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    JOURNAL DE GUERRE

    DU COLONEL

    DE CISSEY

 

     Commandant le

     37e Bataillon de Chars

       Source : Archives de la Ville de Beaune

 

 

 

 

 

 

1er Septembre 1939

Ça y est, nous voilà encore embarqués dans une nouvelle guerre. Je la commence, il faut l’avouer, plus agréablement que la dernière, mais j’ai près de cinquante ans et le coffre n’est plus très solide. Il faudra tout de même qu’il tienne jusqu’au bout.

Tout mon bataillon est aujourd’hui rassemblé et David m’a rejoint comme adjudant–major. J’ai eu beaucoup de mal à l’obtenir, mais je l’ai. Sa bonne figure réjouie m’a fait rudement plaisir quand il est venu en descendant de voiture se coller au garde à vous devant moi ; la poignée de main que nous avons échangée en disait long sur nos sentiments réciproques. Malheureusement mon état-major en dehors de David n’est pas brillant. Mon adjudant technique est un ballot et je lui fait uniquement faire la popote. S’il nous fait bien bouffer ce sera déjà ça. Mon officier de renseignements est d’un commun exagéré, mais lui au moins pige vite et ne craint pas sa peine. Mon officier de détails est le roi des cons et avec ça d’une prétention… heureusement je l’ai doublé malgré le règlement de l’adjudant Perrot qui est un as au point de vue comptable. Le toubib est un jeune type de Boulogne, il est crevant et mettra de la gaieté dans nos repas. Mon officier de transmissions est une mouche du coche dans toute sa splendeur.

Les compagnies sont au contraire très bien encadrées :

A la 1ère compagnie Laude, 2e Gilbert, 3e Obe, ce dernier qui tirait un peu a enfin pris le dessus et j’espère qu’il marchera.

La compagnie d’échelon avec Reynaud marchera très bien. Tous les réservistes m’ont fait très bonne impression.

Nous sommes installés au château de Clemery qui est une splendeur, avec le groupe de bataillon 511 et le soir par un temps magnifique de fin d’été, nous faisons Sandrier et moi des gibernes interminables. Il continue d’être des plus ouverts avec moi, j’espère qu’il n’y aura pas trop de tirade.

Aujourd’hui encore pour l’arrivée, le pôvre Totu s’est fait engueuler par lui de verte façon. Je dois reconnaître que son bataillon est un vrai bordel et pourtant il a trois commandants de compagnie qui sont très bien et qui sont désespérés.

2 septembre 1939

Sandrier vient de Nancy où on lui a annoncé la formation de la division cuirassée. Il prend la 1ère demi-brigade avec mon bataillon le 37e et celui du 512 le 28e. Il est dans une joie folle d’être débarrassé de Totu et de prendre le commandement de deux bons bataillons et du 5e Bataillon de chasseurs portés.

Le 28e n’est pas encore très au point mais je pense que le brave Pinot l’y mettra vite si l’on peut travailler avant d’être engagé.

3 septembre 1939

Coup de Trafalgar épouvantable, Keller vient de téléphoner à Sandrier avec des quantités de belles phrases que ce n’est pas lui qui prenait la demi-brigade mais le père Rabanit. Bruneau est aussi évincé de la division cuirassée, pour nous cela vaut peut-être mieux car il est vraiment trop fou ; mais moi personnellement je le regretterai peut-être un jour car il ne jurait plus que par moi. Sandrier est effondré, il part avec son état-major à Fay en Haye.

4 septembre 1939

La 1ère brigade cuirassée est constituée. Sandrier est parti ce matin en m’embrassant. Rabanit était là au moment du départ jurant qu’il ne comprenait rien au changement et qu’il s’en étonnait. Je crois qu’il était sincère et que Sandrier a été évincé parce qu’un type plus jeune que lui du Ministère voulait être adjoint à Keller à la division (Penet).

8 septembre 1939

Les premiers contacts avec Rabanit sont excellents ; il n’y connaît pas beaucoup mais possède un gros bon sens qui vaut énormément, il nous laisse absolument libres Pinot, Journois (5e B.C.P.) et moi et nous à déclaré qu’il ne se considérait notre supérieur que pour nous soutenir.

10 septembre 1939

Nous partons à l’arrière pour pouvoir manœuvrer et mettre au point le 28e et toutes nos liaisons. Marche de nuit de 90 km, tous feux éteints, terrible… J’arrive à Moyen à 6 heures du matin étant parti à 21 heures avec tous mes chars ; c’est un succès formidable qui me prouve que mes équipages sont bons. Seuls les véhicules de réquisition m’ont donné des déboires, un renversé à Art sur Meurthe et trois ou quatre en panne sur toute la route. Les dépanneurs  se sont bien débrouillés et à la nuit tout le monde était à son cantonnement. Le pauvre 28e est arrivé vers 9 heures avec 7 chars sur 33, tout le reste éparpillé sur 80 km. Pinot était navré. A mon avis il a voulu aller trop vite avec de jeunes pilotes et des officiers qui s’en foutent.

11 septembre 1939

Visite de Keller. J’ai rouspété ferme sur la longueur de l’étape, sur la difficulté du parcours et j’ai la promesse qu’on ne recommencera pas. Malgré tout j’ai été couvert de fleurs. Il paraît du reste que c’était Bruneau qui avait conseillé l’étape, ce qui me montre que la réflexion que j’ai faite plus haut était bonne.

Les lettres n’arrivent pas, je suis obligé de faire faire des centaines de kilomètres à mon vaguemestre et c’est souvent pour rien.

15 septembre 1939

Nous travaillons dur et les chars en prennent un vieux coup. Les officiers de réserve se sont vite mis dans l’ambiance et nous tranchons nettement sur le 28e.

Vu ce bon Magnienville à Lunéville et raté Ponpom de quelques heures. Ce dernier est parti pour le Jura retrouver sa division de cavalerie.

20 septembre 1939

Grande algarade au 4e bureau des étapes. A force de rouspéter pour la correspondance, on finit par s’émouvoir en haut lieu. Il faut du reste reconnaître que les état-majors font ce qu’il peuvent pour nous venir en aide.

Octobre

Nous avons beaucoup travaillé ce mois ci, le bataillon s’est rudement vite mis d’aplomb. J’ai peut-être été très dur dans mon commandement, je sais qu’il le fallait pour mettre tout le monde en mains. Je vais pouvoir maintenant desserrer la main de fer. J’ai été bougrement aidé par David et mes trois capitaines. Obe lui-même s’est bien mis à la page, mais le pauvre type a pris quelque chose et sa compagnie en a bavé. Cela m’a permis de remarquer chez lui un type épatant qui a violemment réagi sous les engueulades générales : c’est le lieutenant Gaudet. Il est malheureusement très jeune comme lieutenant, mais il commanderait la compagnie bien mieux que son capitaine.

La compagnie Laude a touché le 28 septembre ses chars B1 bis tout neufs, les équipages étaient fous de joie. L’amour du matériel est vraiment une chose formidable. Du reste comment ne pourrait-on pas s’attacher corps et âme à un aussi bel engin qu’est notre char. La distribution des chars a été homérique sur le quai de la gare de Lunéville, et avant de débarquer Laude a été obligé de me demander de la faire. Il a pris pour lui le GARONNE, j’ai donné le LOIRE à Larcher ; les fanions sont déjà commandés et les marraines vont avoir à travailler dur. Valentine Tessier a écrit à cette occasion une lettre absolument charmante.

