JOURNAL DE MARCHES DU 2e REGIMENT DE DRAGONS

 

Campagne 1939-1940

DU 21 AOÛT 1939 AU 10 MAI 1940

 

"Mon Capitaine, voilà une dépêche que deux gendarmes viennent de me remettre. "

C'est dans ces termes qu'un des fils du charmant ménage de bergers pyrénéens, près desquels nous campions dans notre roulotte, m'abordait en fin de cette matinée du 21 Août au moment où nous étions en train de faire des projets d'excursions au lac de Gaube et dans la région de Cauterets.

Hélas, adieu beaux projets d'excursion, adieu paysage ravissant dans lequel nous vivions depuis une dizaine de jours en pleine nature, au bord d'un petit torrent dans lequel les enfants aimaient à patauger et à faire la lessive. Adieu Tourmalet et Barèges entre lesquels nous avions réussi à hisser notre roulotte.

La dépêche donnait l'ordre de rejoindre, dans les délais les plus rapides, le 2e Dragons à l'Ecole Militaire à Paris.

Pour la deuxième fois en moins de vingt et un ans le fléau de la guerre allait dévaster notre pauvre pays et avec lui presque le monde entier !

Des milliers d'êtres humains en cette même heure recevaient ce petit papier jaune qui allait les arracher peut-être pour toujours à la tendresse de leur foyer.

Mais l'heure n'était pas aux vains regrets et aux rêveries, il fallait agir et agir vite. Pour gagner du temps, nous décidions d'abandonner la roulotte aux bons soins des bergers et d'amis très chers campant chez ces derniers.

Aidés de ceux-ci, nous empilions pèle-mêle dans la voiture ce qui nous paraissait le plus utile et à 16 heures nous abandonnions tristement des êtres aimés et notre chère roulotte témoin de tant d'années heureuses.

Vers 22 heures, nous arrivions à Libourne, les enfants tombant de sommeil. Après un dîner léger nous nous endormions, et dès le lendemain matin, reprenions la route pour le Berry, le Loiret et Paris.

L'auteur de ces lignes avait été frappé durant son voyage de l'insouciance des gens qui ne croyaient pas à la guerre, qui ne voulaient pas comprendre. C'est cette mentalité entretenue par les huit mois de la " drôle de guerre " qui devait aboutir au désastre de juin 40, désastre sans précédent dans notre histoire.

Dans la cour du quartier, le spectacle était plus réconfortant : c'est une ruche au travail où tout se passe dans un ordre parfait. L'échelon A est prêt ; mise au point des derniers préparatifs avant le départ attendu d'un moment à l'autre.

Tous les camarades rencontrés sont pleins d'espoir.

Les journées des 24 et 25 se passent dans l'attente. Les chancelleries font l'impossible pour éviter le conflit et beaucoup parmi nous croient que tout s'arrangera à la dernière minute.

Toutes les précautions sont prises comme si la guerre éclatait demain, mais peu y croient vraiment.

Le 25 Août, à 20 heures, le Capitaine-adjoint Bertrand de Largentaye, appelé à l'E.M. de la 3e D.C. reçoit du Commandant du C.M.C. 21 les ordres de mouvement concernant le 2e B.D.P. et l'Escadron antichars pour rejoindre la base de concentration de la 3e D.C.

Jour J - 26 Août - Heure H - 6 heures.

L'échelon A, moins l'Etat-Major du Bataillon, quitte l'Ecole Militaire pour aller occuper le cantonnement de mobilisation situé au garage Molière, rue du Ranelagh.

Le sort en est jeté... avant le grand saut dans l'inconnu dernière visite et dernier adieu à ceux que l'on aime... Un chapitre de la vie est encore terminé... la page est tournée. De quoi demain sera-t-il fait ?

Samedi 26 Août. - Par une radieuse matinée d'été l'échelon A, dans un ordre parfait, les distances réglementaires entre les véhicules, traverse Paris par différents itinéraires et se retrouve à la Porte de Pantin.

Nous filons à bonne allure vers notre première étape, par Meaux, la Ferté-sous-Jouarre, Montreuil-aux-Lions, Château-Thierry, Epernay, Chigny-les-Roses, Ludes.

Nous empruntons cette fameuse route menant vers la frontière de l'Est - route que nous avions bien souvent parcourue pour nous rendre aux manoeuvres - route assez triste qui traverse par endroits des régions rappelant l'aspect sévère des plaines lorraines.

Tous les noms des combats de la grande guerre 1914-1918, de ceux de la campagne de France sous Napoléon III nous reviennent à l'esprit.

Bientôt les cimetières du front, aux centaines de croix, nous rappellent les sacrifices de nos aînés et nous tracent notre devoir : " Donner notre vie pour la France si elle l'exige. "

A 17h15 nous arrivons à Sillery où a lieu notre première étape. C'est là que se trouve un des grands cimetières italiens. Des milliers de croix de ceux qui furent nos frères d'armes voilà vingt-quatre ans nous prouvent la fragilité des amitiés humaines. Hier ils se battaient avec nous, aujourd'hui ils se battent contre nous !

On vient à l'instant d'afficher trois nouveaux ordres d'appel ; ce seront encore des dizaines de milliers d'êtres qui vont être arrachés à leurs foyers. On a maintenant vraiment l'impression qu'à moins d'un miracle, nous allons au drame.

Dimanche 3 Septembre. - Ce matin, Messe avec chants à 9 heures ; église pleine de civils et militaires. Pour ceux qui croient : les heures désespérées sont les heures de Dieu ; aussi viennent-ils recevoir le " Pain des Forts " qui leur permettra de supporter les épreuves à venir.

A 11 heures, la T.S.F. nous annonce que l'état de guerre est déclaré entre l'Angleterre et l'Allemagne.

Maintenant le doute n'est plus possible... c'est la guerre...

Ordre est donné de porter le casque et le masque à gaz en bandoulière quand nous sortons.

Nous apprenons avec indignation que l'aviation hitlérienne vient de détruire le Lourdes polonais. La série des crimes allemands commence !

Dès le lendemain, nous reprenons la route et par Beine, Montmédy, nous faisons un assez long arrêt entre minuit et trois heures à Marville.

Cet arrêt de trois heures nous est imposé pour donner le temps à des colonnes d'artillerie et de tirailleurs de s'écouler sur la route Marville-Longuyon. Nous repartons précédés du fidèle Hueber qui, avec son peloton motos, jalonnera impeccablement la route par Longuyon jusqu'à Longwy. Nous devons exprimer ici notre reconnaissance à Hueber et à son inséparable ami Thirion pour la façon magistrale dont ils ont su jalonner nos itinéraires de nuit, mène dans les conditions les plus défavorables, durant cette guerre.

A Longwy nous occupons, le 4, les positions d'Herserange et Saulnes ; le P.C. du Bataillon est à la Citadelle.

Nous sommes bientôt relevés par la Brigade de Spahis rattachée à notre Division.

Nous repartons par Mexy-Crusnes, Aumetz, Fontoy, Thionville, Metzervisse vers Monneren et Waldwisse.

Pour la première fois, nous franchissons la Ligne Maginot, ligne en avant de laquelle la 3e D.C. tiendra presque constamment des positions qu'elle devra organiser complètement.

Entre cette ligne et les positions allemandes, les populations civiles ont été évacuées. Tant que nous vivrons, nous nous souviendrons du spectacle de désolation que nous avons rencontré.

Le départ des habitants avait été si précipité que tout avait été abandonné comme si l'on devait rentrer quelques instants après.

Ne sachant pas cette évacuation et voulant avoir un renseignement sur la route à suivre, nous nous arrêtons en pleine nuit au premier village rencontré (Monneren) et frappons aux portes... aucune réponse. Nous apercevons à travers un volet, une table servie avec lumière allumée, nous frappons au carreau, pas un être humain n'apparaît.

Nous ouvrons une porte d'étable ; nous manquons d'être jetés à terre, par les bêtes qui se précipitent dehors, mourant de soif, grognant, meuglant. C'est une véritable vision dantesque que l'on a sous les yeux.

Le lendemain, au jour, le spectacle est encore peut-être plus poignant. Les géraniums en fleurs devant les fenêtres ouvertes vous incitent à entrer, on pense rencontrer un être vivant. Rien... Le tic-tac de la pendule qui marche encore continue à marquer les heures de ce cauchemar, les chats recherchent une caresse, les chiens se collent dans nos jambes. A travers champs, des chèvres et des vaches aux pis énormes prêts à éclater, errent sans but, les cochons labourent les champs de pommes de terre pour trouver de la nourriture.

Ce spectacle est, en quelque sorte, le prélude des colonnes de réfugiés que nous devions rencontrer quelques mois plus tard sur nos routes de France... Comme il serre le coeur !

L'Église elle-même a été abandonnée par son curé précipitamment. La Lampe du Saint-Sacrement brûle encore, des fauteuils dans le Choeur indiquent qu'un mariage venait d'être célébré. Le Tabernacle renferme encore le Saint Ciboire.

C'est en cette matinée que notre Division devait recevoir le baptême du feu à Biringen. Durant les dernières heures de la nuit, sur un front de plusieurs kilomètres, ce n'était qu'un bruit assourdissant de moteurs et de chenilles que devaient entendre à merveille les Allemands dont les premiers éléments n'étaient qu'à quelques milliers de mètres.

Mardi 5 Septembre. - A 10 heures, nous recevons un télégramme de la 3e D.C. prescrivant à notre Bataillon de se tenir prêt à faire mouvement demain 6 Septembre dans la soirée et éventuellement ce soir.

Peu après, nous recevons confirmation de partir ce soir.

Nous allons donc faire notre première étape de nuit, tous feux éteints. La marche doit se faire à la vitesse de 10 km/heure. C'est une des épreuves les plus dures que je connaisse pour le matériel et les hommes. Il faut une attention de tous les instants pour ne pas perdre sa route, pour ne pas entrer dans un fossé, pour ne pas défoncer la voiture qui est devant nous. De plus, c'est une lutte constante contre le sommeil envahissant, surtout quand l'aurore approche. Rien n'est plus éprouvant que ces longues routes de nuit.

Après avoir traversé Stenay-Chauvency-les-Châteaux, Pont-Faverger, Vouziers, Le Chêne, la Berlière, nous arrivons à Saint-Pierremont à 11h50.

C'est dans cette paisible bourgade où nous cantonnerons jusqu'à la déclaration de guerre, que nous sommes rejoints par l'échelon B le Jeudi 31 Août à 18 heures.

Nous recevons la visite de Mgr Audrain, Aumônier divisionnaire. C'est un charmant homme, décoré de la Légion d'Honneur et de la Croix de Guerre. Il venait organiser la Messe pour dimanche prochain à 9 heures (si nous sommes encore là !). C'est un jeune prêtre ayant un an de ministère, qui vient d'arriver au bataillon, qui la célèbrera.

Il fait une de ces belles soirées, avec une lumière remarquable, comme il y en a si peu dans une année. On ne peut croire, avec un temps semblable que nous côtoyons le drame sanglant le plus effroyable de tous les temps ! !

Pauvres humains, ils ont voulu supprimer Dieu, mais l'homme livré à lui-même devient pire que les bêtes sauvages. Suivant la forte expression de Louis Veuillot

" Quand l'insolence de l'homme a obstinément rejeté Dieu, Dieu lui dit enfin : " Que ta volonté soit faite ", et le dernier Fléau est lâché. Ce n'est pas la famine, ce n'est pas la mort, c'est l'Homme. Lorsque l'homme est livré à l'homme, alors on peut dire qu'on connaît la colère de Dieu ! "

Les camps de Ravensbrüsck, Büchenwald et autres n'ont que trop donné raison au grand écrivain catholique du siècle dernier.

Enfin, joie, bonheur ! le vaguemestre apporte le premier courrier. Il est d'autant plus le bienvenu que nous étions sans nouvelles depuis notre départ. Notre Commandant, sentant l'importance de ces lettres du Pays sur le moral de la troupe, avait adressé une réclamation au service postal ; sa réclamation avait été entendue et c'est aujourd'hui un parfum de notre cher chez-nous qui nous parvient et qui rend plus courageux et plus heureux ceux qui ont la joie de recevoir des nouvelles. On rencontre des figures épanouies, le moral est meilleur que jamais.

Toutes les dispositions de combat ont été prises. Le P.C. du Bataillon est installé près d'Halstroff dans une futaie aux arbres superbes, à droite et à gauche d'une grande route au bout de laquelle là-bas, l'ennemi est signalé. L'En­nemi - l'Allemand - est là ; dans quelques instants, nous allons le rencontrer. Pour tous ceux qui sont ici - à part quelques vétérans parmi les Officiers et Sous-Officiers ayant fait la guerre de 14 - c'est l'Inconnu. On sent que tous les nerfs sont tendus. Les conversations ont cessé. Un lourd silence d'attente règne dans le Bataillon qui contraste avec la joie rayonnante de la nature et le chant insouciant des oiseaux.

Soudain, vers 6 heures, la fusillade crépite, le tac-tac <les mitrailleuses déchire l'air, les coups plus sourds des canons de nos autos-mitrailleuses se font entendre, c'est l'escadron Weygand du 3e R.A.M. qui vient d'attaquer Biringen. Puis, plus rien ; pour des raisons qui nous échappent, le combat cesse, les Allemands évacuent Biringen et se retirent sur les collines et clans les boqueteaux en arrière de ce village.

C'est alors que commence la " Drôle de Guerre " !

A la binoculaire, nous voyons des travailleurs allemands creuser des tranchées ; eux-mêmes nous voient faire la même chose. Dans les rondes, des officiers allemands et français se voient à quelques dizaines de mètres et personne ne se dit rien. Parfois, une rafale dans la nuit, provoquée la plupart du temps par un des nombreux animaux errants qui se sont approchés d'un de nos postes et que nos guetteurs prennent pour l'ennemi.

Durant le jour, un avion allemand survole de temps en temps nos positions, mais sans jamais lancer de bombes, ni se servir de ses mitrailleuses.

Notre P.C. s'installe dans la maison forestière de Waldwisse. En y arrivant, spectacle lugubre, la maison a été complètement pillée - on ne saura jamais par qui -. Nous sommes les premières troupes régulières qui arrivent dans cette région. Les bouteilles de la cave sont vides, les armoires éventrées, les literies éparses au milieu des pièces ; cela fait vraiment pitié.

Notre bataillon en liaison à sa droite avec le 3e R.A.M., occupe le village de Waldwisse et les fermes et boqueteaux à droite et à gauche. Nous sommes relevés par le 4e Hussards. C'est le Capitaine de Chasseval, qui devait tomber glorieusement en protégeant son escadron quelques mois plus tard sur la Somme, qui vient prendre les consignes.

Notre bataillon s'installe en cantonnement d'alerte pour quelques jours à Redange, Hombourg, Aboncourt.

Le château de Hombourg fut occupé pendant la guerre 1914-1918 par le Kronprinz ; pendant cette guerre ce fut d'abord un Etat-Major français qui l'occupa, puis sans doute un E.M. allemand.

En se promenant sur les splendides terrasses remplies de fleurs aux chatoyantes couleurs (reines-marguerites mauves et roses qui faisaient une jolie note dans ce paysage mélancolique) on ne pouvait s'empêcher de songer à la curieuse destinée de ces propriétés de l'Est qui, au cours des siècles, furent tantôt françaises, tantôt allemandes.

Un jour, les dragons allemands l'occupent, aujourd'hui des dragons français, demain l'inconnu... Fragilité des biens de ce monde auxquels, malgré tout, nous nous attachons.

Pendant notre cantonnement de six jours à Aboncourt, nous voyons successivement passer le bataillon Baga du 14, Tirailleurs en garnison à Châteauroux en temps de paix ; le 306e d'Artillerie (75) ; le 11e Régiment d'Artillerie Coloniale (105-155) ; le 622e Pionniers.

Le 18 Septembre, nous faisons étape d'Hombourg-Aboncourt-Redange par Metzerwisse-Thionville, à Zoufftgen et Roussy-Village à la frontière luxembourgeoise, ou nous nous installons en cantonnement d'alerte.

Nous tenons une ligne à quelques centaines de mètres du Luxembourg dans un. joli pays, toujours en avant de la Ligne Maginot. Les gens sont très aimables, et nous font un charmant accueil ; depuis des années ils n'ont pas eu die troupes chez eux et ils ne savent que faire pour nous être agréables. Notre P.C. est installé dans la salle de l'école de Roussy-Village. Chaque matin, des rondes sont faites aux différents postes de douanes.

Des tranchées sont creusées et une vigilance de tous les instants exigée, l'éventualité de la violation du Luxembourg par les Allemands n'étant pas écartée.

Les nuits sont calmes, troublées parfois par des fusées qui brillent dans le ciel et auxquelles les imaginations de ceux qui les aperçoivent donnent toutes sortes de significations. Un soir, nous étions en train de dîner quand la porte s'ouvre et l'Adjudant du P.C. vient nous annoncer qu'une fusée blanche vient de monter dans le ciel. Fusée blanche ! Très grave ! Cela signifie l'entrée de l'ennemi dans un des ouvrages de la Ligne Maginot ! Vous jugez de notre stupeur... Avant d'alerter, nous faisons une rapide enquête... Il s'agissait simplement d'une lueur lancée par un des hauts fourneaux de la région ! !

Le Lundi 25 Septembre, départ du bataillon à 1h30 pour Villerupt situé à 2km500 au sud de la frontière luxembourgeoise au sud-ouest d'Esch-sur-Alzette.

C'est à Audun-le-Tiche et Villerupt que le bataillon cantonnera jusqu'au 1er Décembre.

Le 26 Septembre, le Général Huntziger, commandant la 2e Armée vient visiter nos cantonnements. Il a été horrifié de la quantité de chiens rencontrés. Nos Parisiens au coeur tendre avaient recueilli ces pauvres bêtes abandonnées par leurs propriétaires dans les régions évacuées. Seuls les chiens-loups ou de garde pouvant rendre service furent autorisés à rester au bataillon. Nous en avions de superbes, soignés avec amour par nos hommes.

Dans les jours qui vont suivre, le bataillon va creuser des tranchées et organiser des positions le long de la frontière luxembourgeoise. On ne dira jamais assez le travail acharné accompli par nos hommes alors que pour d'autres c'était uniquement la " drôle de guerre " avec Théâtre aux Armées, vin chaud, etc. !...

Le Lundi 16 Octobre, à minuit 15, le Général Maillard, commandant le sous-secteur donne l'ordre de renforcer les barricades et la Cote 380. A 2h25, l'ordre d'alerte est donné. Le Bataillon doit occuper avant le jour ses positions de combat dans les Bois de Butte et au nord de Wesbuch.

Plusieurs alertes comme celle-ci devaient précéder la véritable… Dès le lendemain, 50 % des effectifs rentrent à Audun-le-Tiche à partir de 17h30. celle du 10 Mai ! Ce qui expliquera l'incrédulité de beaucoup quand, près de sept mois plus tard, l'ordre d'alerte, le vrai cette fois, surprit nos hommes en plein sommeil en cette nuit du 9 au 10 Mai.

Nous admirons, durant cette alerte l'ingéniosité de nos hommes qui s'installent très confortablement dans la nature et tirent parti de tout ; moral excellent.

Nous inaugurons notre voiture de commandement très pratique avec son poste de T.S.F., sa table permettant d'écrire les ordres et de prendre les repas.

Journée idéale, séjour en plein bois, spectacle merveilleux des feuilles aux coloris allant de l'or brillant au rouge foncé. Il y a surtout des hêtres aux teintes admirables.

Après des pluies torrentielles pendant plusieurs jours qui rendent pénible le service de garde à la frontière, le 26 Octobre apparaît la première gelée ; une légère pellicule de glace sur les flaques d'eau. Les habitants nous déclarent que -15° dans la région est chose courante ; cela nous promet des jours charmants !

Le 27, la neige fait son apparition. En allant faire un tour à l'observatoire du Régiment qui domine toute la ville d'Esch et la région des hauts fourneaux, nous sommes pris dans une véritable tourmente de neige. Avec le fond des forêts de hêtres et sapins, c'était ravissant. A nos pieds, la ville avec ses clochers et la campagne ondulée s'étendant au loin formaient vraiment un beau spectacle.

En rentrant de ces tournées dans la neige, il fait bon de se reposer au coin de ces grands poêles lorrains en lisant livres ou revues envoyés de France. Le hasard nous fit tomber un jour sur une Conférence d'André Maurois sur le caractère anglais d'aujourd'hui. Il dit que " les Anglais ont été tout au long de leur histoire, un peuple heureux ". Des soldats anglais après le craquement du front anglais en mars 1918 disaient : " La situation est terrible, mais nous serons nécessairement vainqueurs parce que nous avons toujours été vainqueurs et qu'il n'y a pas de raison pour que cela change. " C'est bien anglais... et consolant pour notre guerre actuelle. Et c'est bien cela qui enrage les Allemands qui voudraient créer une fêlure dans l'alliance franco-anglaise. Pour tâcher d'atteindre leur but, tout leur est bon : mensonge, calomnie, tel ce tract lancé d'avions et ramassé dans nos lignes le 31 Octobre : nous en respectons le style et l'orthographe.

Nos dragons ne se laissent pas prendre à cette propagande grossière. La petite fleur bleue les passionne beaucoup plus et il est amusant de rencontrer dans la rue beaucoup de jeunes filles parmi celles qui n'ont pas encore été évacuées, portant à leur corsage, en guise de broche, l'insigne de notre régiment. Nous sommes adoptés par une partie de la population et beaucoup de beaux yeux se rempliront de larmes quand nous partirons ! !

La Toussaint 1939. - Longue visite du Général Langlois, Chef d'E.M. de notre armée, qui venait inspecter nos positions. Durant sa visite à un de nos observatoires, temps merveilleux qui s'est glissé on ne sait comment entre une matinée maussade et une soirée froide et pluvieuse.

8 Novembre. - Dans la matinée, pendant l'enterrement d'un Conseiller municipal, alerte d'avions. Le bruit des pièces de D.C.A. mêlé aux chants liturgiques , et aux grandes orgues produit une sensation bizarre. A la sortie de l'Église, deux avions allemands nous survolent à une grande altitude et laissent derrière eux dans le ciel de grandes traînées blanches. Pendant que nous sommes au cimetière, un avion anglais qui venait d'abattre un avion allemand passe en rase-motte à toute vitesse et va atterrir sur le terrain d'aviation d'Esch.

9 Novembre. - En exécution de l'ordre n° 48 du 21e C.A., le 2e B.D.P. relève le Bataillon Pouvreau du 5e Régiment d'Infanterie dans le quartier de Thil. C'est ce Bataillon qui nous remplace dans le quartier d'Audun-le-Tiche.

10 Novembre. - Nos unités occupent le crassier sud de Redange, le cimetière, la tête du ravin sud de Redange, Thil et Redange.

11 Novembre. - Le P.C. du Bataillon s'installe à Thil. Cérémonie commémorative de l'Armistice de 1918 à Thil. A 10 heures, messe pour les morts des deux guerres dans la charmante petite église avec son retable en bois assez espagnol. Très belle cérémonie ; plus simple que celles que nous avions dans notre ancien cantonnement, mais combien émouvante. Les chants très beaux, un splendide De Profundis qui vous arrachait des larmes. Gerbe de fleurs au monument des morts. Un peloton du 4e Hussards rendait les honneurs, le trompette sonnant " Aux Morts " . C'était simple et très impressionnant. Nous-mêmes n'avions pu envoyer nos hommes rendre les honneurs, car nous arrivions et devions reconnaître nos emplacements.

Après un déjeuner avec notre Général, charmant " gentleman ", nous allions voir nos positions. Quel beau pays, avec ses collines et ses vallées. L'air est merveilleux sur ces prairies du haut plateau.

Mardi 21 Novembre. - Visite du Général d'Armée Georges au Sous-Secteur à 8 heures. C'est lui qui avait envoyé de son G.Q.G. le 15 Octobre, la note suivante pour ses Armées

" La bataille peut s'engager demain. Le Pays a confiance dans la solidité de son Armée. Il sait que chacun à son rang fera tout son devoir. Pour mieux le remplir, cadres et troupes doivent avoir présentes à l'esprit, quelques règles simples

" - Ne jamais se replier sans en avoir reçu l'ordre formel ;

" - Même dépassés, agir par son feu sur les vagues successives de l'ennemi ;

" - C'est en fixant l'adversaire devant soi que l'on favorise la contre-attaque des réserves et des chars amis ;

" - S'enterrer "le plus profondément" possible ; se camoufler tout en demeurant toujours en état observer et de se servir de ses armes ;

" - Devant le char adverse ou sous les bombes d'avion, rester en place, éviter de tournoyer, encore plus, de refluer ;

" - Ne jamais rester inactif ; tirer de ses armes le maximum de rendement. "

Si tous, six mois après, avaient suivi les conseils du Général Georges à la lettre, peut-être n'aurions-nous pas connu la terrible défaite qui devait endeuiller notre pauvre Pays.

Lundi 27 Novembre. - A 8 heures, la sirène de Villerupt retentit pendant près d'un quart d'heure malgré un ciel complètement bouché. On apprend peu après par la gendarmerie de Thil que cette alerte n'était motivée que par le coinçage du mécanisme de la sirène. A 10h30, visite du Général Petiet, commandant la 3e D.C. accompagné par le Général Maillard, commandant la 5e Brigade de Cavalerie.

Jeudi 30 Novembre. - Sont arrivés dans le quartier de Thil vers 16 heures

1° Un Etat-Major de Brigade ;

2° Deux E.M. de Bataillon ;

3° Un Escadron de Mitrailleuses et d'Engins.

Ces différentes formations ont été cantonnées à Villerupt.

Vendredi 1er Décembre. - Le 2e Bataillon de Dragons Portés est dissous.

Le 2e Régiment de Dragons Portés est formé (en exécution des prescriptions de la note du G.Q.G. N° 3396 du 1er Novembre 1939).

Le Régiment comprendra : 2 bataillons à 3 escadrons chacun ; 4 provenant du 2e B.D.P., 1 du 3e Régiment d'Autos-Mitrailleuses et 1 de la 1ère Brigade de Dragons Portés.

L'effectif du Régiment est de 1.475 hommes dont 42 Officiers, 155 Sous-Officiers, 1.278 Brigadiers et hommes de troupe.

L'effectif des véhicules est de 442 dont 20 A.M.R., 114 sidecars, 50 motos solos et 126 " tout-terrain ".

3 Décembre. - Vers 20h30 la Brigade téléphone " Les éléments sur les positions devront assurer cette nuit une garde particulièrement vigilante. " Le lendemain, vigilance accrue.

Puis, de nouveau, calme plat.

On continue de creuser des tranchées, de dérouler du fil de fer barbelé le long de la frontière du Luxembourg. Quelques combats d'avions anglais et allemands de temps en temps rompent la monotonie.

La vie dans les mines de fer et dans les hauts fourneaux de Terre-Rouge et de l'Arbed continue.

Nos hommes sont déroutés par cette étrange situation dont l'ennemi se servira d'ailleurs pour affaiblir le moral. Il comptait sur cette guerre des nerfs et en faisant allusion à cette immobilité forcée, Hitler disait : " Nous pourrirons l'Armée française par les pieds. "

Quelques lignes extraites du rapport sur le moral du 2e Dragons fait par notre Commandant en date du 2 Janvier 1940, montrera bien au lecteur l'état d'esprit de la troupe

" Dès notification de l' "état de guerre" les cadres et la troupe - en particulier ceux qui possédaient l'expérience de 1914-1918 - s'attendaient à un déroulement tout autre des événements.

Ils s'apprêtaient à recevoir le choc ou à le donner avec courage et la volonté d'en finir.

" Rien de semblable ne s'est produit.

" D'où surprise et incompréhension, mais aucune inquiétude et, en définitive, acceptation patiente, dans le sentiment confus qu'il s'agit d'une forme de guerre très spéciale, devant permettre d'atteindre par des voies nouvelles et moins meurtrières les buts escomptés.

L'Etat d'esprit bon, mais incontestablement travaillé et amolli au contact de l'arrière par l'exploitation ennemie ou interne du déséquilibre fatal résultant de la guerre (évacuations, hausses des prix, raréfaction des produits, amputation des salaires, lenteurs administratives aussi bien civiles que militaires, etc ...).

" La propagande allemande trouble par radio l'opinion et tend à apaiser la haine comme la volonté d'agir. On s'endort ; le réveil peut être brutal... "

Malgré tout, moral bon à l'avant, mais qui aurait tendance à se laisser influencer par l'arrière.

20 Décembre. - Pour aider à maintenir ce moral notre Commandant a tenu à installer dans nos unités des Foyers du Soldat confortables. Ainsi, au lieu de traîner dans les rues glacées de leur cantonnement, nos hommes, en descendant des gardes montées jour et nuit dans les tranchées peuvent aller se reposer dans des salles chauffées, où ils retrouvent un peu de l'air du pays.

Il fait bon en revenant des petits postes avancés où une partie variable de nos effectifs se relaient sans cesse pendant cet hiver rigoureux, de prendre en arrivant au Foyer, un bon grog chaud qui réchauffe le coeur et le corps.

Noël 1939. - Premier Noël de guerre. Un de nos aumôniers divisionnaires, Mgr Audrain, vient de nous quitter pour prendre un poste plus élevé à Verdun. Il est remplacé par le Rd Père Forestier, dominicain, Aumônier Général des Scouts de France. Personne d'entre nous ne pouvait supposer que ce Noël serait suivi de tant d'autres Noëls de guerre et qu'il faudrait attendre six ans pour certains avant de le célébrer à nouveau en famille !

En ce moment, dans bien des coins de nos belles provinces françaises et dans bien des appartements de notre vieux Paris, des êtres chers pensent à nous : parents, femmes, enfants, amis. Pour la première fois, cet être cher resté là-bas à notre foyer passera son Noël sans nous. Nos pensées vont vers eux tous en cette belle nuit de Noël qui fut dignement célébrée par tous ceux du 2e Dragons.

Soirée délicieuse organisée par notre Abbé brancardier devant une salle comble : Pastorale émouvante qui a remué l'auditoire, elle était digne des Mystères d'autrefois qui se jouaient sur les parvis des cathédrales.

Puis, superbe messe de minuit. Des centaines de lumières de bougies, de cierges et de petites ampoules électriques dessinant les pourtours des boiseries - ornements blancs avec de merveilleuses broderies d'or et de couleurs ; beaux chants ; église pleine à craquer.

Après, pour célébrer Noël, la grande fête de la " joie ", réveillon. C'est dans ces heures-là que l'on peut dire que le Régiment est vraiment notre seconde famille.

1er Janvier 1940. - Le terrible hiver se fait sentir de plus en plus ; on allume des braseros à côté des sentinelles pour les protéger du froid qui oscille entre -5° et -18° ; terrible verglas.

A l'occasion du Nouvel An, notre Général de Division nous transmet l'Ordre du Jour suivant

" Au premier jour de l'année 1940, le Général commandant la Division tient à adresser à tous : Officiers, Sous-Officiers, gradés et hommes de troupe, ses voeux les plus sincères et les plus affectueux.

" Il leur adresse ses voeux pour eux-mêmes, pour leurs familles et tous ceux qui leur sont chers, ainsi que pour les belles unités qu'ils commandent ou dans lesquelles ils servent.

 " Depuis plus de quatre mois qu'elle est entrée en campagne, la Division n'a donné à son Chef que des satisfactions et cela dans tous les domaines.

" Au contact de l'ennemi, à l'Est de la Moselle, comme au cours de marches souvent pénibles sous les intempéries, comme sur la position actuelle ; tous ont fait preuve des plus belles qualités de courage, d'endurance, d entrain et de bonne humeur.

" Le Général tient à leur en adresser ses vifs remerciements. "

" Signé : PETIET. "

Le Général commandant la IIIe Armée s'exprime ainsi (par ordre particulier à la 3e D.C. en date du 26-1-1940)

" Après avoir pris une part active aux opérations de Septembre 1939 à l'Est de la Moselle, la 3e D.C. a pendant plus de trois mois, occupé et organisé la position de Longwy.

" Les excellents résultats obtenus font honneur aux connaissances des cadres, au rendement de la troupe, à l'activité intelligente de tous.

" Ils prouvent que, comme dans le passé, les Cavaliers savent s'adapter rapidement à toute mission nouvelle qui leur est confiée.

14 Janvier. - Alerte à 19 heures ; le Régiment occupe les positions de combat. Le 16, à 12h30, fin d'alerte, retour aux cantonnements. Du 18 au 22 Janvier, le Régiment continue d'organiser le terrain qui lui est confié.

Le 2e Dragons est relevé par le 334e Régiment d'Infanterie.

21 Janvier. - Le Régiment devant faire mouvement le 22, les escadrons dirigent sur la gare de Tiercelet le matériel qu'ils ne pourront emporter par suite de leur déficit en véhicule et en tonnage.

22 Janvier. - Le Régiment fait mouvement pour la région de Ville-en-Woëvre et d'Étain par voie de terre, sauf les A.M.R. qui sont embarquées pour être transportées par voie de fer.

L'Etat-Major du Régiment avec le 2e Bataillon, moins le 4e Escadron, cantonnent à Ville-en-Woëvre - le 1er Bataillon à Etain - le 4e Escadron à Manheuilles où se trouve également le P.C. de la 13e B.L.M. ; le P.C. de notre division est à Etain.

La route a lieu sans incidents, mais par un froid extrêmement rigoureux (-25°). Les cantonnements sont, dans l'ensemble, médiocres parce qu'assez resserrés et manquant de moyens de chauffage.

Notre charmante hôtesse nous dit : " Vous n'aurez pas d'eau au lavabo, car à cause de la gelée nous avons dû couper l'eau, mais vous pourrez prendre le matin, pour vous raser, l'eau de la bouillotte de votre lit qui sera encore chaude. " Excellente idée ; fallait-il encore y penser !

Pour la première fois depuis cinq mois, le Régiment va enfin pouvoir remettre son matériel en état ; malheureusement, un froid terrible ne permettra pas d'avoir la détente espérée. Le 1er Bataillon installé à la caserne Sidi-Brahim à Etain aura moins à souffrir que ses camarades du 2e Bataillon.

Grâce aux dons de Mmes Marthelot et Goyet, un Foyer " Capitaine Marthelot " (ancien Officier du 2e R.D.P., tué au Maroc) est organisé. Les hommes du bataillon y trouveront des boissons chaudes, des jeux, de la musique, de la lecture et les mille petites choses dont peut avoir besoin un militaire en campagne.

Un autre Foyer pour l'ensemble des hommes de la garnison est tenu par une Américaine pleine de dévouement et d'entrain, Mrs Conrad. Des femmes d'Officiers l'aident à mener à bien cette tâche fatigante et absorbante.

Ce fut pendant cette période de repos que la rosette d'Officier de la Légion d'Honneur est remise à notre Colonel, le Lt-Colonel Perraud.

Belle prise d'armes, par un froid terrible avec verglas.

Ce fut également pendant cette période de repos que la 3e Division de Cavalerie fut transformée. Elle perdait une partie de ses effectifs qui formèrent la 5e Division Légère de Cavalerie. Elle-même, à partir de ce moment, devient la 3e Division Légère de Cavalerie. A cette occasion, le Général Petiet rédigeait l'Ordre suivant :

" La dislocation de la 3e Division de Cavalerie sera effectivement réalisée sous deux jours.

" Le Général ne veut pas qu'elle devienne un fait accompli sans adresser à nouveau à tous ceux qui ont appartenu à cette magnifique Division, un affectueux et reconnaissant souvenir.

" Par la haute qualité et la haute instruction de ses cadres, par la conscience, le dévouement et l'ardeur de tous, par la confiance réciproque qui unissait entre eux les Etats-Majors, les Régiments, les Services, la 3e Division de Cavalerie n'était, dans l'Armée française, dépassée par aucune grande unité.

" Soudée, dès le début de Septembre, par son premier contact avec l'ennemi, instruite et aguerrie par les travaux d'organisation de la position de Longwy, elle eut été, en toutes circonstances, égale à sa tâche.

" Elle inspirait à son Chef une confiance absolue.

