Equipage : Chef de char : Lieutenant Louis Michard (tué le 28 janvier 1945), puis Adjudant Vergnerie, puis Aspirant de Bailliencourt Tireur : Sergent Etienne Florkowski Radio-chargeur : Paul Lhopital, blessé le le 24 août à Paris, puis Pierre Mengual Pilote : Sergent Gaston Eve Aide-pilote : Marc Casanova
Endommagé le 12 août près de la Croix de Médavi, le MONTMIRAIL reçoit un obus qui occasionne des dégâts légers à la tourelle et blesse le lieutenant Michard.
Le 24 août au soir, accompagnant le détachement du capitaine Dronne, il est l'un des premiers à entrer dans Paris à la tête de sa section composée également des chars ROMILLY et CHAMPAUBERT. Sur la route qui le conduit à la capitale, au Petit Massy, le lieutenant Michard fait ouvrir le feu sur une batterie de Flak enterrée et parvient à détruire cinq canons de 20 mm. Il prend part ensuite aux campagnes de libération des Vosges et de l'Alsace. Le 2 octobre 1944, chargé d'une contre-attaque sur le village d'Anglemont, avec mission de tenir coûte que coûte, il détruit à lui seul deux chars Panther.
COMBATS DE GRUSSENHEIM 27 et 28 janvier 1945
Récit de Gaston Eve, pilote du MONTMIRAIL
Journée du 27 janvier « L'effectif de la 2e compagnie du 501e RCC était de sept chars le matin du 27 janvier. De la section du lieutenant Michard, il y avait son char, le Montmirail et Arcy-sur-Aube. La 2e Compagnie est partie de son point de départ vers midi le 27 janvier avec quelques half-tracks d'infanterie. Il faisait froid et il était tombé beaucoup de neige. Nos chars étaient peints en blanc depuis quelques temps. Chars et half-tracks sont partis en colonne sur une route qui était à l'arrière du front. Nous sommes arrivés aux abords de Grussenheim environ une demi-heure plus tard. A ce moment, nos chars ont quitté la route et se sont avancés à travers champs vers le village. Nous sommes arrivés à un endroit où il y avait un char de la 3e compagnie (le chemin des dames) qui avait été détruit. Le char portait tout le désordre des coups qu'il avait reçu et l’évidence que certains membres de l'équipage avaient survécu car les portes de pilote et copilote étaient ouvertes. Un de nos camarades était allongé sur le haut de la tourelle et était sans mouvement. Nous sommes passés tout près et, 200 m plus loin, avons trouvé un très long canon sur chenilles allemand. Il avait immédiatement à sa droite une grande haie qui le cachait complètement. Le devant et l'autre côté étaient enfouis dans la neige et il était encore en camouflage d'été. Heureusement pour nous, il avait été abandonné, sans doute par l'action de la 3e compagnie. Il n'y a pas eu de relève car il n'y avait personne sur place. Il y avait beaucoup de tirs d'armes de toutes sortes. Nous avons avancé sans dégâts jusqu'à un endroit où il y avait une haie très haute et épaisse qui nous séparait de Grussenheim. Cette haie montait jusqu'à hauteur de nos canons. Deux ou trois cents mètres plus loin, il y avait un bois à travers lequel on voyait Grussenheim. Nous avons reçu et rendu beaucoup de feu d'où nous étions et étions obligés de changer d'emplacement très souvent pour ne pas être atteints. Notre infanterie était à côté de nous le long de la haie et était très active mais peu nombreuse. Les conditions nous permettaient de sortir des chars de temps en temps pour parler ou casser la croûte. A un moment, je suis monté sur l'arrière du Montmirail avec le lieutenant Michard pour mieux me rendre compte du terrain devant nous. J'ai vite compris qu'il devait être très éprouvé quant j'ai entendu des balles passer. Quelque temps après, quand nous marchions le long de la haie, nous avons trouvé une civière abandonnée. Nous l'avons pliée sur l'arrière du Montmirail pensant qu'elle nous serait peut être utile pour dormir à tour de rôle si l'occasion se présentait. Notre infanterie était très active mais sans succès. J'ai profité d'un moment de calme pour aller voir le camarade qui était allongé sur la tourelle d'un des chars de la 3e compagnie. Je suis monté sur le char et j'ai pu constater qu'il était mort. Je l'ai laissé sur place car je me suis fait prendre sous le feu des armes légères du haut de la tourelle. J'ai reconnu le camarade qui était un jeune homme nommé Mager. La nuit est tombée sans que nous ayons fait de progrès et nous sommes restés sur place par équipage. Nous avons continué à changer les chars d'emplacement de temps à autre. La nuit a été longue et très froide et sans sommeil. La civière est restée sur l'arrière du Montmirail. Les environs étaient illuminés par des fusées de temps à autre et il y avait très souvent un tir d'armes de toutes sortes d'un côté ou de l'autre. Les Allemands ont contre-attaqué très fortement deux fois pendant la nuit mais nous les avons repoussés. Chaque attaque était illuminée par des fusées mais je ne sais de quel côté elles étaient lancées. Elles nous ont permis de nous défendre.