Petites choses si françaises et amour du panache que j’ai donné à tous ; chez Laude du reste cela a particulièrement bien rendu.

Cela m’a fait de la peine de voir partir les vieux chars qui ne se sont pas battus et qui gardaient mes souvenirs de Verdun.

Le STRASBOURG de Laude, le DIXMUDE de Brusaut s’en vont.

23 octobre 1939

Quelle belle compagnie. Laude a fait, un entrain, un chic, c’est une joie pour moi d’y aller. Laude est devenu du reste pour moi un véritable ami. Mon premier renfort en officiers arrive du dépôt. Je garde à mon état-major un type qui m’a l’air très bien, le lieutenant Lecoeur et j’en ai profité pour me débarrasser sur la demi-brigade de mon officier de transmissions qui était vraiment trop le Con intégral.

22 novembre 1939

Le capitaine Aulois vient de m’arriver pour faire un stage, c’est Préclain qui ,me l’envoie. Tiens, tiens… le 37e prendrait-il déjà une certaine réputation ? Il est bien cet Aulois, très bien même. Déjà assez âgé, il est volontaire pour prendre une compagnie B. Nous nous sommes accrochés du premier coup.

26 novembre 1939

Nous venons d’avoir le théâtre aux armées, avec Jeanne Buitel, Nadia Dauty, Denisis. Nous leur avons fait une réception monstre dont elles se souviendront. Elles ont été absolument charmantes et feront de nouvelles marraines, je suis certain, pleines de cœur. Je les ai nommées 1ère classe. La remise des galons a été épatante. Nadia pleurait tout ce qu’elle savait, et c’est une vraie fontaine qui m’a embrassé.

Décembre 1939

Départ de Moyen. Nous avions fait, Laude, Lecoeur et moi, la reconnaissance de nos nouveaux cantonnements dans la région de Chalons sur Marne et en déjeunant à la Haut Mont Dieu, j’ai fait la connaissance d’une amie de Laude, Odette de Seiyes, qui est absolument charmante. Comme nous restions coucher à Chalons, nous avons eu le soir au bar, les trois petits le Conte et les deux Pithois. Soirée charmante qui nous a changé. En rentrant je suis passé par Brouthin embrasser ma petite sœur. Elle était comme d’habitude charmante et si affectueuse, et puis c’est tellement agréable d’embrasser une femme qui sent si délicatement bon.

10 décembre 1939

Les embarquements et débarquements se sont faits par un véritable temps de cochon, avec des retards énormes. Les état-majors sont vraiment en dessous de tout ; les trains étaient formés avec des wagons trop faibles pour mes chars, le bordel quoi…

17 décembre 1939

La 2e compagnie touche ses chars neufs. Nous sommes accueillis Laude et moi à bras ouverts chez les le Conte, les deux petits sont charmants et très gais, çà nous change un peu. Laude me disait : « je vois très bien la petite Annick aux bras de Jacques », c’est vrai que cela ferait une très chic petite belle fille. (Il faut déjà que j’y pense, c’est assez drôle).

Aulois nous quitte, son stage terminé, il va prendre une compagnie au bataillon Préclain. Quel chic type, un allant, un cœur, un cran. Que n’avons nous uniquement des types dans son genre.

8 janvier 1940

Je pars suivre un cours à Versailles, où je me propose bien de faire une pâle noce avec Mlle Bobette, cela lui fera du bien à elle aussi, car Bourmont… brou….

14 janvier 1940

Mon cours est interrompu, et je rejoins en vitesse, pour rien du reste.

16 janvier 1940

La 1ère division est constituée, c’est Bruneau qui la prend avec Sandrier comme adjoint, ça nous en promet de belles. Pour le moment nous nous rapprochons de Suippes, et cantonnons à St Souplet. Assez bien installés. Le déplacement par un froid noir a été assez difficile. Heureusement le bataillon était le premier de la colonne sur la route verglacée. Le pauvre Pinot qui me suivait a trouvé la route complètement amochée et a eu un mal du diable à arriver.

22 janvier 1940

Je par en permission de six jours à Paris.

12 février 1940

Nous voilà perdus dans des exercices de cadres à la Bruneau, c’est une barbe sans utilité. Une manœuvre de division par semaine que Bruneau rate à chaque coup, c’est gai pour l’avenir.

21 février 1940

Coup très dur, Laude est muté au 47e comme adjudant-major ; c’est pour moi une catastrophe et j’en suis désespéré : c’est un ami qui s’en va et la bagarre arrive. Je n’ai naturellement pas été prévenu. Il est remplacé par Raberin qui vient de l’ancien 511e, il est très bien mais il faudra le dresser/ En même temps Obe est désigné pour l’instruction du dépôt. Je donne la compagnie à Gaudet, mais je crains bien qu’on ne m’impose un capitaine d’ici peu.

25 février 1940

Ca n’a pas manqué, on m’envoie un nommé Lehoux, c’est un ballot intégral, mais un ami du fils du général Bruneau. Ca ne m’a pas empêché d’aller dire à Bruneau ma façon de penser, et ça été ma première très forte engueulade. On m’a mis en boule, tant pis je m’en fous. J’ai du aller un peu fort, car Bruneau m’a flanqué à la porte de son bureau, en me disant que j’avais un caractère impossible, à quoi je lui ai répondu en claquant les talons : « c’est possible, n’empêche que c’est moi qui me ferai casser la gueule pour réparer les conneries d’un olibrius qui n’a qu’une qualité : être l’ami de Jacques Bruneau.

Mars

Il a fallu que je remette mon bataillon d’aplomb. Pour Raberin cela a été tout de suite très bien, il pige bien et vite. Quant à Lehoux, c’est impossible, je sens tellement qu’il va me faire casser la figure. Et puis il a une sale gueule de mouchard. Je lui ai retiré Gaudet et l’ai pris à l’état-major. Celui-là c’est un chic type et je sens qu’il va me rendre bien service. Pris aussi à l’état-major le bon gros Picarel après une histoire idiote qu’il avait eu avec Reynaud à la compagnie d’échelon. C’est un type épatant, beaucoup trop fin pour vivre avec l’équipe de la compagnie d’échelon qui est bien mais vraiment trop commune. Je ne comprends pas comment Bertin qui est très bien puisse s’y plaire.

Avril

Et les exercices continuent, et Bruneau les rate toujours, si nous sommes engagés comme cela, cela sera une catastrophe. Les deux bataillons 35 sont très en arrière de la main et nous jouerons la pièce, c’est certain.

9 mai 1940

Serait-ce vraiment le commencement de la guerre. Suippes a été sérieusement bombardée. Il y a pas mal de dégâts. L’état-major de la division l’a échappé de peu. Le boche a eu pas mal de casse. La D.C.A. anglaise et la Chasse ont donné toute la journée. Un obus non éclaté est tombé à côté de mon P.C. Les anglais m’ont envoyé la douille le soir même avec leurs excuses (j’aurais mieux aimé du tabac). Le pauvre Durand qui faisait des courses de popote à Suippes est revenu décomposé, cela lui aura fait du bien comme apprentissage.

