RELATION DÉTAILLÉE

DU COMBAT DE LA 3e COMPAGNIE DU

7e BATAILLON DE CHARS LÉGERS


à CHEMERY (Ardennes) le 14 MAI 1940

 

 par David Lehmann

 

 
Le 13 mai 1940 à 17 heures, le 7e B.C.L. en position d'attente depuis trois jours aux ALLEUX (près du CHENE POPULEUX en Argonne) recevait l'ordre de ne porter dans les bois sud de SEDAN en vue "éventuellement", de contre-attaquer si l'ennemi réussissait à franchir LA MEUSE. Ce que ne disait pas l'ordre c'est que cette éventualité était un fait accompli depuis quelques heures.
Le mouvement des chars a commencé dès la tombée de la nuit en utilisant la route nationale VOUZIERS-SEDAN, seul itinéraire possible. Les compagnies sont mises en route dans l'ordre 1-2-3. Cette progression dans la nuit, qui aurait du demander trois heures au maximum se prolongea jusqu'au lendemain matin 6 heures. Une panique effroyable, à la nouvelle que les Allemands avaient franchi LA MEUSE avait jeté pêle-mêle sur les chemins, populations civiles, équipages militaires désemparés, convois, etc ..... Toute cette cohue se repliait sur VOUZIERS en encombrant la route d'un triple et même quadruple courant. Tandis que les chars légers du 7e B.C.L. se frayaient péniblement un passage vers le nord.
A 5 heures du matin, la 3e Compagnie est en entier au Bois du Mont Dieu :(13 chars et un élément avancé de son échelon sur roues). Elle est loin d'avoir atteint son point de destination (il est vrai que les Boches y sont depuis la veille), les équipages sont exténuée par 8 heures d'un pénible pilotage nocturne. La route s'est un peu dégagée mais il fait jour et les avions ennemie commencent leur ronde. Déjà le camouflage est entrepris quand le capitaine MIGNOTTE commandant la compagnie reçoit l'ordre de se mettre à la disposition de la 55e division d'infanterie pour contre-attaquer en direction de SEDAN dès le lever du jour. Le rendez-vous fixé est CHÉMERY (6 km plus au Nord) avant 4 heures du matin. Il est 4 heures 45 !
Plus personne ne songe à la fatigue. Les hommes comme les gradés sont furieux du retard qu'ils ont du subir. Le combat est engagé sans eux ! Ils ont raté leur baptême du feu ! Du moins ils le croient.
Tandis que le commandant de compagnie fonce en moto à CHEMERY au P.C. de la division, le lieutenant adjoint (lieutenant HERAUD reforme la colonne de chars et reprend la route. On se moque bien du camouflage anti-aérien, il faut arriver. Malheur à la "401 Peugeot" d'un artilleur endimanché, elle refuse d'appuyer à droite pour ne pas égratigner sa belle carrosserie aux ronces qui débordent. La colonne de chars est passée …… la "401" n'a plus d'aile gauche et son conducteur vocifère au milieu de la route.
A CHEMERY la division est déjà partie et c'est un officier envoyé par le commandant GIORDANI (commandant du 7e B.C.L.) qui met le commandant de la 3e compagnie au courant de sa mission. Elle est à la fois simple et tragique et peut s'exprimer ainsi :
"La situation empire d'heure en heure. Les Boches ont franchi la MEUSE avec "quelques" éléments transportés sur camions et autos. Il faut barrer la route SEDAN-VOUZIERS, la nettoyer de tout ennemi et si possible pousser jusqu'à SEDAN. A tout le moins résister sur place jusqu'à l'arrivée de renforts qu'on ne doit pas espérer avant ce soir. Il reste très peu d'infanterie, aucune artillerie et aucune aviation pour aider l'action des chars qui ne devront compter que sur eux. La 3e Compagnie agira seule pour barrer l'axe routier SEDAN-VOUZIERS et la vallée de LA BAR. Le succès réside à sa rapidité d'intervention. Les deux autres compagnies du bataillon seront à 3 km plus à l'est pour tenir les débouchés des bois.
