JOURNAL DE MARCHE

DE LA 2e COMPAGNIE DU 41e BCC

Capitaine GASC

 

13 mai 1940 - 20 heures mouvement du 41e B.C.C. de Beine (15 km est de Reims) vers Rethel, via Epoye, Aussonce, Juniville, Perthes, Rethel.
 
14 mai 1940

Matin : mouvement de Rethel vers l'est : Tourtelon où le bataillon arrive vers six ou sept heures du matin.
À partir de 12 heures, mouvement Tourtelon, Lametz, Tannay, R.N. 77, lisières nord des bois du Mont-Dieu, pour participer à une contre-attaque en direction de Sedan.
20 h 30 : contre-attaque remise et repli du 41e vers Tannay. La 2e compagnie passe une partie de la nuit entre Tannay et Le Chesne ; elle reçoit, dans la nuit, lors de se porter à Louvergny avec mission de flanc-garder la 3e D.C.r.

15 mai 1940
 
Au petit jour : mouvement et installation de la 2e compagnie pour assurer sa mission face au nord nord-est et est. Reste de la journée : R.A.S.
Dans la nuit : la 2e compagnie est mise à la disposition de la 5e D.L.C. pour assurer son arrière-garde lors de son repli, le 16 mai, vers Attigny.

16 mai 1940
 
Matin : mouvement Louvergny, Lametz, Semuy, l’Aisne où la mission d'arrière-garde se termine vers 12 à 15 heures. Liaison perdue avec le PC du 41e B.C.C. mais connaissant la situation du PC de la demi-brigade de chars, des ordres lui sont demandés par liaison moto dès le départ de Louvergny. Ladite liaison me retrouve sur l’Aisne au début de l'après-midi. Ordres reçus : rejoindre le PC de la 3e D.C.r. à Savigny sur Aisne (sud de Vouziers), où la 2e compagnie arrive dans le courant de l'après-midi à l'étonnement de l'état-major de la 3e D.C.r.
Pendant cette journée, les deux autres compagnies du 41e B.C.C., la 1ère Billotte, la 3e Delepierre, mènent le combat, à Stonne, contre les blindés allemands.
Dans la nuit : la 2e compagnie, stationnée à Savigny, est alertée et reçoit la mission de se porter à Dun sur Meuse, par Boult aux Bois, Bantheville, en vue de participer à une contre-attaque au nord de Stenay où les Allemands tournent la ligne Maginot à l'ouest des ouvrages de La Ferté.

17 mai 1940
 
Matin : la 2e compagnie rencontre, sur l'itinéraire ci-dessus, les 1ère et 3e compagnies du 41e B.C.C. Le 41e B.C.C. reconstitué roule vers Dun pour participer à la contre-attaque prévue. Dans la nuit, le 41e cantonne dans la forêt de Woëvre au sud-est de Stenay.

18 mai 1940
 
Matin : le commandant du 41e va aux ordres.
Midi : reconnaissance de la base de départ et du terrain de la contre-attaque par le commandant Malaguti et ses trois commandants de compagnie, contre-attaque qui aura lieu vers 17 - 18 heures. Base de départ : lisières nord du bois d’Inor, entre Inor et Olizy, en direction de la cote 311 au sud des ouvrages de La Ferté.
Moyens mis en oeuvre :
chef de bataillon et son char 1 char
1ère compagnie : capitaine Billotte 3 chars
2e compagnie : capitaine Gasc 3 chars
3e compagnie : capitaine Delepierre 3 chars
Moyens qui ont été jugés suffisants eu égard à la dimension du compartiment de terrain dévolu à la contre-attaque.
Mission : libérer la cote 311 et permettre l'installation, sur 311 et environ, du 3e bataillon du 115e R.I. (6e D.I.).
Résultats : la mission est bien remplie, les Allemands sont chassés de la cote 311 et le III/115 R.I. l‘occupe et l’aménage. En cours de contre-attaque, mon char tombe en panne et je dois en changer ; opération rapidement faite (mon char rejoindra par la suite). Proche de la cote 311, je suis personnellement pris à partie par deux canons antichars de 37 mm ; je puis les repérer assez rapidement et les détruire, ainsi qu'un important ni de mitrailleuses dont les servants sont neutralisés.
L'ordre de repli du 41e B.C.C. est exécuté alors que la nuit est totale et que l'artillerie ennemie déclenche des tirs d'arrêt nombreux entre 311 et la bases de départ : en ce qui me concerne, je contourne un tir d'arrêt sans encombre et rejoint la position de regroupement avec mes trois chars. Durant la nuit les chars du 41e sont repliés au sud de Stenay où ils retrouvent ceux n'ayant pas participé à la contre-attaque. La 2e compagnie est à 10 chars.

