Détruit près de Jaffe (Poche de Royan) le 14 avril 1945.
Immobilisé par mine, le char a ensuite été incendié par un anti-char.
Equipage : Chef de char : Aspirant Michel de Briey puis Maréchal des Logis chef Ollivier Tireur : Bourgaire, tué à Obbenheim (28 novembre 1944) puis Dominique Monsaingeon Pilote : Pattier, blessé (28 novembre 1944) puis Jean-Marie Boff Aide-pilote : Dominique Monsaingeon puis Marcel Emile Radio-chargeur : Lioret, blessé (28 novembre 1944) puis Baptiste Casabianca
Souvenirs de Michel de Briey, de la campagne d’Alsace. Objectifs : MITTELBRONN, PHALSBOURG, COL DE SAVERNE, STRASBOURG Le 21 novembre matin, notre capitaine NOËL fit le point de la situation et distribua les rôles. L’objectif de l’escadron était SAVERNE. Il fallait attaquer à découvert, sans l’appui de l’artillerie ni de l’aviation pour ménager la surprise, sur un ennemi très fortement retranché. Le moral était bon chez les hommes mais personne ne sous estimait les difficultés. Ayant suivi la veille la progression du lieutenant KREBS, nous prîmes le cap à l’Est pour rejoindre notre base de départ au village d’HERANGE. Rangé au bord de la route en file indienne, je me trouvais avec l’ARGENTON en tête, devant l’AMBOISE et l’AUBUSSON, suivi par une section d’infanterie à bord de ses half-tracks, un peloton de tanks destroyers des fusiliers marins, les obusiers de l’artillerie et le génie. En attente de l’heure H, chaque équipage était appuyé sur le devant des chars lorsqu’un bruit épouvantable se fit entendre. Complètement assourdi et sonné, je me rendis compte que c’était mon propre canon qui venait de tirer, l’obus, un perforant, avait ricoché sur la tourelle d’un blindé voisin mais sans faire de dégâts. A ce moment, mon tireur, Bourgaire, sortit la tête de la tourelle pour nous dire qu’il avait par mégarde poussé sur la détente électrique. Il y avait de quoi passer en conseil de guerre mais, étant donné l’imminence de l’offensive, personne ne bougea et l’incident fut, par la suite totalement ignoré. Quelques instants après, moteurs en marche et en avant. Ayant donné pour instruction de foncer le plus vite possible, nous nous engageâmes sur la petite route départementale, toute droite, en direction de MITTELBRONN lorsque mon tireur, Bourgaire, toujours lui , me dit avec son laryngophone que la culasse du canon était bloquée ! C’était bien notre chance au moment où se déroulait une opération capitale. Heureusement tout fut rapidement remis en ordre et nous foncions à plus de 30 miles pour aborder les lisières du village, tout en tirant sur tous les objectifs que nous repérions. Cette vitesse, certes excessive était justifiée afin d’éviter les tirs ennemis qui auraient pu provenir d’antichars ou de chars. Je me souvenais du désastre que notre 2e escadron avait subi en Normandie en progressant trop lentement sur une nationale, entre les villages de LA HUTTE et de FYE où furent démolis les uns après les autres 5 Sherman du 2e escadron. Une centaine de mètres devant les premières maisons du village, nous découvrîmes un profond fossé antichars enjambé par un pont en bois qui n’avait pas été détruit. Nous nous arrêtâmes sur le pont pour mitrailler les soldats allemands qui se terraient au fond de cette tranchée. Ce fut un vrai massacre. Poursuivant notre avance nous nous heurtâmes à une énorme barricade à l’entrée du village. Craignant qu’elle ne fût minée, je descendis de l’ARGENTON sous une pluie de balles qui sifflaient très fort, pour accrocher à une poutre l’extrémité du câble de remorquage du char. Ayant repris ma place, je fis faire une marche arrière, le câble se tendit et le tout explosa, libérant le passage. Hélas, le restant de la colonne ne suivait pas, occupé à neutraliser les points d’appui que l’ennemi défendait âprement. Ne pouvant rester sur place car cela aurait été trop suicidaire pour un char seul sans son char de soutien, je remontais la Grand’rue jusqu’au carrefour de la route nationale menant à Phalsbourg. Au moment de déboucher sur ce croisement, je reçus un obus juste devant moi. Je reculai de suite pour me mettre à l’abri d’une maison, car, complètement isolé je ne pouvais affronter seul l’adversaire. Cet incident à peine passé, je constatai que des fantassins allemands, rampant dans les vergers voisins, tentaient d’approcher pour