10 mai 1940

Ce coup là c’est pour de bon, nous embarquons pour la Belgique. Comme par hasard, on commence par une connerie, les chars sont sur voie ferrée et je pars avec les véhicules par la route. J’ai eu beau râler il n’y a rien eu à faire, le chef est débordé, quant à Bruneau, il joue au petit soldat. Les embarquements ne se font pas facilement, nous sommes constamment bombardés par les avions malgré les deux ou trois escadres anglaises qui sont à côté de Suippes. La division ne faisant rien, je me décide à envoyer Larcher directement au commandant de groupe de chasse. Il revient vite en me disant que c’est entendu. De fait une fois la chasse en l’air nous sommes tranquilles jusqu’à la fin de la soirée. Je ne suis du reste pas mécontent que les hommes aient commencé à entendre siffler les éclats.

11 mai 1940

J’abandonne les chars et je pars avec la colonne des véhicules, pas de régulation de la circulation, un bordel effrayant sur les routes. Nous passons à côté d’un terrain d’aviation qui a pris quelque chose cette nuit., de Reims bien touchée, puis du quartier général anglais, mais nous ne sommes pas inquiétés du tout.

Nous cantonnons le soir à Curieux, on va coucher tout habillés car nous nous attendons à partir cette nuit.

12 mai 1940

Naturellement nous sommes partis très tard, bous faisons une grande rocade pour nous mettre dans le fuseau de l’armée qui monte.

A midi, Bruneau fait appeler les chefs de bataillons. Les chars commencent à débarquer à la frontière belge, et il voudrait que nous y soyons déjà. Je fais très respectueusement remarquer que si nous n’y sommes pas, ce n’est pas de notre faute mais de la sienne. Il me répons assez vertement : « la question n’est pas là, il faut simplement savoir si vous pouvez les rejoindre ce soir » A quoi je réponds aussi sèchement et rapidement : « la manière est simple, nous donner notre liberté de manœuvre et ne pas toujours nous considérer comme des nourrissons au biberon en train de téter leur nourrice ». J’ai cru un quart de seconde que Bruneau allait éclater mais il s’est contenu et a simplement répondu : « C’est entendu, les chefs de bataillon rejoindront d’urgence les chars. Messieurs, je vous remercie ». Nous nous sommes tous levés dans un silence glacial, j’ai salué et me suis dirigé vers la porte, il m’a rappelé et m’a dit : « vous serez donc toujours aussi hargneux, dites moi au revoir » la main était largement tendue, j’ai bien senti que j’avais tort, mais comme toujours il a fallu que je réponde en prenant la main qui ne me lâchait pas : « Mon général, Pinot et moi avons 50 ans, je crois que nous avons montré tous les deux que nous savions commander et mener notre barque, nous souffrons d’être ainsi tenus en laisse et de croire que nous n’avons pas entièrement votre confiance. Au moment où nous allons peut-être aller nous faire casser la gueule, je vous le redis encore, pourquoi n’avez-vous pas confiance en nous ? » Il m’a regardé dans les yeux pendant un bon moment me tenant toujours la main qu’il serrait à craquer, j’ai bien vu qu’il était très ému et c’est d’une voix couverte qu’il répondit : « Vous êtes Pinot et vous, deux chics officiers et je vous jure que vous pouvez avoir confiance en moi, comme j’ai confiance en vous. » Pauvre vieux type, c’est moi qui ai eu tort, mais il fallait que ce soit dit.

En sortant Pinot jubilait en me disant : « Ça ne fait rien, vous avez un sacré culot ». « C’est possible ai-je répondu, mais pour lui prouver que c’est moi qui commande mon bataillon, non seulement je rejoins les chars mais j’emmène avec moi mon P.C. et je laisse les véhicules à un lieutenant, c’est bien suffisant.

Après avoir bouffé en vitesse, nous sommes partis David, Gaudet et moi et après l’entrée en Belgique où toute la populace nous lançait des fleurs et où tous les gens riches foutaient le camp en voiture et encombraient les routes, nous sommes arrivés à Lambusart avant les premiers chars, après avoir été coursés à plusieurs reprises par les avions boches, mais les bombes n’éclataient jamais sur la route où nous sommes passés sans incidents.

Première récompense de mon dur travail de l’hiver : l’air réjoui de tous en me voyant au débarquement « ah mon colonel, enfin vous voilà, ce qu’on avait peur que vous ne soyez pas là, maintenant que vous êtes là on est tranquilles, etc… etc…». Mon bataillon fait corps avec moi, le résultat que j’ai cherché, je l’ai obtenu plus beau que je n’aurais jamais cru et si demain nous sommes engagés, c’est une seule et même âme, l’âme du 37e qui battra dans tous les cœurs des équipages.

J’essaie de me durcir et d’effacer en moi les affections particulières que je puis avoir, demain cela pourrait me gêner dans mon commandement. Ce soir, j’ai tutoyé Raberin pour la première fois et lui, si protocolaire, m’a tendu la main en me disant « ah merci mon colonel, il y a longtemps que j’attendais cela.»

Il n’y a plus que Lehoux que je ne tutoie pas, je crois que je n’y arriverai jamais, et pourtant je voudrai tant le soir, n’avoir de rancune pour personne. Il m’a déjà fait tellement de conneries, que fera-t-il demain ?

13 mai 1940

Peu dormi cette nuit, on ne sait rien que de vagues tuyaux de réfugiés qui sont très déprimés. D’après eux toute la ligne belge est enfoncée et les boches sont déjà devant Namur qui flanche. Nous sommes gagnés de vitesse. Alors que sommes nous venu faire dans cette galère et pourquoi ne nous sommes pas défendu à la frontière ? Nous ne serons jamais assez nombreux ici pour tenir et nous allons à un nouveau Charleroi. J’ai passé toute la journée en reconnaissance puis dans les compagnies. Tout le monde est gonflé à bloc, ça fait plaisir à voir et à entendre.

20 mai 1940

Me voilà à l’hôpital, bien amoché. Vais-je pouvoir physiquement m’en sortir ? je n’en sais rien, je me sens très vieux, mais moralement je puis dire que je viens de passer les plus beaux jours de ma vie de soldat. Je voudrais tant pouvoir tout me rappeler et tout mettre dans ce carnet, tout sans même laisser de côté les tristesses ; en aurais-je le courage et surtout ma mémoire ne sera-t-elle pas défaillante ?

Je vais essayer de reprendre ici cette page de combat que mon beau 37e a inscrit les 15 et 16 mai avec son cœur et combien de son sang.

Le combat

Le 14 mai dans la matinée, Bruneau nous a rassemblé à son P.C. à Lambusart ; il avait été en liaison dans les état-majors du secteur. Ça va mal, les Belges ont lâché sur toute la ligne. Nos éléments de cavalerie se cramponnent comme des poux et font du retardement, mais sont submergés. La division doit être prête à intervenir sur un préavis de 2 heures. Laïus du cœur naturellement « Messieurs, la 1ère division Cuirassée fera son devoir j’en suis certain ; quelle que soit la mission que l’on nous donne nous la remplirons jusqu’au bout. Je compte que chacun dans sa sphère donnera tout ce qu’il peut donner et si on nous demande un sacrifice total nous serons prêts à refaire Sidi-Brahim… »

Brou… un petit froid dans le dos, une division cuirassée est pourtant faite pour attaquer, enfin n’y pensons pas, et Bruneau continue « Je vous demande à tous d’exécuter à la lettre mes ordres, et pour le 37e, à vous Cissey de savoir qu’il faut souvent se contenter d’une tâche modeste quand le sort du pays est en jeu ».