La colonne de chars n'étant pas encore arrivée, le commandant de compagnie en profite pour reconnaître le terrain d'action et voir sur quelle infanterie il peut compter. Il s'engage, toujours en moto, la route de SEDAN. Quelques fantassins sont à la sortie Nord de CHEMERY avec un chef de bataillon et un sous-lieutenant. Ne pouvant croire que ce soit là la seule infanterie destinée à la défense de la vallée le capitaine de chars poursuit sa route vers le nord à la recherche de son infanterie. Près de 2 km sont parcourus sans rencontrer âme qui vive. Le silence devient inquiétant. Revenant à CHEMERY le capitaine de chars y retrouve le chef de bataillon d'infanterie qui l'informe que c'est bien son bataillon qui doit progresser "en marche d'approche" vers SEDAN. Il ajoute qu'il dispose en tout à peine de l'effectif d'une compagnie. Contemplant la poignée d'hommes, l'officier de chars n'est pas bien sûr qu'il ne se vante.
Les fantassins qui sont là sont exténués. Ils ont du se replier dans la nuit en proie aux sinistres rumeurs que répand "une cinquième colonne" très active et dont on ne se méfie pas encore suffisamment. Deux jours de bombardements aériens ont brisé les nerfs de ces hommes qui n'avaient jamais vu le feu. Il n'y a que deux chargeurs par F.M., pas une grenade, un seul canon de 25mm servi par des coloniaux venus d'une compagnie divisionnaire.
Tout ceci n'impressionne nullement le capitaine de chars qui a confiance dans son matériel : 13 chars F.C.M. de 12 tonnes. Le carburant gasoil garantit encore 12 heures de marche malgré les 8 heures de la nuit précédente. La dotation en munitions est complète. Beaucoup d'obus explosifs mais 12 obus de rupture seulement. Qu'importe, ces obus sont inutiles puisque aucun blindé n'est signalé comme ayant passé la MEUSE.
Un coup d'œil sur la carte indique un étranglement de la vallée à 1200 mètres au nord de CHEMERY. A cet endroit la rivière LA BAR borde la route et constitue un obstacle presque absolu dans la partie ouest de la vallée. Sur son rebord est la route est dominée par un talus boisé qui se soude à la hauteur du bois de NAUMAY ; sur ce flanc de la vallée il ne saurait y avoir que des infiltrations d'éléments à pied. L'intention du chef des chars est d'atteindre ce point favorable le plus vite possible pour ne pas être tourné. Ensuite on verra.
La colonne de chars dirigée par le lieutenant HERAUD en tête dans le char de commandement, arrive à 6 heures 10 à la sortie nord de CHEMERY. Les minutes sont précieuses, impossible de donner des ordres détaillés, il faut gagner l'ennemi de vitesse. Une seule tactique possible : le capitaine, dans son char, fera manœuvrer la compagnie au fanion. La section de tête est celle du sous-lieutenant PAGES ; elle demeurera en tête et progressera sur l'axe de la route, le lieutenant HERAUD préviendra au passage les autres chefs de section de se conformer à l'attitude du capitaine
La compagnie s'ébranle, la char PAGES sur la route, le char du capitaine ayant déboîté sur la gauche est entre LA BAR et la route. Les autres sections sont encore dans CHEMERY mais déjà ramassées et prêtes à s'élancer. Quelques fantassins sont tapis au bord de la route et dans les broussailles qui bordent la rivière ; la présence des chars les rassure un peu, mais ils sentent leur faiblesse numérique et n'ont pas l'air d'avoir grande envie de progresser. Les chars ont parcouru quelques centaines de mètres quand éclate le premier coup de canon. C'est une pièce anti-char boche dissimulée sur le rebord est de la route qui vient de se dévoiler et ouvre le feu sur le char de PAGES (cette pièce ne s'était pas révélée quand le capitaine était passé à côté au cours de sa reconnaissance en moto une demi-heure plus tôt). Instant de surprise et d'émoi. Tous les chars s'arrêtent : c'est le baptême du feu terrestre !
Mais ce flottement ne dure pas. Tandis que la section PAGES riposte sur l'engin ennemi, le capitaine s'élance dans la prairie en ordonnant en bataille avec son fanion. La section du sous-lieutenant LACROIX voit le signal et s'engage sur les traces du char de commandement, mais la section de l'aspirant LOISEAU n'a pas vu le petit fanion blanc et vert. Elle reste sur la route derrière la section PAGES empêchant le débouché de la section du sous-lieutenant LEVITTE. Le commandant de compagnie revient en arrière et se plaçant près des sections LEVITTE et LOISEAU il recommence le signal en bataille. Le lieutenant LEVITTE se rendant compte de l'appel qui lui adresse son commandent de compagnie bondit littéralement avec son char qui vient se placer à côté le celui du capitaine et entre en liaison à voix. La section LOISEAU procède par imitation et quand le char de commandement reprend la tête il est suivi par la compagnie déployée. Le char de PAGES n'a pas cessé de subir le feu de l'ennemi pendant cette manœuvre. Un obus lui a brisé une chenille et toute cette section est bloquée sur la route.