19 mai 1940.
 
Repos et entretien du matériel.

20 mai 1940.
 
Le 41e B.C.C. se porte dans la région de Cierges (ouest de Montfaucon).
 
21 mai 1940.
 
Cierges.

22 mai 1940.
 
Déplacement vers le nord, région de Bantheville.

23 mai 1940.
 
Le 41e se déplace, toujours en réserve, stationnée dans la région de Sommauthe.

24 au 27 mai 1940.
 
La 2e compagnie est à Bayonville.

28, 29 mai 1940.
 
Déplacement du 41e dans la forêt de Boult (région de Boult aux Bois) pour intervenir face au nord et à l'est.
 Mission de la 2e compagnie : à 1 kilomètre au nord de Croix aux Bois, prête à déboucher sur Quatre Champs.
 
30 mai 1940.

Déplacement du 41e vers Grandpré. La 2e compagnie stationne à Talma (3 km nord-ouest de Grandpré) où elle stationnera jusqu'au 5 juin.

6 juin 1940.
 
Le front est stabilisé au nord. L'effort allemand est axé sur Rethel et le 41e B.C.C. reçoit l'ordre de se porter vers l'ouest stationner dans les bois au sud de Semide. La 2e, au complet, toutes réparations effectuées, y est le 7 et 8 juin.

9 juin 1940.
 
L'effort allemand se confirme sur l'axe Rethel - Reims. Le 41e B.C.C. fait mouvement, dans la nuit du 9 au 10, par Machault Menil. La 2e compagnie arrivera à Annelles avec 10 chars dont un en panne de coupleur.

10 juin 1940.
 
Contre-attaque du 41e B.C.C. au sud de Perthes ; 2e compagnie, axe Annelles – côte 165 plein ouest jusqu'à la route Perthes - Juniville, dégager Perthes par le sud.
1ère compagnie (capitaine Billotte) contre-attaque au sud de la 2e. La 2e compagnie contre-attaque avec 9 chars et arrive sur son objectif. Au cours de l'action, une artillerie allemande très puissante détruit trois chars et en avarie trois autres très sérieusement. L'ennemi a perdu de nombreuses armes antichars, dont un canon de 105 ainsi que de nombreux combattants aux abords de la route Perthes - Juniville.

10 juin 1940 – La 2e compagnie a reçu l'ordre d'attaquer à partir des bois ouest Annelles, la région sud de Perthes aux fins de dégager cette localité encerclée par l'ennemi et où tiennent encore les débris d'un régiment.
 
La 2e compagnie dispose de 9 chars, le 10e est en panne de coupleur et sera laissé en arrière de la base de départ où il n'a pu arriver.
Le moral est excellent.
L'attaque débute dans de bonnes conditions ; l'ennemi est écrasé mais il faut subir, outre le tir des armes antichars, un tir extrêmement dense d'obus de tous calibres. Un char et détruit et brûlé (YONNE), un autre reçoit un coup de plein fouet sur l'avant, subit de graves dommages puis continue le feu.
Un canon de 105 se dévoile sur la droite de la compagnie, sud de Perthes et incendie coup sur coup deux autres chars (ARLAY et DURANCE) ; un équipage entier est la proie des flammes ; le canon de 105 est à son tour détruit.
Le char AISNE à son radiateur crevé et doit abandonner le combat peu avant l'ordre de repli.
Le char DURANCE à sa tourelle bloquée par un obus antichar qui se coince entre la tourelle et le toit.
Le VILLERS MARMERY reçoit des coups de plein fouet d'antichars sur ses chenilles ; de nombreux patins sont crevés et on ne sait dans quelles conditions il peut continuer à rouler.
Un autre char enfin est rendu inapte au combat, mais peut continuer à rouler.
L'ennemi a été bousculé ; un canon de 105, un minimum de 15 antichars détruits, de très nombreux Allemands sont mis hors de combat, le village de Perthes est débloqué, mais de tels succès ont coûté à l'unité :
cinq tués, deux blessés
trois chars incendiés
quatre chars inaptes au combat (qui rejoignent les lignes)
deux chars indemnes.
La 2e compagnie se replie vers 20 – 21 heures.

