Equipage : Chef de char : Maréchal des Logis chef Victor Aupin tué le 13 août 1944 puis Maréchal des Logis chef Breton Pilote : Brigadier Paul Brandenburg Tireur : Cuirassier Diemer Radio-chargeur : Cuirassier Desmoulain Aide-pilote : Cuirassier Saturnin Picard
Le 13 août 1944 en fin de matinée, le 4ème Escadron du 12ème RC, Lieutenant Pity en tête, pénétrait dans la ville de Carrouges et la libérait. Les combats reprirent en tout début d'après-midi, le 3ème Escadron étant en tête, avec pour objectif initial d'arriver jusqu'à Argentan et y pénétrer. Au Menil Scelleur, la résistance ennemie se fit encore plus vive, à tel point que l'objectif initial a été modifié et l'attaque portée en direction de Mortrée. Le premier peloton du 3/12e RC du Lieutenant Desforges a alors repris l'initiative, le char ANGERS, aux ordres du Maréchal des Logis Chef Victor Aupin étant en tête. Arrivés au lieu-dit La Perdrière, un groupe de quelques résistants indique à Aupin que de nombreux chars allemands se sont réfugiés dans les bois bordant la route menant à Goult. Le char ANGERS s'engage sur cette route et environ deux cents mètres plus loin, est touché par un obus tiré par un char ou un antichar allemand. presque à bout portant. Sous la violence de l'impact la tourelle du char ANGERS est déboitée et l'obus ricoche, coupant la tête du Maréchal des Logis chef Aupin. Celui-ci s'effondre, se vidant de son sang, sur le tireur Diemer placé juste devant. L'équipage, très fortement commotionné, s'échappe sous la mitraille allemande par le trou d'homme, et se met à l'abri dans un fossé, rejoignant le char du Maréchal des Logis de Briey, l'ARGENTON, qui suivait à une cinquantaine de mètres derrière.
Le 30 novembre 1944 (Souvenirs de Brandebourg Nous reprenons donc l'attaque dans la formation suivante : en tête ANGOULÊME, en soutien AMBOISE, un TD de la marine et ANGERS en serre-file. Nous voilà donc engagés sur la route qui sort de Krafft et mène à Gerstheim. La visibilité est mauvaise, il y a une légère brume et le temps est glacial. Notre mission est simple, nous devons suivre le TD à cent mètres, surveiller les côtés, et au besoin, tirer sur ce qui nous paraît louche. Le convoi avance lentement. La veille, le Général Leclerc en personne est venu nous voir car il avait promis au Lieutenant Desforges, la Légion d'Honneur et la Médaille Miliaire à l'équipage qui prendrait Gerstheim. Il faut comprendre que le village est fortement défendu, mais qu'on nous a caché la vérité : il y a des Panther ! Alors aux innocents les mains pleines ! notre groupe avance toujours et nous arrivons en vue de Gerstheim. Nous apercevons ANGOULÊME qui avance en tirant sans arrêt. La route faisant une courbe sur la droite, je vois bien ANGOULÊME et tout d'un coup des flammes semblent en sortir. Je pense à mes copains, en particulier au pilote Jambel, cet ancien courageux venu d'Afrique, le Chef, le Maréchal des Logis Robinet, remarquable adjoint du Lieutenant. J'entends dans les écouteurs la voix caverneuse et énergique du Lieutenant qui nous donne l'ordre suivant : ANGERS, doublez le TD et doublez moi. Allez porter secours à ANGOULÊME et rendez compte ». Le Chef prend les choses en main d'un : « Popol en avant ! » Je mentirais si je disais que j'ai embrayé guilleret. Non, il ne faut pas oublier la fatigue accumulée par pratiquement vingt-quatre heures passées sans dormir, et constamment sur le qui vive. Nous avons épuisé la moitié de nos munitions et le ravitaillement n'a pas suivi. Mon pied gauche sur la pédale d'embrayage tremble une seconde, puis, je tends la main à Saturnin et nous nous donnons courage et confiance. Je double le TD puis AMBOISE, et me voilà face à Gerstheim avec ANGOULÊME sur la droite. Je me rapproche très vite du char de mes copains et lorsque j'arrive à sa hauteur, je suis soulagé. Il n'y a qu'une chenille coupée et il est protégé par un véhicule semi-chenillé allemand qui brûle devant lui. Il a aussi détruit l'anti-char qui l'a blessé. Nous revoilà en tête, je passe le rideau de fumée mêlée aux embruns matinaux. A quelques mètres devant moi, se dresse une barricade, une vraie, faite de rondins de bois plantés dans la chaussée, infranchissable, à l'exception d'un passage d'environ trois mètres sur la gauche. J'arrête le char et je scrute les alentours. La barricade s'adosse sur la droite à une grande maison entourée d'un jardin cerné d'un muret et de grillage. Comme il est presque certain que le passage à gauche est miné et qu'un 75 est pointé dessus de l'autre côté, ma décision est vite prise. D'un coup de levier à droite, j'enfonce le mur d'enceinte, je passe dans le jardin, ne peux éviter de passer au travers d'un poulailler derrière la maison, reviens de l'autre côté pour défoncer le muret et arrive dans la rue. A peine engagé sur le trottoir, le Chef me crie : « Popol plein pot ! » Je sais ce que cela veut dire : il y a un gros danger, il faut agir vite et sans erreur. Je fais donner le maximum à mes diesels en tirant à fond sur le levier droit. Une fois dans l'axe, je vois le monstre : un Panther. Il prend toute la place dans mon périscope ! J'entends siffler un premier obus qui nous frôle, puis un deuxième qui coupe un poteau en béton des lignes de tramway. Pour l'éviter, car il est tombé en