VILLERS MARMERY n° 374 41e BCC 2e compagnie
Perçu par le 41e BCC 2e compagnie à Gien le 5 janvier 1940.
15 juin 1940 Montsuzain, 10 km nord de Troyes.
Depuis 15h00, les chars allemands avaient franchi l’Aube. On se battait sur les axes Vaupoisson – Montsuzain et Ramerupt – Charmont. Même s’ils n’avaient pas beaucoup dormi depuis le 10 juin, les hommes de GASC gardaient un moral intact. Certes, il y avait des pertes les jours précédents et ils se savaient pris en sandwich par les Allemands, mais ils avaient confiance en leurs matériels, même réduit en quantité. L’ennemi ne faisait pas peur, et s’ils le rencontraient de nouveau, ce qui était plus que probable, ils étaient certains de pouvoir encore traverser ses lignes et parcourir une nouvelle étape. Voici l’état d’esprit qui animait l’équipe du détachement GASC au moment où elle aborda la sortie Sud de VOUÉ, vers 19h00. Là, GASC apprit sans autre précision qu’il y avait beaucoup d’Allemands vers le Sud. La seule chose de visible, c’était une colonne de voitures de paysans et de soldats qui agitaient des mouchoirs blancs. GASC ne douta pas un seul instant qu’il s’agissait d’Allemands. En accord avec un commandant d’infanterie qui se trouvait là avec quelques hommes, GASC prit la décision de forcer le passage. Il ne savait pas que le « bouchon » était bien plus important qu’il n’y paraissait. Le fort détachement allemand, doté d’armes antichars, de mortiers, et au moins d’un canon automoteur, venait d’accrocher près de Montsuzain le 5ème Groupe du 242ème RADTT qui repliait sur ordre vers le Sud.
GASC mit rapidement son dispositif en place : Le B1 bis en tête, escorté à 50 mètres en arrière à droite par une chenillette de ravitaillement avec un sous-officier armé d’un fusil-mitrailleur couché dessus, le tout accompagné par les officiers, sous-officiers et chasseurs de son groupement, les uns équipés de quelques fusil-mitrailleurs, la plupart de leur pistolet ou des armes qu’ils avaient pu récupérer ça et là. L’équipée pris la direction de Montsuzain, entre la route départementale et le remblai de la voie de chemin de fer. Les deux cents premiers mètres en terrain découvert furent rapidement franchis sans difficulté. Tout à coup, une grêle de projectiles s’abattit sur le char et la chenillette. De nombreux Allemands se découvrirent sur la route départementale et la voie ferrée, ainsi que deux canons de 37 mm derrière fameux mouchoirs blancs. Immédiatement la chenillette fut incendiée, les munitions explosèrent, deux hommes s’écroulèrent, un troisième ainsi que le capitaine GASC furent légèrement blessés par des éclats. Les antichars adverses criblèrent le char d’obus. Sous l’avalanche de projectiles, l’antenne radio, les pots d’échappement, les ailes voltigèrent. Le B1 bis était complètement aveuglé par le flot d’étincelles qui l’entourait. L’équipage vit enfin d’où partaient les tirs, riposta, détruisit les canons antichars et arrosa les ennemis sur la voie ferrée, qui prirent la fuite, laissant de nombreux corps sur le terrain. Profitant d’un court moment de répit, GASC s’approchât de l’engin blindé pour voir pourquoi le canon de 75 mm en casemate ne tirait plus. Il constata que le fût était soudé au masque, et ne pouvait revenir en batterie. Malgré cette diminution notable de la puissance de feu, la progression du groupe reprit rapidement. Un troisième canon antichar se dévoila. Très rapidement repéré par le char, il fut non moins rapidement détruit. Un quatrième se mit en batterie au bord de la route. L'équipage du B1 bis ne le voyant manifestement pas, GASC et quelques hommes qui l’entouraient essayèrent de le neutraliser. Le canon détourna ses tirs sur le groupe, qui fut rapidement encadré par les projectiles. Des hommes tombèrent, Le capitaine GASC et son pilote, l’adjudant PY furent grièvement blessés. Rapidement, le groupe perdit la moitié de son effectif en tués et en blessés, les munitions s’épuisèrent. Le char repéra enfin le canon et le détruisit. Il reprit alors sa progression en direction de Montsuzain, prenant à partie tous les éléments allemands qui se dévoilaient un peu partout. Soudain le B1 bis fut pris sous le feu d’un canon automoteur de gros calibre. Un obus arracha le tourelleau. Après un ultime changement de direction, la chenille gauche se déroula, un autre obus percuta la tourelle. Au moment où le chef de char, l’adjudant-chef MARECHAL, allait tirer l’un des quatre derniers obus de 47 mm, un projectile pénétra par l’âme du canon dont la culasse était à moitié ouverte, le tuant sur le coup. Le sergent-chef Guy LOIZILLON, pilote, fut blessé par des éclats de verre. Le reste de l’équipage (caporaux Postolle et Buisson, chasseur Gulard) parvint à quitter l’engin immobilisé, mais fut rapidement submergé par les Allemands arrivant de toute part, mitraillette à la hanche et grenades à manche dans les bottes, prêtes à être utilisées. Les survivants du détachement GASC furent faits prisonniers par l’ennemi, tout étonné de ne trouver qu’une quinzaine d’hommes indemnes, avec pour toutes armes des pistolets…
Source : Mr Roger Avignon
Témoignage du Sergent Guy LOIZILLON Pilote du VILLERS-MARMERY