10 juin 21 heures - 11 juin 14 heures.
 
Repli de la compagnie avec 7 chars par l’itinéraire Annelles - Ménil – Pauvres – Machault – Cauroy – Hauvine – Pont Faverger – Nauroy – Ferme de Moscou.
À minuit commence la série des replis de chars tous plus abîmés les uns que les autres. Deux chars sont constamment en remorque au milieu de troupes qui se replient, elles aussi, vers le sud.
Dans chaque village, il faut passer les chicanes, tout feux éteints, avec des chars à la ficelle, chars qui ne virent qu’au frein, donc très mal. Les chicanes sont enfoncées et les chaînes, des câbles cassent.
Avant d'arriver à Mont Saint Rémy, on aperçoit des feux de lampes électriques et à notre arrivée dans Mont Saint Rémy, un tir d'artillerie très ajustée et très dense coiffe les chars, détruit les maisons, sème la panique dans les troupes à pied, à cheval, qui arrivent dans le village de deux directions différentes pour s'écouler par la même direction. Il y a des blessés que l'on évacue dans la voiture tout-terrain jusqu'aux ambulances. Un tracteur de ravitaillement qui a quitté la route saute sur une mine et brûle ; il n'a été vu en sortir aucun membre de l'équipage.

11 juin 1940 –
 
Au jour la compagnie arrive au bois nord-est d’Hauvine où elle fait les pleins. Contact écrit avec la compagnie Billotte qui arrive deux heures après réservoirs vides et que la 2e compagnie ravitaille en essence.
Vers 10 heures, les deux compagnies se replient. Les chars de la 2e compagnie se déplacent très espacés les uns des autres car il y a de l'aviation. Deux avions attaquent coup sur coup la voiture du capitaine qui est atteinte par plusieurs balles ; les occupants sont indemnes.
La compagnie arrive enfin, vers 15 heures à la ferme de Moscou où elle attend des ordres et se prépare à repartir. Partout, il n'avait été vu que des troupes en repli, pas toujours en très bon ordre. Le moral est excellent. La confiance règne.

11 juin 20 heures
 
Les ordres sont les suivants :
- former avec les chars aptes au combat une compagnie de combat aux ordres du capitaine Cornet.
- former avec les char inaptes au combat une compagnie qui a pour mission de se rendre au sud de la Marne où un élément de la C.E. fera les réparations nécessaires pour la reprise du combat.
Compagnie aux ordres du capitaine Gasc. Un seul char valide est laissé à cette unité pour en assurer la défense s'il y a lieu.
La confiance continue à régner dans les équipages.

JOURNAL DE MARCHE DU DÉTACHEMENT DE CHARS AUX ORDRES DU CAPITAINE GASC.
 
11 juin 1940
 
Au crépuscule cette unité s'ébranle ; elle comprend deux tracteurs de ravitaillement et 13 chars plus abîmés les uns que les autres. Son itinéraire le suivant : ferme de Moscou – Suippes – Saint Hilaire au Temple – L’Epine – Courtisols – Marson – Pogny – Vitry la Ville – Bois ouest de Vitry la Ville (soit 75 à 80 kilomètres) où sont les éléments de la C.E.
Cette unité ne tarde pas à s’étirer et si jusqu'à Suippes, la surveillance en est relativement aisée, par suite du peu de densité des troupes qui suivent le même itinéraire, elle devient très difficile à partir de Suippes où un véritable fleuve de troupes de toutes sortes reflue vers le sud. De très longs arrêts se produisent qui diminuent la vitesse de marche. La consommation d'essence et grande. Les moteurs souffrent et tout marche cahin-caha.