" Avoir commandé à de pareilles troupes, restera pour lui un honneur dont le souvenir ne s'effacera jamais. »

Le 2 Mars, départ d'Étain et de Ville-en-Woëvre pour se rendre à Redange, Villerupt, Russange, Ottange (étape de nuit).

Du 2 au 11 Mars, exercices de cadres avec troupes dans la région de Landres pour la préparation d'une mission en Luxembourg, en cas d'invasion de ce pays par les Allemands.

La 13e B.L.M. appuyée à sa droite par la 5e B.C. ; à sa gauche par les 4e et 6e Spahis, doit, dès l'entrée des troupes allemandes en Luxembourg, se porter jusqu'à la ville de Luxembourg et opérer des destructions de centrales électriques, viaducs, voies ferrées, dépôts d'essence, ponts et routes.

Pendant la dernière quinzaine de Mars, des indices relevés par notre Service de Renseignements nous incitent à pousser le plus activement possible nos travaux de défense.

Dans la région de Grévennacher manoeuvrent des troupes allemandes plus nombreuses que dans les semaines précédentes.

Une artillerie également plus nombreuse participe à ces manoeuvres.

Les Italiens quittent en grand nombre la région d'Esch pour l'Allemagne ou l'Italie.

On signale le passage de deux ou trois trains de minerais de fer pour la quinzaine : alors que dans la précédente quinzaine c'était six trains par jour qui allaient de France en Luxembourg.

Des avions allemands survolent à très faible altitude les localités frontières luxembourgeoises où des blocs de béton et des portes blindées ont été dressés et en prennent des photographies.

La propagande allemande, pour tâcher d'abattre le moral de l'intérieur, redouble d'intensité.

Nous venons de prendre le traître de Stuttgart en flagrant délit de mensonge. C'est une lettre reçue par l'un de nos dragons qui nous en donne la preuve. C'est sa femme qui lui écrit ; voilà le texte de sa lettre dont nous respectons la teneur :

" Hier soir nous avons été bouleversés ; mon beau-père a entendu à la radio de ce traître, de cette saloperie (sic) de Stuttgart, ton nom et prénom et département des Deux-Sèvres que cela m'a rendue folle et je n'ai pas dormi de la nuit ; que ce matin je suis venue voir chez mes parents s'ils avaient eu de tes nouvelles et par bonheur en passant à Sauzé, j'ai vu le facteur qui m'a dit qu'hier il avait apporté une lettre chez nous et qu'il en avait une autre aujourd'hui. Cela m'a mis un peu le coeur à l'aise... Que Dieu veuille que ma lettre te trouve où je te l'expédie. Ta femme... "

Quel misérable que ce Ferdonnet qui bouleverse ainsi de pauvres épouses qui sont déjà assez à plaindre par la séparation de ce qu'elles ont de plus cher au monde.

Ce qui nous accable parfois, c'est quand on pense à la somme de douleurs amassées sur l'humanité par ce monstre de Hitler, en dehors même de la mort. Et aucun être humain à cette époque ne pouvait se douter de ce qu'allaient être les horreurs des camps de concentration et de représailles.

En France aussi, tout ne marche pas tout seul : tous nos camarades rentrant de permission sont découragés par le mauvais esprit qui règne à l'arrière. L'un d'eux exprimait sa joie de se retrouver au front pour pouvoir respirer de nouveau ici de " l'air pur ".

Pâques 1940. - A l'approche des fêtes de Pâques, du Jeudi Saint au Samedi Saint, il y a dans ce pays une coutume curieuse : les enfants de choeur se promènent dans les rues le matin pour annoncer les offices en faisant tourner une crécelle en chantant une demi-heure avant : " Préparez-vous " ; un quart d'heure avant : " Dépêchez-vous ". Dès 5h30, nous les entendons passer devant nos fenêtres.

La neige qui avait fait une violente offensive ces jours-ci s'est mise à fondre et nous avons, pour célébrer Pâques, un soleil merveilleux et une vraie journée de printemps.

1er Avril. - Activité aérienne intense. Plusieurs groupes de six à sept appareils ennemis survolent de jour et de nuit la région de Mange.

9 Avril. - Les permissions sont suspendues à partir de 21 heures jusqu'à nouvel ordre. État alerte.

12 Avril. - L'ordre arrive à la tombée de la nuit de former les colonnes de véhicules en vue de l'opération prévue en Luxembourg.

Allons-nous entendre le fameux appel téléphonique " Képi Luxembourg " qui signifie " Ordre d'exécution " pour les opérations que nous devons mener en Luxembourg, suivre dans quelques heures l'ordre " Képi Capote " que nous exécutons en ce moment et qui, dans le code sybillin des messages chiffrés signifie " Ordre préparatoire ".

13 Avril. - A 2h30, alerte ; les hommes sont rassemblés aux voitures. A 9 heures, ordre de laisser tous les chargements et voitures en place. Mettre les hommes au repos dans les granges à proximité des véhicules.

14 Avril. - A 2h30, nouvelle alerte ; reprendre le dispositif en colonnes, puis, même ordre que la veille.

15 Avril. - Un peu avant zéro heure arrive l'ordre de former la colonne prête à partir pour 4h45 ; toutes dispositions étant prises pour pouvoir effectuer un départ plus matinal s'il y a lieu : A 8 heures, camouflage des véhicules.

16 Avril. - Même ordre ; mais colonne formée à 4h30.

17 Avril. - Ordre de tenir les hommes équipés dans les cantonnements pour 4h30. Ne plus faire tourner les moteurs. A 7h30, les hommes peuvent se déséquiper.

Les 18 et 19 Avril. - Mêmes ordres.

21 Avril. - A 17 heures, arrive l'ordre de fin d'alerte.

Les groupements tactiques sont dissous.

Du 23 Avril au 10 Mai. - Les fortifications de la ligne de défense sont poussées activement. Des blockhaus en ciment sont enfin commencés qui, hélas, n'étant pas achevés, ne pourront être utilisés au moment de l'avance allemande.

Il fait un temps merveilleux et c'est un plaisir quand on a un instant, de se promener dans cette ravissante campagne printanière ; tout à côté du P.C. se trouve un très joli étang dont une partie est aménagée en piscine. Tout respire la joie de vivre ; à l'instant, un groupe de jeunes filles et d'enfants vient de passer devant la fenêtre du bureau avec de beaux bouquets d'aubépines et de fleurs roses. C'est le vrai printemps qui commence à nous sourire ; c'est le beau moment de la campagne. On oublie que nous sommes en guerre...

1er Mai. - Au courrier, l'un de nous reçoit un merveilleux bouquet de superbes muguets de chez nous ; on dirait qu'on vient de le cueillir, le bureau en est embaumé. La tradition du muguet porte-bonheur du 1er Mai se conserve même en pleine guerre... Le moral est bon...

Le 2 Mai. - Le Lt-Colonel Perraud est évacué à la suite d'un accident. Le Chef d'Escadrons Henriet prend le commandement du Régiment. Le Capitaine de Beaumont remplace ce dernier au Bataillon. La vie est redevenue calme, rien ne laisse prévoir l'orage épouvantable qui va s'abattre sur nous dans quelques heures. La soirée du 9 Mai est très gaie au P.C. où nous jouons tard au bridge dans la nuit. Nous ne craignons rien, on nous a tellement dit que nous serions prévenus au moins 24 heures à l'avance par notre service de renseignements. Vers 23 heures, nous nous séparons et regagnons nos cantonnements respectifs. Peu d'instants après, nous nous endormons du sommeil du Juste ! !

 

II LUXEMBOURG (10 au 11 Mai 1940)

10 Mai 1940.- Matinée radieuse, de ces belles matinées où il fait si bon vivre et dont le silence d'ordinaire n'est troublé que par le chant des oiseaux qui semblent chanter un hymne d'action de grâces au Créateur.

Depuis l'aube, c'est un tout autre chant qui se fait entendre. Le bruit de nombreux moteurs d'avions ronronnant dans le ciel et les coups de canons de la D.C.A. ont déjà réveillé la plupart des hommes de notre régiment.

Quelle vie insolite dans le ciel de Luxembourg, des centaines d'avions évoluent dans l'azur. Que se passe-t-il ?

Le 2e R.D.P. est alerté vers cinq heures par l'Ordre suivant : " Képi Capote ", qui signifiait : " Préparez-vous à exécuter mission prévue ".

Nous avons eu déjà plusieurs alertes ces temps derniers et il est difficile de faire comprendre aux hommes que celle-ci est la bonne.

Les bruits les plus divers circulent : le Luxembourg, la Hollande, la Belgique sont envahis par les Allemands depuis cette nuit, des parachutistes sont signalés à 4 km d'ici vers Soloeuvres - des avions débarquent des troupes en assez fortes quantités vers Leudelange - d'autres colonnes allemandes se dirigent vers Esch-sur-Alzette !

Le doute n'est plus possible. Vers 7 heures, l'Ordre arrive de franchir la frontière et d'exécuter la mission prévue : " Couvrir l'exécution des destructions ; l'échelon Beaumont (autos-mitrailleuses et motos) doit se porter aux lisières nord de Belvaux. L'échelon Royère doit traverser Esch-sur-Alzette. Exécution immédiate. "

Vers 8 heures, notre nouveau chef de corps, le Chef d'Escadrons L'Hotte du 3e R.A.M. vient prendre le commandement du régiment en remplacement du Lt-Colonel Perraud évacué quelques jours plus tôt.

Voici l'Ordre du Régiment qu'il dicte en arrivant au P.C. de Redange.

"Appelé à prendre le commandement du 2e R.D.P., au moment de l'engagement contre les forces ennemies, je salue l'étendard du 2e R.D.P., certain que chacun agira avec calme et confiance dans le sens des missions qui lui seront prescrites, sachant en toutes circonstances et se garder et conserver les liaisons."

P. C., le 10 mai 1940, 8 heures 30.

Le Chef d'Escadrons L'HOTTE, du 3e R.A.M. ; Cdt pvt le 2e R.D.P.

Nous entrons en Luxembourg. Tous les coeurs sont pleins d'enthousiasme, certains de la victoire finale. La marche en avant commence et ne s'achèvera, pensons-nous. qu'avec l'anéantissement de celui qui veut dominer le monde et réduire tous les peuples en esclavage.

Pour beaucoup, c'est une véritable croisade : la lutte de l'Esprit du bien contre l'Esprit du mal.

Les 10 et 11 Mai seront deux jours de rudes combats où notre Division recevra le choc de trois à quatre divisions allemandes. Le 10 Mai, notre régiment forme deux colonnes.

Celle de l'Ouest, partant de Redange, comprend le 1er Bataillon, Commandant Henriet, avec le 1er Escadron mixte A.M.R. Motos (Esc Beaumont, le 2e Escadron de Fusiliers (Esc Farnier), le 3e Escadron de Mitrailleuses (Esc Van Aertselaer).

Cette colonne est sous les ordres du Commandant L'Hotte.

Celle de l'Est, partant d'Audun-le-Tiche, comprend le 2e Bataillon du 2e R.D.P. (Bataillon Larger commandé en l'absence du titulaire par le Capitaine Thoreau) avec le 4e Escadron mixte A.M.R. Motos (Esc Royère), le 5e Escadron de Fusiliers (Esc Montille), le 3e Escadron de Mitrailleuses (Esc Clavel). De cette colonne font également partie le 3e R.A.M. et le groupe franc du 2e R.I. sous les ordres du Lt-Colonel Le Couteulx de Caumont.

Suivons, si vous le voulez bien, d'abord les opérations de cette colonne. Laissons la parole au Capitaine de Royère, ce charmant camarade que nous devions perdre si tragiquement quelques mois plus tard dans l'accident d'aviation qui coûta la vie au Général Huntziger et à tous ceux qui l'accompagnaient.

Colonne Est. - Ambiance. 10 Mai, 5h10 dans Audun-le-Tiche, c'est le réveil brutal après les mois de stagnation. Rien encore d'officiel, mais la D.C.A. et les bombardements d'avions nous mettent en bas de nos lits. Est-ce la grande aventure ? Nous devions le savoir peu après par les premiers réfugiés luxembourgeois qui arrivaient avec leur cortège d'hallucinantes nouvelles. Bientôt la famille Grand-Ducale passait la frontière et nous donnait les premiers détails. Les Allemands franchissant la Moselle à 2 heures du matin avaient dépassé Luxembourg à 6 heures. Il est à ce moment 6h19 et de Luxembourg à la barrière d'Audun, il y a 27 km.

Dès 6h30, l'avant-garde est prête - chacun est à sa place interrogeant le ciel, écoutant les bruits de feu de la frontière et aussi un peu ceux de son coeur.

Les hommes réagissent splendidement, ils sont calmes, groupés autour des Officiers et Sous-Officiers qui répètent encore une fois les ordres généraux reçus en prévision de notre mission.

Le Capitaine de Royère, prévoyant que son A.G. se heurterait à l'ennemi dès le poste-frontière d'Esch, recommande de la prudence dans la progression. Les blindées coifferont le poste de douane et les premières maisons : les motocyclistes les rejoindront à pied et progresseront alors à pied jusqu'à la gare d'Esch.

A 7 heures, le Capitaine de Royère est appelé à la mairie par le Lt-Colonel Le Couteulx qui commande la colonne de l'axe Audun-Luxembourg. A peine entré dans la pièce, le téléphone retentit : c'est le Chef d'Etat-Major de la Brigade qui donne ordre au Colonel Le Couteulx d'exécuter sur-le-champ la mission prévue par le mot : " Képi-Luxembourg ".

Immédiatement, le Capitaine de Royère se dirige vers son A.G. ; les hommes en le voyant ont compris. Ils rejoignent leurs véhicules et approvisionnent leurs armes comme à la parade ; le spectacle est bien réconfortant pour un Chef.

Les Opérations : 7h10. - La première patrouille mixte décolle, les autres s'ébranlent à leur tour. Tout va bien, les dés sont jetés. Chacun a présenté son sacrifice à Dieu pour le Pays.

7h15. - Le détachement de découverte aux ordres du Lt de Mandat-Grancey vient de se heurter à la barrière de douane luxembourgeoise fermée, et est accueilli par des feux de mitraillettes partant des usines qui dominent la douane. Les patrouilles d'avant-garde recollent sur le détachement de découverte, les motocyclistes se jettent à terre. La position est délicate, la colonne est dans un défilé, coincée, entre les crassiers et des murs et, sur cette route, pas un abri, sauf les fossés, heureusement profonds.

Déjà les premiers blessés refluent vers la douane française. Si on ne sort pas de là dans les minutes suivantes, c'est l'échec avant la bataille.

Quelques ordres rapides ; un groupe de motocyclistes sort des fossés et escalade les murs des usines. La 5e colonne, peu nombreuse ne tient pas et l'on aperçoit quelques hommes, en civil, refluer par les fenêtres, vers l'in­térieur de la ville.

Les motocyclistes se précipitent vers la barrière de la Douane et réussissent à l'ouvrir. Les blindées poussent alors hardiment vers la gare. Des Dragons progressent à pied, l'oeil sur les fenêtres d'où partent des coups de feu et des rafales de mitraillettes.

Les motocyclistes se ruent vers les " maisons fortes ", les visitent et redescendent sans rien trouver. Cette lutte de rue où l'on est fusillé par derrière est exaspérante. Les hommes s'énervent et tirent maintenant dans toutes les fenêtres douteuses. Les Luxembourgeois sont la plupart dans la rue ou sur le bord des portes et regardent sans ré­flexion ou réaction. Ces braves gens gênent considérable­ment les troupes. Comment distinguer au milieu d'eux les nazis déguisés qui tirent, disparaissent et réapparaissent un peu plus loin.

Hélas, beaucoup de coups ont malencontreusement porté.

8h30. - La place de la gare est atteinte, on respire et l'on reprend son calme. Les rues sont larges et les blin­dées vont pouvoir enfin agir. Le détachement de décou­verte est poussé sur les routes du Luxembourg par la rue principale et l'avant-garde est établie en boule autour de la gare. II faut songer à tenir la partie de la ville prise, à regrouper les éléments épars et surtout à nettoyer les rues en obligeant les habitants à rentrer dans les maisons et à fermer leurs volets.

Jusqu'ici les Dragons n'ont pas vu un uniforme alle­mand.

Le combat de rues, de maison en maison, s'est déroulé contre des gens en civil dont très peu ont été surpris une arme à la main et cela au milieu d'une population hébétée de 28.000 habitants, qui s'affole et tourne en rond. On se sent donc un peu isolé à 180 hommes au milieu de tout cela.

Bientôt les patrouilles blindées parcourent les rues, essuient toujours le feu des fenêtres et soupiraux, mais les gens rentrent et les fenêtres se ferment. Il est à peu près 9 heures.

La découverte se heurte dans les faubourgs à l'ennemi.

Cette fois-ci, c'est l'armée régulière déjà solidement installée. Une A.M. et un de nos chars sautent sur une mine et les motocyclistes à pied ne peuvent tourner ce barrage pris sous le feu d'armes antichars et de mitrailleuses. Malgré diverses tentatives, étant donné la faiblesse de nos moyens, la découverte et les éléments de renforcement prélevés sur l'avant-garde ne pourront jamais déboucher les faubourgs nord d'Esch-sur-Alzette, tenus sous le feu des éléments ennemis solidement établis dans les crassiers à 500 mètres au nord de la ville sur la route de Luxembourg.

Vers la même heure, il faut faire face à une menace ennemie venant de l'est en direction de Schifflange et presque en même temps, on apprend que l'ennemi pousse à l'ouest venant de Mondercange sur les lisières ouest d'Esch. Minute angoissante : on étouffe dans cette ville d'usines dont chaque bâtisse est une souricière ; le Chef de l'A.G.. sent maintenant que les troupes allemandes arrivent à pied-d'oeuvre, il faut choisir.

Deux solutions se présentent à son cerveau :

Une solution sage. - Se mettre en boule autour de la gare et au centre de la ville avec les troupes dont il dispose et attendre le gros de la colonne qui tarde (beaucoup de pelotons étaient ce matin-là au champ de tir et ne peuvent être récupérés que vers 8 heures).

Une solution hardie... et qui risque de ne pas réussir

Dissocier l'avant-garde en trois éléments qu'il jettera sur les trois sorties N.O. et E. d'Esch en donnant l'ordre à ces trois éléments d'atteindre coûte que coûte les sorties, de s'y établir en bouchon et d'attendre les ordres. Si les détachements réussissent leurs missions, la ville entière est à nous et pourra surtout servir de base de départ à une action de plus grande envergure de la Division en direction de Luxembourg. Cette idée dicte la décision du Chef ;

Le Lt Clavel part vers les lisières ouest en direction de Mondercange.

Le Lt de Mandat-Grancey reste avec sa découverte sur l'axe de Luxembourg, avec le peloton Thirion.

Le Sous-Lt Hueber bondit avec sa patrouille mixte et le peloton Lucia sur Schifflange.

9h20. - Le Capitaine de Royère resté à la patte d'oie du centre de la ville apprend que

Clavel est au contact à l'ouest mais tient les lisières de la ville vers Mondercange.

Hueber n'a pu atteindre les lisières extérieures d'Esch vers Schifflange mais peut barrer la route de Schifflange à 1.500 m environ de la gare.

C'est gagné, les Dragons tiendront là le temps que le gros arrive. Le rôle de l'avant-garde est momentanément terminé.

9h40. - Le Lt-Colonel Le Couteulx de Caumont arrive avec le gros et approuve les dispositions prises. Les P.A. sont aussitôt renforcés avec des éléments du gros de la colonne.

10 heures. - Le Colonel Lafeuillade, commandant la Brigade, vient nous rejoindre à la gare. Il veut aussitôt que l'on pousse sur Luxembourg. Il faut donc faire sauter la résistance axiale du crassier 500 m. N. de la ville.

L'opération est confiée au Capitaine de Royère. Une section de chars H 35 lui est adjointe. Dès 9h15, l'appui de notre artillerie avait été demandé pour exécuter un tir de centralisation sur le crassier 500 m. N. et des tirs d'interdiction sur les axes : Esch-Schifflange - Esch-Mondercange.

A 9h45, l'artillerie allemande riposte et commence à tirer sur la gare. On encaisse les premiers 105. Pour faire sauter la résistance du crassier N. d'Esch sur la route de Luxembourg il n'est possible d'agir que par les lisières O.-N.O, c'est-à-dire par le P.A. Clavel.

La poussée axiale est impossible.

La manoeuvre par l'Est n'est pas possible pour les chars car les pentes du Galgenberg sont abruptes, chaotiques et brisées.

Décision. - Appuyée par les feux des P.A. MandatGrancey au centre et Clavel à l'ouest, la section de chars débouche du P.A. Clavel et pousse jusqu'au crassier qu'elle nettoiera suivie par deux pelotons de F.V.

Hélas, à peine nos chars étaient-ils sortis des lisières ouest qu'ils étaient tour à tour immobilisés par les très nombreuses armes anti-chars de l'ennemi installées dans les crassiers, tandis que l'artillerie ennemie nous clouait sur les positions acquises.

Il est 11h15 et désormais, surclassés par un ennemi supérieur en nombre, nous serons réduits à la défensive.

En face, l'ennemi était là avant nous avec des moyens très supérieurs, très aidés par les nombreuses formations de la 5e colonne d'Esch-sur-Alzette qui continuaient de tirer sur tous les hommes isolés et sur nos Agents de transmission moto. Il faut, hélas, se rendre à l'évidence, nous sommes stoppés.

Bientôt l'ennemi qui s'est encore renforcé passe à l'action.

Le gros danger, c'est le Galgenberg à l'Est. On apprend par des patrouilles à pied que des cyclistes allemands montant de Schifflange sont déjà sur les sommets et s'infiltrent sur notre flanc droit.

15 heures. - Par les pentes du Galgenberg, l'ennemi a atteint les quartiers de la gare. La place de la Gare est balayée par les balles de mitraillettes. Après une lutte corps à corps, le peloton Hamelin envoyé sur les pentes du Galgenberg repousse ces infiltrations.

Jusqu'au soir, l'ennemi nous presse sur toutes les faces, mais le 2e R.D.P. conserve ses positions.

22 heures. - Il fait presque nuit, l'exode vers la frontière française commence. Le bourgmestre d'Esch a décidé à 18 heures que les habitants évacueraient à partir de 22 heures et seraient triés à la frontière.

Ce que nos cavaliers vécurent là, durant cette nuit, est indescriptible. 25.000 à 30.000 personnes affolées par cette journée de combats se pressent par l'unique rue, à travers nos hommes impuissants, vers le poste de douane. Rien n'est respecté, ceux qui tombent sont piétinés. L'affolement est accru par l'action de l'artillerie allemande qui tire systématiquement sur les usines et les sorties de la ville.

Combien d'espions sont passés dans cette foule ? Combien d'éléments de la 5e colonne ?

Le reste de la nuit se passe en petits combats de rues. Les nazis, toujours dans les maisons, tirent sur tout ce qui bouge.

11 Mai, 4 heures. - Le jour est le bienvenu - l'angoisse cesse - on voit ; on peut réagir.

La fusillade reprend.

11 heures du matin. - La pression allemande se fait plus forte. A nouveau, par les pentes du Galgenberg les fantassins allemands s'infiltrent. Il faut replier le P.A. Hueber sur la gare et abandonner les lisières Nord de la ville.

12 heures. - La pression ennemie s'accentue, la gare est prise après une défense magnifique de Hueber et Thirion qui ne cèdent le terrain que pas à pas.

Toujours par l'est (pentes du Galgenberg) l'ennemi déborde en nombre et menace de couper nos arrières en atteignant, les usines nord d'Esch.

Il faut voir la réalité et agir vite pendant qu'il en est encore temps.

18 heures. - Le Colonel Le Couteulx a reporté son gros sur le viaduc d'Esch en avant d'Audun. Il charge le Capitaine de Royère avec ses éléments de retarder la progression ennemie le plus longtemps possible sur la ligne des usines et des crassiers d'Esch.

Les hommes sont magnifiques. Mandat-Grancey et beaucoup de leurs camarades sont tombés pendant ces deux jours et leurs effectifs sont bien maigres ; leur moral est intact. Pied à pied, ils se replient cependant infligeant de lourdes pertes à l'ennemi. Le tir individuel règne en maître et l'on peut voir des Allemands traversant les rues en bondissant, arrêtés net dans leur élan, pivoter sur eux-mêmes et s'abattre. Les hommes s'exaltent et ne sentent plus la fatigue.

Mais notre résistance touche à sa fin. Nous sommes débordés de partout. Il faut commander le repli derrière les lignes d'infanterie. Les Lts Hueber et Thirion veulent cependant un témoignage (le plus de leur résistance. Derrière une barricade, ils apercoivent un Sous-Officier allemand blessé. Tous deux bondissent sous le feu de l'ennemi et tandis que Thirion protège son camarade de son feu, Hueber charge le Sous-Officier sur ses épaules et le ramène dans sa patrouille.

22h10. - Courbés sous les balles des Allemands qui ont pénétré dans les usines d'Esch, nous repassons la barrière de la douane luxembourgeoise que nous avions eu bien du mal à prendre deux jours avant.

L'avant-garde a rempli sa mission et ne peut plus rien. Mais si..., elle est devenue arrière-garde et son chef, le Lt Hueber se souvient que le rôle de l'arrière-garde est de s'efforcer de ralentir par tous les moyens la progression de l'ennemi. Il songe alors que la barrière douanière, gros obstacle anti-chars, conquise et ouverte par nous, devait être condamnée par nous. Il reste le dernier avec l'A.M. du Sous-Lt Quétan du 3e R.A.M., ferme la serrure à clef, met son mouchoir sur cette serrure et permet ainsi à Quétan de pointer son 25 dans la nuit. Un coup de canon, la serrure compliquée, rendue inutilisable, verrouille l'énorme porte qui ne livrera passage aux chars allemands qu'au prix d'un long et difficile travail.

Cette clef ne quittera plus le Commandant de l'avant.

Par échelons, les éléments Clavel, Hueber sont repliés successivement.

Notre grande unité repassait la ligne Maginot dans la nuit. Elle allait continuer de mériter sur d'autres lieux le surnom d' " Hirondelle de la Mort " que nos adversaires se plurent à lui donner par la suite.

Que faisait pendant cette période, la colonne Ouest ?

Laissons la parole au Capitaine Goyet, adjoint du 1er Bataillon et au Capitaine de Beaumont, Commandant de l'A.G.

COLONNE OUEST

Le 10 Mai. - Alerte à 5h30. Le bataillon allait entrer dans la bataille avec un effectif diminué de près de 10 % du fait d'affectés spéciaux non encore remplacés et de nombreux permissionnaires qui ne rejoindront qu'un mois après.

La colonne Ouest reçoit à 8h30 l'ordre suivant : " Exécutez mission initiale en Luxembourg. Franchissez la frontière de façon à vous assurer les débouchés d'Elerange. Se garder en direction de Soloeuvre, ou des éléments légers ennemis (parachutistes) ont été signalés. "

Exécution de la mission. - Au petit jour, la colonne est formée dans l'ordre de marche dans les rues de Redange ; les gradés et hommes attendent avec impatience l'horaire de passer la frontière. La longue inactivité de la "drôle de guerre" leur pèse, ils sont "gonflés" à bloc. Depuis plusieurs jours déjà, ils sont dans l'expectative. Les catholiques ont mis leur conscience en règle avec Dieu.

Les Officiers et Sous-Officiers ont confiance dans leurs hommes qu'ils commandent de longue date. Ils connaissent à fond la mission à accomplir. Le Capitaine de Beaumont, en effet, accompagné du Lt Dautigny, a pu aller en Luxembourg reconnaître l'itinéraire prévu, les bonds à faire, les précautions à prendre. Les maisons habitées par des nazis ont été identifiées et seront dans la marche spécialement surveillées ; rien n'a été laissé à l'imprévu ; la cachette de la clef de la barrière douanière est elle-même connue, un passage à côté de la barrière a été repéré en cas de besoin. Des théories de cadres en salle et sur l'observatoire de Belvaux ont été faites. Bref, chacun connaît à fond sa mission et la façon de l'accomplir.

A l'ordre : "En avant", donné par le Commandant L'Hotte dès le reçu de l'ordre ci-dessus, l'Échelon de reconnaissance bondit : la barrière luxembourgeoise est ouverte. Belvaux est traversé rapidement.

Toute la population accueille avec enthousiasme les troupes françaises ; des fleurs sont lancées alors qu'à Esch c'étaient des balles de mitraillettes de la 5e colonne.

A la sortie de Mondercange, vers le Nord, premier contact. L'A.G. magnifiquement enlevée par le Capitaine de Beaumont progresse malgré la vive opposition de l'ennemi. Le Maréchal-des-Logis Cazajou en A.M.R. démolit deux motocyclettes allemandes, tue leurs occupants et poursuit sa marche.

Des coups d'armes automatiques partent des bois situés à environ 2 km du village.

En même temps, à la sortie Est du village, contact avec des éléments en car se dirigeant vers Esch-sur-Alzette ; notre canon de 25 tire sur un car arrêté qui ne peut reprendre sa marche. La ferme de Foertz est signalée comme sérieusement tenue (armes automatiques et antichars).

L'échelon de reconnaissance s'est heurté à une ligne qu'il n'a pas les moyens de percer.

A ce moment, la position du bataillon semble assez aventurée. Sur sa gauche, la liaison avec le 4e Spahis est vainement cherchée ; ils ont marché moins vite ; sur la droite, la situation est plus critique. En effet, le 2e Bataillon n'a pas pu progresser, si bien que le 1er Bataillon est en flèche à 5 ou 6 km sur son axe, son flanc droit est complètement découvert et des éléments ennemis se portent vers un bois situé à 1.500 mètres au S.E. d'Elerange où se trouve le P.C. du Bataillon.

Le P.C. du Régiment demande pour sa défense un peloton de mitrailleuses et le canon de 25 ; le Commandant Henriet détache le Maréchal-des-Logis Larrat avec ses hommes. Sur sa droite le danger s'accentue, la progression ennemie se précise. Le Commandant Henriet décide d'attaquer le bois dont il est question plus haut.

Tandis que le peloton de mortiers de 81 du Lt Schneider battra la lisière O. du bois, que le peloton de mitrailleuses du Maréchal-des-Logis Garbaillet placé à la sortie Est d'Elerange fixera sur place les forces ennemies qui se trouvent sur la face Nord du crassier et que le peloton de mitrailleuses du Sous-Lt Esterlin battra la face Ouest du crassier, le peloton F.V. du Sous-Lt Koechlin attaquera et occupera le bois. Il sera soutenu par une patrouille A.M.R. (Adjudant Gardère).

A 15 heures, l'attaque se déclenche. Elle est menée avec une telle décision que les éléments ennemis qui s'étaient infiltrés dans le bois se replient précipitamment. A 16 heures, le bois est occupé et même dépassé par le peloton Koechlin. Durant l'attaque, une patrouille mixte de l'avant-garde l'appuyait par une action offensive sur la route Mondercange - Esch-sur-Alzette en direction d'Esch.

A ce moment, la situation du Bataillon Henriet paraissant assurée quoique toujours en flèche, la liaison avec les spahis étant prise, le Capitaine de Beaumont repoussant à Mondercange toutes les tentatives de l'ennemi, le Commandant L'Hotte demande à la Brigade quelques éléments pour attaquer à revers les Allemands installés à Esch et aider ainsi à la progression du 2e Bataillon ; mais celui-ci est fortement pressé en tête en maints endroits et à 16h30 l'ordre de repli arrive à la Brigade...

La mort dans l'âme, le Bataillon reprend en sens inverse le chemin parcouru le matin l'espoir au coeur. Une A.M.R. enlisée lors de l'attaque du petit bois doit être abandonnée. Les groupements Farnier et Van Aertselaer s'installent défensivement aux sorties Est (petit bois de sapins) N. et S. de Bas-Soleuvre.

Les brancardiers du Bataillon relèvent plusieurs Spahis signalés gisant grièvement blessés à quelques centaines de mètres sur la gauche, ils reçoivent les soins du médecin Pouchol qui les fera évacuer quelques instants après.

Vers 17 heures, l'ordre arrive au Capitaine de Beaumont d'abandonner Mondercange et de revenir à Elerange : le mouvement sera difficile.

Le passage sur la seule route permise est sous le feu d'armes automatiques à 600 mètres environ ; une action de diversion du peloton Koechlin n'a pas pu la dégager. Les motocyclistes ne peuvent passer sans de gros risques. Le Capitaine Commandant les fait protéger de flanc par les A.M.R. qui amènent ainsi chacune une moto à Elerange et vont chercher les autres. En trois voyages tous les véhicules sont là : il en a coûté un obus de 37 dans une A.M.R. qui peut cependant revenir jusqu'à Elerange par ses propres moyens, et un Brigadier-Chef blessé.

Vers 17h30, le P.C. s'installe à Bas-Soleuvre et l'avant-garde, devenue arrière-garde, après avoir fait sauter le petit pont qui se trouve à la sortie Sud d'Elerange, arrive à Bas-Soleuvre vers 18h30 et complète le dispositif de défense.

La nuit sera assez agitée. Les avant-postes échangent fréquemment des rafales d'armes automatiques et des coups de fusils. L'artillerie de la ligne Maginot exécute toute la nuit des tirs sur les positions allemandes.

Le lendemain 11, vers 4h30, plusieurs vagues successives d'avions ennemis surgissent en rase-mottes, bombardent et mitraillent nos positions. A partir de 5 heures et jusqu'à 8 heures, les positions du bois de sapins sur le côté Nord de la route de Bas-Soleuvre à Elerange (cote 320) et du crassier qui longe le côté Sud, sont violemment mitraillées.

Le Sous-Lt Koechlin dont la bravoure s'est manifestée plusieurs fois déjà depuis la veille d'une manière éclatante, parcourt à découvert les positions de son peloton sur le crassier pour donner confiance à ses hommes. Il tombe bientôt, frappé d'une balle dans la tête. Le médecin auxiliaire Pouchol entraîne deux brancardiers pour aller chercher le blessé, sous des rafales d'armes automatiques.

Ce grand garçon sympathique a l'âme chevillée au corps. Après une trépanation et de nombreux mois d'hôpital, il s'en sortira.

L'esprit d'entraide, qui règne en maître au 2e R.D.P., aura encore une fois sauvé un des nôtres.

La position de la mitrailleuse ennemie qui gêne le plus le Bataillon a été repérée, elle se trouve, avec des mortiers, à la sortie O. d'Elerange. Le Cdt Henriet les fait prendre à partie vers 8h30 par le peloton de mortiers du Lt Schneider. L'ennemi répond par un violent bombardement de toute la position. Deux maisons d'Elerange, dont les habitants avaient la veille tiré sur le Capitaine de Beaumont, sont détruites par notre mortier de 81.

Vers 10 heures, des forces ennemies progressent sur la gauche du bataillon, en direction de Soleuvre. Elles sont stoppées par le tir des mitrailleuses du Sous-Lt Esterlin. A nouveau, vers 11 heures, nos positions sont violemment, bombardées. La liaison à gauche est encore recherchée vers Soleuvre avec la brigade de Spahis, mais vainement ; ces derniers ont dû se replier.

Comme à Esch-sur-Alzette, la population de Belvaux est évacuée. Un flot ininterrompu de civils passe sous les fenêtres du P.C. Nous nous souviendrons toute notre vie de cette jeune mère poussant d'une main une voiture d'enfant avec un bébé, tirant de l'autre une seconde voiture d'enfant avec un autre bébé et ceci en pleine bataille.

Jamais, nous ne dirons assez haut, toutes les souffrances endurées par ces mères, forcées, à l'approche de l'ennemi, de quitter le toit qui abritait leur bonheur.

Vers 11h15, les balles crépitent contre le mur de la maison où se trouve le P.C. du Bataillon.

D'après les dispositions des lieux, on s'explique difficilement que l'ennemi puisse atteindre cet endroit avec une arme automatique. Le soir même, le mystère est éclairé par le renouvellement d'un fait semblable à Belvaux.