C’est net, on va se faire casser la gueule bêtement, j’ai de nouveau très froid dans le dos et c’est la gorge serrée que je réponds : « mon général j’ai l’habitude d’obéir »

« Je le sais ». Ça a été le dernier contact avec le grand enfant que nous avons comme général de division.

A 14 heures le délai d’alerte était réduit à une demi-heure. J’ai tout de même donné l’ordre aux équipages de dormir. A 14h25 l’ordre de départ était donné par la division. Naturellement nous nous dirigeons vers la Meuse qui paraît-il vient d’être forcée entre Namur et Dinan. Cela aurait pu être bien beau de reflanquer tout cela à l’eau mais…

Le point initial est Spinay à 15h30. Par suite d’une erreur, Gilbert avec sa 2e, passe trop tôt. Pour ne pas faire de pagaille je le laisse en tête et Raberin avec la 1ère passe en queue… la fatalité…

Il n’y a rien à faire, pauvre Gilbert, son erreur lui coûtera la vie demain.

Les routes sont affreusement encombrées, c’est déjà une débandade folle, réfugiés, trains d’artillerie, fantassins, tout cela mélangés, sans ordre, sans police, c’est infernal. Je suis obligé de passer à travers champs et de contourner les villages. Nous devions être à 17 heures à la base de départ, rien à faire, à 17 heures j’en suis encore au moins à 20 km. Un motard de Rabanit, m’apporte deux fois des ordres que suivent un contrordre. J’arrive enfin vers 19 heures à Mettet où la division devait se trouver et donner des ordres. De division point, mais j’apprends que le SEINE avec le petit Mathieu comme chef de char, s’est renversé dans un ravin et brûle sans que l’équipage ait pu sortir et que le DAKAR étant en panne de coupleur le jeune Brocard a trouvé le moyen de simuler une crise nerveuse et de se faire évacuer ; j’aurais du m’y attendre avec ce petit salaud là. Bourlier qui est venu me rendre compte de tout cela me dit avec un air de petite fille : « Mon commandant, je suis haut le pied, si vous me donnez le DAKAR,  je vous jure bien qu’il arrivera à temps. Naturellement, j’ai dit oui, et il a rejoint dans la matinée  du lendemain juste à temps pour s’engager avec Gilbert, mais pour nous avoir rejoint, c’est vraiment qu’il l’a voulu.

N’ayant pas d’ordres, je me décide à partir tout de suite pour la position qui avait été désignée le matin et qui est encore à 5 ou 6 km et j’en rends compte à Rabanit. A peine en route je reçois du reste un papier de lui me disant : « Je suis désespéré de tous ces ordres et contre-ordres qui doivent vous faire bouillir, mais il est impossible de savoir où est passée la division, je n’ai rien, plus rien d’elle depuis plus de trois heures.  De toutes façons, nous ne pouvons attaquer ce soir. Installez vous sur votre position et gardez-vous, car j’ignore absolument ce que nous avons devant nous. Pinot est à peu près à votre hauteur et doit arriver en même temps que vous, faites l’impossible pour prendre contact avec lui et rendez-moi compte, à partir de minuit je serai à l’écoute. En dehors de cela, pas de radio, mais prenez l’écoute dès que vous pourrez ».

Dans le lointain, on entend le canon, un officier d’état-major que je rencontre complètement harassé et crevant de soif me met vaguement au courant : l’armée Corap est complètement enfermée, il est tué, son état-major doit être pris car on est sans nouvelles de lui, le boche qui a passé la Meuse on ne sait comment, pousse dur. Nous n’avons plus devant nous que quelques éléments de cavaliers (G.R.D. et débris de D.L.M.). Il faut évidemment faire la part du vrai et du faux dans ces nouvelles, mais bon dieu de bon dieu, Michel est dans ce coup là, quelle joie si demain on arrivait à tout bousculer et à le délivrer. Hélas demain sera un jour de folie où nous serons cloués sur place.

Je n’arrive qu’à 22 heures à ma position, elle est très mal choisie, mais il est trop tard, je l’encaisse. Les compagnies s’installent en garde comme elles le peuvent. J’en fais le tour et je rends compte à Rabanit en demandant mon ravitaillement d’essence. Dès ce moment et pendant toute la nuit, j’ai certainement passé moralement les moments les plus durs. Je sentais mes chars à peu près vides d’essence et j’ignorais absolument où était mon ravitaillement puisque le principe de Bruneau était de le prendre à son compte et de l‘envoyer quand il le jugeait à propos. Sandrier en était chargé, mais Sandrier roupillait comme d’habitude et du ravitaillement il se foutait largement. Ce type là n’était bon que pour critiquer mais pour agir c’était vraiment un zéro.

Vers 24 heures je me décide d’envoyer David à la recherche des tracteurs et je lui donne l’ordre formel de les ramener coûte que coûte. Le pauvre type dévoué comme toujours, part en side, trouve le convoi qui avait ordre de se replier, lui fait faire demi-tour et lui indique exactement mon emplacement.

Lecoeur qui commandait le convoi qui s’en allait la mort dans l’âme, sentant bien que j’avais besoin de lui, fait demi-tour malgré les ordres reçus et nous rejoint vers 9h30.

David qui avait eu un accident en revenant et s’était cassé une côte me rejoint vers 2 heures du matin, ayant par hasard rencontré Bruneau sur un bord de route, il apportait des ordres verbaux avec l’annonce l’arrivée du ravitaillement. Les ordres de Bruneau étaient : Couvrir la division à gauche en s’installant en position défensive le long de la grande route Ermeton – Flavion, interdiction formelle de franchir la route sauf si besoin était, en petites contre-attaques rapides. Bruneau avait ajouté : « Vous direz à Cissey que je compte qu’il obéira » mais le pauvre David qui n’était pas au courant, de lui répondre : « Mon général, le commandant a toujours eu, que je sache, l’habitude d’obéir ». « C’est bon, vous lui direz, il comprendra ».

Oui j’ai compris, alors que notre rôle est d’enfoncer, nous allons être obligés de nous défendre à mort sur place, quelle foutaise. Allons tant pis, remplissons déjà notre mission, on verra après.

15 mai 1940

Je me remets en route laissant David à mon P.C., il n’en peut plus et souffre affreusement de sa côte, pour faire le tour de mes compagnies et leur donner des instructions. Je commence par Raberin que dans la nuit je cherche longuement, il veille et n’est pas tranquille, il a eu quelques coups de feu devant lui. Je lui explique ce que je veux et lui indique exactement sur la carte sa place, il sera à ma gauche légèrement en retrait d’Ermeton face à l’est. Il ne dit pas un mot, mais quand j’ai fini et que je relève le nez de ma carte, je vois ses bons yeux ronds effarés : « Mais mon commandant, comment voulez-vous que je sois sur place au petit jour, la nuit est affreusement noire, jamais je ne pourrai m’y retrouver ». Très doucement je lui ai dit : «Mais si mon vieux, tu vas faire l’impossible pour y arriver et si tu n’y arrives pas, je saurai bien que ce n’est pas de ta faute ». Il m’a simplement répondu : « Bien, mon commandant », et dans sa poignée de main j’ai bien senti qu’il serait en place.