12 juin 1940
 
A partir de Suippes, atteint vers minuit, la colonne de chars s'étire sur 10 à 15 kilomètres et plus d'une heure est nécessaire au capitaine pour visiter tous les chars de cette colonne.
Au matin, contact écrit avec les éléments de la compagnie Cornet qui se trouve dans le camp de Mourmelon et dans l'après-midi seulement, les chars s'engagent vers Courtisols.
Le lieutenant Morillet, rencontré à Saint-Étienne au Temple fait apporter de l'essence en moto, voiture tout-terrain, tracteur et les pleins sont faits, char par char, au fur et à mesure où ce ravitaillement remontant le courant descendant, peut leur parvenir.
Encore des embouteillages. Le détachement est toujours aussi étiré. Un violent orage de s’abat sur la région, augmentant encore le désordre de toutes les troupes qui refluent vers Pogny. Toutes les troupes sont mélangées et ne peuvent aller plus vite qu’au pas. Vers 17 heures les premiers chars passent à Pogny.
À 18 heures environ, la colonne de troupes qui se replie est prise à partie par des blindés allemands arrivés par la route Châlons – Vitry le François et, prenant cette route d'enfilade, tuent chevaux et personnel, cassant les véhicules auto ou hippo. Le désordre règne sur la route ; ce n'est qu'explosions, cris, jurons, affolement, fuite.
Des chars qui arrivent de Marson (char de l'adjudant chef Barbier en particulier) foncent sur l'allemand qui rompt aussitôt le combat. L'action de ses chars permet à des milliers d'hommes et de chevaux, des colonnes de canon (G.P.F. en particulier) de s'écouler et de continuer leur en repli.
Vers 19 heures tous les chars ont passé la Marne.
Les chars de tête sont à l'ouest de Vitry la Ville et essaient de prendre contact avec les éléments de la C.E.
Les derniers se regroupent au sud de la Marne. Trois chars sous les ordres du lieutenant Dive restent à Vitry la ville.
Ces trois chars se présentent de la façon suivante : le premier remorque le second qui n'a plus aucune direction et va zigzaguant sur la route ; le troisième, attelé au deuxième l'empêche de quitter la route. Tous trois sont donc réunis entre eux par des câbles ou chaînes. Et c'est alors que passant devant le PC du général commandant la 14e D.I., le général les arrête dans leur marche et leur donne l'ordre de se mettre en position sur les ponts de Vésigneul ou Mairy. Le lieutenant rend compte de l'état de ses chars, de sa mission. Ordre lui est donné d'exécuter.
Le commandant de détachement, averti de cet incident, se porte vers Vitry la Ville au PC du général qui lui donne l'ordre de disposer ses chars pour défendre les ponts de La Chaussée sur Marne – Pogny – Vésigneul – Mairy sur Marne – et former deux bouchons à Vitry la Ville et à la sortie nord-est de Coolus avec les 13 chars de son détachement. Le commandant du détachement rend compte de l'état de ses chars (inaptes au combat et dont trois sont en remorque) de son appartenance à une division dont il a reçu une mission bien précise, de la présence d'éléments de dépannage. Rien n'y fait, il faut exécuter immédiatement.
L'exécution - il s'agit de transformer cette colonne de chars qui s'allongent sur cinq à six kilomètres en une ligne bordant la Marne sur plus de 15 km et avec des chars dans quel état :
Les ordres sont donnés pour disposer les chars de la façon suivante :
- 2 chars à la Chaussée sur Marne (pouvant marcher)
- 2 chars au pont de Pogny (pouvant marcher)
- 2 chars à Vitry la Ville (panne de moteur)
- 1 char est laissé à Togny (panne de moteur, de naëder)
- 1 char remorqué à Vésigneul (panne de moteur et de Naëder)
- 1 char entre Togny et Vésigneul (panne de moteur et de Naëder)
- 1 char à Mairy (pouvant marcher)
- 3 chars à Coolus (pouvant marcher)
Cette mise en place durera des heures et ce n'est que très tard dans la nuit qu'elle sera réalisée.
Entre 19 et 20 heures, le commandant de détachement est averti que les Allemands sont aux environs de Pogny ; il décide d'aller lui-même placer immédiatement un char pour battre le pont encore intact (char AISNE). Effectivement, à peine face au pont, un violent duel commence entre le char et des blindés allemands à Pogny. Le char est aussitôt mis hors de combat et son chef tué (lieutenant Homé).
Le commandant de détachement se précipite en arrière pour presser le déplacement du deuxième char qui, aussitôt arrivé près du pont, continue lui aussi le combat mais est détruit à son tour.
À ce moment, le spectacle est le suivant : sur notre rive, nos deux chars brûlent ; sur la rive opposée, cinq à six chars allemands brûlent aussi. De notre côté, outre les pertes matérielles, il y a cinq tués dont le lieutenant Homé et l'adjudant chef Courtois, chefs de char, 2 blessés dont le lieutenant Clouet.
L'allemand ne bouge plus quoique notre extrémité de ponts ne soit plus défendue, si ce n'est par quelques fantassins dont le régiment tient sur l'Aisne le même front que les chars. Le pont sautera d'ailleurs une heure après environ.
Aucun incident ne se produit pour la mise en place des autres chars si ce n'est la difficulté pour eux de se rendre à leur poste. Les chars valides sont envoyés aux points les plus éloignés, les invalides sont laissés en place (Vitry la Ville) ou remorqués aux postes les moins éloignés (Togny – Vésigneul).
Le PC du commandant de détachement est établi à Vitry la Ville qui semble le secteur le plus sensible.
Un violent tir d'artillerie s'abat sur Vitry et incendie un char. C'est le troisième détruit par l'ennemi ; un blessé.
Les éléments de la C.E. présents sur les lieux ont été ausculter les chars mais hélas, c'est tout ce qu'ils ont pu faire, car, face aux chars, se trouve un ennemi dont les tirs ne permettent pas d'amener des engins de levage nécessaires aux échanges de Naëder, coupleurs, etc… De sorte que les chars restent en l'état où ils sont arrivés.
Dans la nuit, contact est pris avec le capitaine Delepierre qui, dans la journée du lendemain, enverra la roulante et de l'essence, huile, munitions.
La nuit se passe sans incidents.