A ce moment une deuxième pièce anti-char se révèle un peu plus loin dans le fossé de la route. Mais cette fois la compagnie de chars est lancée et les deux engins ennemis sont détruits en très peu de temps par la concentration de feux des chars. Beaucoup de coups ont frappé le blindage des "F.C.M.", aucun n'a perforé. Les équipages prennent conscience de leur puissance et c'est la ruée vers le goulet. Quelques éléments ennemis ont été aperçus, ils sont massacrés ou disparaissent dans les carrières et dans les bois. L'étranglement de la vallée est atteint.
Avant de poursuivre plus loin, il faudrait quelques éléments d'infanterie pour tenir ce passage. Or l'infanterie est restée à CHEMERY, se contentant d'accompagner les chars de ses vœux !
Manœuvrant au fanion, la compagnie revient en arrière pour reprendre le contact. Vieille réminiscence de l'Ecole des chars : "L'infanterie ne suit pas. Que fait-on ?"
Assis sur sa porte de tourelle, pour bien montrer que tout danger était écarté, le capitaine exhorte quelques fantassins à le suivre et c'est ainsi que les chars repartent en avant en ramenant une dizaine d'hommes. Sitôt le goulet dépassé on aperçoit à 600 mètres, dans le fond de la vallée, le village de CONNAGE un peu à l'ouest de la route nationale.
Tout le terrain entre CHEMERY et le goulet étant déblayé le capitaine engage son char au-delà de l'étranglement et se porte sur CONNAGE suivi des sections LOISEAU et LACROIX. La section LEVITTE qui longeait le cours de LA BAR s'est embourbée dans un marigot. La section PAGES dont le char de tête n'a pu être encore réparé est toujours immobilisée sur la route un peu au Nord de CHEMERY.
Le mouvement sur CONNAGE s'exécute sans incident. Le village et ses abords sud ont été évacués par les Allemands. Toujours commandés au fanion les chars reviennent en arrière du goulet ; au cours de ce déplacement ils reçoivent quelques obus lancés par une batterie anti-char qui vient de s'installer sur la hauteur à l'est de CONNAGE. Un de ces projectiles a mis le feu à la bâche du char du sergent LE TALLEC ; cette bâche, pliée, était arrimée sur le côté du blindage, la rapidité d'intervention n'ayant pas permis de la retirer avant le combat. Dans l'ardeur de la lutte l'équipage ne s'est aperçu de rien et le feu risque de se communiquer au réservoir de gasoil. Le capitaine descendant de son appareil se porte vers le char en danger réussit à décrocher la bâche enflammée.
Aucun coup de feu ne retentit, ce que voyant le sous-lieutenant LACROIX sort du char à son tour et vient prendre les ordres de son chef pour la suite de l'affaire.
A ce moment six chars sont réunis aux abords de l'embranchement de route dans un angle mort qui lui permet d'échapper aux vues et aux coups de la batterie anti-char. Celui du sous-lieutenant LACROIX et ses deux chars subordonnés (sergent CORBEIL, et caporal-chef TIRACHE), deux chars de la section LOISEAU (celui du sergent LE TALLEC et celui du sergent BOITARD), enfin le char du capitaine. Le char de l'aspirant LOISEAU s'est embourbé dans un marigot aux abords de CONNAGE.
La section LEVITTE essaye de se dépanner et malgré le tir la batterie anti-char, on voit le lieutenant, à pied, dirigeant la manœuvre pour tenter de sortir du marigot le dernier char qui s'y trouve encore.
Les ordres donnés par le commandant de compagnie sont les suivants :
"La section LACROIX progressera en tête sur l'axe de la route.
Ligne à atteindre :
1. la route CONNAGE - BULSON,
2. les lisières de CHEHERY.

"Le sergent LE TALLEC prendra le commandement de la section LOISEAU (réduite à deux chars) et progressera à gauche et légèrement en retrait de la section LACROIX.

"Le capitaine se placera au centre du dispositif au mieux des circonstances. Se tenir prêt à obéir au fanion du commandant de compagnie.
"La section LEVITTE ne pouvant être atteinte par les ordres sera considérée comme momentanément en réserve. Le commandant de Compagnie est sur que le lieutenant LEVITTE dont l'ardeur est proverbiale le rejoindra dès que ce lui sera possible."
