1944 1er REGIMENT DE CUIRASSIERS |
témoignage de Charles Deuve
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A cette époque, j'étais Brigadier-chef et le tireur du char "Mistral II" (sous-groupement A du CC4), dont l'équipage était le suivant : Capitaine Gauthier, commandant le 3ème escadron du 1er Cuirassiers, Brigadier-chef Charles Deuve, tireur, Olivier Cruse, chargeur-radio, Marc Chariot, pilote, et un jeune, depuis peu dans le char, et dont je ne me souviens pas, aide-pilote. L'équipage du char n'était inclus dans aucun peloton, et tous les quatre nous étions tout à fait à part, si bien que j'ai peu de souvenirs des autres personnes de l'escadron, sauf deux ou trois noms qui surnagent. Ceci explique en partie que j'ignore le nombre de chars entrés le 2 février à Wintzenheim. Les années ont passé, et les souvenirs s'estompent, mais je pense que l'escadron devait être à 12 ou 13 chars, compte tenu des pertes subies les mois précédents. Comme j'étais tireur, j'étais donc au fond de la tourelle et ma vision était limitée car je ne pouvais voir l'extérieur qu'à travers mon épiscope (instrument d'optique à miroirs utilisé dans les chars de combat pour l'observation). Enfin, Wintzenheim n'est pas mon meilleur souvenir, puisque c'est là que ma guerre s'est arrêtée et que je suis parti visiter les hôpitaux militaires pendant six mois. Mais je vais essayer de vous raconter les quelques petites choses que j'ai encore en mémoire.
Le 26 décembre 1944, le Capitaine Gauthier a remplacé le Capitaine Detroyat qui avait été tué par un tireur d'élite le 16 décembre à Orbey. Le pilote Chariot et l'aide-pilote ont rejoint le char "Mistral II" début janvier. De l'équipage de départ, il ne reste que Cruse et moi. C'est vers la mi-janvier, pendant notre repos à Combrimont dans les Vosges, que nous avons peint nos chars en blanc. Le 21 janvier, sous une très grosse tempête de neige, nous sommes partis pour les combats de Colmar, qui se sont déroulés dans la neige, avec des températures comprises entre -20° et -25°. Il faisait très froid, et dans les chars nous étions glacés. En effet, nous ne fermions jamais l'écoutille supérieure, et il y avait un appel d'air glacial qui descendait sur la poitrine du chef de char et le long du dos du tireur. Si bien que je m'étais emmitouflé dans une couverture et qu'aux pieds j'avais une grosse paire de bottes dans lesquelles je pouvais glisser mes chaussures. Je ne sais pas le nom des chars de l'escadron qui sont entrés à Wintzenheim avec le mien, mais je suppose que c'étaient les suivants : Mistral II, Meknes, Merchouch, Mediouna, Metz, Marseille, Montmedy, Maubeuge, Montpellier, Marengo, Marne, Montmirail, et peut-être Maroc. L'entrée à Colmar par le Nord Le 1er février, nous sortons de la forêt d'Andolsheim et nous dévalons vers Sundhoffen. Mon char était rangé le long d'un bâtiment assez bas, qui était peut-être la scierie. Nous attendions les ordres, lorsque nous avons subi un très violent bombardement. Les artilleurs allemands s'étaient réveillés car nous risquions de couper leur seule route de retraite utilisable entre Colmar et le Rhin. Et puis, vers minuit, nous reçûmes l'ordre de remonter vers le nord par Bischwihr, Riedwihr, le Pont de la Maison Rouge jusqu'à Ostheim. Au départ, nous avons failli oublier les 2 T.D. (tanks-destroyers M10) du 11ème RCA qui étaient avec nous et dont un, le "Kemmel", était en panne avec ses radiateurs crevés. Il fut pris en remorque par l'autre, dont le nom était le "Malmaison". Le 2 février, vers 8 heures, nous prenons position devant l'aérodrome de Colmar. Il fait très froid, environ - 20 C°, je crois. Nous attendons que les deux autres escadrons du régiment qui sont devant nous trouvent