Journée du 28 janvier Quand le jour s'est levé, nous avons fait un café et mangé. Notre moral restait très bon et notre but était le même. Notre plus grand inconfort était d'avoir les pieds mouillés car les chaussures américaines prenaient l’eau. Les première heures du matin ont été très calmes. Vers neuf ou dix heures du matin, nous avons vu les trois autres chars de la compagnie s'avancer vers un pont qui menait à Grussenheim. C'était un pont qui avait à peu près la largeur d'un char. Dès que le char de tête s'est engagé sur le pont, un obus l'a frappé et il a été déchenillé. Il est resté sur place arrêtant tout progrès. Je crois que c'était le Ulm. Peu de temps après, le lieutenant Michard a rassemblé ses deux équipages et nous a dit que nous allons essayer d'entrer dans Grussenheim d'une autre direction pour créer une diversion. Montmirail et Arcy-sur-aube et deux ou trois half-tracks d'infanterie ont rejoint la route qu'ils avaient quitté la veille pour trouver leurs nouveaux points de départ. Pour arriver à notre nouveau point de départ, nous sommes allés à Jebsheim (je crois). Il y avait dans ce village beaucoup de camions et autre matériel qui n'était pas de la 2e D.B. Nous n'avons vu ni un civil ni un militaire pendant la traversée du village. Nous nous sommes placés aux abords de Jebsheim face à Grussenheim que nous voyions au loin. Il y avait des maisons derrière et à gauche de nous et en face, face à Grussenheim, il y avait quelque chose comme une vigne qui était très haute et était maintenue par un cadre et plusieurs rangées de fil de fer. A notre droite, il y avait une route qui allait en ligne droite sur Grussenheim. Il y avait des arbres le long de la route et à 300 ou 400 m à droite de celle-ci et sur toute la longueur de la route, il y avait un bois très épais. Nous sommes arrivés à notre point de départ vers midi. Le lieutenant Michard nous a dit que nous partions à 13 h exactement. D'où nous étions, nous pouvions voir l'endroit où étaient les deux autres chars et le peu d'infanterie qui devaient attaquer pendant la diversion. Le jour était très clair et la visibilité bonne. Devant nous était le terrain que nous devions traverser et, au bout, Grussenheim. La tâche était évidente. Nous avons passé le temps à casser la croûte, arrosée par un peu de vin que le lieutenant Michard avait trouvé dans une maison abandonnée. Nous avions très peu à nous dire l'un et l'autre mais nous étions très calmes. Je pense que, comme moi, mes camarades ont réussi à faire face à l'inévitable avec détermination. Je me souviens que certains d'entre nous se sont serrés la main automatiquement car, c'était évidemment la fin de la route pour la compagnie. Un peu avant une heure, le lieutenant Michard nous a répété le but de notre attaque et dit comment procéder. Tracqui qui pilotait Arcy-sur-Aube et moi sur le Montmirail ont eu ordre de foncer sans arrêt jusqu'à Grussenheim. Le lieutenant Michard a passé le bidon de cognac qu'il avait à la ceinture et chacun a bu une gorgée ou deux. Après quoi il est parti pour couper le fil de fer de la vigne, en face d'Arcy-sur-Aube et Montmirail, pour que nous passions, sans la déraciner et démolir son grand cadre. A une heure exactement, nous avons démarré à toute vitesse et en ligne pour limiter l'objectif vu de la lisière du bois. Montmirail était tout à fait à droite, ensuite Arcy-sur-Aube et ensuite les half-tracks. Il y eut un élément de surprise. Pendant les premiers 300 m, il n'y a eu aucune réaction de la lisière du bois. A partir de ce moment-là, tout à changé et nous avons été l'objet d'un tir considérable de la lisière du bois. Les obus qui arrivaient étaient des perforants et il y avait devant Montmirail des bouffées de neige faites par chaque obus qui allait à terre, sans la grande explosion