Je vais ensuite vers Gilbert, il est loin, dans la nuit, j’ai du mal à le trouver, je n’ai rien mangé et rien bu depuis 10 heures du matin, je n’en peux plus et suis obligé de m’appuyer sur Gaudet que j’ai avec moi.

Enfin je le trouve, il s’est installé dans une ferme et bouffe, pauvre bon gros ; le champagne l’a rendu très gai et la bouteille qu’il vient de finir sera la dernière de sa vie. Je lui donne les ordres, lui indique sa place, il comprend tout, me dit : « Très bien, entendu » mais au lever du jour il ne sera pas où je voulais et je serai obligé de le faire déplacer. Il a pris liaison avec Pinot à droite ce qui me rassure un peu. Je repars pour aller trouver Lehoux. Lui je le trouve ronflant à poings fermés sur un matelas qu’il a pris je ne sais où, sa compagnie est en pagaille. Il ne comprend rien et m’oblige à répéter dix fois, si bien qu’exaspéré Gaudet me dit : « C’est bien mon commandant, j’irai placer la troisième et je vous rejoindrai après ».

J’aime mieux cela et je repars seul dans la nuit avec mon agent de liaison. La nuit est très noire, le calme est absolu, de temps en temps au loin une lueur suivie d’une détonation. On sent que le jour va venir, il faut que je fasse vite si je veux être en place, mais je n’en peux plus et c’est seulement le commencement.

En rentrant je retrouve David et son bon sourire, il s’est fait bander et souffre moins. Le café est chaud et c’est un délice, mais je ne tiens plus debout. « Allons mon commandant, vous n’en pouvez plus, dormez un peu dans le char, je vous conduirai avec l’ESCAUT à votre emplacement, je l’ai fait reconnaître, ne vous en faites pas ».

Je me suis étendu sur le canon de 75 et me suis endormi d’un bloc. Comme veillée d’armes, on ne fait pas mieux.

Vers 4 heures David me réveille, il fait grand jour avec un brouillard glacial. « Mon commandant voilà le jour, tout le monde est à peu près en place, Gaudet est à l’écoute sur l’ESCAUT mais on ne reçoit rien. Le ravitaillement n’est pas encore là, j’ai peur qu’il ne nous suive pas, je vais au devant de lui et il repart à la recherche de notre vie qui est cette sacrée essence. Il reste à peine 80 litres par char, autant dire rien s’il faut se bagarrer.

Les avions boches passent sans arrêt, ils nous cherchent mais nous sommes bien camouflés, certains passent au ras des arbres en tirant à la mitrailleuse, mais nous ne bougeons pas. Nous entendons Pinot à la T.S.F. qui réclame de l’essence. Le pauvre vieux ne l’aura pas et tout à l’heure il va donner avec ses réservoirs presque vides.

Vers 8 heures les fantassins du 66e arrivent à notre hauteur. Ils ont été ramenés de l’arrière où ils avaient foutu le camp. Leur moral est très bas, ils ont une hantise des avions qui les ont massacrés hier sur la Meuse.

A la première rafale de mitrailleuse ils disparaîtrons et nous serons de nouveaux seuls. Il est vrai qu’ils nous laisseront leurs armes en souvenir.

Vers 8h 30 à notre droite, la canonnade se déclenche en un seul coup, ça doit être Pinot qui s’engage sans moi, que peut-il se passer ? En vain je demande des renseignements à Rabanit. Enfin j’arrive à prendre la liaison et Rabanit me dit lui-même : " Ne bougez pas, ça vient sur vous, des engins sont signalés en marche sur la route d’Ermeton". Immédiatement j’envoie à Lehoux : "Préparez vous à contre-attaquer devant vous sur la route". Naturellement il ne comprend pas, me fait répéter trois fois mon message, si bien que je sors de mes gonds et de mon char et que je vais le trouver à 330 mètres de là. Il a perdu tous ses moyens qu’il avait déjà bien faibles. Il a une bave blanche le long des lèvres, il est hideux à voir, ça me dégoûte. J’appelle Perrin son lieutenant en premier et je lui donne directement les ordres. Un beau type ce Perrin, il comprend tout de suite ce que j’attends de lui et part avec deux sections. Sitôt passé la crête qui le cachait de la route, il tombe non sur des engins blindés mais sur une colonne d’anti-chars qui marchait à toute allure. Quel massacre ! En trois coups de cuiller à pot la question est réglée, tout est détruit ou flambe ou éclate en un immense feu d’artifice. Il rentre tout content ayant laissé un char en observation sous un gros pommier.

Notre présence est dévoilée, les avions recommencent leur sarabande infernale. Enfin voilà David avec l’essence, les pleins sont rapidement faits malgré les avions et quelques gros obus qui commencent à tomber un peu au hasard dans tout le bois.

Mes accus sont complètement à plat, je ne peux plus émettre, j’envoie en demander aux sections. C’est à celui qui me donnera les siens. Les pleins étaient à peine terminés que le char de surveillance signale des engins blindés sortant d’un bois de l’autre côté de la route. Rabarin qui l’entend me demande l’autorisation, je réponds : « Fais vite, mais garde moi toujours à gauche ».

Belle bagarre rapide car les boches se trouvant nez à nez avec Rabarin à 200 mètres font demi-tour en vitesse en laissant quatre chars en flammes. Malheureusement le LOIRE avec Quenot reste en panne, l’équipage ne le quitte pas et fait l’impossible pour le réparer. N’y arrivant pas avec les avions toujours sur lui, il le fait sauter.

A partir de ce moment, ça n’arrête plus, la contre attaque en coup de boutoir continue jusqu’au moment du repli vers 17 heures ; en repassant là j’ai pu compter 22 cadavres de chars et je ne sais combien de pièces anti-char le long de la route.

A midi 30 je reçois l’ordre « Préparer une contre-attaque sur Flavion à une compagnie ». Cela me paraît tellement extravagant que je demande confirmation. Le bon père Rabanit qui comprend parfaitement mon étonnement me répond : « Préparez sur Flavion une compagnie pour permettre à Pinot de se dégager. Pour le bataillon mission inchangée ». C’est net et cette fois j’ai compris, on va attaquer. Presque aussitôt on reçoit l’ordre d’attaque. Dès le premier message j’avais donné l’ordre à Gilbert de se préparer. Il était du reste presque en place et son départ s’est fait merveilleusement. Ne voyant rien de mon char je suis monté sur un sapin et à la jumelle j’ai pu suivre, la mort dans l’âme, pendant un bon moment.

La compagnie s’avançait dans un terrain semé de buissons avec en fond de décor un bois. Presque tout de suite Bounaix qui était à gauche tombe sur des gros chars pendant qu’une véritable nuée de petits et de moyens lui sautent dessus. Bagarre effrayante où tous nos coups portaient. Bounaix à lui seul fait sauter deux gros Panzer IV dont les équipages se sauvent à pied. Quels beaux équipages avait cette 2e compagnie. Quels tireurs merveilleusement entraînés ! Mais tout a une fin, l’aviation s’en mêle et les bombes incendiaires commencent à pleuvoir.