un passage. Une fois ce passage découvert, nous nous y engouffrons à notre tour, traversons Colmar et nous arrivons vers 12h30 dans la Cité des Vosges. Le souvenir que j'en ai, ce sont de grands immeubles et une foule enthousiaste sur les trottoirs. Beaucoup de personnes montent sur nos chars, et nous avons bien du mal à les faire descendre, car cela tire encore de partout. Et nous sommes partis pour Wintzenheim Dans mes souvenirs, c'est certain, nous sommes passés par Logelbach. J'ai toujours eu en tête ce nom, et comme je n'y suis jamais retourné, il faut bien que ce soit ce jour-là que j'ai su le nom. J'ai le souvenir d'être passé à travers le vignoble, et je crois bien que nous avions des ordres d'y faire attention. Mais il se peut que les nécessités des combats l'aient un peu abîmé. Veuillez nous en excuser. J'ai l'impression que nous sommes entrés à Wintzenheim sans tirer un coup de feu. Mais il se peut aussi que ce ne soit que par comparaison avec les jours précédents, où nous avions beaucoup tiré. En arrivant à Wintzenheim vers 16h30, nous avons remonté la grand'rue, et mon char s'est rangé le long du trottoir, en face de l'hôtel Meyer, et juste devant la grande porte cochère blanche d'une maison de vigneron. J'ai toujours gardé en mémoire la vue des Vosges dans le lointain, et lorsqu'il y a plusieurs années je suis retourné à Wintzenheim, j'ai retrouvé cette même vue. Nous avons alors soufflé, un peu de repos était le bienvenu. Le Capitaine est parti aux ordres, Cruse est resté dans la tourelle en écoute radio. Chariot et l'aide pilote ont ouvert leurs capots et mis la tête dehors, et moi je suis allé sur la tourelle pour y fumer ma pipe, appuyé sur le canon. Et puis, sans avoir rien entendu, nous avons été blessés tous les trois. Je pense que nous avons reçu le premier obus (Minen), qui est tombé sur l'avant droit du char. J'étais blessé aux deux jambes ; Chariot a été atteint à la tête et le jeune a dû avoir une jambe abîmée. Étant donné que je ne pouvais plus me déplacer, je me suis assis sur le bord du char, en attendant que quelqu'un passe pour me descendre. J'avais toujours ma pipe à la bouche. Ce fut un Légionnaire qui me transporta sous le grand porche où j'ai attendu que l'on s'occupe de moi. Mes derniers souvenirs de Wintzenheim sont l'arrivée d'une charmante personne venue m'apporter de l'eau de vie, que je n'ai pas bue mais que le Légionnaire a trouvé très bonne. J'avais appris quelques jours auparavant qu'en cas de grosse perte de sang, il ne fallait pas boire d'alcool. Or, j'avais perdu beaucoup de sang, mes bottes en étaient remplies. Depuis ce jour-là, tous les 2 février, je bois un petit verre d'eau-de-vie en souvenir de la bouteille que je n'ai pas touchée en 1945... Comme mes deux jambes me faisaient souffrir, car en plus de mes os cassés j'avais de multiples éclats, l'infirmier de l'escadron me fit une piqûre de morphine qui a dû m'endormir très rapidement et très profondément, car je ne me suis réveillé que sur une table d'opération, à l'hôpital... Nota : j'avais un frère, Joseph, décédé depuis, qui était au 11ème RCA, 3ème escadron, 2e peloton, sur le T.D. "Souville". Or, ce peloton marchait avec notre escadron le 2 février 1945. Après la libération de Wintzenheim, il avait été envoyé à Wettolsheim, et c'est en revenant de ce village, vers 19 heures, que mon frère, voulant me voir, a appris que j'avais été blessé et évacué sur l'hôpital de Colmar, ce qui a permis à mes parents d'en être informés rapidement. Ce n'était pas toujours agréable pour moi de savoir mon jeune frère dans les mauvais coins où nous nous trouvions parfois... Source : M. Charles Deuve, 82 ans. Propos recueillis par Guy Frank le 16 janvier 2004 |