d'obus explosif. Le terrain était complètement découvert et, en regardant à ma gauche, je voyais les mêmes bouffées de neige autour de l'Arcy-sur-Aube et les half-tracks. Quoique le terrain parût plat sous la couverture de neige, le Montmirail, marchant à toute vitesse était en mouvement constant et souvent brusque, et nous ne pouvions répondre aux canons. La vitesse de nos chars et la proximité des canons allemands a rendu la tâche de leurs tireurs difficile et chars et half-tracks sont arrivés intacts, quoique vers la fin du trajet, nous étions pris de l'arrière. Nous nous sommes mis hors de vue de la lisière du bois, Montmirail et Arcy-sur-Aube à une centaine de mètres à gauche en direction d'où devait venir l'attaque du restant de la compagnie et half-tracks qui étaient restés avec eux. Le lieutenant Michard est descendu du Montmirail pour parler à l'officier d'infanterie et est revenu dans le char. Dès le début nous avions été sujets d'un tir d'armes automatiques et de bazooka. Le feu était léger au début et s'est rapidement accentué et a été incessant. Le danger était trop grand pour que Montmirail reste sur place et nous avons immédiatement commencé à faire la navette le long de Grussenheim sur une longueur de 100 à 150 m. Le très peu d'infanterie que nous avions ne pouvait pas s'établir et nous les voyions de temps à autre dans des conditions très difficiles et nous les soutenions ou ils nous soutenaient. Dès le début, le lieutenant Michard a subi un tir de fusil très fréquent. Comme d'habitude sa tourelle était ouverte. Il portait son casque de chars et, par dessus, un casque d'infanterie qui lui recouvrait la tête jusqu'au dessus des yeux. Sa hauteur lui permettait d'avoir les yeux juste au-dessus de la tourelle et de voir de tous côtés. Ses ordres reçus sur l'intercom, étaient toujours parlés et jamais criés et étaient, et ont été, constants. En tant que pilote, j'avais le temps de constater ce qui se passait. Parfois, quand le danger était évident, il chuchotait presque ses ordres comme s'il pensait être entendu hors du char et notre manœuvre prévue par l'ennemi. A ces moments, il y avait urgence calme dans sa voix, après quoi il disait « bien » à son tireur ou, à nous tous, « il a fait chaud » ou quelque chose comme cela. Après peu de temps, nous avons fait notre premier vide d'obus dépensés de la tourelle et cela a été répété plusieurs fois dans l'après-midi. La tourelle tournait sans arrêt et Montmirail ne restait que quelques moments à la même place. Nous recevions constamment des ordres et le temps, sans que nous le sachions, passait très vite. Au bout d'environ une heure, l'attaque ne venant pas de notre gauche et la présence de bazooka, d'un ou deux chars allemands et le feu d'armes automatiques se faisant de plus en plus sentir, le lieutenant Michard a envoyé son premier appel par radio. Il a répété deux fois : « sommes installés à la patte d'oie. Demandons renforts ». J'ai entendu l'appel par mes écouteurs mais il n'y a pas eu de réponse. Nous avons continué à manœuvrer et à tirer ça et là. Environ 30 à 60 mn plus tard, le lieutenant a répété avec le même calme exactement le même message deux ou trois fois. Il n'y a pas eu de réponse. Il n'y avait toujours pas d'attaque venant de notre gauche. Pendant nos manœuvres nous sommes passés, toujours aux abords de Grussenheim, à côté de notre infanterie et le lieutenant a parlé avec l'officier. Je ne sais pas ce qu'il lui a dit. Après quoi il m'a dit de manœuvrer plus vite : « plus vite mécano ». Il m'a dit de retourner vers le carrefour (patte d'oie) et d'avancer dans le village par la rue qui venait de Jebsheim. Une des maisons de cette rue brûlait et de la fumée venait de celle d'à côté. J'ai vu près de nous quelque-uns de nos fantassins et il y avait beaucoup de tirs