Des membres de la 5e colonne disséminés dans les villages luxembourgeois tirent par les fenêtres de certaines maisons sur les troupes françaises. A 11h30, un tir bien ajusté des mortiers ennemis atteint le carrefour au centre de Bas-Soleuvre ; plusieurs hommes du Bataillon sont blessés. Vers midi, l'ordre de décrochage arrive, les derniers éléments du Bataillon quittent les positions vers 13 h. et se repliant sur Belvaux organisent une position défensive le long de, la voie ferrée.

Vers 16h30, les positions sont soumises à un violent tir d'armes automatiques ennemies et tout à coup, le même phénomène que le matin se reproduit : des balles pleuvent autour du P.C. du Bataillon à un endroit où il ne semble pas qu'elles puissent venir de bien loin. Au bout de peu de temps, on s'aperçoit qu'un ou plusieurs individus tirent sur les hommes du Bataillon des fenêtres d'un hôtel situé à 30 mètres de l'autre côté de la voie ferrée. Ce sont les éléments de la 5e colonne, venus d'Esch par un car, que nous apercevons.

Le téléphoniste Béraud n'écoutant que son courage, se lance à l'attaque de cette maison. Frappé d'une balle en plein front, il s'écroule, sans un cri.

Une A.M.R. et un canon de 25 entrent en action contre la maison. Quelques instants après le Sous-Lt Weber arrête trois hommes et une femme de la 5e colonne.

L'ennemi continue sa pression et bat violemment de ses armes automatiques tout le front du Bataillon.

Vers 18 heures, le Bataillon qui n'a pas bougé d'un pouce, reçoit un ordre de repli sur Redange. Une patrouille mixte couvre la mise à feu de la destruction du carrefour situé à l'est du passage à niveau nord de Belvaux qui saute vers 19 heures.

Vers 20 heures, la ligne Maginot déclenche de puissants tirs de harcèlements. La nuit se passe assez calmement.

Vers 3 heures, le 2e R.D.P. reçoit l'ordre de passer derrière la ligne Maginot pour ne pas en gêner la défense. C'est la mort dans l'âme que le Bataillon quitte Redange et les positions auxquelles il avait travaillé avec amour et sans répit tout cet hiver - malgré un froid terrible -pensant qu'un jour elles lui serviraient à arrêter l'envahisseur. Hélas, il n'en est rien... Le Bataillon doit abandonner tout son travail, devenu inutile, et par l'itinéraire Thil, Tiercelet, Villers-la-Montagne, il arrive à Fillières à 6 heures. Il reçoit l'ordre de se porter sur Chenières où il stationnera en réserve d'armée.

Dans la nuit du 11 au 12 Mai, la 13e B.L.M. sur ordre de l'Armée, se retire derrière l'Infanterie de la position de Longwy. Le viaduc d'Audun-le-Tiche saute vers 3 heures du matin ébranlant à plusieurs kilomètres l'atmosphère.

Le régiment se regroupe dans la région des bois S. de Serrouville.

La phase " Luxembourg " est terminée.

A la décision du 13 Mai, le Commandant L'Hotte faisait paraître la note suivante :

Félicitations. - Le Chef d'Escadrons commandant pvt. le 2e R.D.P., est heureux de transmettre aux Officiers, Gradés et Dragons, les félicitations du Général Commandant la 3e D.L.C. et du Colonel commandant P.I. la 13e B.L.M. pour la belle attitude du Régiment pendant les journées des 10 et 11 Mai.

Les félicitations seront diffusées immédiatement jusqu'à l'échelon groupe de combat.

Messe. - Une messe pour les morts du Régiment pendant les opérations des 10 et 11 Mai sera célébrée le 14 Mai à 10 heures à l'église de Fillières.

Avant d'étudier l'affaire de Longwy, empruntons au Journal de Marches de la Division, les lignes suivantes qui nous feront comprendre les journées des 10 et 11 Mai et expliqueront celle du 14.

La manoeuvre " Luxembourg " vient de prendre fin.

L'opération que devait effectuer la 3e D.L.C. renforcée visait essentiellement

- à y effectuer ou à y couvrir l'exécution de nombreuses destructions : voies ferrées, ponts, routes, usines, transformateurs, etc.,

- à prendre au plus loin le contact de l'ennemi, à jalonner et à retarder son avance.

Il avait été escompté que la 3e D.L.C. pourrait être alertée suffisamment à l'avance pour que son entrée en Luxembourg puisse suivre, avec un très léger décalage, la pénétration dans le Grand Duché des premiers éléments ennemis.

La surprise stratégique complète et générale sur tout le front de l'Armée française, fait inexplicable et que l'Histoire jugera sévèrement, en a décidé autrement. Les événements se sont déroulés d'une manière tout à fait différente.

Sur notre front, l'ennemi qui avait indiscutablement une entière connaissance de notre dispositif, a, en effet, occupé, plusieurs heures avant que nos éléments aient même été alertés, tous les points vitaux pour le développement de notre opération.

Nos troupes se sont partout heurtées dès la frontière franchie, à des forces ennemies, les unes régulières, les autres camouflées. Celles-ci qui se manifestaient souvent à retardement n'étaient pas celles dont l'action était la moins efficace.

De ce fait, la Division n'a pu réaliser qu'une faible partie des destructions prévues, dont celle du Tunnel de Dudelange.

Par contre, le problème de l'évacuation des populations qui constituait pour l'E.M. une grande préoccupation a été, de par la soudaineté de l'entrée des forces ennemies dans le Grand-Duché, réduit à des proportions modestes. Il n'a pas pesé sérieusement sur le déroulement des opérations.

Nos troupes, ainsi d'ailleurs que les forces ennemies, se sont battues avec la plus grande ardeur.

Nos pertes ont été comparativement faibles. Celles de l'ennemi, en particulier celles dues à nos engins blindés et à notre artillerie ont été incontestablement très supérieures.

Le matériel s'est, dans l'ensemble, bien comporté : un char rentré porteur de 27 points d'impact, après avoir rempli sa mission jusqu'au bout, fait l'objet de l'admiration unanime et est présenté par son équipage au Général.

Les différents échelons du commandement se sont avérés comme parfaitement au courant de leur manoeuvre, et dans l'ensemble, très calmes et énergiques.

En résumé, le 12 Mai, l'état moral et la combativité de tous les éléments de la 3e D.L.C. sont portés au plus haut point : " On a tenu devant des forces très supérieures ; à la première occasion, on refoulera l'ennemi. "

Tous les services de notre régiment avaient fait leur devoir : Adjudant du Chef de Corps qui, avec un zèle et une compétence exemplaires avait organisé les liaisons entre les différents éléments du 2e R.D.P. ; Observateur du P.C. qui, le premier, signale les préparatifs de la contre-attaque allemande, Service de Santé qui régla les soins à donner aux blessés, leur évacuation et celle des civils, Service Auto, Ravitaillement, etc... qui apportaient à chacun ce qu'il leur fallait, Agents de liaison infatigables dans leurs missions sous le feu ; Cuisiniers assurant à chacun sa subsistance malgré les déplacements continuels, Service de dépannage venu jusqu'en première ligne récupérer le matériel défaillant.

Toutes choses qui ne devaient que croître et devenir plus intenses au cours de la campagne, malgré les fatigues, l'usure du matériel, la situation en continuelle évolution et l'angoisse des heures tragiques et douloureuses. "

III   LONGWY (12-14 Mai 1940)

Le Régiment est en cantonnement d'alerte à Fillières et à Chenières. La pression allemande dans la région de Longwy s'accentue et l'ennemi s'est infiltré jusqu'au stade de Longwy. Les éléments de la Nième D.I. occupent Longwy (cette division est une division de réserve - pour ainsi dire, pas de cadres actifs). Son infanterie a un déplorable état d'esprit ; quand il y avait quartier libre les dimanches pendant la période de la " drôle de guerre " presque tous les hommes étaient ivres. Aussi, quand les Allemands se présentèrent devant Longwy, ils ne rencontrèrent qu'une faible résistance et bientôt, hélas, on eut sous les yeux le premier spectacle des troupes françaises en débandade.

Vers 15 heures, notre Général de Division reçoit de la 3e Armée, l'ordre de rétablir la situation. Comme elles le montreront toujours au cours de cette campagne, les unités sous les ordres du Général Petiet feront tout leur devoir.

Nous nous reportons à nouveau en avant de la ligne Maginot.

Dans ces journées des 13 et 14 Mai, les deux Bataillons n'étaient pas sous les ordres directs du Commandant L'Hotte.

En effet, la caractéristique de cette période Mai-Juin 1940 a été la formation presque continuelle de " Groupements tactiques ". Les bataillons du 2e R.D.P. étaient répartis dans ces groupements tactiques dont ils formaient l'élément principal renforcé par des éléments du 3e R.A.M., de l'Artillerie ou de la Brigade à cheval. Pendant les journées des 13-14, le P.C. du Régiment est transporté à Morfontaine où il assure les liaisons.

Nous étudierons donc les opérations effectuées respectivement par les 1er et 2e Bataillons.

1er Bataillon - Bataillon Henriet. - Arrivée à Chenières le 12, à 10 heures. Après deux jours de combat, deux nuits sans dormir, les hommes espèrent pouvoir souffler un peu, mais cet espoir sera de courte durée car déjà apparaissent quelques fuyards. A 23 heures, le Bataillon reçoit l'ordre suivant de la Nième D.I.

" Par ordre du Général commandant la 3e Armée, le Bataillon de D.P. de la 3e D.L.C. stationné en réserve d'armée à Chenières sera immédiatement mis en place en état d'alerte. "

Il en sera ainsi durant près d'un mois et demi où sans repos, sans sommeil, le régiment continuera à se battre, alerté et remontant en ligne chaque fois qu'après de dures journées il pouvait espérer prendre un repos bien gagné dans quelque tranquille ville.

A la fatigue du combat, il fallait ajouter celle que leur donnait un matériel automobile ancien et fatigué, matériel qu'ils arrivent, à force de patience, d'ingéniosité, de ténacité, à faire marcher quand même, mais au prix de quelles fatigues supplémentaires.

Et le plus admirable est que, chaque fois, ces hommes fourbus, harassés, repartent avec la même discipline, la même foi, le même courage que leurs aînés de la Grande Guerre.

Le 13, le matériel a été nettoyé, remis en état et tout le monde est sur le pont, prêt au branle-bas de combat.

A 11h30, le bataillon doit se porter sur une ligne de recueil entre Longwy et Haucourt. Départ à 12 heures.

L'élan magnifique des Dragons contraste avec l'aspect lamentable des fuyards que le Commandant Henriet et le Capitaine Goyet regroupent afin de les ramener au combat.

Le P.C. du Bataillon s'installe à Haucourt où le Bataillon essuie un violent tir de barrage. Liaison est prise avec le 61e G.R.D.I. La Nième D.I. ayant donné par erreur à ce G.R.D.I. l'ordre de repli, les Dragons avaient évacué le Mont du Chat ; au reçu des nouvelles instructions de l'Armée de tenir à outrance, ordre est donné au G.R.D.I. 61 de réoccuper son ancienne position.

Malheureusement quelques éléments légers allemands s'y étaient glissés. Il a fallu attaquer ce Mont du Chat aux pentes très abruptes et boisées. Après une courte préparation de notre artillerie le G.R.D.I. donna l'assaut. Il enleva brillamment le Mont du Chat et s'y réinstalla. La réaction allemande fut sévère et le valeureux Capitaine Thénard qui commandait l'Escadron hippo et qui avait eu une brillante conduite deux jours auparavant sur le Kirchberg en Luxembourg, fut tué d'un éclat d'obus au ventre.

Pendant que le 61e G.R.D.I. s'emparait du Mont du Chat le Bataillon Henriet recevait, à 14 heures, l'ordre de contre-attaquer avec comme objectif le ravin boisé qui borde au Sud le bois du Klop et le Mont du Chat. La progression s'effectua sous un violent tir de barrage. A 15 heures, les objectifs sont atteints.

Aucun ennemi ne s'est manifesté dans les bois. Seulement quelques traces de combat : sépultures fraîches hâtivement faites, armes et équipements épars.

Vers 16 heures, ce qui reste de l'Escadron Dodelier, du 4e Spahis venant de la sortie Est de Longwy vers Herserange, vient remplacer le groupement Van Aertselaer et permet de resserrer un dispositif beaucoup trop étendu pour le bataillon.

Malgré un violent bombardement par l'artillerie ennemie, le Bataillon se maintient sur ses positions.

Il passe successivement sous les ordres du Commandant de l'I.D., de la D.I., du Colonel commandant le 22e, dont le P.C. est prés de la ferme Larrimond et qui paraît ne plus disposer d'aucun élément de son régiment, enfin du Général Petiet.

A 20 heures, les Spahis décrochent.

A 21 heures, progressant par le ravin à la lisière Est du bois de Longwy, un corps franc ennemi attaque, et se glissant entre le groupement Farnier et le G.R.D.I. 61, arrive jusqu'au P.C. du Bataillon.

Le Capitaine Goyet rassemble rapidement quelques hommes et gradés des transmissions et contre-attaque, en même temps que le peloton Weber, installé à la ferme Saint-Charles, ouvre le feu sur le flanc gauche de l'assaillant (l'officier allemand reste d'ailleurs sur le terrain, tué devant la ferme).

L'ennemi n'insiste pas et les fusées qu'il lance montrent qu'il glisse en direction Est-Sud-Est.

A 22 heures, un ordre de repli arrive et le 14 à 2 heures, le Bataillon repasse à Haucourt et se dirige sur Fillières où il doit cantonner et se reposer. Il y arrive vers 5 heures. A 8 heures, ordre de départ pour aller cantonner à Bertrameix. Arrivée à ce village vers 10 heures. Bertrameix étant occupé par des unités du train et de l'artillerie, le Bataillon doit attendre six heures avant de pouvoir s'y installer en cantonnement d'alerte.

2e Bataillon - Bataillon Larger. - Ce bataillon est à Fillières.

Le P.C. du Bataillon, parti de Fillières à 18h30 arrive à Laix vers 19h30.

L'Escadron Royère reste à Laix.

A 21 heures, le P.C. du Bataillon s'établit à Mexy où il relève le Capitaine Weygand qui l'attendait avec ses A.M.D.

A 20h30, l'Escadron Clavel s'avance sur l'axe Chenières-Haucourt pour se diriger ensuite sur Mexy.

Ce qui dépeint, hélas, la mentalité de trop nombreux combattants de cette guerre est la phrase qui accueillit le Lt Clavel, s'approchant des lignes allemandes : " N'avancez pas, mon Lieutenant, les Allemands sont à 200 mètres ! "

Courir sus à l'ennemi, ou même l'attendre simplement de pied ferme et lui résister, semblait une chose extraordinaire...

A la même heure, l'escadron Montille va prendre position en lisière du bois de Rehon.

Son Escadron se trouve mélangé à des éléments de Spahis qui sont dans ce bois.

Vers 22h30, le Capitaine Hachette apporte un ordre mettant le bataillon aux ordres du Commandant de Spahis.

Le 14 Mai. - A minuit 30, en exécution de l'ordre donné par le Commandant de Spahis, le 2e Bataillon décroche et repasse la ligne Maginot.

Beaucoup d'entre nous ne comprirent pas ce recul, car il semblait qu'une contre-attaque sur Longwy pouvait être envisagée avec des éléments de la 3e D.L.C., de la 1re B.S. et des unités d'infanterie non dissociées.

Mais, entre temps, le Général Condé avait appris que le secteur de la Nième D.I. était attaqué par trois Divisions ennemies et une fraction d'une quatrième. Le souci de conserver des éléments suffisamment importants pour la défense de la ligne Maginot l'empêche d'alimenter le combat en avant de cette ligne et c'est pourquoi il prescrit l'abandon de la position de Longwy.

La nuit est déjà entamée et il s'agit de se replier avant le jour au Sud de la ligne fortifiée, les deux tiers de l'infanterie en partie désorganisée de la Nième D.I., son artillerie et les éléments de la 3e D.L.C.

Des lignes de repli successives sont organisées immédiatement.

Malgré les très nombreuses difficultés et malgré une vigoureuse pression de l'ennemi, le repli derrière la ligne Maginot de la Nième D.I., artillerie comprise, est effectué pour le 14 au jour dans des conditions très satisfaisantes.

Le 2e R.D.P. se groupait à Mercy-le-Haut, Murville, Aviller et Bertrameix. Dans les villages traversés, nous rencontrions la population luxembourgeoise évacuée, se dirigeant vers l'arrière, spectacle navrant.

Notre repos n'allait pas être de longue durée. Le Régiment était alerté dans la matinée du 15 en vue de faire une longue étape qui devait l'amener vers le Sud-Ouest. Il quittait la 3e Armée et allait passer aux ordres de la 4e Armée dont le P.C. était à Château-Porcien.

Le Général d'Armée Condé, commandant la 3e Armée rédigeait le 15 Mai, l'Ordre général suivant :

Ordre général N° 23 - 15 Mai 1940

Au moment où la 3e Division Légère de Cavalerie est appelée à une nouvelle mission dans une zone voisine, le Général Commandant la IIIe Armée tient à adresser ses chaleureux remerciements et l'expression de son admiration au Chef et aux troupes de cette grande unité.

Déjà engagée en Septembre 1939 au Schneeberg, la 3e D.L.C. a confirmé ses qualités manoeuvrières, sa haute tenue morale et son ardente combativité, au cours des dures opérations qu'elle vient de mener avec la Ire Brigade de Spahis en Luxembourg, puis devant Longwy.

Aux faits d'Armes des guerres antérieures, ces deux Unités viennent d'ajouter une page glorieuse. Elles restent fidèles à leurs belles traditions.

Le Général d'Armée CONDÉ,

Commandant la IIIe Armée.

Signé : CONDÉ.

IV   NOTRE-DAME DE LIESSE - MARCHAIS - CANAL DE SISSONNE (16-18 Mai 1940)

 Dès 9 heures, le 15 Mai, le 2e R.D.P. reçoit un ordre préparatoire faisant prévoir une longue étape.

Les pleins d'essence sont faits, les munitions sont com­plétées, les vivres sont distribués.

L'intention de notre Général de Division était de donner le maximum de repos aux troupes après ces cinq journées de combats et de fatigues. Il demande, pour éviter les bombardements sur route - l'activité aérienne étant très grande - que cette -étape se fasse si possible la nuit. Mais le Général d'Armée refuse.

L'Ordre arrive de se porter dans la région de Pont­-Faverger (région de Reims) par l'itinéraire Haucourt, Etain, Verdun, Sainte-Menehould, Suippes, Auberive.

Dès 16h30, le régiment quitte sa zone de stationne­ment pour rouler vers l'ouest sans désemparer, pendant la nuit et le lendemain.

Etape très dure de 250 km. Nous roulons tous feux éteints. Un beau clair de lune facilite notre route jalonnée par les incendies et les destructions de l'aviation ennemie. Tous les villages et toutes les gares à partir de Sainte-Mene­hould ont été bombardés.

Le régiment traverse successivement Etain, Verdun, puis Sainte-Menehould dont le quartier de la gare écrasé par un raid de l'aviation ennemie est en flammes. Suippes qui, vu de nuit, semble n'être plus qu'une ruine, Saint-Hilaire-­le-Petit.

Le 16 Mai, vers 4 heures, le Régiment fait halte à Pont­-Faverger, Saint-Martin-l'Heureux ; ironie d'un nom qui, au milieu des maisons désertées, des pans de murs noircis, incite à méditer sur la fragilité du bonheur et la vanité des choses de ce monde.

L'étape de nuit d'environ 140 km s'est très bien passée.

Les véhicules sont camouflés sous les arbres le long de la Suippe, chacun peut prendre un court repos après s'être lavé et restauré. Halte de courte durée. Les pleins d'essence sont faits.

A Pont-Faverger dont le ciel est sillonné par des vagues d'avions allemands, le Chef d'Escadrons L'Hotte reçoit du Général Petiet l'ordre :

1° d'envoyer deux A.G. en direction de Sissonne et de Liesse ;

2° d'organiser une ligne de feux passant par Liesse. Marchais, le Canal d'assèchement de Sissonne, La Paix.

Le Général se fait renseigner personnellement par une découverte confiée au 3e R.A.M. Cette découverte ne peut atteindre Montcornet et est terriblement éprouvée vers 17 heures sur le plateau de Dizy-le-Gros où elle est cernée et attaquée par une Panzerdivision.

Deux pelotons et demi motos et A.M.D. peuvent seuls se dégager. Les deux régiments à cheval faisant étapes par route ne nous rejoindront que dans une quinzaine de jours ; il s'ensuit que des quatre régiments formant la 3e D.L.C., le 2e R.D.P. reste seul. Il devra se battre seul avec quelques éléments étrangers, à la place de la Division tout entière. Il s'accrochera désespérément au terrain et soutiendra bien souvent une lutte contre un ennemi supérieur en nombre.

A 10 heures, ordre de départ. La nouvelle se répand que quelques voitures blindées allemandes sont passées derrière nos lignes et que notre brigade est chargée de les repérer, de les détruire et de les capturer.

Tout le monde est heureux, à la perspective de chasser du gros gibier, mais peu de temps après nous nous rendons compte qu'il ne s'agit pas du tout de quelques blindées ennemies, mais en réalité du gros des panzerdivisions qui ont percé notre dispositif à Sedan et qui déferlent vers le Sud.

Le régiment reprend la route, à la fin de la matinée, traverse Selles, Saint-Masmes, laissant Warmériville sur sa droite, Ides-sur-Suippe, Bazancourt, passe la Suippe à Saint-Etienne-sur-Suippe, traverse Auménancourt-le-Grand, Pont-Givart, passe le Canal de l'Aisne à Neufchâtel-sur-Aisne et par Guignicourt-Juvincourt-Amifontaine, arrive au lieu dit " La Maison Bleue " où le Régiment éclate pour prendre les positions indiquées.

Tandis que le 2e Bataillon et les E.M. du 2e R.D.P. et de la 13e B.L.M. continuent leur route vers Marchais, le 1er Bataillon se dirige vers Sissonne. Les E.M. du 2e R.D.P. et de la 13e B.L.M. vont établir leur P.C. au Château de Marchais. Le 2e Bataillon va occuper Liesse qu'il a mission d'organiser en point d'appui fermé pour interdire à l'ennemi la route de Laon.

Aux derniers renseignements, l'ennemi a atteint Montcornet qu'il occupe. Aucun élément français organisé ne subsiste dans la région située entre Liesse et Montcornet et la situation des villages situés dans cette zone est incertaine.

Comme nous l'avons fait pour les combats précédents, nous allons suivre chacun de nos bataillons dans son secteur.

1er Bataillon. - Le mouvement du Bataillon est considérablement gêné par le flot des réfugiés qui encombrent les routes. Il est 17 heures, le Bataillon reçoit l'ordre de s'établir défensivement vers Sissonne. Le Commandant Henriet prend immédiatement les dispositions nécessaires.

A 19 heures, un peloton de chars moyens s'installe à la droite du dispositif du Bataillon. A partir de ce moment, passe un flot de fuyards de toutes armes que des éléments du Bataillon ne peuvent songer à arrêter et à regrouper étant donné la faiblesse de leurs effectifs pour l'étendue du front à tenir. Un Officier de l'Armée s'emploiera sans succès à cette tâche. Rien ne se passe dans la nuit.

Des blindées allemandes venant du Nord attaquent le groupement Beaumont, celui-ci fait tête et détruit plusieurs véhicules, stoppant ainsi pour un certain temps l'avance allemande.

A 15h30, attaque de bombardiers ennemis au-dessus du camp de Sissonne ; leurs bombes ne semblent pas émouvoir nos dragons, pas plus qu'un bombardement très dur d'artillerie de 16 à 18 heures.

2e Bataillon. - Le 2e Bataillon doit rechercher la liaison avec la 4e Division cuirassée dont la présence est signalée dans la forêt de Samoussy (Colonel de Gaulle).

Liesse, entièrement évacuée, maisons fermées, toutes fenêtres closes, fait une impression lugubre.

Au moment où le P.C. du Bataillon arrive place de l'Église, au centre du village, le curé de Liesse, un grand vieillard au faciès énergique, portant moustache coupée droite au-dessus de la lèvre supérieure et bouc, ferme son église à clef et part.

Les hommes roulant depuis 24 heures presque sans désemparer sont dans un état de fatigue tel qu'il faut toute l'autorité de leurs chefs pour secouer leur apathie.

Le village est difficile à organiser solidement. De nombreux axes de pénétration viennent converger à la place de l'Église le long de laquelle ils s'étranglent. A vol d'oiseau, ce village doit assez bien figurer une toile d'araignée dont le centre serait la place de l'Église. Les vues sont partout limitées par la nature même du terrain.

L'Escadron Clavel coiffe la partie N.-N.E. du village. Terrain difficile et sans visibilité, particulièrement face au Nord au delà de la voie du chemin de fer, où s'étend une sorte de steppe inculte et marécageuse parsemée de bouquets d'arbrisseaux qui se prêtent admirablement à des infiltrations de combattants à pied.

La partie Est du village est couverte par l'Escadron Montille établi à la ferme Sainte-Suzanne (située à 500 mètres environ à l'Est de Liesse) d'où il commande la route de Chivres sur une distance d'environ un kilomètre.

Jusqu'à la tombée de la nuit, règne un calme lourd, angoissant.

Vers 19 heures, la liaison a été prise avec la 4e Division cuirassée et une patrouille A.M. moto du peloton Coudert, sous les ordres du Maréchal-des-Logis Rochel, est partie reconnaître Chivres. En passant, elle prendra liaison avec un char Somua de la 4e D.C.R. qui se trouve embossé au pont du canal de dessèchement en deçà de Chivres.

La patrouille visite Chivres sans rien trouver d'anormal ; elle y stationne jusqu'à la tombée de la nuit et revient, sa mission accomplie.

Vers 22 heures, subitement, le secteur Nord tenu par l'Escadron Clavel s'anime. Ce sont d'abord de brèves rafales de F.M., puis les mitrailleuses s'en mêlent. Pendant quelques minutes, la fusillade cesse, puis reprend, mais cette fois-ci les mitrailleuses allemandes font entendre leurs crépitements rapides. Deux blessés sont amenés au P.C., l'un d'eux blessé à la main a eu la crosse de son F.M. sectionnée pendant qu'il tirait. En une demi-heure l'affaire semble liquidée... Ce n'est qu'un court répit et la fusillade reprend très vive, toujours dans le même secteur, sur la ligne du chemin de fer, mais cette fois-ci elle s'étend vers l'Est. De courtes rafales très espacées partent maintenant de la ferme Sainte-Suzanne, en même temps le secteur Nord se calme.

Il semble que les éléments ennemis qui ont tenté d'abor­der le village par le Nord, ayant senti une solide résistance, cherchent un endroit de moindre résistance. Nettement, ils tâtent le terrain en maints endroits. Les mitraillettes se font entendre un peu partout, mais sans trop insister nulle part, ce qui d'ailleurs met les nerfs des défenseurs à rude épreuve.

Rude épreuve aussi pour les hommes du Bataillon d'avoir vu le camp d'aviation de Liesse abandonné sans aucune destruction, le dépôt de Sissonne déjà aux mains de l'en­nemi, enfin ces colonnes interminables de réfugiés sur les routes, qui gênent tous nos mouvements.

Mais nos Dragons, loin de se laisser abattre par ces spectacles navrants, sont toujours prêts à faire plus que leur devoir. Ils sentent l'ennemi approcher de toutes parts et ils apprennent que de nombreux blessés sont à l'hôpital de Notre-Dame-de-Liesse, soignés par des Religieuses. On ne peut laisser ces malheureux exposés au feu meurtrier de l'adversaire et tomber aux mains des Allemands. A toute force, il faut l'éviter.

Notre médecin-chef, le Capitaine Bonnet, dont tous, au cours de cette guerre, admirèrent le merveilleux dévoue­ment, alerte le médecin divisionnaire, le Colonel Arlabosse, qui l'autorise à évacuer cette importante formation.

Grâce au courage et à l'esprit d'initiative de nos conduc­teurs sanitaires, un véritable tour de force fut réalisé en cette nuit du 17 au 18 Mai. Malgré une grosse fatigue, quinze voitures sanitaires firent un circuit ininterrompu durant toute la nuit.

Notre Service de Santé put ainsi évacuer rapidement et dans d'excellentes conditions, directement sur des forma­tions chirurgicales bien outillées, des blessés graves qui purent être sauvés ; nos tués furent aussi transportés à l'arrière. Ainsi, grâce au dévouement du Service Sanitaire du 2e Dragons, tout le personnel, tout le matériel d'un hôpital et tous ses blessés (une centaine environ) purent être évacués avant l'arrivée des Allemands et transportés à plus de cent kilomètres au delà, et ceci en une nuit.

Le 17 Mai à 2 heures, alors que les fusillades intermittentes commencent à s'espacer et que l'ensemble du secteur se calme, le Bataillon reçoit l'ordre de dérocher pour aller prendre position à Marchais. La manoeuvre de décrochage s'effectue dans un ordre parfait sous la protection efficace de l'Escadron Royère et ne donne lieu à aucun incident.

Vers 4 heures, les derniers éléments du Bataillon ont rejoint Marchais. Les hommes sont exténués. Des bouchons sont établis aux carrefours des routes qui aboutissent au village immédiatement organisé en P.A. fermé par les Escadrons Clavel et Montille, tandis que l'Escadron Royère en son entier, reste à la disposition du Chef de Bataillon. Sauf les guetteurs et les Officiers de quart, les hommes sont autorisés à se reposer sur leurs emplacements de combat.

Le calme règne à Marchais où les Escadrons Clavel et Montille complètent et renforcent l'organisation du village, en particulier en ce qui concerne la défense antichars pour laquelle un canon de 75 mm du 72e est mis à leur disposition. Les E.M. de la 13e B.L.M. et du 2e R.D.P. ont quitté Marchais, le Bataillon a établi son P.C. à l'entrée du Château, dans la maison du garde.

Le P.C. du Régiment s'installe à 1h20 à l'auberge du carrefour de la Paix, position plus centrale, pour assurer le commandement des deux Bataillons.

Dans l'après-midi, une forte attaque de Stukas au dessus de Marchais dure une vingtaine de minutes. On dirait une ronde d'oiseaux de proie hurlant du hululement des sirènes. A part cela, après-midi calme, qui permet à chacun de prendre un peu de repos.

Le 5e Escadron recueille un fantassin, le Caporal-Chef Rebourslère Christian du 337e qui, touché de l'accueil fait à lui et à ses camarades, s'attachera à l'Escadron jusqu'à la fin de la campagne. Il y remplira les fonctions de vaguemestre.

La matinée du 18 Mai est marquée de deux incidents :

Vers 10 heures, un combat aérien se déroule avec une rapidité foudroyante au-dessus de Marchais. Deux chasseurs anglais attaquent quatre gros avions allemands. Résultat : un chasseur anglais et trois appareils allemands descendus. Le quatrième avion allemand s'enfuit en direction de Laon, poursuivi par le dernier chasseur anglais.

Une heure après, c'était le Prince de Monaco, propriétaire du Château de Marchais, qui arrivait dans sa propriété. Il en repartait vers 12 heures. Il était en tenue bleu horizon et portait les étoiles de Général de Division.

On entend, dans le lointain, des détonations sourdes provenant de la nouvelle attaque des chars de la 4e D.C.R. (Division de Gaulle).

V    MONCORNET (17 Mai 1940)

Accompagnement de l'attaque de la Division de Gaulle de Sissonne et Montcornet par le 2e Dragons.

Le Régiment, le 17 à 4h10 du matin, reçoit l'ordre de former deux détachements qui ont pour mission d'accompagner les chars de la Division de Gaulle dans leur attaque sur Montcornet.

C'est dans un entretien entre le Colonel de Gaulle, le Colonel Lafeuillade et le Chef d'Escadrons L'Hotte, près du Carrefour de la Paix, où se trouvait notre P.C., que furent arrêtées les dispositions de cette attaque.

Les Capitaines de Beaumont et de Royère sont chargés de cette mission.

Détachement Beaumont. - Le 17 Mai, à 6 heures, l'Escadron A.M.R. Moto, échelon de reconnaissance de la colonne la veille, de Saint-Hilaire à Sissonne, était au repos en seconde position à un kilomètre Ouest de Sissonne (Bel Air) au P.C. du Bataillon.

Le Capitaine de Beaumont, commandant l'Escadron, reçoit l'ordre de former un détachement composé de

1 peloton A.M.R. Lieutenant Dautigny,

1 peloton F.V.

1 groupe de mitrailleuses,

1 groupe de canons de 25, et d'accompagner un régiment de chars de la Division de Gaulle qui avait une mission d'attaque sur l'axe Sainte-Preuve, Boncourt, Saint-Acquaire, La Ville-au-Bois, Montcornet.

A 7 heures, le Chef de détachement reçoit sa mission de la bouche même du Colonel de Gaulle à la sortie Nord de Sissonne et prend liaison avec le Colonel commandant le Régiment d'attaque, dont les éléments avancés avaient débouché à 7 heures. En arrivant à Saint-Preuve, un groupe de cinq Allemands est fait prisonnier et envoyé à l'arrière.

A Saint-Acquaire, le Capitaine reçoit l'ordre d'installer défensivement une partie de son détachement, de se garder vers l'Est et de pousser un élément léger à La Ville-au-Bois. A ce moment, les chars se battaient aux abords de Montcornet.

Le détachement léger A.M.R. Moto aux ordres du Lieutenant Dautigny arrive à La Ville-au-Bois encore occupé par quelques Allemands. Après un rapide engagement, le Lt Dautigny fait quelques prisonniers dont un Sous-Officier.

Le terrain, derrière les chars, est déblayé.

Vers 17 heures, le Capitaine reçoit l'ordre de ramener à Sissonne son détachement : Il a accompli sa mission avec succès, sans pertes et en ramenant des prisonniers.

Le 18 Mai, au matin, le Capitaine de Beaumont avec un groupe de C.25 met hors de combat des blindées allemandes, qui venaient tâter trop indiscrètement la défense de Sissonne.

Détachement Royère. - Vers 6h30, le 2e Bataillon reçoit l'ordre de mettre à la disposition de la 4e Division Cuirassée une unité tactique de la valeur minima d'un Escadron.

Le Capitaine de Royère emmène les quatre patrouilles A.M. Moto respectivement commandées par le Lt Viard, les Sous-Lts Hueber et Thirion et le M.-des-L. Chef Moreau, qui représentent son Escadron entier, plus un peloton de fusiliers commandé par l'Adjudant-Chef Lucia et un groupe de 25 (Sous-Lt Jouin).

Lorsque l'unité tactique formée par le Bataillon rejoint à Liesse l'axe de l'attaque (route de Laon à Montcornet) les chars de la 4e D.C.R. sont partis depuis une demi-heure déjà.

Le hasard a voulu que, tandis que la colonne de chars se propulsait de Liesse vers Chivres, une forte colonne motorisée allemande précédée par des auto-mitrailleuses avançait de Chivres vers Liesse en direction de Laon. La rencontre d'une brutalité effroyable eut lieu à hauteur du pont sur le canal de dessèchement : la colonne allemande fut littéralement pulvérisée, écrasée par le feu des canons de 75 mm et de 47 mm des chars B, et les soldats allemands absolument terrorisés par cette effroyable avalanche de fer et de feu, n'eurent d'autre ressource que de chercher leur salut en plongeant dans les marais qui s'étendaient de chaque côté de la route, poursuivis par le feu des mitrailleuses.

C'est en traversant difficilement un long chapelet de véhicules informes, écrasés, tordus, renversés, incendiés, que la colonne des D.P. se dirige vers Chivres, qu'elle atteint sans incident alors que les chars ont déjà atteint Bucy-les-Pierrepont.

L'arrêt à Chivres est de courte durée ; le village est vite reconnu vide. Cependant la patrouille Thirion qui garde sa sortie Nord vers Mâchecourt, cueille un motocycliste allemand qui vient de passer à grande allure le passage à niveau, et le fait prisonnier.

L'Escadron aborde Bucy-Pierrepont sans incident et après avoir procédé à son nettoyage, maison par maison, se dirige vers Clermont-les-Fermes, où il rejoint les derniers éléments de la Division Cuirassée.

