise ; la boucle de Poissy reste toutefois entre nos mains. D'autre part, il a cherché à faire passer entre Rouen et Vernon des éléments au sud de la Seine.
Situation dans la zone de la division :
Le long de la Seine et de l'Oise, entre Vernon et l'Isle Adam, l'ennemi a manifesté sa présence par l'activité d'éléments légers et quelques bombardements d'artillerie sur les localités de la rive gauche.
A l'ouest, nos éléments sont toujours en contact entre l'Eure et la Seine, au sud de Vernon, en particulier dans la forêt de Bizy.
De petits éléments sont signalés le long de l'Eure, en aval de Pacy et dans la forêt de Pacy.
Un officier a été fait prisonnier au nord de la route Bonnières – Pacy.


La mission du bataillon est de s'installer au sud de Houdan et d'y former un point d'appui en se gardant principalement face au nord et à l'ouest.
Le dispositif ci-après est adopté :
Compagnie Ghislain : la Hauteville
Compagnie Gaudet : le Tartre – Gaudran et elle interdit la route N 183.
Compagnie Bibes : n'a pas rejoint.
Le P.C. du bataillon est installé dans une ravissante maison de week-end, le Prieuré, appartenant à des tchécoslovaques qui sont partis et dont le gardien nous donne les clés. Nous y passons une bonne nuit sans incidents.

Jeudi 13 juin

Le général Frère, commandant la 7e armée, transmet aux troupes l'ordre suivant :

Ordre général
Officiers, sous-officiers et soldats de la 7e armée.
Au cours des durs combats de ces jours derniers, vous avez fait preuve d'un esprit de sacrifice et d'une bravoure magnifique, en résistant sur place, même encerclés, malgré l'aviation de bombardement, malgré les divisions allemandes.
Ayant reçu l'ordre de vous replier, vous avez manœuvré en bon ordre, en dépit des atteintes du bombardement et des chars ennemis, sauvant tout le matériel possible et tenant l'ennemi en respect.
Sur la Somme, puis entre la Somme et l'Oise, vous avez combattu avec un courage digne de la plus grande admiration.
Votre général est fier de vous commander et il vous exprime du fond du cœur, toute sa reconnaissance au nom de la patrie.
Signé : Frère

Nous qui n'avons à peu jamais vu que des fuyards depuis fin mai, nous nous demandons à qui ces ordres du jour peuvent s'adresser. Nous en concluons qu'il y a des gens qui se battent bien ou se sont bien battus, mais le malheur veut que nous nous soyons toujours trouvé parmi les autres.
A huit heures, nous avons reçu l'ordre de nous tenir prêts à faire mouvement vers le sud-est de Chartres.



La mission générale de la 4e D.C.R. est de barrer les routes d'accès à Chartres en direction de l'est. La 8e demi- brigade barre la direction de Chartres, Santeuil, Dommerville et tient le passage de la voie ferrée Joves – Auneau et Chartres – Auneau, entre Monville et Santeuil.
La 6e demi-brigade barre la route d'Orléans et tient la voie ferrée Voves, Janville, Toury à hauteur de Prasville.
Le départ se fait à 15 heures et l'étape, assez longue, est rendue plus difficile encore par le flot de réfugiés qui se dirigent vers Chartres et Tours. Nous passons cependant à Epernon puis Gallardon où je fais un arrêt de ravitaillement. Le village est encombré de réfugiés. Je trouve une petite fille de 16 ans, pleine de cran, et qui accompagne sa sœur enceinte de six mois et qui poussant une voiture avec un autre enfant arrive à pied de Maisons-Laffitte. Elles me demandent leur route, ou plutôt dans quelle direction s'en aller. Mais quel conseil leur donner ? dans cette immense pagaille c'est bien difficile. Mais leur entrain et leur moral souriant fait plaisir à voir et je suis réconforté au milieu de tant de lâchetés ou d'abandons de caractère, de trouver ces deux femmes bien françaises dont l'attitude redonne un peu confiance.
Je trouve à acheter quelques provisions, et des commerçants nous donnent pour rien des victuailles et de la boisson. Les réfugiés, au contraire, dans leur ensemble se plaignent qu'on les exploite.

 
Gallardon 13 juin
 

Après Gallardon, nous traversons la route d'Ables à Chartres, en un point où je suis passé si souvent en auto, en allant de Tours à Paris et inversement. Que tout cela ressemble peu à autrefois ; toujours les réfugiés qui arrivent à flots de la direction de Paris et qui à cet endroit bifurquent entre Chartres très proche d'où l'on voit s'élever des fumées et Tours.
Quelques avions passent, puis un grand bruit et une énorme colonne noire ; ils viennent de se décharger dans notre dos.
Le bruit court que ce sont des italiens mais aucun de nous ne peut le confirmer.
Après le passage de la route Ablis – Chartres, j'active le mouvement, confirmant la destination aux différents chars et véhicules qui sont assez espacés.
La route est longue et ce n'est qu'à la nuit tombée que le bataillon sera en place de la manière suivante :
Compagnie Ghislain à Guillonville,
Compagnie Gaudet et E.M. à Prasville,
Compagnie Bibes à Epiney et Mondoville-Sainte-Barbe qu'il doit rejoindre dans la nuit.
La base arrière de la Division qui regroupe désormais les compagnies d'échelon a fait également mouvement et doit se regrouper au S.O. d'Orléans, dans la forêt au sud de Saint-Hilaire – Saint-Mermin.
A 22h30 parvient le bulletin de renseignement ci-après :


Bulletin de renseignement n° 13
Situation générale
L'armée de Paris et les armées voisines opèrent actuellement un mouvement de repli stratégique vers le sud.

Situation dans la zone de la 4e D.C.R.
Pas de renseignements nouveaux sur les activités ennemies dans la région de Bonnières – Mantes. Pression ennemie sur Chauffour. Infanterie portée principalement.Les divisions légères qui se trouvaient au nord de Saint-André ont du se replier sur l'Avre, de Hunaucourt à Dreux.
Le général de la Font, commandant la 4e D.C.R.
Vendredi 14 juin

Bulletin de renseignement n° 14
Situation générale
Pas de modification. L'armée de Paris à laquelle est rattachée la 4e D.C.R. doit se retirer vers le sud sur de nouvelles positions.
Situation dans la zone de la 4e D.C.R.
Dans la région comprise entre la Seine et la ligne Saint-André de l'Eure, Houdan, l'ennemi n'a manifesté aujourd'hui aucune activité.
A 18 heures, il n'était pas au contact de nos éléments avancés.
Aviation ennemie peu active (jet de tract)
Le général de la Font, commandant la 4e D.C.R.
 
La nuit du 13 au 14 s'est passée sans incidents.
Dans la matinée je vais prendre liaison avec le P.C. de la demi-brigade installé à Mondonville Sainte Barbe. Là en l'absence du colonel Sudre je trouve le capitaine de Chalains devenu disponible par suite de la suppression de l'état-major du 46e B.C.C. et qui est passé chef d'état-major du colonel Sudre en remplacement du capitaine Mousquet blessé le 29 mai à Huchenneville. Notre première entrevue, tout au moins depuis sa prise de fonctions, tourne immédiatement au vinaigre. Je le mets tout de suite dans l'ambiance, mais je sais dès maintenant que je ne suis pas fait un ami. Je m'en apercevrai après l'armistice, autant de sa part que de celle du lieutenant-colonel Sudre , jusqu'alors très bienveillant pour moi et qui sera complètement retourné.
Ceci sera dû non seulement à Chalains mais aussi au fait que la demi-brigade ne sera plus guère entourée que d'officiers du 46e BCC qui n'ont plus de bataillon et ne perdront pas leur temps ; du fait également que les rapports réciproques du lieutenant-colonel Sudre et du commandant Petit ne sont guère faits pour remonter l'étoile du 47e. Mais ce ne sont là que des questions de personnes qui ont peu d'intérêt.
Notre altercation est venue du fait que la demi-brigade avait décidé que désormais le bataillon aurait deux adjoints techniques : Drapied pour les chars du 47e et le lieutenant Raynaud, ancien adjoint technique du 46e, pour ceux du 46e BCC.
Je me suis élevé contre cette façon d'opérer. Chalains le prenant de haut je l'ai instantanément remis dans le creux ; j'ai obtenu satisfaction en faisant adopter une solution qui me paraît beaucoup plus rationnelle en raison des difficultés de la tâche de l'adjoint technique dans les circonstances présentes :
Drapied s'occupera des ravitaillements,
Raynaud s'occupera des dépannages et réparations.
De cette façon chacun aura son travail particulier et il n'y aura pas de double emploi.
A la suite de cela, la demi-brigade nous enverra une note n° 219 demandant par écrit si nous sommes satisfaits de cette nouvelle organisation. Il y sera répondu par le compte-rendu ci-après :
 
47e Bataillon                                                                                                                                    P.C. le 14.6.40
E. M. 14 h
Compte-rendu
 
Le chef de bataillon Petit à M. le lieutenant-colonel commandant la 6e demi-brigade.
 
J'ai l'honneur de vous rendre compte, en réponse à la note de service n° 219 que les dispositions prises en ce qui concerne le poste d'adjoint technique donnent toute satisfaction.
 Signé : Petit
 
L'incident est clos. Mais par ce jour de demi-repos, une petite guerre à coups d'épingle procure une saine distraction.
Après avoir passé à la demi-brigade, je passe voir le lieutenant Bibes qui a rejoint dans la nuit. Les chars sont tous là en parfait état et je ne puis m'empêcher de penser que ceux qui les abandonnaient à Versailles devraient bien figurer sur la liste que l'on désire voir fusiller et Dieu sait si cette liste est nombreuse !
Par ailleurs, tous les accessoires optiques sont arrivés, retour de Gien et de Bourges, où le lieutenant Raynaud est aller les chercher. Ces onze chars forment donc une nouvelle compagnie, entièrement neuve et qui va constituer jusqu'à l'armistice, malgré de nouvelles pertes, notre élément le plus solide.
La question d'essence commence à se poser sérieusement. L'éloignement des échelons, repliés au sud de la Loire nous prive de leur secours. Maintenant va commencer la course à l'essence qui va se poursuivre jusqu'à la fin. Toute la journée on recevra des notes de service indiquant en substance :
Il existe, paraît-il, un dépôt d'essence abandonné ou prêt à être incendié à X….. Y aller et prendre le maximum. Ce sera tantôt un dépôt qu'on va brûler, tantôt un camp d'aviation, tantôt un train qu'on vide sur les voies.
Cette chasse à l'essence sera tantôt inutile, tantôt fructueuse, mais sera jusqu'à l'armistice notre seule ressource. En pratique nous n'en avons heureusement jamais manqué.
Dans la matinée du 14, Drapied en vue des ravitaillements est parti à la recherche de la base arrière, au S.O. d'Orléans. Mais il revient sans avoir pu même atteindre la Loire en raison de l'embouteillage effroyable des routes aux abords des ponts. Nous envoyons alors nos camions, les uns au camp de Vores, mais l'essence y est un mirage, de même qu'à Gallardon qui vient d'être sérieusement bombardé.
D'autre part, quatre de nos chars donnant des signes manifeste de fatigue et ne pouvant plus suivre, nous décidons sur ordre de la demi-brigade de leur faire rejoindre la base arrière sans délai. C'est ce qui fait l'objet de l'ordre ci-après :
 
A capitaine Ghislain et lieutenant Gaudet.
 
Les chars LUNEVILLE, VERDUN, PETIT-VERLY, et DUGUESCLIN ainsi qu'un tracteur du 37e BCC seront mis en route cet après-midi sur la base de la 4e D.C.R. à Saint-Hilaire – Saint-Mesmin (4 km S.O. d'Orléans).
Les chars emmèneront leurs équipages.
Chef de détachement : lieutenant Dubois.
Point initial : 14 heures, sortie sud de Prasville
Itinéraire : Viabon, Fontenay-sur-Conie, Orgères, Gaubert, Patay, Saint-Perevy-la-Colombe, Orléans.
Signé : Laude
 
Ce mouvement se fait malgré les difficultés et c'est par ce fait que le hasard fera rencontrer au lieutenant Moine, chef du char du LUNEVILLE, ma femme et mon fils partant vers le sud et franchissant le pont de Meung-sur-Loire quelques instants avant qu'il ne saute. C'est ainsi qu'au moins il pourra m'en donner des nouvelles le 20 à Montrésor lorsqu'il aura rejoint le bataillon, son char remis en état.
Le soir, je dîne à la popote de la compagnie Gaudet, heureux de passer ainsi quelques instants tranquilles avec mes camarades du 37e et d'avoir des nouvelles détaillées de l'affaire de Belgique.
 
Samedi 15 juin
 
A une heure du matin, on m'apporte de la demi-brigade l'ordre de rassembler les éléments du bataillon et de les tenir prêts à faire mouvement à partir de 3 heures.
J'envoie aussitôt les motocyclistes prévenir les compagnies de se tenir prêtes et j'attends l'ordre de mouvement qui nous arrive à 4 heures.
Sans réveiller le commandant je fais avec Drapied et Ghislain, l'ordre de mouvement et je l'envoie aux unités. Nous nous préparons nous mêmes au départ et un quart-d'heure avant le départ je vais réveiller le commandant pour le mettre au courant.
 
De l'arrivée dans la région de Chartres 13 juin au combat de Villampuy 17 juin 16h30
 
L'ordre de mouvement est le suivant :
 
P.C. le 15.6 4h15
 
1° La D.C.r. se porte dans la région de Chartres avec mission de barrer les issues N.O. et S.O. de la ville ainsi que la route d'Orléans et de Châteaudun.
2° La 6e demi-brigade est en réserve. En conséquence les bataillons 2/24e et 46/47 se rendront à Barjouville (sud de Chartres) où des emplacements leur seront fixés.
Les véhicules auto seront laissés à Morancez sous les ordres d'un officier par compagnie.
3° Point initial : Allones
Passage au point initial :
Compagnie Gaudet 5h15
Compagnie Ghislain 5h30
Compagnie Bibes 5h45
Itinéraire : N.154, Berchères, Morancez, Barjouville.
 
Au moment où le P.C. va partir, nous voyons arriver une femme du village venue se plaindre d'un incident. Un de nos motocyclistes a emmené hier sa fille âgée de 15 ans, faire une promenade en side-car. Il a eu un accident et la jeune fille étant blessée, il l'a confiée à une auto de passage qui l'a emmenée Dieu sait où. La mère vient évidemment se plaindre et demander comment elle retrouvera désormais sa fille, partie vers Orléans. C'est évidemment une affaire très pénible, mais nous n'y pouvons strictement rien désormais étant en instance de départ immédiat dans la direction opposée. Nous ne pouvons que lui prodiguer quelques bonnes paroles et relever le fautif de son emploi et le changer de compagnie.
 
 
Environ de Chartres
15 juin


Ravitaillement à bon marché
Château de Montmureau
15 juin
 

 

Nous partons enfin et la route jusqu'à Barjouville se fait sans incident, malgré une nouvelle cavalcade en plein jour sur les routes.
Après Morancez où j'installe le P.C. arrière du bataillon, l'embouteillage est considérable car nous ne disposons pour nous rendre à Barjouville que d'un chemin étroit qui débute par un petit pont sur la rivière, par où passent également d'autres éléments de la division dont le P.C. qui s'établit au château de Morancez.
En cours de route, nous avons fait une razzia sur un troupeau de moutons abandonnés et errants. Dans ces pays entièrement abandonnés tout le monde en fait d'ailleurs autant. Les camions des compagnies regorgent de bétail et de volailles qui vont être pour plusieurs jours notre unique ressource.
A Barjouville, les compagnies du bataillon ont été réparties en secteurs de surveillance propres à chacune d'elles.
A neuf heures, le commandant Petit envoie l'ordre ci-après :
 
P.C. Barjouville 9 heures
Confirmation instructions verbales
 
Procédez d'urgence à des reconnaissances en vue de contre-attaques essentielles.
1° en direction du nord et du nord-ouest
2° en direction du nord-est
Reconnaître le pont de Le Coudray.
- Compte rendu de ces reconnaissances dès que possible.
- Equipages aux chars prêts à s'engager.
- Compléter les pleins.
- Renseignements :
P.C. arrière du bataillon : Morancez
Eléments du 10e C.A. tiendront jusqu'au soir Châteauneuf, Maintenon, Gallardon.
La 8e demi-brigade tient les issues de Chartres.
Signé : Petit
 
Au cours de la matinée, je ravitaille les unités en essence à Barjouville. Tout y est calme, les capitaines procèdent aux reconnaissances des unités qui nous entourent et à celles des directions éventuelles de contre-attaque.
A Luisant, juste au nord de Barjouville, c'est le 19e bataillon qui est en avant de nous. De Barjouville nous voyons Chartres à 3 kilomètres d'où s'élèvent les fumées de nombreux incendies. Mais sur toutes les routes, nous ne voyons presque plus de réfugiés et le moral en est meilleur sans que nous réfléchissions que l'arrivée des Allemands en a arrêté le flot.
Dans le courant de la matinée la compagnie Gaudet est déplacée de Barjouville vers les bois au nord de Morancez où elle reçoit mission de s'opposer à une tentative ennemie venant de la direction de Le Coudray.
A midi, passent au dessus de nous une trentaine de bombardiers allemands. Pour la première fois entre en action la batterie de canons automatiques de 25 de D.C.A. dont a été doté la division. Ils nous font une excellente impression par la rapidité et la précision de leur tir. L'escadre allemande est immédiatement encadrée d'une grande quantité d'éclatements et visiblement gênée se disloque et prend de grandes distances entre ses appareils puis continue sa route vers Chartres.
A 16 heures, le P.C. du bataillon est installé en entier au château de Montmureau où je rejoins le commandant. C'est encore une propriété de week-end, remarquablement installée, très moderne mais où l'électricité et l'eau sont malheureusement coupés. Et nous ne pouvons utiliser la magnifique salle de bains vert d'eau qui cependant nous tente beaucoup.
A 19h00 un ordre pour la nuit est donné :
 
Par ordre du colonel commandant la demi-brigade, une section de trois chars se portera à la tombée de la nuit sur la route N.10 au carrefour de la route venant de Montereau.
Mission : interdire la route (service de surveillance de nuit assuré aux pièces).
Cette section rejoindra sa position actuelle avant le lever du jour (1 section de chars B à désigner par la lieutenant Bibes).
Signé : Laude
 
Une section de la compagnie Bibes va donc se trouver à environ 5 à 600 mètres de nous. Le reste des chars de la compagnie Bibes gardent leur position juste avant l'entrée du château.
La compagnie Ghislain au nord de la compagnie Bibes a la même mission ; la compagnie Gaudet est toujours détachée et c'est ainsi que va commencer la nuit.
Mais un peu avant la fin du jour, nous sommes subitement alertés par un bruit anormal et un tir très nourri de mitrailleuses. Nous nous précipitons dans la cour du château et avons à peine le temps de nous rendre compte que nous venons d'être mitraillés par une douzaine de Messerschmitt piquant et passant au ras du sol. Les balles traçantes font un vrai feu d'artifice. Nous faisons rentrer tout le monde à l'intérieur du château et des communs et bien nous en prend car ils repassent à deux reprises en arrosant copieusement sans nous causer de dégâts. Mais l'impression causée est vraiment extraordinaire par l'impression de soudaineté et de rafale que donne cette ruée à 600 ou 700 km à l'heure juste au dessus des têtes.
Au bout de quelques minutes, nous reprenons notre dîner interrompu lorsqu'on nous amène des blessés. Ce sont des réfugiés qui ont été près de la route N.10 dans ce mitraillage. Ils se sont jetés dans le fossé mais un chasseur allemand qui mitraillait en marchant dans l'axe du fossé en a atteint plusieurs. On nous amène ainsi une vieille femme qui a cinq balles dans une cuisse et un homme avec sa femme, blessés tous deux au ventre. Avec la vieille se trouvent sa fille et son gendre et leurs enfants dont un gosse d'une dizaine d'année qui a une écorchure à la jambe. Il ne dit rien et reste bien sage pendant que dans le hall du château, transformé en poste de secours, Dejannay soigne les blessés et lorsqu'on regarde ce qu'il a, on s'apercevra que c'est une balle qui est restée dans la jambe et qu'il a supporté sans rien dire.
Le ravitaillement, du fait de l'éloignement de la compagnie d'échelon à la base arrière devenant très difficile, le commandant établit le compte-rendu ci-après :
 