"En atteignant le village de Voué, nous trouvons une colonne de voitures de paysans et des fantassins qui agitent des mouchoirs blancs. Nous arrêtons un instant et le capitaine se met d’accord avec le commandant de l’infanterie. Il y a devant nous quelques automitrailleuses ennemies qu’il faut passer. Comme tous les équipages – sauf le notre – sont à pied, c’est nous qui ferons l’accompagnement d’infanterie pour amener nos gens de l’autre côté du bois qui nous fait face. En moi-même je pensais que nous allions nous amuser. Nous avions déjà eu affaire à des automitrailleuses à Louvergny et nous savions qu’elles ne valaient pas cher. Même le 47 explosif suffisait. Départ ! J’avance d’une cinquantaine de mètres et quitte la route pour prendre le terrain découvert. Deux de nos tracteurs de ravitaillement armés des mitrailleuses des chars progressent à nos côtés. L’idée me prenant de regarder par la fente de droite, j’aperçois un des tracteur en feu, son conducteur sautant de son siège. Le premier obus allemand avait été pour lui. Pas le moment de s’endormir ! Je reçois un obus juste à ma hauteur, en plein sur ma gauche. Quelques courtes minutes pour chercher au périscope, puis virer pour faire face, et j’en reçois au moins cinq. Je suis à me demander si le blindage tiendra jusqu’à ce que je puisse riposter. Mais quand ils sont dans ma lunette, les servants s’enfuient, poursuivis par la mitrailleuse de MARECHAL. Je m’éloigne sur la droite pour apercevoir la partie de la route non encombrée par le convoi des voitures civiles arrêtées en bordure, et je découvre deux 37 ennemis poussés à la main par ceux qui veulent imiter les premiers. Comme je m’apprête à les tirer, mettant le char en direction, GASC, au mépris du danger, vient devant le char me demander pourquoi je ne tire pas ? Hélas, malgré mes efforts et ceux de mon aide-pilote, impossible de manœuvrer la hausse du 75 bloquée à 200 mètres. Un obus de 37 avait soudé la partie fixe et la partie mobile du canon. Pendant ce temps, mon chef de char détruit les deux 37 au 47. J’essaie de trouver une butte ou quelque obstacle permettant de faire monter la hausse en faisant grimper le char. Mais autour il n’y a que des meules de foin. A quoi bon un 32 tonnes sur un oreiller ! Je tire un coup de canon dans l’espoir de débloquer quelque chose que j’analyse mal…Le tube ne revient pas en batterie ! Comprenant qu’il n’y a plus rien à espérer, je prends mon périscope à deux mains et, comme un officier de tir à bord d’un bateau, je cherche les objectifs pour l’Adjudant-Chef avec les hausses et les points de chute. Sur la grande route de Troyes, je vois des fantassins se rendre par paquets. Nous ne pouvons plus tirer sans tuer plus de français que d’ennemis. Des allemands sortent du bois d’en face pour nous tourner à l’abri du talus du chemin de fer qui longe la route à 200 mètres à droite. MARECHAL essaie d’enrayer ce mouvement mais la zone qu’il bat à la mitrailleuse est trop vaste pour que son tir soit véritablement efficace. Les munitions diminuent, il n’y aura bientôt plus d’obus perforants. Lorsqu’un projectile de gros calibre percute le tourelleau. Les organes de visée sont pulvérisés et tombent sur le chef de char, le blessant légèrement au visage. Il avait tellement tiré qu’il crève de soif, nous tous aussi du reste en raison des gaz dégagés par le tir et la chaleur étouffante malgré la ventilation. Il me demande à boire et ajoute au laryngophone : « En tout cas s’ils nous ont, nous aurons chèrement vendu notre peau ! ». Les aides n’ont pas le temps de lui servir les quatre derniers obus de 47, un autre projectile de même calibre vient frapper la tourelle, et je vois la lueur du coup qui vient de nous toucher. Cette fois, tout ce qui reste d’appareils de visée s’effrite sur les têtes du radio et de l’aide-pilote, mon carreau en triplex, réduit en poudre, m’arrive dans la figure. Je veux déplacer le char pour dérégler le tir de l’ennemi… l’appareil ne bouge pas ! Je fais monter la pression du Naeder. L’aiguille du manomètre répond docilement mais je vois une chenille se dérouler devant le char. Je transmets aussitôt au chef de char : « Compris ! Répond-t-il, les armes sont foutues, le 47 et la mitrailleuse aussi sont inutilisables ; ouvrez la porte et sortez ». J’arrête le moteur devenu inutile et, pour la première fois depuis le début du combat, je me retourne. L’adjudant-Chef, un court instant assis sur le siège du radio, va remonter dans sa tourelle pour essayer de tirer les derniers coups de 47 pendant que l’aide-pilote ouvre la porte…quand de suite le troisième coup de gros calibre arrive, crevant le blindage. MARECHAL s’affale sur le siège du radio, sans un mot, un trou au dessus de l’œil par où le sang gicle à flot. Atterrés, GUIARD et moi nous le regardons. Il reste assis, accroché par son casque au casier à munitions de droite. Je dis à GUIARD : « Décroche-le et sort ; Nous allons essayer de rejoindre le capitaine ».
Le sergent Guy LOIZILLON et ses camarades furent fait prisonniers et enfermés dans la chapelle de Montsuzain avant d’être acheminé sur l’abbaye de Pont-Ste-Maxence d’où il s’évada.