Image               

                         JOURNAL DE MARCHE DU 41e B.C.C.


                                                                                                                                    
Commandant Malaguti

Ière PARTIE

12 AU 30 MAI 1940

Depuis le début de mars 1940, le 41e bataillon était stationné dans la zone des Armées, cantonnée à Dontrien et Saint Martin l’Heureux d'où il avait pu effectuer ses tirs de combat au camp de Suippes, un accord avec la 1ère D.C.R. dont il dépendait pendant cette période.

Lors de la formation de la 3e D.C.R., le 6 avril 1940, le bataillon avait fait mouvement et étaient groupés en entier à Beine, le parc aux chars camouflé dans les bois au sud-ouest.

Le 41e bataillon au début de mai était complet en personnel et en matériel, à l'exception des supports de tirs contre avions et des tracteurs de ravitaillement qui lui manquaient en tout cas ; malgré les réclamations véhémentes du chef de bataillon, les tracteurs envoyés par l'Intérieur pour le 41e avaient été en effet donné en surnombre à la 1ère D.C.R., ce qui a failli avoir des conséquences tragiques pour le bataillon.

Le degré d'instruction atteint était suffisant (grâce à l'instruction intensive fait malgré les intempéries et d'autres difficultés pendant six mois) pour faire du 41e bataillon une unité apte au combat dans le cadre du bataillon, comme le prouvait la qualité des tirs effectués à Suippes et les manoeuvres faites, en particulier la manœuvre d'ensemble effectué devant le général Brocard à la fin du mois d'avril au camp de Mourmelon.

Par contre, dans le cadre de la Division Cuirassée, rien n'était fait. Aucun exercice n'avait effectué, ni avec artillerie, ni avec les chasseurs portés, ni avec les bataillons H.

Seuls quelques exercices de cadres, portant sur le déplacement de la division, avaient été faits à Reims au Q.G. en avril. En toute conscience, au début de mai la 3e D.C.R. n’est prête à aucun point de vue et surtout à participer à la bataille. On ne décide par la création d'une Division Cuirassée le 6 avril pour l’engager le 12 mai.

Quant au personnel, le 41e B.C.C. constitué en novembre 1939 avec des raclures de dépôts, était devenu, grâce aux qualités du petit noyau d’officiers et sous-officiers d'active, une unité remarquable d'entrain, d’allant et d'homogénéité. Sa valeur morale était extrêmement élevée, le sentiment patriotique correspondait à quelque chose dans l'esprit de tous ; la confiance réciproque entre tous était totale ; la discipline absolue.

12 mai 1940

Le 12 mai, le 41e était alerté et recevait l'ordre de la 3e D.C.R. de se préparer à faire mouvement vers le nord-est dans les 24 heures.

Le 13 mai à 20 heures l’état-major et les trois compagnies de combat se mettaient en route dans un ordre parfait ; la compagnie d'échelon reste provisoirement à Beine ; le détachement précurseur aux ordres du capitaine Cornet était parti dans l'après-midi.

La zone de stationnement à l'arrivée était La Saboterie, l’Anerie, (33 km nord - nord est de Rethel).

L’itinéraire passait par Epoye, Heutrégiville, Aussonce, Juniville, Perthes, Rethel, Amagne, Touteron, en gros 65 kilomètres.

Dans l'idée de tous il s'agissait d'un changement de zones, aucun d'entre nous ne s'attendait à être engagé quelques heures plus tard. L'activité de l'aviation allemande indiquait que la grande attaque était déclenchée, mais nous ne la croyions pas si proche de nous déjà. Toutefois, je remarquai que le général Brocart avait constitué sa division en deux groupements de combat (1 bataillon B --1 bataillon H).

À partir de Perthes, nous prîmes du retard sur notre horaire de marche, et à un embouteillage dans Rethel du bataillon H. que nous suivions, la zone l’Anerie – La Saboterie ne fut atteinte par le bataillon qu’au jour le 14 mai à 6 heures ; le bataillon H stationnant en avant de nous et marchant devant nous avait occasionné un sérieux retard ; de plus, les colonnes artillerie se repliant embouteillaient la route et les croisements étaient délicats. Deux ou trois chars retardés par des incidents mécaniques arrivèrent dans la matinée, un seul ne rejoignit pas, celui du sous-lieutenant André (RHIN) dont on eût aucune nouvelle (char kidnappé par de Lattre). Le camouflage fut aussitôt réalisé.

N'ayant aucun renseignement sérieux, autres que les tuyaux d'officiers d'artillerie en retraite, mais me rendant compte que la situation était toute différente de celle que nous imaginions la veille, j'envoyai trois officiers de l'état-major en moto sur les axes Bouvellement – Baalons, Chagny – Omont, Marquigny - Louvergny et je réunissais les commandants de compagnie pour leur expliquer la situation nouvelle. Les trois officiers revinrent ; ils avaient rencontré d'innombrables fuyards, les renseignements les plus contradictoires couraient, mais les villages étaient tenus par des troupes paraissant en ordre et les Allemands n'étaient pas au contact.

Pendant ce temps les équipages revoyaient leur chars.

Vers 11h30, je reçus l'ordre de porter le 41e bataillon aux lisières nord du bois du Mont-Dieu par Le Chesne pour contre-attaquer avec la 3e D.C.R. sur Bulson et Sedan avec « le plus grand esprit de sacrifice ». Il était dit aussi dans cet ordre que l'attaque serait appuyée par le maximum d'avions (intervention prévue vers 11 heures !). L'attaque devait donc que déclencher « le plus tôt possible après 11 heures » ; elle devait se faire en deux groupements :

- un groupement à l'est,

- un groupement Ouest (lieutenant-colonel Balanie) - 41e B.C.C. , 49e B.C.C., 16e B.C.P.P.

axe du groupement Ouest : Chemery – Bulson – La Maltin ? (sud de Sedan)

Tel était l'ordre, je constatai aussitôt le décalage entre l’heure d’intervention de l'aviation et l’heure possible réellement de notre attaque.

Le temps d'alerter les compagnies, puis de leur donner les ordres, le bataillon commence son mouvement vers 12h45 - 13 heures et fut survolé à ce moment-là par de nombreux avions allemands à très basse altitude (200 à 300 m et moins) sans être attaqué.

À partir de Chesne, la marche fut extrêmement ralentie par l'encombrement de la route par des fuyards en quantité et totalement débandés, équipages d'artillerie, traits coupés, fuyant sur les chevaux jumelés, etc. etc….

De plus, un bombardement sérieux par avions venait d’avoir lieu, démolissant de nombreux véhicules et tuant de nombreux hommes et chevaux. Enfin, juste à 150 m après le pont du canal des Ardennes, la route était totalement coupée par deux entonnoirs de trois à 4 m de profondeur qui ralentissait beaucoup le mouvement des chars. Le 49e bataillon depuis Le Chesne progressait juste devant nous ; le 16e bataillon de chasseurs avait des éléments : avec le commandant Val…. ??