A ce moment, une escadrille de Stukas attaque les chars à la bombe. Pendant 20 minutes environ, c'est une ronde infernale, ahurissante, assourdissante, ponctuée de nombreux éclatements de bombes. Les chars répondent énergiquement en prenant les avions sous le feu de leurs mitrailleuses de tourelle. Un Stuka s'abat en flammes et la ronde infernale prend fin. De nombreuses bombes ont éclaté, percutant sur le blindage des chars sans en endommager aucun ; la preuve est faite de la qualité de leur blindage.

Deux des équipages des chars manifestent bruyamment leur joie.

Clermont-les-Fermes ayant été exploré en détail et net­toyé, la mission de l'Escadron mis à la disposition de la Division Cuirassée est terminée.

A 17 heures, le Capitaine de Largentaye, adjoint au Chef de Corps du 2e R.D.P., est envoyé en A.M.R. porter l'ordre de repli au détachement Royère.

Le Capitaine de Largentaye ayant mis pied à terre essuie des coups de feu d'Allemands isolés et abat au revolver un adversaire trop entreprenant.

Il est 18 heures lorsque le Capitaine de Royère, après s'être prudemment assuré du concours de deux chars H 39 donne l'ordre de revenir vers Liesse. Le retour s'opère non sans peine sous la protection et avec le concours des deux chars et des A.M., parce que certains éléments allemands sortis sains et saufs de la brutale attaque des chars du matin se sont ressaisis et reformés sur les arrières de la colonne. Ils cherchent à lui couper sa route de retour. Il n'est pas trop des deux H 39 et des A.M. pour rompre leur barrage et réduire leur résistance dans laquelle s'affirme un mordant et un esprit offensif impressionnant.

Les Dragons trouvent le pont sur le canal, occupé par les chasseurs du 4e B.D.P. arrivé un peu tardivement à Liesse et dont les éléments procèdent au nettoyage des marais avoisinants où se cachent encore quelques fantassins alle­mands isolés et terrorisés par l'enfer de feu qui s'est dé­chaîné sur eux quelques heures auparavant.

Après avoir remis ses prisonniers, comme convenu, au Commandant du 4e B.D.P. qui les prend en charge pour la 4e D.C.R. l'Escadron rejoint Marchais, mission terminée avec succès, ramenant indemnes tous ses combattants et tout son matériel.

Une fois de plus, dans cette mission aussi dangereuse que délicate, les deux Capitaines des Escadrons A.M.R. Moto ont affirmé leur incontestable maîtrise.

En leur confiant leur mission, le Colonel de Gaulle n'avait pas caché aux Capitaines Commandants, tout ce qu'elle avait de périlleux. Grâce à la prudence et à l'habileté de leurs chefs, les deux Escadrons d'accompagnement rame­naient au complet hommes, A.M.R. et motos.

Modestes comme à leur habitude, les Capitaines (le Beau­mont et de Royère reportent tout le mérite de ce succès sur leurs admirables chefs de pelotons dont le sang-froid et la bravoure ont galvanisé les dragons sous leurs ordres.

Au cours de ces opérations, nous avons fait un certain nombre de prisonniers que l'Officier de Renseignements du 2e Dragons interroge. La plupart craignaient d'être fusil­lés. On avait l'impression que c'était une chose qui leur était dite quand ils partaient pour le front et ceci afin d'évi­ter les désertions. L'Allemand combattant de 1940 n'était plus du tout le même que celui de 14-18. D'aspect plus spor­tif, il avait pris le type anglo-saxon : souple, tout en mus­cles, élancé, bien équipé, il avait perdu toute la lourdeur et le manque d'initiative du soldat allemand de 14.

Son endurance et son amour de la Patrie allaient en faire pour nous un terrible adversaire.

VI     LAON (18-20 Mai)

Le 18 Mai, le Général Touchon donne l'ordre à la 3e D.L.C. de s'installer sur la ligne Crépy-en-Laonnais, Athies-sous-Laon pour couvrir l'installation de la 28e D.I. sur le canal de l'Ailette.

Un Bataillon du 2e R.D.P. va se porter sur Athies, l'autre sur le faubourg d'Ardon, barrant la direction Laon-Sissonne. Ces deux Bataillons seront appuyés par les feux du 72e R.A. (région Lierval-Montbérault). Laon est tenu par une garnison formée des éléments locaux. Le P.C. du régiment est à Bruyères.

Près de Longueval, un avion Dornier en difficulté se pose doucement au sol. Trois aviateurs sont tombés en parachute et sont faits prisonniers par les Dragons de l'E.H.R. du 2e Dragons sous les ordres de l'adjudant Chipeaux. Les autres aviateurs étaient restés dans la carlingue, dont un, revolver au poing. Ce dernier est assommé par le Dragon Delorme à coups de crosse. Ce Dragon bondit dans la carlingue et désarme les deux aviateurs encore à bord.

1er BATAILLON. - Vers midi, le Bataillon reçoit l'ordre de se porter sur Laon.

A 15 heures, le Bataillon arrive dans le faubourg d'Ardon à Laon et organise une première position défensive.

Bruyères au S.E. est occupé par le 10e Cuirassiers qui doit attaquer le lendemain. Rien ne se passe dans la soirée et dans la nuit.

Toute la journée, on entendra au N.E. de Laon une violente fusillade et un bombardement intense.

2e BATAILLON. - Le 18 Mai à 6 heures, le Capitaine Thoreau a pris la liaison avec le Colonel de Gaulle, commandant la 4e Division Cuirassée.

Deux pelotons A.M.D. et deux pelotons Sides du 10e Cuirassiers blindés ont traversé Marchais à 6h45.

De nombreux avions de bombardement allemands passent au-dessus de l'observatoire du régiment.

Au début de l'après-midi, le bataillon reçoit l'ordre de décrocher de Marchais four s'en aller tenir Athies-en-Laonnais, village situé derrière la forêt de Samoussy et, comme Liesse, à cheval sur la route de Laon, qu'il s'agit d'interdire à l'ennemi.

Mais la situation se complique du fait qu'à 500 mètres au Sud du village, passe la voie de chemin de fer allant de Reims vers Laon, et la route Nationale 4 venant de Châlons-sur-Marne.

L'Escadron Royère ayant une sonnette d'alarme au carrefour d'Eppes et de la N. 44, établit un bouchon au croisement de la N. 44 et de la route d'Athies.

Les Escadrons Montille et Clavel organisent la défense d'Athies ; le village se présente aussi mal que possible. C'est une longue rue bordée de maisons dont les jardins sans clôture vont se perdre dans les champs.

Chaque jardin représente donc un axe de pénétration possible, une sorte de cloisonnement à surveiller et étant donné le régime des haies qui les séparent, il est impossible de songer à en interdire l'accès à une troupe d'infanterie suffisamment nombreuse et décidée.

Le Bataillon établit son P.C. sur une grande place plantée d'arbres en quinconces dans la partie Sud du village.

La soirée et la nuit du 18 au 19 Mai se passent sans incident.

Vers 18 heures, un avion de bombardement allemand vient atterrir tout prêt de la forêt de Samoussy. Le Capitaine Thoreau qui se trouve à ce moment là avec son side au P.C. de l'Escadron Royère, part à sa recherche avec un groupe de combat, mais arrive quelques minutes trop tard ; les aviateurs ont été appréhendés par les équipages des chars après une courte mais violente escarmouche.

Pentecôte 1940, 19 mai. - A 6h45, à la suite de l'ordre de la Brigade, le P.C. du régiment se porte à la sortie S.E. de Clacy et Thierret. C'est dans cet endroit que, pour Célébrer la Pentecôte, nous assistons sous une sorte de hangar à une messe bien émouvante dans sa simplicité. De la verdure et des boules de neige décoraient l'Autel, formé d'une simple planche.

Le Père Forestier, Aumônier Général des Scouts de France, un de nos aumôniers divisionnaires, célébrait la messe. Il nous dit deux mots pleins de coeur qui nous firent du bien à tous. Puis, après avoir donné l'absolution générale, il distribua les Saintes Hosties à ceux qui désiraient communier... Au dernier évangile, 25 bombardiers allemands sont passés au-dessus de nous, presque en rase-mottes, sans lâcher une bombe...

1er BATAILLON. - Le 19 Mai, vers 7 heures, le Chef d'Escadrons L'Hotte, accompagné du Lt-Colonel de Villers arrive au P.C. du Bataillon et donne verbalement de nouveaux ordres. Le groupement Van Aertselaer reste sur les mêmes positions, mais au lieu d'être sur la rive Sud du ruisseau face au Nord, il passe sur la rive Nord face au Sud. Quant au groupement Farnier, il s'installe aux sorties N. et N.E. du faubourg d'Ardon vers le passage au-dessus de la nouvelle route.

Le P.C. se fixe dans la propriété Le Castelet. L'Escadron de Beaumont reste en réserve et défense du P.C.

La Pentecôte est célébrée au Bataillon par une messe dite par le Père Galtier, le sympathique Brigadier-infirmier de cette unité, dans une baraque Adrian au Sud du ruisseau sur la route du Champ de Courses. Chacun sentait la gravité de l'heure et la prière n'en était que plus fervente.

A 15 heures, Laon est violemment bombardé par plusieurs vagues d'avions. L'ennemi attaque sur Chambry tenu par le 4e B.C.P. (infanterie portée de la Division de Gaulle).

Dans l'après-midi, le Bataillon reçoit l'ordre d'occuper le carrefour situé sur la route Nationale à 500 mètres de la sortie Est de Laon, de se couvrir à l'Est (groupement Farnier) et au Sud (groupement Van Aertselaer).

Vers 17 heures, une conduite intérieure Peugeot 402 ayant comme passagers des hommes habillés en Officiers français, vient de Laon vers Bruyères et repasse en tirant des coups de mitraillettes sur des hommes du 3e Escadron. Cette même voiture sera vue par le Capitaine de Beaumont à 5 heures le lendemain dans la cour même du Château du Castelet où se trouvait le P.C. du Bataillon. Elle ne fit que traverser cette cour. A n'en pas douter, elle transportait des hommes de la 5e colonne.

Durant la nuit, on entend des rafales de mitrailleuses en direction N.-N.E.

Vers minuit, se présente au P.C. du Bataillon, un Colonel d'Artillerie dont le régiment a été anéanti par l'aviation ennemie à la tombée de la nuit au Nord de Laon.

Le 20, au lever du jour, le Capitaine de Largentaye du P.C. du Régiment vient se rendre compte de la situation. A 8h15, le Commandant Henriet reçoit l'ordre de pousser le bouchon Labey sur ses emplacements de la veille.

Avant d'exécuter l'ordre, il fait reconnaître

1° Laon par le Maréchal-des-Logis Cornet et le Brigadier Auger, motocyclistes.

2° L'itinéraire que doit suivre le détachement Labey par une patrouille A.M.R. (Lieutenant Dautigny).

3° Bruyères, par deux motocyclistes.

Le Maréchal-des-Logis Cornet est reçu par le feu ennemi au premier carrefour (un coup de fusil). Il s'agit de savoir si c'est un tireur de la 5e colonne ou bien un tireur de l'armée régulière.

Le Commandant Henriet arrête la patrouille Dautigny sur le point de partir et changeant sa mission, la charge de reprendre celle du Maréchal-des-Logis Cornet. Elle est accueillie par le feu d'armes automatiques et de deux armes antichars. Laon est donc occupé en force par l'ennemi. La troisième patrouille revient de Bruyères et signale qu'il n'y a plus aucun élément français dans ce village. Au même moment, le Bataillon est attaqué et l'on aperçoit un drapeau à croix gammée flottant sur la citadelle. Il est 9h05.

Devant un ennemi qui occupe des positions dominantes avec des postes d'observation magnifiques, la situation du Bataillon n'est pas très brillante, mais chacun est prêt à faire son devoir jusqu'au bout. La pression de l'ennemi s'accentue, il attaque furieusement avec des engins blindés et des armes automatiques le point d'appui Farnier. Le P.C. du Capitaine Farnier, atteint par des balles incendiaires, brûle.

Malgré la fusillade qui fait rage, des conducteurs sans souci du danger, sortent les voitures " tout terrain " du brasier pour les reporter un peu plus en arrière. Malgré des prodiges de courage et de persévérance, deux T.T. sont gagnées par le feu, l'une d'elles, chargée de mines, saute. Mais les Dragons ne bougent pas d'un pouce et le Capitaine Far­nier, calme comme à une manoeuvre, continue de son nou­veau P.C. à donner des ordres, communiquant son tranquille courage à sa troupe qui résiste magnifiquement.

Le canon de 47 du Sous-Lt Boucher fait mouche presque à tous coups sur les chars ennemis qui se présentent, mais bientôt, ce jeune officier dont la bravoure n'avait d'égale que la modestie, tombe, mortellement frappé par une balle ; un des pourvoyeurs tombe à son tour.

Des vides se creusent dans les rangs du Bataillon et la situation devient critique car l'ennemi étend son attaque sur la gauche du Bataillon, et là, il y a exactement un seul F.M. à côté du cimetière ; pour l'arrêter c'est peu...

S'il atteint la route qui va au Faubourg de Leuilly, le che­min de repli du Bataillon sera coupé. Le Commandant Hen­riet envoie un compte rendu au P. C. du Régiment.

Sur le reçu de ce compte rendu, la Brigade donne l'ordre de replier le Bataillon Henriet. C'est encore le Capitaine de Largentaye qui ira porter cet ordre à ce Bataillon dans des conditions périlleuses.

A 9h15, le Bataillon reçoit l'ordre de repli, il doit l'exé­cuter sous la pression de l'ennemi qui s'est beaucoup appro­ché de la route du Faubourg de Leuilly qu'il prend sous le feu de ses armes automatiques et de ses mortiers.

A signaler la bravoure d'un Caporal-Chef du Génie divi­sionnaire mis à la disposition du Capitaine de Beaumont, qui fit sauter, à la dernière minute, et sous le feu ennemi, le pont sur le ruisseau au Sud du Faubourg d'Ardon.

Le Commandant Henriet se porte, avec le groupement Farnier, au Faubourg de Leuilly où le Bataillon doit consti­tuer un nouveau bouchon durant une heure environ. Il laisse au Capitaine Goyet le soin d'assurer le décrochage des élé­ments restants du Bataillon, en particulier du groupement Van Aerfselaer.

Une partie de ce groupement peut encore emprunter la route qui longe le cimetière et se dirige sur le Faubourg de Leuilly, mais lorsque se présentent les éléments sous les ordres de l'Adjudant Désidéri, il devient impossible, sans risquer de grosses pertes, de faire passer une colonne par cette route où seules se maintiennent encore les A.M.R. du Capitaine de Beaumont qui couvrent le mouvement de repli avec leur bravoure coutumière.

La colonne passe alors par le Parc du Château où se trouve le P.C. du Bataillon et à l'abri des murs de la propriété que continuent à défendre les téléphonistes, les chiffreurs, les radios, les agents de liaison de l'E.M. avec leurs seuls mousquetons, les derniers éléments du Bataillon peuvent gagner le Faubourg de Leuilly.

Le décrochage se fera cependant sans trop de mal, grâce à l'activité manoeuvrière des A.M.R. et motos de l'Escadron qui, après avoir protégé le mouvement de l'Escadron Farnier, assurent la sécurité du décrochage de l'Escadron Van Aertselaer et du P.C. du Bataillon dont les éléments de transmission en particulier sont toujours au Castelet.

A ce moment, la situation des hommes de l'E.M. est devenue critique ; l'ennemi réussit à aborder les murs du Castelet au moment où leur petite colonne se forme pour se replier et traverse le parc pour essayer d'atteindre le Faubourg de Leuilly à son tour.

Un obus frappe de plein fouet la camionnette des transmissions dont le conducteur est blessé. Le motocycliste Subtil retourne, avec un cran admirable, le chercher pour le ramener dans son side-car, alors que l'ennemi n'est plus qu'à quelques mètres. Le bombardement se fait plus intense, un chiffreur et un radio sont blessés.

Lorsque le Capitaine de Beaumont qui commande l'arrière-garde voit arriver ce groupe, alors qu'il était persuadé qu'il n'y avait plus d'éléments amis derrière lui, il est resté abasourdi et fait de grands gestes au Capitaine Goyet pour lui signaler de se replier plus vite car il n'y a plus une minute à perdre.

Au faubourg de Leuilly, le Commandant Henriet, après avoir craint le pire, pousse un soupir de soulagement en voyant arriver les éléments de son E.M. ; un nouveau bouchon est organisé par le groupement Farnier pendant que le reste du Bataillon continue son mouvement de repli sur le canal de l'Ailette.

Le décrochage du Bataillon, fait dans le plus grand ordre a duré environ trois quarts d'heure. Une arme antichars ennemie et deux armes automatiques ont pu être réduites au silence par le feu ajusté de nos A.M.R.

Le Capitaine Farnier reçoit l'ordre de tenir Leuilly une heure : il tiendra. Héroïquement, devant un ennemi bien supérieur en nombre et particulièrement mordant, ses hommes s'accrochent ; plusieurs tombent, frappés à mort, nombreux sont les blessés.

Le Sous-Lt Tavernier qui, depuis les premières heures du matin, combat sans arrêt, tombe grièvement blessé. Le Capitaine Farnier, lui-même, dont le courage est légendaire au Bataillon, a la tête fracassée par un éclat d'obus. En pleine bataille, le médecin Wangermée viendra relever et emmener à l'arrière le corps de cet Officier qui aura rempli sa mission jusqu'à la mort.

Le Lt Labey a pris le commandement du groupement après la mort du Capitaine Farnier et rejoint le gros vers midi, à Pargny, derrière le canal de l'Ailette où une défense s'organise. L'Escadron Beaumont, malgré sa fatigue, prend à sa charge la défense du Pont de Savigny soutenu par deux chars B " Condé " et " Duguesclin ", un Somua et quelques éléments du 17e d'Infanterie. Il assure avec ses A.M. et ses motos la sécurité de cette compagnie. L'artillerie de la Division est déployée au Sud de l'Ailette.

Le 21, le Lt Dautigny prend le commandement du 2e Escadron.

Il est intéressant de signaler, en terminant le récit de la bataille de Laon, que la situation très critique du 1er Bataillon, pris dans son flanc gauche et ses arrières sous le feu de nombreuses armes automatiques, a été remise d'aplomb

1° par le sang-froid et la discipline des éléments fusiliers et mitrailleurs restés constamment dans la main de leurs chefs ;

2° par la précision du tir, et la manoeuvre exécutée dans l'ordre le plus parfait, des éléments A.M.R. motos.

Ces éléments n'ont eu qu'un blessé (motocycliste) et deux A.M.R. trouées, sans aucun mal, ni pour le personnel, ni pour les voitures.

Le calme des conducteurs, la décision rapide et bonne des chefs de voitures, la vitesse prise dans les bonds, ont en partie assuré le succès d'une mission délicate accomplie pour ainsi dire sans pertes malgré le feu nourri de l'adversaire.

Le feu des motocyclistes, des A.M.R. et des canons de 25, ont maintenu en respect les blindées allemandes et ont retardé l'ennemi.

2e BATAILLON. - Le 19 Mai, vers 7 heures, des hommes appartenant aux Services de la 4e D.C.R., arrivent à Athies, exténués. D'après leurs déclarations, de nombreuses infiltrations allemandes se sont produites pendant la nuit, dans la forêt de Samoussy, dans la direction de laquelle nous avons entendu effectivement de nombreuses détonations. Ceux des chars ont passé la nuit, enfermés dans leurs chars, mais de nombreux hommes appartenant aux services et qui, de ce fait, n'avaient pas la ressource de se calfeutrer à l'abri des puissants blindages des chars, auraient été tués ou blessés.

A 9 heures, le Bataillon reçoit l'ordre de quitter Athies, pour aller occuper Classy et Thierret au sud-ouest de Laon, tandis que le 1er Bataillon tiendra le faubourg d'Ardon au sud de Laon.

Le Bataillon traverse Laon vers 10 heures, sans incident, malgré un bombardement intermittent.

Pendant que les Escadrons Clavel et Montille organisent la défense de Clacy et Thierret, un P.A. est établi sur la grande route de Paris.

L'Escadron Royère établit son gros aux lisières Nord de Mons-en-Laonnais.

En fin de journée, la patrouille Hueber de l'Escadron Royère va reconnaître Molinchart et Bucy-les-Cerny. Au moment d'aborder Bucy-les-Cerny, elle remarque que l'entrée du village est fermée par une puissante barricade... Comme à son habitude, quand il flaire un danger possible, le Sous-Lt Hueber laisse ses hommes au tournant de la route et s'avance seul vers la barricade.

Ce sont des éléments d'un Régiment d'artillerie qui, sans nouvelles de leur grande unité depuis quelques jours, oubliés là et ayant perdu toute liaison avec elle, ont organisé le village en P.A. et attendent.

En revenant, à la tombée de la nuit, par Laniscourt, la patrouille Hueber essuie quelques rafales de mitrailleuses et quelques coups de canon de petit calibre, sans subir aucune perte... cet incident reste inexpliqué !

Entre temps, vers 16 heures, plusieurs avions de bombardement allemands sont venus tourner en cercle, à basse altitude, au-dessus des éléments de la 13e B.L.M. et du P.C. du Régiment, en les mitraillant copieusement. Sans aucune exception, toutes les mitrailleuses, tous les F.M. et même les fusils leur répondent, auxquels se joint presque instantanément le tir rapide de la batterie de D.C.A. de 25 mm de la Division. Trois avions semblent nettement touchés, l'un d'eux est forcé d'atterrir dans la zone même de stationnement de la Brigade et son équipage est fait prisonnier par le P.C. du régiment.

Vers 16h30, les restes d'un groupe de 75 tractés traversent le village. Il ne lui reste que cinq pièces sur douze. Tout le reste a été détruit vers 15 heures par un bombardement aérien alors qu'il venait de se mettre en batterie.

La nuit du 19 au 20 est calme.

Le 20, au début de la matinée, commence le bombardement de Laon.

L'ordre de décrochage arrive ; toute la Division doit se replier par échelon sur l'axe Laon-Soissons derrière le canal de l'Ailette.

A 11 heures, les derniers éléments du Bataillon ont franchi le canal de l'Ailette à Chavignon.

Le pont sur le canal saute alors que l'Escadron Royère se trouve arrêté en entier sur la route de Paris, entre le pont du canal et l'entrée de Chavignon ; à cet endroit, la route est large, bordée d'arbres et très droite.

A peine la fumée de l'explosion et la poussière des gravats sont-elles dispersées, que le tac-tac caractéristique d'une mitrailleuse lourde allemande se fait entendre.

Effectivement, quelques secondes à peine avant l'explosion, on a pu voir arriver à petite allure sur la grande route une camionnette civile précédée d'un motocycliste. Ils se sont arrêtés à quelques centaines de mètres du pont, et sans perdre de temps, ils ont profité du masque créé par l'explosion pour mettre leur mitrailleuse en batterie.

La section d'infanterie qui garde le pont et ses abords restant sans réaction, absolument hébétée, le Capitaine de Royère ne fait qu'un bond jusqu'à elle et, avec son dynamisme habituel, commande le feu, en même temps qu'il fait rapidement dégager son Escadron qui se trouve juste dans l'axe de tir de la mitrailleuse.

Vers 14 heures, le Bataillon se déplace en direction du Sud. Il passe, le coeur serré, près du Moulin de Laffaux, puis traverse Bucy-le-Long, Venizel, pour venir stationner dans la région d'Arcy-Ambrief.

Dans l'après-midi du 21 Mai, le 2e Bataillon reçoit en renforcement, le peloton du Sous-Lt Crespin de l'E.D.C.A.C. Il le conservera jusqu'au 1er Juin, date à laquelle ce peloton sera mis à la disposition du 6e Dragons.

Quelle meilleure conclusion donner à ce chapitre que les quelques lignes suivantes extraites du "Journal de Marches de la Division"

" Les opérations de la 3e D.L.C. à la VIe Armée sont terminées. Elles auront revêtu un caractère très particulier.

" Retirée de la 3e Armée après les opérations en Luxembourg et à Longwy, sans avoir bénéficié d'une seule journée de repos, réduite à ses seules unités motorisées, la 3e D.L.C. est portée par un mouvement d'une amplitude inusitée, en Champagne.

" La IXe Armée, en pleine débâcle, la route de Paris est ouverte...

" Complètement isolée dans l'espace, menacée sans cesse sur ses flancs et ses arrières, la 3e D.L.C. n'a de renseignements sur l'ennemi que ceux qu'elle peut se procurer elle-même, au prix de lourdes pertes parfois. Le R.A.M. en fait à Dizy-le-Gros la cruelle et glorieuse expérience.

" Pendant 4 jours, conjuguant tant bien que mal son action avec celle de la 4e D.C.R., à laquelle elle viendra deux fois en aide, la Division livrera au N. de l'Ailette, dans une position aventurée et sans cesse en cours de modifications, des combats sporadiques.

" Au cours de ces opérations qui revêtent en premier chef le caractère d'actions de cavalerie, tous ses éléments déjà parfaitement aguerris continueront à faire preuve d'un sang froid, d'une énergie combative et d'un courage remarquables.

" Lorsque, dans la journée du 20 Mai, la Division repassera, sur ordre, au Sud de l'Ailette, celle-ci sera déjà garnie par les Divisions d'Infanterie qui auront pu disposer du temps nécessaire pour leur mise en place.

" La trouée ouverte par la disparition de la IXe Armée est colmatée... »

VII     PREMIÈRE BATAILLE DE LA SOMME (24-31 Mai)

A 20h30, nous prenons la liaison à Hornoy (Somme) avec le Lt-Colonel anglais, commandant le 4e Bataillon du Border Regiment (unité territoriale). Il se dirige vers Ai­raines où il doit prendre contact avec son général de bri­gade entre 23 heures et minuit.

Son bataillon devait arriver par camions à la même heure à Lincheux. Le Colonel signale la présence d'élément, allemands à Fourdrinoy, Ferrières et Saveuse.

Le 25, deux Officiers anglais passent à notre P.C., ils viennent de Doullens où leur Bataillon qui tenait un front de 6 km avait été complètement entouré par les Allemands.

Ils se sont dispersés avec leurs hommes. Ces deux offi­ciers et sept hommes ont pu franchir la Somme en canot entre Breilly et Ailly. A Ailly, il n'y aurait que quelques Allemands cachés dans les maisons.

Les officiers ont traversé Ferrières entre 6h30 et 7 h. Ferrières ne serait pas occupé par les Allemands. A Clairy, par contre, ils signalent la présence d'une patrouille alle­mande.

A partir du Vendredi 24 Mai, le Régiment pour la Pre­mière Bataille de la Somme qui se situe du 24 au 30 Mai est réparti en deux groupements : un sous les ordres du Lt-Colonel de Villers, commandant les restes du 3e R.A.M., l'autre sous les ordres du Commandant L'Hotte, comman­dant le 2e R.D.P.

Le fractionnement du Régiment pouvant créer des diffi­cultés graves pour le ravitaillement, les évacuations et la cohésion du Régiment, un " Poste de correspondance " est organisé à Poix par les pionniers sous les ordres d'un Maré­chal-des-Logis.

Celui-ci assurera la liaison entre le 2e Bataillon et le P.C. du Régiment, entre ceux-ci et les Trains et Echelons lourds. Ce poste, malgré les bombardements auxquels il fut exposé, assura d'une façon parfaite du 24 au 28 Mai, l'orien­tation de chaque élément.

De plus, il servit de centre de renseignements bien utiles aux unités qui se trouvaient dans la Région.

Le Stationnement au S.E. de Soissons ne fut pas de longue durée.

Dès le lendemain de l'arrivée, vers 18 heures, le 22 Mai, un grand mouvement vers l'Ouest était amorcé.

La 3e D.L.C. avait été mise le 21 Mai à la disposition de la VIIe Armée (Général Frère) et devait faire mouvement sur Beauvais malgré son grand état de fatigue.

Mais il fallait faire vite pour tâcher d'exécuter au mieux l'Ordre général N° 16 ainsi conçu

" En raison de la situation générale, la manoeuvre de la VIIe Armée présente une importance capitale. Elle peut avoir des résultats décisifs. Si la VIIe Armée réussit à déboucher en direction de Bapeaume, la liaison avec le C.A.T. sera rétablie et les divisions blindées allemandes, coupées de leurs bases, tomberont entre nos mains. Ce fait constituera pour l'ennemi un échec matériel et moral qui aura d'importantes répercussions sur le sort de la guerre.

" Pour que la manoeuvre de l'Armée réussisse, il faut qu'elle s'exécute avec le maximum de rapidité pour surprendre les gros rassemblements ennemis.

" Cette rapidité dans l'exécution, qui est la base du succès a entraîné et entraînera encore pour les troupes, des fatigues extrêmes.

" D'autre part, notre manoeuvre provoquera des réactions de l'adversaire, qui cherchera à briser l'étreinte. Ces tentatives doivent avorter si tout le monde est bien convaincu que l'on ne doit plus reculer nulle part quoi qu'il arrive. Partout où l'on sera attaqué, il faudra tenir à tout prix. Partout où l'on attaque, il faut avancer.

Il est indispensable que le Commandement à tous les échelons explique aux troupes le but de la manoeuvre, son intérêt vital pour l'avenir du pays et la nécessité impérieuse de tout mettre en oeuvre pour assurer son succès quels que soient l'extrême fatigue du personnel, l'usure du matériel, les sacrifices à consentir... "

Notre Régiment reprenait donc la route et allait rouler toute la nuit du 22 au 23, les 23 et 24 Mai, pour atteindre Hornoy à la tombée de la nuit et prendre le premier contact avec les troupes anglaises.

Nous traversons Pierrefonds et Compiègne. Tout le quartier autour de l'Hôtel de Ville n'est plus qu'un amoncellement de ruines. Seule, émerge, debout sur son socle, l'épée vengeresse à la main, intacte au milieu des décombres, la statue de la Sainte de la Patrie : Sainte Jeanne d'Arc. Nous lui demandons de protéger la France et de sauver encore une fois notre cher Pays.

Le Régiment s'arrête à Lachelle (8 km de Compiègne).

Le Commandant L'Hotte rassemble les Chefs de Bataillons et leurs adjoints à la Briqueterie pour leur donner ses ordres. Il est deux heures du matin. A l'aube naissante de ce Jeudi 23 Mai, jour de la Fête Dieu, le Régiment reprend la route Rémy-Clermont... étape rendue extrêmement pénible et difficile par les colonnes de réfugiés qui encombrent les routes et y créent d'invraisemblables embouteillages... Nous traversons Mouy dont la gare est en flammes.

Le Régiment se divise en deux colonnes à Songeons.

La colonne Est est formée du 2e Bataillon qui empruntera l'itinéraire Marseille-en-Beauvaisis, Grandvilliers, Poix.

La colonne Ouest formée du 1er Bataillon passe par Formeries, Lignières, Hornoy.

Nous étudierons successivement le travail accompli par ces deux groupements. La mission de la division est d'occuper la Somme de Longpré-les-Corps-Saints à Ailly-sur-Somme (ces deux localités incluses).

I. - Groupement Villers

Au reçu de l'ordre de la Division, le 23, le Colonel de Villers se porte d'un seul bond sur Camps-en-Amiennois, sous la protection de l'Escadron Weygand du 3e R.A.M.

Après cette étape de 80 km. le dispositif pour la nuit est le suivant : P.C. du Colonel de Villers à Camps-en-Amiennois, le gros du groupement à Camps, Lincheux, Aumont (Escadron de Royère), les éléments de couverture à Warlus et Molliens-Vidame (P.C. Weygand).

D'après les premiers renseignements obtenus dans la région, des éléments motocyclistes ennemis sont au Sud de la Somme et sont venus patrouiller dans la journée jusqu'à Molliens-Vidame. Des Britanniques occupent Camps.

Les renseignements donnés par ceux-ci montrent que la situation sur la droite, entre Picquigny (sur la Somme) et Cavillon, est toujours confuse. La position de l'ennemi ne peut être précisée ; il aurait établi une tête de pont importante à Picquigny ?

Le Colonel de Villers décide de s'installer provisoirement sur une ligne : Warlus, Montagne-Fayel, Riencourt. L'artillerie, dans les bois Nord-Ouest de Molliens-Vidame.

Dans la journée, le 9e Lanciers Britannique et le Boarder Régiment attaquent en direction de Picquigny et se retirent en arrière de nos lignes, dans la soirée, après avoir subi des pertes en hommes et en chars.

Le 25 Mai, le Colonel de Villers est prévenu que le 2e R.D.P. se porte à sa droite. Etant ainsi couvert sur sa droite, le Colonel décide de se porter sur la Somme et donne l'ordre d'atteindre les passages de la Somme à Longpré-les-Corps-Saints et Condé-Folie.

A 9 heures, le groupe Weygand, parti de la route Airaines-Soues, ayant comme objectif le pont de l'Étoile, atteint les bois à l'Est de Bettencourt-Rivière. Les Dragons progressent entraînés par le Capitaine Weygand.

A 11 heures, l'Escadron de Beaumont occupe Longpré-les-Corps-Saints et prend contact avec des éléments du 3e R.D.P., de la Division Berniquet.

Le Capitaine Van Aertselaer organise d'une façon remarquable le village de Condé-Folie pour empêcher toute infiltration et arrêter même toute avance de chars. L'ennemi, très actif de son côté, pousse en avant de très nombreuses patrouilles, arrêtées aussitôt par nos tirs.

Pendant cinq jours, l'Escadron Van Aertselaer empêchera toute infiltration.

A sa droite, le Lt Rouzée du 3e R.A.M., avec un peloton de l'Escadron Van Aertselaer et un G.M., occupe le plateau dominant les deux ponts du chemin de fer. L'ensemble est sous les ordres du Commandant Henriet, dont le P.C. est dans le Bois-Carré (Est de Bettencourt-Rivière).

Le groupe de 75, bien renseigné par les Dragons qui ont un bon poste d'observation, tire sans interruption sur toutes les routes qui, du Nord, se dirigent vers l'Étoile et sont utilisées par l'ennemi pour amener des renforts.

Toute la soirée, tir d'artillerie ennemie sur les nouvelles positions occupées.

Le 26 Mai, grande activité de l'aviation ennemie. Des mouvements de troupes ennemies sont signalés dans la soirée du 25 et le 26 au matin au nord de la Somme.

Longpré et Le Quesnoy sont bombardés.

Le Colonel de Villers prescrit : " Des reconnaissances seront envoyées sur la Somme pour vérifier si les ponts de Le Catelet, Condé-sur-Folie et ceux du chemin de fer sont ou non détruits et s'ils sont fortement occupés. »

Le groupe de 75 est poussé au Nord de Le Quesnoy pour être en mesure d'appuyer des reconnaissances et de prendre sous son feu les voies d'accès vers la Somme.

A gauche : A Le Catelet, une première patrouille de l'Escadron Beaumont (2e D.P.) s'engage sur la chaussée conduisant à la Somme. Elle est arrêtée par des tirs de mitrailleuses. Une deuxième patrouille dirigée par le M.d.L. Maillet avec le Brigadier Riantec et le dragon Le Goff, est envoyée ; l'ennemi la laisse avancer et ouvre le feu. Un homme est tué les autres doivent se jeter à l'eau et rentrer par les marécages. Il est impossible d'approcher des postes ennemis fortement installés et dont les tirs sont bien réglés. A plusieurs reprises, le village de Longpré est violemment bombardé.

Au centre : De l'Escadron Van Aertselaer, plusieurs reconnaissances essaient, sans succès, de s'avancer en direction de l'Étoile. La chaussée est rectiligne, bordée de marécages ; des postes ennemis, bien à l'abri, avec des armes automatiques, empêchent toute infiltration. Il est pourtant remarqué que le pont est praticable à des piétons, puisque des patrouilles ennemies essaient, à leur tour, de reconnaître Condé-Folie.

A droite : L'ennemi est solidement installé au Sud de la Somme sur les deux branches de la voie ferrée. Il prend sous son canon et sous ses armes automatiques les abords Sud de ce pont. Le Lt Rouzée du 3e R.A.M. renforcé par un peloton de l'Escadron Van Aertselaer, ne peut s'approcher du pont ni le reconnaître et s'établit sur les pentes Nord du plateau sans avoir de bonnes vues ; le pont ne semble pas détruit.