travers de la route, je zigzague et me rapproche du Panther. Mais voilà que dans sa précipitation, Messac, notre chargeur fait une erreur géniale, il engage un fumigène dans le canon qui, en percutant l'adversaire, le plonge dans la fumée. J'en profite pour me rapprocher encore et lorsque la fumée se dissipe, Desmoulins hurle : « Il nous tourne le cul ! » Aussitôt, deux perforants dans la partie moteur, la plus vulnérable, et c'est l'explosion du Panther, là, à cinquante mètres à peine de nous. Nous avons eu très chaud ! Ce char allemand, en position de repli, nous présentait son arrière avec la tourelle dirigée sur nous, ce que nous appelons dans notre jargon : « Tourelle à midi et demi », ce qui finalement a fait notre affaire. Je n'ai jamais compris pourquoi les Allemands n'ont pas mieux défendu Gerstheim. Avec la puissance de feu que représentent sept Panther, nous n'aurions jamais dû passer, et pourtant ! Je me tourne vers Saturnin, nous nous serrons la main. Nous avons un besoin pressant alors j'appelle le Chef et lui fais part de notre désir de descendre, mais avant j'avance le char sur la gauche, le long d'une palissade. Le Chef me dit d'attendre. Il se met debout sur la tourelle et aperçoit un autre Panther manœuvrant dans la rue croisant la nôtre à vingt mètres, pour nous détruire lorsque nous nous serons engagés au croisement. Quel coup d'oeil que celui du Chef Breton ! Il vise le char allemand avec la lame de sabre installée à cet effet sur notre tourelle, donne les éléments à Desmoulins et « Feu » ! L'Allemand est touché au seul endroit vulnérable : le « défaut de la tourelle ». Sa position par rapport à nous offre le côté droit et une saignée de un mètre cinquante sur cinq centimètres d'épaisseur, il faut donc une grande précision et beaucoup de chance : le résultat est au rendez-vous, le Panther prend feu et les cinq occupants sont tués. Là, il y a une sorte de fraternité d'armes, nous sommes malheureux pour eux, mais c'est la guerre et c'est impitoyable ! Nous descendons enfin pour soulager notre vessie et nous dégourdir un peu, car ça fait pratiquement trente heures que nous sommes assis à nos postes de combat. Nous remontons dans le char et repartons toujours seuls, avec nos neuf fantassins. Il faut absolument aller jusqu'à la sortie du village nous assurer qu'il n'y a pas d'autres embûches. Je double le Panther en feu et vais jusqu'à la sortie ; quel spectacle ! Nous voyons fuir cinq Panther. S'il nous était resté des munitions, nous aurions pu essayer de les affronter. Grâce à notre rapidité nous les aurions surpris et qui sait ? Mais hélas rien, pas d'obus, pas de combat. Nous nous assurons qu'ils sont bien partis et nous revenons dans le village. Trop occupés par nos activités guerrières nous n'avons pas communiqué avec le Lieutenant. De retour vers nos deux Panther, nous entendons le Lieutenant Desforges, avec des trémolos dans la voix, faire notre éloge funèbre. De l'extérieur du village, les colonnes de fumée qui se dégagent en son centre font penser à notre officier que nous avons été détruits et sommes morts tous les cinq. Ça fait quand même froid dans le dos d'entendre parler de nous au passé ! Le Chef Breton laisse terminer notre oraison, puis très calmement, appelle Desforges pour lui annoncer que tout danger est écarté et qu'il peut nous rejoindre dans le village en prenant soin d'éviter la barricade tant qu'elle n'aura pas été déminée. Un quart d'heure plus tard AMBOISE nous rejoint, flanqué d'ARGENTON sorti de la boue et d'AUBUSSON qui les a rejoints. Nous allons rapidement récupérer quelques obus et bandes de mitrailleuse auprès d'ANGOULÊME encore immobilisé en attendant d'être dépanné. Il a la chenille gauche coupée et le barbotin endommagé par un obus de 57 de l'anti-char détruit à côté du semi-chenillé allemand, qui finit de se consumer. Le réflexe et l'intelligence de combat du Chef Robinet ont sauvé ANGOULÊME de la destruction. Nous recevons la mission d'emprunter la petite route qui descend vers le Rhin pour la sécuriser et la nettoyer. Là, nos fantassins débusquent une cinquantaine de soldats de la Wehrmacht (qui semblent venir tout droit d'Asie, tant leurs faciès rappellent les Mongols). Lorsque nous revenons à Gerstheim, nous nous arrêtons au fameux croisement des Panther. J'arrête ANGERS à l'angle, tout près de la maison qui nous protège des tirs d'artillerie, car le village est la cible des canons de tous calibres de nos adversaires. Pendant le combat j'ai eu deux périscopes endommagés et dois donc les réparer sans tarder ; je reste enfermé à mon poste. Alors que je change les têtes des périscopes, un obus de gros calibre arrive contre le mur de la maison devant le char. Au milieu de toutes ces explosions, je ne prête pas trop attention au bruit, et lorsque un quart d'heure plus tard environ, j'ai terminé mon bricolage, je sors voir ce qui se passe. Les copains m'apprennent que trois jeunes filles du village, venues nous accueillir, ont été tuées par le fameux obus de gros calibre. Elles sont mortes à quelques mètres de moi sans que je les vois et que je puisse faire quelque chose pour elles. C'est la triste réalité de la guerre et une raison supplémentaire pour la détester.
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