DIXMUDE II            11e RCA         3e Escadron

     

COMBATS DE LA POCHE DE COLMAR  Décembre 1944

Chef de char : Maréchal des Logis Marcel Maurice

Le 21 décembre 1944, le DIXMUDE II fut envoyé avec des chars Sherman, qu'il protégeait, prendre à revers, par les bois, le hameau de La Chapelle, au dessus de La Place, qui ouvrait la route des Trois-Epis sur l'axe Orbey-Colmar. La localité fut prise sans histoire.
Ce jour-là, à bord du destroyer, se trouvaient Jean, le chef de Peloton, qui s'était assis sur la plage arrière où il s'entêtait, en roulant, à régler la feuillure de la mitrailleuse antiaérienne de 12,7mm. Le chef de char, Marcel, le laissait agir, bon enfant, car pendant ce temps, Jean ne se mêlait pas de vouloir commander à bord ce qui était l'affaire de Marcel. Le pilote, Georges Barbet, connaissait très bien son métier et Luis Barranco, son co-pilote, regardait le paysage dans son périscope, jurant en espagnol de temps à autre. Quant au tireur, Pierre, il était en permission et remplacé par Marcel qui cumulait ainsi deux fonctions. On lui avait adjoint Henri Muller comme aide-tireur.
A l'arrière, avec Jean, se tenait, tapi comme à l'affût, un marocain nommé Lachmi dont les yeux splendides de Chleuh de l'Anti-Atlas étaient meilleurs que des jumelles ; il protégeait les arrières du char contre les panzerfaust.
La nuit passa, ponctuée par les "six tubes" allemands, les nebelwerfer. Sur une position à défilement de tourelle, les trois Sherman étaient éparpillés au loin sur la gauche. Le temps était froid mais sans pluie ni vent.
La colline sur laquelle le destroyer était posté descendait en pente douce sur un kilomètre pour remonter, en face, presque à la même hauteur que celle où le DIXMUDE II était en défilement.
A neuf heures du matin, déjeuner américain : chocolat au lait, biscuits, confiture, eau de vie de kirsch (non fournie par l'intendance). Écoute radio en permanence, pipe, cigarettes... Le co-pilote écrivait à sa petite oranaise, assis dans son baquet. Marcel entendait au loin un émetteur américain de la 5e division d'infanterie U.S. C'était un char qui attaquait. Il ne paraissait pas être à la fête.
A midi, l'équipage entame les boites de beans, froides.
A quinze heures, deux chars ennemis passent à toute allure sur une portion de route, très courte, au sommet de la colline en face, à 45 degrés de la direction du destroyer, et disparaissent dans un chemin creux.
"Bah ! on en verra d'autres..."
Quinze heures trente.
L'arbre, à trente centimètres de l'aile gauche du char, se brise à mi-hauteur, sous l'effet d'un projectile. Un 88 ?
Le secteur d'en face est vide.
Un second coup enlève le guidon de la mitrailleuse de .30 dont le trépied, raccourci, est soudé sur le devant de la tourelle afin d'avoir une arme automatique tirant vers l'avant. Lachmi, sur les moteurs, reçoit le guidon dans son chèche mis en foulard, comme s'il avait été lancé à la main.
Un grand bruit sur le différentiel, à l'avant ; c'est un éclat du troisième coup, trop court.
Un souffle fort : quatrième coup, antenne cisaillée. Tout cela va très, très vite. Un autre coup enlève les pots à fumée arrimés au blindage sur le côté gauche.
Arrière toute ! Marcel décroche, ne sachant absolument pas d'où ça vient, aveuglé en partie par l'arbre déchiqueté et réduit en sciure.
Le chef de peloton, Jean, a sauté à terre : il est déjà sur la crête et, poing sur la tête, il appelle par ce signe : "chef de char à moi !"
Marcel arrive ; dans le hameau de deux ou trois maisons, en contrebas, alors qu'il cherchait en face, il voit un Panther et un Sturmgeschutz, ce sont eux qui font des cartons sur "son" DIXMUDE, négligeant les Sherman mal armés avec leur 75mm.