13 juin 1940
 
Au jour, les chars s'embossent (ceux qui le peuvent) dans les meilleures conditions (camouflage, champ de tir). L'ennemi ne réagit pas ou peu.
Les ravitaillements sont faits.
Des liaisons radio sont établies entre le PC et les chars ou groupes de chars.
Le commandant de détachement prend contact par deux fois avec chaque équipage.
Depuis trois jours les équipages n'ont pu se reposer ; l'entraînement qu'ils ont subi avant ces épreuves les a endurcis. Leur moral n'est pas entamé, la confiance règne.
Le général commandant la 55e D.I. a mis les chars les dispositions du 203e régiment d'infanterie (celui qui tient la Marne sur 15 kilomètres) et contact est pris par le commandant de détachement avec le colonel commandant le 203e R.I.
Un ordre de repli est prévu sur l'Aube. Les ordres seront donnés en temps utile. Les chars auraient alors pour mission de servir d'arrière-garde à l'infanterie. Que faire alors des chars cloués au sol par les pannes ?

14 juin 1940 - 1 heure
 
L'ordre de repli est donné. L'infanterie quitte l’Aisne. L'itinéraire à suivre est le suivant :
Ecury – Coupetz – Fontaine sur Coole – Dommartin – Soudé – Poivres - Mailly – Villiers – Allibaudières – Pont de Viâpres – Pouan – Nozay, soit 65 à 70 kilomètres.
Il ne peut être question pour les quelques chars pouvant se mouvoir (et dans quelles conditions !) de repartir chercher des chars en panne de moteur, coupleurs ou Naëder, à la barbe des allemands.
Ordre est donné de brûler ces chars, soit quatre.
Les équipages rendus disponibles sont évacués. Pendant cette opération, sept chasseurs sont blessés.
Restent donc sur la Marne, 7 chars :
3 chars détruits par l'ennemi
4 chars incendiés par les équipages.
Les chars se regroupent sur l'itinéraire Ecury - Coupetz et alors commence le repli sur l’Aube de 6 chars en mauvais état de marche, sur les arrières du 203e R.I.
Ce régiment était arrivé sur la Marne le 12 après une marche de 10 kilomètres. Quoique ayant eu un jour de repos (le 13), les hommes sont fourbus et les trainards deviennent de plus en plus nombreux, prennent d'assaut les chars, les tracteurs de ravitaillement, la voiture tout-terrain du commandant de détachement. Des mesures brutales doivent être prises pour que les deux derniers chars puissent au moins tirer en arrière, car des motos allemandes suivent à vue.
Toute la journée est nécessaire pour atteindre les abords de l'Aube. Marche lente, arrêts prolongés de l'infanterie. Des villages incendiés quelques heures plus tôt doivent être traversés. De nouveaux courants de troupes en repli s'ajoutent à notre colonne ainsi que des véhicules auto et hippo civils. Tout cela ajoute au désordre.
Ce n'est qu'à la nuit que les chars arrivent à 10 km au nord de l'Aube et se regroupent. Le matériel est très fatigué et certains chars devront bientôt être pris en remorque.
Contact est pris avec le commandant du 203e R.I. qui déclare passer l'Aube à Viapres et donne pour mission aux chars de former un bouchon défensif à Nozay.
Pendant que les chars se regroupent entre Herbisse et Allibaudières et font une partie des pleins, le commandant de détachement va reconnaître le pont de Viâpres qui lui paraît être insuffisant, ce qui s'avère exact. Il est décidé de passer par Arcis sur Aube dont les ponts sont suffisants et non encore détruits.
Après le regroupement, il est 22 - 23 heures. La route est remplie de troupes qui se replient et deux chars doivent être pris en remorque. Les chars s’imbriquent dans cette colonne et après un court déplacement, un arrêt interminable se produit alors. Renseignements pris, il court le bruit qu'un commandant en tête de la colonne a donné l'ordre de faire demi-tour et de remonter vers le nord. De fait, le mouvement s’arrête. Un officier du Train déclare ne pas être au courant d'un tel ordre et demande aux chars ce qu'ils en pensent. Les chars pensent qu'il faut continuer. L'officier du train fait dégager la route et les chars poursuivent leur marche entraînant des troupes dans leur sillage.

