ARCIS SUR AUBE        501e RCC       2e Compagnie

M 4 A2  

n° 23 matricule :  420-648  

Equipage :
Chef de char : Sergent Julien Vergnory
Tireur : Roland Hoerdt
Radio-chargeur : Jean de Valroger
Pilote : Sergent René tracqui
Aide-pilote : Pierre Régnier


COMBATS DE GRUSSENHEIM (Bas-Rhin)    26, 27 et 28 janvier 1945

Récit de Julien Vergnory, chef du char ARCIS SUR AUBE
Les combats se sont déroulés les 26,27,28 janvier 1945, nous étions stationnés à Sélestat quand l'ordre de faire mouvement arriva le 26 janvier au matin. Nous devions aider la 1ère armée à liquider la poche de Colmar, il faisait très froid, la neige recouvrait toute la région. Pendant notre séjour à Sélestat, nous avions peint nos chars en blanc.

Journée du 26 janvier
Le 26 janvier au matin, la compagnie fait mouvement par Saint Hyppolite, Bergheim. En passant dans ce village, Roland Hoerdt aperçoit le clocher de Ribeauvillé, son pays natal qu'il a quitté en 1940 avec sa mère pour échapper aux Allemands. Son père y habite toujours" ; il y tient un commerce. Impossible bien sûr de s'y arrêter. Nous continuons sur Guémar, Illhaeusern pour arriver au carrefour 177 en fin de matinée. Des véhicules de toute sorte restant sur le terrain laissent à penser que la bataille a été très dure.
Dès notre arrivée, on nous demanda d'appuyer par le feu la progression de l'infanterie qui attaque sur Grussenheim. Les deux chars prennent position auprès de la rivière Blind. L'infanterie est plaquée au sol par des tirs d'armes automatiques venant de la lisière du village. Nous avons des impacts sur le char ce qui oblige Tracqui à fermer sa porte. La progression de l'infanterie est stoppée. Il y a des tués, des blessés. Je m'informe auprès des fantassins et j'envoie quelques obus de 75 dans la direction qu'ils m'indiquent. Le capitaine de Witasse vient à côté du char, sa mitraillette à l'épaule et me demande si j'ai repéré quelque chose ; je lui réponds que j'ai tiré dans la direction indiquée par l'infanterie.
L'attaque n'a pas abouti, le R.M.T. se replie. A la tombée de la nuit, nous nous replions sur le carrefour. Nous en profitons pour faire le plein de gas-oil et de munitions. Il fait toujours très froid et l'ennemi n'est pas inactif. Le génie construit un pont sur la Blind. Nous ne sommes pas loin et le harcèlement durera toute la nuit. Nous nous installons chacun à notre poste pour y passer la nuit.
Dieu ! Que la ferraille est froide, il fait -17° ; les mains collent au blindage. Petite bagarre avec de Valroger qui veut coucher sur le plancher du char pour avoir ses aises. Fâché, il prend ses couvertures et va s'installer sur la plage arrière malgré le tir ennemi et passera paraît-il une très bonne nuit !

