Equipage :
Chef de char : Maréchal des Logis-chef Charron Tireur : Cuirassier Sanchez Pilote : Cuirassier Paul Ferbert Aide-pilote : Cuirassier Bichet
Radio-chargeur : Cuirassier Guirado
Détruit à Bligny (Aube) le 7 septembre 1944.
Témoignage de Paul Ferbert, pilote de l'OLERON
"Réveil 5h00. Départ à 10h00. Mission : nettoyer Beaune. Je suis aux leviers de l'OLERON. C'est calme. Nous voilà sur la route qui part de Bligny vers Beaune. Au loin, un pont (et non un passage à niveau comme mentionné sur le journal officiel de marche). On s'arrête à la queue leu leu. Le capitaine demande des démineurs pour le pont. Ceux-ci arrivent. Pas de mines. Nous passons le pont et prenons la route vers Bligny. Le capitaine demande de nous déployer. L'ORLEANS II part à gauche dans les champs. (Toujours au périscope) le PERPIGNAN part à droite. A gauche dans les champs le SAINTE ODILE est en avant et semble arrêté. Alors que je veux m'engager à gauche dans le champ, je remarque que les feuillages des arbres bordant la route sur laquelle je me trouve s'écartent (on me tirait dessus et il est possible qu'à la suite de ce tir ennemi, mon train de roulement ait été touché. En effet, le char n'avançait plus). A droite le POITIERS flambe ! L'ORLEANS II à gauche flambe. A la radio Ordre de repli est donné. Une vive lueur suivie d'un nuage de fumée entoure mon char. On nous "canarde" (Sandy le tireur, tire comme il peut). Un choc précédé d'une nouvelle flamme ; je suis comme abasourdi. Je réalise que je suis blessé. L'obus, un perforant est entré à hauteur du tableau de bord et est allé se ficher dans le chemin de tourelle. 20 cm plus bas c'était le casier à obus qui explosait. Alors là, sauve qui peut. Mon cerveau avait bien donné l'ordre à mes deux bras d'ouvrir mon volet au-dessus de moi, mais je constatais qu'une seule main obéissait. L'aide conducteur, quant à lui, s'apprêtait à en faire autant de son côté et me céda la priorité en me poussant hors du char, et je tombais sur la tête. Bien que l'acrobatie forcée de cette chute, n'a laissé aucune trace, son souvenir en moi n'a subi aucun effet d'érosion. L'endroit ne me semble pas trop favorable pour y rester, le char n'est pas en feu. Aussi, je me traîne vers le fossé droit (par rapport au char). Je fais le bilan, bras gauche affreusement mutilé (plaies ouvertes multiples, double fracture du cubitus, du radius et de l'humérus, on ne fait pas dans le détail) du sang partout, la figure légèrement brûlée, coupure en biais de la lèvre supérieure et inférieure, coupure de l'aile gauche du nez, nez cassé, coupure entre l'oeil gauche et la tempe (je peux remercier le ciel tous les jours que l'oeíl n'ait pas été atteint, il s'en est fallu d'un centimètre, et puis de multiples éclats : figure, bras, dents cassées. A un moment donné je me suis levé (on ne se rend plus compte de rien à ce moment là) et commencé à marcher vers nos lignes. Je rencontre Poilvet qui m'oblige à rester sur place, en attendant les secours. Je suis resté ainsi près de 4 h. Puis, il y eut Cabassot brûlé au visage, qui voulut me transporter, impossible, et Rinando, idem. Je cherchais plusieurs fois à me lever, mais sans succès. Me voilà à nouveau recroquevillé dans le fossé avec des alternatives de chaud et de froid. Je ne souffre pas, et suis la plupart du temps, dans les "vapes". Après un long laps de temps (en réalité plusieurs heures), un type passe, il s'agit en fait d'un FFI. ll me réconforte et me met sa vareuse kaki d'avant 40 sous la tête : "Tu n'es pas mort mon petit vieux" me dit-il. Il me transporte sur un brancard dans nos lignes. Car, il faut dire, qu'après les tirs de fumigènes de notre artillerie, l'ordre du repli pour ne pas dire retraite est donné. Puis arrive une Jeep, avec le père Condaut. Premiers soins, par le Dr Dalanguy, transport en ambulance au BM., puis la clinique à Chalons, etc, etc... Il y a quelque chose, que je n'ai pas digéré dans cette histoire, c'est le comportement de mon équipage. Je n'ai plus jamais eu de leurs nouvelles et le lieutenant De Latan, qui était un chic type, était pour le pardon ! D'ailleurs, il faut également souligner le comportement du capitaine qui n'avait pas donné l'ordre de recherche : c'est la loi de la rentabilité, mais quand même ! Il faut dire que j'ai eu une chance extraordinaire, j'aurais pu brûler, partir en 1000 éclats avec l'éclatement du casier à obus et la blessure près de l'oeil, une chance extraordinaire. Le rapport officiel est incomplet. Oui, on ne parle pas du chef de char POITIERS, Amaré, qui la veille avait nettoyé sa combinaison à l'essence, comme tout le monde le faisait, qui fut transformé en torche et succomba à ses brûlures. Quant au char ORLEANS II, Bardet le conducteur resta coincé sur son siège et brûla vif. Semperé resta sous tente à oxygène pendant des mois. Cette "affaire" de Beaune, n'a pas été mise en épingle et pour cause. La conclusion, c'était la guerre, mais encore, on s'est basé sur des renseignements erronés. C'est dommage, que l'on ne se soit pas mieux organisé. Mais on est en vie, c'est déjà pas mal."
Source : Le pont-rail de Lutterbach de Guy Bretones
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