P.C. 15 juin 19h35
Compte-Rendu
 
Le chef de bataillon Petit, commandant le 46/47e bataillon rend compte de ce que l'approvisionnement en vivres du bataillon n'a pas été assuré depuis le départ du cantonnement de Beynes.
Les unités ont du consommer la totalité du pain et du vin et parfaire la différence par des achats dans le commerce qui grèvent lourdement les bonis.
Le chef de bataillon a l'honneur de demander que les ravitaillements soient si possible poussés plus près des unités que prévu le 15 juin (10 à 15 km et non 35).
Signé : Petit
 
Après les émotions dues aux Messerschmitt et à l'arrivée des blessés, nous avons fini par achever notre dîner à la lueur des bougies et nous nous préparons à prendre quelque repos, lorsque des renseignements parvenus de la demi-brigade signalent des infiltrations ennemies non loin de nous.
Nous alertons aussitôt les unité, la compagnie Bibes qui est au château verbalement et les autres, ainsi que le bataillon 2/24 qui dépend provisoirement de nous, par l'ordre ci après :
 
P.C. 15 juin 23 heures
 
Renseignements
 
Des éléments légers ennemis se sont heurtés vers 21h30 à un poste avancé du 4e B.C.P. au nord de Coudray.
Assurer le service de surveillance aux chars et aux pièces.
Chaque équipage et chacun à son poste de combat.
Signé : p.o. Gravelin
 
Au château nous organisons immédiatement un service de garde et un service de quart dirigé par un officier afin de parer à toute surprise par des patrouilles ennemies et la nuit se passe sans incidents.
Dans la soirée nous était parvenu le bulletin de renseignement ci-après :
 
Bulletin de renseignements n° 15
 
Le mouvement de repli général vers la Loire continue pour l'Armée de Paris.
Sur le front terrestre de l'armée l'ennemi n'a pas manifesté beaucoup d'activité mais l'aviation allemande a fait une nouvelle apparition. Bombardements sérieux de Chartres, Bonneval, Châteaudun ; quelques mitraillages sur les routes.
Vers l'ouest, la 1ère D.L.M. tenant les bois de Vore et la forêt de la Sansay ; la 2e D.L.M. aux lisières de la forêt de Châteauneuf et à 10 km au nord ne sont pas en contact avec l'ennemi.
La 8e D.I.C. et la 84e D.I. appartenant avec la 2e D.L.M. au 10e C.A. ont exécuté le repli sans incidents au nord de Chartres sur la ligne :
Châteauneuf-en-Thimerain – Maintenon – Gallardon – Ablis.
Seule la 8e D.I.C. a été hier sérieusement accrochée dans la forêt de Creux par des allemands en civil, tiraillant de derrière les arbres. Des éléments motorisés ont franchi l'Eure à Ecluzelles et ont pris la direction de Nogent-le-Roi en remontant la vallée de l'Eure. Alertée, la 83e D.I. appartenant au 25e C.A. est restée accrochée sur la vallée de Chevreuse à l'est de Dompierre. Un trou a ainsi été creusé, large d'une vingtaine de kilomètres, démasquant la direction de Rambouillet – Etampes.
Aucun contact sur les barrages défendus par la 4e D.C.R.
Le général de la Font
 
Dimanche 16 juin
 
A 7 heures du matin nous arrive l'ordre de départ.
Le point initial est à 8h15 à Morancez.
La demi-brigade se porte dans la région de Villars.
Sa mission est la protection d'une division engagée qui s'est repliée, par erreur, plus bas que la ligne fixée.
Le dispositif à l'arrivée est le suivant :
P.C. de la demi-brigade : Sancheville.
3e compagnie et Etat-Major : Morsans
Compagnie Bibes : Villars
Compagnie Gaudet : Villeau.
La route s'est faite sans incidents, en l'absence de toute activité aérienne allemande.
Ici, comme la veille, sont effectuées les reconnaissances en vue de contre-attaques éventuelles mais on ne nous demande aucune mission. Nous saurons cependant le soir qu'un bataillon de tirailleurs a été durement éprouvé dans le courant de l'après-midi vers Vores. Nous avons en effet entendu le canon une bonne partie de la journée et sommes très surpris de notre inaction.
Dans la soirée, le dispositif est changé et orienté face à Vores, sur la ligne générale : Saint-Florentin, Villeau, Tilleau,, Fams-la-Folie. Les éléments sur roues sont envoyés à Sancheville.
Le P.C. arrière est installé à la Folie-Herbault, entre le P.C. de la demi-brigade et celui du bataillon.
L’atmosphère est mauvaise ; on sent la bagarre pas loin et nous barricadons solidement les routes d’accès.
La nuit se passe cependant encore sans incidents, mais la journée du lendemain va rattraper largement ce manque d’émotion.
 
Lundi 17 juin
 
A cinq heures 45, l’ordre suivant est donné :
 
P.C. 17 juin 5h45
 
I. Le 46/47 se portera immédiatement dans la région de Fontenay-sur-Conie - Orgères avec pour mission d’être prêt à intervenir en direction d’Allaires ou de Viabon.
a) Compagnie Bibes : Orgères
b) Compagnie Ghislain, compagnie Gaudet : Fontenay-sur-Conie
II. Eléments sur roues et de ravitaillement actuellement à Sancheville se porteront à Cormainville.
Exécution immédiate.
 
P.C. du bataillon : Orgères
Signé : Petit
 
 
Combats d’Orgères et Fontenay – 10 heures.
 
Le mouvement s’exécute dans les meilleures conditions et sans incidents.
Je vais en voiture pour des liaisons avec le commandant que je rattrape déjà en route, puis je reviens chercher mon P.C. En passant à Faim-la-Folie, je charge dans ma voiture trois sous-officiers de tirailleurs blessés dans le combat de la veille et qui ont perdu leur régiment. Avec mes éléments je passe à Sancheville où je prend contact avec le lieutenant-colonel Sudre qui me fixe Villepreux comme stationnement de mes tracteurs de ravitaillement et des hameaux au sud de la Conie, vers Péronville, pour mes éléments sur roues. Je les dirige sur leurs destinations respectives puis emmène tous les tracteurs à Villepreux après avoir déposé mes tirailleurs à Commainville où ils ont retrouvés des éléments de chez eux.
Une fois mes échelons sur chenilles à Villepreux, je me rends successivement à Orgères et à Fontenay-sur-Conie voir les compagnies et savoir si elles n’ont besoin de rien.
A peine rentré à Villepreux, j’entends vers Orgères et Fontenay des rafales de mitrailleuses, puis vois tomber des coups de 105 sur Orgères.
L’engagement n’a donc pas tardé. Pendant que j’étais à Fontenay, j’avais vu avec Gaudet un officier de tirailleurs se repliant et disant avoir les auto-mitrailleuses allemandes dans leur dos. Le renseignement était donc exact.
Le combat ne tarde pas à être très vif. J’entends les chars tirer et le 105 continue de tomber.
Par les champs, je vois les quelques civils, demeurés dans Orgères, qui refluent vers nous, et je me demande ce que je ferai avec mon personnel muni de pauvres pistolets automatiques si les auto-mitrailleuses réussissent à passer Orgères et à venir jusque sur nous.
Mais cette éventualité ne se présentera pas car la vive réaction des compagnies du bataillon va stopper les allemands pour quelques temps.
Le compte-rendu de combat fait par le lieutenant Gaudet ci-dessous en ce qui concerne Fontenay-sur-Conie. En ce qui concerne Orgères, la compagnie Bibes a été également très vivement engagée. Mais moins heureuse que la compagnie Gaudet, elle a été durement éprouvée par le 105 allemand et une de ses sections a été détruite en cinq minutes, perdant trois chars.
Un équipage est tué, dans les autres chars, le sous-lieutenant Lartigau est blessé et le sous-lieutenant Vinciguerra est disparu avec son équipage. Ce dernier, prisonnier, réussira à s’évader et nous rejoindra à Périgueux après l’armistice.
 
Compte-rendu du lieutenant GAUDET
 
ENGAGEMENT DE LA 3/37 détachée au bataillon 46/47
 
I. Fontenay sur Conie – 17 juin 1940
La 3/37 intégrée dans 46/47e bataillon, au cours d’un repli par l’itinéraire Villeau – Fains – Fontenay sur Conie, fait une halte dans ce dernier village, le 17 juin vers 7 heures du matin.
Dispositif de la compagnie :
section de tête (De Dufourcq) au carrefour central du village,
Section de queue (De La Romignière) en protection à la fourche des routes Fains – Ohe, vers ces deux directions.
La section intermédiaire ( Bounaix), retirée dans un hameau à l'est de la route, prête à intervenir dans toutes les directions en tournant le village.
À huit heures, un sous-lieutenant de tirailleurs me signale «des autos mitrailleuses allemandes harcèlent ma compagnie qui se replie à 300 mètres d'ici sur la route d’Ohe. Pouvez-vous intervenir ? »
je prends les décisions suivantes :
section De Dufourcq en réserve (j’envoie le chef de section en observation dont le clocher de Fontenay),
j'utilise un des chars de cette section comme PC et suit en liaison radiophonique avec les deux autres sections :
section de La Romignière, élément de fixation,
section Bounaix élément de manoeuvre.
Débordement par la gauche : cette section avancera dans les champs à hauteur de la section De La Romignière et prendra par le travers les automitrailleuses qui s'avanceront sur la route.
Ses ordres sont exécutés : les sections De La Romignière et Bounaix prennent sous leur feu les autos mitrailleuses qui poursuivent la colonne d'infanterie, les obligent à se replier. Elles détruisent après une avance de 400 m, une pièce de 105 qui se démasque aux lisières du village d’Ohe.
La section en réserve n'a pas eu à intervenir.
Après entente avec le capitaine barbe, commandant la compagnie du 8e R.T.T., j'ai encadré cette compagnie avec mes chars jusqu'à l'entrée de Cormainville, marchant à son allure et la protégeant de tout retour offensif.
Pertes : néant (un tracteur égaré retrouvé par la suite)
Enseignements : dans les escarmouches de ce genre, la méthode allemande s'est révélée simple :
Ils essayent grâce des automitrailleuses, éléments légers susceptibles de se dérober instantanément, d'attirer les chars B difficilement justiciables d’automitrailleuses ou de chars, sur les pièces de 105 tractées marchant à la hauteur des autos mitrailleuses et se révélant quand le B est à bonne portée.
Il est à remarquer que dans ce cas, les chars B ne sont pas tombés dans le piège parce qu’ayant ouvert le feu a priori à partir de 1000 m sur les lisières suspectes forçant ainsi le canon de 105 à tirer avant l’heure, sans précision. La pièce ayant tiré était repérée et a pu être immédiatement neutralisée par les 75 et les 47 des chars B parfaitement efficaces à cette distance.
 
II . BINAS 17 juin 1940
Le 17 juin à 17 heures, la 3/37 s'établit sur le pourtour du village de Binas ayant pour mission d'interdire les voies d'accès en direction de Verdes (Section De Dufourcq), en direction de l'est (Meauville - Abbanville ; de chars du 47e bataillon intégrés momentanément sans la 3/37 ; en direction d'Orléans : sous-lieutenant Adde (de la section De La Romignière) ; en direction de Beaugency (sous-lieutenant De La Romignière, sous-lieutenant Bourdier).
Vers 18 heures, une colonne d’automitrailleuses allemandes est signalée sur la route Verdes - Ouzouer : mission des chars inchangés ; cependant la section De Dufourcq reçoit l'ordre de se tenir prêt a contre-attaquer en tournant le village en direction de l'est, pour appuyer l'action des chars du 47 et Adde, chars qui vraisemblablement doivent avoir le premier contact avec l'adversaire.
Je garde sur la place centrale du village un char B en réserve qui doit également me servir de PC.
Vers 19 h 30, arrive une délégation de prétendus parlementaires allemands qui sont immédiatement dirigés sur la division.
Quelques minutes après, le sous-lieutenant Adde ouvre le feu sur deux automitrailleuses qui s'avancent à 400 m dans son secteur de tir ; il les détruit. Attiré par le bruit du combat, le sous-lieutenant Bourlier se porte aux côtés du sous-lieutenant Adde et fait sauter un dépôt de munitions et d'essence allemand contenu dans un camion.
Les chars 47, Adde, Bourlier, Besnier (De Dufourcq) interdisent de leur feu l'accès du village des fantassins allemands, qui ayant débarqué de camion, tente de s'infiltrer dans les blés.
Quelques mitrailleuses allemandes, malgré le feu des chars, ouvrent le feu, quelques obus de 77 tombent aux lisières du village.
Le colonel commandant la demi-brigade décide que le décrochage des chars B 3/37 protégeant le repli de la 4e D.C.R. aurait lieu à la tombée de la nuit. Je pris liaison avec un capitaine de cavalerie commandant un escadron d’A.M.R. de la division pour régler les détails du mouvement.
A cette heure, à la faveur de la demi obscurité, la pression allemande s'accentue, les infiltrations de fantassins au travers des champs de blé sont plus denses que. Tout le village est cerné et il y a force tirs de mitraillettes.
Dans toute la colonne de la D.C.R. a quitté Binas par la route de La Colombe sur un ordre transmis par un motocycliste, mes chars (hormis la section De Dufourcq située sur l'itinéraire de repli) se rallient sur la place du village et le décrochage s'opère sans incident malgré les feux de mitrailleuses : mes chars encadrent ma voiture de liaison et ma voiture PC.
Pertes : néant
Enseignements
a) les chars sont absolument capables d'arrêter toute avance de chars ou d'engins blindés, mais sont impuissants pour stopper les infiltrations d'infanterie. Leur action doit être complétée par celle de l'infanterie.
b) ce qui précède, vrai de jour, est encore plus vrai de nuit, ou, même dans une demie obscurité. La puissance de feu des chars dans ces conditions est réduite à néant et il est illusoire d'attendre d’eux un tir quelconque. Les décrochages doivent donc s'opérer de préférence de jour.
c) il serait quelquefois préférable de faire des bouchons entre deux villages, en utilisant une coupure, un obstacle naturel. On dérouterait ainsi l'adversaire qui a trop l'habitude de ne se porter à une défense aux lisières de village.

III.
SAINT-FLOVIER – 21 juin 1940.
Le 20 juin à 22 heures, la 3/37 est installée défensivement sur les lisières de Saint-Flovier ayant reçu comme mission de barrer les routes de Verneuil sur Indre, de Saint Senoch, de Flère la Rivière.
Le lieutenant Besnier restant en réserve au carrefour. La direction dangereuse étant le nord nord-est, la section De La Romignière a reçu pour mission de contre-attaquer éventuellement pour appuyer De Dufourcq ou Moine.
À 15 heures, je pars en reconnaissance en V.T.O. en direction de Bridore. Les cavaliers rencontrés nous annoncent une avance allemande en tout terrain sur notre flanc droit.
À 19 heures, sur la route de Verneuil, des autos mitrailleuses de la D.C.R. prennent contact à 3 km nord de Saint-Flovier, sans pouvoir préciser si l'ennemi a des engins blindés ou de l'artillerie.
À 20h45, le chasseur Coussiru, motocycliste détaché auprès du lieutenant Moine, en observation, signale à celui-ci que des motos allemandes s'avancent sur la route. Le lieutenant Moine ouvre le feu à la mitrailleuse. Derrière les motos viennent des autos mitrailleuses, des canons de 37 est sans doute aussi (d'après les impacts sur tourelle) des 77.
Le lieutenant De La Romignière, au premier coup de feu, reçoit l'ordre de se porter sur la route à la hauteur de Moine.
Adde est orienté entre De Dufourcq et Moine, dans les vergers où peuvent se produire les infiltrations. Le lieutenant Moine neutralise quelques armes antichars. Appuyé par le lieutenant De La Romignière, il détruit les automitrailleuses et s'attaque aux camions de fantassins qui suivent. Le tir du lieutenant De La Romignière prenant la route est allongé de 100 m en 100 m a dû être particulièrement efficace contre ces camions.
Plusieurs incendies allumés sur cette route nous assurent de l'excellent résultat de notre contre-attaque.
Quand mes chars ont été engagés, j'ai quitté le carrefour central, faisant replier mes voitures de liaison et PC, je me suis porté sur la place du village d'où j'ai pu, grâce à la camionnette radio du bataillon commander le repli de ma compagnie. Quand toute la colonne de la D.C.R. a eu quitté Saint-Flovier en direction de Charmizay.
Pertes : néant.
Enseignements :
nécessité absolue d'avoir le renseignement grâce des éléments légers de cavalerie susceptibles de prendre le contact et de se replier instantanément.
Note :
De ces engagements qui ont tous une forme très particulière (combat rapide au milieu des missions), un enseignement est à retenir au point de vue commandement :
Le commandement est rendu extrêmement difficile si les liaisons radio ne sont pas assurées.
Cette liaison radio ne peut se faire utilement que par phonie avec des règles très simples.
À cette condition seulement, les réactions des subordonnés sont immédiates, ce qui est la condition nécessaire du succès.
 
Le lieutenant Gaudet
commandant la 3e compagnie du 37e bataillon
 
 
Au moment même du début de l’engagement, l’ordre est arrivé de se replier sur Villampuy (15 km de Châteaudun, sur la route d’Orléans).
L’ordre ci-après est immédiatement transmis aux unités.
 
10h15
Ordre de mouvement
 
La 6e demi-brigade se portera immédiatement à Villampuy, en situation d’appuyer le 4e B.C.P. et de barrer la direction de Châteaudun – Orléans (est).
Itinéraire : Cormainville – N. 827 – Bazoches – Buissay – Villampuy.
Ordre de marche : Bataillon 2/24
Bataillon 46/47
Point initial pour le 46/47 : Cormainville
Ordre de marche : Compagnie Gaudet
Compagnie Ghislain
Compagnie Bibes
Stationnement en fin de marche :
Région de Villampuy.
 
Après avoir muselé quelques pièces de 105 et stoppé l’ardeur de la colonne allemande, les compagnies réussissent à décrocher, les unes après les autres, et à prendre la direction de Villampuy prescrit par l’ordre ci-dessus.
 
Combat de Villampuy 16 heures.
 
Ayant reçu moi-même le même ordre de repli général sur Villampuy, je mets en route les tracteurs par Comainville avant que les chars ne soient encore passés.
A Commainville, je suis stoppé un instant par les colonnes du 7e Dragons Portés qui se replient en direction de Varize.
Je puis néanmoins reprendre ma route. Au passage à Bazoches, je trouve le 4e B.C.P. qui embarque dans ses voitures pour aller prendre ses positions, ainsi qu’un bataillon de tirailleurs qui se replie vers la Loire.
J’arrive sans encombre cependant à Villampuy. Là je trouve un invraisemblable embouteillage. Tous les éléments de la demi-brigade ont en effet reçu Villampuy comme point de destination. Comme le colonel est resté à l’arrière pour surveiller les mouvements des arrière-gardes, chacun attend ici les ordres et les rues et la place de l’église présentent un inextricable enchevêtrement de voitures de toutes sortes ; de canons, de tracteurs etc.…
Je m’efforce de mon mieux de caser la-dedans mes tracteurs, de les dissimuler dans les cours, d’écarter un peu du village mes éléments sur roues que Drapied est parti chercher et qui viennent aussi me rejoindre, sauf celui du lieutenant Mercier de la compagnie Gaudet, à qui Drapied a dit de s’avancer jusqu’à la forêt de Marchenois et qui là, pris dans d’autres éléments, passera la Loire avant nous et malgré nos recherches sera perdu pour nous. Jamais nous ne le récupérerons et l’absence de son échelon sera pour la compagnie Gaudet, même après l’armistice, une lourde gêne.
J’ai pu, tant bien que mal, caser mes éléments, mais malgré cela l’embouteillage de Villampuy reste considérable et fournit une cible magnifique aux bombardiers.
Une fois tout à peu près en place, je suis reparti sur l’arrière, au devant des compagnies pour voir si elles ont besoin de quelque chose. Des tracteurs leur ont été envoyés et tout le long de la route, sur ce pays dénudé, je trouve des chars qui font leur plein et se ravitaillent sans être le moins du monde dissimulés. Précisément, pendant que je parle au capitaine Ghislain, passent à environ 300 mètres de haut, trois gros bombardiers, mais ils semblent ne pas s’apercevoir de notre présence.
Quand j’ai fait le tour des chars, je reviens à Villampuy dont l’encombrement s’augmente des chars qui commencent à arriver. A ce moment passe, toujours à très basse altitude, un groupe d’environ trente gros bombardiers ; nous avons un instant d’inquiétude, mais en constatant leur mépris à notre égard nous en concluons qu’ils viennent de bombarder les villes et ponts de la Loire et qu’ils rentrent à vide. Heureusement pour nous, car dans la pagaille du moment un bombardement serait une véritable tuerie.
A seize heures, la demi-brigade nous avait communiqué l’ordre ci-après :
 
6e demi-brigade 17.6.40 11 heures
Complément
A l’ordre de repli sur Villampuy donné à 10 h ce matin.
 