Les chars allemands, comme par hasard, disparaissent du terrain ne laissant que des carcasses en feu. Gilbert reçoit une bombe en plein moteur, c’est une immense gerbe de flammes. Du BEARN II on me crie « Le capitaine Gilbert envoie qu’il va sauter ». Je le vois très nettement sortir de son char avec une partie de son équipage, courir puis tomber, un homme se penche sur lui, tombe à son tour. Je n’en puis plus, vais-je laisser finir comme ça cette compagnie ? Non c’est impossible et puis c’est la fatalité, il était prévu que je n’obéirai pas.

Je laisse Rabarin accomplir la mission qui m’était prescrite et je pars avec la 3e compagnie. Mais tout cela a demandé du temps, les avions sont partis, les chars boches sont revenus. A mon apparition, toute l’attaque allemande fait demi-tour. Il n’y a plus de la 2e compagnie que le GUYNEMER avec Bounaix qui se bagarrait encore. Les équipages se replient après avoir fait sauter leurs chars, tous touchés dans les chenilles ou les barbotins. Bounaix lui-même à mon arrivée prenait feu et sautait après que tout l’équipage fut descendu revolver au poing. Au même moment David qui était sur l’ESCAUT m’envoyait « Ordre de repli, tenir Somtet jusqu’à la mort ». Il était à peu 17 heures, déjà l’ordre de repli… Et pourtant je reste maître du champ de bataille où j’ai l’impression d’être absolument seul. De Pinot, plus de nouvelles sauf sur ma droite quelques carcasses de chars dont les munitions achèvent de sauter. Quelques obus de gros calibre tombent au hasard un peu partout. J’envoie à Rabarin et à Lehoux l’ordre de repli en leur indiquant ce qu’ils doivent faire. Immédiatement Rabarin me répond : « Compris ». Lehoux, naturellement me fait répéter. Je vais le trouver, je le fais descendre de son char, il tremble comme une feuille morte, j’en ai pitié, j’essaie par mon calme de lui redonner un peu d’aplomb et lui explique très posément ce qu’il doit faire. Je lui indique son itinéraire, lui donne des points de repère très nets et lui dit : « Allons mon vieux, reprenez vous, ne pensez plus à ce que vous venez de voir, il va y avoir encore du beau travail à faire, je ne vous en veux pas de votre attitude. Mais c’est fini maintenant, il faut vous conduire en chef, menez votre compagnie à Somtet, installez vous, je vous rejoins car je veux d’abord retrouver Gilbert ». Le pauvre type m’a regardé avec des yeux effarés « Mon commandant, je vous en supplie, ne restez pas ou gardez nous avec vous, ils vont tous vous tomber dessus quand nous ne serons plus là ». Allons il a tout de même quelque chose dans le ventre ce pauvre type. « Allez mon vieux, c’est un ordre, dépêchez vous et laissez moi me débrouiller, je vous assure que j’aurai plus facile tout seul. Il est enfin parti ce malheureux et il a conduit sa compagnie à la mort aussi bêtement qu’on pouvait le faire. C’est lui qui avait raison, j’aurais mieux fait de le garder avec moi.

Je voulais retrouver Gilbert, je ne devais pas être loin de l’endroit où je l’avais vu tomber. Je suis donc remonté en char mais cela commençait à tomber dru tout autour, et j’ai du fermer la tourelle. Le sarabande en rond a commencé. De Gilbert rien, j’ai eu beau fouiller, rien, mais j’ai tout de même ramassé le mécanicien blessé qui était rudement content de monter avec moi.

Prise de contact avec les cavaliers qui sont là avec quelques mitrailleuses vieux modèles. Quels chics types, leurs tenues font contraste avec la nôtre. Ils se battent sans arrêt depuis trois jours et trois nuits et sont aussi propres et corrects que s’il entraient chez eux. Nous, nous sommes sales, débraillés, noirs de poudre et de graisse. Nous nous entendons pour défendre Somtet quand le père Rabanit arrive. Il a la figure tirée mais est d’un  calme épatant, me saute au cou assez ému, en me disant : « Ma brigade n’existe plus. Pinot après avoir bagarré comme un enragé toute la matinée a fait sauter ses derniers chars, faute d’essence, son ravitaillement n’étant pas arrivé. Il me reste juste ce que vous avez là ». Je compte, il y a neuf chars à moi et le sien sur 60 qui sont partis hier de Lambusart, et je n’ai qu’à peine 80 litres par char et très peu de munitions. Que fait ce salaud de Sandrier nom de dieu ?

Rabanit continue : « Vos deux bataillons ont été magnifiques, mais je veux que vous le sachiez et vous vous en souveniez : depuis midi je n’ai plus aucun ordre de la division, vous étiez absolument seul sur le terrain et vous aviez au moins deux divisions Panzer devant vous. Les deux bataillons légers n’ont pas été engagés et se sont fait sauter faute d’essence, pas une pièce d’artillerie ne vous a soutenu. Les bataillons de chasseurs n’ont pas paru. Quand j’ai su que les cavaliers se repliaient parce que débordés, je vous ai donné l’ordre de repli. Je vais essayer de retrouver la division et je ne vous donne qu’un ordre : tenez jusqu’à la limite, vous êtes seul juge du moment où vous devrez vous replier ».

Rabanit venait à peine de partir que Raberin ouvre un tir extrêmement rapide ; je saute à la crête pour voir juste une quinzaine de chars boches faire demi-tour à plus de 800 mètres à la lisière des bois et s’y engouffrer en laissant quatre cadavres en feu. Ils ne se montreront plus de la soirée et chercherons à nous déborder par les bois.

Mon radio arrive avec une suite de messages en clair « Repliez vous sur Charleroi ». D’où cela vient-il ? Impossible de le savoir. « Mon commandant, me dit-il, c’est drôle, mais ce n’est pas tout à fait notre longueur d’onde et ce n’est pas du tout l’accent de la division, venez donc écouter ». En effet, c’est émis à grande puissance, on entend en dehors du char aucun indicatif, aucune signature. « Pour tous les chars, repliez vous sur Charleroi ». C’est tellement contraire aux principes de Bruneau, ce langage en clair que moi seul emploie dans la division, contrairement à ses ordres formels, qu’à la fin la conviction me vient que ça vient d’en face et que je réponds en très clair : « Merde ! ta gueule bougre d’âne ! ».

Nous sommes complètement fourbus, la nuit tombe vite, quelques coups de feu isolés dans toutes les directions, plus de canon. Les hommes ont trouvé deux gros jambons et un tonneau de vin, nous bouffons tout sans pain et nous nous endormons gardés par les cavaliers. Mon équipage m’a trouvé un matelas et David et moi nous nous étendons sous un pommier.

16 mai 1940

A une heure du matin on me secoue, c’est le capitaine du G.R.D. Il a l’impression d’être tourné et pense qu’il y aurait intérêt à filer avant le jour. Lui aussi n’a aucun ordre que celui de se faire casser la figure.

Il sait qu’en s’en allant il se fera enguirlander par son état-major, mais s’il est pris, le bel avantage. Je tourne la difficulté en lui disant : « Moi je m’en fous royalement de votre état-major, on m’a donné ici le commandement et je suis seul juge du moment du départ. Je vais donc vous donner l’ordre écrit de vous replier en vous indiquant votre repli. Après on verra, vos grands As viendront me trouver après ».