essayer de nous détruire avec leurs bazookas. Avec nos mitrailleuses, mais aussi au canon, nous les avons neutralisés, mais ce fut long et je craignais de manquer de munitions. Arrive alors un tank destroyer qui s’arrête à ma hauteur. J’informais l’officier de marine qui le commandait du danger que présentait le franchissement du carrefour. Néanmoins, il fit pivoter son puissant tube dans la bonne direction et tira un obus puis resta sur place. Ayant tiré le premier, il avait réussi à détruire un gros canon d’assaut. J’oubliais de signaler que, pendant cette phase, j’avais constaté que des projectiles très rapides me passaient au dessus de la tête. En fait, ils provenaient de canons antiaériens de 20m/m mais qui pouvaient aussi tirer à l’horizontale, rangés en contre-bas de ma position, devant les lisières du village. De notre situation dominante, sans pouvoir être touchés, nous les avons canonnés les uns après les autres, à l’explosif, de manière à neutraliser les servants. Après coup, nous en avons décompté 20, mais je précise, nous n’avons pas été les seuls à participer à cette destruction. MITTELBRONN étant un des éléments essentiels de la protection de SAVERNE, les allemands continuèrent de résister pendant plusieurs heures. Après avoir reçu des renforts en blindés et en artillerie, la position fut définitivement prise mais avec pas mal de casse, en particulier mon camarade James Poole, blessé en Normandie à son premier combat à CHAMPFLEUR et qui venait tout juste de rejoindre l’escadron, fut à nouveau sérieusement blessé. Beaucoup de prisonniers restèrent entre nos mains, plus de 400, et une soixantaine de canons de tous calibres furent détruits. Les allemands se replièrent sur PHALSBOURG tout en combattant âprement. En attaquant la ville, un des chars de l’escadron, le BOURG LA REINE fut touché par un obus de Panther, tuant le pilote et blessant les autres membres de l’équipage. Le char est encore actuellement sur le bord de la route nationale, érigé en monument du souvenir. Mais pendant que nous avions la vie dure dans le secteur, une autre colonne comprenant des blindés du régiment sous le commandement du Colonel ROUVILLOIS parvenait à franchir les Vosges 20 kilomètres plus au Nord, passant par un défilé très étroit, en pleine forêt, qui n’était pratiquement pas défendu en raison de la géographie inhospitalière. Sans coup férir, nos éléments débouchèrent en Alsace, prirent le gros village de la PETITE PIERRE pour se rabattre plein Sud sur SAVERNE, tombant sur les arrières de l’ennemi. Ce coup audacieux se retraduisit mais cette fois à une vingtaine de kilomètres vers le Sud, sous le commandement du colonel Massu. Empruntant une petite route très sinueuse et encaissée, il parvint après de sérieux combats à prendre le col du DABO et déboucha à son tour dans la plaine alsacienne, en répétant mais en sens inverse la précédente opération. Le XVe corps américain nous ayant relevés en Lorraine et avant même que SAVERNE ne fut occupé, une colonne fonça sur STRASBOURG, surprenant complètement l’adversaire qui semblait ne pas être informé de la situation. C’est ainsi que j’ai croisé dans la rue principale de BRUMATH, petite ville située à une vingtaine de kilomètres au Nord de la capitale alsacienne, des allemands déambulant paisiblement sur les trottoirs. A notre vue, ils semblèrent terrorisés mais nous avons poursuivi notre route sans les importuner. Pendant que d’autres éléments de la D.B. attaquaient la ville de STRASBOURG par le Sud Ouest et par l’Ouest, rencontrant une forte résistance très localisée, nous parvînmes à pénétrer dans les faubourgs en nous faufilant par des rues secondaires pour parvenir enfin dans le centre de la ville. Nous n’étions peut-être pas les premiers ce 24 novembre au soir. Notre première nuit ne fut pas de tout repos car il y avait énormément d’Allemands, militaires et civils qui rôdaient, essayant de gagner le Reich par le pont de KEHL. Peut-être aurions nous pu franchir le RHIN et établir une tête de pont en concentrant les moyens nécessaires mais, du fait de notre avance foudroyante, l’intendance avait du mal à suivre. On manquait de mazout, de munitions, de pièces de rechange. Une modeste tentative d’approche du fleuve avait bien été tentée par un peloton du régiment, mais elle fut stoppée par