Les unités s’allégeront au maximum et feront passer de suite tous leurs impedimenta au sud de la Loire par le pont de Mer.
Regroupement à la Chaussée-le-Comte (par Mer, Muides, et Chambord).
Itinéraire : Oucques – Pontijou – N. 824 – Mer.
Signé : Sudre
 
C’est sans doute en vertu de cet ordre, dont il a eu connaissance que Drapied a aiguillé très en avant l’échelon du lieutenant Mercier et que celui-ci, largement décollé, a passé la Loire sans autres ordres puis a été irrémédiablement séparé du bataillon.
Quoiqu’il en soit, les différents éléments du bataillon sont a peu près rassemblés vers 14 heures à Villampuy et dans les environs immédiats avec bien d’autres éléments dont un groupe de 105, lorsque les missions sont réparties comme suit :
 
P.C. 17.6.40 14 heures
 
Mission : tenir la N. 155 face à l’est (Orléans).
a) Compagnie Bibes : Pierre-Percée
b) Compagnie Gaudet : carrefour nord de Villampuy
c) Compagnie Ghislain : élément de manœuvre Villampuy
P.C. : Villampuy
Signé : Petit
 
Notre mission est de tenir Villampuy jusqu’à ce que le bataillon de chasseurs qui assure l’arrière-garde ait pu décrocher et soit passé à notre hauteur.
Notre départ sera fixé par le lieutenant-colonel commandant la demi-brigade qui fixe également son P.C. à Villampuy.
Peu après cet ordre le lieutenant-colonel Sudre, désireux de décongestionner Villampuy qui présente toujours le même invraisemblable encombrement, mais encore plus de se prémunir contre des infiltrations par les différents chemins venant de l’est, décide de ne garder Villampuy qu’avec ce qui reste du bataillon 2/24 et la compagnie Bibes et de faire former un bouchon à Junainville par la compagnie Gaudet, à Harbouville par la compagnie Ghislain.
L’ordre est donné et compagnies prennent leurs nouvelles positions ; mais de plus en plus inquiet de ce qui se passe vers la direction de l’est, et afin de garantir le passage libre vers le sud, étant donné l’ordre qui vient d’arriver d’avoir à envisager le reprise de la marche jusque vers la forêt de Marchenoir, afin de s’y installer et d’en tenir les lisières nord ; le lieutenant-colonel Sudre décide d’envoyer la compagnie Gaudet très en avant.
La mission qui lui est confiée est de s’installer à Binas, sur la grand-route N. 826 et d’en interdire les accès, principalement en direction d’Orléans et de Beaugency, et d’assurer le passage de la demi-brigade en direction de Marchenoir.
 

Combat de Binas 17 juin
Et itinéraire jusqu’à la Loire
 
Il est environ 15 heures et à ce moment là, la situation se présente sous la forme ci-après :
Villampuy bataillon 2/24 et compagnie Bibes
Harbouville compagnie Ghislain
Binas compagnie Gaudet (route Orléans-Vendôme)
Vers 16 heures, nous entendons depuis quelques temps des bruits de mitrailleuses qui semblent se rapprocher de nous et proviennent de l’est. Ces bruits deviennent de plus en plus fréquents et s’intensifient. Les chars qui étaient à la Pierre-Percée ont été ramenés à Villampuy. Un renseignement nous arrive, signalant une colonne allemande à environ 2 km de nous. Le commandant du groupe d’artillerie part avec sa voiture, sort de Villampuy, se porte un peu en avant du village et là, debout à côté de sa voiture bien en vue sur la plaine, se met à inspecter l’horizon avec le plus parfaite tranquillité, puis revient.
Les allemands sont bien, en effet, à 2 km de nous. Le lieutenant-colonel fait alors avancer deux chars dans les champs et leur prescrit d’ouvrir le feu à environ 1800 mètres sur des lignes d’arbres où se trouvent les allemands. Ainsi commence un très vif engagement entre nos chars et nos canons de 105 d’une part, et le 105 allemand d’autre part. Ca claque dans tous les coins et presque immédiatement nous sommes pris sous le bombardement de 105. Nous sommes ainsi bombardés pendant une heure et demie. Le duel continue pendant que tout le personnel non utilisé se couche par terre et attend.
Nos chars B se tirent indemnes de la bagarre, mais deux chars R 35 du 2/24 ont reçu des obus de 105 et brûlent. Parmi les équipages de ces chars, le sous-lieutenant Weil est blessé (il décèdera à l’hôpital de Poitiers des suites de ses blessures).
Le commandant du groupe d’artillerie dont nous admirions peu avant le magnifique calme reçoit un éclat d’obus dans le bras et est évacué. Le médecin du bataillon et celui de la demi-brigade, le docteur Petit, s ‘affairent auprès des blessés et les pansent dans une grange nullement abritée pendant que les 105 tombent tout autour de nous. Les sanitaires filent le plus vite possible sur la route qui est en pleine vue et gagnent le sud sans encombre.
Le combat continue ainsi à distance, sans engagement rapproché et définitif lorsque l’ordre de reprendre la marche vers Marchenoir est donné.
Nous devons cette fois nous rendre dans le sud de la forêt, face aux directions de Lorges et du Plessis-l’Echelle.
Il est 18 heures et sur l’ordre du commandant Petit, je pars en tête avec les éléments autos qui sont restés avec nous. Le commandant reste avec les derniers chars qui vont décrocher dès que les chars légers seront passés devant.
Les chars B de la compagnie Bibes forment donc la dernière arrière garde.
Avec les voitures, je fonce à mon tour sur la route pour transmettre à la compagnie Ghislain l’ordre de départ et rejoindre la compagnie Gaudet à Binas et lui transmettre les nouveaux ordres.
Nous marchons tant que ça peut pour quitter au plus tôt la partie de la route qui est en vue de la position allemande. Tout se passe au mieux.
Le décrochage des chars se fera également sans difficultés ; il semble que ce duel de près de deux heures ait quelque peu malmené les Fritz qui ne réagissent pas à notre départ.
Arrivé à Harbouville, je suis très étonné de n’y pas trouver la compagnie Ghislain. Je la rattrape à Membrolles descendant vers le sud. Je l’arrête et lui demande pourquoi il n’est plus à sa place. Il me répond que c’est par suite d’un ordre radio émanant du commandant. Je sais que cela est impossible car la camionnette radio n’est pas avec le commandant. Comme il est affirmatif, je veux me rendre compte par moi-même, je monte dans son char, et je me mets à l ‘écoute afin de voir qui lui parle, craignant ce qui s’est déjà produit, que de faux ordres radio ne nous soient transmis par les allemands.
L’écoute est assez mauvaise, mais avec de Thoisy, qui est officier radio du bataillon nous finissons cependant par nous rendre compte que nous sommes bien en communication avec le sergent Carroy, chef de la camionnette radio mais que ses messages ont été mal interprétés, car il dit qu’il est perdu dans la nature et demande des instructions.
Je donne alors l’ordre à Ghislain de rester à Membrolles où il se trouve, d’y former bouchon et d’attendre pour se replier, le passage devant lui des chars légers, puis l’arrivée de la compagnie Bibes pour prendre sa place entre les deux unités.
Le lieutenant-colonel Sudre arrive sur ces entrefaites. Il approuve les instructions que je viens de donner à Ghislain et je repars vers Binas afin d’y rejoindre la compagnie Gaudet.
Tout le long de la route je pense rattraper mes tracteurs de ravitaillement que je veux arrêter, craignant qu’après le combat de Villampuy où les moteurs ont tourné longtemps, les chars n’aient besoin d’essence, mais ils ont très bien marché et j’arrive à Binas sans les avoir rejoints.
 
Combat de Binas 19h30
 
Aussitôt arrivé à Binas je trouve le lieutenant Gaudet qui me rend compte des dispositions prises.
J’y trouve également un camarade du 6e cuirassiers de Verdun, le capitaine Delarue. Il était à Dunkerque, est passé par l’Angleterre et vient de prendre le commandement d’un escadron motorisé rattaché à la 4e D.C.r.
Cet escadron est composé de la façon la plus hétéroclite, avec des moyens les plus variés, tels que des automitrailleuses Panhard sans tourelles, des chenillettes d’infanterie sur lesquelles sont placées et même pas fixées des mitrailleuses de 7,5 mm. Cela paraît invraisemblable et pourtant c’est vrai et même ces gens se sont battus la veille où l’escadron a perdu deux chefs de peloton et quelques cavaliers. Il continuera du reste ainsi au cours de la retraite, mais faut-il que nous soyons bas pour en être réduits à ces pauvres moyens pour faire flèche de tout bois.
Quant à moi, je n’ai toujours pas retrouvé mes tracteurs. Je reste à Binas et envoie mes deux voitures à leur recherche avec de Thoisy dans l’une et Aulois dans l’autre. Les uns sont à Saint Laurent-des-bois où je décide de les laisser et les autres se sont égarés à Autunville. Je les regroupe et, tous calculs refaits, les laisse à Saint Laurent estimant que les chars auront assez d’essence pour venir jusque là.
Enfin, la colonne de la demi-brigade arrive à Binas, chars légers, artilleurs, chars B. Elle traverse Binas où la compagnie Gaudet reste pour protéger le repli jusqu’au dernier élément. Mais des infiltrations d’éléments ennemis sont signalés vers l’est. Il y a des automitrailleuses, des autos.
On a l’impression que les allemands font une course à la Loire en suivant un itinéraire parallèle au notre.
Vers 19h30, un officier allemand et un détachement de 4 motocyclistes se présentent à nous, à la sortie de Binas en agitant des papiers blancs. Nous les faisons aussitôt prisonniers. Le lieutenant prétend qu’il se présente en parlementaire, le maréchal Pétain ayant déclaré à la radio à midi, que l’armistice était en vigueur. Nous lui répondons que le maréchal a simplement dit qu’il allait demander l’armistice et qu ‘en conséquence nous le gardons, lui et ses sous-officiers. Puis le commandant me charge de les conduire tous au P.C. de la division.
Au moment où je vais monter en voiture, j’entends les chars qui commencent à tirer, puis de violents rafales de mitrailleuses commencent à passer au dessus de nos têtes. Je demande à mon oberleutnant si c’est cela l’armistice ; il me dit qu’il ne comprends pas pourquoi nous tirons et s’étonne que notre commandement ne nous ait pas transmis l’ordre de cesser le feu.
Seule la compagnie Gaudet reste à Binas avec le commandant et livre le combat ont le rapport détaillé figure à l’annexe ci-dessous.
J’embarque mon officier dans ma voiture, les quatre sous-officiers dans une camionnette et nous prenons la direction de la division.
Dans la voiture, je fais la conversation, mi en allemand, mi en français avec mon prisonnier. Il m’avoue qu’il venait à Binas pour y installer son cantonnement pour la nuit et a été très surpris de se trouver en face d’une aussi grosse force. Le coup du parlementaire a été raté, mais c’est une ficelle qui va leur servir désormais jusqu’à l’armistice. A chaque accrochage où ils le pourront, ils joueront au drapeau blanc. On a l’impression qu’ils considèrent désormais la partie comme gagnée et qu’ils n’ont plus qu’à cueillir les fruits avec le minimum de mal.
Mon prisonnier est lieutenant dans l’infanterie motocycliste. Il est entré en France par le Luxembourg et venait aujourd’hui de la direction d’Orléans par Ouzouer-le-Marché. Cela confirme donc ma première impression que c’étaient à Binas les mêmes éléments ennemis que ceux qui nous avaient suivi depuis Orgères, le matin, en marchant côte à côte avec nous vers le sud.
Quant à la colonne allemande contre laquelle la compagnie Gaudet engage le combat à 19 heures, elle avait fait prisonnier quelques heures auparavant, le sous-lieutenant du train qui commandait les véhicules du 4e B.C.P.
A la faveur du désordre causé par les obus de Gaudet, il a pu s’évader (il sera refait prisonnier pour de bon cette fois, le 24 juin à Joussé) et nous donne quelques tuyaux intéressants sur la façon dont opèrent les allemands qui marchent de crête en crête, précédés par une avant-garde comportant d’abord deux civils à bicyclette, puis des unités cyclistes, les motos et enfin les voitures. De plus, ils marchent groupés par deux régiments qui assurent à tour de rôle tous les deux jours, le service d’avant-garde, ce qui leur permet d’effectuer avec la moindre fatigue, les fatigantes étapes de leur foudroyante avance.
Il nous apprend de plus, que l’explosion relatée dans le rapport du lieutenant Gaudet est due à un obus d’un des chars qui est tombé en plein sur une voiture tout-terrain de commandement qui avait des bidons d’essence aux places arrière.
Quoiqu’il en soit, j’ai remis le lieutenant allemand entre les mains du commandant Faivre qui me déclare qu’il n’a qu’en faire, que le P.C. se déplace au sud de la Loire et que je n’ai qu’à le garder et à l’emmener moi-même au P.C. du corps d’armée à côté de Montrichard. Je lui réponds que j’ai autre chose à faire, que j’appartiens à un bataillon que je dois rejoindre au plus tôt. Finalement, avec mauvaise grâce, il prend le lieutenant dans une de ses voitures et part avec son P.C. me laissant pour compte mes quatre sous-officiers.
Je rejoins alors le bataillon au Plessis-l’Echelle, où se trouvent les tracteurs et les véhicules. J’y laisse mes prisonniers à la garde de l’adjudant El Kobi puis retourne par Marchenoir au devant des chars dans la forêt. J’y trouve le capitaine Bibes déjà en route vers la Loire, en vertu de l’ordre ci-après qui a été transmis pendant mon absence :
 
ORDRE
Destination : Bracieux
Itinéraire : Binas, La Gahandière, La Colombe, Saint Léonard, Marchenoir, Le Plessis-l’Echelle (prendre les échelons au Plessis), Roche, Villiers, Talay, Mer, Muides, Chambord, Bracieux.
Faire les pleins s’il y a lieu au sud de la Loire.
 
Je repars en sens inverse avec la compagnie Bibes qui arrête au Plessis-l’Echelle. J’y alerte les échelons des compagnies pour qu’ils se tiennent prêts à prendre leurs compagnies au passage .
La compagnie Bibes qui était mélangée avec un convoi d’artillerie, s’est regroupée pendant ce temps et je pars avec elle vers le pont de Mer.
Le chemin se fait lentement, la pluie commence à tomber rendant la nuit très obscure. Les conducteurs sont fatigués par cette journée très dure qui a comporté trois combats, succédant à plusieurs nuit à sommeil très agité. Au bout d’un certain temps mon chauffeur déclare forfait et me dit ne plus pouvoir résister. Je prends le volant mais aurais moi-même une faiblesse dans le village de Mer où croyant mettre en première, je passe en marche arrière et fonce à grands coups d’accélérateur dans la voiture qui me suit, croyant freiner et déraper. Ce n’est qu ‘au prix d’un violent effort que je réalise et reprends ma route. La traversée de Mer n’en finit d’ailleurs pas ; elle est longue et difficile et dans la partie qui va du village au pont, la présence de nombreuses voitures de réfugiés, qui ont été bloqués là, ajoute une difficulté nouvelle. Ils sont en effet nombreux, mal rangés ou pas rangés au bord de la route ; la nuit est noire et la fatigue aidant, nos véhicules marchent également en zigzags, occasionnant de nombreux accrochages.
Enfin vers 3 heures du matin, nous passons le pont.
Au cours de la marche, des tirs intermittents de mitrailleuse nous ont encore donner à penser que les allemands ne sont pas loin et que, comme nous, ils cherchent à atteindre la Loire au plus tôt.
Ce que nous ignorons encore, c’est que ce même jour 17 juin, à neuf heures, après un violent combat, les allemands ont passé la Loire à La Charité, et par surprise à revers, créant ainsi une menace dans le dos du IIIe groupe d’armées dont nous faisons partie. Heureusement leur progression vers l’ouest ne fut pas assez profonde pour devenir réellement désastreuse pour nous, qui échappons ainsi à l’encerclement. Les allemands sont à Dijon.
Le IIe groupe d’armées composée des IIIe Metz, Ve Alsace, VIIIe Jura, est moins heureux que nous, car à la fin de ce jour, l’ennemi a atteint Pontarlier et la frontière suisse. Le IIe G.A. est encerclé.
A l’ouest de nous, en Normandie une double progression profonde amène les allemands d’une part sur la Vire, d’où ils progresseront sur Granville et Fougères, d’autre part, vers le sud, sur Le Mans et Angers.
 

DE LA LOIRE AU CHER 18-19 juin
ET VERS L’INDRE 20 juin.
 
VIII LA RETRAITE DES FLEUVES
 
Mardi 18 juin. La Loire
 
Aussitôt le pont de Mer franchi, non sans mal, je reprends avec la compagnie Bibes, la route de Bracieux. Il fait maintenant un temps épouvantable, la pluie tombe à flots et la nuit devient encore plus sombre. Ayant à ce moment repassé le volant à mon chauffeur Guérin, qui a repris quelques forces, je m’endors à mon tour dans la voiture pendant que nous avançons dans la forêt de Chambord sans que je me rende compte des difficultés de la circulation. Nous arrivons ainsi à Bracieux et la compagnie Bibes se gare sous les arbres au bord de la route qui va vers Mont. Sa mise en place est d’ailleurs délicate car on y voit guère et le bois est plein de gens. Des réfugiés exténués sont couchés à terre et dorment sans abri sous l’averse, n’ayant plus la force de réagir et de continuer. En attendant que le jour se lève, nous restons là. Dès qu’il fait jour, je me rends à Bracieux même pour tâcher de voir où en est le reste du bataillon. Mais alors qu’après la Loire je pensais voir les routes se dégager un peu , je sui littéralement ahuri par le spectacle. Aucun des embouteillages, pourtant sérieux que j’ai vus jusqu’ici ne peut se comparer avec ce que j’ai sous les yeux. Non seulement des civils, mais des troupes et du matériel de toutes armes encombre les routes. Les carrefours dans un désordre inimaginable qui bloque peu à peu complètement toute circulation. Une première file de voitures de toutes sortes, fourragères à plusieurs chevaux, machines agricoles, automobiles, voitures à bras est arrêtée sur le bord de la route par des gens qui n’ont pas eu la force d’aller plus loin. Cette première file est doublée par une file ininterrompue de véhicules civils ou militaires qui doublent et qui, souvent, est doublée elle-même par une troisième file de gens qui veulent aller plus vite encore et qui ne se rendent pas compte qu’ils entraînent le piétinement général. J’essaye d’entrer dans Bracieux même, qui est fixé comme point de rendez-vous du P.C. de la demi-brigade. Mais je suis obligé d’y renoncer et me rends compte que le passage d’un pont qui rétrécit la route accentue encore l’embouteillage et le ralentissement de ce flot hétéroclite. Une aube trempée s’est levée sur ce spectacle, jetant son jour gris sur toute cette humanité épuisée dont la contemplation fait mal. Des femmes, des enfants endormis ou hébétés, ont été pris en charge dans tous les véhicules militaires qui ont un petit espace libre. Il y en a jusque sur les chars ou des chenillettes qui menaient le pain des soldats, leurs conserves, et que l’on sent s’accrocher ainsi à nous parce que nous représentons encore leur seule chance d’avoir quelque chose à manger et de ne pas crever de faim dans un fossé. Mais il y a de tout là dedans et parmi tous ces malheureux, il ne faut pas oublier ceux qui malgré les circonstances, malgré la défaite, malgré l’horreur du spectacle, cherchent et trouvent encore dans cet effroyable désordre, une occasion à aventures et à rigolage. Il nous faut sévir contre certaines passagères trop empressées, car si nous laissons faire quelque peu, malgré la façon dont nous tenons les hommes bien en main, la détente perverse chez ces êtres qui depuis la Seine n’ont eu que peu de repos risque d’avoir les plus graves conséquences. Il faut ajouter que ceux qui combattent vraiment, ne nous donnent pas de souci, c’est comme toujours, ceux qui risquent le moins et n’ont pas le sens aussi guerrier, les secrétaires etc.. qui se tiennent le moins bien.
Et encore ceux-là sont-ils dignes de toute éloge quand on les compare à la tourbe des hommes des services, des dépôts, en cours de repli qui errent à l’aventure, sans cadres et donnant le plus triste spectacle.
Dans cette forêt de Chambord, nous aurons, plus fortement qu’à tout autre moment de la campagne, l’impression non seulement d’une armée, mais d’un peuple en déroute.
 