A Tannay, la route était également coupée, mais par un énorme entonnoir. Le 41e B.C.C. dut contourner ce village par l'est et je le fis stationner très dispersé sur la grande croupe au sud du bois de Mont Dieu.

Les chars du 45e s'en allaient déployés à travers champs de l'est. Il devait être environ 15h30. La situation était très confuse et les rares renseignements très contradictoires. Aucun ordre, ni de la division ni du lieutenant-colonel Balanie, concernant lors de l'attaque du groupement et de la D.C.R.

Le 41e B.C.C. était prêt à contre-attaquer, le 16e B.C.P.P. était derrière lui, le 45e B.C.C. n’était pas en vue.

Vers 16 heures, je me suis mis personnellement en liaison avec le colonel commandant le 91e R.I. à la Tuilerie, pendant que le bataillon reste sur la lisière nord de la forêt à droite et à gauche de la R.N. 77.

Le colonel ne savait pas que nous devions contre-attaquer et un officier d'artillerie qui se trouvait la n'en savait pas plus. J'allais ensuite à pied faire la reconnaissance des lisières nord avec le chef du bataillon d'infanterie. Là, je retrouvais quelques chars survivants du bataillon Giordani, ce corps avait été démoli le matin vers Chemery et Maisoncelle. À tous je demandais s'ils avaient vu des officiers de la division Cuirassée ou de la demi-brigade Balanie et s'ils avaient des ordres, mais personne n’était au courant de rien.

Je constatai qu’un fossé antichars courrait devant toute la lisière nord, que le passage de la R.N. 77 était miné par le 91e R.I. et des éléments d'un G.R., que les Allemands ne faisaient preuve d'aucune activité, si ce n'est d'assez nombreux coups de 105, arrivant sur la lisière.

Vers 17 heures, j'étais à mon char en tête de bataillon, à 100 m de la lisière. Quelques minutes plus tard arrivaient le colonel Balanie. Je lui rends compte que depuis plus d'une heure le 41e était prêt d’attaquer.

Il le constatai ; je lui exposai la situation et lui indiquai que les chars devaient avoir environ trois heures d'essence dans les réservoirs. Mais il ne donna aucun ordre et comme il repartait, ne sachant pas ce qu'il fallait faire, il me dit d'attendre sur place.

Nous restâmes donc là avec le 16e B.C.P.P. derrière nous, ignorant où était le 45e B.C.C.. Le moral des équipages était splendide, chacun s'occupait de son armement, la confiance était totale ; le spectacle de la déroute sur la route avait « gonflé » les hommes qui considéraient qu'ils n'avaient rien de commun avec cette tourbe et que, eux, c'était autre chose, que les boches allaient le constater.

Pour passer le temps, le 41e mangeait vers 18 heures. Les quarts d'heure succédaient aux quarts d'heure et toujours pas d'ordre ! Les fantassins paraissaient craindre les coups de canon et les infiltrations sur la droite et à deux reprises amorcèrent un mouvement de repli, arrêté par leurs chefs.

Enfin, à la nuit vers 20h30 - 21 heures, le 41e bataillon ainsi que le 16e B.C.P.P. reçurent l'ordre de quitter les bois du Mont Dieu.

Le 41e se portait vers l'ouest et était dissocié - une compagnie (compagnie Gasc) à Louvergny à la disposition d'une division de cavalerie ; avec une compagnie (Billotte, 1ère), il devait barrer Sauville ; une compagnie (Delepierre , 3e) était gardée en réserve (de qui ?) vers Le Chesne.

Dans la nuit des citernes vinrent faire les pleins à l’initiative du sous-lieutenant Albert au sud-est de l'étang de Gairon et les roulantes distribuèrent le ravitaillement.

Le 15 mai à quatre heures le dispositif ordonné était en place. Les compagnies étaient à 5 à 6 km les unes des autres. Le PC à la ferme de la Bemonte (extrémité est) de l'étang de Gairon. Le moral était bon, mais on ne comprenait pas ce fractionnement, on ne comprenait pas la contre-attaque du 14, aucun ordre, aucun renseignement sur les autres unités de la D.C.r., ni sur l'ennemi. À tel point en recherchant des renseignements et en faisant le tour des compagnies, le chef de bataillon allant de Sauville à Louvergny fut pris par des cavaliers français pour l'ennemi !!! La tout-terrain Laffly est cependant bien reconnaissable ! L'erreur fut heureusement de courte durée ; cette voiture arrivait où ces braves cavaliers attendaient les Allemands.

Vers midi, je reçus l'ordre de replier la 1ère compagnie de Sauville sur la ferme de la Bemonte. Dans l'après-midi arrivèrent à la Bemonte le commandant Vivet du 43e B.C.C. est une compagnie. Vers 17 heures quelques rafales de mitrailleuse venant du nord étaient tirées sans dommage sur la ferme ses abords, mais reçus par les chars du 42e comme il convenait, les blindés ni n'insistèrent pas.

Vers 20 heures, l'ordre arrivait de la 3e D.C.R. de porter le 41e bataillon vers les Grandes Armoises, sauf la 2e compagnie (Gasc) qui restait à la disposition de la division de cavalerie à Louvergny.

Je devais personnellement me rendre immédiatement au PC de la 3e D.C.R. aux Petites Armoises. Je donnais les ordres me rendit aussitôt en moto au PC D.C.r. où j'assistais à la mise sur pied de l'ordre pour l'attaque sur Stonne qui devais avoir lieu le lendemain matin au lever du jour. Je quittais le PC, il devait être environ minuit et je me portais au PC du régiment d'infanterie aux Grandes Armoises toujours en moto pour aller plus vite sur les routes encombrées.

16 mai 1940

En passant je vérifiais que mes ordres étaient exécutés. Les compagnies Billotte et Delepierre faisaient leur pleins au nord de Sy, à proximité de l’I.C. 30, où les citernes avaient été amenées par le sous-lieutenant Albert, qui n'avait pas hésité, avec les citernes, à traverser Le Chesne en feu pour amener l’essence à l’heure fixée et au lieu convenu.

Aux Grandes Armoises je trouvais le colonel d'infanterie et un artilleur, nous convîmes rapidement de nos rôles respectifs, mais je ne vis pas le commandant du 43e B.C.C. qui devait suivre le 41e B.C.C.

Je retrouvais les compagnies, il devait être trois heures environ. Une plus tard Delepierre et Billotte et leurs équipages étant mis au courant de l'attaque, nous démarrions. Formation : chef de bataillon, 1ère compagnie, 3e compagnie.

La base de départ, c'est-à-dire le rebord nord-est de la dépression des Grandes Armoises, fut passée par le char du chef de bataillon à l'heure exacte.

La compagnie Billotte se déployait aussitôt à ma gauche et la compagnie Delepierre à ma droite, je continuais sur la route. Chaque compagnie était en formation en A, capitaine en tête, vitesse réglée par le char du chef de bataillon sur lequel s'alignaient les capitaines ; ce fut à ce moment que je démolis le premier char allemand qui était là tout seul, après qu'il m’eut tiré à 200 m à coups de canon (ce devait être un panzer III).