15 juin 1940
 
Arrivés en tête de la colonne (300 à 500 m de la route nationale n° 77 - 2 km de l'Aube – 1 à 2 heures du matin), les chars prennent contact avec des tirailleurs qui déclarent avoir été mitraillés par l'allemand qui a l'air de se trouver sur la route nationale n° 77 à notre gauche et sur la route I.C. 71 devant nous. Le renseignement est exact mais il est décidé de continuer et de percer.
Chaque chef de char est sur son char, une mitrailleuse dans les bras, des chargeurs à proximité. Les tirailleurs encadrent et la marche se poursuit. L’ennemi réagit ; les chars prennent sous leurs feux tout l'horizon sud et est. L'allemand se tient coi et ses lignes sont traversées sans grande casse.
Un flot d'hommes, de voitures, de tracteurs passe et arrive ainsi à Arcis sur Aube.
Un char manque et le filet s'interrompt brusquement.
Le commandant de détachement décide de retourner en arrière voir pourquoi ce char ne rejoint pas ; il amène avec lui un sous-officier et retraverse la ligne allemande. Quelques coups de feu, une grenade les saluent au passage. Le char est retrouvé et prêt à repartir. La colonne d'infanterie, véhicules et autres est arrêtée à 50 m derrière le char et ne veut plus avancer par crainte de l'ennemi. Le commandant du détachement et le sous-officier prennent chacun deux hommes par le bras et les amènent ; le reste suit et un nouveau flot passe l'Aube.
Le jour est là et les chars se dirigent presque à sec d’essence et sans huile de Naëder sur Nozay où ils arrivent vers sept heures.
La situation au point de vue matériel est exécrable. Deux chars sont en remorque, trois chars ont leurs joints de Naëder crevés depuis bien longtemps et ont consommé toute huile de ricin. L'huile de ricin est remplacée par de l'huile à moteur mais la provision s'épuise. On ne peut rouler longtemps ainsi, sans être immanquablement stoppés.
Les réservoirs d'essence sont presque à sec et la consommation d'essence de la journée a été telle, par suite de la marche au ralenti et des arrêts fréquents et prolongés que la réserve d'essence est, elle aussi, à peu près épuisée. Des recherches sont faites, mais sans résultat.
Le colonel commandant le 203e R.I. auquel il est rendu compte de la situation, ne peut que compatir à cette situation angoissante.
Il est décidé que tous les chars restants défendront les accès de Nozay où est établi le PC du colonel commandant le 203e R.I.
Un char (lieutenant Achet) est envoyé pour interdire le passage du pont de Viâpres, mais doit se mettre à découvert pour remplir sa mission. Les Allemands arrivant aux abords du pont ne peuvent manquer de leur repérer et le détruisent à leur aise à coups d'artillerie sans que le char puisse riposter. Le lieutenant Achet et le pilote sont légèrement blessés par des éclats. L'équipage se replie.
Vers 10 – 11 – 12 heures, le colonel rend sa liberté de manœuvre au commandant du détachement de chars ; son régiment doit décrocher dans la soirée.
Le commandant du détachement de char décide de ne partir qu'avec du matériel pouvant utilement faire du combat et de laisser le reste. Un seul char est susceptible de remplir ces conditions. Les pleins sont faits (essence, huile, munitions) en prenant sur les autres chars ; le restant est mis en bidon (sauf à 20 à 30 l par char) et sera transporté en tracteur tout-terrains (300 à 400 l d'essence et 30 l d'huile récupérée).
Les destructions sont préparées, les mitrailleuses prêtes à être enlevées, le plus possible de chargeurs de mitrailleuses sera transporté par les tracteurs ; tout le personnel : 25 à 30 officiers, sous-officiers et chasseurs sera transporté par les deux tracteurs tout-terrains, une camionnette récupérée et le char.