Chambord 18 juin
 
Finalement, laissant Bibes avec sa compagnie sur la route de Mont, je décide de tenter de remonter le flot pour retourner vers Pont-de-Mer, voir où en est le reste du bataillon et s’il n’y a rien de nouveau.
Comme je le pensais, la route est des plus difficile, les véhicules de toute sorte se présentant le plus souvent sur trois files.
En route je croise des chars du bataillon, des tracteurs, des camions, pris dans cette masse mouvante et avançant peu à peu. Je leur dis de s’approcher le plus près possible de Bracieux et d’y attendre les évènements et des ordres. Enfin, après plus de deux heures d’efforts, j’ai réussi à faire les 15 kilomètres qui me séparaient de la Loire et à arriver vers Muides. Là je trouve la compagnie Gaudet qui était la dernière à passer. Il a pu la regrouper tant bien que mal. Deux chars sont tombés en panne avant de passer le pont. Leurs équipages sont avec eux. A ce moment les automitrailleuses allemandes approchent de la Loire, le commandant du pont insiste pour qu’on le fasse sauter au plus tôt. Le sous-lieutenant Gravelin, officier de renseignement du bataillon, volontaire avec quelques motocyclistes, repasse le pont, se porte aux chars, donne l’ordre aux chefs de bord de faire sauter les appareils, charge les équipages dans ses sides et sur ses port-bagages et revient au pont accompagné par le tir des autos allemandes.
Tous nos éléments sont alors au sud de la Loire et le pont s’écroule dans le fleuve.
Comme lors du passage de la Seine, nous avions encore l’espoir de trouver une position défensive installée au sud de la Loire.
Là encore notre attente est déçue et en abordant la Sologne nous n’avons trouvé que cette horde sans nom qui bouche toutes les routes, empêche tout mouvement.
Cette fois nous comprenons vraiment que tout est définitivement perdu, que nous ne combattons plus et ne nous battrons plus désormais au cours de notre marche vers le sud, que pour sauver l’honneur compromis par les revers, mais aussi par la fuite et l’abandon d’un si grand nombre, témoin ce sous-lieutenant du génie qui aussitôt après avoir fait sauter le pont de Mer, abandonne son détachement, monte de force dans la voiture de Gaudet sous prétexte qu’il veut partir au plus vite vers le sud. Sorti assez brutalement de la voiture, il veut encore monter sur une de nos motos et Gaudet est obligé d’interdire à nos hommes de le prendre. Puisse le rapport fait par le bataillon après l’armistice porter ses fruits, et pourtant, si nombreux seront ceux qui échapperont à la sanction de leurs fautes.
Aussitôt après avoir franchi le pont de Mer, un renseignement nous arrive, disant que le pont de Blois n’a pas sauté, que celui de Beaugency a mal sauté et que l’on peut craindre des infiltrations des deux côtés.
En conséquence, le lieutenant-colonel donne l’ordre d’envoyer une section au pont de Beaugency (sur la Loire, 24 km sud-ouest d’Orléans).
Mais il faut pourtant se rendre compte que cet ordre est, sinon inexécutable, au moins inopérant. Que feront en effet trois chars, aux équipages exténués, essayant seuls , de faire cette route vers Beaugency au milieu de la pagaille qui y règne ; combien de temps mettront-ils à gagner Beaugency. Si les allemands y ont déjà passé, ils arriveront trop tard et ne pourront guère que se faire prendre. Comment seront-ils ravitaillés, les tracteurs étant un peu partout sur la route de Bracieux. Finalement ce projet est abandonné et tout le monde prend la route de Bracieux au ralenti.
A Bracieux, nous avons fini par réussir à entrer dans le village et ayant ouvert une maison, y avons installé notre P.C.. Puis après avoir pris contact avec la demi-brigade qui est dans la partie sud du bourg, nous avons fait l’ordre de stationnement ci-après :
 
P.C. 18 juin 1940 11 heures
 
Au reçu du présent ordre les unités feront reconnaître Bracieux pour l’occuper et en assurer la défense avec tous leurs éléments.
Mission des compagnies : tenir les issues et garder une unité de manœuvre.
Répartition des missions :
Compagnie Gaudet : Partie nord du village à l’est de la route de Chambord.
Compagnie Ghislain : Partie nord du village à l’ouest de la route de Chambord
Compagnie Bibes : Partie sud du village et éléments de manœuvre
P.C. du bataillon : angle de la route principale et de la route de Neuvy.
P.C. de la demi-brigade : sortie sud de Bracieux (maison au coude de la route).
La section de D.C.A. est en position au sud-ouest de Bracieux.
Mouvements à exécuter par compagnie dans l’après-midi et à faire suivre d’un C.R. d’installation.
 
Signé : Laude
 
Cet ordre une fois donné, je retourne voir si la situation s‘améliore, mais il n’en est pas question. Le flot continue à déferler, sans ordres, sans directives et Drapied qui a pris l’initiative de régler tant bien que mal la circulation s’installe au carrefour de l’entrée de Bracieux, où il reste plusieurs heures à faire la police.
A un moment donné, où je suis avec lui, trois avions allemands surgissent à toute allure d’au dessus les arbres de la forêt, puis piquent sur le village jusqu‘à raser les toits. J’attends les détonations mais rien ne vient ; ils se sont simplement amusés à un petit carrousel. Je pense qu’il en viendra d’autres, d’autant que la pluie à commencé à faire place au soleil, mais mon attente sera heureusement déçue.
De plus en plus, on a l’impression qu’ils nous ménagent. Heureusement, mais est-il besoin de répéter une fois de plus, quel carnage serait un bombardement dans de pareilles circonstances.
Ce qui est certain également, c’est que, si ayant passé le pont ils venaient nous ennuyer, nous serions absolument impuissants, dans l’impossibilité où nous sommes de rassembler les compagnies.
Nous serions réduit au combat individuel de chaque char, au milieu des civils et des militaires (ou supposés tels) de tout acabit, mais à peu près tous sans armes. Il est vrai que dans ce cas, le fritz aurait lui-même le plus grand mal à faire quelque chose de cohérent, en dehors de créer la panique. Il pourrait toutefois, ce que nous avons vu avant le pont, assassiner nos gens à bout portant, en se cachant dans les convois de réfugiés, voire même en s’y dissimulant en civil.
Si ces convois ont pu gêner les mouvements, ils ont souvent facilité l’assassinat : la cinquième colonne n’y est sans doute pas étrangère.
Toujours est-il que l’ordre ci-dessus ne commence à pouvoir à pouvoir être exécuté que vers 18 heures . Et à ce moment là il sera modifié, car, craignant des infiltrations allemandes entre la forêt de Russy et la forêt de Boulogne, le commandement nous fera déplacer dans la soirée, la compagnie Ghislain à Mont, pour former bouchon, et les deux autres compagnies se répartiront la garde de Bracieux.
Les avancées de notre point d’appui sont gardées :
Par le 2e Dragons Portés vers Dhuizon,
Par le 4e B.C.P. vers Neuvy.
Enfin vers 21 heures, tout est à peu près en place et je pense reposer un peu ; mais à ce moment, l’ordre de départ arrive. Il faut donc rédiger l’ordre au bataillon, donner toutes les instructions. Ce n’est pas encore cette nuit qu’on se reposera.
A minuit 45, je termine l’ordre suivant :
 
19 juin 0H45
 
Ordre d’opération pour la nuit du 18 au 19 juin (annule tous les ordres précédents).
I.
En raison de la prise de contact allemande sur tout le front entre Beaucenay et Neung-sur-Bevron, et de la possibilité d’infiltrations ennemies dans la forêt de Boulogne , la 6e demi-brigade portera son gros dans la région Cour Cheverny – Cheverny, en situation de barrer les routes Bracieux – Cour Cheverny et de s’opposer à tout débouché ennemi de la forêt de Boulogne en direction du sud.
II.
Dispositif à réaliser pour 5 heures du matin :
Bataillon 46/47 et 4e B.C.P., point d’appui de Cour Cheverny
III.
Le décrochage se fera dans l’ordre suivant :
Bataillon du 2e R.D.P. à partir de 2 h 30,
4e B.C.P. à partir de 3 h 15 de Neuvy,
Bataillon 46/47 à partir du passage du 4e B.C.P. vers 3 h 45.
Ordre de décrochage :
Compagnie Bibes,
Echelon de la compagnie Ghislain,
Compagnie Gaudet
Le bouchon de Mont (Compagnie Ghislain) sera relevé, au point du jour, par un élément du groupement Simonin et regagnera directement Cour Cheverny, le long de la voie ferrée.
Pendant le décrochage, veiller particulièrement à l’ennemi s’infiltrant dans le bois de Boulogne.
P.C. de la demi-brigade : Cheverny Ecole,
P.C. du bataillon : Cour Cheverny (fixé ultérieurement).
IV.
Missions des unités en fin de mouvement.
Compagnie Bibes aux lisières nord et nord-est.
1°) Interdire la route Bracieux – Cour Cheverny et abords.
2°) Etre en mesure de contre-attaquer de part et d’autre de la route les engins ennemis débouchant des lisières sud-ouest de la forêt de Boulogne.
Compagnie Gaudet aux lisières nord-ouest.
Interdire la route de Blois.
Compagnie Ghislain après décrochage, aux lisières sud-ouest de Cour Cheverny en liaison avec une unité du bataillon 2/24 :
Barrer la route de Romorantin.
Unités, sauf la compagnie Ghislain, prêtes à partir à 3 h30. Départ sur ordre du chef de bataillon.
 
Signé : Laude
 
Des éléments ennemis sont signalés à Romorantin.
L’ordre ci-dessus est envoyé à tout le monde. Par motocycliste, la compagnie Ghislain me rend compte que le terrain aux environs de la voie ferrée, que je lui ai fixé comme axe de repli, est mou et qu’il craint d’y enliser des chars. Je l’autorise donc à gagner Cheverny en faisant un crochet par la forêt de Russy.
Les derniers renseignements concernant l’ennemi dans notre région nous étaient arrivés dans la soirée et avaient été transmis aux unités par la note ci-dessous :
 
18.6.1940 20h30
 
Renseignements.
 
- Le R.D.P. de Dhuizon rend compte que des automitrailleuses ennemies ont été vues à la Ferté-Saint-Cyr, Bonneville, Montrieux.
- Un poste de surveillance installé à Montrieux a été enlevé.
- Une section de chars R 35 est portée en appui du 4e B.C.P. à Heuvy.
- Transmis à titre de renseignement ; prendre toutes mesures de sécurité immédiate.
Signé Petit
 
Les mesures de sécurité avaient été renforcées en conséquence mais aucun incident nouveau ne s’était produit et le 4e bataillon de chasseurs ayant décroché à l’heure prescrite, le mouvement du bataillon peut se faire à l’horaire.
A 3h45, nous prenions la route de Cour Cheverny où, après un arrêt de la matinée nous allions poursuivre notre route sur le Cher.
 
Mercredi 19 juin Le Cher
 
Si le départ s’était effectué normalement, il n’en est pas de même de la route, toujours très embouteillée et par ailleurs assez étroite. On avance très lentement, on arrête fréquemment et après avoir traversé Tour-en-Sologne, c’est avec plus de deux heures de retard, que nous occupons nos emplacements.
Cour Cheverny n’est lui-même pas trop encombré. Nous installons notre P.C. au rez-de-chaussée d’une maison encore habitée, comme beaucoup d’autres du village.
Les unités occupent les emplacements prévus par les ordres mais à 10h45, en raison de renseignements qui viennent de nous parvenir, j’envoie l’ordre ci-après qui modifie les missions :
 
P.C. 19.6.1940 10h45
 
Renseignements
 
Un groupe de reconnaissance axé sur la route Cheverny – Romorantin a rencontré des éléments ennemis.
La compagnie Bibes se porte sur cette route prête à intervenir.
Les compagnies Gaudet et Ghislain, sans changer leur dispositif actuel, se tiendront prêtes à renforcer la compagnie Bibes au premier signal.
Signé : Laude
 
Le mouvement de la compagnie Bibes s’est effectué sans incidents. Quelques instants plus tard, on vient rendre compte au lieutenant-colonel Sudre qu’un détachement allemand s’est présenté sur cette route, muni d’u drapeau blanc, à un poste du bataillon 2/24, a cherché à parlementer et à nous faire croire à une suspension d’armes.
Le lieutenant-colonel a fait répondre au détachement du 2/24, qu’aucun ordre n’existait dans ce sens et qu’il n’avaient qu’à tirer sur tout allemand qui se présenterait muni ou non du drapeau blanc.
Les allemands n’ont pas insisté et se sont retirés un peu plus loin.
Partout, depuis le 17, ils essaient ce système pour essayer d’avancer au moindre prix, maintenant qu’ils tiennent le succès.
Puis le bruit commence à courir d’un nouveau repli de nos troupes et en effet, vers onze heures arrive l’ordre de départ. Nous sommes en train de déjeuner et interrompons le repas pour donner l’ordre ci-après :
 
19 juin 1940
 
Ordre de mouvement
 
1°. La division se porte dans la région Sambien, Contres, Thésée, Pont-le-Roy.
2°. 6e demi-brigade : Choussy
Couverture des passages par des bouchons de chars :
a) Le Clouseau
b) Couddes
c) Saint-Romain
Ces bouchons réalisés par le bataillon 2/24.
3°. La mission du 46/47 sera donnée à l’arrivée à Choussy.
Se couvrir face à l’est pendant le mouvement.
4°. Ordre de marche :
4e B.C.P., 2/24, 46/47 la compagnie Bibes décrochant la dernière.
5°. Ordre de marche du bataillon.
Compagnie Ghislain, compagnie Ghislain, compagnie Bibes.
Les compagnies emmèneront leurs échelons, l’échelon de la compagnie Bibes partant derrière la compagnie Gaudet.
Serre-file général : lieutenant Raynaud.
La compagnie Ghislain enverra immédiatement les motos demandées.
P.C. de la demi-brigade : Choussy.
P.C. de la 4e D.C.R.. : Pont-le-Roy.
Base arrière : région de Liguail.
P.C. 46/47 : sera fixé ultérieurement.
Le mouvement commencera après le passage du 4
e B.C.P. sur l’ordre du chef de bataillon.
Préparer la formation des colonnes et se tenir prêt à partir.
 
Nous achevons de déjeuner, lorsque le bruit se répand dans la ville que les allemands s’approchent de tout près vers le nord. La population est aussitôt affolée ; nous apprêtons nous-mêmes à nous accrocher, mais nous ne voyons rien venir ? Nous procédons en toute tranquillité à la formation des colonnes pour le départ, et ne voyons pas l’ombre d’un allemand. C’était un faux bruit à l’origine duquel se trouvait un gendarme. Il est dommage que nous n’ayons pas eu le loisir de remettre la main sur lui.
D’ailleurs à ce moment là, les allemands qui avaient passé la Loire à Beaugency et à Orléans, avaient poussé très loin au sud, vers Romorantin et Loches-sur-Cher, à Blois il n’en était nullement de même.
Le groupement Simonin, qui protégeait la retraite de la division, avait encore à ce moment là, la compagnie réduite à 4 chars D 2 du lieutenant Boudard, du 19e bataillon en face de Blois.
Elle y avait été envoyée à minuit et devait y rester jusqu’au lendemain vers midi. Il ne franchit le Cher que 24 heures après nous. C’était donc vers le sud et non vers le nord que nous risquions d’être accrochés par l’ennemi, si paradoxal que cela puisse paraître.
Mais la situation de ce groupe d’armées, le 3e, dans la boucle de la Loire, n’était-elle pas également paradoxale. Par sa gauche, il défend le passage de la Loire avec succès à Saumur et à Tours. Par sa droite il tient encore par la VII e armée en avant du Cher. Mais le centre est enfoncé vers Romorantin et Selles-sur-Cher. Cette VIIe armée est donc menacée d’enveloppement sur ses deux ailes, puisqu’à sa droite les allemands qui ont franchi la Loire vers Nevers avancent sur Bourges.
C’est cette situation qui amènera dans la soirée l’ordre de repli général au sud du Cher.
 
Toujours est-il que vers 13 heures, l’ordre de départ étant arrivé, nous nous mettons en route par l’itinéraire Cheverny, Contres, Oisly, Choussy.
C’est toujours la même cavalcade en plein jour, au mépris de toutes les règles sur les précautions anti-aériennes, mais nous n’y faisons même plus attention ; on est habitué.
A Choussy, village minuscule qui a été fixé comme destination pour toute la demi-brigade, c’est l’habituel embouteillage par cette masse de matériel réunie en un seul point. La durée de notre stationnement n’est pas connue, mais ayant quitté Chartres, l’avant-veille, nous finissons par croire que nous allons marquer là un temps d’arrêt.
Il est seize heures quand nous y arrivons, et nous cherchons à caser tout le monde de notre mieux, dissimulant chars et véhicules dans toute la mesure du possible.
Gaudet est allé se baigner à la rivière. Son popotier a trouvé une ferme où on lui prépare des poulets. Mais à 18 heures, alerte, on repart.
L’ordre de repli général nous a en effet touché et c’est le départ immédiat pour Montrésor.
 
P.C. 19.6.1940 19 heures
 
Ordre de mouvement
 
1°. La division se portera pour la nuit au sud du Cher :
Genille, Le Liège, Orbigny, Ceré, Chemillé, dans un dispositif lui permettant de faire face au nord et à l’est.
2°. 6e demi-brigade : Orbigny, Beaumont-village, Montrésor, face à l’est.
3°. Axe de marche 46/47 : Monthon-sur-Cher, Vineuil, Pont de Montrichard, Orbigny, Montrésor.
4°. En raison d’éléments ennemis opérant dans la zone Selles – Valencay, la garde du dispositif devra être très vigilante.
5°. Stationnement
46/47 : Montrésor,
P.C. : Montrésor,
6e demi-brigade P.C. : Beaumont-village,
4e D.C.R. : Château-Rassay
Base arrière : Ligueil. Se déplacera vraisemblablement le 20 juin après-midi.
6°. Exécution immédiate.
Ordre de marche : Compagnie Gaudet, compagnie Ghislain, compagnie Bibes.
Mêmes dispositions générales que ce matin.
 
La compagnie Bibes, que nous avions réussi à caser à la Gitonnière, un peu au nord de Choussy pour décongestionner le village, fut alertée immédiatement et bientôt le bataillon se remettait en route, malgré l’épuisement des pilotes qui ne quittaient plus leurs chars, couchaient dedans et conduisaient presque nuit et jour.
Je pris les devants avec un détachement de jalonneurs car la route paraissait difficile à faire de nuit.
A l’entrée de Montrichard, je trouve un lieutenant de cavalerie qui est en train de barrer la route avec des tonneaux Je lui dis qu’il est inutile de continuer son travail, puisque toute la 4e division ne va pas tarder à arriver et à défiler sur cette route. Il s’énerve, ne veut pas me croire, et je repars en lui disant qu’il fasse comme il veut, et qu’il s’adresse au lieutenant-colonel Sudre quand celui-ci arrivera .
Dans Montrichard, je passe devant les caves que leur propriétaire nous avait fait visiter il y a quelques années. Il s’agit de bien autre chose aujourd’hui : Il est lui-même lieutenant au 1er bataillon de chars et je me demande où il est en ce moment.
En arrivant près du pont, sur une place, un amas de ferrailles tordues, c’est un parc auto qui se trouvait là et a été bombardé dur par l’aviation allemande. Il y a là une quantité considérable de voitures démolies ou brûlées.
Je passe enfin sur le pont, que le génie s’emploie activement à miner. Des canons sont braqués à l’autre extrémité.
Quelques civils assistent curieusement à ces préparatifs qui leur promettent des émotions variées pour dans quelques heures.
Un bataillon de zouaves monte vers le pont, pour en assurer la défense ! C’est la première fois que je vois un pont défendu, mais leur aspect extérieur me fait douter de la valeur de cette défense ! Peut-être est-ce un jugement téméraire ; je ne sais pas ce qui s’est passé là.
Le reste de la route s’opère sans incidents malgré la nuit sombre et les difficultés habituelles. Vers minuit ,tout le monde est à Montrésor.
Le commandant qui nous a dépassé en route, a installé le P.C. au château, préparé la répartition des compagnies dans le village par l’ordre ci-après.
 