d'un côté et de l'autre. Le Montmirail est arrivé à une route transversale à celle dans laquelle nous étions. Le lieutenant m'a dit d'avancer très doucement et de regarder à ma gauche. De ma position, j'ai vu un char allemand qui était de face mais dont la tourelle n'était pas tout à fait dans notre ligne. J'ai fait une brusque marche arrière et j'ai prévenu le lieutenant. Un peu de temps après, le lieutenant m'a dit d'avancer à nouveau très lentement. Le char allemand n'était pas là et nous avons eu juste le temps de voir le bout de son long canon disparaître. Il faisait marche arrière dans la rue perpendiculaire à la nôtre. Nos deux chars étaient séparés par deux rangées de maisons. Comme nous ne pouvions pas nous mettre dans sa ligne de tir, le lieutenant Michard m'a dit de faire marche arrière dans la rue d'où nous étions sortis. Il a dit à Lhopital de charger à perforant et à Florkhowski de faire tourelle à gauche. Nous avons tiré à perforant à travers les maisons pour avoir le char allemand de côté (les événements suivants ont prouvé que cela avait été sans succès). Après cela nous sommes restés dans Grussenheim en manœuvrant de place en place mais sans aller jusqu'à la rue dans laquelle nous avions vu que le char allemand attendait que nous passions. Notre situation était intenable car nous avions toujours trop peu d'infanterie. Le lieutenant Michard nous a dit que nous allions essayer de prendre le char allemand par l'arrière et le Montmirail est reparti au croisement à l'entrée du village. Avant d'y arriver, nous avons entendu les explosions très sèches de combat entre chars (nous avons appris que c'était Arcy-sur-Aube et un char allemand). Le lieutenant Michard m'a donné une direction et nous sommes arrivés à un endroit où, pendant une seconde, nous avons vu le coin arrière d'un char allemand disparaître derrière un mur qu'il avait démoli pour s'échapper. Quelques minutes plus tard, nous avons vu deux chars allemands en retraite de Grussenheim. Ils étaient déjà assez loin et ont disparu sans que nous puissions les toucher. Cela nous a beaucoup encouragés. Il n'y avait toujours pas le signe de l'attaque prévue de l'autre côté du village. Il y avait environ trois heures que nous étions là. Notre tourelle tournait de plus en plus lentement car les batteries commençaient à faiblir. Le lieutenant Michard a parlé soit avec le chef de char d'Arcy-sur-Aube, soit avec l'officier d'infanterie. Nous sommes repartis en navette et le Montmirail s'est retrouvé au carrefour que nous connaissions bien. Le lieutenant était toujours très calme et très maître de lui-même et de la situation qui était devenue plus favorable. Il m'a dit de pénétrer dans le village et j'ai tourné le Montmirail en direction de la rue qui nous menait à l'intérieur du village et que nous avions déjà prise. A ce moment-là j'ai entendu une « tourelle à droite » très calme, mais très définitif. J'ai tourné mon périscope pour voir ce qu'il se passait. J'ai vu un Allemand au milieu de la route qui était à notre droite. Il avait en vue tout le côté du Montmirail. Il était sur un genou et avait un bazooka sur son épaule. Il a tiré pendant que notre tourelle tournait et a eu le temps de sauter derrière le mur. Notre explosif a percuté juste l'endroit où il avait été. Avec le tir du bazooka, il y a eu une commotion dans la tourelle et une petite secousse. Le lieutenant Michard était complètement dans le char, un peu secoué mais pas blessé. Il a dit que nous avions pris un coup sur la tourelle. En fait, quoique l'Allemand ait été à 30-40 m de nous, il avait tiré trop haut et avait touché et arraché la toute petite coupole qui formait une entrée d'air en haut du Montmirail . Le coup avait déréglé notre tourelle qui ne tournait maintenant qu'à la main. Le lieutenant Michard