Cette attaque se fit dans les meilleures conditions, tout à fait comme à l'exercice ! Elle fut menée rapidement et une douzaine de minutes plus tard, après avoir tué pas mal de fantassins allemands nous atteignons Stonne.

La compagnie Delepierre (3e), après avoir détruit, par une concentration de tirs au 75, le château d'eau où étaient perchées des armes automatiques et antichar, débordait, conformément aux ordres, par le sud-est pour pousser ensuite une section de reconnaissance sur La Besace.

Simultanément la 1ère compagnie débordait par le nord-ouest et le capitaine Billotte, me coupant la route, entrait le premier dans Stonne. Je marquais alors un léger temps d'arrêt pour regarder derrière et je vis arriver nos fantassins à un millier de mètres derrière nous et avec eux ou devant eux les chars H. Tout allait bien.

J'entrai à mon tour dans Stonne et subitement, après le premier virage, je trouvais nez à nez à 30 m avec une colonne de chars allemands. Je tirais aussitôt le plus possible, sans comprendre ce qui se passait, mon pilote fit de même. Notre char avançait toujours en tirant, les Allemands ne réagissaient plus ; j'en aperçus qui s'enfuyaient des appareils de queue et je vis qu’il y avait là 12 ou 13 appareils dont les premiers étaient des Panzer IV. Les autres m'ont semblé être des Pz III. Billotte passant en vitesse bord à bord avec eux les avaient déjà sérieusement «sonnés » et les Allemands étaient gênés, car ils étaient en colonne serrée sans aucune distance entre les chars.

Me trouvant tout seul et totalement isolé avec les Allemands dans les maisons, je finirai mon pilote dans la première de la droite et je ressortis du village par l'église et le cimetière. Je vis près du cimetière deux chars B en très mauvais état.

Au sud du village les chars H et les fantassins approchaient, je les attendis quelques instants et je regrettais amèrement de ne pas avoir la 2e compagnie de mon bataillon en réserve à ma disposition ; mais elle était restée, par ordre, isolé à 25 km de son bataillon.

Je rentrais alors dans Stonne par l'est en essayant de trouver un point d'observation d'où je pourrais voir les compagnies dans le fond où elles étaient et aussi pour encourager les fantassins, pas mordants du tout.

À ce moment je retrouvais les deux chars B que j’avais vus et je saute et de mon char pour examiner de près les deux corps qui étaient étendus près de l'un d’eux. Ce n'étaient plus que deux cadavres ; les balles claquaient un peu partout, je remontais rapidement dans mon char en notant sur mon carnet les noms (GAILLAC et HAUTVILLERS) ; ces deux chars du 49e B.C.C. étaient tombés d’un à pic de plusieurs mètres à côté du cimetière et de l'église (à l'est).

Ma radio reçut ensuite un message de Billotte me disant que les bois nord de Stonne étaient très fortement tenus par de nombreuses armes automatiques et antichars et qu'il continuait vers l'est en liaison avec Delepierre ; je lui répondis de stopper. Un message reçu de Delepierre peu après signalait que les troupes françaises occupaient les ???? et que La Besace était libre. J'étais ressorti du village et étais venu me mettre à 200 m ou 300 m au sud de Stonne, n'ayant pas trouvé un bon point d'observation en char et ayant la liaison radio. Je remarquai que les fantassins, malgré la présence des Hotchkiss du 45e B.C.C. paraissaient très inquiets et pénétraient, vraiment comme des chiens qu’on fouette, dans Stonne.

La mission du 41e B.C.C. étant terminée, J’en rendis compte par radio à mon PC arrière pour qu'il prévienne la division. Je commandais par radio à Billotte et Delepierre de se rallier à quelque 600 m au sud-ouest de Stonne, à cheval sur la route, mouvement qui fut terminé à 8 heures. Je demandais par radio au capitaine Cornet (PC arrière) de m'envoyer de l'essence au point de ralliement.

Vers 8 heures au ralliement, il ne manquait que le char du sous-lieutenant Hachet qui, en panne entre les Allemands et les Français vers La Besace, réussit à dépanner son char et à rentrer plusieurs heures plus tard, son aide-pilote ayant fait à pied le parcours aller-retour en plein combat. Plusieurs chars portaient des marques de nombreux coups de 37 antichars, sans aucun dommage. Le capitaine Delepierre avait sauté avec son char une carrière de six à sept mètres. Le char a été démoli et incendié, le radio tué.

Vers 10 heures, j'envoyais Billotte neutraliser les lisières des bois (à environ 1300 m nord-ouest de la nationale) d'où partaient des coups de flancs qui inquiétaient terriblement les fantassins qui s'installaient péniblement à Stonne. Puis, moteurs arrêtés, le 41e bataillon resta en surveillance sur Stonne et les bois au nord-ouest qui ne nous inspiraient pas confiance. Les chars Hotchkiss se repliaient peu à peu, probablement pour aller à l'essence, et disparaissaient sur les Grandes Armoises. Nous n'avions aucun ordre.

Vers midi, étant descendus de nos chars pour casser la croûte, ainsi que la plupart des équipages, nous vîmes brusquement les fantassins refluer de Stonne en courant ; nous bondîmes en chars, prêts à intervenir et eux disparurent vers les Grandes Armoises ; ils ne s'étaient même pas arrêtés ; j'avais en vain, assis sur ma tourelle, appelé un lieutenant qui m'avait crié sans s'arrêter quelque chose de parfaitement incompréhensible.

Moteurs en route, armes prêtes, nous attendîmes en vain. Nous avons jamais su ce qui avait mis le bataillon d'infanterie ainsi en déroute, nous ne l'avons plus jamais vu. Dans les bois au nord-ouest de la fusillade s'intensifiait, c'est peut-être simplement ce qui a provoqué la panique de l'infanterie.

Le 41e n'avait plus de fantassins, ni chars Hotchkiss à proximité et toujours pas d’ordre. Pour l'essence baissait, dans mon char il y avait une quarantaine de litres, je commandais par radio d'arrêter les moteurs.

Vers 14 heures, nous vîmes arriver le capitaine Cornet qui, avec des bidons de 50 litres dans les side-cars des dépanneurs et dans les tout-terrains des compagnies, nous apportait environ 50 litres d'essence par char. Les citernes étaient à ce moment à se ravitailler à l'arrière et allaient revenir dans la soirée, le 41e n'avait pas ses tracteurs de ravitaillement.

Les chars reçurent leurs 50 litres alternativement par moitié ; la moitié des chars était en protection pendant que l'autre moitié ravitaillait en pompant avec 3 pompes Japy dans les bidons de 50 litres. Nous étions tout à fait en l'air et ce ravitaillement me parut long. Cornet et les lieutenants d'échelon repartirent aussitôt rechercher d'autres bidons aux camions d'essence qu'ils avaient amenés à quelques deux ou trois kilomètres derrière.