Montrésor 23h15
 

Ordre pour l’installation

I. Compagnie Gaudet : Région est.
Tenir les directions est, Villeloin, Houans.
II. Compagnie Ghislain : Région nord.
Tenir la direction nord.
III. Compagnie Bibes : Elément de manœuvre.
Direction dangereuses : 1° est, 2° nord.
S’installer région ouest.
Reconnaître les itinéraires (assez compliqués) pour se porter dans les directions dangereuses rapidement – priorité est.
IV. P.C. du bataillon : château.
V. Etablir une situation succinte de fin de mouvement et l’adresser à l’arrivée au P.C. du bataillon.
Préciser l’emplacement du P.C. des compagnies.
VI. Etablir des liaisons solides dans les unités.
VII. On s’est battu ce soir à Saint-Aignan.
L’ennemi occuperait Saint-Romain
                                                             Signé Petit

Le château est une véritable caserne. Les lits y sont très nombreux et l’absence de draps ne nous empêche pas d’y goûter quelques heures de repos bien accueillies.
 
Château de Montrésor
20 juin
 

De Montrésor à L’Indre 20 juin et à la Claise 21 juin
 
Jeudi 20 juin L’Indre
 
Après quelques heures de bon sommeil, je fais vers 7 heures, le tour des compagnies et puis me rend compte que tous sont vraiment épuisés. Les gens dorment, comme des brutes, près des chars ou dedans, et malgré l’incertain de la situation, les gardes mal assurées et les ravitaillements en essence pas encore faits.
Je rentre au château, réveille les officiers de l’état-major du bataillon et les fais passer dans les compagnies pour actionner tout le monde.
Dans le cours de la matinée on arrive à tout remettre sur pied et nous disposons de quelques heures de détente dans le jardin du château ; des remparts on a une très belle vue sur les environs. Un avion allemand vient très bas se promener autour du château, à notre hauteur, mais ne manifeste nulle hostilité.
Nous faisons un excellent déjeuner dans la grande cuisine des sous-sols du château.
La propriétaire, une étrangère très âgée se promène dans le jardin, en nous bénissant et nous prodiguant des signes de croix sur le front. Elle s’appelle la comtesse Bocnicka, et se déclare décidée à attendre les allemands, étant trop vieille pour quitter son chez elle. Elle a mis son château à disposition d’abord du ministère des colonies, puis à la notre et elle habite les communs.
Nous commençons à goûter pleinement le calme et le confort de cette demeure hospitalière mais à 15 heures, nous transmettons aux compagnies l'ordre ci-après :
 
Montrésor 15 heures
 
Ordre d'alerte
 I. La D.I. qui se trouve devant nous se replie.
II. En c
onséquence se tenir prêts à toute éventualité et en particulier prendre toutes dispositions de combat, les équipages à leur poste.
III. E
xécuter le présent ordre avec calme et une certaine discrétion
 
Signé : Petit
 
Nous attendons les événements et à 17h15 arrive de la demi-brigade l'ordre ci-après :
 
6e demi-brigade de chars P.C. 20-6-40 17h15
 
Ordre particulier au 46/47
 
Les véhicules sur roues et tous impedimenta de notre bataillon se replieront dès maintenant.
Point de 1ère destination : Verneuil
Signé Sudre
 
L'ordre ci-après est en conséquence immédiatement envoyé aux compagnies :
 
Ordre particulier
 
I.Les véhicules sur roues et tous les impedimenta à désigner par les commandants d'unités se replieront dès maintenant.
II. Point de 1ère destination : Verneuil
III. Point initial :
500 m ouest du pont de Montrésor sur la N.760
IV. Ordre de marche
Compagnie Bibes
Compagnie Ghislain
Compagnie Gaudet
Commandant de la colonne : lieutenant Maillet
Exécution immédiate
Signé : petit
 
La colonne des impedimenta et véhicules est formée aussitôt, quoique avec quelques difficultés en raison de la configuration de Montrésor et aussitôt prête elle est mise en route sans tarder pour permettre le départ des chars, pour lesquels viennent de parvenir les ordres ci-après :
 
Bataillon 46/47 P.C. 20-6-40
 
Ordre de mouvement
 
1°/ La 4e D.C.r. se porte dans la région Betz-le-Château – Saint-Flovier, le Petit-Pressigny avec mission de s'opposer à tout débouché ennemi de la région de Châtillon et de Saint-Hyppolite.
2°/ Mission de la 6e demi-brigade :
Pouvoir déboucher en direction de Châtillon et pouvoir par son dispositif arrêter toute menace d'enveloppement débouchant de Châtillon-sur-Indre, lequel, en principe, doit être tenu ce soir par un C.A. voisin.
3°/ Itinéraire
N.760, Sennevière, Saint-Germain, Pont-de-Saint-Germain, Verneuil-s-J., Saint-Flovier.
4°/ Point d'appui de Saint-Flovier
Bataillon 46/47, une compagnie du 4e B.C.P., une section de 47
Commandant du point d'appui : commandant du 46/47
5°/ Exécution du mouvement
Après le passage du bataillon 2/24.
Ordre de marche :
Compagnie Bibes, compagnie Ghislain, compagnie Gaudet.
P.C. 6e demi-brigade : Saint-Flovier
P.C. D.C.R. : Betz-le-Château.
Former immédiatement la colonne.
Pleins des chars faits immédiatement à l'arrêt. Une citerne marche avec la colonne.
Signé : Petit
 
Aussitôt ce dernier ordre donné, je pars en avant de la colonne de chars avec un ordre du commandant de reconnaître le point d'appui de Saint-Flovier, d'en faire la répartition entre les différents éléments de façon à ce que chacun en arrivant en pleine nuit, puisse recevoir son emplacement et sa mission.
Je rattrape très vite la colonne des échelons parie depuis peu et je la double pendant toute la partie du parcours comprise entre Montrésor et la route de Verneuil. Malgré l'importance de la colonne, la route n'est pas difficile et tout se passe bien. Dans le tournant avant La-Charteuse-du-Liget, un tracteur a continué tout droit et s'est enlisé dans une position délicate, le nez à l'étang. Je ne m'en préoccupe pas, désireux de gagner du temps et d'avoir le plus de temps possible devant moi pour faire la reconnaissance de Saint-Flovier.
Mais à partir du carrefour dit La-Pyramide-des-Chartreux, je me trouve pris dans une colonne composée d'éléments mélangés de notre artillerie et du 4e B.C.P.
De la sortie de la forêt de Loches, par Sennevieres jusqu'à l'Indre, sur cette route étroite, je suis coincé dans cette colonne qui me retarde considérablement. De plus, la route n'y est pas goudronnée et toutes ces voitures se suivant à quelques mètres soulèvent une poussière opaque qui colle aux vitres, rentre dans les voitures et nous couvrant de poudre blanche, gêne en même temps notre visibilité et nous ralentit.
Je traverse enfin Saint-Germain puis oblique à droite pour gagner le Pont-de-Saint-Jean.
La colonne marquant un temps d'arrêt, je descends de voiture et vais jusqu'au croisement de la route de Loches à châteauroux.
C'est exactement l'endroit où, au mois de janvier, j'ai passé les derniers jours de ma permission en Touraine. J'y étais venu après un déjeuner à Loches, avec Linarès, Loïs et Suzanne Caron.
Celui qui m'eut dit, ce jour-là que cinq mois après je m'y retrouverai en pleine bagarre, m'eut bien surpris et j'aurais été tenté e le traiter de fou. Toujours est-il qu'il en est pourtant bien ainsi. Je retrouve le même décor, cette vallée de l'Indre où je suis passé si souvent et où j'ai si souvent tiré des bécassines et passé de bons moments. Mais il s'agit bien de bécassines aujourd'hui. Si le décor est le même, les acteurs ont bien changé. CE ne sont plus des fusils de chasse qui surveillent cette plaine coupée de roseaux, mais au carrefour je trouve le commandant Bertrand du 4e B.C.P. qui s'inquiète du passage de ses unités.
L'endroit lui-même est gardé par des tirailleurs qui occupent les environs du pont. Des canons de 47 antichars, des groupes de mitrailleuses sont en batterie. Il y règne une atmosphère d'avant la bataille qui contraste étrangement avec le calme de la campagne que j'avais quitté un jour de janvier, le 10. ; j'ai une pensée pour mes amis tourangeaux si proches et pourtant si loin, dont je ne peux rien savoir et qui doivent vivre en ce moment des heures dramatiques auxquelles ils étaient bien loin de s'attendre, même très peu de jours auparavant.
Mais je n'ai guère le tempos de m'appesantir sur mes réflexions ; la colonne se remet en mouvement. J'en profite pour doubler sur la grand route et je pousse vers Verneuil. De Vern,euil à Saint-Flovier la route est excellente et pas encombrée. J'arrive donc et la 402, toujours magistralement conduite par le fidèle Guérin, bat certainement un record de vitesse jusqu'à destination.
A Saint-Flovier, je trouve un village encore plein d'habitants. A partir d'ici, surpris par la rapidité des évènements, les gens n'ont pas eu le temps de fuir et nous ne verrons plus de villages désertés, ni d'exodes en masse sur les routes.
Par contre le village est plein d'un dépôt d'artillerie qui se replie. Les hommes, à cette heure tardive, remplissent les cafés, se baladent débraillés dans les rues et donnent un assez lamentable spectacle. Mais je n'ai pas de temps à faire la police. Je charge de Thoisy de faire le cantonnement de son mieux, de trouver des P.C. et avec Drapied nous faisons la reconnaissance des alentours, voyant chaque issue, étudiant la possibilité de placer les chars en fonction des missions possibles qui peuvent leur incomber. Je dois constater que le terrain environnant ne se prête guère aux actions des chars et qu'en plus, il offre un certain danger car les vues sont restreintes et les surprises possibles dans toutes les directions.
Au château situé dans l'angle des routes de Ligueil et de Preuilly-sur-Claise se trouve un groupe d'artillerie de 155 hippo.
Je vais voir le commandant du groupe pour prendre liaison avec lui et le prévenir que dans la nuit, des chars lourds vont venir prendre position. Il me reçoit très bien et m'avoue qu'il ne sait trop ce qu'il fait là ; que depuis plusieurs jours il se replie, se présentant à différentes divisions qui toutes ne savent que faire de lui, refusant de lui donner des ordres. Alors il suit son inspiration et compte reprendre la route au jour.
A la tombée de la nuit, j'ai pu faire la reconnaissance en entier et dans le P.C. reconnu par Thoisy chez un médecin, je prépare l'ordre de stationnement que je pourrai remettre aux compagnies au fur et à mesure de leur arrivée.
Tout se passe bien et à deux heures du matin tout le monde est en place, chacun axé vers les directions dangereuses. Mais les équipages sont vraiment épuisés. Ils dorment par terre au pied de leurs chars ou de leurs tracteurs et lorsqu'on veut donner des ordres à l'un on a toutes les peines du monde à le réveiller.
Je fais une ronde dans toutes les compagnies. Vers deux heures du matin, je trouve les officiers de la compagnie Gaudet en train de faire un petit souper chez deux paysans qui les ont accueillis et je suis trop heureux de me joindre à eux pour déguster le fromage de chèvre et le vin de pays qui me rappellent avec mélancolie les casse-croûtes si souvent faits lors de mes paries de chasse dans la région.
Il m'a fallu dans l'intervalle mettre en place la compagnie de chasseurs à pied et la section de 47 antichars qui renforcent notre point d'appui. Il m'a fallu également régler un incident causé par deux alsaciens de la compagnie Bibes excités par l'épuisement et peut-être par la soif. Aussi est-il tard dans la nuit lorsque je peux regagner le P.C. et m'étendre un peu sur le divan du bureau du médecin de l'endroit. Toute la nuit passent sans arrêt des éléments de la division ce qui nous donne malgré tout un sommeil haché et agité, des officiers ou gradés venant sans arrêt demander des renseignements au P.C.
 
3ème partie. 21 juin – 1er septembre
 
Vendredi 21 juin Saint-Flovier et la Claize
 
Le réveil est aussi tôt que le sommeil a été tardif.
Dès le jour, il faut vérifier que les dispositions prises en pleine nuit, rectifier des erreurs, s'assurer du ravitaillement.
Puis, lorsque tout est en place, nous jouissons de quelques instants de tranquillité. Mais ils sont de courte durée et non exempts d'inquiétude.
On sent dans l'air que l'atmosphère n'est pas sereine. On sent placer une menace. Vers midi, alors que nous allons nous mettre à table, arrive l'ordre de nous préparer à un prochain départ.
Tout le monde est aussitôt en alerte, mais l'ordre d'exécution n'arrive pas et nous passerons toute la journée à Saint-Flovier.
Au cours de l'après-midi que nous passons presque entièrement sur la place de l'église où se trouve le P.C. du colonel Sudre, règne une grande animation. Sans cesse arrivent des liaisons de différentes unités ou de l'état-major de la division. On entend le canon vers la vallée de l'Indre ainsi que de temps en temps le bruit des mitrailleuses. Les bruits les plus contradictoires courent au sujet de Châtillon-sur-Indre que l'on nous donne, tantôt comme en notre possession, tantôt en celle des allemands. Flère-la-Rivière a été paraît-il attaqué à trois reprises par les allemands, mais les tirailleurs y sont encore. Les bruits sont si contradictoires qu'à un moment donné on prépare un tir sue le château de Bridoré qui serait pris, puis, au moment de le déclencher on apprend qu'un bataillon de tirailleurs y est encore.
Le général de la Font arrive avec sa Panhard, puis part en direction de Châtillon-sur-Indre sans autre escorte que deux side-cars armés. Puis il repasse s'entretenir avec le lieutenant-colonel et rentre à Ret..-Château où est son P.C.
On nous dit que l'infanterie se replie et que nous allons protéger son repli.
Les habitants se tiennent près de nous, discutent et nous sentons, une fois de plus, ce qu'ils nous ont souvent laissé entendre et même dit parfois sans fard : ils ont hâte de nous voir partir, même au prix de l'arrivée des allemands, car notre départ sera le gage de leur tranquillité et ils ne risqueront pas leur précieuse peau.
Deux jeunes filles me demandent : mais qu'est-ce que vous attendez pour partir ?
J'ai rencontré parmi les gens du village, des gens de Tours réfugiés ici, dont une ancienne marchande de disques et son mari aveugle.
A partir de 17 heures, les bruits de combat se font plus fréquents et on nous signale des allemands s'infiltrant en tous terrains, principalement en direction de Verneuil et de Flère la Rivière.
A 19 heures, pendant que nous dînons, arrivent les ordres de départ. Le lieutenant-colonel nous réunit à la mairie pour les communiquer. Le départ est fixé à 21 heures.
Au moment où nous sortons de la mairie, des rafales de mitrailleuses se déchaînent et les feuilles des arbres volent avec les branches cassées au dessus de nous. Les chars répliquent, le canon se met de la partie.
C'est la compagnie Gaudet qui se trouve aux prises avec une colonne allemande.
Le compte rendu détaillé de l'engagement de cette compagnie figure à l'annexe insérée plus haut.
Les chars de cette compagnie portent les traces de plusieurs impacts d'obus témoignant de la vivacité de la lutte. Le char LUNEVILLE du sous-lieutenant Moine a sa tourelle coincée par un obus.
Le bataillon, sous la protection de la compagnie Gaudet qui fait subir à l'ennemi des pertes sensibles – deux automitrailleuses au moins brûlent en avant de nous –, commence son décrochage. Puis la compagnie Gaudet décroche à son tour sans pertes, suivie au plus près par les allemands. Un motocycliste allemand, tirant à la mitraillette est vu en effet au coin d'une maison lorsque le dernier char sort du village.
Au cours de la marche, le bataillon perdra deux chars :
Le MARECHAL DES LOGIS DUMONTIER du lieutenant Becquet avec son barbotin éclaté est sauté sur place.
Le POITOU du sous-lieutenant Adde ne peut plus suivre ; il est à bout d'usure et on le fait également sauter en cours de route.
Notre nouvelle destination est Martizay sur la Claize.
Je prends les devants et vais d’abord à Preuilly sur Claize où les échelons ont été envoyés dans l’après-midi. Je leur indique la destination et gagne moi-même Martizay préparer l’installation. Je me présente à la mairie où je trouve un adjoint au maire très complaisant, à qui je demande, car il fait nuit, quelques tuyaux sur la configuration du pays et il m’accompagne dans la reconnaissance de que j’en fais sommairement.
Le bataillon n’est pas facile à installer car l’ordre, établi d’après la carte donne au bataillon 2/24 la garde de la partie nord du village et au bataillon 46/47 la partie sud.
Or cette partie sud, n’est qu’un hameau de quelques maisons qui sont au surplus envahies par un bataillon de tirailleurs sénégalais. Il y en a partout, dans les cours, sous les auvents et même dans les fossés et sur les bas-côtés de la route. On est obligé avec les chars et véhicules de faire très attention de les réveiller et de les faire lever pour ne pas les écraser. Pour caser le bataillon, je ne peut faire mieux que de donner à chaque compagnie l’une des routes qui sortent de Martizay en éventail et de laisser chacun se caser comme il pourra.
Vers une heure du matin, les échelons étant arrivés, puis les chars, tout le monde est en place et le départ des Sénégalais, que l’on vient charger en camion, nous permettra de nous étendre un peu. Les chars ne peuvent d’ailleurs sortir des routes car le terrain est mou et rappelle que nous sommes en bordure des étangs de la Brenne. J’ai encore ici un souvenir vers les chasses passées, car nous nous trouvons à moins de 10 km des étangs du Gabrion et de la Gabrière où je suis venu autrefois chasser les bécassines, les canards et les judelles.
Encore une fois, tout cela semble bien loin, et le présent bien triste, alors que c’est notre tour d’être presque pourchassé comme un gibier traqué depuis tant et tant de kilomètres, malgré que nos gens fassent si courageusement tête à l’ennemi chaque fois que l’accrochage se produit.
Quels découragements aussi, d’avoir presque depuis le début cette impression que nous sommes seuls ; de n’avoir jamais vu d’autres troupes se battant à nos côtés. Celles que nous avons vues, hélas, donnaient une toute autre impression est mieux eut valu pour le moral des nôtres ne pas être en contact avec elles. Cela ne diminue certes pas leur cran, qui ne s’est jamais démenti, mais l’effet n’en n’est pas moins déplorable.
La compagnie Ghislain garde vers l’est de la route du Gabriau.
La compagnie Gaudet occupe la route de Blanc.
La compagnie Bibes est sur les deux embranchements des routes de Tournon par la Foi et d’Yrances par Lignez.
Le PC est installé dans une maison située à l’embranchement des différentes routes et dont le propriétaire nous fait le meilleur accueil, nous donne une bouteille de Marc à laquelle nous faisons honneur, ainsi qu’à quelques provisions avant d’étendre nos lits de camp dans la cuisine pour quelques heures. Nos échelons ont été poussés à Lureuil où se trouve également le P.C. de la division et seul restent à Martizay les éléments de combat.
Vers 3 heures du matin on nous alerte pour envoyer une section de trois chars et à la partie nord du village. J’y envoie une section de la compagnie Bibes en renfort du bataillon de 2/24. Que s’est-il passé le ? On a entendu une forte détonation en avant de nous, sur la route d’Oblerac et la demi-brigade nous a alertés. Mais renseignements pris, il semble bien que l’explosion en question soit celle du char POITOU que l’on a abandonné. Mais les boches ne sont quand même pas loin.
 
Samedi 22 juin La Creuse
 
La matinée doit être consacrée au ravitaillement et aux soins bien relatifs à donner au matériel.
Cette opération s’effectue normalement mais de plus, en exécution d’un ordre reçu de la division et qui figure ci-contre, il est procédé à la réorganisation du bataillon sur les bases nouvelles découlant de l’ordre ci-dessous :
 
P.C. 22 juin 9h45.
 
Note de service.
 