Dans la soirée, des mouvements sont signalés sur le pont. Une concentration de feux est immédiatement déclenchée au Sud du pont par les mortiers du 2e D.P. et les armes automatiques, au Nord du pont par le groupe de 75.

Le 27 Mai, situation inchangée. Bombardements ennemis intermittents sur Longé notamment et sur Condé-Folie et les positions d'Artillerie.

De nombreux mouvements de troupe sont remarqués au Nord de la Somme, de l'Ouest vers l'Est. Concentrations de troupes à l'Étoile et à Flixécourt.

Tirs de harcèlements ininterrompus de notre groupe de 75 sur l'Étoile et Flixécourt et des mortiers de 81 du 2e D.P. sur la sortie Sud des ponts de chemin de fer.

Dans la matinée, visite du Général Petiet au P.C. du Commandant Henriet.

Le soir, vers 20 heures, le Chef d'Escadrons de La Hamelinaye, du 4e Hussards arrive avec l'E.M. de son groupe d'Escadrons au P.C. du Bataillon pour préparer la relève du 1er Bataillon par son unité. Le Bataillon doit laisser sur place le réseau téléphonique installé par ses soins, les mines, les artifices et les cartes du secteur.

Le 28 Mai, l'Escadron Beaumont est relevé à Le Catelet par une unité de la Division Berniquet.

Le Commandant Henriet prend à son compte toute la défense de la Somme, de Longpré (inclus, non compris le pont du Catelet) aux ponts de chemin de fer de Condé. Il porte deux pelotons de l'Escadron Beaumont devant les deux branches du chemin de fer à sa droite, qui est le point difficile de son secteur.

Toute la journée, patrouilles le long du front, tentatives pour atteindre la Somme et tirs systématiques du 75 et des mortiers sur les voies d'accès au Nord de la Somme et sur les ponts du chemin de fer.

L'Escadron Weygand passe en réserve de Division.

Le 29 Mai, situation inchangée. Mêmes tirs incessants sur Flixécourt et le pont de chemin de fer où des mouvements sont constamment remarqués.

Le 30 Mai, vers midi, les premiers éléments du 4e Hussards arrivent et, dans la nuit du 30 au 31, ils relèvent les éléments du Bataillon qui occupe les points d'appui de Longpré, le Catelet et Condé-Folie.

Le 31 Mai, avant le jour, les groupements de Beaumont et Van Aertselaer décrochent et se regroupent dans la région Warlus-l'Arbre-à-Mouches.

Le reste du 4e Hussards arrive vers 15 heures et la relève a lieu vers 17 heures.

II. - Groupement L'Hotte

Dans la nuit du 23 au 24, le P.C. du Régiment est à Poix, à l'hôtel des Halles. C'est dans ce même hôtel que le lendemain se trouve le P.C. de la Division. Le 25 Mai, Poix est violemment bombardé par avions et l'hôtel des Halles, complètement détruit.

Le Vendredi 24, le Groupement L'Hotte quitte la région de Poix et atteint les villages de Revelles, Pissy, Bovelles, Briquemesnil. Ces localités sont organisées en P.A. fermés.

D'après les renseignements, la 2e D.L.C. doit venir s'aligner à la gauche des éléments en ligne de la 3e D.L.C.

En avant de nous se trouvent des éléments blindés anglais.

La 1st Armoured Division W doit s'emparer des ponts de la Somme entre Amiens et Abbeville et éventuellement pousser en direction de Saint-Pol.

Sur la droite du 2e Bataillon, à partir de la route Poix-Amiens, une Division d'Infanterie, coloniale appuyée par un Bataillon de chars doit attaquer face à Amiens, en direction Sud-Nord. Effectivement, l'attaque se développe et progresse d'une manière satisfaisante dans l'après-midi. La D.I.C. parvient jusqu'aux faubourgs Sud d'Amiens où elle vient se briser à un formidable barrage anti-chars et d'armes automatiques qu'elle ne peut ni enlever ni entamer.

D'une part, pour éclairer la droite du groupement en direction d'Amiens, d'autre part pour tâcher de prendre la liaison avec les coloniaux attaquant Amiens, le peloton Hallard est envoyé en reconnaissance à 12 heures puis à 16 heures en direction d'Amiens. La première reconnaissance poussée jusqu'à Saleux ne donne ni contact, ni liaison ; la deuxième disperse des éléments légers ennemis dans la région de Clairy et Guignemicourt. Aussitôt, la batterie de 75 prend ces groupements sous son feu et les disperse.

Le Commandant L'Hotte cherche en vain à monter une attaque dans cette direction avec les chars des Généraux anglais Mac Grévy et Evans ; mais ceux-ci, après de vagues promesses, se dérobent et, à 18 heures, abandonnent Ferrières et Bois d'Ailly.

La situation du 2e Bataillon, complètement découvert au Nord et à l'Est, étiré sur un large front de près de 10 km, exige de la part de tous, une vigilance et une activité que chacun met en jeu avec un dévouement remarquable sans souci des fatigues passées ou futures.

La nuit du 24 au 25 Mai est calme, rien à signaler.

Le 25 Mai, à la suite d'une visite du Général Petiet au P.C. du Régiment, le Bataillon est porté plus au Nord vers Briquemesnil-Saisseval-Bovelles. Vers la fin de la matinée, des éléments de chars anglais (Lanciers de la Reine) parviennent à nos positions qu'ils abordent en se défilant par bonds, très prudemment, tout comme s'ils s'attendaient à être reçus à coups de canon. Ils paraissent d'ailleurs surpris de trouver ces villages occupés par des éléments de Cavalerie française. Par groupe de cinq, trois petits et deux gros, les chars anglais stationnent longuement dans nos villages et tournent en cercle dans notre zone de stationnement...

Les chars anglais qui ont poussé des éléments sur le pont d'Ailly-sur-Somme et semblaient vouloir établir une tête de pont à Saint-Sauveur, abandonnent malheureuse­ment dans la soirée cette tête de pont, pour se retirer dans les bois entre Lincheux et Molliens-Vidame.

Le Dimanche 26 Mai, une demi-heure après l'arrivée du Commandant Larger à Seux, un détachement blindé anglais (deux chars moyens et trois légers) pénètre dans le village après avoir ouvert le feu sur le château d'eau où se trouvaient les observateurs du 2e Bataillon.

La Division ayant reçu l'ordre de venir border la Somme et de rejeter au Nord tout élément ennemi, les patrouilles A.M. Motos de l'Escadron Royère effectuent diverses reconnaissances vers le Nord-Est à Soues-Crouy-Hangest-sur-Somme... vers le Nord dans Picquigny où la défense ennemie établie au Nord de la Somme déclenche avec une rapidité et une violence inouïes, un tir extrêmement précis.

Le P.C. du Régiment qui avait occupé Fresnoy-en-Val, du 24 au 26 Mai, séjournera dans le vieux château délabré d'Oissy du 26 au soir au 28.

Toute la campagne environnante respire le printemps ; les cytises lui donnent une parure d or et les serinas embaument l'atmosphère. Après avoir mangé " des kilomètres et tué du boche ", il est bon de se reposer quelques instants dans ce coin perdu.

Le 27, vers midi, à la popote du Commandant du Régiment, nous venions de nous mettre à table, quand nous entendons des vrombissements d'avions. C'était une escadrille qui venait survoler le P.C. Nous restons dans la salle où nous prenions notre repas en tâchant de calmer de pauvres mamans affolées qui, entourées de leurs enfants et tenant leurs bébés dans les bras, ne savaient que faire. Une bombe tombe tout près de notre maison et la secoue violemment ; mais heureusement, pas de victimes graves à déplorer.

C'est à Oissy que les trois Escadrons viennent se regrouper pour une nouvelle mission; une Division d'Infanterie devant monter occuper le secteur tenu par notre Brigade motorisée.

Afin de renseigner le Commandement et de préparer les voies à l'Infanterie, le 2e Bataillon reçoit l'ordre d'envoyer une nouvelle reconnaissance dans Picquigny avec les missions suivantes

1° se rendre compte si la destruction du pont est suffisante pour empêcher le passage des chars ;

2° tenir Picquigny pendant tout le temps qu'une section du Génie nettoiera Picquigny de tous les pièges que les Allemands auraient pu y poser ;

3° faire explorer Ailly et le Bois de Neuilly par un peloton de Fusiliers qui le tiendra pendant qu'une section du Génie le nettoiera de ses pièges.

Ces missions sont confiées respectivement au peloton Thirion en ce qui concerne Picquigny et au peloton Hamelin en ce qui concerne le bois de Neuilly et Ailly. Le Capitaine de Royère coordonne l'ensemble. Il leur est adjoint à chacun une section du Génie..

L'approche des patrouilles déclenche un feu d'enfer de la part de la défense ennemie établie au delà de la Somme, tir extrêmement précis de l'Artillerie sur tous les carrefours, barrage très violent autour de Picquigny et sur la sortie Nord du bois de Neuilly, complétés par un tir de harcèlement dans le bois lui-même. Enfin, couronnant le tout dans le quart d'heure qui suit le déclenchement de la défense ennemie, intervient une escadrille qui, survolant à basse altitude Picquigny et le bois de Neuilly, attaque les patrouilles à la mitrailleuse et à la bombe.

Les deux patrouilles accomplissent remarquablement leur mission malgré le violent bombardement auquel elles sont soumises et qui les suivra longtemps jusque sur la route du retour. Elles rejoignent le Bataillon à Saisseval en fin d'après-midi en ramenant leurs blessés et un tué, et rapportant des renseignements précieux.

Le village d'Ailly est rempli de civils parmi lesquels de nombreux Belges. Le pont est mal sauté. Une échelle posée d'une part sur le tablier, d'autre part sur la chaussée, permet aux patrouilles allemandes de passer.

Chaque soir, des patrouilles de 10 à 15 hommes armés d'armes automatiques passent la nuit sur la rive gauche de la Somme.

De petits postes allemands sont établis de part et d'autre du chemin de terre allant de Saint-Sauveur au Camp Romain ; les guetteurs placés dans un terrain blanchâtre sont couverts d'une toile blanchâtre.

On observe nettement des ouvrages d'une certaine importance de chaque côté de la route allant de la Chaussée Tirencourt à Saint-Vaast-en-Chaussée. Ces ouvrages semblent axés vers l'Est.

De nombreux groupes de travailleurs s'échelonnent le long de la Chaussée-Brunehault sur laquelle on constate une active circulation de camionnettes, autos, motos.

L'ensemble donne l'impression d'un dispositif bien articulé en profondeur et en voie d'organisation, organisation qui semble poussée très activement.

A 20 heures, une note de service est envoyée par le Général de Division au Commandant L'Hotte demandant de communiquer directement à la 13e D.I. dont le P.C. doit être à Seux, tous les renseignements qu'il possède sur la région de Picquigny, le 60e R.I., faisant partie de cette Division, devant attaquer le lendemain matin dans ce secteur.

En raison de la mission de la Division maintenant appuyée à droite par le 60e R.I., le Groupement L'Hotte est porté vers le N.O. de village en village. Les divers éléments exécutent une véritable « marche de perroquet » occupant une localité dès que les reconnaissances l'ont reconnue libre et sans pour cela briser la cohésion du Bataillon. Cette manœuvre qui exige une grande souplesse des cadres et un gros effort de la troupe, conduite avec un mordant et un allant extraordinaires, amènera le 28, le Bataillon Larger à border la Somme après avoir balayé tous les éléments ennemis de la rive Sud.

Le Mardi 28 Mai, le P.C. du Bataillon est porté à Soues (P.C. du Régiment à Le Mesge). Le Bataillon tient les bords de la Somme depuis Hangest-sur-Somme jusqu'à Saint-Pierre à Gouy inclus : la mission est remplie.

Dans la nuit du 28 au 29, une patrouille allemande est venue reconnaître l'emplacement du détachement Clavel. Tir de harcèlement de notre Artillerie, sans riposte de l'Artillerie ennemie.

Jusqu'au Vendredi 31 Mai, le 2e Bataillon tient les bords de la Somme sans autres incidents que de brèves escarmouches entre patrouilles d'un bord à l'autre de la Somme et quelques accrochages plus sérieux avec des éléments légers allemands cherchant à traverser la Somme au petit jour.

Pendant toute la période de la Montée de la Somme, puis de la garde de cette rivière, les observateurs du Régiment et l'Adjudant-Chef Mye des Transmissions, organisèrent tout un système remarquable d'observations et de liaisons qui fut laissé au 6e Dragons.

Le 31 Mai, au P.C. de Le Mese, le Lt-Colonel Watteau, du groupe de reconnaissance de la 20e D.I. prend le commandement du 2e R.D.P., en remplacement du Lt-Colonel Perraud, évacué. Il prend les consignes auprès du Chef d'Escadrons L'Hotte, commandant provisoirement le 2e R.D.P.

Les lignes suivantes, écrites par notre Général de Division, et le texte de la Citation que vous allez lire, montrent la valeur du Chef que le 2e R.D.P. a eu l'honneur d'avoir à sa tête durant ces trois premières semaines de batailles.

Il trouvait le temps, en dehors de ses occupations militaires, de penser à tous ceux qui souffraient et de faire ce qu'il pouvait pour soulager leurs souffrances.

Au Luxembourg, il fit l'impossible pour faciliter l'évacuation des vieillards ; à N.D. de Liesse, c'est tout le couvent qui s'occupait de l'hôpital qu'il fallait mettre en lieu sûr ; dans la Somme, il s'occupera personnellement du sauvetage de la colonie enfantine d'Hangest qui se trouvait encore là, au milieu des ruines.

A la décision du 31 Mai 1940 du Régiment, paraît l'Ordre suivant :

Ordre N° 43 de la 3e D.L.C.

"Le Chef d'Escadrons L'Hotte a pris le 10 Mai, en pleine action, le commandement provisoire du 2e Régiment de Dragons Portés. Il l'a conservé pendant 20 jours au cours d'opérations sévères où le régiment n'a cessé d'être fortement engagé.

Il y a développé d'éminentes qualités militaires : activité, sang-froid, sens tactique, esprit de décision.

Au moment où le Commandant L'Hotte quitte le commandement du 2­e R.D.P. pour être mis à la tête du 3e R.A.M., le Général de Division tient à lui exprimer sa vive satisfaction pour les résultats remarquables qu'il a obtenus de son régiment, dans des circonstances de guerre particulièrement difficiles."

Le Général PETIET,

Commandant la 3e Division Légère de Cavalerie,

Signé : PETIET.

Avant de quitter le 2e R.D.P., le Chef d'Escadrons L'Hotte fait paraître l'Ordre du Régiment ci-dessous :

"Officiers, Gradés, Dragons, mes chers amis du 2e R.D.P., c'est à votre vaillance, à votre ténacité et à votre endurance que je dois l'Ordre ci-dessus du Général commandant la 3e D.L.C. Ordre trop élogieux pour moi, pas assez pour vous. Je n'ai fait qu'utiliser ces admirables qualités combatives que tous, vous avez constamment déployées avec un dévouement inlassable et malgré une fatigue poussée parfois jusqu'à l'extrême limite.

Mais grâce à elles, vous avez paré votre écusson d'une gloire très pure.

Je salue très bas ceux qui ont payé de leur sang la défense de notre France. Je prie Dieu qu'Il accorde à ceux qui sont tombés l'Éternelle Félicité, et à ceux qui souffrent un complet et rapide rétablissement.

La lutte n'est pas encore finie et nous combattrons encore certes côte à côte, ce sera demain avec la même estime et la même confiance qu'hier.

Si c'est avec un profond regret que je vous quitte, c'est avec fierté que je remets entre les mains du Lt-Colonel Watteau, le commandement du magnifique 2e R.D.P."

P.C., le 31 Mai 1940.

Le Chef d'Escadrons L'HOTTE,

Commandant pvt. le 2e R.D.P.

Signé : L'HOTTE.

Le Vendredi 31 Mai à la tombée de la nuit et le Samedi 1er Juin au petit jour, soit en deux temps, le 2e Bataillon est relevé par le 6e Dragons qui, venant du Luxembourg, rejoint la Brigade motorisée après vingt jours de marches forcées. C'est le Colonel Jacottet et le Commandant Labouchère (un ancien du 2e R.D.P.) qui viennent relever nos Dragons.

La relève se fait sans incidents avec beaucoup d'ordre et de méthode.

Officiers, Sous-Officiers et Cavaliers du 6e Dragons font une excellente impression à leurs camarades Dragons portés.

Le moral est excellent, l'ennemi ne montre pas un mordant excessif et l'espoir renaît de voir la situation se rétablir. Le nom du Général Weygand, nommé Généralissime, galvanise les esprits. Nous prenons connaissance de son Ordre général N° 3 :

Ordre général N° 3

Appelé par la confiance du Gouvernement au poste de Chef d'Etat-Major Général de la Défense Nationale et Commandant en Chef de l'ensemble des théâtres d'opérations, je compte que chacun apportera une énergie farouche dans l'accomplissement de son devoir en toutes circonstances.

Aucune défaillance, d'où qu'elle vienne, ne saurait être et ne sera tolérée.

Résister est bien, rendre coup pour coup est mieux encore, mais seul obtient la victoire, celui qui frappe plus fort qu'il n'est frappé.

Signé: WEYGAND.

Le Commandant en Chef sur le front du N.E., le Géné­ral Georges, a signé le 28 Mai 1940 au G.Q.G., à 10 heures, l'Ordre suivant :

L'Armée Belge a fait défection et abandonné à 4 heures les rangs alliés.

L'heure de l'épreuve suprême va sonner.

Le sort de la Patrie est désormais confié au gros des Forces Françaises.

La mission est nette : tenir pour barrer aux Allemands les routes de France.

Que chacun puise, dans l'histoire glorieuse de notre pays, la résolution de donner à notre défense le caractère d'agres­sion et d'acharnement qui doit la rendre implacable.

Chefs et soldats, vous égalerez vos aînés.

Haut les coeurs.

Signé : GEORGES.

VIII      DEUXIEME BATAILLE DE LA SOMME (5-7 Juin)

Le 1er Juin, dans la matinée, le P.C. du 2e R.D.P. s'installe au Château de Dromesnil.

Le parc est splendide avec ses beaux arbres séculaires. Fraîcheur délicieuse qui repose de la chaleur accablante qui nous environne. Les oiseaux chantent à tue-tête, calme complet, bonne détente.

Nous resterons là du 1er au 4. Pour la première fois depuis le 19 Mai, le 2e R.D.P. va jouir d'un repos complet. On en profite pour remettre en état, personnel et matériel.

La 13e B.L.M. est cantonnée au Château de Selincourt appartenant à la Comtesse de Beaumont.

Le 1er Bataillon est cantonné dans le village du même nom.

Le 2e Bataillon, moins l'Escadron Royère, à Belloy-Saint-Léonard ; son P.C., au Château du Comte de Hautecloque, maire de Saint-Léonard, qui reçoit d'une façon charmante, tous les cadres du bataillon.

Le XIe G.R.C.A. (Colonel Malcor) est à Hornoy. C'est le G.R. du 9e C.A. Notre Division, dont le P.C, est à Aumont, passe aux ordres du Général Ihler, commandant ce 9e C.A. jusqu'à ce quelle soit relevée par la 5e D.I.C. dans la nuit du 4 au 5 Juin à 2 heures du matin.

L'Escadron de Royère garde le P.C. de la Division à Aumont.

Conformément à l'ordre de défense de la Division, la 5e B.C. assure la défense de la position sur la rive Sud de la Somme, appuyée par les feux du 72e R.A. et s'organise progressivement. Les effectifs réduits et la fatigue des troupes ne permettent pas d'effectuer des travaux d'organisation importants. L'étendue du front, les rives marécageuses de la Somme, les nombreux couverts et villages de part et d'autre de la rivière, nécessitent des patrouilles fréquentes. Les travaux entrepris consistent surtout en pose de mines et de fils de fer autour des points d'appui, et confection de barricades solides.

La 13e B.L.M. organise en arrière, des points d'appui fermés dans la zone Belloy-Saint-Léonard, Selincourt, Hallivillers, Boisrault, Dromesnil et prépare des contre-attaques éventuelles.

Dans la journée du 3 Juin, premier bombardement allemand sur Paris (906 victimes).

C'est le 4 Juin que nous recevons au P.C. la communication suivante du Général Frère, commandant la VIIe Armée, faite en date du 28 Mai.

I. - L'attaque ennemie est prochaine. L'issue de la bataille, la victoire, la paix, tout dépend de notre résistance. Il faut que chaque gradé, que chaque homme le sache et en soit convaincu.

II. - Dans les circonstances présentes, la discipline doit être plus amicale que jamais, mais il faut aussi que chacun sache qu'aucun recul ne sera toléré.

Que chaque Chef aille vers ses subordonnés, qu'il les convainque de la nécessité de tenir.

En outre, dans les grandes unités, prendre des mesures de rigueur pour éviter tout reflux : ligne de barrage de gendarmes à l'arrière de leur zone.

III . - Se défendre agressivement à tous les échelons, des réactions aussi immédiates que possible à tout succès local ennemi avec appui de feux massif. Faire preuve d'imagination, mettre en oeuvre toutes les ruses possibles pour faire du mal à l'ennemi.

IV. - Utiliser l'obstacle, cercler les P.A. antichars, constituer au moyen de P.A. le quadrillage des itinéraires. Pour tenir l'obstacle, utiliser les explosifs, les mines (en demander à l'Armée). Tasser à coups de canons les issues des localités tenues par l'ennemi, et tout particulièrement les faubourgs d'Amiens.

V. - Récompenser sans retard les actes de courage et signaler au Commandement les actions d'éclat.

Signé : Général FRÈRE,

Commandant la VIIe Armée.

C'est aussi à Dromesnil que nous apprenons par le communiqué suivant de l'Amirauté Française, la fin du calvaire de Dunkerque où tant des nôtres périrent.

"Dans la nuit du 3 au 4 Juin, les derniers éléments terrestres et maritimes de la défense de Dunkerque ont été évacués.

" L'épopée de Dunkerque a permis de sauver 335.000 soldats français et britanniques. »

Le 4 Juin, à 21h30, le P.C. et le reste du Régiment quittent leurs cantonnements.

Après la vie de château, c'est une modeste ferme à Beaufresne (6 km 500 S.O. d'Aumale) qui nous reçoit. Nous sommes accueillis vers minuit par une délicieuse souris qui galopait le long de la frise à auteur du lit. Braves gens, bons lits dans chambre bien délabrée ; mais le coeur y est et c'est l'essentiel.

Dans la porte de la minuscule salle de mairie que nous occupons, il y a une boîte aux lettres ; mais cette boîte, au lieu d'être remplie de papiers administratifs est occupée par un nid plein de petites mésanges ! ! La mère semble un peu troublée de cette invasion militaire, mais vient cependant donner la becquée à ses enfants.

Le 5 Juin, à 11 heures 30, le Lt de Beaumont de l'E.M. de la Brigade apporte l'Ordre suivant

" Mettez votre régiment en état d'alerte, prêt à partir immédiatement sur ordre. "

Les Allemands se sont infiltrés entre Hangest-sur-Somme et Saint-Pierre à Gouy dans la région de Soues et ont fait une poche de 2 à 3 km. de profondeur.

Cette attaque ne nous étonne pas, car depuis quelques jours, en certains points, apparaissent des patrouilles vêtues de noir ; la présence d'une ou de plusieurs panzerdivisions se révèle ainsi comme des plus probables. D'autre part, l'aviation allemande survole de plus en plus fréquemment la vallée de la Somme.

La 13e B.L.M. recevant l'ordre de se porter en avant, le Lt-Colonel Watteau, à 13 heures, donne l'ordre de mouvement suivant :

Points de première destination

2e Bataillon : Bois de Liomer (N.E. de Beaucamp-le-Vieux) ; 1er Bataillon : Bois de Queue Comtesse (N. de Beaumont-le-Jeune) ; P.C. 2e R.D.P. : Beaucamp-le-Vieux (Mairie).

A 15h15, le 2e R.D.P. couvert par l'Escadron Weygand se porte à un point de 2e destination.

2e Bataillon : Belloy-Saint-Léonard, Bois de Selincourt (liaison à prendre avec le 4e Hussards vers Warlus et l'Arbre à Mouches) ; 1er Bataillon : Région Méricourt et bois Ouest de Camp (liaison à rechercher vers Camp et Montagne-Fayel avec éléments inconnus) ; P.C. avancé : Selincourt (Mairie) ; Service santé et reliquat P.C. sous les ordres du Lt Simon : à Dromesnil.

C'est dans la salle d'école de la Mairie de Selincourt que nous passerons la nuit.

L'instituteur qui se préparait à partir nous reçoit d'une façon charmante.

Le 6 Juin, vers 4 heures du matin, le P.C. est transporté dans les bois de Dromesnil. Une batterie d'artillerie du 210 qui soutient nos unités est anéantie par des chars allemands qui se sont infiltrés à 4 km derrière notre P.C.

Vers midi, le P.C. se replie sur Boisrault, le régiment étant appelé à tenir un sous-secteur jalonné en lisière extrême par le cours du Liger entre Liomer et Hornoy. L'Officier de renseignements du Régiment est envoyé en reconnaissance dans la direction de Liomer. Il prend contact avec un Bataillon de chasseurs alpins organisé en position défensive.

Dans la nuit du 6 au 7, décrochage de la région de Liomer, Beaucamps-le-Vieux et retour à Beaufrêne.

Le 7 Juin, dans la matinée, des avions allemands passent en rase-mottes au-dessus des vergers où sont installés des réfugiés non loin de nos voitures.

Comme pour la première bataille de la Somme, nous allons suivre sur le terrain, chacun de nos Bataillons

1er BATAILLON. - Le 1er Juin, à 4 heures, départ du Bois Carré des derniers éléments qui arrivent à Avesnes vers 8 heures. Le P.C. s'installe au Château de Calome. Dans la matinée, des officiers de la 5e D.L.C. arrivent et nous préviennent que ce cantonnement est réservé à l'E.M. de leur division et que les lieux doivent être libres pour 15 heures. Compte rendu est adressé au Régiment qui donne l'ordre d'aller cantonner à Boisrault. A 16 heures, l'installation est terminée et chacun peut prendre un repos bien gagné.

Le 4, à 18 heures, le Bataillon fait mouvement pour aller cantonner entre Forges-les-Eaux et Aumale à Conteville, où il arrive vers 23 heures, après une marche de nuit pénible, sans aucun jalonnement.

Le 5, alerte à 13 heures. L'ennemi bousculant nos éléments avancés avait franchi la Somme à l'Étoile et Condé-Folie et avait atteint Warlus, l'Arbre-à-Mouches. A 14 heures, le Bataillon s'ébranle en direction d'Aumale, mais là, la tête de colonne est violemment bombardée par l'aviation ennemie qui, continuant à pilonner l'agglomération, oblige le commandement, pour éviter des pertes inutiles, à détourner le Bataillon par des chemins de terre à l'Ouest d'Aumale qui, par Vieux-Rouen, l'emmènent à Beaucamps-le-Vieux.

De là, le Bataillon se porte sur Selincourt où se trouve le Colonel Watteau avec le P.C. du Régiment.

Il y arrive vers 18 heures, et reçoit aussitôt l'ordre de s'installer en point d'appui cerclé dans Selincourt.

A 20 heures, le groupement Van Aertselaer doit se porter sur Hallivillers. Une reconnaissance motocyclistes (Aspirant Gard) apprend au Commandant Henriet que ce village est déjà occupé par l'ennemi et semble fortement tenu. Compte rendu au P.C. du Régiment. L'ordre arrive bientôt pour le groupement Van Aertselaer qui a déjà atteint les abords de Hallivillers (où il se maintiendra jusqu'à 4 heures du matin) de se replier légèrement et de s'installer solidement à la cote 140 en liaison avec le 2e Bataillon à droite.

Durant le reste de la nuit, le groupe Motos sous les ordres du Maréchal-des-Logis d'Hérouelle est maintenu aux abords d'Hallivillers en sonnette d'alarme.

Le reste du Bataillon se retranche dans Selincourt sous les ordres du Capitaine de Beaumont, la plus grande partie des voitures est renvoyée à l'arrière.

Le 6 Juin, le P.C. du Bataillon s'installe au Château avec le peloton d'A.M.R. (Adjudant Gardère) et le peloton des mortiers de 81 en position de tir devant l'entrée du Château, à la sortie Sud du village, face à l'Est.

A la cote 140, le groupement Van Aertselaer a bien travaillé et malgré la fatigue des dures journées vécues depuis le 10 Mai, les hommes ont remué beaucoup de terre car s'il y a de beaux champs de tir, par contre les défenses naturelles font défaut.

Vers 5h30, compte rendu du Maréchal-des-Logis d'Hérouelle : « Dans Hallivillers, l'ennemi s'agite, moteurs en marche, bruits divers », qui font prévoir une attaque prochaine. Effectivement, à 6 heures, les F.M. d'Hérouelle entrent en action et quelques minutes après, comme il en a reçu l'ordre, il se replie avec ses motocyclistes sur le point d'appui de la cote 140 où il vient rendre compte au Capitaine Van Aertselaer que plusieurs chars ennemis sont sortis du village et progressent en direction de la cote 140.

Tout le monde est alerté, le Capitaine Van Aertselaer fait le tour des positions, s'assure que tous ses hommes sont à leur poste de combat. Il s'adresse à eux en quelques mots simples, leur dit qu'ils ont avoir à subir un choc très dur, mais qu'il n'est pas question de bouger d'un pouce, qu'il faut tenir à tout prix et qu'il compte sur eux comme ils peuvent compter sur lui. Son calme se communique à tous et chacun est prêt à vendre chèrement sa peau s'il le faut.

Un coup d'oeil aux voitures, elles semblent être trop exposées. Il les renvoie à Selincourt, sauf trois, sa tout-terrain de liaison et deux porte-mitrailleuses, l'une d'elles munie d'un crochet de remorque pour le canon de 25 reste à une soixantaine de mètres de la pièce camouflée sous de la paille.

Tout à coup, au N.E. du dispositif, quelques rafales de mitrailleuse. Le Capitaine Van Aertselaer et le Maréchal des-Logis Govin sortent du petit boqueteau où est installé le P.C. pour se rendre compte de ce qui se passe, mais leurs silhouettes qui se détachent sur la croupe de terrain où ils se trouvent déchaînent le tir de deux ou trois mitrailleuses ennemies. Des balles sifflent à leurs oreilles et soulèvent des petits nuages de poussière autour d'eux. Ils s'abattent, feignant d'être touchés. Encore deux ou trois rafales, puis plus rien ; en rampant, ils regagnent le P.C. La position est bordée sur la face Est par des bois, et les blindés ennemis, en les utilisant comme masque, sont arrivés assez près. Sous le couvert, on distingue leurs masses sombres d'où jaillissent les lueurs des rafales chaque fois que quelqu'un bouge et se montre.

A l'extrémité Nord de la croupe et sur la face Est, les F.M. et les mitrailleuses entament maintenant un dialogue mortel. Le jeu s'anime, les balles sifflent dans toutes les directions.

C'est alors que les chars se mettent de la partie. En fourrageurs ils débouchent des couverts au nombre de sept ou huit. Ils avancent, persuadés qu'ils n'ont devant eux que quelques armes automatiques qu'ils réduiront rapidement au silence. Mais tout à coup, très rapidement, en chapelet, une vingtaine de coups de 25. L'Adjudant Désideri, qui commande la pièce, les a laissés approcher à bonne portée. Deux chars moyens sont en flammes, les six autres, dont deux au moins ont été touchés, vont se mettre à l'abri en tirant comme des forcenés.

Les Allemands savent maintenant qu'ils ont en face un canon antichars. Ils ont eu le renseignement, mais il leur a coûté cher. Cependant, ils ne savent pas très exactement à combien de canons ils ont affaire. En effet, les deux A.M.D. de Coustham manoeuvrent remarquablement, elles restent invisibles dans une dépression sur la face Ouest ; puis, de temps en temps, franchissant la crête, apparaissent subitement en un point quelconque, envoient quelques obus et rapidement retournent se mettre à l'abri. Ce petit jeu comporte d'ailleurs quelques risques pour leurs grandes carcasses. L'ennemi tire bien et bientôt, une A.M.D. est mise hors de combat, percée comme une écumoire, direction bloquée, elle peut à grand-peine rejoindre Selincourt d'où elle sera remorquée à l'arrière. Quant à l'autre avec l'Adjudant Coustham, elle restera jusqu'à la fin. Elle ne vaudra alors guère mieux que sa soeur et devra ensuite être prise en remorque.

L'ennemi fait une véritable débauche de munitions, les mitrailleuses de 20 tirent sans arrêt, c'est un feu d'artifice de balles traceuses. Les obus de 37 fouillent le terrain, cherchant les armes antichars et les A.M.D. Certains ricochent sur la crête et éclatent sur Selincourt. Les balles incendiaires ont mis le feu à des meules de paille, et la tout-terrain du 25 qui se trouvait à proximité flambe comme une torche, les réservoirs d'essence sautent et quelques munitions qui s'y trouvent encore pétaradent durant un long moment. Des motocyclistes qui avaient camouflé leurs machines tout à côté vont les chercher en rampant sous une grêle de balles ; c'est miracle qu'ils reviennent sains et saufs avec leurs engins.

Vers 10 heures, l'ennemi, en rampant, arrive à se glisser dans une vieille maison abandonnée à 300 mètres et par une lucarne du grenier arrose notre position de rafales de mitrailleuse.

Comme la mitrailleuse ennemie de la maison devenait particulièrement gênante, sur la demande du Capitaine Van Aertselaer; le Commandant Henriet fait déclencher sur cet objectif un tir de 81. Une vingtaine de projectiles encadrent la maison, mais aucun n'est décisif, certains mêmes sont dangereusement courts pour les Dragons. Ceux-ci tirent moins maintenant, il faut économiser les munitions. Ils ne font feu qu'à bon escient, lorsque de temps en temps de petits groupes ennemis tentent en rampant d'aborder la position. Les blindés sont plus nombreux, ils se défilent en contre-bas, à l'Est, puis au Sud-Est dans le but évident d'encercler les défenseurs de la cote 140. Ils ont renoncé à pousser vers l'Ouest car de ce côté ils se sont tout de suite heurtés à la solide défense du village de Selincourt tenu par le reste du Bataillon et se sont faits étriller suffisamment pour chercher d'un autre côté le défaut de la cuirasse. Cette méthode aura d'ailleurs été employée avec bonheur par les Allemands tout au long de cette brève guerre de mouvement.

Les chars ennemis se rapprochent encore dangereusement, mais à nouveau ils se font brutalement stopper. Le 25 réussit encore quelques beaux coups, un nouveau char brûle, trois ou quatre autres sont immobilisés, mais des vides commencent à se creuser au milieu des Dragons.

Héroïquement, au milieu de ses hommes, le Capitaine Van Aertselaer remplit magnifiquement sa mission. De plus en plus, l'ennemi l'entoure, l'étreint, pas un instant, il ne songe à rompre le combat, l'ordre est de tenir, il tiendra. A 15h30, il reçoit l'ordre de se replier sur Selincourt.

C'est alors que pour retirer ses hommes d'une situation extrêmement délicate et opérer avec les pertes minima un décrochage au plus haut point dangereux, la calme lucidité du Capitaine Van Aertselaer qui conserve tout son monde bien en main, opèrera. Il fixe aux chefs de groupe les cheminements qui les amèneront en un point de ralliement sur la face Ouest de la croupe, la seule libre maintenant, et par une habile manoeuvre en tiroirs comme à un exercice, ramène presque tout son monde à l'endroit voulu et suffisamment défilé pour permettre de souffler un peu.

Le Capitaine Van Aertselaer donne l'ordre à l'Aspirant Gard de rester avec son peloton motos sur le dernier pli de terrain formant balcon, pour protéger avec ses F.M. le dernier bond qui le sépare encore de Selincourt. Sur la cote 140 on voit des uniformes noirs faire des bonds, on entend des commandements rauques et les cris de l'ennemi qui s'est aperçu du repli et avance sur le terrain qui vient d'être abandonné.