Journée du 27 janvier
Au réveil le matin du 27, nous préparons un bon café et le lieutenant (Michard) va aux nouvelles. A son retour, il m'explique que nous devons faire mouvement sur Jebsheim avec un détachement du R.M.T., deux half-tracks aux ordres du capitaine Duault Nous avons pour mission d'attaquer Grussenheim par le sud, de faire diversion afin de permettre au gros du sous-groupement d'attaquer par la Blind en utilisant le pont construit par le génie.
Nous partons pour Jebsheim par la route et nous y arrivons vers 10 h 30. Il y a beaucoup de monde ; le village est occupé par des chars de la 1ère armée. Nous stoppons à l'entrée du village et, avec le lieutenant Michard, nous allons reconnaître les lieux. Nous avons des bérets noirs et nous sommes accostés par un officier visiblement surpris de nous voir là. "Que venez-vous faire ici ?" Le lieutenant Michard lui explique notre mission. L'officier nous demande alors "A quelle heure partez-vous ?" Le lieutenant Michard lui précise : "l'heure H, c'est 13 heures". C'est un commandant qui offre de nous aider en mettant ses chars en position de tir pour appuyer notre progression avec tous les moyens dont il dispose. Nous le remercions et allons reconnaître le terrain.
Nous plaçons nos deux chars à la sortie nord de Jebsheim, dans un verger. Les half-tracks sont avec nous. Il doit être 11 h 30. Le lieutenant Michard vient près de mon char et me dit : "prenez vos jumelles, nous allons essayer de reconnaître le terrain ". Nous montons dans le grenier d'une maison et, par le vasistas, nous essayons de repérer les lieux. Le ciel est gris, il fait toujours aussi froid et nous ne voyons pas grand chose. Nous revenons au char, cassons la croûte mais l'appétit n'est pas féroce ! Il doit être 12 h 30, l'heure H approche. Nous prenons place dans le char, chacun à son poste, Michard vient me serrer la main et me dit :"bonne chance, rendez-vous au bistrot du coin après l'attaque ".
Il est 13 h, nous partons avec l'appui feu des chars de la 1ère armée. Roland Hoerdt a mis le canon au stabilisateur et tire au 75. Regnier tire à la mitrailleuse de capot qui est rouge en arrivant au village. Tracqui a le pied au plancher et nous arrivons dans un enfer en lisière de Grussenheim.
J'occupe le carrefour, Michard est à ma droite. Je le sais mais je ne le vois pas. Nous avons dépassé une gare, nous attendons le débouché du gros du sous-groupement qui doit venir de la Blind sur notre gauche. Un char léger obusier (75 court) nous rejoint et s'embosse à ma gauche vers les maisons. Ça tire de tous les côtés. L'infanterie est à terre et prend position autour du carrefour. Une longue demi-heure passe : rien à gauche, on commence à s'impatienter. Je cherche à avoir le contact avec Michard : il ne répond pas. Roland tire dans le clocher où il croit voir des observateurs. Les douilles d'obus jonchent le plancher, il faut les évacuer. Voilà maintenant une heure que nous sommes là et toujours rien à gauche puis soudain, devant nous, au milieu de la rue arrive en pleine vitesse un char Panther. Roland tire avec l'obus engagé dans le canon, c'est un explosif puis coup sur coup deux perforants. Malgré ces trois obus, le canon du char ennemi descend. Je dis à Tracqui : « en arrière ». Le char recule, il était temps ; l'allemand tire, le hangar de la gare s'effondre. J'annonce : "sommes attaqués par Panther" et Michard me répond : "Nous l'attendons de pied ferme". Nous jouons à cache - cache un moment qui semble bien long puis je vois l'arrière du char ennemi, il recule dans la rue pour faire demi-tour. Je dis à Roland "tourelle à gauche" et il envoie 10 obus perforants dans les flancs du char qui est à moins de 100 m de nous. Il disparaît.
Toujours pas de nouvelles du groupement. Après cette alerte, je dis à Roland : "sors le fil de fer". Le "fil de fer" est une bouteille de schnaps que nous gardons en prévision des coups durs. C'est Roland qui est chargé de l'approvisionnement. Une bonne rasade à chacun et il garde la bouteille près de lui, persuadé que nous en aurons encore besoin. Je reçois alors un message du MONTMIRAIL : Mengual me dit : "Le lieutenant est blessé, venez vite". Je réponds "faites le nécessaire pour l'évacuer" et Mengual me précise : "C'est grave, il a été touché à la tête par une balle tirée des vignes par un tireur isolé".
 Le MONTMIRAIL a été également touché par un bazooka qui a détruit un périscope. Il est 15 h, toujours rien. Je reçois un message du capitaine de Witasse qui me dit : "Tenez bon, on arrive", le temps passe, il est maintenant 16 h, toujours rien. A ce moment, le capitaine Duault donne l'ordre de décrocher. Nous quittons la position, nous n'avons plus de munitions après trois heures de tir, les casiers du char sont vides. Nous rejoignons notre point de départ sous un feu nourri de l'ennemi. La terre vole autour des chars par des obus tirés qui heureusement par miracle ne nous atteignent pas. Nous arrivons à Jebsheim et, pendant ce temps, arrivant par le sud, peu après notre départ, le capitaine de Witasse rentre dans Grussenheim. Nous étions fourbus, nous cherchions un gîte pour la nuit avec l'équipage du MONTMIRAIL. Un équipage complètement démoralisé. Le lieutenant Michard n'est plus, évacué dans le coma sur Sainte-Marie-aux-Mines ; il décédera en arrivant. Nous passons la nuit dans une maison sans fenêtres par où rentrait la terre envoyée par les impacts des obus ennemis. Après cette mauvaise nuit, nous allons remettre nos chars en route. Les batteries sont à plat avec le stabilo et la tourelle électrique. Nous leur avons demandé beaucoup. Le "Joseph" lui aussi est récalcitrant. Je fais appel à un fusilier marin du R.B.F.M. qui vient me tirer.
 J'envoie Tracqui aux nouvelles. Il revient en fin de matinée pour me dire que nous allons être relevés. Il est accompagné de Menghi, un chef de char de la 3e section qui nous apprend que le lieutenant de La Bourdonnaye a été tué ainsi que le colonel Putz et le commandant Puig, Dolfuss blessé et bien d'autres. Avec le reste de la compagnie, nous rentrons à Sélestat. Nous retrouvons les personnes que nous avons quittées le 26 au matin. C'est la consternation quand elles apprennent la mort du lieutenant. Le capitaine de Witasse a récupéré Roland au départ de Jebsheim pour l'emmener à Ribeauvillé chez son père, Monsieur Hoerdt qui ne reconnaît pas son fils. Il avait quitté en 1940 un garçon de 14 ans et retrouve un grand gars de 19 ans. Il lui demande: "Que désirez-vous Monsieur ? " Roland explose ; ils tombent dans les bras l'un de l'autre. C'est la fermeture du magasin et ils arrosent ce grand retour avec le capitaine".

 

 

 

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