Mais enfin vers 15 heures, le 41e reçut l'ordre de se rallier vers la côte 141 (ouest des Grandes Armoises). Pendant ce mouvement nous fûmes bombardés sévèrement par les avions allemands en piqué, mais sans dommage, que la vexation de ne même pas pouvoir leur tirer dessus, le 41e n'avait aucun support de tir contre avions.

Dès ce premier combat, l'absence de tracteurs de ravitaillement et de moyens antiaériens eût pu être catastrophique.

À la position de ralliement une nouvelle ration des bidons de 50 litres nous attendait, grâce à l'activité de Cornet et des lieutenants d'échelon. Ce mode de ravitaillement pour les chars B est le moins pratique, puisqu'on ne peut pas verser directement du bidon dans les réservoirs. Il faut pomper à la pompe Japy (1 par compagnie est encore non prévue dans les dotations) et c'est éreintant pour les équipages.

Nous étions occupés à cela quand survint le colonel Maître qui, devant témoins, me donna l'ordre verbal de faire filer le bataillon le plus tôt possible vers Savigny sur Aisne (5 km au sud de Vouziers) ou était le PC arrière de la 3e D.C.R. à une quarantaine de kilomètres au sud ouest des Grandes Armoises. Puis le colonel repartit aussitôt. Aucun ordre concernant Gasc toujours à Louvergny.

Il ne restait près de nous à ce moment-là une dizaine de side-cars d’un G.R. en colonne le long de la route, qui démarraient peu après.

Quand, tout à coup, allant sur le tand-sad du motocycliste Auffroy de la 3e compagnie, je vis s'arrêter le long de la route trois petites D.K.W. Allemandes. Nous nous croisâmes bord à bord. Arrivé à la 3e compagnie à quelques 200 m de là, j’alertais aussitôt un char pour utiliser sa mitrailleuse, mais les trois autos avaient disparu, ayant probablement fait demi tour.

Cet incident ne fit constater que, sans le savoir, nous étions encore en première ligne ; je fis placer un char, battant chaque route, chemin ou piste de bois jusqu'à la fin des pleins.

Je réfléchis aussi que les choses devaient aller mal pour qu'on expédie ainsi le bataillon d'un bond jusque derrière l’Aisne, à plus de 40 km de là. Le char du sous-lieutenant Guyhur (MEURSAULT) étant sévèrement avarié, je donnai l'ordre de le faire sauter, ce qui fut fait avant de commencer le mouvement.

Vers 19 heures ne nous mettions en route par Sy, le bois de Sy, où nous vîmes un « bombing » soignée, suivi d'une descente de parachutistes. Nous trouvâmes Brieules sur Bar en flammes. Les routes étaient fort encombrées de gens de toutes sortes, sans aucun poste de circulation, la marche était lente.

Au-delà du cimetière de Brieules, les citernes à essence attendaient comme convenu les deux compagnies du 41e B.C.C. ; les pleins furent faits et quelques coups de pistolet mitrailleur furent tirés sur la colonne sans dommage ; ils furent rapidement muselés par quelques coups de mousqueton d'une patrouille commandée par le lieutenant de Witasse.

Au pont de Savigny le 41e B.C.C. croisa une longue colonne de cavalerie qui avait la priorité ; il attendit pendant 1h30 et n'arriva au stationnement (Bois sud de Savigny) que le 17 mai au grand jour vers 6 heures du matin ; heureusement aucune activité aérienne.

17 mai 1940.

Le personnel se mit aussitôt à l'entretien sommaire des chars malgré la fatigue et le chef de bataillon se rendit aussitôt à l'état-major de la D.C.R.

Je vis le colonel Le Brigand qui me dit que nous ne devrions pas être là, que le 41e était mis à la disposition du 18e C.A. à Dun sur Meuse, où il devrait déjà être.

Je fus complètement interloqué par cette nouvelle.

J'exposais au colonel Le Brigand que personnel et matériel roulaient et combattaient sans arrêt depuis le 13 au soir, que les chars avaient besoin d'entretien et que si le personnel avait un moral remarquable (les équipages étaient « gonflés à bloc » par leur succès de la veille), il avait tout de même besoin de repos ; enfin que l'entretien était commencé et que certains petits démontages devaient avoir lieu et que je ne pourrais partir ainsi instantanément.

Je reçu l'ordre formel de mettre en route au plus tôt en faisant arrêter l'entretien immédiatement.

J'étais fort mécontent des 50 kilomètres inutiles qu'on me faisait faire et je le dis.

Pendant que les compagnies se préparaient au départ arriva la compagnie Gasc qui venait de Marquigny, où elle avait reçu l'ordre de venir à Savigny.

Vers 10h30, la compagnie de tête démarrait, les autres suivaient à 30 minutes d'intervalle. Ce mouvement de 65 km de rocade m'inspirait quelques craintes pour une colonne importante de chars.

Itinéraire : Longwé, Boult aux Bois, Buzancy, Bayonville, Bantheville, Dun sur Meuse ; la route Buzancy – Stenay était interdite.

Je démarrais personnellement en auto vers 12 heures pour aller prendre langue au plus tôt avec le 18e C.A.

A Buzancy « bombing » sérieux ; à Bayonville nombreux camions à munitions explosés sur la route. Je pensais à mes équipages qui devaient suivre en plein jour cet itinéraire certainement très surveillé par l'aviation allemande, absolument seule dans le ciel.

Vers 16 heures, j’arrivais au PC du général Rochard, commandant le 18e C.A. à Dun sur Meuse ; je fus accueilli par ce général d'une façon parfaitement désagréable. Je me vis reprocher de n'avoir pas été là dès le matin, « que les chars étaient toujours en retard quand on avait besoin d’eux » et je reçu l'ordre d'attaquer le soir même au nord de Stenay ! J'étais mis aux ordres du général Lucien, commandant la 6e D.I. Je démontrais calmement, mais nettement, que c'était matériellement impossible. Les chars partant de l'Aisne vers 11 heures ne pouvaient pas être à Stenay en passant par Dun avant 17 ou 18 heures, ayant environ 65 à 70 kilomètres à faire sur des routes passablement encombrées où la circulation n'était pas organisée.

Je reçus du général Rochard l'ordre de faire accélérer la colonne, « chaque appareil marchant à sa vitesse maximum » ; je refusais de transmettre cet ordre mais il me fut réitéré et envoyé aux commandants de compagnie par motocycliste.

En quittant le commandant du 18e C.A., d'accord avec son 4e bureau très compréhensif et actif, je fis préparer un ravitaillement en essence à Milly au dépôt d'essence et j'allais aussitôt me présenter au général Lucien, commandant la 6e D.I.

Je trouvais là vers 17h30 le chef extrêmement compréhensif, très calme, qui comprit parfaitement qu'il était impossible de faire quoi que ce soit le soir même et qui accepta que le 41e B.C.C. fut placé pour la nuit dans les bois au sud de Stenay. Puis nous fîmes ensemble de l'étude de la contre-attaque que le 41e B.C.C. devait conduire vers la Ferté sur Chiers et la grande arrête à l'Ouest. En raison de la forte artillerie allemande en position à cette extrémité de la ligne Maginot (le dernier ouvrage étant celui de La Ferté).