L'Aspirant Gard parvient à se décrocher sans trop de mal, et l'un de ses F.M., dans les dernières minutes, réussit même un beau carton en descendant un Allemand, vraisemblablement un Officier qui, imprudemment debout dans sa voiture de liaison, s'était trop approché pour observer. Le conducteur aussi eut probablement son compte car l'on vit tout à coup la voiture faire une embardée, capoter et prendre feu.

Le Bataillon, après avoir rejoint ses voitures, se porte sur Vraignes-Boulainvillers. En y arrivant vers 20 heures, il trouve ces points déjà occupés par l'ennemi. Un contre-ordre l'expédie à Beaucamps-le-Jeune, où il arrive à la nuit. A peine les hommes harassés commencent-ils à s'endormir, étendus çà et là au pied des arbres, qu'un nouvel ordre arrive. Tout le monde debout ! En route à 23 heures pour Conteville d'où le Bataillon était parti la veille.

Le 7, vers 7 heures, arrivée à Conteville. Installation sommaire.

2e BATAILLON (1). - Le Dimanche 2 Juin, une messe est dite dans la petite église de Belloy-Saint-Léonard pour les morts du Bataillon.

L'après-midi est calme, les hommes se reposent et révisent leur matériel.

Le Lundi 3 Juin, tout au matin, sur un ordre émanant de l'E.M. du Régiment, le Capitaine de Royère et les Lts de Montille et Clavel se rendent vers l'Arbre-à-Mouches pour reconnaître les positions sur lesquelles, en cas d'alerte, ils auraient à porter leur escadron.

Le 4 Juin, vers 22 heures 30, le Bataillon quitte la zone de stationnement de Belloy-Saint-Léonard pour se rendre à Saint-Valéry-sur-Bresle au Sud d'Aumale.

Les voitures sont camouflées dans les vergers sous les pommiers et dans les chemins creux ;les hommes dressent leurs tentes.

Le Bataillon reste toute la journée en état d'alerte, mais la nuit se passe et c'est seulement le mercredi 5, en fin de matinée, que l'ordre de mouvement arrive. Le Bataillon doit se rendre dans les bois de Liomer où il recevra les ordres. Il se met en marche vers 13h30.

L'Escadron Royère reçoit la mission de jalonner la route du Bataillon sur tout son parcours et de faire la police aux carrefours dans Aumale pendant le passage du Régiment.

Les premiers éléments de l'Escadron Royère chargés de la police aux carrefours dans Aumale sont en place depuis un quart d'heure à peine ; le Brigadier Mainguy, magnifique athlète, beau type de cavalier, aussi intelligent que brave, est chargé du carrefour principal, au Pont-sur-la-Bresle ; à quelques mètres de lui, le Capitaine de Royère surveille le passage du reste de son Escadron. Un peloton vient de passer sans encombre ; au moment où la tête du peloton suivant se présente au carrefour, un vrombissement se fait entendre dont l'intensité grandit avec une rapidité si prodigieuse que les témoins de la scène sont surpris au milieu de leur réflexe de défense par l'explosion de trois bombes lancées en piqué sur le carrefour lui-même avec une surprenante précision. Sur la ville, pendant quelques instants, c'est la ronde infernale des stukas, ponctuée de-ci, de-là, par de violentes explosions. Des morts et des blessés français et anglais jonchent le carrefour, parmi lesquels le Brigadier Mainguy que la mort a pris debout à son poste. Le Capitaine de Royère, sain et sauf, à ses côtés, fait immédiatement quérir une ambulance et avertir les éléments du 1er Bataillon qui vont se présenter à l'entrée d'Aumale, d'avoir à changer leur itinéraire.

Le 2e Bataillon, en ce qui le concerne, modifie instantanément son itinéraire et arrive vers 16h30 à Liomer.

Dans le bois de Liomer, le Bataillon rejoint l'Escadron Royère qui, trop engagé dans Aumale pour faire demi-tour, et d'ailleurs bloqué sur son arrière par la tête du 1er Bataillon, a dégagé à toute allure par l'itinéraire prévu, sans d'ailleurs subir aucune perte.

Vers 18 heures, le Bataillon porte son P.C. dans Aumont, village situé à 6 km au Nord d Hornoy où il prend la place de l'E.M. de la 5e Division Coloniale.

Au moment où le Commandant Larger franchit la grille de la villa où est installé le P.C. de la 5e D.I.C., un obus éclate dans une corbeille de fleurs et tue ou blesse par les fenêtres, trois officiers d'E.M. ainsi que plusieurs secrétaires. Il est obligé d'enjamber les cadavres pour aller au bureau du Général.

Le Général se refuse à porter son P.C. plus en arrière. Ce n'est qu'à 20h30 quand son chef d'E.M. lui aura démontré que tout contact est perdu avec ses Régiments qui ont été bousculés et décimés par des attaques massives de char qu'il se décidera à quitter le village avec les quelques hommes de sa Division qui s'y trouvent encore.

Depuis plusieurs heures, il n'a plus devant lui que des petits noyaux de résistance, sans liaison entre eux, ni avec. lui, qui combattent chacun pour son compte pour rompre l'encerclement ou éviter la destruction.

D'ailleurs, dans le jour qui tombe, on peut situer approximativement la position de la ligne ennemie par les fusées éclairantes que les Allemands lancent sans vergogne pour jalonner leur avance.

Vers le Nord, des fusées apparaissent dans le ciel à environ 1 km 500 du village, mais on se bat beaucoup plus près. Des éléments allemands semblent avoir déjà dépassé Avelesges. Au Nord-Est et à l'Est, il en va de même ; des fusées jaillissent à 1 km à peine d'Aumont laissant supposer que l'ennemi a dépassé la Nationale N° 1 et qu'il doit se trouver devant Méricourt-en-Vineux, s'il ne l'occupe pas déjà, et que sa ligne passe quelque part entre Camps et Hallivillers.

Les Capitaines de Royère et Thoreau, profitent des dernières heures du jour pour reconnaître : l'un (le Capitaine Thoreau) les bois vers Belloy-Saint-Léonard, l'autre (le Capitaine de Royère) les bois entre Aumont et Hallivillers.

A Belloy- Saint-Léonard, le Capitaine Thoreau rencontre le Colonel du 18e Chasseurs qui, avec ses adjoints et quelques Cavaliers allait partir vers Dromesnil. Il lui apprend que 85 chars allemands viennent de s'installer dans le parc pour y passer la nuit.

Le Capitaine de Royère, de son côté, a pu dénombrer 65 chars allemands dans les bois entre Aumont et Hallivillers.

Il n'y a pas à hésiter une seconde ; il faut prévenir de suite le commandement. Les Capitaines Thoreau et de Royère se rendent immédiatement auprès du Colonel Watteau qui les envoie directement au P.C. de la Brigade.

Là, dans la grande salle à manger du château de Selincourt, éclairée par deux hauts chandeliers, en présence du Général Petiet, du Colonel Lafeuillade et de leurs chefs d'E.M., chacun des deux capitaines fait un compte rendu de sa reconnaissance.

Ils proposent d'établir le 2e Bataillon sur la ligne des crêtes qui domine à la fois la route d'Hornoy-Aumont et la lisière des bois, avec vue sur la route Molliens-Vidame. Camps, Hornoy. Suivant l'expression imagée du Capitaine de Royère : « Le terrain gueule » et on ne peut mettre ailleurs le Bataillon. La solution proposée est adoptée.

A l'aube du 6 Juin, le Bataillon est en place.

Vers 7 heures, le Lt Clavel signale une forte colonne de chars se déplaçant en direction Nord-Sud de la route de Molliens-Vidame à Poix, soit en direction de Thieulloy l'Abbaye tenu par deux Escadrons du 11e G.R.C.A.

Malheureusement du côté français, on semble complètement démuni d'artillerie ; les chars peuvent donc poursuivre impunément leur route.

Vers 9 heures, un petit avion d'observation à croix gammée, survole les positions françaises. Il est pris sous le feu de la batterie de 25 mm de D.C.A. de la ferme de Sainte-Larme. Plusieurs obus viennent percuter sur sa coque mais apparemment sans lui créer aucun dommage : nul doute qu'il soit puissamment blindé.

De la ferme de Sainte-Larme, on voit parfaitement, à plusieurs reprises, le petit avion d'observation se poser à terre derrière l'écran de fumée à proximité des lisières boisées, puis repartir.

Visiblement l'ennemi est surpris. Là où il ne comptait trouver que des P.A., entre lesquels ses chars auraient pu évoluer, il rencontre une ligne de feu apparemment solide et continue, établie sur une crête.

De 8 heures à 10 heures, par de nombreux accrochages de détail, l'ennemi a tâté tout le front de combat ; vers 10 heures, il essaie d'aborder Hornoy par l'Est en glissant ses chars entre Hornoy et Thieulloy-l'Abbaye ainsi que te lui permettent à la fois l'absence d'artillerie française et la distance qui sépare ces deux P.A. : 4 km. Par le Nord, la route de Molliens-Vidame-Camp-Hornoy lui est ouverte, toujours parce que l'artillerie est absente du côté français. Par contre, l'axe Nord-Sud Warlus-Aumont-Hornoy tenu sous le feu de nombreuses armes anti-chars lui est interdit, sous peine de risquer des pertes sensibles ; quant à tourner Hornoy par l'Est, il ne peut y songer qu'après avoir enfoncé la ligne de défense qui s'oppose à lui.

Ses objectifs principaux sont évidemment Hornoy et Thieulloy ; le premier lui ouvrira la route d'Aumale vers Rouen, le second, la route de Poix vers Beauvais : tel est l'enjeu de la bataille inégale qui se livre sur un front de 10 km, entre, d'un côté 200 chars allemands environ appuyés par une nombreuse infanterie, des mines, une puissante artillerie et des avions ; de l'autre, 10 Escadrons de cavalerie française, sans chars, ni artillerie, ni aviation, réduits à leurs seules armes organiques, mais imbus des traditions chevaleresques de bravoure, de ténacité et d'élégance qui sont l'apanage de leur arme au combat. Là où se trouve le 2e Dragons, on ne passe pas.

Devant la vanité de ses efforts face à la cote 140, l'ennemi cherche à déborder Selincourt par le Nord et par l'Ouest, tout en augmentant d'une manière générale sa pression face au dispositif du Régiment.

Mais le gros de son effort se porte sur Thieulloy-l'Abbaye et Hornoy qui, l'un et l'autre, subissent un violent bombardement tant par artillerie que par avions suivis de coups de boutoirs répétés de la part des chars.

La situation de Thieulloy-l'Abbaye, uniquement défendu par deux escadrons du 11e G.R.C.A., est tout de suite tragique.

Réduit à ses seuls moyens de défense et ne pouvant compter sur aucun secours venant de l'extérieur, le commandement ne disposant d'aucune réserve, ce P.A. est, dès 10 heures, encerclé par les chars allemands : toutes ses communications sont coupées. Mais il tient et, malgré le bombardement et les assauts répétés des chars allemands, c'est seulement à 16h15, dans les ruines du village en flammes devant lequel plusieurs chars immobilisés et détruits attestent le mordant de ses défenseurs, que les survivants se rendront après avoir consommé la plus grande partie de leurs munitions. Ils recevront les honneurs de la guerre avant de prendre le chemin de la captivité.

Vers 13 heures, le château d'Hornoy où siège le P.C. du Colonel Malcor est atteint par le bombardement ; le feu prend dans ses combles. Le Colonel Malcor et son fidèle adjoint, le Capitaine Chaix continuent à y demeurer, assurant les charges de leur mission de commandement avec un calme imperturbable. Le plafond de la pièce adjacente à celle où se tient le Colonel Malcor s'effondre, il faut sortir le Colonel de son P.C. de force. C'est seulement vers 15h30 et sur ordre, lorsque la défense débordée sera devenue impossible que le Colonel, la mort dans l'âme, se décidera a décrocher avec ses deux Escadrons à cheval, dans un ordre parfait, après avoir défendu Hornoy d'une manière qui fait grand honneur aux cadres et aux cavaliers du 11e G.R.C.A., dont la fière devise est : " Tant que vous voudrez. " Son patronage est de qualité : " Notre-Dame, du Guesclin ".

Entre 13 heures et 14h30 sur le front du 2e R.D.P., l'ennemi, qui semble avoir reçu du renfort, se fait de plus en plus mordant.

Du côté français, l'artillerie est toujours absente. Nul doute que l'ennemi soit maintenant renseigné, qu'il sache qu'il a devant lui seulement une mince ligne de tirailleurs sans profondeur et sans réserve !...

A 15h30, arrive l'ordre de décrochage et de repli en direction de Bezencourt (à l'Ouest d'Hornoy).

Tandis que l'on aperçoit la poussière des colonnes allemandes qui s'approchent, les A.M.D. du Capitaine Weygand et les patrouilles A.M. Motos des Escadrons Beaumont et Royère couvrent la retraite du 2e Dragons, dont les éléments se replient à pied à travers la plaine qui s'étend entre la route de Boisrault à Dromesnil et la route d'Hornoy-Liomer. Ils tiennent l'ennemi en haleine et bouchent les carrefours jusqu'à ce que les derniers éléments à pied aient traversé la route d'Hornoy à Liomer.

Nos unités atteignent Tronchoy qui est organisé et tenu par une Compagnie de Chasseurs alpins venant de Norvège.

Les éléments allemands libérés par la prise de Thieulloy ont tourné largement Hornoy par l'Est et déjà des engagements ont lieu aux abords de Tronchoy entre les Chasseurs de la 40e D.I. et leurs éléments avancés. Bientôt les mines éclatent au pied du village dangereusement encombré tant par les D.P. du 2e Bataillon que par les 11e G.R.C.A.

Le Bataillon reçoit l'ordre de se porter aux lisières Ouest et Sud-Ouest des bois situés au Sud de Guibermesnil où se regroupe le Régiment. Il y passe la nuit.

Le Vendredi 7 Juin, les Chasseurs se replient vers une heure.

Dès 4 heures, le bombardement de Tronchoy reprend avec une intensité accrue. A 4h30, le Bataillon quitte le bois pour venir s'établir à nouveau à Saint-Valéry-sur-Bresle.

Dès 7 heures, une rumeur de bataille se fait entendre en direction de l'Est, puis du Sud-Est ; de demi-heure en demi-heure, le bruit se rapproche et se précise : des mines viennent d'éclater, semble-t-il, à peu de distance du hameau sur le haut du coteau qui domine la Bresle, et les rafales d'armes automatiques se font entendre de plus en plus proches.

Plusieurs voitures anglaises, larges, plates, hautes sur roues, à pneus énormes, bâchées de filets de camouflage traversent le hameau comme des bolides. Elles sont remplies de fantassins poussiéreux dont certains paraissent blessés ; elles disparaissent dans un nuage de poussière, en direction d'Aumale.

Le 7 Juin, à 10 heures du matin, la division donne l'ordre suivant

" I. - La 3e D.L.C. se regroupera aujourd'hui dans une zone au S.O. de Forges-les-Eaux. Le P.C. de la Division fonctionnera à Bois-Guilbert à partir de 16 heures.

" II. -Les mouvements s'effectuant de jour, il y aura lieu de prescrire de très larges échelonnements entre les différents groupements et véhicules.

" Un service d'ordre, à l'arrivée dans les cantonnements devra être organisé de façon à ce que les véhicules disparaissent immédiatement dans les couverts qui leur sont affectés et qu'on évite de façon absolue la circulation intensive et les agglomérations de véhicules.

" Prendre, dès l'arrivée dans les cantonnements, les mesures de D.C.A. et de D.C.B.

" Heure du début de mouvement pour la 13e B.L.M. 15 heures.

Le Colonel Watteau alerte immédiatement les Bataillons en fixant comme P.C. de stationnement provisoire pour le régiment : Bosc-Asselin et P.C. définitif, le château de Mondétour.

Le 1er Bataillon quitte Conteville vers midi, direction Bierville (25 km N.E. de Rouen). En cours de route, la colonne est l'objet d'une attaque aérienne ; pas de dégâts. Autrement dit, beaucoup de bruit pour rien. Le Bataillon arrive à Bierville vers 16 heures. Il y a là des Anglais qui s'en iront peu de temps après son arrivée.

Le 2e Bataillon, à 13h30, quitte Saint-Valéry-sur-Bresle pour rouler vers Haudricourt. Sur le G.C. 9, il trouve le 15e D.P. en train d'organiser ses positions de combat. Le 2e Bataillon continue sa route par Conteville, Compaincille, Serqueux ; il traverse le bois de l'Epinay.

Après la traversée de Buchy, il aboutit à Boissay vers 16h30 d'où il est dirigé sur Longuerue...

La deuxième bataille de la Somme est terminée... Au lieu du succès escompté et de l'arrêt des blindés allemands, c'est notre pauvre Brigade qui a dû abandonner le terrain. Mais nous pouvons cependant être fiers du résultat obtenu. L'ennemi que nous avions devant nous était de qualité. Les 5 et 6 Juin, nous avons eu à faire face au 15e Corps blindé allemand, Général Von Hoth. Celui-ci comprenant notamment la 7e panzerdivision du Général Rommel.

La brutalité et l'imprévu des manoeuvres portaient bien la signature de Rommel.

De plus, il ressort des renseignements recueillis que les deux Panzer allemandes avaient primitivement pensé percer droit vers l'Ouest, en direction d'Aumale. Ce n'est que parce que cette direction leur a été barrée par nos éléments, bien modestes mais inébranlablement accrochés au sol, qu'elles ont effectué un rabattement brutal vers le sud : Thieulloy-l'Abbaye, Poix, etc... où elles pourront, le 7, ouvrir une brèche.

Tout au long de cette retraite, nous avons eu une poussière effroyable sur les routes non goudronnées, poussière qui devait être vue à merveille par l'aviation ennemie.

Malgré l'effort qui lui est demandé, notre Régiment conti­nue d'être merveilleux et nous bouchons sans arrêt les trous laissés par d'autres.

Nous ne désespérons pas encore de la situation.

Les anciens de la Grande Guerre espèrent encore un redressement comme celui de la Marne alors que tout sem­blait perdu.

Le communiqué officiel de la radio française de ce matin est moins tragique nous le craignions

" Après une accalmie relative au cours de la nuit, la bataille a repris ce matin dans les mêmes conditions.

" Le Général Weygand félicite les armées pour leurs qualités de combat et l'exécution fidèle de son ordre du jour du 5 Juin.

" L'armée française s'est adaptée sans transition aux nouvelles formes de la guerre, et la poussée d'infanterie ennemie a été arrêtée. Plus de 400 chars ont été détruits dans la nouvelle bataille. On considère que depuis le 10 Mai plus de la moitié des chars ennemis ont été détruits ou mis hors d'usage.

" Nos aviateurs ont obtenu d'excellents résultats. Plus de 500 équipages ennemis sont perdus. Deux Divisions bel­ges, reformées en France, monteront bientôt en ligne.

" Londres. - Les autorités hollandaises coopèrent avec les alliés en matière économique. "

Le Colonel Lafeuillade fait remarquer la difficulté de la mission qui lui est donnée (16e C.A., retraite à pied ; C.A Dufour enlevé en camions, mouvements effectues de nuit et arrivée sur la position et prise de contact possible au petit jour).

De plus, nos unités depuis le matin ont déjà été alertées plusieurs fois. Dans la même journée, les hommes se sont installés sur trois positions différentes ; chaque fois ils ont créé des barrages, creusé des tranchées. A peine avaient-ils terminé à un endroit qu'il fallait se porter ailleurs et recommencer.

Ils sont exténués, mais rien n'entame leur courage. Ah les braves gens !

Une lettre communiquée par le père d'un de nos agent, de liaison, Jean Nogué, tombé au Champ d'Honneur, face à l'ennemi, à l'âge de 20 ans, nous montre, mieux qu'un long récit, l'état d'esprit de nos hommes à cette époque. Elle est datée du 15 Juin 1940 ; deux jours avant sa mort glorieuse à Carrouges

" Chers Parents,

" Un petit mot, tout petit, mais du fond du coeur.

" Comme vous le savez, la situation, sans être désespérée, n'est pas très brillante, et à la minute où j'écris ces lignes, le Président Roosevelt est en train de décider de notre sort.

" C'est vraiment pas croyable d'en être arrivé à ce point-là et surtout en si peu de temps.

" Enfin, nous continuerons, malgré tout, en ayant devant nos yeux l'exemple de ceux de 14.

" Nous sommes complètement harassés, fourbus et je crois qu'enfin nous allons aller un peu au repos.

" La fuite interminable des réfugiés continue. C'est vraiment malheureux et triste de voir ce navrant cortège

" Je sens que je m'endors sur le papier. Aussi, j'arrête ce petit mot... "

L'heure du suprême sacrifice approche. La Brigade exécute immédiatement l'ordre et se porte dans la région indiquée.

Le 16 Juin, par Ferrières, La Verrerie, Courtomer, Essai. le Régiment atteint la région entre Sées et les Mesle.

Le P.C. s'installe au haras de Bois-Roussel où se trouvent 198 ravissantes juments de pur sang qui n'ont pu être évacuées. Elles ont été lâchées dans les prairies, sauf celles qui viennent d'avoir des poulains qui sont confortablement installées dans de grands boxes.

Comme c'est triste de voir tout ceci abandonné ; que va-t-il en advenir ? L'Anglais qui est à la tête du haras nous déclare en français, avec un fort accent anglais, qu'il reste et que pour ne pas avoir d'ennuis avec les Allemands, il déclarera qu'il est Français... Nous sourions en entendant son violent accent qui ne peut laisser de doute à personne ! Notre séjour ne devait pas être bien long ; arrivés vers 10 heures du matin, nous en repartions dans la soirée vers 22 heures.

Le 1er Bataillon s'installe en cantonnement gardé aux Ventes. Le 26 à Bursard.

Dans la nuit du 16 au 17, le Régiment se porte par Sées et Martré, où s'installe le P.C. du Régiment, sur la ligne Marmouille (2e Bataillon), Argentan (1er Bataillon).

Le Colonel Lafeuillade, au reçu, vers 3 heures du matin. de l'ordre d'opérations de la Xe Armée, transmis par la 3e D.L.C., décide de se reporter sur la ligne Briouze-La Fierté-Macé. P.C., La Sauvagère, 6 km. N.O. de la Ferté-Macé, de manière à se trouver au petit jour à la droite du 16e C.A. dont les éléments devaient se trouver dans la région Est de Flers.

Deux groupements sont constitués :

Un, sous les ordres du Lt-Colonel Watteau, comprenant le 2e Bataillon du 2e R.D.P., un groupe d'Artillerie du 25e et des éléments du 37e R.A.M.

L'autre comprenant : le 1er Bataillon sous les ordres du Chef d'Escadrons L'Hotte, et les éléments du 3e R.A.M.

Par Saint-Christophe, Carrouges, Joué-du-Bois, le 2e Bataillon se rend à la Ferté-Macé.

Tous les efforts faits dans la matinée pour prendre liaison avec le C.A. devant se trouver dans la région de Fleuré (11 km. S.O. d'Argentan) et non de Flers comme inscrit dans l'ordre de la Xe Armée, étant restés vains, le Colonel Lafeuillade décide, à la demande d'une Division d'infanterie de reporter le groupement L'Hotte dans la région Vieux-Pont, Boucé, Sainte-Marie et le groupement Watteau à Le Mesnil, Saint-Sauveur, Rouperroux, le P.C. de la B.L.M. à Rames (13 km. N.E. de la Ferté-Macé).

Hélas, l'impression pénible de se sentir de plus en plus isolé dans l'espace, sans aucun lien avec l'échelon supérieur, allait s'accentuer d'heure en heure.

A chaque instant, nos unités étaient menacées d'encerclement, d'anéantissement ; elles ne pouvaient plus compter que sur elles-mêmes.

Aucun renseignement précis, le ciel de plus en plus vide d'avions amis et de plus en plus rempli d'avions ennemis.

Le conducteur tombant de sommeil au volant de sa voiture, le gradé se raidissant contre la fatigue et ne réussissant â prendre un ordre par écrit que par une force de volonté surhumaine, ses yeux se fermant malgré lui, le crayon s'échappant de ses mains devenues inertes. Les Dragons, blancs de poussière, la gorge sèche, les yeux remplis de sable de la route, profitaient de ces changements de position pour prendre quelques instants de repos.

On voyait leurs corps se balancer aux cahots du chemin, parfois un cahot plus rude faisant heurter leurs casques, ils reprenaient conscience quelques secondes, s'ébrouaient, se redressaient, puis la fatigue plus forte reprenant le dessus, ils s'endormaient à nouveau.

Ils roulaient ainsi, sans s'en douter vers l'Ultime Sacrifice.

Cette soirée du 16 Juin devait, pour beaucoup, être la dernière soirée de liberté ; le lendemain, tombant aux mains d'un ennemi cent fois plus nombreux, ils allaient prendre le chemin de l'exil et de la captivité pour cinq longues années.

Mais, jusqu'au bout, ils avaient fait leur devoir, tout leur devoir !

Au milieu de la débâcle française, ceux du 2e R.D.P. auront prouvé, comme l'écrivait plus tard, le Capitaine de Largentaye au père d'un de nos agents de liaison, tombé au Champ d'Honneur, qu'il restait encore pendant cette guerre des Français de bonne souche et de grand courage.

IX      LA SEINE - L'EURE (8-12 Juin)

Contournant les îlots de résistance qu'elles rencontrent ça et là, les colonnes motorisées allemandes s'élancent dans les vides, hélas trop nombreux, qui se trouvent devant elles. Elles accélèrent leur marche en direction de la Seine sans laisser un instant de repos aux débris d'unités qui font l'impossible pour les arrêter.

Celles-ci, malgré leur héroïsme et leur résistance désespérée, sont submergées par la marée montante et sans cesse accrue des tanks, des avions et des blindés de toutes sortes.

Après les deux batailles de la Somme auxquelles avait pris part notre Régiment, on espérait pouvoir souffler un peu, se reposer ne serait-ce que 24 heures, dormir 12 heures d'affilée. Ce manque de sommeil depuis bientôt un mois est une des épreuves les plus dures à surmonter.

Il est question de plus en plus de toucher du matériel neuf, attendu avec impatience depuis des semaines. Il serait grand temps d'en recevoir ; notre matériel très ancien ou réquisitionné n'en pouvant plus ! Les liaisons entre unités deviennent presque impossibles à assurer par suite, d'une part de la pénurie de motos, d'autre part, à cause de l'usure de celles qui restent en service et qui n'en peuvent plus.

Heureusement, le moral des hommes reste admirable !

Le 7 Juin, en fin d'après-midi, on apprend que le P.C. de la 13e B.L.M. a été surpris par l'ennemi en cours de mouvement à 4 km Sud d'Aumale.

Le Colonel Lafeuillade, le Capitaine Hachette et le Lt de Monneville ont disparu.

Le Lt-Colonel de Villers prend le commandement de la Brigade.

En fin de journée, l'ennemi progresse en direction de Songeons, La Chapelle, Forges-les-Eaux.

Le 8 Juin, le Lt-Colonel Watteau est appelé tôt dans la matinée au P.C. de la Division, où il reçoit des ordres pour couvrir le passage de la Seine.

Le P.C. du Régiment s'installe au Château de Mondétour pour la nuit. Beau château rempli de souvenirs du 1er Premier Empire. Splendide parc, avec des parterres de lys blancs qui embaument dans la nuit. Oasis merveilleuse non encore touchée par le fléau dévastateur de la guerre où nous nous reprenons à espérer contre toute espérance.

La Seine est, croyons-nous, tenue par des forces fraîches d'Infanterie française. Demain, nous renforcerons ces régiments et arrêterons sur la Seine l'envahisseur.

Le P.C. quitte le château de Mondétour où il a passé la nuit et fait un arrêt prolongé à l'école de Bierville.

Nos unités avaient reçu l'ordre de s'installer en position défensive sur le Crevon, face à l'Est à hauteur de Ry. A la gauche du dispositif, un Bataillon de chars anglais, à la droite, le 6e Dragons.

A midi, on apprend que les chars lourds anglais se sont repliés sans combattre, sitôt l'apparition des motocyclistes allemands, découvrant ainsi la gauche de la Division.

Le 2e Bataillon, en prenant position sur les pentes dominant le ruisseau qui coule au Nord du Château du Héron, découvre deux canons de 25 mm appartenant à un Bataillon dont les rescapés, à la suite d'un violent bombardement d'avions allemands, s'étaient repliés en toute hâte. Ces canons étaient servis par des Polonais... Servants et conducteurs exténués, n'ayant pas voulu abandonner leurs pièces s'étaient endormis là... Ils ne savent plus depuis combien de temps. Peu importe d'ailleurs, les deux canons sont un précieux renfort pour notre pauvre régiment au matériel périmé.

Vers 12 heures, l'Escadron Clavel reçoit quelques obus de petit calibre qui ne lui occasionnent aucune perte.

Vers 12h30, le Colonel de Villers reçoit l'ordre de se retirer au Sud de la Seine tenu par l'Infanterie, sans se laisser accrocher ; itinéraire Pont-de-l'Arche.

Ordres donnés à la Brigade : Le Capitaine Weygand se portera immédiatement vers les ponts : Pont-de-l'Arche et d'Andé, pour assurer le passage de la Brigade. Le groupe de 105 protégé par les motocyclistes du 3e R.A.M. passera à Pont-de-l'Arche. Le 2e R.D.P. encadrant la colonne centrale passera la Seine à Oissel et Andé. L'Escadron Royère, du 2e D.P. formera l'arrière-garde.

Le mouvement se fait au milieu d'une cohue indescriptible de troupes de toutes unités, françaises et britanniques, et d'innombrables réfugiés. Par un hasard inouï, le passage de la Seine s'effectue sans bombardement d'avions, grâce à la présence de chasseurs anglais qui protégeaient leurs propres unités.

En cours de route, avant le passage de la Seine, le P.C. léger est pris sous un violent bombardement d'avions qui lançaient des bombes sur un terrain d'aviation. Une épaisse fumée noire monte vers le ciel à côté de nous.

Nous sommes gênés dans notre mouvement par des colonnes de chars anglais en retraite.

C'est à Pont-de-l'Arche que le P.C. passe la Seine ; de là, il se dirige vers Louviers où il retrouve des éléments du 2e R.D.P. Surprise de voir les gens offrir des fleurs à nos Dragons comme si nous étions vainqueurs ! La ville présente l'animation d'une ville en pleine paix. Nous regardons avec un oeil d'envie les devantures des cafés, des pâtisseries où les consommateurs se pressent comme si l'ennemi était à des centaines de kilomètres ! Nous qui, depuis près d'un mois " baroudons " sans arrêt, et avons atteint les limites de la fatigue, nous ne comprenons pas... Hélas, 24 heures après c'étaient les pauvres habitants de Louviers qui devaient comprendre et réaliser le drame qui se jouait à leur porte sans qu'ils s'en doutent !

Grâce à l'esprit d'à-propos et à l'ordre du Général Petiet, qui, vers 16 heures, prescrit aux Brigades Villers et Maillard de presser le mouvement et de passer la Seine sans désemparer, la 3e D.L.C. sera la seule D.L.C. de l'armée française qui aura repassé la Seine.

A l'arrière-garde, les A.M.R. du Capitaine de Royère prennent le contact avec les Allemands d'une façon plutôt imprévue

A l'entrée de Ry, un jalonneur de l'Escadron Royère, fait la police au carrefour formé par le G.C. 93 que suit la colonne et le G.C. 13 venant d'Elbeuf-sur-Andelle. Les derniers éléments de l'Escadron Royère viennent de passer, les premiers éléments de l'Escadron Montille se présentent à 300 mètres environ ; le jalonneur qui porte son attention sur la colonne entend un motocycliste arriver dans son dos ; machinalement, il s'efface et, le bras tendu, lui donne le passage. Sans ralentir le motocycliste le frôle en passant, sa vitesse l'emporte jusqu'au milieu du carrefour où il fait un impressionnant virage sur place, pour repartir pleins gaz et disparaître dans un nuage de poussière au plus proche tournant de la route par laquelle il vient d'arriver... A la même seconde, aussi stupéfaits l'un que l'autre, le jalonneur français et le motocycliste allemand ont réalisé à la fois leur identité et leur méprise.

Pour parer à toute surprise, le Capitaine Thoreau qui apprend de la bouche du jalonneur l'incident, détache immédiatement deux patrouilles A.M. Motos de l'Escadron Royère pour protéger la colonne.

A la sortie de Ry, la colonne dépasse un camion du 4e Hussards en panne sur le bord de la route : il est chargé de 400 mines anti-chars.

En arrivant à Fleury-sur-Andelle, le Commandant Larger, commandant le 2e Bataillon, rencontre le Col. Jacotiet commandant le 6e Dragons, très soucieux et attristé des lourdes pertes subies par son magnifique régiment sur la Somme.

Hélas, pour ceux qui, comme nous, croyaient rencontrer de fortes unités d'infanterie défendant la Seine et permet­tant d'arrêter le flot envahisseur des blindées allemandes, le doute n'est plus possible..., nous sommes battus et, à moins d'un miracle, c'est l'écrasement total sous peu.

La défaite de la Somme venant après le désastre de Dunkerque, a donc été décisive pour nos armes. Il ne s'agit plus que de sauver l'honneur. Le 2e R.D.P. fera son devoir .jusqu'au bout avec autant d'esprit d'abnégation que d'élégance. L'ennemi est victorieux, soit !... mais cette vic­toire, la cavalerie française, autant par patriotisme que par tradition d'armes, la lui fera chèrement payer, et c'est ani­més d'une froide résolution que les combattants du Régi­ment vont prendre les positions qui leur sont assignées sur les bords de la Seine.

Ces éléments se trouvent écartelés sur un tel front qu'en certains points F.M. et mitrailleuses n'arriveront pas à croi­ser leurs feux.

Les avions allemands tiennent le ciel donnant aux combattants à terre l'impression angoissante d'une écra­sante puissance.

Vers 17 heures, une escadre de plus de 100 bombar­diers, protégée par de nombreux chasseurs descend la Seine en direction de Rouen dans le vrombissement assourdissant des moteurs. Chacun comprend mieux que jamais l'effroya­ble infériorité matérielle dans laquelle se trouve notre mal­heureux pays du fait de la coupable incurie de son gouver­nement.

Suivant les ordres du Général de Division, le secteur est organisé de la façon suivante :

Sous-secteur Ouest : de Criqueboeuf à Poses inclus, aux ordres du Lt-Colonel de Villers, avec le Bataillon Henriet, l'Escadron d'A.M. de Kaminsky, moins un peloton, la batterie de 75 Vandelle du 72e R.A., P.C. au Rond-de-France (lisière Nord de la forêt de Bord).

Sous-secteur Centre : de Poses exclu à Heudebouville inclus aux ordres du Lt-Colonel Watteau, avec le Bataillon Larger, ce qui reste de l'Escadron d'A.M. Weygand, une pièce de 75, une batterie de 47, la batterie 105 Capuis du 72e R.A., le G.R.D.I. 80, P.C. à Saint-Cyr-de-Vauvray.

Sous-secteur Est : de Heudebouville exclu au Pont de Courcelles, aux ordres du Général Maillard, commandant la 5e Brigade de Cavalerie, P.C. au château de Hazey.

Le Lt-Colonel Thomas, commandant le 72e R.A. et l'A.D.I.C. prend sous ses ordres tous les éléments d'Artillerie se trouvant dans le secteur.

L'Escadron Monnier (9 chars H 39 qui viennent d'être perçus) se placera à La Haye-le-Comte (S.O. de Louviers), en réserve de Division, dès que sera terminé le parage de ses canons, en cours à Vernon.

Ce dispositif est renforcé par les éléments britanniques de la Division Evans (1st Armoured Division) soit 30 à 40 chars aux ordres du Brigadier Crocker, qui patrouillent le long de la Seine, autour du Pont-de-l'Arche et une quinzaine de chars du Brigadier Maccreary du côté de Louviers. Un bataillon du Colonel Biggle (Division Baumann) stationné à Tostes (Sud de la forêt de Bord) s'est replié vers Bernay, avant d'avoir pu être touché par l'ordre le maintenant aux ordres de la Division.