m'a guidé en marche arrière mais dès le début de cette manœuvre je n'ai pu recevoir d'ordre. Je me suis tourné pour regarder dans la tourelle et j'ai vu que le lieutenant était debout. Il avait ses deux bras croisés l'un sur l'autre sur la culasse du canon et sa tête sur ses bras. Il y avait un tout petit filet de sang qui coulait de sa tempe. Il avait dû avoir un moment d'inattention en me guidant. Mon jeune co-pilote, Casanova, est immédiatement sorti du Montmirail pour monter sur la tourelle et aider le lieutenant. Etant debout sur le char, il a eu la chance énorme d'être raté par une rafale et a dû sauter dans sa place. Notre tireur Florkhowski m'a dit de faire marche arrière et m'a guidé jusqu'à ce que le char soit le long d'un mur qui montait à environ mi-tourelle. Il a dit à Casanova de venir dans la tourelle où le lieutenant était toujours debout et m'a dit de venir sur la tourelle pour tirer. Ils ont poussé le lieutenant et je me suis mis debout sur la tourelle et j'ai mis mes bras sous ses épaules. Nous avions du mal à le soulever. Il y avait une petite marche à l'intérieur de la tourelle sur laquelle on mettait un pied pour sortir ou rentrer. Un de mes camarades a mis le pied du lieutenant sur la marche et lui a dit de pousser ce qu'il a fait sans rien dire. De ce fait nous avons pu le mettre toujours debout, sur le côté avant du char où un de mes camarades m'a rejoint pour m'aider à le descendre sous un tir d'armes qui nous a tous trois manqué. Le lieutenant avait les yeux fermés et ils sont restés fermés tout le temps qu'il a été avec nous. Il ne se plaignait pas du tout, semblait n'avoir aucun mal et n'a jamais porté la main à sa tête. J'ai continué à le maintenir par les épaules et mon camarade (je ne me rappelle plus lequel) lui a tenu les jambes. Le feu d'armes que nous subissions nous a obligé à précipiter et, pendant la descente, le lieutenant a perdu deux gros morceaux de cervelle. Ce n'est qu'à ce moment-là que nous avons vu qu'il avait un grand trou derrière la tête assez près du cou. Une fois à terre, nous étions tous hors de danger. Nous avons déplié le brancard qui était resté sur l'arrière du Montmirail et avons mis un pansement autour de la tête du lieutenant, après quoi nous l'avons allongé. Je suis resté à côté de lui et me suis assis. Après quelques moments sans que je lui parle, il a dit « sauvez-moi ». Comme il avait les yeux fermés, je lui ai dit .. c'est Eve qui vous parle. Vous êtes hors du char, vous êtes sauvé », et il s'est calmé. Peu de temps après, quand je parlai à quelqu'un à côté du brancard, le lieutenant Michard s'est assis sur le brancard et a essayé de se mettre debout. Il a dit à nouveau « sauvez-moi » et je lui ai répété qui j'étais et qu'il était sauvé, après quoi, je l'ai aidé à s'allonger. Cela semble invraisemblable mais il n'avait toujours qu'un petit filet de sang sur la joue et il n'y avait pas de sang sur ses habits ou sur le brancard. Arcy-sur-Aube, l'infanterie et les half-tracks étaient réunis à côté du Montmirail et je ne sais comment tout cela a été fait. Un des half-tracks est venu près du Montmirail car il avait été décidé que nous restions et que le lieutenant et quelques blessés allaient être évacués par half-track. Nous n'avions pas de secours avec nous. Nous avons mis le brancard dans le half-track avec les blessés et il est parti à toute allure vers Jebsheim, encerclé d'éclats d'obus. Nous l'avons vu entrer dans le village. A ce moment-là j'ai vu un ou deux de nos chars qui semblaient arrêtés aux abords de Jebsheim, juste à côté de la route qui menait à Grussenheim. Nous sommes remontés sur Montmirail. Florkhowski était chef de char et je ne sais pas qui était tireur entre Casanova et Lhopital. Je ne sais pas ce qui s'est passé après ça. Peu de temps après, Florkhowski