la destruction du char de tête, commandé par le chef Zimmer (un Alsacien) qui fut tué. Craignant une contre attaque, nous quittâmes très vite STRASBOURG le 28 novembre pour longer le RHIN direction Sud. Dans les jours qui suivirent, nous avons dû, avec d’autres unités, conquérir les villages les uns après les autres, après d’âpres combats où l’ennemi résistait de mieux en mieux, appuyé par des blindés et des canons anti chars. C’est ainsi que le lieutenant DESFORGES, qui commandait le 1er peloton auquel j’appartenais encore, bien qu’ayant été nommé aspirant, réussit après des manœuvres astucieuses, à prendre GERSTHEIM, détruisant 2 Panther, 6 half tracks, 6 canons et faisant 300 prisonniers, sans compter les tués. Pour ce fait d’armes, il sera nommé Chevalier de la Légion d’honneur. Notre progression s’arrêta à FRIESENHEIM. Pensant que cet arrêt ne durerait que quelques jours, je partis en pleine nuit avec un de mes hommes jusqu’au bord d’un des bras du RHIN. Marchant dans l’eau jusqu’aux épaules en nous tenant tant bien que mal à la berge, nous avons progressé de cinq à six cent mètres, de manière à nous retrouver derrière les lignes ennemies, dans le noir presque total. Nous avons alors procédé à une reconnaissance pour repérer le dispositif de défense jusqu’au moment où nous avons buté, heureusement très légèrement, contre un fil qui barrait un chemin. L’alerte ne s’étant pas déclenchée, nous sommes retournés sur nos pas. Trempés jusqu’aux os nous avons retrouvé l’ARGENTON. Et pour tout dire, cette «excursion » n’aura servi à rien puisque notre offensive vers le Sud était vraiment stoppée. Je me souviens qu’à cette époque il faisait vraiment très froid et il y avait beaucoup de neige. La température est même descendue pendant une nuit à moins vingt degrés, ce qui rendait nos gardes pénibles. A ce sujet je me rappelle que nous assurions la veille dans le char pendant six heures d’affilée, l’un au poste avant, prêt à servir la mitrailleuse dite de capot, l’autre dans la tourelle, une mitraillette posée dessus avec des grenades, un projecteur et un obus dans le canon, prêt à être tiré. La garde finie, nous allions réveiller deux autres membres de l’équipage qui ne manquaient jamais de bougonner à l’idée d’aller faire le guet. Cette corvée était indispensable car il nous est arrivé d’entendre, dans le silence total de la nuit de légers craquements provenant de patrouilles ennemies venant rôder autour de nous, soit pour nous identifier, soit pour poser des mines magnétiques ce qui heureusement ne nous est jamais arrivé. Si dans ces occasions nous avions donné un coup de projecteur nous aurions très vraisemblablement reçu en retour une rafale de mitraillette. Quelques jours plus tard, notre char étant garé dans une cour de ferme contre la partie habitation où nous étions installés, on entendit un bruit d’avions. Regardant par la fenêtre, j’aperçus deux chasseurs qui piquaient sur nous. L’un d’eux largua une bombe qui éclata dans la cour, démolissant en partie les bâtiments. M’étant couché sur le plancher, je me relevai sous les décombres du plafond et sortit pour constater que mon tireur Bourgaire était affalé sur le perron, un gros éclat dans la tête. Il était mort sur le coup. Cela me fit une très grande peine car nous avions partagé la même vie côte à côte pendant plus d’un an. J’ai dû écrire à sa mère qui était restée dans les Landes, pour lui annoncer la nouvelle. Cette lettre fut difficile à rédiger d’autant plus que mon camarade devait bénéficier, quinze jours plus tard, d’une première permission en vue de laquelle il avait conservé toutes sortes de provisions à lui apporter. Avec le reste de l’équipage, nous dégageâmes l’ARGENTON qui était recouvert de poutres, tuiles et gravats… Le lendemain, nouvelle incursion de l’aviation du Reich qui lance quelques bombes sur une batterie d’artillerie voisine, blessant mon pilote Patier qui dut être évacué. J’avais donc perdu en quarante huit heures les 2 hommes les plus précieux de mon équipage. Les tirs de l’artillerie adverse, basée de l’autre côté du fleuve se multipliaient; c’est ainsi que nous reçûmes des volées de roquette provenant de ce que l’on appelait les « orgues de Staline ». Pour nous, la campagne d’Alsace était terminée.
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