La décision fut prise de contre-attaquer sans préparation d’artillerie le 18 mai après 19 heures seulement, de manière que les observatoires allemands de la rive droite de la Chiers n'aient pas de vue lointaine sur le terrain d'action et que la nuit couvre le retour des chars ; la montée des appareils se ferait dans la journée presque individuellement en utilisant les nombreux couverts. Le bataillon d'infanterie du commandant Le ???? exploiterait l'action des chars du 41e B.C.C. L'objectif était à environ 2000 m de la base de départ, il n'y avait pas de chars légers.

Vers 20 heures, j'étais de retour à Milly, où une dizaine de chars qui venaient d'arriver, avaient terminé leur plein d'essence et d'huile. Je les fis guider par un de mes motocyclistes sur la forêt de Woëvre où j'avais reconnu une zone favorable, en passant au sud de Charmois. Les chars arrivèrent les uns après les autres, les unités mélangées jusque vers minuit. Après cette marche stupide « à tombeau ouvert », il y avait deux ou trois chars par compagnie qui étaient en panne, en outre, un pilote, le sergent chef R ???, à bout de forces, avait raté un virage est sauté le remblai. Le char avait pris feu et lui et le radio étaient morts brûlés. Une compagnie avait été bombardée sans dommage vers Buzancy.
Presque tous les chars en panne réussirent à rejoindre dans la matinée du 18. Mais tous les appareils étaient « sonnés » et les pilotes vidés.
Je prescrivis aux capitaines de laisser les équipages au repos complet jusqu'à midi, le personnel des T.C. assurant le petit entretien.

18 mai 1940

Dans la matinée, reconnaissance du terrain d'attaque par le chef de bataillon et les trois commandants de compagnie de l'observatoire de la cote de Vigneules (ouest de Nepvant), tirs d'artillerie allemande bien fournis. Au retour des officiers, ils trouvèrent les équipages qui mettaient leurs chars au point.

À partir de 16 heures, la montée des chars se fit sans difficulté. Les avions d'observation ennemis n'ayant pas pu repérer une colonne, le bataillon ne subit aucun bombardement ni par avions, ni par canon. La liaison fut prise avec le bataillon Ledrappier et à 19 heures, comme prévu, le 41e partit à l'attaque dans de très bonnes conditions.

Dispositif comme à Stonne.

Chef de bataillon au centre en tête, la 2e compagnie (Gasc) en A à sa gauche, la 3e compagnie (Delepierre) à sa droite en A ; les commandants de compagnie en tête à la hauteur du chef de bataillon. La première compagnie attaquait à environ 500 à 1000 m droite,

Tout se passe fort bien, de nombreuses armes automatiques et antichars furent détruites, ainsi que leur servants. Le capitaine Gasc tombe sur un nid de cinq ou six pièces antichars et de mitrailleuses et détruisait tout en quelques coups de canon bien ajustés . Les lieutenants D ???? et ?????????? tombèrent sur un nid du même genre qui eut le même sort après une lutte sévère à toute petite distance.

Quoique ne pouvant voir la 1ère compagnie à cause de la forme du terrain, je fus constamment parfaitement renseigné par Billotte en phonie et à tous moments il ne cessera de recevoir de même mes ordres.

L’infanterie suivit très vite et très bien avec très peu de pertes, elle avait beaucoup d’allant et était fort bien commandée ; le bataillon Ledrappier étais vraiment une excellente troupe.

Les premiers chars étaient à l'objectif vers 19h30 à l'est, l'infanterie y arriva vers 19h45. Les appareils restèrent sur l'objectif de jusqu'à 20h45 malgré un violent tir d'artillerie, mais je ne voulais pas abandonner les admirables fantassins avant qu'il ne fussent vraiment bien installés.

À 20h45, je passais en phonie à tous l'ordre de rallier (la P.R. avait été fixé à 3 km environ au sud de 01). Vers 21 heures, en nous rapprochant de notre base de départ, nous dîme devant nous un très violent barrage de gros calibre (150 et 210), dans le genre de ceux de la Grande guerre. Il était assez étroit, la compagnie Gasc passa à l'Ouest et la compagnie Delepierre à l'est. Elles n'eurent aucune perte de ce fait, mais par contre le char du capitaine Delepierre (MUSCADET) fut démoli par canon de 47 de l'artillerie française ; il prit feu et explose, l'arme l'ayant traversé. Delepierre assis sur la porte de tourelle fut projeté à trois ou 4 m de là par l'explosion, mais l'aspirant Recoing et l'équipage furent tués. Cette lamentable et inexplicable erreur fut reconnue par les artilleurs eux mêmes et par le général commandant la division qui m'en parla le lendemain.

À 23 heures, à la position de ralliement, il manquait aussi le char du lieutenant Pignot (TARN 1ère compagnie) et le char de l'aspirant Dumont (CHARENTE 3e compagnie). Nul ne savait ce qu'ils étaient devenus. Le bataillon retourna alors la position précédente au sud de Charmois, où les pleins furent aussitôt faits.

Les équipages prirent alors un repos bien mérité. Depuis le 13 au soir, ils avaient eu une demi nuit de repos ! Les chars n'avaient eu qu'un entretien réduit, le plus souvent un graissage des glissières.

Pendant ce temps, sur l'ordre du chef de bataillon, le capitaine Cornet avait fait venir la compagnie d'échelon à Cierges sous Mont, la section d’approvisionnement et de ravitaillement dans les bois d’Aillefontaine , le PC arrière du bataillon était à une grande ferme de l’embranchement de la N. 398 et du V.C. 3 allant à Chemesy. L’atelier avait récupéré les chars en panne grave de l’étape Savigny – Stenay et les réparait.

19 mai 1940

Dans la matinée du 19 mai, pendant que les équipages soignaient leurs chars, l’officier de renseignement du bataillon, le lieutenant Ledrappier de l’état-major du bataillon et des officiers des compagnies, volontaires, allaient aux observatoires et en première ligne pour essayer de savoir où étaient les deux chars disparus. Ils ne trouvèrent rien et ne virent que la carcasse noircie et éclatée du char du capitaine Delepierre.

Pendant ce temps le chef de bataillon allait au Q.G. de la D.I. à B ??on où il apprenait que les allemands avaient effectué une concentration considérable d’artillerie ce matin à 6 heures, que le commandant Ledrappier était tué et son bataillon presque anéanti. Les allemands n’avaient pas réoccupé le terrain et on renonçait aussi à ce pédoncule que personne n’occupait plus.

Le général Lucien, extrêmement satisfait du travail effectué par le 41e, fut particulièrement élogieux et remit au chef de bataillon une lettre de félicitations dans laquelle il demandait au général Buisson d’accorder de nombreuses récompenses au 41e B.C.C.