D'autre part, les éléments de la 237e D.L.I. (Général François) commenceraient à débarquer dans la région d'Acquigny : à 15 heures, le Commandant Diot, commandant le I/236e prend contact avec l'E.M. de la 3e D.L.C. et reçoit l'ordre de diriger son Bataillon sur Saint-Cyr-de-Vauvray en renforcement du sous-secteur Centre. Des camions du 3e C.A. sont mis à sa disposition pour hâter son mouvement.

Les éléments régimentaires du 236e sont portés vers 19 heures sur Tostes.

Le P.C. de la 237e D.I. s'installe à 18h30 à Le Mesnil-Jourdain.

La mission donnée par le Général Petiet à ces unités est la suivante

" Empêcher tout franchissement, par les Allemands, de la Seine et si certains éléments ont déjà franchi le fleuve, les rejeter ou les détruire.

Nous allons étudier successivement ce qu'ont fait dans les journées des 9, 10, 11, 12 et 13 Juin le groupement de Villers et le groupement Watteau qui sont formés, en majorité, d'éléments de notre Régiment.

Le Colonel La Feuillade, le Capitaine Hachette et le Lt de Monneville rejoignent le P.C. de la Division le 10. A 9h30, le Colonel La Feuillade reprend le commandement de la 13e B.L.M.

Groupement de Villers. - Couvert par l'Escadron d'A.M. Kaminsky (21e Esc. d'A.M. revenant de Norvège) rattaché à l'Escadron Weygand, le Colonel de Villers se porte sans délai vers Pont-de-l'Arche et établit, à 17 heures, son P.C. à la maison forestière du Rond-de-France (2 km. Sud de Pont-de-l'Arche).

D'après les premiers renseignements, deux compagnies anglaises défendent le pont de Pont-de-l'Arche, deux autres compagnies anglaises sont dans la forêt de Bord, mais on ne peut les joindre. Un certain nombre de blindées britanniques circule dans la forêt sans mission bien apparente.

Le Colonel prescrit au Commandant Henriet de s'établir de sa personne à Pont-de-l'Arche et de prendre à sa charge, avec son Bataillon, tout le front du groupement.

A 22 heures, un point d'appui est organisé par l'Escadron de Beaumont à Quatre-Ages où l'on pouvait craindre une tentative de passage par des éléments ennemis signalés en fin de journée vers Freneuse.

L'Escadron Kaminsky vient en réserve au P.C. après l'installation du Bataillon Henriet. Il a également à assurer la protection de l'artillerie.

La batterie de 75 est retirée, mais le Colonel de Villers reçoit un renfort considérable d'artillerie

Les batteries de 105 sont poussées en arrière de Quatre-Ages, de Les Damps et de Léry. Le 22e est en position près du P.C.

A Pont-de-l'Arche, la défense s'organise rapidement ; tout l'effectif, y compris les hommes du P.C. (sauf les brancardiers naturellement) tiendra les positions. Les téléphonistes occupent une barricade à la sortie Sud de Pont-de-l'Arche, les radios une deuxième à la sortie Est, les chiffreurs et signaleurs à la sortie Nord, face au pont coupé. Et tout cela n'est pas de trop lorsqu'on songe que les 500 hommes du Bataillon ont à tenir un front de 11 km.

La Grande Rue et le Pont sont battus par des armes automatiques ennemies qui avaient d'ailleurs considérablement gêné le débouché du Bataillon de la forêt de Bord sur Pont-de-l'Arche. Des pentes de la rive droite, elles avaient des vues magnifiques sur la route qui descend de la forêt sur le village, et la prenaient complètement en enfilade.

Vers 17 heures, le dispositif est renforcé par un peloton Motos du 123e G.R.C.A. (Lt Evain) qui est chargé d'assurer la liaison entre les P.A. Henriet et Beaumont. Il s'installe à l'Abbaye de Bonfort.

Le 10 Juin, dans la matinée, l'Escadron de Beaumont (2e D.P.) est relevé à Quatre-Ages par un poste mixte composé du peloton du Lt Tunzini du 3e R.A.M. et d'un peloton d'un Groupe de Reconnaissance de la Division d'Infanterie qui tient Elbeuf, avec qui la liaison a enfin été prise.

On constate que le Pont-de-l'Arche qui a sauté le 9 Juin est impraticable, par contre le pont du Chemin de Fer de Damps n'a pas été détruit.

En conséquence, l'Escadron de Beaumont est chargé de la défense de Les Damps, avec mission d'interdire tout passage par ce pont. Il dispose des mortiers du Bataillon.

Le Lt Dautigny (2e D.P.) sur la droite du dispositif, doit interdire tout passage par les écluses et les bacs de Poses.

A Pont-de-l'Arche, de nombreux soldats, restés au bord de la Seine ou échappés aux Allemands, traversent la Seine à la nage sans être inquiétés par l'ennemi. Les Dragons essaient de mettre des canots à l'eau mais ceux-ci sont immédiatement pris à partie par des armes automatiques allemandes dont la présence ne s'était pas encore révélée.

Pendant toute la journée, le bataillon Henriet fait des patrouilles le long de la Seine, où, à cause de nombreuses îles et des passerelles non détruites qui les relient, des infiltrations ennemies sont toujours possibles. De toutes les hauteurs du Nord de la Seine des armes automatiques prennent ces reconnaissances sous leur feu.

Les groupes de 105 et de 220 exécutent sans interruption des tirs systématiques de harcèlement sur les carrefours et voies d'accès au Nord de la Seine, notamment sur Igoville, Le Manoir et Alizay où des mouvements de troupes sont signalés.

De leur côté, les Allemands bombardent Pont-de-l'Arche, la route Nationale de Pont-de-l'Arche à Louviers et les positions de batteries.

Vers 10 heures, l'ennemi va tenter de traverser la Seine. Pour ce faire, il essaie de faire glisser à l'eau deux péniches qui sont sur cales dans un atelier de constructions nautiques, situé en amont et tout à côté du Pont à Le Fort, sur la rive droite. On voit les péniches avancer insensiblement, par à-coups, comme mues par une main invisible. Aussitôt les armes automatiques du Bataillon entrent en jeu, ainsi que les mortiers de 81 ; mais leur tir précis n'est pas assez efficace pour rendre les péniches inutilisables. Le Chef d'Escadrons Henriet demande alors un tir de destruction à l'artillerie. Ce tir exécuté immédiatement détruit les péniches et met le feu à l'un des ateliers du chantier où l'ennemi avait déjà constitué un dépôt de munitions d'infanterie. Ce dernier explose et pendant une heure on entend le crépitement des balles auquel se mêle la note plus puissante des éclatements de grenades ou des obus de mortiers. Les éléments ennemis qui se trouvaient là se retirent alors précipitamment.

A midi, le Génie fait sauter le pont du Chemin de fer de Damps avec des moyens de fortune.

Dans l'après-midi, l'observatoire placé au dernier étage d'une maison en bordure de la Seine, signale de grosses concentrations de troupes motorisées ennemies à Igoville, village situé en face des positions tenues par le Bataillon, l'installation de batteries d'artillerie à la lisière d'un bois à l'Ouest d'Igoville et la progression par le chemin qui, de la station d'Igoville, s'avance vers la Seine, d'un certain nombre de chars allemands. Aussitôt à la demande du Commandant Henriet, l'artillerie se déchaîne à nouveau sur ces objectifs qui doivent être sérieusement éprouvés à en juger par la précision du tir de nos artilleurs. Il est de fait que les velléités offensives de l'ennemi semblent, à partir de ce moment là, singulièrement refroidies. Il cherche ailleurs le point faible et le trouvera le lendemain à une quinzaine de kilomètres à l'Est, du côté des Andelys.

Dans la nuit, un Général anglais, qui commande les Britanniques de ce secteur, vient au P.C. du Colonel de Villers l'avertir qu'il doit retirer ses troupes pour les regrouper à Caen. Il est convenu qu'il laissera les compagnies qui défendent Pont-de-l'Arche jusqu'au lendemain. On apprend que l'ennemi serait aux abords de Louviers, soit qu'il ait traversé la Seine au Sud d'Andé, soit qu'il arrive par Gaillon.

Le 11 Juin, on apprend que la situation devient difficile à droite, entre Louviers et les Andelys. A gauche, le G.R. avec lequel le Lt Tunzini est en liaison signale que certains quartiers d'Elbeuf au Sud de la Seine, sont rendus intenables par des tirs d'artillerie.

Les deux Escadrons du Commandant Henriet (Van Aertsela.er et de Beaumont) doivent assurer seuls la défense du secteur sur un front de plus de 15 km, où de nombreuses îles masquent la rive opposée.

L'Escadron de Royère est en réserve à Pont-de-l'Arche.

Nos positions d'artillerie et tous les postes sur la Seine sont bombardés par l'artillerie ennemie.

Vers 18 heures, une partie du secteur (notamment l'emplacement des batteries lourdes) est submergée par un nuage de fumée opaque, venant du Nord, rasant le sol. Dans l'incertitude, un tir de barrage est déclenché. Ce nuage provenait des docks d'essence de Rouen incendiés.

Le 12 Juin, on apprend que l'ennemi occupe la boucle des Andelys. Toute la journée, les deux groupes lourds et la batterie de 75 exécutent d'incessants tirs de harcèlement sur tous les villages au Nord de la voie ferrée et prennent sous leur feu les troupes ou colonnes de véhicules qui progressent en direction de la Seine.

La rive Sud de la Seine est sous le feu des armes automatiques allemandes : les patrouilles des fusiliers du Bataillon Henriet circulent difficilement pour surveiller le fleuve.

A 17 heures, la Division donne l'ordre de repli en direction de l'Ouest avec Saint-Pierre-d'Elbeuf comme premier point de destination. Le Colonel de Villers prescrit que le mouvement se fera à partir de 23 heures.

L'artillerie lourde s'écoule en tête du groupement, protégée par l'Escadron Tousée (3e R.A.M.) pendant que la batterie de 75 bombarde violemment les accès du pont de Damps et du pont de Pont-de-l'Arche.

Le mouvement de retraite s'exécute dans des conditions extrêmement pénibles et difficiles. Il pleut à torrents, et dans les bois de la forêt de Bord qu'il s'agit de traverser tous feux éteints, on n'y voit goutte, c'est miracle que la colonne arrive sans accident à destination. Les conducteurs sont vraiment des as qui, depuis des mois, ont fait, par des nuits noires, des milliers de kilomètres, sans accrocs sérieux malgré des chemins inconnus et la fatigue toujours plus épuisante.

Le 13 Juin, à 6 heures, le groupement de Villers est rassemblé dans la région de Saint-Pierre-d'Elbeuf (P.C. du Colonel à Saint-Cyr-la-Campagne), couvert au Nord par le G.R.D.I. resté sur les positions le long de la Seine, et à l'Est par le Ct Henriet, avec un Escadron à La Vallée.

A 10 heures, le Lt Dattrez (7e Cuirassiers) est envoyé avec 2 A.M. en reconnaissance vers Evreux. Il se heurte à Evreux à des motocyclistes allemands. Après un engagement de quelques instants, il s'empare d'un side qu'il ramène et d'une moto qu'il brûle.

Dans la soirée, le groupement de Villers est dissous. Le Bataillon Henriet rejoint son régiment, le 3e R.A.M. se porte, dans la nuit à l'Ouest de la forêt de Beaumont-le-Roger.

Le Bataillon Henriet a, pendant quatre jours, interdit tout passage de l'ennemi malgré le front étendu, une Seine couverte d'îles difficiles à surveiller et le pont de Damps que des moyens de fortune avaient à peine mis hors de service.

Les Dragons, par leur inlassable activité et sans une minute de repos ont rempli la mission qui leur était confiée.

Groupement Watteau

Le 9 Juin, le groupement doit tenir la Seine de Poses (exclu) à Heudebouville inclus. Son P.C. s'installe dans l'école de Saint-Cyr-du-Vaudreuil.

Le G.R.D.I. 80 occupe Heudebouville et Vironvay.

Les Escadrons du 2e Bataillon sont répartis aux endroits les plus névralgiques du secteur : l'escadron Montille tient les abords de Saint-Pierre-du-Vauvray en liaison avec les Anglais qui conservent la mission de défendre le pont d'Andé.

L'Escadron Clavel est partagé, écartelé devrait-on dire, entre Portejoie, où le Lt Clavel établit son P.C., Port-Pinché et Tournedos.

Le contrôle de la partie Nord du secteur est confié à deux patrouilles Motos de l'Escadron Royère, sous les ordres du Sous-Lt Thirion qui établit son P.C. à Léry d'où partiront ses patrouilles pour battre l'estrade dans le triangle formé par Le Mesnil-Poses-Léry..., un triangle dont chaque côté mesure 5 kilomètres sans compter les 4 kilomètres de berge sans route qui séparent l'extrémité Nord-Ouest de Poses des premières maisons de Les Damps, où reprend la route, en bordure de berge.

L'observatoire du Régiment s'installe dans le grenier d'une des dernières maisons au Sud de Saint-Pierre-du-Vauvray d'où il a de belles vues sur le pont d'Andé et la rive droite de la Seine. Le pont d'Andé saute vers 14h30.

L'Escadron Montille se croit alors bien à l'abri derrière la Seine. Deux sections d'infanterie française et deux sections d'infanterie anglaise sont mises sous les ordres du Lt de Montille.

A Saint-Cyr, le Lt-Colonel Watteau et les officiers du P.C. du Régiment essaient en vain, conformément aux ordres reçus, d'arrêter des éléments d'infanterie anglaise qui battent en retraite pour les incorporer dans le dispositif de défense.

Chaque officier prétend qu'il a reçu un ordre d'un officier plus élevé en grade pour battre en retraite ; impossible de les arrêter.

Le Capitaine de Largentaye cherche en vain la liaison avec le Bataillon d'Infanterie que nous devions recevoir en renfort.

A la nuit tombante, le P.C. du Bataillon et celui de l'Escadron Montille vont s'installer dans la conciergerie d'une grande villa dont la grille cochère ouvre sur une petite place ronde non loin de l'église de Saint-Pierre-duVauvray.

Le P.C. du Régiment est transporté, dans la nuit du 9 au 10, dans une maison isolée vers la sortie Ouest de Saint-Cyr. Le Capitaine Weygand et ce qui reste de son Escadron A.M.D. est en réserve au P.C.

Dès la chute du jour, un épais brouillard s'étend sur toute la vallée de la Seine, limitant la visibilité à quelques pas, puis, à la nuit, la bouchant complètement. La situation des éléments du Bataillon, anormalement étirés le long de la berge de la Seine, est tragique..

Du fait du beau temps persistant et de la sécheresse, l'eau est aussi basse que possible et, dans tout le secteur du Bataillon, entre le pont d'Andé et Poses, le fleuve est parsemé de nombreuses îles, plantées de peupliers, qui ne peuvent qu'en faciliter le passage.

Le brouillard est tel que, dès la tombée de la nuit, chaque élément en ligne se trouve isolé et réduit à ses propres moyens en attendant le jour. Toutes les liaisons sont très hasardeuses pour ne pas dire impossibles.

Effectivement, au cours de la nuit, profitant du brouillard qui assourdit tous les bruits et interdit toute visibilité, de nombreux éléments ennemis ont traversé le fleuve dans leurs canots de caoutchouc et sur des peupliers qu'ils ont abattu là où, entre les îles, les bras de Seine sont étroits.

Des infiltrations particulièrement importantes se sont produites entre le pont d'Andé et Portejoie (surnommé Porte Guigne), en sorte que, le 10 Juin, dès 4 heures, des combats aveugles et sans merci se livrent dans le brouillard et dans la nuit.

Aucune action d'ensemble n'est possible, toute liaison étant interrompue entre le P.C, du Bataillon et les éléments en ligne et entre ces derniers.

L'Escadron Clavel se bat désespérément contre des forces supérieures. A 1h30 du matin, il est attaqué par un, deux, puis trois bataillons allemands. La plupart des postes de son Escadron sont encerclés par des ennemis très supérieurs en nombre : le Lt Clavel lui-même est encerclé dans son P.C. de Portejoie dès 3 heures.

Des deux postes de guetteurs qui se trouvaient sur la berge de la Seine à proximité de l'entrée de la ferme, il n'a plus de nouvelles.

Le Lt Clavel, ce fou de bravoure, brave jusqu'à la témérité, a perdu, pour la première fois depuis le 10 Mai, le sourire un peu cruel que provoque chez lui la perspective du danger. Pris au piège comme un vulgaire gibier, de tout son être, il se révolte contre une telle expectative ; cependant, il semble que l'épaisseur du brouillard ait terni son étoile.

La situation lui apparaît dans toute sa gravité, mais son tempérament indomptable réagit brutalement devant le danger qui augmente de minute en minute.

Il n'a gardé avec lui que quelques spécialistes : en tout une douzaine d'hommes mal armes et peu aguerris au combat. Il ne dispose que d'une seule arme automatique, un F.M. que le Dragon Feydieu, le conducteur de son side de commandement a trouvé abandonné sur le bord de la route ; mais un F.M. entre les mains d'un combattant de la trempe de Feydieu est une arme redoutable : c'est d'ailleurs grâce à elle que, successivement, le Ml-des-Logis Auroux en moto, le Lt Clavel également en moto, et le Dragon Feydieu à pied, parviennent à rompre le cercle qui les enserre. Bel exploit à l'actif de Feydleu qui, au lever du jour, rejoint le P.C. du Bataillon, son F.M. en bandoulière, aussi calme que s'il venait de passer une nuit à l'affût.

Pendant ce temps, le Lt Clavel, pour tenter de rétablir la situation, se précipite vers 3 heures du matin au P.C. du Régiment et demande au Lt-Colonel Watteau de lui donner les A.M.D. du Capitaine Weygand. Notre Colonel hésite, sentant la partie perdue et que Clavel, presque sûrement, court à une mort certaine. Mais, devant l'insistance de Clavel qui affirme qu'avec cet appoint de deux A.M.D. (tout ce qui reste de l'escadron Weygand), il pourra rétablir la situation, le Colonel cède.

De son côté, le Maréchal-des-Logis-Chef Auroux a eu le même réflexe et est allé à Crauville chercher les deux A.M.D. boiteuses qui restent au 2e Bataillon.

Tous les deux se retrouvent au P.C. du Sous-Lt Hueber. Ce dernier essaie de dissuader Clavel de retourner à son point d'appui où il risque de trouver la mort ; mais aucun raisonnement ne pourra le convaincre.

Le Chef Auroux monte alors dans la même voiture que son Lieutenant et après une dernière poignée de mains à Hueber, les deux A.M.D. s'ébranlent vers Portejoie !

Clavel, Auroux et l'équipage savaient qu'ils couraient le plus grand danger, mais ils voulaient tenter l'impossible pour dégager les quelques survivants de leur Escadron et sauver le matériel.

Prudemment, la première voiture s'avance et arrive à 100 mètres de Portejoie. Un coup de 25 mm... ce sont les canons d'Auroux servis par les Allemands qui viennent de tirer. Le premier coup immobilise la voiture. Coup sur coup, 5, 10, 20 coups de canon... Les Allemands s'acharnent sur cette voiture qui fume et dont pas un seul des occupants (ils étaient cinq) ne pourra s'échapper. Seul, le Lt Clavel, dans un dernier sursaut de son être, doué d'une effarante vitalité, parviendra, torche vivante, à se projeter hors de l'A.M., pour expirer à l'air et au soleil. On le retrouvera carbonisé le long de la voiture.

Le Sous-Lt Quétan du 3e R.A.M. qui commande la deuxième A.M. essaie en vain de s'approcher, soit en voiture, soit â pied. Un coup de 25 lui passe sous le bras, écorchant la tourelle. Une balle qu'il nous montrera en rentrant au P.C. du Régiment traverse son casque, sans le blesser, mais en l'ébranlant fortement. Au bout d'un quart d'heure, voyant l'inutilité de ses efforts, il jettera un dernier regard plein de larmes vers la voiture de son camarade et rentrera au P.C. nous rendre compte de la mort héroïque d'un des meilleurs officiers du 2e R.D.P. et de son équipage.

Une seule consolation dans cette mission, au retour, à 50 mètres de l'endroit où brûlait l'A.M. de Clavel, Quétan apercevant un soldat allemand dans un fossé, fait stopper sa voiture auprès de celui-ci, ouvre la porte et, gracieusement, l'invite à monter... Le pauvre type, complètement ébahi devant le sourire et le pistolet de Quétan, s'exécute sans autre explication.

Dans cette seule nuit, l'Escadron Clavel a perdu, en tués, blessés ou disparus, son Lieutenant-Commandant, 3 Sous-Officiers et 41 Dragons.

L'Escadron Clavel anéanti, une brèche était ainsi ouverte au centre du dispositif du groupement Watteau. II importait de la colmater au plus tôt.

Le Colonel Watteau, en raison de l'étendue du front, ne disposait d'aucune réserve, le Bataillon d'infanterie n'étant pas arrivé. Apprenant que des hommes du centre de résistance de Portejoie refluaient sur Saint Cyr et demandaient des instructions, il donnait l'ordre au Lt Simon du P.C., de prendre ces hommes sous son commandement et d'organiser un point d'appui sur l'Eure entre le pont de Saint-Cyr inclus et le bac à 2 kilomètres Nord de Saint-Cyr.

Mission : résistance sur place, sans esprit de recul, jusqu'à la relève par un Régiment d'infanterie, annoncé depuis la veille, et qui, en fait, ne devait jamais arriver.

Seule, la mission était précise. Le reste était le grand inconnu.

Parti avec les deux F.M. du P.C., le Lt Simon se trouvait à Saint-Cyr en face d'une quinzaine d'hommes harassés, ayant tous conservé leur armement individuel, mais ne disposant que d'un seul F.M. avec quelques chargeurs. A part le tireur de ce F.M., aucun de ces hommes n'avait de spécialité utilisable. Il y avait là, les sept observateurs du 2e Bataillon avec leur sous-officier, un tireur de canon de 25 n'ayant conservé de son arme que la lunette, etc...

Fort heureusement, le peloton Hamelin, parvenu à se replier au complet apporta à ce moment l'appui précieux de ses 6 F.M. et d'une unité normalement constituée et encadrée.

Malgré cela, la situation n'était guère brillante. Devant nous, à 4 kilomètres, l'ennemi organisait sa tête de pont et ne fonçait pas encore vers Saint-Cyr. A gauche, à 3 km le point d'appui Jouin tenait la Seine à Tournedos. A droite, un trou de 8 km entièrement dégarni de troupes séparait le groupe Simon du 2e Bataillon qui se retranchait dans Louviers.

Peu à peu, le Lt Simon récupérait de nouveaux éléments qu'il incorporait tant bien que mal dans le dispositif initial :

hommes sans armes, et des armes sans hommes. C'est ainsi que deux mitrailleuses, trouvées sur la route par les observateurs du Régiment, échappés à l'ennemi de justesse avec leur camionnette, furent affectées, faute de servants, aux sept observateurs du Bataillon. Devant leur incapacité absolue de se servir de ces armes, le Lt Simon dut les placer lui-même sur le terrain, et là, leur enseigner le maniement de la mitrailleuse. La voiture touriste de Simon alla chercher des munitions à l'échelon munitions (au Régiment et, faute de personnel et de moyens de transport ce fut cet officier qui assura lui-même la distribution aux différents postes. De même, il dut prélever dans les épiceries et les boulangeries du village évacué les denrées nécessaires, qu'il portait, en voiture, à tous les éléments).

Manquant de moyens de liaison, il fit la rafle de toutes les bicyclettes qu'il put trouver, et il les distribua aux postes les plus éloignés.

Bref, à la fin de la matinée, le Lt Simon avait réussi à constituer un P.A. convenable, là où il n'y avait rien quelques heures auparavant.

Il disposait de 9 F.M., 4 mitrailleuses et 1 A.M.D. Le tout servi par une cinquantaine d'hommes et deux officiers, le Lt Simon et le Sous-Lt Hamelin.

A Saint-Pierre-du-Vauvray, comme à Porte joie, à la faveur du brouillard, les Allemands avaient réussi à franchir la Seine en canots pneumatiques.

Vive émotion des deux sections d'infanterie anglaise qui se battent très bien, mais bientôt refluent en désordre, entraînant le peloton de mitrailleuses Pouge.

On entend des éclatements de grenades, des courses, des cris, des rafales d'armes automatiques allemandes, françaises et anglaises, à cadences diverses... et, se précisant dans le brouillard, une masse sombre avance lentement... à une allure anormalement lente et prudente. Le Lt de Montille croit discerner une voiture de réfugiés, semblables aux milliers rencontrées sur les routes depuis le 10 Mai. Mais cette voiture est suivie d'une nappe imprécise qui ne dit rien qui vaille...

Ce sont des éléments allemands qui poussent devant eux, pour s'en faire un écran, de pauvres réfugiés.

Sans l'intervention brutale du Lt de Montille, la retraite allait se transformer en déroute. Il organise rapidement, avec un cran superbe, un réduit autour de son P.C. Il se battra à la grenade au milieu de ses hommes pendant trois heures. Il ne donne l'ordre de repli que lorsqu'il n'y a plus ni cartouches, ni grenades. On compte plus de soixante cadavres ennemis étendus autour du P.C.... L'Escadron a un seul blessé.

L'intervention de l'Escadron de chars Monnier et d'éléments blindés de la brigade anglaise Maccreary nettoie le terrain vers 11h30 et supprime la menace à l'Est de Louviers.

Mais la faiblesse des effectifs et la grande lassitude des hommes ne permet pas de reporter la défense sur la Seine.

Ordre est donné de décrocher. Au Bataillon échoit la mission de défendre Louviers pour interdire à l'ennemi le passage de l'Eure : mission rendue difficile, tant par la situation même de cette ville, que par la faiblesse de nos effectifs. Louviers est construite à cheval sur l'Eure, dans un fond dominé, face à l'Est par le bord abrupt et boisé du plateau qui s'étend entre Seine et Eure. Comme effectif, nous ne disposons plus que de cinq petits pelotons et de quatre patrouilles A.M.D.

Vers 13h30, les derniers éléments du Bataillon ont rejoint Louviers qui est absolument désert : en dehors des Dragons, il n'y a pas âme qui vive.

Pendant que la défense s'organise, trois chars Hotchkiss montent sur le plateau pour y remplir une mission retardatrice. Ils y sont pris à partie violemment par des armes antichars légères, mais, vers 13 heures, tous reviennent sans avoir subi de dommages.

Le Bataillon organise la défense face à l'Est sur le canal qui se trouve en avant de l'Eure.

Les ponts sur le canal et sur l'Eure sont intacts.

L'Escadron Montille met en état de défense le pont situé au N.E. de Louviers, sur le canal et la gare. Une A.M. de l'Esc. Royère est embossée dans un jardin, près du pont, en soutien des éléments de l'Esc. Montille chargé d'en interdire le passage.

Le Lt Michel Biseuil qui a pris le commandement de ce qui reste de l'Esc. Clavel, a reçu la mission d'organiser la défense du pont Sud de Louviers que franchit la route débouchant du faubourg Saint-Jean en direction d'Heudebouville par Folleville.

Les effectifs dont il dispose : deux pelotons squelettiques, sont absolument disproportionnés avec la mission qui lui incombe.

Un Capitaine de l'Armée britannique avec un détachement de quarante hommes et deux chars, venu se mettre spontanément à la disposition du Cdt Larger, permettra de renforcer le groupement Biseuil. Ce détachement, formé d'Écossais très ardents ne demande qu'à combattre.

Une patrouille A.M. renforcée est mise à la disposition du Sous-Lt Hueber pour assurer en direction du Sud, une mission de sécurité et de liaison avec le 80e G.R. ; une autre patrouille A.M. motos assure en direction du Nord, une mission de surveillance et de liaison.

Le 11 Juin, le P.C. du Régiment qui a quitté en fin de matinée hier, Saint-Cyr, est installé en pleine forêt de Louviers. Son observatoire qui, sous la pression ennemie, a dû se retirer de Saint-Pierre-du-Vauvray, s'installe en lisière de la forêt de Louviers avec de bonnes vues sur Saint-Cyr et Saint-Etienne. Il permettra de déclencher de nombreux tirs efficaces sur des troupes allemandes qui se montrent sur la rive droite de l'Eure, et, dans la soirée, préviendra le commandement, de l'attaque allemande sur Saint-Cyr. Le R.P. Forestier, aumônier général des Scouts, un de nos aumôniers divisionnaires rend visite à ce P.C. au cours de l'après-midi et apporte la Sainte-Eucharistie pour réconforter ceux qui sont en première ligne. Le contraste est frappant entre le concert infernal que font de nombreux avions qui tournent au-dessus de nos positions, et après leur départ, le grand calme de cette forêt où Dieu descend dans le coeur de ceux qui s'agenouillent pour le recevoir !

Mais, que se passe-t-il à Saint-Cyr ?

Saint-Cyr. - L'effectif du P.A. est renforcé par un peloton de chars H 39 du Lt Madeline et d'un poste E.R. 17 permettant de communiquer directement avec l'artillerie. Enfin, une compagnie de D.C.A. de 13,2 passe sous les ordres du Lt Simon et lui rend de grands services au point de vue observation.

L'ennemi ne s'est jamais rendu compte de la faiblesse extrême du dispositif qu'il avait devant lui. Ce ne fut, de notre part, qu'un vaste bluff ; à plusieurs reprises, des patrouilles allemandes vinrent tâter la position, cherchant en vain à faire lever le feu de nos armes, pour en repérer le nombre et l'emplacement.

De notre côté, l'on déployait une activité fébrile. Sans arrêt des hommes à bicyclette, transportaient des plis imaginaires. L'A.M.D. patrouillait entre Saint-Cyr et Tournedos. Huit soldats anglais furent envoyés prés du pont en patrouille ; les Allemands, en les voyant, purent croire que des effectifs anglais plus importants se trouvaient là avec les Français.

Bref, tout fut mis en oeuvre pour donner l'impression d'une position fortement tenue.

Dans l'après-midi, survol répété de la position par des avions allemands puis, violent bombardement. Le 72e R.A. effectue un tir d'interdiction tout aussi violent, et le décrochage a lieu finalement dans la nuit du 11 au 12, sans dégâts, sous les ordres du Capitaine de Royère, arrivé de Louviers avec son Escadron.

Louviers. - Dès le matin, l'ennemi attaqua. Durant toute la journée, les lisières de Louviers furent le théâtre de combats violents. Malgré l'énorme disproportion des forces, nos Dragons tinrent bon, sans faiblir. L'attaque de l'infanterie ennemie fut soutenue par des tirs d'artillerie et de mines. Très brave conduite du Maréchal-des-Logis Bouyer.

L'ennemi est contenu, et le Cdt Larger a la fierté de pouvoir livrer au Bataillon Bendzy du 213e R.I. qui vient le relever vers 16h, une position encore intacte. Le Bataillon quitte Louviers pour le bois d'Incarville d'où il assiste, atterré, à l'incendie par Stukas de la ville qu'il vient de quitter, et où les fantassins, à peine arrivés, se font tuer. Dans la nuit, le Bataillon se porte vers Crasville.

Le 12 Juin, le P.C. du Régiment, dans la nuit, s'est porté à Vraiville, où il apprend par le Lt Montot, échappé aux Allemands, les très durs combats que le 4e Hussards a eu à supporter à Coucher-Amfreville.

Vers 22 heures, un ordre arrive, prescrivant le regroupement de la 3e D.L.C. dans la région de la forêt de Beaumont-le-Roger, en arrière d'un front tenu par la 237e D.I., la 51e Brigade britannique et la 3e D.L.M. Le mouvement s'effectue de nuit dans des conditions difficiles en raison des conditions atmosphériques (pluie) et de la fatigue du personnel...

La Division s'apprête à faire le mouvement qui doit lui faire tenir en fin de repli, la ligne Dives-Orne, Nord et N.E. d'Alençon, Belleme, Nogent-le-Rotrou.

Le 14, à 14 heures, alerte, mais l'ordre de départ n'arrive qu'à 22 heures. Une fois de plus, la nuit se passe sur la route. Le mouvement est effectué dans des conditions très difficiles, par des itinéraires secondaires qui nous sont imposés.

Les routes sont toujours effroyablement encombrées par un flot ininterrompu de réfugiés qui gênent considérable­ment la colonne.

Le 15 Juin, à 10 heures, le mouvement de la Division est terminé. Par la Ferté-Fresnel, la Gonfrière, le P.C. du Régi­ment atteint la Hardière. Le 1er Bataillon : la forêt de Saint­-Gauburge ; le 2e Bataillon : Planches. Les mauvaises nou­velles affluent.

A l'arrivée à l'étape, nous apprenons avec douleur la prise de Paris. Jamais nous n'aurions cru que notre capitale serait un jour souillée par les hordes teutonnes. Mais le moral resté bon quand même. Nous espérons des combats sur la Loire qui arrêteront l'envahisseur.

Au milieu du désarroi général, malgré les épreuves su­bies depuis près d'un mois, malgré la fatigue, le Régiment a conservé sa belle discipline intacte, et c'est une garde im­peccable qui rend les honneurs au Général Petiet à son arri­vée au P.C.

Les hommes, la tête haute, les yeux fixés droit dans ceux du Général, témoignent par leur tenue, de leur confiance dans le Chef qui, au milieu des pires difficultés, au cours de journées terribles, a su, par son calme, sa clairvoyance, son habileté, conduire, sans pertes excessives, sa Division par les chemins de l'honneur jusqu'à la gloire.

Car n'est-il pas glorieux pour la 3e D.L.C. d'avoir été citée deux fois à l'ordre de l'armée en même temps que tous ses régiments l'étaient chacun une fois ?

Suivant les nouvelles instructions du Général, ce qui reste de notre pauvre Régiment est formé de deux Bataillons de trois groupes chacun.

Ce n'était plus qu'une poussière de Régiment, mais jusqu'au bout le 2e R.D.P. fera son devoir. La grande camaraderie qui existe entre gradés et dragons fait de cette unit une troupe de choc toujours pleine d'allant et de bravoure.

Vers 17h30, le 15 Juin, la Xe Armée donne l'ordre de porter les éléments motorisés de la 3e D.L.C. dans la région de Mortrée (7 km. N.O. de Sées) avec mission de relier la droite du 16e C.A., d'Argentan inclus, avec la gauche du C.A. Dufour à Marmouille, et de s'opposer aux incursions des blindés ennemis au S.O. de l'Orne et du Don.

C'est l'arrêt de mort de notre pauvre B.L.M. qui est arrachée à la 3e D.L.C. que nous ne reverrons plus.

X       RETRAITE VERS L'ORNE ET LA MAYENNE (13-16 Juin)

Les 13 et 14 Juin, journées calmes ; pas de contact avec l'ennemi, sauf pour le 1er Bataillon dont la colonne est violemment bombardée durant le trajet de Saint-Didier à Corneville, par l'aviation ennemie. Une voiture tout terrain de l'E.M. et son équipage échappent de justesse à la destruction. Une bombe de gros calibre traverse la route, accroche au passage avec son empennage, qui est arraché, une chenille de la voiture et va percuter contre une maison qui s'écroule sur les habitants dans un nuage de poussière. Le Régiment cantonne à Saint-Aubin-des-H. (P.C. Corneville).

La 3e D.L.C. est en réserve d'armée et n'est plus aux ordres du 3e C.A. Le Général Petiet prescrit de reconstituer des unités dans les corps avec les éléments restants.

La Brigade à cheval ne dispose plus que de 10 pelotons de F.V., 2 pelotons de mitrailleuses et 3 canons de 25.

La 13e B.L.M. dispose au 2e R.D.P., de 2 Bataillons squelettiques à 2 Escadrons mixtes, au 3e R.A.M. de 7 A.M.D. (Escadrons Weygand et Kaminsky), 7 Chars H 39 (Monnier), 2 pelotons Motos (Escadron Brignac).

Le 72e R.A. du groupe Pouyat a 6 pièces (1 batterie et 1 section), le groupe Chatelain (3 batteries de 105 à 3 pièces, 1 batterie de 47 à 3 pièces).