Tout ceci a demandé cinq minutes à peine et déjà LACROIX a bondi dans son char et démarre. Il vient de s'ébranler quand au détour de la route, à une centaine de mètres à peine, un char boche apparaît et s'immobilise. C'est un engin de 30 à 40 tonnes qui encombre la plus grande partie de la route. Le sous-lieutenant LACROIX se précipite littéralement sur lui, s'arrête à 15 mètres et commence un feu nourri. Il a été suivi instantanément par un de ses chars (celui du sergent CORBEIL) et par celui du sergent LE TALLEC
La capitaine est encore à pied en dehors de son char, il arrête les deux autres appareils qui commençaient à s'ébranler et donne au sergent BOITARD et au caporal-chef TIRACHE qui les commandent, l'ordre de rester en arrière à 300 mètres environ pour appuyer de leurs feux les chars de tête. Puis il monte dans son appareil et va se placer à côté du char de LACROIX.
Le combat chars contre chars commence. Mais la lutte est inégale. De notre côté six chars légers de 12 tonnes armés chacun d'une mitrailleuse et d'un canon de 37 modèle 1916, c'est-à-dire un canon inapte à la lutte contre blindés.
Du côté allemand trois chars de 35 tonnes à 15 ou 20 mètres en face de nos quatre appareils de tête ; un peu en arrière sur la route, sur la hauteur et dans le fond de la vallée, une nuée d'autres chars ennemis.
L'approvisionnement en obus de rupture (12 obus par char) est bientôt épuisé. Le tir continue à obus explosifs. Ceux-ci aveuglent les chars allemands qui ne ripostent qu'avec une extrême lenteur. Beaucoup de leur obus ricochent sur nos blindages, mais ceux d'entre eux qui arrivent de plein fouet les traversent. C'est ainsi que le mécanicien LINTANFF est grièvement blessé. Un peu plus tard c'est le tour du sous-lieutenant LACROIX. Touché à la poitrine il jaillit ensanglanté de son char et s'effondre inanimé dans le fossé de la route. Son mécanicien le chasseur ROCHELLE prend sa place dans la tourelle, car le feu de ce char recommence presque aussitôt. Un peu plus tard, c'est le silence : ROCHELLE, sans doute touché à son tour, n'a plus été revu.
Le combat se prolonge. Un char allemand est en flammes. C'est alors que l'ennemi met en oeuvre un canon plus important (calibre 75 et même 105 pour certains chars) placé dans l'axe de chaque appareil. Ces projectiles tirés à bout portant sont extrêmement meurtriers. C'est d'abord le char de CORBEIL qui est éventré à l'avant ; le mécanicien LINTANFF qui, un obus de 37 logé à la base du cou continuait de passer les munitions à son chef de char, a le ventre ouvert. Imperturbable, CORBEIL continue à tirer. Un second coup lui détériore son arme. Il sort alors de son char et s'abrite tant bien que mal dans le fossé de la route.
Le char du sergent LE TALLEC reçoit un obus dans la chambre du moteur et s'enflamme. Pendant plusieurs minutes l'équipage continue à tirer, puis la chaleur devant intenable, à son tour il est obligé d'évacuer. Le sergent et son mécanicien (le chasseur AUDOIRE) s'échappent au plus fort de la bagarre et courant vers les buissons qui bordent LA BAR, ils regagnent CHEMERY où ils sont recueillis par le lieutenant HERAUD qui de loin, assiste au combat.
Des quatre chars de tête, seul celui du commandement est encore en état de tirer. Deux obus de rupture ont pénétré dans la tourelle, mais par miracle l'équipage est indemne. Le capitaine prescrit à son mécanicien de faire demi-tour sur place, de manière à avoir une plus grande protection en se couvrant de toute l'épaisseur du moteur. Le canon dirigé vers l'arrière continue à tirer. Le demi-tour vient à peine d'être achevé qu'un gros obus (sans doute du 105) arrache la chenille gauche et déplace le char de plusieurs mètres. Se rendant compte qu'il ne pourra tenir longtemps le commandant de compagnie ordonne à son mécanicien (chasseur HEINRICH) d'évacuer en profitant d'un feu nourri qu'il déclenchera pour aveugler l'ennemi. Le chasseur HEINRICH devra prévenir au passage les deux chars arrière (sergent BOITARD et caporal-chef TIRACHE) de se replier sur CHEMERY pour se mettre aux ordres du lieutenant HERAUD. D'ailleurs le char de BOITARD est momentanément hors de combat, son chef ayant été intoxiqué par les gaz provenant du tir de la mitrailleuse. Quant à celui de TIRACHE il ne se déplace que péniblement un galet de son train de roulement ayant été arraché par un obus anti-char. Le char du capitaine après un tir répété et violent se tait ; l'arme est enrayée. Les Allemands croyant tout fini cessent le tir et pendant de longues minutes c'est le silence de part et d'autre. La culasse du canon du capitaine est débloquée, l'arme est de nouveau prête à tirer. Il reste une trentaine d'obus.