Le départ n'aura lieu qu'avec l'infanterie, dans le noir, pour empêcher éventuellement toute intrusion allemande et pour maintenir intact le moral de l'infanterie qui a les yeux fixés sur les chars et qui sait que tant qu'il y aura des chars avec elle, elle sera défendue.
Entre 10 heures et midi, les Allemands sont signalés aux abords de la gare d’Arcis sur Aube. Le char déjà prêt est envoyé pour voir ce qui se passe. Il se passe que plus d'une centaine d'Allemands sont là qui se battent les flancs, d'autres actionnent une locomotive, d'autres encore mettent des canons en batterie.
En quelques instants tout cela est en débandade, la Loco crache de la vapeur par tous les bouts, les minens sautent et le char est le maître de la situation. Plus un allemand n'est visible si ce n'est les morts qui, eux, n'ont pu se camoufler. Le char se poste, attend et rend compte de son travail. Il restera là jusqu'au moment du décrochage. L'allemand restera cloué à Arcis.
Vers 18 - 19 heures, le décrochage est décidé. Une moto va chercher le char sous des tirs de mitrailleuses allemandes ; les autres chars sont incendiés, toutes les mitrailleuses enlevées, les obus de 75 éclatent, les blindages se disloquent et c'est sur cette vision que le détachement de char, réduit à un char, deux tracteurs et une moto en reconnaissance quitte Nozay, les larmes aux yeux, la rage au cœur mais le moral intact.
Point de destination : forêt du Grand Orient et le Sud. On va essayer de se dégager de l'étreinte ennemie que nous subissons depuis trois jours. On marchera toute la nuit.
Voilà maintenant six jours sans repos, sans sommeil, mais les hommes ont confiance en cet unique char qui les précède, en ces mitrailleuses qu'ils ont dans les bras (une mitrailleuse pour 2 à 3 hommes) en ces chargeurs qui sont à portée de leurs mains. À partir de maintenant, tout le monde est à même de combattre et non pas seulement les chefs de chars et les pilotes qui relatent leurs cartons aux caporaux, chasseurs, qui jusqu'ici n'ont fait que le métier de pourvoyeur, dépanneur, graisseur. Et de fait, chacun, bientôt, aura à s'employer.
19 - 20 heures
Le détachement arrivé à Voué, suivant de peu une colonne d'un train d'artillerie qui a été faite prisonnière avant d'arriver à Montsuzain, distant de 2 km de Voué. Deux avions survolent le détachement et sont salués au passage par le feu de toutes les mitrailleuses. C'est un fait rarement vu : moral et confiance intacts.
Quelques français rencontrés à Voué disent qu'il y a beaucoup d'Allemands entre Voué et Montsuzain. Des militaires s'agitent à quelques centaines de mètres. Allemands ? français ? quelques précautions sont prises, espacement des véhicules ; tous les yeux sont aux aguets. On va partir quand arrive à notre auteur un bataillon ou du moins les effectifs qui en restent. Le commandant demande aux chars ce qu'ils pensent faire. Les chars répondent qu'ils vont à Montsuzain et au-delà. Bien dit-il, nous allons tenter une figure de grand style. Ma C.E. va vous appuyer de tous ses feux et mon bataillon attaque derrière vous. Le départ est retardé mais les mitrailleurs n'arrivent pas et le fantassin n'est pas chaud. Finalement, seule une mitrailleuse actionnée par un officier battra la route pendant que le char de tête, les deux tracteurs à 50 m en arrière et 100 m à droite et à gauche, quittent la route et la longent. 200 m environ sont faits ; l'infanterie reste à Voué est alors se dévoile derrière les militaires qui continuaient à s'agiter deux canons de 37 antichars qui couvrent de leurs projectiles le char et le tracteur. Le tracteur est aussitôt incendié, deux hommes brûlent avec, un autre est blessé ; tout le monde saute à terre et le combat est engagé. Le char a déjà perdu ses ailes, les pots d'échappement, l'antenne de T.S.F., le canon de 75 est bloqué par un obus de 37. Il est littéralement aveuglé, recevant un obus toutes les deux secondes ; à chaque obus des gerbes d'étincelles giclent des blindages mais les chasseurs ne s'énervent pas pour si peu et, de leur mitrailleuses, criblent de balles les Allemands qui sont mis hors de combat. Deux canons de moins.