En raison du nombre réduit de chars restant au bataillon, l’organisation est modifiée comme suit :
Deux compagnies de combat : Compagnie Gaudet
Compagnie Bibes
Le char VERCINGETORIX de la compagnie Ghislain sera passé à la compagnie Gaudet sans délai.
Les compagnies conserveront :
Compagnie Gaudet : 5 chars,
5 tracteurs,
2 camionnettes,
1 VTT,
1 VTO,
1 side
Compagnie Bibes : 6 chars,
6 tracteurs,
1 VTI,
1 VTT,
1 camion à vivres et bagages,
2 camions de dépannage,
1 camionnette de radio,
1 camionnette de commandement,
1 camion à essence,
1 camion à munitions,
les sides disponibles.
La compagnie Ghislain passe à la compagnie Gaudet :
Un side-car avec conducteur et mitrailleuse,
la cuisine roulante avec son personnel,
1 camion à essence.
La compagnie Ghislain passe à l’état-major du bataillon :
1 side-car avec conducteur.
Les échelons sur roues et les tracteurs restant au bataillon, seront groupés sous les ordres du lieutenant Mayet et commandés :
Compagnie Gaudet : par le sous-lieutenant Weyler
Compagnie Bibes : par le sous-lieutenant de Feydeau.
Les deux éléments de rentrant pas dans les compagnies de manœuvre, comme il est dit plus haut, seront groupés sous les ordres du capitaine Ghislain est dirigé sur la base arrière.
Le détachement Ghislain sera mis en subsistance à la C.E. 46/47.
Les deux opérations ci-dessus sont immédiatement exécutables.
Dès les pleins terminés, les tracteurs et impedimenta seront dirigés sur Lureuil (Château brûlé) où le capitaine Ghislain et le lieutenant Mayet procéderont au tri des véhicules. Le détachement Ghislain se mettra en route sur la base dans les plus brefs délais.
Signé : Laude
 
 

De la Glaize à la Haute-Vienne 21 23 juin
 
Tous les mouvements nécessités par les ordres ci-dessus s’exécutent au cours de la matinée et je les active tant que je peux car ils causent dans le petit hameau situé juste à un pont et à un embranchement de route un encombrement considérable qu’il ne pourrait qu’exciter le zèle d’une aviation ennemie un peu active.
De plus, dans le courant de la matinée, la demi-brigade nous avise d’avoir à nous tenir prêts à un prochain départ, aux environs de midi. Il n’y a donc pas de temps à perdre, si nous voulons que toutes les mutations de matériel soient réalisées, que l’élément Ghislain soit constitué puis rejoigne le détachement Mayet à Lureuil où il aura un nouveau tri à faire et enfin rejoindre au plus tôt la base arrière, tant que nous savons encore où elle est, à Morigny, avant qu’elle ne se déplace à nouveau. Après bien des à-coups et des difficultés, je vois enfin Martizay dégagé de tous les véhicules inutiles et j’envoie à Mayet un ordre supplémentaire d’avoir rappelé les deux opérations avec Ghislain et d’en avoir terminé au plus tard vers midi. À cette heure, le bataillon sera prêt dans sa nouvelle organisation. Mais 11 chars, voilà ce qui reste aujourd’hui des 80 perçus par les 46e et 47e bataillon.
Vers 10h30, le lieutenant-colonel commandant la demi-brigade inquiète du fait de certains renseignements qui lui sont parvenus, du fait aussi du bruit intermittent de tir que l’on entend vers l’ouest, décide pour protéger notre droite de pousser un élément au carrefour de la Foi à 3 km environ de Martizay sur la route directe de Bousson Saint-Martin. C’est à la section du sous-lieutenant de Duffourq de la compagnie Gaudet qu’échoit cette mission, et elle va immédiatement prendre position, restant en liaison avec nous par l’intermédiaire de la radio du char et de notre camionnette P.C. de bataillon.
L’ordre de la demi- brigade pour le départ, nous parvient et l’ordre ci-après est donné pour le bataillon.
 
P.C. 22 juin 1940
Ordres d’opérations
 
I. La 4e D.C.R. se rend dans la région Saint-Savin, Mérigny, Ingrandes en mesure d’agir au nord et au nord-est.
La 85e D.I. tient la Creuse entre la Roche-Posay et le Blanc.
II. 6e demi-brigade : Mérigny
2/24 46/47 une compagnies du 4e B.C.P., une section de 47.
III. Exécution du mouvement à partir de 12h15 derrière le 2/24.
Ordre de marche :
Compagnie Gaudet, Compagnie Bibes, une section compagnie Bibes en queue de colonne.
Le lieutenant Raymond sera serre-file général indiquera au lieutenant Rieutard le passage du dernier élément du bataillon au pont de Tournon.
Itinéraire : Tournon, Angles, Mérigny.
P.C. : demi-brigade et bataillon : Mérigny
Division et P.S.D.: Saint-Savin
Base arrière : région est de Chauvigny
PC à Lauthiers.
 
En plus de l’ordre ci-après est envoyé à l’échelon du lieutenant Mayet.
 
10 h 15 ordre pour le lieutenant Mayet.
 
Le bataillon fait mouvement sur Mérigny à partir de 12h15.
Dès le reçu du présent ordre et quand le tri entre l’élément Ghislain se rendant à la base et votre propre élément sera effectué, prenez-vos dispositions de départ et mettez en route votre détachement sur Mérigny, point de stationnement du bataillon.
Itinéraire : Lureuil, Tournon, Angles, Rive, Mérigny.
Exécution aussi rapide que possible.
2/24 et demi-brigade stationnent également à Mérigny.
Signé : Laude.
 
L’ordre ci-dessus a pour but de hâter le mouvement de nos échelons afin qu’ils prennent une centaine certaine avance. Il s’agit en effet de passer le pont de la Creuse assez proche de nous et il importe que les échelons aient franchi suffisamment à temps pour dégager le passage aux éléments de combat de la division qui doivent l’emprunter dans leur mouvement de repli. Nous sentons en effet que les Allemands ne sont pas loin de nous ; les bruits de mitrailleuses se multipliant vers le nord ouest, semblent indiquer un effort des Allemands pour atteindre la Creuse avant nous.
A 11 heures, tous les ordres étant donnés, nous n’avons plus qu’à attendre tranquillement le départ ou les événements.
Vers 11 h 45, le message suivant nous est envoyé par le sous-lieutenant de Duffourq qui est en place au carrefour de la Foi : « je vois des infiltrations d’infanterie ennemie, mais ne suis pas encore accroché. Quelques minutes après, il nous envoie : rien de nouveau. Tout va bien.
À midi le bataillon 2/24 commence à passer devant nous en direction de Lureuil.
Le lieutenant Gaudet se rend à Lureuil avec la camionnette radio du bataillon. Il doit rester jusqu’après le passage de nos derniers éléments et prévenir à ce moment-là le sous-lieutenant de Duffourq que sa mission étant terminée, il peut rejoindre directement Tournon.
Aussitôt le bataillon de 2/24 passé, nous nous mettons en route.
Au moment où je passe Lureuil, le lieutenant Gaudet vient de recevoir le message radio suivant de Dufour. « Je suis toujours en place et reçoit de nombreux feux d’infanterie. »
Sur la grande route de Lureuil à Tournon tout se passe bien et Tournon est atteint sans encombre, mais la section de Duffourq qui, une fois sa mission remplie, a reçu l’ordre de rejoindre Tournon est accroché par les Allemands et c’est en combattant qu’il rejoint la Creuse, accompagné par les Allemands qui le talonnement et le serrent de près en l’arrosant. Un des chars doit être abandonné sur place et est sauté (VILLERS-BRETONNEUX).
Ce n’est qu’aux abords de Tournon que les Allemands le lâchent et qu’il peut rejoindre la colonne.
Le pont de Tournon est passé sans encombre. Il n’est pas miné et on s’est contenté d’élever une barricade de pavés qui laisse juste le passage des chars.
Les chasseurs à pied du 4e en assurent la défense et des batteries d’artillerie sont en position de l’autre côté de la Creuse.
Le général de la Font et le lieutenant-colonel Sudre assistent au passage et le hâtent de leur mieux.
Les derniers renseignements signalent en effet, que les Allemands descendent vers la Creuse en trois colonnes.
Il y a donc intérêt à passer à pousser le mouvement pour éviter le combat avec le dos à la rivière.
Au passage des ponts, une section de la compagnie Bibes est prélevée et reçoit la mission de se tenir près de la ferme du Plessis, prête à s’engager en cas de besoin. Une batterie d’artillerie tire quelques obus sur des engins qui ont apparu sur les hauteurs dominants Tournon.
A 13 heures, l’ordre ci-après est donné par le commandant :
  22. 6. 40 13 heures
 
1°) premier point de destination :
Carrefour nord-est de Rives (sur la carte Michelin porte le nom de Fournioux) croisement du chemin de Lurais à Rives et d’Angles à Fontgombaut, où on stationnera avant de gagner Mérigny.
2°) Hâter le mouvement. Passer le pont le plus rapidement possible.
3°) Ramener rapidement la section détachée.
Signé : Petit.
 
Le pont franchi, nous avons rattrapé l’échelon du lieutenant Mayet. On lui donne l’ordre de partir au plus tôt pour gagner sa destination et de dégager notre route où l’encombrement va croissant, alors que nous nous envisageons la possibilité d’une action très prochaine. Je gagne Angles pour diriger le bataillon vers le point de première destination. Mais l’encombrement ralentit considérablement notre marche. Le village est extrêmement étroit et le mélange des échelons et des premiers éléments de combat qui commencent à arriver, n’est pas fait pour y améliorer la circulation. De plus l’itinéraire que nous devons prendre emprunte un angle de rue très aigu que camions et chars ne peuvent prendre qu’en trois ou quatre manœuvres. On crée alors un circuit autour de la place principale ce qui améliore un peu les choses, mais à l’arrivée du lieutenant-colonel Sudre à Angles, un ordre nouveau nous est donné :
Rester provisoirement à Angles, s’y installer en point d’appui fermé et envisager la résistance à toute menace d’enveloppement par quelque côté qu’elle se produise.
Les différents éléments de la division continuent en effet à affluer dans Angles, où le général leur prescrit de s’installer. Les renseignements qui nous sont parvenus semblent en effet indiquer que les Allemands vont franchir la Creuse derrière nous. Par ailleurs la situation est incertaine au sud, où nous ne savons pas si les Allemands ne nous tournent pas par la route le Blanc – Saint-Savin.
Dans le doute, et afin d’éviter de se jeter dans la gueule du loup, le général a décidé de s’installer dans Angles et d’en faire un centre de résistance. Il semble bien que la division réduite comme elle l’est, est près d’être encerclé par les colonnes allemandes. Toutes les issues d’Angles sont occupées par différents éléments qui chacun, gardent et s’apprêtent à défendre leur secteur. Le général après avoir tenté de prendre les liaisons avec une grande unité, installe son PC à la mairie. Le lieutenant-colonel Sudre s’installe avec nous sur la place principale. Le village plein d’éléments de toutes sortes, chars légers, chars lourds, Somua, automitrailleuses, présente une animation inaccoutumée, et un peu nerveuse. Les habitants viennent s’enquérir auprès de nous de la situation. Nous avons vraiment tous l’impression qu’il va se passer quelque chose, la presque conviction aussi qu’Angles marque pour nous le terme de la retraite et qu’après un combat qui ne peut tarder, le reste de la 4e division sera encerclé. Jamais comme à ce jour nous n’avons eu l’impression aussi nette que nous allions être faits prisonniers et que ce n’était plus qu’une question d’heures peut-être moins.
Les équipages harassés se reposent avant un dernier effort et ma plus grande satisfaction est dans une conversation avec deux hommes du pays qui me disent : « nous sommes heureux de vous voir ici, car depuis plusieurs jours que nous voyons passer une affreuse débandade, vous êtes la première troupe disciplinée, rangée autour de ses chefs et où tous ont bon esprit et semblent prêts à faire ce qu’on leur demandera. Pour nous, anciens combattants, ce spectacle nous fait du bien, car nous voyons aussi qu’il reste encore une armée française. »
Je suis heureux moi-même de cet éloge de nos hommes, qui depuis le début de cette triste campagne, ne nous ont jamais déçu, malgré les lamentables spectacles qu’ils ont vus sous les yeux ; oui, ils ont eu en Mai mérite à tenir et a toujours donner le maximum, avec la pénible sensation, qu’ils étaient seuls à se battre.
Cet éloge est à rapprocher de celui que nous a décerné à Saint-Flovier la sœur de Guynemer, qui quelques moments avant la bagarre, est arrivée pilotant sa sanitaire pour nous offrir ses services et nous a déclaré : quoiqu’il arrive que je reste avec vous, trop heureuse d’avoir trouvé des hommes qui se battent, ayant vu trop de bassesses ces derniers jours.
Dans le courant de la journée j’ai envoyé aux échelons, l’ordre de quitter Mérigny pour pousser un peu plus vers l’ouest, afin de passer la coupure du C. Anglais.
Cet ordre est le suivant :
 
Ordre pour le lieutenant Mayet
 
Portez des échelons à Les Bergers par les Grands Marsily sur la route de la Bussière (GC 27)
Le bataillon stationnera à Angles.
Aucune précision sur proche avenir
Attendez ordre
Signé : Laude
 
Cependant, contre toute attente, dans la soirée et rien ne se produit. Des patrouilles d’automitrailleuses envoyées sur les routes avoisinantes n’ont rien trouvé.
À 18 heures, une patrouille de chars R 35 a été envoyée jusqu’à Tournon. Elle n’a rien trouvé ; les Allemands n’occupent même pas le pont sur la Creuse.
Nous n’y comprenons rien, mais chacun se sent mieux respirer et ne cherche guère comprendre. Ce qui est certain, c’est que maintenant que la guerre perdue, nous aurions gros cœur d’être faite prisonniers à un ou deux jours de l’armistice, et que la chance de nous d’en sortir semble renaître. Mais l’ambiance est cependant à la tristesse, car le bruit a couru jusqu’à nous que les conditions de l’armistice comportaient une cession préalable de 22 départements tant à l’Allemagne qu’à l’Italie et à la Belgique. D’où vient ce bruit jusqu’à nous dans notre bled perdu et notre situation isolée ; sans doute de quelques auditeurs de la radio anglaise, soit habitant du village, soit auditeur d’un de nos postes radio.
Dans la journée, un court moment d’émotion. Une rafale violente de coups de canon à fait rentrer tous les habitants chez eux, portes et volets fermées. Mais ce n’est qu’une manifestation de nos canons de 25 D.C.A. contre un avion allemand qui est venu nous survoler et est vite reparti sans rien déclencher contre nous.
Que sont devenus les Allemands. ?
Nous ignorons et en sommes réduits à conjoncturer que, une fois arrivée à la Creuse, ils ont infléchi leur marche vers Châtellerault.
Cela nous surprend d’autant plus, que depuis quelques jours, le bruit court, à tort ou à raison, que nous avons eu les honneurs du traître de Stuttgart qui aurait déclaré que dans l’ouest, une seule division les gênait encore, la 4e D.C.R. mais que cette bande de fanatiques ne tarderait pas à être elle aussi encerclée et prise.
A 20 heures, les ordres de départ nous sont parvenus. Nous avons une nouvelle grosse étape de nuit en perspective qui va nous amener à une nouvelle partie de la retraite des fleuves, à la Vienne.
L’ordre de départ est le suivant :
 
22-6-40 20 heures
Ordre de mouvement
 
I. La 4e D.C.R. se porte à l’ouest de la région de Lussac-les-châteaux, sur la Vienne.
Char de la 6e demi-brigade : Lhommaizé
II. Itinéraire : Saint-Pierre-de-Maillé, la Puye, Chauvigny, ouest de la Vienne, la Prunerie, Bonneuil, Le Temple, Lhommaizé.
III. Ordre de marche :
46/47 derrière le 2/24
Compagnie Bibes, compagnie Gaudet
IV. Les éléments d’échelon, même destination par La Puye.
Prévoir un point de ravitaillement après la traversée de la voie ferrée au sud de Chauvigny
Signé : Petit
Exécution immédiate.
 
 
 
Angles sur l’Anglin 22 juin

Adjudant ?
Lieutenant Pellerin
Lieutenant Bibes
Aspirant Pincemaille
Sous-lieutenant ?
Lieutenant Gaudet
Commandant Franck (génie)
Lieutenant-colonel Sudre
Lieutenant Bounnaix
Sous lieutenant Gambart de Lignères
Aspirant de Thoisy
Motocycliste Cocquart
Ruines du vieux château d’Angles
 
Laissant le bataillon porté, avec le commandant, je pars par Mérigny donner les ordres aux échelons qui sont installés aux Bergers et je fais route avec eux jusqu’à la rencontre avec la colonne des échelons de combat à La Puye. Puis nous faisons route vers Chauvigny sur Vienne, où nous passerons vers une heure du matin.
 
Dimanche 23 juin la Vienne
 
Ce 23 juin, à une heure du matin, nous avons passé la Vienne à Chauvigny, clôturant ainsi cette partie de la retraite, qui en six jours, nous a amené de la Loire à la Vienne, en passant successivement, la Loire, le Cher, L’Indrois, l’Indre, la Claize, la Creuse, la Gartempe, l’Anglois, et la Vienne.
Le passage de la Vienne à Chauvigny s’effectue bien, malgré que nous y croisons, dans la nuit, toute la 2e D.L.M..
L’arrivée à Lhommaizé s’est bien effectuée, avant le jour, sauf pour la compagnie Gaudet dont un char a versé au bord de la route après avoir défoncé un mur. Ce dépannage lui a causé un certain retard mais finalement tout a bien rejoint et nous partageons le village de Lhommaizé avec le 2/24, celui-ci occupant la partie sud et nous la partie nord.
Nous nous sommes logés et comme nous avons pu. Les habitants couchés dans les champs, aux environs, car ils ont été bombardés dernièrement et une maison est éventrée au coin de la grand-route de Poitiers à Lussac. Mais au jour, ils regagnent leurs demeures et à la messe de l’église est pleine. Mais notre surprise fut grande d’y entendre prêcher en dialecte alsacien. C’est qu'il y a là une forte colonie de réfugiés du Haut-Rhin et du Bas-Rhin.
La matinée est très calme et nous espérons passer un dimanche tranquille, quand l’ordre de départ nous arrive.
Nous devons nous rendre à Joussé, à 15 ou 20 km de l’Isle-Jourdain. Le bataillon 2/24 occupera la partie nord, et le bataillon 46/47, la partie sud.
Le P.C. de la demi-brigade est également fixé à Joussé.
L’itinéraire passe par Saint-Secand et Château Garnier.
Le voyage se fait sans incident. Nous dépassons en route d’un dépôt d’instruction du 4e bataillon de chasseurs qui est en ordre, mais tout le long de la route, c’est une file lamentable d’isolés d’un dépôt d’artillerie de DCA de Chartres, en plein désordre, et qui produisent la plus déplorable impression.
L’installation à Joussé est sans histoire. On peut y trouver quelques rares chambres qui occasionnent de petits frottements avec la demi-brigade. Mais nous pouvons installer le P.C. et popote dans un restaurant qui nous fait un dîner confortable, puis nous allons dormir, la conscience tranquille, avec l’impression que nous touchons au bout de nos peines.
Et pourtant, le lendemain nous aurons encore une explication avec les allemands.
 
IX. Le dernier coup de canon. – Haute-Vienne
 
Lundi 24 juin.
 
La nuit a été des plus calme, et un réveil tardif à 7 heures, ce qui est pour nous une grasse matinée comme nous nous n’en n’avons pas connu depuis longtemps. Ainsi que le fait de n’avoir pas été réveillés par des ordres à donner, nous donnent l’impression d’une sécurité complète, de guerre terminée. Le fait d’avoir perdu tout contact avec les allemands, depuis l’avant-veille, au pont de Tournon, renforce encore cette impression. Aussi commençons-nous cette journée avec un calme inhabituel et un sentiment de totale sécurité. Mais vers 10 heures, le bruit court que le 4e B.C.P. qui tient le village de Usson, à 7 km de nous, sur la route de Confolens, vient être attaqué. Ce n’est d’abord qu’une rumeur, puis le bruit se confirme. Ils ont été en effet, surpris par l’arrivée dans leur cantonnement d’une colonne allemande qui leur a fait prisonnier tout leur convoi de cars de transport. Nous apprenons peu après, qu'ils ont reçu l’ordre de se replier vers nous qui assurerons la défense du village de Joussé.
Pour renforcer la garde des issues nord, une patrouille de R-35 est envoyée vers Usson pour aider les chasseurs à décrocher, et nous portons des chars B aux sorties nord du village. L’opération se passe dans de bonnes conditions, et les compagnies de chasseurs se décrochent sans incident, puis reviennent vers nous à pied, protégés par des sections de chars légers. Ils prétendent que les colonnes allemandes se présentent à eux avec des prisonniers français sur le devant de leurs voitures pour empêcher de tirer. Nous n’avons pu vérifier nous-même le fait.
Pendant ce temps un ordre de mouvement nous est parvenu qui prévoit notre départ pour 18 heures.
L’ordre établi en conséquence pour le bataillon est le suivant :
 
PC. 24.6. 40          11 heures
Ordre de mouvement.
 