m'a dit que nous repartions sur Jebsheim et du fait, Montmirail, Arcy-sur-Aube et les half-tracks sont repartis à toute vitesse sans être touchés par les obus allemands. Je n'ai pas vu les chars qui allaient nous remplacer mais quand je suis sorti du Montmirail, j'ai vu qu'ils étaient aux abords de Grussenheim. Il est 4h20 à 4h30 et on voyait que la nuit approchait. Nous sommes sortis de nos chars et half-tracks derrière la vigne, à l'endroit où nous étions partis. Nous avions un petit drapeau français avec une croix de Lorraine que notre marraine de guerre nous avait donné à Rabat. Nous ne l'avions pas porté depuis la libération de Paris et nous l'avons piqué à l'endroit prévu sur la tourelle du Montmirail tout de suite, en signe de défaillance sans doute. Peu de temps après, le capitaine de Witasse est venu vers le Montmirail où il s'attendait à voir le lieutenant Michard. Nous lui avons dit qu'il avait eu une balle dans la tête. Il nous a dit que le lieutenant de La Bourdonnaye avait été tué et que l'aspirant sur l'autre char avait été blessé. Après un moment, il nous a regardé et a dit « plus un officier » et il s'est mis à marcher autour du Montmirail et Arcy-sur-Aube en regardant ses pieds et en répétant « plus un officier ». Il a fait trois ou quatre tours pendant que nous le regardions et s'est arrêté devant nous. Il nous a dit que le lieutenant-colonel Putz et un ou deux de ses officiers avaient été tués par un obus. Je ne pus que penser à cela et à la mort du lieutenant de La Bourdonnaye qui a rendu impossible l'attaque pour laquelle nous étions en diversion. Je ne sais pas ce que nos remplaçants ont trouvé à Grussenheim mais, le lendemain matin, le front était loin de là. Le lieutenant Michard avait été mortellement blessé dans nos dernières minutes de combat de guerre. Le capitaine de Witasse nous a dit de nous reposer pour la nuit à Jebsheim et il est parti vers Grussenheim. Quand j'ai voulu mettre le moteur du Montmirail en route, cela a été impossible car nos batteries étaient à plat. Ça été un triste moment et Montmirail a dû être remorqué. Les quatre chars de la compagnie et la section d'infanterie sont repartis le lendemain matin, le capitaine de Witasse en tête dans une jeep, suivi par les chars et les hall-track. Nous avons pris la route qui nous avait menés à Grussenheim et sommes retournés à notre point de départ d'origine. Soit le même après-midi, ou le lendemain après-midi, le général Leclerc est venu nous voir. Je me souviens que nous sommes allés sur le trottoir devant la maison où nous étions. Le général Leclerc était là. Nous étions quinze à vingt. Nos chars n'étaient pas là. Nous nous sommes rangés sur le trottoir. Il y a eu un simple garde à vous. Le général Leclerc s'est mis sur la rue et nous a parlé simplement. L'occasion a été fière mais triste car nous n'étions plus en état de combattre pour le présent. Le lendemain de Grussenheim, nous avons été voir le docteur au poste de secours. C'était un docteur que j'avais connu en Afrique et qui connaissait le lieutenant Michard. Il nous dit qu'il avait été évacué vivant mais qu'il était mort dans la nuit. Il nous a dit que, même si le lieutenant avait survécu, il aurait eu une incapacité complète et n'aurait reconnu personne. Pensant que le lieutenant devait être enterré dans les environs, nous avons fait faire une croix de bois pour aller la mettre sur sa tombe. L'inscription était simple : « Lieutenant Louis Michard 28-1-45 F.F.L. ». Quoique nous soyons restés dans la région une semaine ou deux, il nous a été impossible d'établir où il était enterré. Nous avons gardé la croix dans le Montmirail, pensant la placer un jour. Avant de partir pour l'Allemagne, nous l'avons brûlée dans un champ français ».
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