N’ayant plus d’ordre, le chef de bataillon allait alors au Q.G. du 10e C.A. où il apprenait que le général Rochard avait été relevé de son commandement dans la nuit du 17 au 18 mai et ce fut le général Butey qui reçut le commandant. Il était au courant de l’action du 41e B.C.C. et fut particulièrement aimable. Je lui demandais alors si l’aviation pourrait chercher où étaient nos deux chars disparus, ce qui me fut promis. Puis il me rendit ma liberté ; je lui rendis compte que j’avais l’intention de regrouper tout le bataillon dans la région de Cierges. Il ne fit aucune objection.

Les chars étaient en cours d’entretien, je décidai de rester sur place pendant 24 heures.

20 mai 1940

Le 20, le 41e B.C.C. resta sur place pour faire un bon entretien et je décidai de porter les trois compagnies de combat dans la nuit suivante dans la région de Cierges, à proximité de l’atelier et du PC arrière, ce qui fut fait et je rendis compte au 18e C.A. et à la 3e D.C.R., car je ne savais plus sous les ordres de qui j’étais placé.

21 mai 1940

Le 21 mai au matin, tout le 41e B.C.C. était regroupé en entier autour de Cierges, Elifontaine, Epiniville dans les bois et les fermes ; le travail de remise en état commença aussitôt.

Le colonel ????, nouveau commandant de la 3e D.C.R. vient inspecter le bataillon et à la réunion des officiers et équipages il fut fort élogieux et promit que le bataillon serait récompensé comme il le méritait. Il ajouta que nous devions nous tenir prêts.

Je lui expliquai qu’en plus des chars détruits au combat ou avariés en cours de marche (il y en avait 5 ou 6 à l’atelier), tous avaient besoin d’être vérifiés à plus ou moins longue échéance par l’atelier et que j’avais décidé de laisser en permanence la valeur d’un compagnie à proximité de l’atelier et de conserver 2 compagnies de combat disponibles en totalité. Ceci jusqu’à ce que le 41e ait reçu les chars de remplacement. Ce fut approuvé. La 3e compagnie commença le tour à l’atelier.

22 mai 1940

Le 22 mai au petit jour le bataillon était alerté ; il devait se tenir prêt à intervenir au nord de la route Buzancy – Stenay vers la forêt de Lieuvert au bénéfice de la 4e division coloniale. L’opération vers ??lle – Pouy et Mont-Damion fut étudiée en détail par le chef de bataillon et l’état major de la D.I.C.

Les deux compagnies de combat furent portées par Romagny – Andevanne et ,,,court au bois de la Folie (4 km est de Buzancy) où elles ne pouvaient plus soigner les chars. Le PC avant était vers elles.

Tard dans la soirée, je reçus l’ordre du C.A. (je crois) de préparer rapidement une opération destinée à dégager le colonel d’un régiment d’infanterie coloniale, qui était encerclé au nord est d’Oches vers le Mont du Cygne.

Les deux compagnies furent portées aussitôt dès le début de la nuit dans les bois de la côte 290 au sud de St- ???ment pour être prête à s’engager dès l’aube.

23 mai 1940

Mais après une nuit d’ordres et de contre-ordres, personne et tout le monde commandant, l’opération s’avéra inutile, car les motocyclistes d’un G.R. avaient dégagé ce colonel, d’ailleurs sans aucune difficulté, sans tirer un coup de fusil ! Il y avait d’ailleurs à proximité deux bataillons de chars d’accompagnement !

Et c’est pour cela que le commandant du Corps d’Armée avait alerté le seul bataillon B de la région, suspendant tout entretien et repos, lui faisant faire une vingtaine de kilomètres en vitesse. Cet exemple illustre pleinement les méthodes de commandement et d’emploi des chars de certains chefs et leurs état-majors.

Je comptais replier les 2 compagnies vers Cierges où elles auraient pu travailler au lieu de les laisser à deux ou trois kilomètres des lignes, mais le 41e reçut l’ordre de rester sur place en vue d’intervenir sans délai, le cas échéant, dans la cuvette d’Oches et de faire un barrage antichars là où nous étions. Malgré nos objections, cet ordre fut maintenu. Les reconnaissances d’emploi furent faites par le chef de bataillon et les commandants de compagnie. Sur place les chars furent camouflés, les distances de tir repérées, les tranchées creusées sous les chars, car ils étaient à peine à trois kilomètres des premières lignes, en vue des observatoires allemands du Mont Damion et mélangés aux batteries de 75. Le PC avant du 41e B.C.C. fut établi à Fontenoy.

25 – 26 mai 1940

Je reçus à ce moment des demandes verbales de diverses autorités, mais je n’y donnais aucune suite.

Le capitaine Cornet et et le sous-lieutenant Albert s’occupèrent très bien du ravitaillement et gardèrent le contact avec la 3e D.C.R. dont le 4e bureau voulait déplacer la compagnie d’échelon du 41e, mais je m’y opposais pour que l’atelier puisse terminer les travaux entrepris.

Dans l’après-midi du 26, le 41e B.C.C. reçut l’ordre de se porter la nuit suivante dans la région de Sivry (4 km sud sud-est de Buzancy. La reconnaissance fut faite aussitôt et sans autre difficulté qu’un embouteillage dans la traversée de Buzancy, les deux compagnies arrivaient vers 3 heures du matin dans les bois nord est de Sivry les Buzancy.

Les deux compagnies du 41e avaient passé 3 jours à cette lisière des bois de Fontenoy sans aucune utilité et sans pouvoir ni entretenir sérieusement les chars, ni faire reposer le personnel.

27 mai 1940

Les compagnies stationnèrent sur place, le chef de bataillon s’en fut au PC arrière à Cierges pour régler diverses questions administratives.

28 mai 1940

L’ordre de retour du 41e B.C.C. à la 3e D.C.R. arriva. Le 41e B.C.C. devait retrouver le colonel Maître et le 49e B.C.C. à la forêt de Boult, à l’est de Boult aux Bois ; la C.E. était maintenue à ma demande, provisoirement à Cierges pour un jour ou deux.

Le mouvement des compagnies se fit dans la nuit du 28 au 29 par Thenorgues et Briquenay sans incident.

29 mai 1940

A 3h30, alors que je revenais chercher le PC Arrière à Cierges et donner des ordres à l’atelier après m’être rendu compte de l’avancement des travaux en cours, je reçus l’ordre m’affectant à l’Etat-Major d’ARMEE que je devais avoir rejoint le jour même avant midi.

Je fus atterré ; je passais le commandement au capitaine Cornet, rédigeai un ordre du jour à mes subordonnés et je dis au revoir à ceux qui étaient à Cierges, car j’espérais revenir bientôt à mon bataillon, ayant fait rapporter l’ordre.

Le général Buisson eut la bonté de téléphoner au G.Q.G. pour demander que je reste à la tête du 41e B.C.C., mais la Section du personnel fut inflexible et je dus abandonner tout espoir de retourner à mon bataillon. Le général Buisson me promit que le fanion du 41e aurait bientôt une palme pour ce qu’il avait accompli sous mon commandement et je quittai bien tristement la 3e D.C.r. pour m’en aller vers le G.Q.G.