La progression vers Montsuzain continue ; le bataillon reste obstinément à Voué où il se rendra plus tard sans combat. Seuls, trois fantassins tentent leur chance avec les chars.
De nombreux Allemands se dévoilent sur la route, aux abords de la voie ferrée et se replient. Leur marche est accélérée par le tir de nos mitrailleuses. Certains restent sur place. Il y a des blessés parmi nous.
Deux autres antichars se dévoilent et sont détruits par le char.
D'autres Allemands camouflés dans les champs tirent sur nous ; notre marche se ralentit et s'arrête ; seul le char poursuit et va attaquer Montsuzain pour nous dégager. Il ne dispose plus que du canon de 47 et de ses mitrailleuses.
Un nouveau canon de 37 Allemand se met en batterie à quelque 100 mètres et attend le char qui, manifestement, ne le voit pas. Aperçu par le commandant du détachement, celui-ci tire sur lui à coups de mousqueton. Repéré par le canon de 37, le premier obus est pour lui et le met hors de combat. Un des fantassins est tué par un obus de 37 mm. Un aspirant qui continuait la lutte avec ce canon est mis lui aussi hors de combat, mais le char aperçoit le canon et le met hors de combat à son tour.
La route va-t-elle être libre ? non. La fin approche car un canon de 105 prend maintenant le char à partie et en deux coups de canon le détruit, tuant le chef de char et blessant le pilote.
L'allemand est maintenant tranquille et va pouvoir neutraliser ce petit détachement qui se défend jusqu'au dernier chargeur que les chasseurs ont emporté avec eux en quittant les tracteurs.
C'est fini. Les blessés sont ramassés et pansés par les brancardiers allemands. L'allemand est correct et est fier d'avoir combattu ces quelques hommes qui n'ont pas voulu se rendre sans combattre, qui ont voulu sauver leur honneur.
Il fait nuit noire maintenant.
Les blessés sont transportés en auto au poste de secours allemand où un médecin refait les pansements.
Les prisonniers sont massés dans une église et le lendemain avant de partir au camp, un officier allemand vient les féliciter pour leur combat de la veille.
Nos pertes ont été sévères, nos meilleurs sont morts, mais le 16 juin, en remontant vers le nord, vers les camps de prisonniers, chaque officier, chaque sous-officier, chaque chasseur se sent fier de lui, fier de son unité, fier de ce morceau de gloire qu'il s'est taillé dans des conditions si difficiles et, c'est le cœur trempé de confiance qu'il se prépare à suivre son destin.

PERTES
Combat de Perthes : 5 tués 3 chars incendiés
2 blessés 4 chars inaptes au combat
Repli de Perthes à Châlons :
1 tracteur saute sur une mine et brûle
2 morts
Combat de Pogny : 5 tués, en char 7 chars incendiés dont 3 par l'ennemi.
5 blessés
Combat du pont de Viâpres : 2 blessés légers 1 char détruit par l'ennemi
Nozay : 4 chars incendiés par nos soins
Combat de Voué - Montsuzain 4 tués 1 char détruit par l'ennemi
6 blessés
Soit : 16 tués, 15 blessés pour un effectif de 50 maximum, ayant participé à ces combats.
16 chars (dont huit incendiés par nous-mêmes)
RESULTATS
Allemand mis hors de combat : de 150 à 200 minimum.
Matériel détruit : 15 à 20 canons de 37
1 canon de 105
2 minens
5 à 8 blindés.

 

Sources : Archives du SHAT Vincennes.