I. L’armée se replie sur la Tour au nord-est d’Angoulême.
II. La 4e D.C.R. assure la liaison avec la 7e Armée alliant son repli avec celui de la 10e Armée. Elle se porte dans la région Alloue – Chantrezac, Saint-Claude, face au nord et au nord-est.
III. 6e demi-brigade : a) Ambernac (2/24, 46/47, 1 section de 47)
2/24 : partie nord
46/47 : partie sud et le sud-est.
b) le Breuil et Lascoux : 4e B.C.P.
IV. Itinéraire : Charroux, Châtain, Benest, Alloue.
V. Exécution du mouvement :
A partir de 13 heures par compagnie.
46/47 derrière le 2/24.
Section de 47 partira en tête sur l’ordre du chef de bataillon.
VI. 8e demi-brigade est à Ansac et Manot (sud de Confolens)
    PC 6e demi-brigade : Ambernac
D.C.R. : Chantrezac
P.S.D. Les trois chênes
Base arrière : au sud de La Rochefoucault.
Signé : Petit
 
En même temps l’ordre ci-après est donné :
12 h
 
Le départ immédiat des impedimenta dans les conditions habituelles, sous les ordres du lieutenant Mayet.
Point de première destination : Epenede.
Signé : Petit
 
Pendant ce temps, les chasseurs du 4e continuent à se replier vers nous.
Les artilleurs du dépôt 404 ainsi que le dépôt de chasseurs se rassemblent et se mettent en route. Nous sommes un peu surpris par le texte de l’ordre du commandant du dépôt de chasseurs, qui porte les deux paragraphes si après :
1° en aucun cas, ne faire usage de ses armes
2° ne pas oublier que nous sommes une formation territoriale.
Je n’ai pas retenu le nom du foudre de guerre, un lieutenant-colonel, qui a signé ce papier mais cela explique bien des choses…
Les chasseurs du 4e B.C.P., qui n’ont plus de voitures, sont dirigés sur la nouvelle destination au fur et à mesure qu’ils arrivent devant nous afin de leur faire gagner du temps. Enfin vers midi trente nous sommes seuls dans Joussé, les chars B aux issues, les R 35 se regroupant vers l’église.
Les ordres concernant l’itinéraire ont été modifiés un peu avant midi, et nous font passer par Payroux, Manprevoie, Pleuville et Epenede..
Quelques minutes avant le départ, une colonne allemande se présente sur la route d’Usson, vers les Roches. Le char du sous-lieutenant Roblot du 46e, entame avec elle un duel.
Le reste du bataillon a déjà décroché et reste près du char. Je vois le lieutenant Pellerin qui était resté près de son camarade, sortir par la porte de tourelle, et assis sur le haut du char, abrité par le tourelleau, tirer sur les Allemands à coups de fusil.
Un ordre de dernière minute étant arrivé, de laisser une section de R 35 en serre file général pour accompagner les derniers chasseurs à pied, je me rends auprès du capitaine Barrelet commandant le 2/24 pour lui en donner communication. Je le trouve à table, en train de déjeuner avec un calme parfait, dont il ne se départit pas pour si peu. Il envoie cependant un officier porter l’ordre à une section de relever le lieutenant Pellerin et celui-ci peut enfin se retirer et prendre à son tour la direction d’Aubernac. Ses canons s’étant d’enrayés, c’est la raison pour laquelle il était sorti du char et avait continué de tirer à coups de fusil. Il dit que ses premiers coups de canon ont jeté un gros désordre dans la colonne allemande qui cherchait à parlementer lorsqu’il est parti. Nous saurons en effet peu après, que le capitaine Barrelet s’est avancé sur la route et a pris contact avec l’officier allemand commandant la colonne. Ce dernier lui a demandé de ne plus tirer, l’armistice étant tout proche. Il lui a même indiqué que, prenant lui-même la direction de Charroux, qu’il ne nous tous empêcherait pas de partir sur un autre itinéraire et qu’il était, avant tout, désireux d’éviter tout incident sanglant. Le capitaine Barrelet l’a alors amené à Joussé et lui a présenté le maire et quelques habitants, lui demandant de les bien traiter, ce que l’allemand a promis.
Barrelet l’a ainsi occupé pendant plus d’une heure, permettant la réparation d’un char de la compagnie Bibes qui a déraillé à la sortie de Joussé. La réparation, malgré tout, ne tient pas et le char 547 est sauté.
Le soir, non apprenons deux choses :
a) A Joussé, nous assurions la liaison entre la 7e et la 10e armée. Mais l'une et l'autre ont oublié de nous signifier leur repli et alors que nous nous trouvions en sécurité, non étions de près de 70 à 100 km en flèche.
b) Un accord était paraît-il intervenu entre les commandements français et allemands, à je suis ne sais quel échelon, d'éviter ce jour les gestes d'hostilité. Nous n'en n'avions pas été mis au courant, et notre fraîche réception à la colonne de Joussé, nécessita, le lendemain, l'envoi d'un nous officier supérieur chargé de présenter des excuses aux Allemands.
Mais c'était la, pour nous, les derniers coups de canon de la guerre.
En n'installant des bouchons à tous les villages et carrefours situés sur notre itinéraire, nous atteignons Aubernac sans encombres vers 16 heures.
Au cours de notre arrêt nous renvoyons tout ce que nous pouvons de véhicules en arrière, chargé les chasseurs du 4e B.C.P. qui suive péniblement à pied. Nous prend nous mettons partout, dans les chars, sur les tracteurs, dans les autos et le soir à 18h30 quand nous reprenons la route de nous avons pu transporter tout le bataillon. Le sous-lieutenant du train qui commande leur autocar et qui avait déjà été fait prisonnier puis avait réussi à nous rejoindre à la faveur du combat de Binas le 17 juin a été fait à nouveau prisonnier, avec ses conducteurs. Mais tout le reste du bataillon est sauté et rejoint.
A 18h30 nous repartons pour Genouillac.
En passant à Roumazières, nous traversons un ramassis de militaires de toutes sortes, qui nous annoncent que, l'armistice franco-italien a été signé à 18 heures. Tous ces beaux soldats donnent des signes de joie indécents. On croirait, et c’est certain qu'ils n'ont rien compris et vont fêter ça par une bonne cuite de ce joyeux événement.
Les hommes du 94, lorsqu'on nous annonça le 11 novembre 1918, l'armistice, au cours d'une longue étape éprouvait une joie d'une autre qualité et avait une autre allure que tous ces gens dont la grande majorité sont sans doute des gens qui n'ont pas fait la guerre ou qui ont fichu le camp.
À partir de 20 heures, nous arrivons à Genouillac. Aucun n'ordre officiel concernant la signature de l'armistice ne nous c'est arrivé. Nous prenons donc les dispositions habituelles et nous nous installons en alerte sur la croupe dominant le village. Les pleins sont faits et l'ordre est donné de se préparer au départ pour trois heures du matin.
 
L'armistice. Mardi 25 juin.
 
À trois heures du matin, nous nous remettons en route, en conséquence de l'ordre ci après :
 
Ordre d'opération
La 4e D.C.R. et la 2e D.L.M. se porteront vers Chalus.
46/47, 2/24, 1 section de 47, une compagnie du 4e B.C.P., D.C.A. à Firbeix.
Exécution en deux bonds :
1er bond : Saint-Mathieu, départ 3 heures.
2e bond : Firbeix, départ de Saint-Mathieu sous les ordres du colonel.
Impedimenta en tête, rejoindront directement Firbeix.
 
Quelques tracteurs pourront être gardés par compagnie pour ravitailler les chars en route.
Les chasseurs du 4e B.C.P. seront transportés sur les véhicules des deux bataillons.
 

De l'armistice à la dislocation du bataillon première carte
 
Le PC du bataillon est installé à l'école de Paulhiac, mais en ce jour d'armistice, la bataille n'est pas terminée pour nous ; cette fois c'est contre le maire et l'institutrice qu'il faut la livrer, types achevés de ce que « 70 ans d'éducation laïque, démocratique et obligatoire » ont produit comme petitesse d'esprit et odieux. L'institutrice aurait prétendu nous interdire d'occuper les locaux et devant notre décision de passer outre, elle a fait appel au maire. Celui-ci est accouru à son secours, non sans raisons sentimentales a dit la postière. Serait-ce déjà les cancans de villages qui reprennent leurs cours. Le fait d'ailleurs se confirmera, car le 15 août, à Périgueux je verrais arriver maire et institutrice en partie fine. Toujours est-il que nous les avons arrangés de notre mieux, ce qui est aujourd'hui brutal et avons gardé non locaux. Après cette algarade la journée est sans histoire ; chacun se repose de son mieux, détendu de n'avoir plus la hantise des départs impromptus et des mauvaises rencontres.
Malgré la fatigue et l'usure morale de ces dernières semaines nous réalisons cependant ce qu’a de triste la journée d’aujourd'hui qui met définitivement fin à toute illusion. La partie est perdue et perdue dans des conditions que nous ne sommes pas prêts d'oublier. Maintenant, chacun pense déjà à l'avenir. De quoi sera-t-il fait ? Les inconnues les plus angoissantes se posent. La guerre terminée, mais la défaite, mauvaise conseillère, ne va-t-elle pas la faire renaître sous la forme hideuse de la guerre civile. Au devant de tels troubles, de quelle tristesse marchons-nous désormais. Combien inconscients ceux qui se réjouissent et ne voient, dans ce jour qu'ils vivent, que la fin illusoire et peut-être passagère de leur fatigue et de leurs souffrances.
Et puis, comment ne serions-nous pas tristes à la pensée que si nous sommes battus, nous le devons en partie à tant de français qui n'ont pas su faire leur devoir.
Les spectacles ignobles de la retraite, de la fuite, du désordre repasse devant nos yeux. Vaincu, soit mais quel sera le jugement de l'avenir sur cette génération, que l'on nous reprochera à nous, anciens, éducateurs de n'avoir su faire ni forte, ni courageuse, ni disciplinée
 
De l'armistice à la suppression des chars.
 
Mercredi 26 juin.
 
Au cours de la matinée, après une nuit calme et reposante qui a fait à tout le plus grand bien, en nous avertit que nous ferons mouvement dans l'après-midi, pour rejoindre une nouvelle zone de stationnement dans la région ouest de Périgueux.
Ces bruits sont bientôt confirmés et le bataillon est mis en route en vertu des ordres ci-après :
 
P.C. 26.6.40 13 heures
 
Ordre d'opérations
La D.C.R. se rend dans la zone ouest et nord-ouest de Périgueux pour s'y reconstituer. La base arrière rejoindra dans la soirée.
Itinéraire : n° 1
Dournazac, Nontron, Leguillac, Cercles, Montagrier, Tocane, Chanterac
2/24, 46/47 : Compagnie Gaudet, Section de commandement, Compagnie Bibes.
Zone de stationnement
46/47 y compris C.E. et T.R.
Saint-Astier
Les Aujelloux
Planeze
Fontanau
Campement : Capitaine Laude, un officier, deux sous-officiers des compagnies


De l’armistice à la dislocation du bataillon deuxième carte
Pointe vers Saint-Astier
arrêt à la Tour-Blanche.

La division continue à former groupement sous les ordres de la 2e D.L.M.
Le 7e R.D .P. assurera une surveillance sur la ligne Mareuil, le Burdeau, pour qu'aucun militaire de franchisse cette ligne vers le nord.
P.C. sixième demi-brigade : Saint-Astier
4e D.C.R :Montagrier
P.S.D. : Lisle.
Point initial :Dournazac
On n’abandonne pas un char, on répare.
Départ immédiat
Signé : Petit.
Par ailleurs, en vue de regrouper tous les éléments du bataillon comme le prévoit l'ordre ci-dessus, l'ordre particulier ci-dessous est envoyé au capitaine Gimé, commandant la compagnie d'échelon, détaché à la base arrière avec tous les éléments non de combat du bataillon depuis le début de la retraite.
P.C. 26.6.40   13h30
 Ordre particulier
Le bataillon 46/47, y compris la C.E. et les trains (T.R.) stationnement à Saint-Astier, les Auzelloux, Planèze, Planèze-Fontaneaux.
Le capitaine Gimé enverra immédiatement à Saint-Astier (Mairie) un campement qui se mettra aux ordres du capitaine Laude.
Sauf ordre contraire de la base, le capitaine Gimé portera son détachement immédiatement dans la zone de stationnement.
Signé : Petit.

Matin de l'armistice devant le château de Montbrun -- près Dournazac
 
 


De gauche à droite : aspirant de Thoisy,
lieutenant Drapied, sous-lieutenant Moine, sous-lieutenant de Duffourq, conducteur ?
 
Le départ se fait sous une pluie diluvienne et par une nuit d'encre ce qui dans ce pays aux routes extrêmement sinueuses, n'est pas sans difficultés et amènent à quelques chars et véhicules à sortir de la route et à s’enliser.
Nous arrivons néanmoins vers Saint Mathieu, où conformément aux ordres, le parcours a un long arrêt. C'est pendant cet arrêt que nous est donné l'ordre notifiant l'armistice et spécifiant qu’à partir de maintenant on ne doit plus faire sauter aucun char mais tout dépanner et réparer.
Notre destination est également changée et maintenant ce n’est plus à Firbeix mais à Paulhiac, un hameau au sud de Dournazac que doit se rendre le bataillon.
Il fait grand jour lorsque que nous nous remettons en route.
Parti en avant, j’arrive à Paulhiac que je trouve absolument inlogeable. C’est un hameau de quelques maisons misérables et de plus, tout est encombré par un bataillon de sénégalais qui sont arrivés dans la nuit et occupent le peu de place disponible.
J'en suis réduit à disperser le bataillon. La compagnie Bibes qui occupera la ferme des Bordes et la compagnie Gaudet, une grande ferme à 3 km de Paulhiac sur la route de Dournazac. A Dournazac où la 6e demi-brigade installe son P.C. ainsi que le bataillon 2/24, la situation est la même et le village est encombré de troupes de toutes sortes.
 

De la Creuse à la dissolution.

Peu avant le départ, un accident stupide est venu endeuiller le bataillon. L'adjudant le Mozadec, de la compagnie Gaudet, un des plus anciens et meilleurs pilote du 37e, s'est tiré maladroitement une balle dans le ventre en déchargeant son pistolet. Transporté peu après au poste de secours, il meurt peu après son arrivée.
À 14 heures le bataillon se met en route. Une étant chargé du campement, je prends les devants et sans emprunter l'itinéraire normal prescrit à la colonne, je me dirige vers Saint-Astier en passant par Nontron, Brantôme et le Pas-de-l’Anglois, banlieue nord de Périgueux.
Je me présente comme prévu à la mairie de Saint-Astier, mais j'y trouve un colonel, commandant le magasin central automobile ; celui-ci me déclare que parti la veille pour Montauban il a reçu l'ordre du ministre (?) de revenir à Saint-Astier et que la ville étant archipleine il ne peut être question de nous y loger. Saint-Astier, en effet, grouille de monde. En plus du M.C.A. il y a des tirailleurs. La grande salle de la mairie est noire de réfugiés qui couchent sur la paille. Le M.C.A. a, de plus, amené avec lui ses femmes sanitaires et dactylographes. Tout cela n'est pas beau à voir et je comprends que c'est la grande foire d'empoigne, et qu'en l'absence de tout ordre, chacun se débrouille comme il peut. J'ai vite fait de comprendre que toute insistance est inutile et qu'il sera impossible de nous loger. Je réunis les officiers chargés du campement de chaque unité et les charge de reconnaître les environs et de voir si les points de stationnement, ou tout autre, qu'on nous a fixé peuvent être utilisés.
J'attends à la mairie que mes reconnaissances reviennent. Les résultats en sont négatifs. Je les renvoie dans d'autres coins et finalement le lieutenant Urruty , de la compagnie Bibes découvre un stationnement à Jeyvat, de l'autre côté de l’Isle, ainsi que de Duffourcq pour la compagnie Gaudet à Heuric.
Par ailleurs, j'ai envoyé au devant du capitaine Gimé qui arrive par Périgueux pour le prévenir de ne pas pousser son détachement jusqu'à Saint-Astier et de s'arrêter sur la route pour la nuit là où il trouvera de la place.
Ceci fait, je laisse l'aspirant Aubry de Maraumont en permanence dans la voiture, devant la mairie pour renseigner ce qui se présente et je vais au devant de la colonne afin d'éviter qu'elle vienne jusqu'ici où tout au moins la prévenir que j'ai dû modifier les points de stationnement.
En cours de route, je rencontre le lieutenant Maurice du 4e Dragons de Verdun qui me dit que la 1ère D.L.M. est dans la région et me donne des nouvelles du 4e Dragons et du 6e Cuirassiers. Très éprouvés à Dunkerque, ils ont été embarqués sur l'Angleterre, puis rejetés rapidement dans la bagarre, ils ont fait, à notre gauche, toute la retraite.
J'apprends cependant avec plaisir, que les camarades de notre petit groupe d'amis sont tous sauvés. En passant à Locaux – Saint-Apre, je trouve l'état-major de la 6e demi-brigade ainsi que le lieutenant colonel Sudre.
Celui-ci déjà informé de l'occupation de Saint-Astier par d'autres troupes, a décidé d'arrêter tout le monde et la demi-brigade va stationner plus au nord dans la région de la Tour-Blanche.
Munis de ces renseignements, je retourne à Saint-Astier, prévenir les campements de rester sur place dans les points qui sont reconnus, d’y passer la nuit et d'attendre les nouveaux ordres pour le lendemain. Puis je repars vers le nord, rendre compte au bataillon.
La nuit me prend vers Montagrier et je suis tout étonné de la sensation nouvelle de rouler avec des phares, alors que depuis des semaines ne nous permettions pas la moindre lumière.
Vers 22h30, je suis à la Tour-Blanche où je rend compte au commandant Petit des dispositions prises, et cela fait je vais à la demi-brigade, dire au lieutenant colonel que tout est en place et que le détachement du capitaine Gimé est à Montaneix, sur la route de Périgueux à Mussidan, où il s’est arrêté.
De son côté, la compagnie d'échelon du 46, campe sous les ordres du lieutenant Büchsenschütz à quelques kilomètres de Saint-Astier, sur la route de Locaux, à hauteur de Laguillac-de-Lauche.
Lorsque tout est terminé, il est près de minuit et je reste coucher au PC de la demi-brigade.

Jeudi 27 juin.
 
Dans la matinée, je suis reparti à Saint-Astier, chercher les campements que je fais rejoindre la Tour-Blanche laissant les compagnies d'échelon à leur emplacement. Nous ne savons pas en effet qu'elle sera notre future destination et il est inutile de faire remonter ces éléments très lourds vers la tour blanche si nous devons ensuite descendre vers le sud.
Mais, dans le début de l'après-midi, l'ordre vient, formel, de tout regrouper et je repars une fois de plus pour Saint-Astier et Montanaix, donner à Gimé et Büchsenschütz l'ordre de remonter dans la zone de regroupement du bataillon.
 
Vendredi 28 juin
 
Passé la journée au cantonnement dans la région de la Tour-Blanche. Dans la journée, je suis allé à Périgueux avec le toubib. La ville est pleine à craquer, les cafés débordent de monde ; il fait un soleil magnifique et toute cette animation contraste étrangement avec la vie que nous avons mené ces dernières semaines. Tous y prennent goût et c'est à grand-peine, que je les décide tous à rentrer sagement à la tour blanche le soir.
 
Samedi 29 juin
 
La division a reçu l'ordre de se regrouper plus au nord.
En conséquence, le bataillon a reçu l'ordre de se rendre à Beaussac au nord de Moreuil.
Je fais le campement et me rends compte que le village est deux fois trop petit pour nous abriter tous. Comme à Astier, je vais envoyer des reconnaissances en différents points pour trouver de la place pour tous. Comme elles reviennent bredouilles, je dois les envoyer vers d'autres points et finalement, c'est à la nuit tombée que tout le monde a fini par être installé. Au cours de l'après-midi, un officier de cuirassiers est arrivé, me disant qu’il vient faire le campement, car on lui a fixé Beaussac comme cantonnement. Je lui réponds qu'il doit certainement y avoir erreur et il repart. Enfin vers 21 heures, tout étant à peu près en place, nous nous mettons à table lorsque arrive le lieutenant-colonel Sudre qui revient de la division et nous déclare qu'il y a eu erreur, que les cuirassiers doit venir occuper Beaussac et qu'il faut nous remettre immédiatement en route sur Mainzac, un peu plus au nord. Nous trouvons tous la plaisanterie sinistre ; le commandant proteste, élève la voix ; le lieutenant-colonel Sudre, très énervé lui réplique et nous assistons à une explication aussi violente que pénible. Cela du reste ne change rien aux choses et, bien à contrecœur, nous devons donner les ordres de départ. Celui-ci s'effectuera sans à-coups et à minuit le bataillon arrive à Mainzac. C'est un hameau minuscule bien moins agréable encore que Beaussac. Nous ouvrons quelques granges, déjà en partie occupées par des hommes du génie. La plupart des nôtres couche à la belle étoile et moi-même, capitaine Gravelin et de Thoisy, je passe la nuit dans ma voiture. Nous trouvons tous cette plaisanterie sinistre et du plus mauvais goût, à quatre jours après l'armistice. Les éléments du 47e sont à Mainzac ; les éléments du 46e sont à Souffrignac, sauf la compagnie d'échelon qui s'installe près de Javerlhac.
 