Nous consultons la carte, il y a deux routes possibles, je lui donne la meilleure et je prends celle qui longe les bois. J’encaisserai mieux que lui si on nous tire dessus. Nous nous disons adieu et en route. Je ne sais absolument pas ce qu’il est devenu. Pour nous, malgré la nuit noire, nous sommes partis en grande vitesse. David en tête nous dirigeait. Je ne sais pas comment il a pu faire pour ne pas se perdre, mais ce qui est certain c’est que nous sommes passés le long du bois bourré de boches, qu’on entendait parler sans être inquiétés et qu’au petit jour nous nous sommes trouvés sur une grande route dans des convois qui retraitaient dans un bordel inimaginable. Tout cela aura-t-il le temps de passer avant que l’avance ne coupe, j’en doute fort.

Je n’avais plus qu’une idée, prendre du champ et trouver de l’essence. Cette idée là m’a mené jusqu’à un bois à l’est de la Figotterie où mes réservoirs vides, il a bien fallu m’arrêter. Deux chars se sont perdus en route : l’ALLIER avec Dugas et l’INDRE avec Texier.

Nous sommes à quelques kilomètres de Charleroi. J’envoie de suite Gaudet à la recherche d’essence. Il me revient deux heures après avec une citerne de 3000 litres que lui a donné un élément de dépannage de cavaliers. Quel soupir de soulagement, tout n’est pas encore fini…

Nous étions en train de faire les pleins quand le père Rabanit arrive. Il n’a pas trouvé la division mais a vu dans un P.C. de cavaliers l’ordre pour la division de rallier Avesnes par Beaumont. Bigre, il y a là près de 100 km. Heureusement, les pleins sont faits, on bouffera en route.

Le bon père Rabanit me dit : « Si vous voulez de moi je ne vous quitte plus ». « Mais mon colonel vous irez plus vite avec vos six roues qu’à marcher à notre allure ». « Non, je ne veux pas y arriver tout seul ». La destinée toujours, il n’y a rien à faire, pauvre brave homme.

Et nous partons, Rabanit en tête, en voiture et nous, suivant sur nos portes de tourelles.

Un avion boche de reconnaissance nous surveille de très haut. La route que nous suivons et qui descend au sud est libre et nous marchons à bonne allure. En passant à Florennes, je me paie le luxe d’envoyer un coup de 47 dans la fenêtre de la tour où était ma classe il y a quelques 40 ans. Tout se passait trop bien quand en sortant je crois de Ham je vois la voiture du père Rabanit qui était à un kilomètre devant s’arrêter et Rabanit et Pluchon son adjoint sauter dehors et se coucher dans le fossé. Presque aussitôt j’entendais un obus siffler. En vitesse nous rentrons en tourelle. Je crie à David qui me suivait sur l’ESCAUT « Prends vite le père Rabanit » et j’essaie d’avertir Raberin qui suit aussi, mais ma radio est morte, rien à faire.

Heureusement lui a compris de suite, il repère l’endroit d’où on tire et d’un seul jet il flanque ses 5 chars en bataille et commence un feu d’enfer sur une crête à 800 mètres. Quel massacre, tout sautait en l’air et les survivants se sauvaient de tous les côtés.

Déjà, les boches, ces cocos là vont plus vite que nous et nous allons être coupés d’Avesnes. Que s’est-il donc passé à notre droite ? Tout ne peut pas avoir cédé.

L’affaire réglée je vais jusqu’au premier village et je m’arrête pour attendre Raberin. N’ayant plus de radio, je descends du BEARN II et mon avec Raberin sur le GARONNE. Mon beau BEARN II, je ne le reverrai plus et je ne saurai jamais ce qu’il est devenu.

Au moment où Raberin arrive, des rafales de 77 commençaient à pleuvoir dans tous les coins. Ah si j’avais eu encore des munitions j’aurais tenté le coup de liquider ces nouvelles batteries là. Mais je n’ai vraiment pas assez d’essence et d’obus pour engager une affaire comme celle là.

Je monte donc dans le GARONNE et m’installe à la radio derrière le pilote et la marche reprend.

Vers 14 heures, d’après mes calculs nous devons approcher de Beaumont où je veux souffler un peu et faire de l’eau ; en effet voilà la grande route qui doit nous y mettre dans quelques minutes.

David a une grosse avance sur moi, nous marchons pourtant bien. Raberin me crie « Attention, on entend le canon devant nous » quand après un virage je vois l’ESCAUT arrêté en travers de la route et la première maison de Beaumont à 200 mètres. Une flamme de départ de coup et le bruit caractéristique de l’obus qui ricoche sur la tourelle. Raberin a vu aussi, il riposte aussitôt au 47. Je vois l’obus éclater au delà de l’objectif. Je crie au pilote « ferme ton volet bougre d’âne ». Trop tard, nouvelle flamme, l’obus éclate devant le char et je vois le pilote tomber sur son volant en donnant un coup d’accélérateur formidable. Le char bondit. Raberin tire, ce coup là en plein dedans.

Sentant le char filer sans direction je me penche sur le dos du pilote et coupe le contact mais il n’est plus temps. Lancé plein gaz en 5e, le GARONNE se cabre sur un arbre énorme qui est sur le bord de la route, bascule sur la gauche et dégringole en tournant sur lui-même un talus d’au moins huit à dix mètres pour se retrouver en bas, la tourelle en terre et les chenilles en l’air.

Quelle pagaille dans le char, nous sommes à moitié assommés, tout s’est décroché et c’est un affreux mélange de corps, de munitions, de casiers, d’appareils de T.S.F. auxquels se mêlaient deux caisses de vin que Raberin avait trouvé moyen de barboter je ne sais où.

Le malheureux pilote commençait à geindre sur son volant. Raberin la tête en bas et moi par dessus, étions complètement coincés impossible de faire un mouvement. Il fait une chaleur effroyable. L’image du pauvre petit Mathieu nous passe devant les yeux.

Nous échangeons quelques adieux Raberin et moi et nous attendons que le feu prenne. Nous sommes foutus… Non, nous ne sommes pas foutus. Par un hasard qui tient du miracle, l’aide-pilote qui est sur moi s’est dégagé et il arrive par un effort formidable à soulever la porte dite « trou d’homme » et voilà d’un seul coup le soleil qui entre à flots et le petit Platat qui crie : « Allez ! A vous mon commandant, sortez vite ». Mais je ne puis pas bouger, je suis coincé complètement et le brave gosse entre dans le char, me tire dans tous les sens, me dégage et me tire par les pieds. Ma veste de cuir est accrochée je ne sais où, un coup de couteau de toute la longueur et je suis libre. « A toi Raberin ! » « Je ne peux pas bouger ». « Allez Platat, encore un effort, dégages le » et de nouveau le gosse rentre dans le char. J’accroche les pieds de Raberin et je tire pendant que l’autre pousse. On y arrive enfin et nous descendons Raberin qui a la figure pleine de sang et qui perd connaissance sur l’herbe. Il faut maintenant sortir le pilote, c’est dur car il ne s’aide pas mais le risque d’incendie n’existe plus et on peut aller plus doucement car le malheureux est bien abîmé, sa figure n’est qu’une loque. D’un trou dans le talus, Rabanit sort comme Lazare du tombeau. Il est pâle comme un mort. David et Pluchon sont là, grièvement blessés. Tout tourne autour de moi et je tombe d’un seul bloc.

