DORDOGNE       6e RCA    4e Escadron

  

M 4 A2                                 N° 74

 

Chef de char : Maréchal‑des‑Logis Mitard 
Tireur : Roman
Radio-chargeur : Cano

Détruit à Hagenbach (D) le 24 mars 1945

 

Le char DORDOGNE à Buc (Terr. de Belfort) le 20 Novembre 1944.

Buc ‑ Un bien petit village, que peu de gens connaissent et qui pourtant est un des plus vivaces souvenirs du 4ème Escadron et de la compagnie de Légion qui l'accompagne : un des plus tragiques aussi.
J'y suis arrivé avec mon 74 au lever du jour, sous une pluie fine et glaciale, un peu vexé de suivre l'escadron à une demi­-journée de retard, étant resté en panne la veille . . . . . . . Nous allons nous rattraper.
Je reprends ma place dans le peloton, juste le temps de recevoir les ordres du Lieutenant Dorr, qui me dit :
"Mets‑en un coup, si ça fonce assez dur, Belfort peut tomber aujourd'hui."
Belfort dont on nous a tant parlé. Trente kilomètres d'abatis, des mines partout, les Miliciens, les S.S. Enfin, on verra bien.
On démarre, en tête le 73 : DIJONNAIS avec mon copain Petitjean, puis le 75 DOUBS avec ce brave Dallafiora, puis le char du Lieutenant, le 71 DAUPHINE, et enfin le mien : le DORDOGNE.
5oo mètres et on arrête. Le Lieutenant dégage à gauche et vire vers l'orée du bois. Je serre sur les deux autres, brusquement arrêtés. Pourquoi ? Je suis trop vite fixé ; une fumée bleue monte de la tourelle du premier char, où rien ne bouge plus ; dans le fossé gauche, s'activent bientôt Fabriou et Bovet Achille, brûlés et sanglants. Que sont devenus les autres ?
A droite de la route, montant vers le bois : une tranchée admirablement bien camouflée, d'où part un feu d'enfer d'armes automatiques ; à gauche, bordant la route, à 200 mètres, un autre bois où l'on voit des casemates en rondins.
Quelques perforants‑explosifs réglés sans retard en ont vite raison.
Le temps passe ; à gauche et à droite, les 2ème et 1er pelotons bagarrent durement. Les minens tombent comme grêle ; on tire toujours.
Enfin, un mouchoir blanc se montre au dessus de la tranchée ; une quinzaine de Boches se rendent. 3 sont descendus par leurs snippers qui ont l'air d'en vouloir.
Peu à peu le feu ennemi diminue d'intensité ; vers la gauche, on arrose copieusement à la mitrailleuse des Fritz qui se sauvent ; à droite, le premier peloton à l'air de faire un boulot terrible.
Soudain, je vois passer Petitjean, chef du char en flammes. Il se traine par bonds d'un mètre ; il est couvert de sang et tout brûlé, impossible de descendre pour lui porter secours.
Nos légionnaires ont enfin pris la tranchée ; l'ordre arrive : en avant. Le 75 ne bouge pas ; le Chef de char est tué et il n'y a plus de munitions. Je double comme je peux, puis il faut passer le 73 qui finit de brûler ; le pilote réussit à faufiler ses 30 tonnes d'acier entre les arbres et l'autre char. Il est à moitié en bascule sur le fossé, c'est difficile, et s'il y avait des mines, on ferait un sacré saut.
Enfin, ça y est, 300 mètres et stop. A 800 mètres devant nous, un superbe emplacement d'anti‑char. Roman l'a vu aussi et, sans que j'aie rien à dire, envoie coup sur coup 5 ou 6 explosifs dedans. J'observe un peu et on arrive à l'emplacement : il était vide : "Manque de pot".
Tout est calme, trop calme même. Méfions‑nous d'une embuscade possible. J'observe soigneusement. J'ai sur l'arrière du char 2 légionnaires : le caporal Damoizeau et le petit Diaz avec sa mitrailleuse : ils ouvrent l'oeil et arrosent copieusement les couverts suspects à droite, pendant que j'arrose à gauche, avec la mitrailleuse de tourelle.
On repart : encore 400 mètres. Les half‑tracks et l'autre char sont assez loin derrière ; qu'importe, puisqu'ils peuvent tirer où je suis.
La route tourne et il y a une petite côte à monter. J'évalue mon défilement de tourelle, commande :"A gauche et stop". et . . . . . Pan! ça y est . . . . une secousse terrible accompagne une explosion abrutissante, la tourelle est pleine de fumée.
Pas de doute, même sort que le 73, je me vois déjà en flammes comme lui ; j'empoigne ma mitraillette et je hurle "A terre vite", en bondissent de la tourelle ; les légionnaires sont déjà allongés dans le fossé. C'est une mine, crie Damoizeau ; le char n'est donc qu'immobilisé. Aussitôt en s'organise. Damoizeau et Diaz, avec un superbe mépris des mines, vont mettre leur mitrailleuse en batterie dans un buisson, à 50 mètres à gauche, en direction d'un bois suspect. Roman et Cano, occupent la tourelle et continuent le feu au canon, sur un bois, à 300 mètres devant, où sont encore les Boches. Mollard, debout sur les moteurs, dirige leur feu, ne s'arrêtant d'observer que pour descendre, d'une seule cartouche, un Boche à plus de 200 mètres, car ce garçon si calme et si modeste, est le "snipper" du 4ème Escadron. Pendant ce temps, j'avance de quelque 50 mètres, pour voir ce qu'il en est ; il pleut, ce qui diminue ma visibilité.
On nous tire dessus aux fusants, beaucoup trop haut, heureusement, je ne vois rien de suspect ; les fusants s'arrêtent : Attention ! non, rien n'arrive. Si, les half‑tracks de légionnaires et le char du Lieutenant.
"Ne t'en fais pas" me crie le chef Louz, de la première bagnole, si tu es encore là, tes copains du 2ème Escadron viennent d'entrer à Belfort.
Toute fatigue s'évanouit ; on oublie les fusants, la mine, et même les minens : Belfort, est pris."

 

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