Du 30 juin au 16 juillet
 
Nous nous sommes réveillés à Mainzac et le grand jour nous permet de constater que le pays est encore plus petit que tout ce que nous pouvions imaginer. Nous faisons notre possible pour loger le plus possible de personnel dans les granges du village et des fermes voisines. Mais la plupart de notre personnel loge sous les toiles de tente et en particulier la grande prairie centrale devant l'église est transformée en un vaste campement où les hommes s'installent mi-partie sous la tente, mi-partie dans les voitures. Le soir les hommes se groupent et chantent très tard. Quelques femmes réfugiées à Mainzac se joignent à nous et le spectacle est assez curieux de ces groupes rassemblés autour de lampes à pétrole, qui parlent ou chantent évoquant avec assez de vérité les apparences d'un campement de bohémiens.
Le 30 juin, le lieutenant-colonel Sudre a réuni à goûter au château de Gonzague les sous-officiers de la demi-brigade en l'honneur de la rosette qui lui a été remise la veille par le général Weygand.
Le 1er juillet, nous recevons la visite du général Keller et du général Delestraint, qui viennent féliciter ceux des équipages proposés pour des récompenses, Légion d'honneur, médaille militaire et citation à l'ordre de l'armée.
 
 
capitaine Barrelet, commandant le 2/24
lieutenant-colonel Sudre
lieutenant ?
 
 
1er juillet inspection du général Keller et du général Delestraint
 
félicitations au caporal-chef Niederberger proposé pour la médaille militaire.  
 
À ce jour, trois ordres du jour qui méritent d'être reproduit sanctionnent en ce qui nous concerne la leçon de cette campagne :
 
4e division cuirassée
numéro 543/3P le 20 juin 1940
 
Ordre général
 
L'ordre de cessez-le-feu nous a été donné.
Dans l'épreuve qui atteint la France, la quatrième division cuirassée a le droit de tenir la tête haute et de demeurer fière.
Elle a fait tout son devoir.
Elle a combattu tous les jours depuis le 16 mai jusqu'au dernier moment.
Elle reste non seulement invaincue, mais elle a toujours conservé l'ascendant sur l’ennemi.
Le général commandant la division exprime à tous son admiration pour le courage, la ténacité et l'ardeur dont ont fait preuve, au milieu des fatigues et des souffrances, tous les équipages et toutes les unités de la division sans exception.
Le général tient à dire que ce sera la fierté de sa vie d'avoir eu à commander de telles troupes.
Restons réunis, disciplinés, résolus à tous les efforts et tous les sacrifices qui nous seront demandés pour le relèvement de la France.
Gloire éternelle à nos morts, gardons en précieusement et religieusement le souvenir.
Vive la France
Vive la quatrième division cuirassée
le général de la Font.
Commandant la quatrième division cuirassée
  
G.A. III quartier général le 30 juin 1940
 
Le général d'armée Besson
Commandant le G.A. III
à Monsieur le général Keller
Inspecteur des chars
 
Je suis heureux de porter à votre connaissance la magnifique attitude au feu
- des bataillons de chars affectés aux armées
- des 1ère division cuirassée, général Welwert
2e division cuirassée, colonel Perré
4e division cuirassée, colonel de Gaulle puis général de la Font.
Pendant la bataille de France, et au cours d'une retraite de 450 km de la somme à la Vienne, bataillons et divisions cuirassées actionnées soir par les commandants d'armée et de corps d'armée, soit par le général Delestraint, animateur infatigable dont je ne saurait trop faire l'éloge, on remporté sur les troupes allemandes très supérieures en nombre et en matériel blindé de nombreux succès.
Couvrant les ailes des armées, ils ont par de multiples actions offensives, arrêté ou retardé la progression ennemie, permettant ainsi aux trois armées du G.A. III d'échapper à l'encerclement qui les a menacés du 10 au 24 juin.
Vous voudrez bien transmettre à tous, pour la bravoure l'esprit de sacrifice dont ils ont fait preuve, mes félicitations et mes remerciement.
Les unités de chars ont inscrit à leur livre d'or de nouvelles pages de gloire et bien mérité de la patrie.
Signé : Besson
 
Allocution du général Delestraint
Commandant le groupement cuirassé
Caylus juillet 1940
Le groupement cuirassé auquel vous appartenez va disparaître ; groupement composé de ces magnifiques divisions cuirassées, la deuxième, la quatrième auquel la 1ère est venu s'adjoindre et qui au cours de la grande bataille que nous venons de livrer, se sont dépensés sans compter, forçant l'admiration de tous, sauvant l'honneur.
Vous avez fait votre devoir, simplement, consciencieusement, jusqu'au bout. Si tout le monde avait agi de même, nous n'en serions pas où nous en sommes.
Je tiens à vous apporter mes remerciements personnels, ceux que m'a exprimé d'une façon si élogieuse le général Weygand, ceux de la France. La France s'écroule aujourd'hui dans un désastre effroyable ; la veulerie générale en est la cause. Il dépend de nous cependant, il dépend de nous surtout, les jeunes, que la France ne meure pas.
De grands soucis, de durs sacrifices dont nous ne mesurons pas bien encore toute la portée nous attendent.
Allons au-devant de ces nouvelles épreuves avec courage, avec énergie et aussi avec confiance.
Ainsi que nous le disait si bien l’abbé, dimanche dernier, la résurrection glorieuse de Pâques a suivi le sanglant et douloureux calvaire du vendredi saint.
Si nous conservons la foi dans les destinées de notre pays, si nous nous comportons en français, avec une âme de français, si nous savons vouloir, la France ressuscitera un jour, elle aussi, du calvaire présent.
En vous faisant mes adieux, je vous dis : courage ; je répète à tous : confiance, confiance encore, confiance toujours.

Le mercredi 3 juillet, je pars pour Agen en voiture pour y être hospitalisé quelques jours. J’en ressortis le 15 juillet et en arrivant à Périgueux, je trouve Gravelin et Dejauney qui sont venus me chercher en auto.
Le bataillon stationne toujours à Mainzac mais ils m'apprennent que le 16 juillet sera son dernier jour.
Tous les bataillons de chars, par ordre des Allemands doivent avoir cessé d'exister le 17.
Déjà, la veille, nous chars ont été amenés à Périgueux où ils ont été versés au parc d'artillerie où ils seront stockés sous contrôle de la commission allemande d'armistice.
En sortant de Périgueux, nous croisons la colonne de chars Somua qui viennent à leur tour être rendus au parc.
Le lendemain 16 juillet, dernier jour d'existence du bataillon et de toutes les autres unités de chars.
C'est pour nous tous un véritable crève-cœur de voir la suppression de cette arme à laquelle nous sommes attachés après de longues années et dont, au surplus, nous sommes fiers, parce que nos équipages ont été splendides et en tous points dignes de leurs anciens de l'artillerie d’assaut.
À 11 heures, les officiers du bataillon se sont réunis à la popote pour faire leurs adieux au commandant Petit qui part prendre le commandement du canton de Maissac, dans la Corrèze. En qualité de plus ancien, je suis chargé de lui dire quelques paroles, mais je ne puis m'empêcher de déborder du sujet et de dire ce que son départ signifie à nos yeux, le symbole de la disparition des chars et surtout de nous unités de chars B, qui représentent pour nous, toute une époque avec ses peines, ses joies et ses espoirs.
Et puis, le départ de tous nos chefs (le lieutenant-colonel Sudre est parti le matin mêmes à Brives) nous laisse la pénible impression que dans cette débâcle, chacun s'est empressé de s'assurer une place, nous laissant abandonnés, aux prises avec toutes sortes de difficultés. Cette sensation s’avivera lorsque nous les reverrons, revenir à toute allure à la formation du régiment de cuirassiers.

Mainzac
 
Aspirant de Thoiry
Docteur Dezaunnay
 
Docteur Dezaunnay
Lieutenant Ogé
Lieutenant Drapied
Aspirant de Thoisy
Sous-lieutenant Gravelin
Lieutenant Drapied
Avec ce sourire, il doit pour une fois, ne pas lire le Temps.
 
 
Dans l'incertitude de l'avenir 17 juillet 1er août

Abandonnés, nous le sommes en effet, et nous n'avons pas tardé à nous en apercevoir.
Le bataillon dissout le 17 juillet, forme à cette date plusieurs éléments distincts dont on ne sait trop ce qu’ils sont :
La compagnie d'infanterie de chars à numéro 46. Commandée par le lieutenant Gaudet
La compagnie d'infanterie de chars numéro 47.Commandée par le capitaine Ghislain.
La compagnie d'ouvriers des chars commandée par le lieutenant Bibes qui part pour Périgueux.
Les répartitions de personnels entre ces unités sont faites par ancienneté de classe et les classes les plus anciennes forment en outre :
la compagnie de travailleurs de la 6e demi-brigade qui rassemble les classes les plus anciennes des corps de la 6e demi-brigade et dans laquelle le détachement du 47 est sous les ordres du capitaine Citroën.
Toutes ces unités s'administrent isolément, mais ne savent pas comment les compagnies d'infanterie doivent être rattachées à des régiments régionaux ; mais ceux-ci ne sont pas encore créés et les compagnies n’ont aucune vie administrative.
Dès le 16, on leur a refusé le ravitaillement, parce qu'elle n'avait pas de fonds pour les payer.
Il faut à tout prix une solution. Dès le 16 au soir, après le départ du commandant Petit j'ai fait le voyage de Confolens pour tâcher de m'arranger avec l’intendance.
Le 17 et de 18 j’arpente à nouveau les routes, pour agir tantôt à Limoges auprès du colonel Bonnet de la Tour, commandant les chars de la deuxième région et à l'état-major de la deuxième région, tantôt auprès du général Vermeil de Conchard, commandant le département de la Charente et de nouveau avec l’intendance.
Enfin, après trois journées passées à rouler du matin au soir, j'ai pu obtenir une solution nette et mes compagnies sont rattachées administrativement au dépôt d'infanterie 4094, commandée par le lieutenant-colonel Vigne, mon ancien ennemi du 501 et situé non loin de nous à Marthon.
Du 19 au 22, je reste à Mainzac, passant encore quelques jours près des camarades que la démobilisation touchera sans doute bientôt et que je ne reverrai sans doute pas de longtemps, tout au moins pour certains d'entre eux.
Entre-temps, le commandant de Bar, père de l'aspirant, est venu tâcher de savoir si nous avons des nouvelles de son fils.
D'après certains renseignements obtenus par le lieutenant Berquet, il semble que nous puissions lui donner l'espoir que son fils est vivant.
On nous a donné des chevaux pour notre ravitaillement, faute d'essence. C'est le début de la déchéance.
Le 22 juillet je pars pour Grenoble en convalescence. Ce jour marque pour moi la fin de la période de guerre. Je ne reverrai plus Mainzac.
Nous y avons vécu, ces jours derniers, des heures tristes, mais pleines de souvenirs faits des heures tragiques vécues ensemble et surtout du fait que nous avons tous une estimes réciproque pour la façon dont chacun a su tenir son rôle, malgré les efforts intenses et l'esprit de sacrifice qu’on leur a demandé.
Comme l’a dit le général Delestraint, et comme le répéter sera le général de la fonds, lors de sa revue d'adieux à la quatrième division terrassée :
« tous rentrerez chez vous la tête haute et la conscience en paix, car vous n’avez pas été de ceux qui ont fait la guerre le dos à l'ennemi, avec pour chargement et armement le gourdin dans une main et le saucisson dans l'autre ».
Au moment de mon départ, les restes du bataillon assurent la garde et la surveillance de la ligne de démarcation.
La compagnie Ghislain à Charras,
La compagnie Gaudet à Grassac.
À 22 heures, je prends le train à Périgueux où m’ont accompagné en voiture le sous-lieutenant Paulieu. Démobilisé et le lieutenant Ortel, qui, blessé à Abbeville a fait un long voyage pour nous retrouver et avoir des nouvelles de tous.
Le sous-lieutenant Huberdeau également blessé à Abbeville est venu avec lui, mais lui, qui est d'active, reste avec la compagnie Ghislain.
 
 
Mainzac
 
Sous-lieutenant Gravelin
Aspirant de Thoisy.
Docteur Dezaunay
Lieutenant Ogé
 
 
Lieutenant Drapied
Lieutenant Robinet
Aspirant de Thoisy.
Lieutenant Gautier
Docteur Dezaunay
Lieutenant Ogé
Sous-lieutenant Paulien
 
 
Cuirassiers   1er - 31 août
 
Au milieu de ma convalescence, Drapied m'a appelé à Périgueux par télégramme. Je suis parti sans chercher à comprendre et me présente à la caserne Daumesnil le 2 août.
On y forme un régiment de cuirassiers motorisés, composé avec des éléments venant uniquement des chars.
Cette fois, c'est encore la véritable foire d'empoigne. Il rapplique des candidats de partout, des état-major, des formations de chars dissoutes, des cantons. C'est la grande bagarre et Drapied a jugé mon retour d'autant plus nécessaire, que mon entrée au régiment s'est heurtée à une opposition marquée du lieutenant-colonel Sudre, que j'attribue, en partie à un écho lointain du jour où j'ai remis un peu vertement son adjoint à sa place, près de Chartres.
Décidé à ne pas me laisser faire, j'ai sauté en auto à Brives où il se trouve encore et à la suite d'une explication assez longue et pénible, j'ai obtenu qu'il téléphone devant moi au bureau du colonel Bonnet de la Tour, pour que l'on me prenne au régiment, où le commandant Aymé, qui a pris mon parti, m'a demandé comme Adjudant Major. J'ai donc satisfaction mais ne me dissimule, malgré ma satisfaction d'amour-propre, que les rapports seront désormais assez délicats entre lui et moi. Mais je voulais gagner, et c'est fait.
Après, on verra bien, il peut se passer tant de choses que le présent suffit et qu'il est inutile de spéculer sur l'avenir. Je suis donc affecté, grâce à la bienveillance du commandant Aymé à mon égard, au premier groupe d'escadrons du régiment de cuirassiers.
Notre départ pour Lyon est fixé aux 5 août.
Je m'en réjouis d'autant plus que je retrouve à ce régiment de bons camarades et d'excellents gradés et chasseurs du 37 et du 47.
Ceux-ci sont, il est vrai, presque tous au deuxième groupe d'escadrons sauf Drapied et de Thoisy qui sont avec moi.
Le 5 août au matin, nous sommes prêts au départ, tous les véhicules en colonnes dans la cour de la caserne Daumesnil ; mais l'ordre de mise en route sur la gare ne vient pas, il faut paraît-il attendre des wagons.
À midi, un télégramme de Limoges arrive : le régiment ne fait plus mouvement sur Lyon à l'exception d'un groupe d'escadrons. Le reste demeure sur place et recevra une garnison dans la 12e région.
La grosse question est de savoir qui va aller à Lyon.
À deux heures, la plupart des officiers sont réunis dans le bureau du colonel Bonnet de la Tour qui décide, sans vouloir tirer au sort que c'est le premier groupe d'escadrons qui partira pour Lyon.
Nous en sommes d'autant plus satisfaits que l'on fait entrevoir la garnison de Tulle au reste du régiment.
Nous continuons donc que à préparer notre départ pour Lyon.
Mais les jours passent sans rien amener. À chaque fois que nous allons à la gare, on nous dit qu'il n'y a pas de wagons.
Nous commençons à penser que la question de Lyon est enterrée. D'autant que le bruit commence à courir que les Allemands ne veulent pas de la formation de ces régiments de cuirassiers. Quand le 19 août au matin arrive l'ordre de départ et à 22 heures, nous prenons la direction de Lyon, salués à la gare par les adieux un peu envieux de nos camarades de l'autre demi-régiment.
 
Lyon
 
Après un voyage de 24 heures, nous sommes arrivés à Lyon le 22 août à 23 heures. Le débarquement est assez long et finalement, c'est encore sur nos lits de camp que le commandant et moi finissons notre nuit dans une chambre du quartier de la Part-Dieu.
Dès le 21 août au matin le commandant Aymé est allé se présenter à l'état-major de la région, où on lui apprend qu'il ne devrait pas être la et qu'un contrordre a été donné à notre départ de Périgueux. Il était temps, et puisque que nous sommes là on nous accepte. Mais sans savoir cependant ce qu’on va faire de nous, car il est confirmé que les Allemands ne veulent pas de notre transformation en cuirassés.
Le 23 août, la sinistre décision tombe :
devenons premiers bataillons du 153e régiment d'infanterie, en garnison à Lyon et qu'il est formé, en ce qui concerne les deux autres bataillons, par l'ancien 99 qui prend la tradition des régiments de forteresse.
À partir du 1er septembre, nous devrions être habillés en fantassins et faire disparaître les vestes de cuir et d'une façon générale tous les insignes et attributs rappelant que nous avons été « chars ».
C'est incroyablement dur pour nous tous et à plusieurs reprises le commandant rassemble le bataillon pour lui expliquer les choses et l'amener à se résigner à notre malheureux sort.
Le 31 août, à 15 heures, le commandant Aymé passe en revue notre détachement, pour la dernière fois en tenue de chars ; il dit encore quelques mots empreints d'une profonde émotion et d'une immense tristesse.
La manière dont tous l’écoutent puis défilent devant lui, montre que tous ont compris...
Celea jacta est
Puisse la cruelle leçon des événements n'être pas perdue pour l'avenir.

 

Le képi rouge 1er septembre 1940
 
Le premier groupe d'escadrons du régiment de cuirassiers motorisés de Périgueux, forme à ce jour le premier bataillon du 153e régiment d'infanterie alpine.
De tout ce qui fut notre orgueil et notre joie, il ne nous peut reste qu’une caricature de béret...
Comme commentaire, ces seules lignes extraites de différents rapports du commandant Aymé dont malgré les déceptions, les luttes avec l’esprit biffin, et avec l’incompréhension des chefs, la foi dans le renouveau de notre arme n'a pas varié et qui fait chaque jour, tout pour empêcher les vieux comme les jeunes de se laisser aller au découragement :
« la dissolution de notre arme se traduit, avant tout, pour le personnel « Troupe » par une question de boutons. Il faut malheureusement avouer, que le fait de lui avoir donné la tenue et les insignes d'une arme dont il a vu tant d'unités fuir en débandade sur les routes de France, alors qu'il se battait avec courage, l'incite à s'en aller et à demander à quitter l'armée. Il y a donc là pour les chars un danger contre lequel il faut se protéger…
De ce qu'ils ont vu au cours de la retraite alors qu'ils combattaient avec courage, la plupart dans les rangs de la 4e division cuirassée, ils ont gardé un souvenir extrêmement douloureux dont ils n'ont pas encore pu se libérer.
La dissolution de leur arme, leur affectation à l'infanterie, la suppression complète de tout ce qui pouvait rappeler l'arme glorieuse à laquelle ils avaient appartenu (boutons, képis, fanions et y compris pour les sous-officiers la prime de spécialistes qui leur avaient été accordés par décret), l’impression peut-être fausse, d'avoir perdu contact avec les différents échelons de commandement des chars, n'ont fait qu'augmenter ce malaise.
Il en est résulté de nombreuses demandes de départ.
C'est là une indication très précise de l'état d'esprit actuel des officiers et sous-officiers de chars.
Cela ne veut pas dire cependant qu'ils ont mauvais esprit.
Bien au contraire, ils sont toujours comme ils étaient au feu, animés d'une foi profonde dans les destinées de la France et sont persuadés qu'ils auront encore un rôle à jouer.
Mais, la nécessité de vivre dans un milieu qui leur est totalement étranger, les difficultés matérielles en face desquelles ils se trouvent ont créé chez eux, malgré leur volonté d'accepter tous les sacrifices, un fléchissement dans leur moral, dont ils sont les premiers à souffrir cruellement.
La mesure qui a été prise de regrouper tous les cadres des chars dans une même unité d'infanterie est certes excellente, mais en raison de ce qui vient être dit plus haut, il ne semble pas qu'elle soit suffisante pour :
- garder intactes les traditions des chars,
- conserver au complet un personnel de premier ordre, en lequel le commandement peut avoir une confiance absolue et dont il aura sûrement besoin :
soit pour constituer avec du matériel étranger les colonnes blindées qui libèreront le sol français,
soit pour reconstituer l'arme des chars qui doit être à la base de la réorganisation de l'armée française.