Le 13 Juin, en fin de journée, la Division recevait le 128e G.R.D.I. motorisé, réduit à de bien modestes effectifs. Ce G.R. sera attaché au 2e Bataillon du 2e R.D.P. qui avait subi, au cours des combats sur la Seine, des pertes particulièrement sévères (Capitaine de Mangou).

XI      L'ULTIME COMBAT (17 Juin 1940)

Nous allons suivre une dernière fois, par cette splendide .journée d'été, les deux groupements formés des restes du 2e Dragons, qui allaient mourir ou hélas tomber aux mains des Panzerdivisions qui inondaient, de leur flot dévastateur, notre chère France !

Groupement Watteau

Le 17 Juin, entre 11 heures et midi, le 2e Bataillon (Commandant Larger) reçoit l'ordre de tenir Saint-Georges, La Ferté-Macé, Couptrain. En exécution de cet ordre, le Bataillon se trouve réparti sur un front de 25 km face à l'Est.

On croit l'ennemi à un minimum de 80 km. La mission est de tenir sur place coûte que coûte et de ne se replier que sur ordre.

A 11h20, ordre particulier du Colonel Lafeuillade pour le groupement Watteau : " Portez une reconnaissance A.M.D. Motos sur Carrouges-La Bellière (Ouest de Mortrée). Il est absolument nécessaire que nous connaissions le plus tôt possible la situation des éléments retardataires du C.A.D. ".

Le Sous-Lt Thirion part tout de suite en reconnaissance : avec ses motos vers Carrouges.

Vers 13 heures, le Colonel Watteau donne l'ordre au Cdt Larger de porter l'Esc. Montille et son poste de commandement à Carrouges où doit également s'installer celui du Régiment, de maintenir l'Esc. Royère à Saint-Georges d'Annebecq et de porter l'Esc. Mangou sur l'alignement des deux autres Escadrons.

Environ 40 minutes après, le Colonel est de retour. A Carrouges, il s'est heurté à des chars allemands, plusieurs motocyclistes du peloton de commandement du Régiment et du Peloton Thirion sont tués ou blessés. Le Colonel annule l'ordre qu'il a donné et dit qu'il a prévenu le Lt Montille au passage,

Un motocycliste est envoyé immédiatement porter au Capitaine de Mangou l'ordre de se reporter en arrière et de tenir Méhoudin et Antoigny.

Entre temps, une partie du P.C. du Régiment, sous la conduite du Lt Simon, se rendait de St-Maurice-du-Désert vers Carrouges pour s'y installer.

Vers 13 heures, en arrivant à Carrouges, il dépasse un gendarme assis au bord de la route, dont l'attitude lui paraît bizarre. Le Lt Simon fait ralentir la voiture à sa hauteur, mais comme ce gendarme ne lui fait aucun signe, il en conclut que le village était libre et il s'y engage avec confiance. Ce n'est que quelques mois plus tard que le Lieutenant Simon, échangeant ses impressions avec un autre Officier ayant vu lui aussi ce gendarme ; acquit la certitude qu'il s'agissait d'un Allemand déguisé en gendarme français.

De suite, ils sont pris sous le feu d'un F.M. allemand, installé au bord de la route. Maladresse ou tir d'avertissement... les balles passent nettement à côté d'eux.

L'auto était conduite par le fameux Chevallier, un de nos agents de liaison les plus prestigieux, toujours prêt pour toutes les missions les plus périlleuses, type parfait de l'ouvrier métallo parisien, plein de cran et d'entrain. Il venait de déclarer à Simon :

" Mon Lieutenant, quelle poisse, la guerre va être finie, et je n'ai pas encore pu tuer un Boche ! "

C'est son frère qui, déjà père de trois enfants, voyant sur le quai d'une gare du Nord, au moment où son Régiment embarquait, deux pauvres gosses abandonnés et en larmes, demanda l'autorisation à son Colonel de les emmener avec lui pour les remettre à sa femme : " Nous ne pouvons laisser ces enfants seuls aux mains des Boches qui vont arriver ; donnez-moi 24 heures de permission pour les confier à ma femme ; cela nous fera cinq enfants au lieu de trois ! "

Que d'humbles, au cours de cette guerre, firent ainsi plus que leur devoir sans que personne ne le sache !

Simon, sentant le danger, crie à Chevallier de faire marche arrière pour mettre son équipage à l'abri derrière le virage qu'ils venaient de prendre. Mais déjà il était passé en première vitesse, et fonçait avec sa touriste Citroën sur le F.M...

Après cela, tout a été très rapide et assez confus, le F.M. fut réduit en morceaux, le tireur avait juste eu le temps de s'échapper et les occupants de la voiture se trouvèrent à 25 mètres d'un canon antichars qui leur avait été caché par le tournant. " Sautez, ils ont un canon ! " hurle Simon. Lui-même réussit à sauter, mais Chevallier, comme s'il avait été sur une route nationale libre de tout obstacle, stoppa et vivement manœuvra en marche arrière pour amorcer un demi-tour. La voiture buta dans un pont-bascule, dont elle démolit la balustrade, mais alors qu'elle se trouvait en travers de la route, un obus du canon antichars vint la frapper de plein fouet, tandis qu'une seconde mitrailleuse, dissimulée derrière les grilles de la terrasse du presbytère, la mitraillait par devant à bout portant.

Chevallier et son camarade Jean Nogué, jeune cavalier de 18 ans, agent de liaison du Colonel, qui depuis un mois participait à tous les engagements de son Régiment avec un courage et un allant remarquables faisant toujours preuve d'un splendide moral, étaient mortellement blessés.

Quand les Allemands entourèrent et fouillèrent la voiture, les deux pauvres petits ne donnaient plus signe de vie.

Le Lt Simon avait pu s'échapper dans le champ à côté et se trouvait peu après face à face avec le tireur du F.M., allemand qu'il réussit à abattre ; mais bientôt encerclé par d'autres Allemands, il fut fait prisonnier et emmené dans un camion d'Infanterie portée.

Ayant eu la joie de le retrouver quelques mois après son évasion il raconta à l'auteur de ces lignes son odyssée.

Cédons pour quelques instants la parole au Lt Simon qui, dans un tableau saisissant nous indique les méthodes de combat des éléments motorisés allemands que nous avions devant nous

" C'est dans ce camion que je devais assister au combat qui, dans l'après-midi du 17 Juin 1940, devait mettre aux prises les Allemands avec des éléments de mon propre Régiment, entre Carrouges et La Ferté-Macé. Connaissant l'emplacement des points d'appui français et leur capacité de résistance, j'ai pu suivre de bout en bout et dans tous ses détails le procédé de manoeuvre d'une colonne motorisée allemande.

Cette manoeuvre est extrêmement souple et rapide la colonne se compose d'éléments d'armes diverses. circulant dans l'ordre suivant : motocyclistes, auto-mitrailleuses légères et lourdes, minenwerfers, 1er échelon d'infanterie en camions, artillerie (1 batterie), 21 échelon d'infanterie en camions.

" La colonne est précédée et constamment survolée par un avion de reconnaissance blindé, volant à basse altitude qui signale l'emplacement des îlots de résistance.

" Les motocyclistes font lever le feu et les automitrailleuses prennent le contact. Si la résistance ne cède pas, les minenwerfers entrent en action, appuyés de suite par l'artillerie qui dépasse le premier échelon d'infanterie, et tire sur l'objectif à très courte distance et sous la seule protection des auto-mitrailleuses. Dès que la résistance a cédé, la colonne repart : le premier échelon d'infanterie dépasse l'artillerie qui raccroche ses canons et reprend sa place dans la colonne.

" Si la résistance est plus sérieuse le premier échelon d'infanterie part à l'attaque, dès qu'il a enlevé la résistance, la colonne repart : le deuxième échelon d'infanterie prend la place du premier et se tient prêt à intervenir, tandis que les fantassins revenant de l'attaque remontent en voiture et restent au repos en queue de colonne.

" A chaque carrefour une A.M. reste en garde pour éviter les attaques de flanc.

" Tous ces mouvements de véhicules se font rapidement et presque automatiquement, avec une grande souplesse. Cela paraît dû, d'une part au commandement par un chef unique d'armes très différentes qu'il articule à son gré, d'autre part à un système de transmission par radio remarquable.

" A cet égard, un officier fait prisonnier avec tout son détachement, m'a relaté que l'adjudant allemand qui l'avait arrêté a télégraphié devant lui à son Colonel pour demander ce qu'il devait faire de ces prisonniers. Le même officier a revu le lendemain sa propre voiture qui avait été prise par les Allemands et dans laquelle, durant la nuit, on avait déjà installé un poste E.R. de Radio.

" La colonne progresse par bonds, à une allure très rapide et sans à-coups ; dans chaque voiture un homme tient un disque (rouge d'un côté, vert de l'autre) qu'il agite pour signaler au véhicule suivant l'ordre de départ ou d'arrêt...

" Aucune précaution n'était prise contre l'aviation. Les véhicules ne prenaient aucune distance entre eux ; d'autre part, le capot des moteurs était recouvert d'un énorme panneau en toile rouge avec la croix gammée noire.

" Je n'ai vu aucun véhicule de réquisition, la colonne était constituée d'engins de modèle uniforme, permettant une grande régularité d'allure. Les camions d'infanterie sont très vastes ; les hommes disposent d'une place importante et peuvent s'étendre.

" Le service de santé marche dans la colonne et n'hésite pas à se porter tout à fait en avant pour soigner les blessés. Lorsque les ambulances sont pleines, des brancards sont adaptés sur les paniers des sicles-cars.

" La cuisine roulante marche également avec la colonne et profite des arrêts pour assurer le ravitaillement. Le repas du soir comprenait ce jour-là : un hareng saur et un quart de café (très mauvais). Dans les voitures, les hommes avaient du pain bis et une sorte de margarine.

" La colonne a mis environ 4 heures pour parcourir les 17 km qui séparent Carrouges de La Ferté-Macé. Les pertes ont été considérables par rapport aux éléments qui leur étaient opposés : c'est ainsi qu'un point d'appui français commandé par le Sous-Lt Jouin, composé d'un canon de 25 et d'un peloton de mitrailleuses, et situé entre Joué-du-Bois et La Ferté-Macé a détruit avant de se replier deux auto-mitrailleuses et fait une quinzaine de morts et de blessés. Les Français n'ont subi aucune perte mais se sont fait prendre à Mayenne qui était déjà occupée par une autre colonne lorsqu'ils y sont arrivés.

" Vers 16h30, une voiture de liaison allemande a remonté la colonne, le passager, criant à chaque voiture " Franzozen haben kapituliert ! ".

" Cette nouvelle a été reçue avec de grands cris de joie, puis plusieurs soldats sont venus frapper sur mon épaule en disant que c'était très bien ainsi et que tous regrettaient d'avoir eu à se battre avec des amis comme les Français. L'un d'eux fit alors remarquer que la guerre continuait avec les Anglais et a entonné le chant : " Gegen England " qui a, été repris en choeur, mais sans grande conviction.

" C'est à la suite de cette nouvelle que les Allemands ont arboré le drapeau blanc et ont abordé les lignes françaises en déclarant que l'armistice était signé, la guerre terminée et qu'il fallait déposer les armes !"

Revenons maintenant au récit de la bataille du côté français pour vivre avec nos Dragons leurs dernières heure de combat...

La fatigue des hommes est telle que l'on peut se demander s'ils seront encore capables de tenir tête à une attaque vigoureusement menée.

Vers 15 heures, le premier char se présente devant l'Esc Montille. Son canon de 25, bien camouflé, lui envoie un obus qui le cloue à la route à 600 mètres de nous ! ... Malheureusement, le personnel peut en sortir par le fossé de la route. Une deuxième A.M. est arrêtée par le même canon à 200 mètres de nous, personne n'en sort ; une troisième montre son avant à l'orée du bois, reçoit un troisième coup de 25 qui la touche, mais sans la neutraliser ; elle recule, nous ne la verrons plus.

Nous entendons des bruits de motocyclettes au Nord et au Sud ; l'ennemi essaie de nous contourner ; il trouvera hélas de nombreux cheminements entre nous et nos voisins.

Mais une attaque frontale se prépare et nous voyons peu à peu de l'infanterie s'infiltrer dans la bruyère. Nous faisons venir notre adjudant et lui donnons l'ordre d'emmener immédiatement les voitures haut-le-pied de l'Esc., à l'exception de quelques véhicules ; nous lui demandons de nous attendre à La Ferté-Macé.

Bientôt, canon de 25 et mitrailleuses qui ont largement rempli leurs missions sont menacés et nous les faisons replier sous les ordres du Sous-Lt Jouin au P.C. du Commandant Larger.

Nous continuons la résistance avec les F.M.

Soudain, on nous prévient que l'ennemi est à 150 mètres de nous, sur notre gauche ; le chemin de repli nous est coupé, il faudra reculer par la grande route.

Le Lt de Montille fait alors partir les dernières voitures, ne gardant que tous les fusiliers à pied avec 2 F.M. Nous opérons un décrochage heureux quand l'ennemi est à 30 mètres de nous ; il nous croit tous partis avec les voitures et entame, bien lentement, sur la route une poursuite qui est stoppée par un tir d'artillerie appliqué exactement au point où nous étions 15 minutes avant. Ce tir avait été demandé par le Commandant Larger, dès l'arrivée à son P.C. du groupement Jouin.

Nous admirons ainsi pour la dernière fois nos camarades artilleurs à qui si souvent nous aurons dû notre salut. On ne dira jamais assez le rôle superbe du 72e R.A. au cours de cette guerre.

L'escadron Montille se replie à pied par les champs ; il envoie son dernier motocycliste prévenir le Capitaine de Royère.

L'étape est dure, il faut porter un de nos camarades. Nous bénissons Dieu qui nous a permis, cette fois encore, de ramener tout notre personnel sain et sauf et nous lui demandons de nous donner, malgré la fatigue extrême qui nous étreint, le courage de continuer.

Vers 18 heures, le Colonel Lafeuillade décidait de porter la brigade sur la ligne Ambrières, Mayenne (P.C. à Oisseau), sa droite se trouvant complètement découverte par suite du repli du C.A.D. qui avait décroché en camions sans qu'aucune liaison ait pu être prise, au préalable, avec lui.

Sa gauche était également fortement menacée par des colonnes ennemies, rencontrées à Briouze, se dirigeant vers l'Ouest.

Vers 19h30, nous arrivions à La Ferté-Macé, où nous espérions retrouver le Bataillon, les voitures. Hélas, il n'y avait plus personne, ni amis, ni ennemis. Les amis ont dû se replier ; l'Allemand est passé entre nous.

Où sont-ils partis ? Un grand moment de découragement saisit chacun. Le Lt de Montille cache une trentaine d'hommes dans un hangar et va aux nouvelles. Il apprend que des chenilles sont parties vers Domfront, d'autres vers Flers.

Il réussit à trouver une camionnette, la réquisitionne et sort du hangar. Au même instant, un Allemand débouche avec sa mitraillette et tire, mais le manque.

Par chance, arrivent alors à La Ferté-Macé un char et deux motos du Cdt L'Hotte chargés de tenir la sortie de La Ferté-Macé jusqu'à 21 heures. Nous sommes sauvés, nous avons retrouvé la Division, sinon le Régiment.

Nous nous organisons, faisons le coup de feu jusqu'à 21 heures et partons, le char devant, car il n'y a aucun doute que l'Allemand est devant et non derrière. Grâce à l'obscurité, nous ne recevons que quelques coups de feu qui nous manquent, et avec la caravane : char avec 6 camarades agrippés dessus, moto-sides avec 4 passagers, camionnette avec des hommes dedans, dessus, sur le côté, nous rejoignons vers 22 heures à La Sauvagère la colonne du Cdt L'Hotte qui prend immédiatement sous ses ordres notre petit détachement. Nous devions être faits prisonniers le lendemain matin à Saint-Fraimbault-le-Pisse.

Le reste du 2e Bataillon, sous les ordres du Chef d'Escadrons Larger regrouper les unités du 2e R.D.P.

A Domfront, le Commandant apprend que Mayenne est occupée par les Allemands. Il est 21 heures, la nuit tombe ; le Commandant décide de porter son détachement vers l'Ouest en direction de Rennes pour échapper à l'encerclement allemand. Le Bataillon roule toute la nuit et à 4 heures du matin, le 18 Juin, s'arrête au château de la Ville-Olivier, sur la route de Saint-Ouen-des-Alleux à Mézières-sur-Couesnon. Gradés et hommes sont exténués, les conducteurs s'endorment littéralement au volant, l'essence s'épuise.

Le Commandant décide de prendre quelques heures de repos ; il suppose les Allemands quelque peu distancés et espère pouvoir, la nuit suivante, gagner la Loire par Redon et Nantes. Mais hélas, à 16 heures, l'on apprend que Redon, Châteaubriand, Rennes et la Loire sont tenus par l'ennemi. Il n'y a plus d'illusion à se faire, ce qui reste du 2e Bataillon est encerclé.

Une seule solution : camoufler le matériel, les armes et se cacher dans le maquis environnant le château de la Ville-Olivier.

Immédiatement, les voitures sont amenées à 200 mètres à l'Ouest de la route, les armes sont transportées dans les caves du Château où elles sont camouflées sous plusieurs mètres cubes de bois scié.

Il reste un problème : celui du ravitaillement de six officiers, quinze sous-officiers, 18 brigadiers et 86 dragons. Il est facilement réglé les premiers jours, car il y a une assez grosse quantité de vivres de réserve dans les voitures, ainsi que quelques boules de pain. Les fermes voisines procurent du cidre, des oeufs et du beurre.

Le Lt Hueber, l'Adjudant-Chef Lucia et le Sous-Officier dépanneur de l'Escadron Royère, déguisés en civil, vont chaque jour acheter du pain à Mézières. Ils en profitent pour avoir des renseignements par les habitants et la T.S.F.

C'est ainsi qu'ils apprennent que le Maréchal Pétain a demandé un armistice. Il faut tenir jusque-là ; mais le 21 Juin, le détachement n'a plus d'argent et par conséquent plus de pain.

Le détachement craint de ne pas pouvoir tenir plus de deux jours lorsque Hueber et Lucia font la connaissance du Secrétaire de mairie de Mézières, M. Barbier. Celui-ci, bon Français, en apprenant la situation du 2e Bataillon offre spontanément son concours. Il fait délivrer au détachement 45 kilos de pain par jour, des haricots, des pommes de terre, du riz. Il encourage les hommes à tenir jusqu'à l'armistice et conseille même au Commandant d'attendre 48 heures avant de faire sortir le détachement de sa cachette.

Dans la nuit du 25 au 26 Juin, le Commandant Larger fait partir par petits paquets, 53 Dragons et Gradés. Ces hommes sont tous volontaires et munis d'un ordre signé par le Cdt Larger qui les mettra en règle avec les autorités françaises.

Le 26 Juin, à 19 heures, le Cdt Larger décide de se rendre le lendemain matin à la Kommandatur de Rennes pour obtenir un laissez-passer permettant à son unité de rejoindre la zone non occupée, ainsi que le stipulaient les conditions de l'armistice annoncées par la T.S.F. pour les troupes encerclées.

Le Jeudi 27 Juin, à 9 heures, le Cdt partait dans l'auto conduite par M. Amédée Barbier, le courageux et dévoué instituteur et secrétaire de mairie de Mézières-sur-Couesnon.

A 11 heures, M. Barbier revient seul, pour annoncer que les autorités allemandes ont gardé le Cdt, prisonnier de guerre, et que ce dernier, passant à côté de lui, a pu lui glisser ces mots à voix basse : " Que le détachement disparaisse immédiatement, je suis refait. "

A 11h30, le détachement du Couesnon s'est dispersé, il ne reste plus que les vestiges d'un campement abandonné. Les numéros militaires des voitures de réquisition ont été camouflés et maquillés en un clin d'oeil. On écourte les adieux, le point fixé pour le rassemblement des voitures est Châteauroux.

" A Dieu va ! En avant, tout droit... "

II. - Groupement L'Hotte

Le 16 Juin, à 21 heures, le Chef d'Escadrons L'Hotte, commandant le 3e R.A.M., arrive au P.C. Henriet (ferme de Bois-Roussel) et donne les ordres suivants : le 1er Bataillon passe sous ses ordres, il se portera immédiatement sur l'Orne avec mission de barrer les passages de cette rivière à Argentan.

Le Bataillon arrive sur les lieux à 1 heure du matin ; l'installation défensive est terminée vers 5 heures. A 14 heures, nouvel ordre : le Bataillon doit se porter sur Briouze.

Vers 16 heures, à Saint-Georges, le Cdt du Groupement reçoit coup sur coup :

1° un renseignement du Colonel Watteau lui disant que son Groupement est attaqué par de fortes colonnes auto-allemandes et qu'il se replie sur La Ferté-Macé ;

2° un renseignement du Capitaine Weygand disant qu'à Boucé, il s'est heurté à de fortes colonnes autos et blindées allemandes se dirigeant sur Briouze et qu'il se dirigeait sur Rânes.

L'ordre primitif n'étant plus exécutable, le Commandant du Groupement envoie au Capitaine Weygand l'ordre de tenir Rânes et lui envoie en renfort une section du 25e R.A. et le Peloton Maugez. Le P.C. du Groupement est installé à Saint-Georges, renforcé du Peloton de Mitrailleuses Esterlin et des pièces de 75 disponibles du Capitaine Etienne.

La liaison avec la colonne Henriet, pour arrêter son mouvement, est cherchée en vain. Cette colonne est en train d'exécuter l'ordre reçu à 14 heures, lui prescrivant de se porter en avant pour organiser 2 P.A., l'un à Vieux-Pont, l'autre à Sainte-Marie-les-Robert.

Vers 15h45, en arrivant à Saint-Ouen-Sainte-Marie et Saint-Brice, l'Adjt Trarieux de l'Esc. Beaumont qui précède l'E.M. du Bataillon, apporte au Chef d'Escadrons Henriet, le renseignement suivant : " Sommes surpris par colonne blindée allemande ", renseignement envoyé immédiatement par le Cdt Henriet au Cdt du Groupement avec demande de renfort en chars (envoyé vers 16 heures par le Maréchal-des-Logis Pinel et le Brigadier-Chef Thoumy, agent de liaison motocycliste). Ces derniers capturés bientôt après ne pourront pas remplir leur mission.

Pendant ce temps, le Peloton Weber (6 motos-side) envoyé en avant-garde de l'Esc. Beaumont, tombe à la sortie de Saint-Brice, en direction de Vieux-Pont dans un chemin creux, sur une colonne de chars allemands. Le combat s'engage, le M.-d.-L. Castres et 5 hommes sont blessés grièvement.

Quelques instants après, le Capitaine de Beaumont et son P.C. sont complètement entourés et faits prisonniers.

L'Officier supérieur allemand à qui est conduit le Capitaine de Beaumont lui laisse le port de ses armes, en lui disant : " Vous faites partie d'une belle unité qui s'est remarquablement battue, " l'Hirondelle-de-la-Mort ", et vous pouvez garder vos armes".

Un Officier français (ou plutôt Allemand déguisé) monte sur le char de tête portant un drapeau blanc. Les éléments prisonniers de Men, rassemblés et fouillés par l'ennemi, pourront presque tous s'évader la nuit suivante et passer la Loire.

Après avoir alerté son Chef de Groupement, le Chef d'Escadrons Henriet envoie à Saint-Brice son Capitaine-adjoint pour prendre liaison avec le Chef de Bataillon commandant le 1er Tirailleurs, installé à Saint-Brice.

En arrivant dans ce village, le Capitaine Goyet voit défiler une importante colonne motorisée allemande, drapeaux blancs déployés, fusils bouchés, mitrailleuses et canons dans leurs gaines, hommes en calot entre deux haies de tirailleurs sans armes qui regardent passer la colonne ennemie, sans réaction.

Le Capitaine Goyet se présente au Cdt des Tirailleurs qui lui déclare : " Vous arrivez trop tard, c'est fini ; l'armistice est signé."

Durant ce temps, le Chef d'Escadrons Henriet se porte, de sa personne à l'entrée Sud de Saint-Brice et trouve à cet endroit quelques éléments du Bataillon : Peloton Labey, Peloton Schneider.

La colonne allemande défile toujours venant de Saint-Brice et se dirigeant vers l'Ouest.

Au retour du Capitaine Goyet, le Chef d'Escadrons Henriet donne l'ordre aux éléments qui lui restent de faire demi-tour pour gagner rapidement Briouze par l'itinéraire de l'aller en vue de constituer dans ce village un point d'appui en attendant de nouveaux ordres. A son arrivée, quelques minutes après, à un carrefour de la route, la tête de colonne se heurte à une deuxième colonne motorisée allemande, plus importante que la précédente, qui marche en direction de Briouze. En un clin d'oeil, des éléments motocyclistes et des chars s'en détachent et entourent la partie du Bataillon qui se trouve là, en colonne de route, dans un chemin étroit bordé de haies vives.

Il est environ 17 heures.

Le Cdt Henriet s'apprête à prendre les dispositions utiles pour un combat ultime et désespéré, lorsque passe une Ford V8, conduite par des Officiers français agitant par la portière un grand drapeau blanc et criant : " Cessez le feu, l'armistice est signé. " Serait-ce donc vrai ? N'y a-t-il plus rien à espérer ? Le sacrifice est-il consommé ? Faudra-t-il boire jusqu'à la lie l'amère calice de la défaite ? L'esprit se révolte à cette idée, mais il faut bien se rendre à l'évidence.

La réponse du Cdt du 1er R.T.M., l'attitude des tirailleurs devant les blindés allemands défilant en colonne de route, tout semble bien indiquer qu'un armistice soit entré en vigueur. De fait, un Officier allemand s'avançant en agitant un linge blanc, confirme que les hostilités ont pris fin et indique le village d'Ecouché comme point de rassemblement, où les hommes seront démobilisés et renvoyés dans leurs foyers.

Les larmes aux yeux et la mort dans l'âme, devant un désastre dont tous ne mesurent pas encore l'importance, les Dragons se dirigent alors vers le point de rassemblement indiqué. Harassés par plus de cinq semaines de combats ininterrompus, privés de sommeil depuis longtemps, tous ne songent plus qu'à s'étendre dans l'herbe accueillante d'un vaste pré et à dormir. Mais au matin du lendemain, ô stupeur, le terrain est cerné par des troupes en feldgrau, et aux quatre coins du champ, des mitrailleuses sont en batterie, qui ne laissent aucun doute sur les desseins de l'ennemi. Impuissants, blêmes de rage, tous comprennent qu'ils ont été joués et qu'ils sont prisonniers.

La liaison avec la colonne Van Aertselaer peut être prise et le cantonnement de celui-ci est arrêté à Faverolles. La Brigade approuve le dispositif et confirme la situation très en flèche du groupement.

En effet, débordé par le Nord sur Briouze, et par le Sud sur La Ferté-Macé, le groupement se maintient, grâce à l'énergique attitude du détachement Weygand qui, à Rânes, repousse toute tentative des blindées allemandes et lui inflige de lourdes pertes. De son côté, le Peloton Maugez détruit vers 18 heures, 40 véhicules allemands, embouteillés dans un chemin creux.

A 19 heures, Ordre de la Brigade a de se replier immédiatement sur Saint-Fraimbault-sur-Pisse.

Grâce au sang-froid, à la bravoure, à l'abnégation et à la discipline de tous, le Groupement arrive à se retirer sans une perte, de cette position aventurée.

A 21 heures, à La Sauvagère, il est rejoint par l'Esc. Van Aertselaer et le Peloton de Chars Depret du groupement Watteau.

C'est alors la lente, l'épuisante marche jusqu'à Saint-Fraimbault, coupée d'à coups, de voitures en panne, d'éléments étrangers au groupement venant s'y incorporer, de réfugiés, etc.... Tout cela sous la double impression de joie et de fierté, du coup de boutoir de Rânes, toute de tristesse et d'anxiété sur un armistice que certains disent déjà signé.

Ce n'est que le 18 à 1 heure du matin, que la colonne arrive à Saint-Fraimbault. Là, malgré les Officiers de liaison envoyés à sa recherche, aucun renseignement, soit sur la Brigade, soit sur la Division. Le Maire déclare que les Allemands ont déjà débordé le village vers l'Ouest. Des colonnes françaises du Train, confirment la présence de colonnes allemandes à Mayenne et au Sud de Saint-Fraimbault.

La situation est angoissante : continuer la retraite, c'est abandonner la mission de couverture et semer sur la route les trois quarts de l'effectif, à bout de vivres, d'essence, de forces. Organiser un nouveau point d'appui, c'est peut-être une liaison retrouvée, les ravitaillements refaits suffisamment pour franchir les 120 km qui nous séparent de la Loire, mais qu'on ne pourra atteindre qu'en combattant. C'est probablement le sacrifice tout entier : mais au moins ce sera en ordre et en combattant, et non en fuite.

Le Commandant du Groupement donne donc l'ordre d'organiser le village, fixe les cantonnements et cherche à remédier au ravitaillement déficient ou à égaliser les ressources.

Malheureusement, réfugiés et troupes de toutes sortes plus ou moins égarés, mais tous harassés de fatigue traversent continuellement le village et... viennent en embouteiller l'entrée Ouest... si bien qu'à 6h30 un fort détachement allemand de motos pénètre dans le village, neutralise la barricade de l'entrée et installe 5 F.M. sur la place du village... Cela se fait en un clin d'oeil devant les hommes fourbus de fatigue, incapables de se rendre compte de ce qui se passe ou dans l'impossibilité de se servir de leurs armes à cause du mélange de Français et d'Allemands criant " l'Armistice est signé ".

Cette fois, c'est bien fini, reprendre la lutte n'amènerait que boucherie inutile et vaine.

Le Général commandant la Panzerdivision qui entrait clans Saint-Fraimbault reçoit le Cdt L'Hotte avec une parfaite correction militaire et accorde à tout son détachement les honneurs militaires pour la belle conduite de la 3e D.L.C. et la belle attitude de son groupement : les Officiers furent autorisés à garder leurs armes.

Puis, les ordres furent donnés verbalement de mettre hors de service, canons, armes automatiques, véhicules de combat, et la liberté à tous de tenter, comme ils le pourraient, une évasion. Beaucoup, heureusement, aidés par les habitants du village parvinrent à s'évader.

III. - P.C. du Régiment

Le Colonel Watteau avec son Adjoint et son Officier de renseignements, pour se conformer aux ordres du Colonel commandant la brigade, se rendent à Oisseau-le-Grand, espérant y retrouver des éléments du 2e R.D.P. ou de la Brigade. Ils y arrivaient vers 19 heures, mais hélas pas un soldat français.

Dans la soirée, le Colonel commandant la Brigade passe dans les rues d'Oisseau et dit de prendre contact à Ambrière à quelques kilomètres de là, avec les restes de la Brigade qui doivent s'y trouver. Notre agent de liaison, immédiatement envoyé sur place, ne revient que deux heures après, en pleine nuit, nous disant qu'en fait de Français, il s'est heurté à une colonne allemande qui l'avait fait prisonnier. Il avait réussi à s'échapper pour nous rendre compte du danger.

Le Colonel décide de rester à Oisseau dans l'espoir d'y être rejoint par des hommes de son groupement qui savent que c'est à Oisseau qu'ils doivent se regrouper.

Il faut avoir vécu ces heures d'attente angoissée pour se rendre compte de la douleur que peut éprouver un Chef et son Etat-Major qui, contre tout espoir, veut toujours espérer...

Nous prêtons l'oreille et à chaque bruit de moteur espérons voir surgir quelqu'un du 2e Dragons... Hélas, il n'en est rien, ce sont les colonnes allemandes qui, sans arrêt, passent à quelques pas de nous, pouvant, d'un instant à l'autre, entrer et nous faire prisonniers.

Un camarade d'un E.M. d'Infanterie nous propose de nous emmener dans sa voiture pour échapper à l'ennemi, mais le Colonel déclare que son devoir est de rester là où il a donné rendez-vous à son P.C. La nuit s'écoule avec une lenteur désespérante, le jour apparaît et, sur la place devant nous, nous apercevons des A.M. allemandes.

Le 18 au soir, quand nous voyons qu'il n'y a plus d'espoir, nous décidons de nous mettre en civil pour tenter d'échapper à la captivité et rejoindre ce qui reste de notre Division.

Le Colonel Watteau et son Adjoint, le Capitaine de Largentaye, après un voyage mouvementé à pied, à bicyclette, puis en mer, qui les amène à l'Ile d'Yeu, réussissent, après avoir réquisitionné un bateau dans cette île et subi un bombardement de l'aviation allemande à l'estuaire de la Gironde, à débarquer quelques jours après à Bordeaux où ils se mettent aux ordres du Général Altmayer.

Quant à l'auteur de ces lignes, après 300 km à pied et en bicyclette au milieu des colonnes allemandes et des réfugiés, après avoir été arrêté le 20 Juin par un détachement d'artillerie allemande près de Segré et avoir réussi à s'en sortir, il arrive - ayant franchi la Loire en barque - au château de Saveillé le dimanche 24 à 20h30, après six jours de route.

Reconnu et accueilli avec une figure épanouie par le gendarme de service à la porte du château où campe ce soir-là l'E.M. de la 3e D.L.C., un sous-officier lui donne à lire la splendide citation suivante à l'Ordre de l'Armée de notre chère Division

" Grande unité d'élite qui, sous l'énergique et calme impulsion de son Chef, le Général de Division Petiet, a combattu sans arrêt en Juin 1940, faisant subir à l'ennemi de très lourdes pertes, remplissant entièrement toutes ses missions, forçant l'admiration par le magnifique courage et l'attitude héroïque de ses cadres comme de ses troupes. A poussé l'abnégation jusqu'au sacrifice total. "

Quel réconfort à l'arrivée d'être accueilli par cette page héroïque.Il est ravi car, de tous les cavaliers c'est lui qui, le premier, rejoint la Division et peut donner au Général des nouvelles de sa brigade motorisée.

Rompu, fourbu, n'en pouvant plus, son corps est une loque mais son coeur est gonflé de bonheur et déborde de joie.

C'est un Te Deum d'actions de grâces qui monte à ses lèvres en cet instant, un des plus émouvants de sa vie.

Le Dr Avesnier le soigne comme une mère, et après dîner l'installe confortablement sur un brancard dans une sanitaire. Il y restera étendu 36 heures, parcourant ainsi plus de 170 kilomètres.

Le Mardi 25, en se réveillant, il apprend que depuis 0h35, les hostilités ont cessé. Il n'y pouvait croire, espérant toujours un redressement impossible... Tout était donc consommé... Après ces journées de lutte, de vie intense, d'espoir, l'heure du sacrifice total avait sonné.

La Brigade motorisée de l'héroïque 3e D.L.C. qui, avec un mépris complet du danger, jouait sans cesse avec la mort et volait partout où l'on se battait, avait vécu.

De même que la vague puissante qui brise tout sur son passage, finit par se briser elle-même contre les rochers de granit de la côte bretonne, notre Brigade, après avoir, par ses nombreux coups de boutoir, infligé à l'ennemi des pertes cruelles et nombreuses, éclatait à son tour contre les lignes puissantes des divisions motorisées allemandes qui submergeaient notre pauvre France.

De même que cette vague offre au spectateur émerveillé, en se brisant pour toujours contre les rocs de la côte, un dernier panache d'écume et de gouttelettes d'argent brillant au soleil, ainsi les restes du 3e R.A.M. et du 2e R.D.P., Régiments aimés de notre peuple parisien, finissaient en beauté. Le 2e Dragons fidèle jusqu'au bout à sa fière devise :

" Da Materiain Splendescam " avait resplendi dans cet ultime combat, par de multiples actes héroïques. Avant de mourir ou de tomber aux mains de l'ennemi, ou de s'évader, chacun avait accompli son devoir et pouvait être fier d'avoir appartenu à cette unité d'élite et d'avoir été fidèle à la tradition de son arme

" C'EST LA MISSION DE LA CAVALERIE D'ÊTRE LA PREMIÈRE ET LA DERNIÈRE AU FEU ET DE SE SACRIFIER POUR LES AUTRES."