Enfin un char boche s'ébranle et fait quelques mètres lentement. Le char français reprend son tir et l'ennemi s'immobilise. La pétarade reprend. le char de LE TALLEC qui continue à brûler protège en partie par sa masse celui du capitaine. Les Allemands dont les chars marchent à l'essence n'osent pas en approcher pour prendre dans l'axe de leur gros canon le dernier char français et seuls les obus de rupture lancés des tourelles crépitent sur le blindage du char léger.
Les derniers obus du char de commandement sont épuisés. Jusqu'à CHEMERY le terrain est vide d'amis. Tous les autres survivants semblent avoir réussi à rejoindre. Le commandant de compagnie sort de son char par la porte avant sans aucune précaution : il est exténué et s'attend à tout. Surprise ! les chars allemands cessent le feu. Le sergent CORBEIL qui était toujours dissimulé derrière son talus court vers son chef, l'aide à se relever et l'entraîne vers la hauteur, vers les bois. Une heure plus tard ils arrivaient à CHEMERY où le lieutenant HERAUD et le lieutenant CHASSEDIEU, chef de la section d'échelon les accueillent.
Ces deux officiers ont déployé une activité fructueuse pendant toute la matinée. Tandis que CHASSEDIEU se porte lui-même avec deux dépanneurs auprès des chars de PAGES pour tenter de les réparer, le lieutenant HERAUD avec d'autres dépanneurs et quelques motocyclistes faisant le coup de feu contre des éléments ennemis qui ont progressé par la rive Ouest de LA BAR (Zone de l'Armée voisine) les empêche de s'emparer des lisières de CHEMERY. Grâce à leur action trois chars seront récupérés et les équipages qui ont pu sortir des appareils détruits rentrent dans nos lignes.
La 1ère et la 2e Compagnie du 7e B.C.L. qui avaient reçu une mission à peu près analogue un peu plus à l'Est dans la Région BULSON-MAISONCELLE avaient connu le même destin. Elles avaient bloqué l'avance ennemie mais étaient aux trois-quarts détruites.
L'ennemi ne pouvant croire que ces chars légers, qui les ont tenus en haleine toute la matinée, sont seuls dans ce secteur, n'ose pas poursuivre avant de s'être réorganisé. Il occupe le reste de la journée à rassembler des forces nouvelles pour prononcer une attaque en force. Mais le soir du 14 mai vers 18 heures la 3e Division Cuirassée et les premiers éléments de la 3e Division d'Infanterie Motorisée arrivent au MONT DIEU où ils libèrent définitivement ce qui reste de chars. Quand l'attaque se déclenche le 15, la défense est solidement organisée et les Allemands subissent de lourdes pertes. La route de VOUZIERS est bien barrée.
C'est au bois du MONT DIEU, là où l'ordre de s'engager avait touché la Compagnie que les survivants se regroupent. Il manque :
· 4 chefs de section,
· 3 chefs de char,
· 7 mécaniciens,
soit 14 hommes sur les 26 qui composaient les équipages.

Le 15 mai, en fin de matinée, une heureuse surprise était réservée à la compagnie. Le sous-lieutenant LEVITTE réussissait à rentrer dans nos lignes avec deux de ses mécaniciens, les chasseurs ARNAUD (mécanicien de WHERLE) et GICQUEL. Ils avaient échappé aux patrouilles boches bien que transportant un blessé grave, le sergent WERHLE qui devait mourir dans les bras de son lieutenant au cours de la journée.
La magnifique résistance des chars a enthousiasmé le commandement. La radio officielle célèbre cet exploit et tous les journaux de France le relatent dans les termes suivants :
L'HEROISME D'UN BATAILLON DE CHARS LEGERS FRANÇAIS
PARIS - 25 mai .- La bataille qui se poursuit dans le Nord est faite d'innombrables traits de dévouement et de courage de nos officiers et de nos soldats de toutes armes.