 

IIe PARTIE

31 MAI AU 16 JUIN 1940

31 mai 1940

Le 41e bataillon fait mouvement vers Grandpré, P.C. du bataillon (ferme de Marbançon, 2 kilomètres sud de Grandpré), à l'exception des 1ère, 2e compagnies et de l'atelier qui restent à leur stationnement antérieur.

1er juin 1940

Les 1ère et 2e compagnies et leurs PC s'installent dans les bois nord-est de Talma. La C.E. et l'atelier à Marcq. Avec les chars réparés grâce au stationnement maintenu à Cierges pendant quelques jours, les trois compagnies peuvent être alignées à 7 chars chacune et il y a encore 3 ou 4 chars en réparation.

2 au 6 juin 1940

Repos, entretien et attente.

Nuit du 6 au 7 juin 1940

La 3e D.C.r. fait mouvement vers l'Ouest. Le 41e B.C.C. stationne dans les bois est de Bemont (25 km).

7 juin 1940

Réorganisation par la 3e D.C.R. Le 41e B.C.C. est porté à 36 chars, recevant une dizaine de chars du 49e (mais quatre ou cinq chefs de chars seulement et quelques pilotes), le 49e B.C.C. étant renvoyé à l'intérieur en attendant de nouveaux chars. Le capitaine Delepierre devient chef de l'état-major du 41e bataillon. Le lieutenant Fajeau prend le commandement de la troisième compagnie.

Nuit du 7 au 8 juin 1940

La 3e D.C.R. change son dispositif, le 41e B.C.C. a stationné à l'est de Semides (8 à 12 km).

Journées des 8 et 9 juin 1940

Des reconnaissances sont faites pour une opération vers Vouziers. Les PC sont à Saint-Morel, la C.E. à Marcq où le 9 elle est sévèrement bombardée. Le sous-lieutenant Albert est tué, 11 camions et camionnettes sont détruits ; les dégâts sont ainsi limités dans un esprit de devoir de tous.

Nuit du 9 au 10 juin 1940

Déplacement vers l'ouest de la 3e D.C.R. Le 41e B.C.C. stationne dans les bois nord-ouest de Caurot vers la côte de 141 (20 km). Les PC et la C.E. font mouvement de Saint-Morel à la ferme de Cufigny.

Journée du 10 juin 1940

La 3e D.C.R. doit attaquer vers l'Ouest, partant de Bignicourt :

01 – R.N. 51 – Rethel – Reims
02 – P.C. 23 Roizy – Avançon
03 – Aisne à Asfeld la Ville

Mais cette attaque est réduite à 17 heures à une section de dégagement de Perthes et de la région immédiatement au sud. Cela réussit, les défenseurs de Perthes sont dégagés ; au 41e 5 ou 6 chars avec leur équipages sont démolis.

À 20h30 l'ordre de ralliement est donné. La progression du 41e a été depuis le matin d'une vingtaine de kilomètres à travers champs, terminée par l'attaque de Perthes.

Nuit du 10 au 11 juin 1940

Les compagnies de combat gagnent un stationnement à 3 km de sud-ouest de Cauroy, qu'elles atteignent au petit jour, 20 km. La C.E. est porté de Cufigny à Thibie. (8 km de Châlons-sur-Marne).

Journée du 11 juin 1940

Mouvement en plein jour du 41e B.C.C. de Cauroy à la ferme de Moscou (35 km).

À la ferme de Moscou dans la soirée, après compte-rendu de l'état des chars, il est constitué 2 groupes :

1er groupe : capitaine Billotte : les 15 chars qui sont encore en bon état et peuvent manœuvrer et combattre.

2e groupe : capitaine Gasc : 13 chars en mauvais et très mauvais état, inaptes au combat dans les conditions normales.

Au soir, le groupe Billotte est porté sur Vaudesincourt pour contre-attaquer vers Saint-Martin l’Heureux, mais cette opération est décommandée.

Le groupe Gasc reçoit l'ordre de gagner la Marne à Pogny.

Nuit du 11 au 12 juin 1940

Le groupe Gasc, dont un tiers des chars est en remorque suit l'itinéraire Suippes, Saint-Étienne au Temple, Marson, parmi une circulation totalement anarchique.

Le groupe Billotte couvre la retraite de Vaudesincourt à Suippes.

La C.E. fait mouvement (ordre 3e D.C.R.) de Thibie à Saint-Rémy de ??mont

Journée du 12 juin 1940

A) le groupe Gasc continue sa marche pénible et arrive vers 16 heures au carrefour G.C. 79 – R.N. 4 qui est tenu par quelques allemands. Embouteillage indescriptible, personne ne fait rien pour déloger les Allemands. L'adjudant chef Barbier avec son char marchant à peine attaque aussitôt arrivé, dégage le carrefour et reste en protection tout le temps du passage des chars du groupe Gasc et d'innombrables gens en retraite s'empressent de passer.

À 19 heures le général de Lattre de Tassigny donne l'ordre au capitaine Gasc de défendre les ponts de la Marne avec :

2 chars à la chaussée sur Marne
3 chars à Vitry la Ville
1 char à Vésigneul
1 char à Pogny sur Marne
3 chars (les meilleurs) au sud-est de Coolus, en protection face de Châlons-sur-Marne.
Enfin 3 chars qui ne peuvent plus bouger défendent les carrefours de route.

À 20 heures les 2 chars du pont de Pogny sont violemment attaqués, l'adjudant chef Courtois et son pilote Cancel détruisent cinq blindés allemands. Quelques minutes plus tard leur char est détruit par une pièce d'artillerie allemande, Courtois et son équipage sont tués. Le même sort est réservé au lieutenant Homé, le lieutenant Clouet est grièvement blessé, mais les Allemands ne passent pas la Marne.

B) groupe Billotte (le capitaine Cornet, commandant le 41e B.C.C. est resté avec ce groupe). Au matin les chars forment barrage antichar dans les bois nord de la ferme de Piémont, à cheval sur la route Suippes - Chalons. À midi, ils repoussent une attaque de blindés allemands venant des Bois Longs. Puis le groupe se porte sur ordre au Petit Haricot et de là aux Ouvrages Blancs pour y aider l'infanterie de la 14e Division, mais cette dernière est partie.

Ces 15 chars B vont rester seuls pendant sept heures, loin de tout élément. L'ennemi est obligé de desserrer son étreinte, ce qui permet d'échapper à la 3e D.C.R., le 7e D.I.M., la 3e D.I.M. et quelques unités de la 14e D.I. et de très nombreux autres éléments. Mais à 19 heures, quand le groupe cherche à gagner le sud vers Vadenay, il est pris dans une véritable nasse d'armes antichars et de canons (plus de 50 armes par kilomètre) et après trois quarts d'heure de combat, le groupe est anéanti, la plupart des chars explosent, les équipages décimés ne peuvent échapper à leurs milliers d'adversaires.

Le capitaine Cornet est tué en brave à 30 m des armes allemandes et beaucoup d'autres avec lui, Levasseur, Carmier etc.….