Je ne me souviens plus de rien jusqu’au moment où on me panse à Maubeuge. Devant moi Raberin, la figure en sang, attend son tour. Il a toujours son casque sur la tête. « je ne peux pas l’enlever » dit-il « car il me semble que mon crane partira avec ». David est étendu sur un brancard avec une plaie affreuse à la cuisse. Raberin me dit : « heureusement que les chars qui étaient derrière ont tout enfoncé. J’ai trouvé une voiture de cavalerie dans laquelle nous nous sommes mis tous les trois. Rabanit suit avec Pluchon et les autres blessés ».

Comble de bonheur, voilà les avions boches. Les bombes tombent, c’est un plaisir, tout tremble. Tout le monde fout le camp et nous sommes encore tout seuls, les pansements en l’air.

Les avions partis, les médecins reviennent furieux et nous donnent l’ordre formel de rejoindre l’abri la prochaine fois. On va nous évacuer sur Valenciennes. On monte David dans une sanitaire, il est blanc comme un mort et souffre affreusement.

De nouveau les avions, des infirmiers nous empoignent et nous font descendre à la cave. En y entrant je me heurte à un corps étendu, c’est un médecin qui pense qu’en cette position là il risque moins. Sa position et sa mine sont tellement drôles que le fou-rire me prend.

Enfin nous partons, David se plaint. Je m’aperçois seulement que Raberin n’est pas là. Il est parti dans une autre camionnette.

De Valenciennes où je perds David en m’endormant, je suis embarqué dans un train sanitaire. Je commence à souffrir très fort des côtes. J’ai la tête pleine de pansements et les mains idem. Tout çà ne sont pourtant qu’égratignures mais çà fait bien.

A Rouen, hôpital militaire en plein désarroi. Les médecins ne pensent qu’à préparer leur départ. Heureusement une pauvre vieille infirmière de l’autre guerre nous refait nos pansements. Je souffre affreusement du coffre et de la jambe, le genou ne fonctionne plus et la cuisse est toute noire. C’est certainement cela qu’il faudrait soigner… Mais…

Surprise de voir Jacques m’arriver tout pimpant en aviateur. Il a bonne allure et ça m’a fait plaisir de le voir, mais j’aime autant qu’il retourne s’amuser à Paris, les hôpitaux ne sont pas faits pour eux qui vont se battre.

Les pires rumeurs arrivent. Les boches bousculent tout. Nous sommes complètement écrasés. Cela doit être vrai car le soir même on nous embarque.

Quel voyage, Seigneur, les trains sanitaires prouvent vraiment que le service de santé se fout royalement de la tête des blessés, c’est une vrai honte. Au bout de trois jours de ce supplice infernal on arrive à Bordeaux. Je déclare qu’il m’est impossible d’aller plus loin et on me débarque tout de même. Je n’en peux vraiment plus et je ne peux plus respirer.

Enfin me voilà tout de même dans un hôpital où on me soigne, radios, bandages, massages, électricité. Je n’ai que quatre côtes cassées, mais comme voilà plus de dix jours sans soins, naturellement tout est à refaire.

Ma cuisse est toujours noire et il m’est impossible de poser les pieds par terre. Enfin tout cela s’arrangera. Le plus dur est d’être sans nouvelles de tous. Qu’est devenu mon pauvre bataillon ?

Friquette et Léno viennent me voir.

5 juillet 1940

Je vais arrêter là mon journal de guerre puisque hélas tout est fini.

Nous sommes battus, battus à plate couture malgré des actes individuels magnifiques mais le cœur de l’infanterie française n’y était pas et il a flanché comme toute la Nation.

Pauvre infanterie, où est sa gloire de 1914 ?

Mais avant de fermer ce cahier, je veux tout de même dire ma rentrée au 37e. Elle m’a payé de bien des choses.

Donc j’étais à Bordeaux ou Chonchon est venue me retrouver avec ses gosses. J’avais été transféré dans une magnifique propriété « Haut Brion ». Je jouissais d’un peu plus de calme quand les boches se décidant après l’armistice à pousser jusqu’à la frontière d’Espagne, arrivent pour occuper. Je n’ai qu’une idée : filer. Grâce à madame Alquier-Bouffard qui nous enlève un beau soir dans sa Citroën, le petit Tassigny et moi jusqu’à la Réole. Nous pouvons respirer l’air de la liberté.

Mais je ne savais absolument pas où aller et après bien des réflexions je me décide à gagner Avignon ou Minette Audéoud s’est réfugiée.

Avec taxis et trains à bestiaux je finis par arriver à Auch où le commissaire de gare me signale que la région est pleine d’éléments de chars. Je descends et je sors de la gare pour essayer de manger un morceau quand je tombe dans les bras d’un de mes sous-officiers : « Comment, vous, mon commandant, quelle joie pour le bataillon. Asseyez vous au bistrot, je téléphone qu’on vienne vous chercher ». Je n’ai absolument pas le temps de placer un mot, le type a déjà disparu. J’attends au bistrot par un temps idéal. Une heure se passe, personne… Je me demande si je n’ai pas rêvé quand une vieille 402 toute criblée d’éclats s’arrête devant moi. Raberin en saute et me tombe dans les bras. Brave vieux type, nous nous embrassons, incapables l’un et l’autre de dire un mot, de bouger. Il faut pourtant filer car il y a déjà foule autour de nous. Les gens applaudissent et c’est vraiment une ovation quand nous démarrons.

Raberin se dégèle enfin et parle, parle sans arrêt. Il raconte, raconte et tout tourne autour de moi.

Nous finissons par nous arrêter à Simoun sous une magnifique allée de platanes, une foule dense. Je ne me rends pas compte de ce que c’est.

Quand cette foule s’ouvre à notre descente de voiture, quelle n’est pas ma stupéfaction de voir les restes de mon bataillon me rendant les honneurs au milieu de toute la population et c’est dans un silence de mort que, m’appuyant sur ma cane et sur Raberin, la gorge saisie d’émotion, je suis passé lentement, très lentement, devant toutes ces figures bronzées et fatiguées, interrogeant tout le monde, embrassant les officiers. En arrivant devant mon fanion, je n’ai pu résister et j’avais des larmes plein la figure.

Raberin me ramène devant le centre du bataillon et d’une voix triomphante me dit :

« Mon commandant, au nom de tous nos morts, de tous nos disparus, de tous nos blessés, de tous ceux qui viennent ici de vous montrer que vous êtes toujours notre chef et qu’avec votre retour revient aussi l’âme du 37e, je veux vous dire mes respectueuses félicitations pour la rosette et la magnifique citation à l’Armée qui viennent d’arriver ce matin pour vous et dont la gloire rejaillit sur tout le bataillon que vous avez formé et mené au feu et qui vous a suivi jusqu’au bout avec la plus grande confiance et la plus grande affection.

Officiers, sous-officiers, caporaux et chasseurs, saluez ! Le commandant est là, le 37e n’est pas mort ».