Les 13 et 14 mai, à l'un des moments les plus critiques la lutte, quand notre infanterie, malgré tout son acharnement, semblait devoir succomber sous la masse des avions et des engins blindés de l'ennemi, un bataillon de chars légers français joua un rôle capital. La moitié des effectifs de ce bataillon, les trois quarts de ses chars sont restés sur le terrain. C'est grâce à l'esprit de sacrifice de chacun que la mission a été remplie.
Comment choisir entre tant d'actes d'héroïsme ? .....
Le capitaine M…… son char en panne, continue à tirer pour couvrir le repli de son mécanicien. Quand ses munitions sont épuisées, il dirige le retrait de ses chars dans un ordre parfait freinant puissamment l'avance ennemie.
Pendant un engagement contre les chars lourds allemands, le lieutenant L…… part à l'assaut en flèche ; son char touché prend feu. On aperçoit L…… au moment où il arrache son mécanicien aux flammes avant de tomber mortellement blessé.
Et voici peut-être l'épisode le plus étonnant de cette épopée d'un coin du champ de bataille.
Le sous-lieutenant L…… à la fin d'une contre-attaque acharnée, voit plusieurs de ses chars touchés par des obus de fort calibre, immobilisés ; le sien, en particulier, était traversé de part en part par un projectile. Ses camarades furent tués et il fut porté disparu.
Le lendemain, à midi, à la popote, alors que chacun évoquait le souvenir de ce brave officier, ses camarades le virent, avec stupeur, apparaître. Son manteau de cuir déchiré, couvert de boue, il avait l'air d'un revenant de l'autre monde, et chacun se précipitait pour connaître son aventure.
Quand son char fut percé, par un projectile de gros calibre, il sortit, sous le feu, emportant dans ses bras son mécanicien qui avait le ventre ouvert et le bras droit cassé.
En cours de route, il ramena avec lui trois autres de ses mécaniciens et, comme le petit groupe cherchait à rejoindre nos lignes, il tomba soudain au milieu d'un parc allemand.
C'est alors que les quatre soldats valides et le blessé se cachèrent dans une rivière, entrant dans l'eau profondément et se dissimulant sous les racines d'un saule. Chaque fois que les boches passaient, nos Français plongeaient la tête dans la rivière.
"Nous avons attendu ainsi une heure" dit le sous-lieutenant L……
"Nous les entendions; ils parlaient, fumaient et gibernaient tout autour de nous.
".... Si nous avions eu un fusil-mitrailleur, nous les descendions, mais nous n'en avions pas. Nous avions le blessé avec nous. Il commençait à râler entre mes bras ; j'ai vu ses yeux ne révulser ; j'ai compris qu'il était mort ; je l'ai lâché et l'ai laissé partir au fil de l'eau.
Noue sommes resté là jusqu'au soir. A la nuit, nous sommes sortis de la rivière, cherchant à rejoindre nos lignes à travers le parc des "Fritz". Ce ne fut que le matin, au petit jour, que j'ai pu rejoindre nos lignes et que nous fûmes recueillis par des camarades ".
On imagine la joie, l'émotion, avec laquelle les camarades sous-lieutenant rayèrent son nom et ceux des trois mécaniciens de la liste des disparus.
La 3e Compagnie est généreusement récompensée par le général HUNTZINGER commandant la IIe Armée. Une proposition de citation collective à l'ordre de l'Armée est transmise dans ces termes au G.Q.G. :
3e COMPAGNIE DU 7e B.C.L.
"Unité ardente et manœuvrière qui, sous le valeureux commandement de son chef, a réalisé à tous les échelons un splendide acte de bravoure en s'opposant efficacement le 14 mai dans la région CHEMERY, CHEHERY, BULSON, à la progression d'une unité blindée ennemie d'une puissance offensive et défensive supérieure. Mérite, comme l'A.S. 321 dont elle a brillamment continué les traditions, la citation à l'ordre de l'Armée et l'attribution de la Croix de Guerre.
En outre, les récompenses individuelles suivantes sont décernées :
· 4 croix de Chevalier de la Légion d'Honneur
· 3 médailles militaires
· 21 croix de guerre dont 6 avec palme.
Plusieurs de ces décorations le sont hélas à titre posthume
La 3e compagnie du 7e B.C.L. est hors de combat. Elle ne sera pas reconstituée. Ses débris, avec ceux des 1ère et 2e compagnies entrent dans la composition d'une compagnie de marche qui continuera à se battre brillamment jusqu'à la fin de la campagne et vaudra au 7e Bataillon de Chars Légers une deuxième citation à l'ordre de l'Armée.