C) La section de ravitaillement, par ordre de la 3e D.C.R. a été poussé à Trépail où elle a attendu en vain jusqu'à 21 heures sans trouver, et pour cause, personne du 41e B.C.C.

Nuit du 12 au 13 juin 1940

A) Le groupe Gasc reste sur place sans difficulté, les Allemands ne poussant pas.

B) Le groupe cornet – Billotte a disparu

C) Les PC font mouvement vers Saint-Rémy de Bouzemont. La section de ravitaillement ravitaille moitié vers Cuperly, moitié vers Vitry la Ville (Gasc). A la Cheppe elle trouve 3 chars du 41e, du groupe Billotte probablement, qui ont réussi à traverser les Allemands.

Journée du 13 juin 1940

Groupe Gasc. À 12 heures face aux ordres du colonel commandant le 206e R.I. ; des chars sont resserrés entre Mairy et Coolus. Les Allemands n'insistent pas.

Nuit du 13 au 14 et journée du 14 juin 1940

Groupe Gasc. À 0 heure reçoit l'ordre de se replier en servant d'arrière-garde au 206e R.I.

itinéraire : Ecury à Soudé, Poivres, Mailly, Allibaudières, Arcis sur Aube, Nozay.

Le mouvement s'effectue à l'extrême ralenti, avec d’innombrables à-coups, ce qui achève les chars du point de vue mécanique. Le capitaine Gasc est obligé d'en faire sauter quatre vers Poivres.

Les motocyclistes Allemands font leur apparition. À la tombée de la nuit le groupe atteint Allibaudières.

C.E. et P.C. font mouvement de Saint-Rémy de Bouhemont à Vandemandre (forêt du Grand Orient), où les rejoint le 14 le capitaine Delepierre et l'état-major du bataillon, qui se sont attardés pour avoir des renseignements sur le sort du groupe Cornet - Billotte.

Nuit du 14 au 15 et journée du 15 juin 1940

Le groupe Gasc, continuant son mouvement arrive près d’Arcis sur Aube vers une heure du matin, là, énormes embouteillage, les Allemands occupent le carrefour I-C 71 I-C 56 R.N. 77. Le capitaine Gasc fait descendre une mitrailleuse de chaque char et des chargeurs et une partie des équipages à pied, faisant un feu d'enfer, réussissent à ouvrir la route en pleine nuit. Les chars passent derrière eux, ainsi que des fantassins et des tirailleurs.

Le capitaine Gasc réitérera cette manœuvre. Un des chars en panne sera incendié.

À trois heures, il reste 6 chars qui ont franchi l'Aube. Mais 2 sont en remorque et un troisième n'a plus d'huile. Ils arrivent quand même à Nolay où le colonel, commandant le 206e R.I. de l'ordre de les laisser sur place à la garde du village ; un char qui se déplace encore et poussé au pont de Viâpres.

Dans la matinée, les Allemands attaquent, ils sont repoussés mais un char est détruit.

Le moral des survivants du 41e B.C.C. reste bon.

À 19h30, toutes les troupes d'infanteries sont repliées vers la forêt du Grand Orient ; la mission est terminée ; il ne reste plus qu'un char presque en état de marche, les 4 autres sont incendiés après mise hors d'usage de l'armement, à l'exception des mitrailleuses qui sont emportées.

Le capitaine Gasc forme son détachement composé de quatre ou cinq officiers et d'une trentaine de sous-officiers et d'hommes de troupe, un char et deux tracteurs de ravitaillement ; il se met en route vers Voué et Monsuzain.

Entre Voué et Monsuzain, les Allemands barrent la route, le capitaine Gasc donne l'ordre de foncer, le char B de l'adjudant chef Maréchal sur la route, un tracteur muni des mitrailleuses de chaque côté à 50 mètres, le détachement armé de mitrailleuses attaquera derrière.

Ce qui fut exécuté par tous.

Mais il y avait une nuée d'armes antichars et automatiques allemandes. Le canon de 75 du char est bloqué, le char prend feu, Maréchal et son équipage sont tués, les tracteurs sont démolis, le personnel tué, le groupe à pied lutte et tire encore, le capitaine Gasc est grièvement blessé, la moitié des hommes du détachement sont tués ou blessés, les chargeurs de mitrailleuse se raréfient.

Quelques minutes plus tard d’innombrables Allemands submergeaient les rares survivants. Ils furent d'ailleurs parfaitement corrects et un officier allemand exprima son admiration à l'adjudant Chavillot.

Ainsi que le groupe Cornet - Billotte le 12 et le 13 juin, le groupe Gasc a disparu le 15 en luttant jusqu'au bout, à pied quand il n'eût plus de char.

C.E. et P.C.

Toujours sur ordre de la DCR, cet échelon se repliait de Vandemanche par Vendoeuvre et l’Abbaye de Clairvaux sur Laferté sur Aube, où il est le 15 vers 11 heures.

Il en repart aussitôt élu par Louesme, Lennelay , Origny, Saint-Marc sur Seine, il parvient à Villaines en Duesmois à 23 heures

Nuit du 15 au 16 et journée du 16 juin 1940

Le détachement P.C. C.E. repart vers deux heures du matin pour Saint-Germain de Maudéon (ordre du colonel Maître), passe à proximité de Montbard, à Semur, à Précy sur Thil et arrive à Saint-Germain de Modéon (14 km ouest de Précy) vers 7h30.

Un élément égaré conduit par l'adjudant Cathe atteint Saulieu, où il rencontre le colonel Maître qui lui intime l'ordre de regagner Saint-Germain. Saulieu est libre vers neuf heures. Ces quelques véhicules bons hier et qui remontent à Saint-Germain. Dès qu'il sait cela le capitaine Delepierre se précipite en auto pour le colonel maître, mais ne le trouve pas. Il cherche en vain et vers midi revient au bois de Saint-Germain de Modéon où l'échelon du 41e doit recevoir les ordres du colonel Maître.

Rien ne vient, si ce n'est les motocyclistes Allemands qui foncent vers Saulieu. Le lieutenant de Witasse et d'autres officiers du bataillon en moto cherchent un itinéraire libre, mais là aussi, motos et autos blindées allemandes sillonnent tous les chemins.

À 17 heures, le capitaine Delepierre donne l'ordre d'incendier tous les véhicules, ce qui fut fait et à partir de 19 heures il donne l'ordre aux gradés et chasseurs de s’égailler par petits groupes pour échapper.

Les fanions furent enterrés par les lieutenants Dardenne et Ledrappier en accord avec le capitaine Delepierre. À peine avaient-ils terminé et se concertaient pour savoir sur quelle direction partir que jaillirent les Allemands à pied. Les lieutenants Dardenne et Ledrappier réussirent à sauter dans le taillis et s'échappèrent sous les balles, les autres furent faits prisonniers.

Le détachement arrière disparaissait à son tour.

Le sacrifice total du 41e bataillon de chars était consommé, personne n'a jamais flanché, tous ont fait leur devoir jusqu'au bout, la confiance mutuelle des cas et des hommes restait intacte jusqu'à la fin.

Sources : Archives du SHAT Vincennes.