Ils sont installés, blindage contre blindage, dans une cour étroite fermée par des murs de pierre. Une position stupide de jeunes recrues... qui ont bien failli avoir Marcel.
Ils sont à 600m, à hausse zéro. Les Sherman, prudents, ont décroché, en arrière, en défilement total.
Marcel retourne à son char tout en pensant : "Hausse 700 yards -   80 mm de blindage pour le Panther   idem pour l'autre ; c'est un peu lourd pour mon 76,2 mm. Pas le temps de changer de position. On ne tire jamais deux fois du même endroit, on n'utilise jamais deux fois la même position, dit le règlement des chars. Celui des allemands doit être identique, stupidement.
"Donc, je remonterai dans mes traces, au même endroit ; oui, mais, est-ce que mes obus perceront leur blindage ?"
Marcel décide, très vite, de tirer sur les freins de bouche. Vingt centimètres de diamètre environ.
"En Afrique, je "faisais" mon poteau télégraphique à mille mètres. Pas de vent, c'est décidé, leurs tubes d'abord comme cibles."
A bord, laryngo en place, Marcel appelle le pilote : "Georges, on remonte au même endroit, en première au ralenti, sans accélérer du tout, même pour embrayer. Je ne veux aucune fumée ; il y a en face deux gros trucs, si tu fais cracher les diesels, on est cuit d'avance. Compris ?
- Oui ! j'attends ton ordre.
- Luis, monte en tourelle, vite ! "
Luis est ravi car, en bas, on ne voit rien quand le char monte la côte et pas davantage quand il reste cabré.
"Luis, tu vas me sortir deux obus perforants explosifs dans tes bras !
Henri, j'en veux un dans la chambre et deux dans les bras. Vous chargerez à tour de rôle et faites attention, je vais tirer détente bloquée pour aller très vite.
- Pièce prête !
- Georges, quand je dirai "Stop ! ", tu passes la marche arrière, tu pousses à deux mille tours, tu restes débrayé ; au commandement "Arrière !", tu recules tout droit à plein régime !
- O.K. !
On grimpe la colline dont la terre, gorgée d'eau par les pluies précédentes, adhère trop mais Georges réussit à décoller le char sans accélérer ni produire de fumée.
Quatre-vingts mètres, c'est long, à cette allure !
Jean, le patron, est à plat ventre en haut et, jumelles aux yeux, observe les autres.
A ses manivelles de tourelle, Marcel attend de voir dans sa lunette le sommet s'arrondir.
"Stop ! Merde ! " Une branchette de l'arbre juste sur la lunette ! Marcel se penche, l'arrache et il les voit. Comme ils paraissent gros dans le viseur ! il décide alors brutalement de tirer le 105mm d'abord.
Le premier coup est parti ; quelques millièmes à gauche pour le second, le frein de bouche du 75mm
"Touché tous les deux !" hurle Jean
"Ouf ! Maintenant, aux chars eux-mêmes !"
Marcel tire, obus après obus ; onze en tout, en un temps record.
Luis hurle dans la tourelle. Il a simplement oublié, après chargement et tir, que le canon recule jusqu'à quarante centimètres du blindage ; il est tout suffocant mais heureusement pas blessé.
Marcel décroche, en arrière ; les deux engins ennemis fument de l'intérieur. Les Sherman, rassurés, remontent en position et tirent à obus explosifs sur les équipages en train d'abandonner leurs chars.
Le chef de char va à pied voir du haut de la crête ; il est ravi de son carton. Là il trouve son chef de peloton encore ébahi du tir.
"Pourquoi les freins de bouche ?
- Je ne savais pas si mes A.P. perçaient, alors ça c'était plus sûr !"
Et Jean, le lieutenant, lui dit : "j'ai toujours pensé qu'en tant que réserviste tu étais un peu fou !"

 

 

 

 

 

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